Genèses 2012/1 n° 86

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Article de revue

Encadrer la sexualité au Viêt-Nam colonial : police des mœurs et réglementation de la prostitution (des années 1870 à la fin des années 1930)

Pages 55 à 77

Notes

  • [1]
    À l’époque coloniale le Viêt-Nam se compose de trois entités : le Tonkin au nord avec Hanoi comme résidence supérieure, l’Annam au centre avec Hué et, au sud, la Cochinchine avec Saigon. La Cochinchine est une colonie alors que l’Annam et le Tonkin sont des protectorats. Pour des raisons typographiques, les accents vietnamiens n’ont pu être restitués.
  • [2]
    La plupart des exemples cités concernent le Tonkin : les archives de la résidence supérieure du Tonkin sont mieux conservées, et surtout mieux classées, que celles du gouvernement de la Cochinchine. Cet article entend néanmoins étudier la réglementation de la prostitution dans l’ensemble du Viêt-Nam colonial, les différences entre les deux régions restant mineures.
  • [3]
    En France : Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence (ANOM) et Service historique de la défense à Vincennes (SHD) ; au Viêt-Nam : Centre n°1 des Archives nationales à Hanoi (ANV1) et Centre n°2 à Hô-Chi-Minh-Ville (ANV2).
  • [4]
    Notamment le Bulletin de la société médico-chirurgicale de l’Indochine (BSMCI), source extrêmement riche sur la question.
  • [5]
    Ce Code, promulgué en 1912 par l’empereur Gia Long, consiste en une compilation de lois chinoises et annamites. Il a fait l’objet d’une traduction commentée à l’époque coloniale.
  • [6]
    L’auteur Nguyên Du est mort en 1820.
  • [7]
    Les autorités coloniales estiment le nombre de prostituées à environ 5 000 en 1930 à Hanoi (Joyeux 1930 : 460), pour une population totale de 145 000 habitants en 1936 (Papin 1997 : 344).
  • [8]
    ANV1, Tribunal de Haiphong 1831. Procès-verbal du commissaire de police de Haiphong, 22 mai 1925.
  • [9]
    ANV1, Phu Tho D638 102. Gendarme commissaire de police au résident de Hung Hoa, 22 août 1904.
  • [10]
    ANV1, Phu Tho D638 103. Brigadier au résident de Phu Tho, 29 août.
  • [11]
    SHD, 10H 2099. La prostitution à Haiphong, 1954.
  • [12]
    Arrêté du maire de Saigon, 16 novembre 1916.
  • [13]
    ANV1, Résidence supérieure au Tonkin (RST) D638 1990. Résident supérieur au Tonkin au résident de Nam Dinh, 2 février 1901.
  • [14]
    ANV1, RST D600 4365. Arrêté du résident supérieur au Tonkin, 10 novembre 1903.
  • [15]
    Sur la métallo-prévention par exemple : ANV1, Mairie de Hanoi (MdeH) S03 5769. Rapport annuel sur le fonctionnement du service municipal d’hygiène, année 1942.
  • [16]
    L’actuelle ville de Da Nang.
  • [17]
    ANV1, MdeH D638 2593. Inspecteur général de l’Hygiène et de la Santé publiques au directeur des Finances de l’Indochine, 4 novembre 1936.
  • [18]
    La distinction raciale se fait, on le verra par la suite, au niveau des prostituées elles-mêmes.
  • [19]
    ANV1, MdeH D638 2583. Rapport de l’agent des mœurs, 26 octobre 1910.
  • [20]
    SHD, 7U 1025.
  • [21]
    On retrouve ici les grands principes de « l’hypothèse répressive » décrite par Michel Foucault et la question des « stratégies de pouvoir immanentes à cette volonté de savoir » (1976 : 98).
  • [22]
    D – administration générale ; D6 – police administrative ; D63 – police des lieux publics, jeux, mœurs.
  • [23]
    Marie-Corine Rodriguez évoque des rapports de police signalant l’arrestation de prostituées à Saigon en 1862 (2001 : 226).
  • [24]
    Saigon est l’ancien nom de l’actuelle Hô-Chi-Minh-Ville. Cholon est la deuxième ville de Cochinchine. Principal port d’exportation du riz, elle est progressivement englobée par la croissance urbaine de Saigon.
  • [25]
    Arrêté du gouverneur de Cochinchine, 1er mars 1915.
  • [26]
    Arrêté du résident général en Annam et au Tonkin, 28 avril 1886.
  • [27]
    Arrêté du résident-maire de Hanoi, 21 décembre 1888.
  • [28]
    Par exemple Nam Dinh ou Viêt Tri.
  • [29]
    Arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [30]
    Article 4 de l’arrêté du gouverneur de Cochinchine, 1er mars 1915.
  • [31]
    ANV1, IA.8/072 (12).
  • [32]
    Article 4 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [33]
    « Le Commissaire central et les agents placés sous ses ordres sont chargés, sous l’autorité du maire, de l’exécution du présent arrêté ». Article 37 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 25 avril 1907. Ce qui va dans le sens de la loi métropolitaine de 1884 (Corbin 1978 : 154).
  • [34]
    « Dans la plus pure tradition augustinienne » (ibid. : 15).
  • [35]
    ANV1, RST D605 10147. Règlement de police et de voirie de la ville de Phu-Liên, 1898.
  • [36]
    ANV1, RST D605 3057. Règlement de police et de voirie de la ville de Yên-Bay, 1901.
  • [37]
    « Police et voirie à Cantho – police urbaine – Section VII quête mendicité prostitution : art.141 la prostitution est réglementée dans les centres par l’arrêté du 1er mars 1915 » ; Décision de l’administrateur de Cantho, 15 novembre 1926.
  • [38]
    En 1881 la police des mœurs est rattachée à la Sûreté.
  • [39]
    La police des mœurs travaille elle aussi à partir de fiches, les cartes individuelles des prostituées inscrites au registre.
  • [40]
    Article 21 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [41]
    Article 13 de l’arrêté du gouverneur de Cochinchine, 1er mars 1915.
  • [42]
    Article 20 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [43]
    Article 47 de l’arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon, 27 novembre 1935.
  • [44]
    Article 34 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [45]
    Article 6 de l’arrêté du gouverneur de Cochinchine, 1er mars1915.
  • [46]
    Articles 10 et 11 de l’arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon, 27 novembre 1935.
  • [47]
    Article 41 de l’arrêté du maire de Saigon, 16 novembre 1916.
  • [48]
    Pour changer de province notamment, ou aller à l’étranger.
  • [49]
    Articles 16 et 17 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [50]
    Article 7 de l’arrêté du maire de Saigon, 16 novembre 1916.
  • [51]
    Article 14 de l’arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon, 27 novembre 1935.
  • [52]
    ANV1, MdeH D638. Rapport du directeur du service municipal d’hygiène sur le fonctionnement du service de contrôle médical et de réglementation de la prostitution surveillée à Hanoi, 1933.
  • [53]
    Article 1 de l’arrêté du résident-maire de Hanoi, 21 décembre 1888.
  • [54]
    ANV1, MdeH D638 2587. Rapport sur le fonctionnement et les opérations du service des mœurs du 1er janvier au 31 décembre 1916.
  • [55]
    ANV1, MdeH D638 2593. Rapport sur le fonctionnement du service des mœurs du 1er janvier au 31 décembre 1926.
  • [56]
    ANV1, MdeH S03 5769. Rapport annuel sur le fonctionnement du service municipal d’hygiène, année 1942.
  • [57]
    ANOM, RSTNF [nouveau fonds] 003856. 18 novembre 1930.
  • [58]
    ANV1, MdeH D638 2593. Lettre du président de la Ligue prophylactique au gouverneur général de l’Indochine, 12 novembre 1936.
  • [59]
    « Cette Ligue, à l’instigation de M. le Résident-Maire VIRGITTI, a succédé à la Commission pour la lutte contre les maladies vénériennes qui avait été créée par arrêté du Gouverneur Général du 2 décembre 1933 ; ses bases statutaires établies elle fut autorisée à fonctionner par décision du Résident Supérieur du 25 octobre 1934. Son but était l’étude et la prophylaxie des maladies vénériennes, son premier champ d’expérience Hanoi, ses moyens de très substantielles allocations apportées par les divers budget colonial, général, local, municipal ». ANV1, MdeH S03 5769. Rapport annuel sur le fonctionnement du service municipal d’hygiène, année 1942, 31 décembre 1942.
  • [60]
    ANV1, MdeH D638 2593. Président de la Ligue prophylactique de la ville de Hanoi à l’inspecteur général de l’Hygiène et de la Santé publiques, 12 novembre 1936.
  • [61]
    ANV1, MdeH D638 2593. Rapport sur le fonctionnement du service des mœurs du 1er janvier au 31 décembre 1926.
  • [62]
    ANV1, MdeH D605 2470. Médecin de l’état-civil, directeur des services sanitaires et du bureau d’hygiène au président de la commission municipale, n° 237, 17 avril 1915.
  • [63]
    Ibid.
  • [64]
    Leur femme ne doit pas résider dans une autre province. Article 41 de l’arrêté du maire de Saigon, 16 novembre 1916. Puis article 61 de l’arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon, 27 novembre 1935.
  • [65]
    ANOM, RSTNF 04003. Rapport annuel sur le fonctionnement des services médicaux de la province de Bac-Giang.
  • [66]
    ANOM, RSTNF 003856. Rapport sur la morbidité des troupes, réglementation militaire, réglementation civile, 9 février 1917.
  • [67]
    ANV1,VIA.8/286 (19). Le directeur du dispensaire de Cholon au gouverneur de la Cochinchine, 16 janvier 1915.
  • [68]
    « L’outrance avec laquelle on dénonce le fléau [vénérien] témoigne d’ailleurs, répétons-le, de la volonté du corps médical de justifier la réglementation de la prostitution » (Corbin 1978 : 402).
  • [69]
    « La manifestation des prétentions du corps médical à développer son pouvoir et à exercer son autorité par le biais de l’hygiène puis de la prophylaxie sociales » (Corbin 1978 : 362).
  • [70]
    ANOM, Commission Guernut carton 24Bd. Dr Joyeux, 1937.
  • [71]
    Réclamées à Hanoi dès 1937, elles apparaissent concrètement seulement en 1942 ; ANV1, MdeH S03 5769. Mais les rapports des années 1938 à 1941 (incluse) ne sont pas conservés dans les archives.
  • [72]
    Nha : maison, établissement ; phuc : bonté, bonheur ; duong : manière.
  • [73]
    « Nul n’ignore qu’à l’heure actuelle la prostitution se propage d’une façon angoissante, et revêt, de ce fait, la forme d’un véritable fléau » (Annam nouveau 1936).
  • [74]
    « L’existence du péril vénérien dans les grandes villes de l’Indochine, à Hanoi et dans la zone suburbaine, n’a jamais été mise en doute et l’opinion annamite a été unanime à réclamer qu’il soit apporté remède d’urgence à cette situation dangereuse » (Annam nouveau 1938a).
  • [75]
    Le titre de l’ouvrage d’Henri Virgitti, Quelques œuvres sociales dans la ville de Hanoi (1938), illustre bien cette volonté d’humaniser le traitement des prostituées et leur séjour au dispensaire.
  • [76]
    SHD, 10H 2099. La prostitution à Haiphong, 1954.
  • [77]
    ANOM, RSTNF 03856. Copie d’un article du Dr Raymond envoyé au résident supérieur au Tonkin par le directeur local de la Santé au Tonkin, le 18 novembre 1930.
  • [78]
    Ce discours anxiogène est par ailleurs repris par les Vietnamiens : « Pour la nation annamite, c’est [les maladies vénériennes] l’arrêt de son expansion morale économique, c’est l’abatardissement [sic] de la race, c’est l’affaiblissement de la mortalité [sic], la dépopulation » (Annam nouveau 1938a).
  • [79]
    ANOM, RSTNF 00746. Note pour le chef du premier bureau, le 25 octobre 1938.
  • [80]
    Journal officiel de l’Indochine, 2e partie Annam-Tonkin, 1893.
  • [81]
    Du mot vietnamien con gai signifiant fille par opposition à garçon. Pendant la période coloniale, ce mot a pris une autre acception et désignait, de façon péjorative bien souvent, la concubine indigène d’un Européen.
  • [82]
    ANOM, Gouvernement général de l’Indochine (GGI) E01 21744.
  • [83]
    À savoir « le fait de faire métier de son corps à tous venants et sans choix, moyennant une rémunération pécuniaire », article 34 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin du 3 février 1921.
  • [84]
    Cette transformation des pratiques se retrouve largement en Chine (Henriot 1997), le Viêt-Nam s’inscrit une fois de plus dans des processus beaucoup plus vastes.
  • [85]
    Pour les différentes villes citées, voir doc. 1.
  • [86]
    ANOM, RSTNF D638 00746. Note du 1er bureau, pour le résident supérieur au Tonkin, 9 juillet 1932.
  • [87]
    Ibid., L’administrateur chef du 1er bureau au directeur des bureaux, 3 janvier 1938.
  • [88]
    Ibid., 27 août 1938.
  • [89]
    Ibid., Résident de Nam-Dinh au résident supérieur au Tonkin, 5 septembre 1938.
  • [90]
    Ibid., Directeur de la Santé au résident supérieur au Tonkin, 19 septembre 1938.
  • [91]
    Ibid., Note du 1er bureau, 25 octobre 1938.
  • [92]
    Ibid., Résident de France à Bac Giang au résident supérieur au Tonkin, 25 février 1939.
  • [93]
    ANV1, MdeH D638 2596. Maire de Hanoi au résident supérieur au Tonkin, 24 février 1944.
  • [94]
    Ibid., Résident supérieur au Tonkin au maire de Hanoi, 18 avril 1944.
  • [95]
    ANV1, IA.8/141 (7). Arrêté du 18 octobre 1912 cité dans une lettre du maire de Cholon au gouverneur de la Cochinchine, 22 juillet 1913.
  • [96]
    Et plus précisément à Cholon.
  • [97]
    Terme qui littéralement signifie « aller en Chine », mais qu’il faut plutôt traduire par « les femmes qui vont au loin » car ces Japonaises s’inscrivent dans un mouvement plus vaste d’émigration à fin de prostitution en Asie et en Asie du Sud-Est (Roustan 2001 : 87).
  • [98]
    Au nord-est de Hanoi.
  • [99]
    ANV1, RST 1992. Projet d’arrêté réglementant les taxes à percevoir pour frais de séjour au dispensaire des femmes se livrant à la prostitution dans les centres urbains de Viétri, de Phuto (et de Hung Hoa).
  • [100]
    Les Japonaises ont ainsi une réputation d’hygiène irréprochable, contrairement aux Vietnamiennes.
  • [101]
    Article 36 de l’arrêté du maire de Saigon du 16 novembre 1916.
  • [102]
    Par exemple : MdeH S03 5757 : Rapports mensuels sur le fonctionnement du service municipal d’hygiène de Hanoi (1931).
  • [103]
    ANV1, IB.38/174. Procès-verbal de la commission municipale du 26 septembre 1905.
  • [104]
    Qui participent à la volonté des autorités de dissimuler ces prostituées.
  • [105]
    Article 18 de l’arrêté du 16 décembre 190 de l’administrateur-maire de Hanoi.
  • [106]
    ANV1, VIA.8/286 (14). Maire de Saigon au gouverneur de Cochinchine, 3 mai 1912.
  • [107]
    Ibid., Directeur local de santé au gouverneur de Cochinchine, 29 mai 1912.
  • [108]
    Article 36 de l’arrêté du maire de Saigon du 16 novembre 1916.

1L’ordre colonial passe par un « dressage des âmes et des corps » (Saada 2007 : 79) qui englobe des politiques éducatives, urbanistiques, sanitaires, hygiéniques, ayant pour but de classer les individus selon une hiérarchie. Mais la colonisation est aussi une rencontre qui brouille les frontières raciales sur lesquelles repose l’ordre colonial. Maintenir l’ordre revient alors à (re)dessiner les frontières raciales, à mettre en place des dispositifs de séparation et de coexistence des populations et ce dans tous les domaines, même les plus intimes (Stoler 2002). Si les autorités coloniales sont incapables de surveiller l’ensemble de la sexualité, un domaine apparaît pourtant comme particulièrement susceptible d’être contrôlé : la prostitution (Levine 2003 : 8). Les tentatives sont d’autant plus abouties que dans le cas français le système réglementariste en vigueur en métropole (Corbin 1978) et dans l’empire colonial (Taraud 2003) donne aux autorités des outils pour surveiller la prostitution : règlements, dispensaires, police des mœurs. En surveillant les prostituées et les bordels, en faisant la chasse aux prostituées clandestines, les agents des mœurs tentent de rendre visible aux yeux des autorités ce monde interlope où se rencontrent et se mélangent les individus, les genres et les races.

2Étudier la prostitution au Viêt-Nam colonial [1] soulève la question des sources [2] et de leur déséquilibre. Les sources s’intéressent à la prostitution dans ses dimensions médicales et policières avant tout, la dimension sociale du phénomène reste à la marge (Tracol-Huynh 2012). Les sources disponibles sont en majorité des sources coloniales conservées dans les centres d’archives français et vietnamiens [3] : règlements municipaux, archives de la police des mœurs, archives médicales [4]. Il est difficile d’appréhender le vécu des prostituées sinon par le cadre réglementaire dans lequel elles s’inséraient ou qu’elles contournaient. Le second déséquilibre vient du fait qu’il existe très peu de sources vietnamiennes. Pour les années 1930 on dispose cependant de reportages mobilisés dans cette étude afin d’appréhender la façon dont était perçu le contrôle de la prostitution. En les resituant à la fois dans le temps et dans l’espace, il s’agit de montrer que la prostitution et sa réglementation au Viêt-Nam colonial font rupture avec la période précédente et continuité avec ce qui se passe au même moment en métropole et dans d’autres espaces de l’empire. Autorisée et contrôlée, la prostitution est placée strictement sous un double regard policier et médical, mais ce contrôle s’avère largement illusoire. L’échec patent de la réglementation n’empêche pas son maintien tout au long de la période. Elle recrée en effet au sein du monde prostitutionnel une hiérarchie raciale qui correspond à la hiérarchie régissant l’ensemble de la colonie. Au-delà d’une simple affaire de mœurs, c’est l’ordre colonial qui est en jeu.

Prostitution et police des mœurs

Un questionnement à plusieurs échelles

3

« Seul le sexe est un invariant du rapport prostitutionnel. Tout le reste – le statut, le prix de la passe, la manière de faire, le lieu de prostitution, les prestations complémentaires – est soumis, selon les contextes et les époques, à des modifications plus ou moins sensibles ».
(Bard et Taraud 2003 : 8)

4La période coloniale est ainsi un moment majeur de l’histoire prostitutionnelle du Viêt-Nam : d’interdite, la prostitution devient tolérée et gérée par les autorités coloniales dans un souci d’ordre et d’hygiène publics. Le Code annamite [5] est flou en ce qui concerne la prostitution :

5

« Il est difficile de conclure, d’après les divers articles qui précèdent, si la prostitution est défendue, ou tolérée et admise par le code. Il semble que ce fait est défendu en règle générale par l’article 332 ; cependant, on voit dans les notes et les commentaires qu’il est parlé des prostituées comme d’une catégorie reconnue de personnes. D’ailleurs aucun article de la loi ne vise spécialement cette faute. On peut donc croire que les législateurs ont condamné le principe, mais n’ont pas cherché à punir le fait lui-même, ce qu’ils auront considéré comme impossible ».
(Philastre 1909 : 548)

6Condamnée moralement voire officiellement interdite, la prostitution existe néanmoins puisque le fleuron de la littérature vietnamienne, Kim van Kiêu, dresse le portrait des « filles aux entrailles déchirées » et des « pavillons verts » bien avant la colonisation française [6] (Nguyên Du 1961 : 46 et 71). Les textes juridiques annamites parlent très peu des prostituées, insistant davantage sur la catégorie de chanteuses sans faire de réelle distinction entre ces catégories :

7

« […] il semble que l’expression chanteuses publiques ne désigne pas exclusivement des personnels de familles de musiciens ; ainsi, les femmes depuis longtemps adonnées à la prostitution, qui ont perdu toute pudeur et qui font partie des familles inscrites sur les rôles des gens de condition ignoble sont encore appelées chanteuses ».
(Silvestre 1922 : 145)

Doc. 1. Le Tonkin en 1914

figure im1

Doc. 1. Le Tonkin en 1914

© Brenier 1914 : 28-29

8Qu’elle prenne place dans les maisons de prostitution ou dans les maisons de chanteuses, la prostitution est une réalité précoloniale.

9À l’époque coloniale (1858-1954), elle connaît un développement important et une visibilité accrue. Le développement est d’abord numérique [7] car la croissance urbaine est la cause et la conséquence d’un mouvement migratoire amenant de nombreuses jeunes filles, très souvent sans aucune formation, à quitter la campagne pour la ville où la vie est supposée plus facile. Thi Tuyen, arrêtée pour prostitution, est venue s’installer à Hanoi « parce qu’[elle a] entendu dire qu’à Hanoi on vivait facilement sans beaucoup travailler » [8]. De petites villes attirent aussi des prostituées : à Viêt Tri, les prostituées connues de la police sont originaires de Nam Dhinh [9], Ha Dông, Hung Yên, Ninh Binh ou Son Tây [10].

10Cette attractivité s’explique par le fait que Viêt Tri est une ville de garnison importante. L’offre prostitutionnelle répond donc à une demande également croissante de cette clientèle « traditionnelle » des prostituées (Guénel 2001 ; Tracol 2005). La colonisation amène des changements économiques et sociaux ayant une incidence sur la prostitution, comme la formation progressive d’une classe moyenne vietnamienne à « la recherche du plaisir » (Nguyên Van Ky 1992 : 637) ou encore les mouvements d’émancipation féminine : « les danseuses […] sont le pur produit de l’Occidentalisation [à cent pour cent] et du mouvement de libération des femmes » (Vu Trong Phung 2004 : 122). Ces changements provoquent la multiplication et la diversification des formes et des lieux de prostitution. Les « pavillons verts » laissent la place aux maisons de tolérance officielles ou clandestines, les maisons de chanteuses deviennent des lieux de prostitution à part entière auxquels viennent désormais s’ajouter les garnis, les maisons de rendez-vous, les dancings (Trong Lang 1938) :

11

« Le matérialisme épicurien l’emporte sur le spiritualisme platonique et le plaisir semble devenir la raison d’être des personnes qui ne vivent que pour le présent sans se soucier de l’avenir de leur famille et de leur patrie. Des boîtes de nuit, des maisons de tolérance, des dancings font une concurrence implacable aux maisons de chanteuses lesquelles, pour subsister, durent adopter un modus vivendi approprié. La prostitution naguère étouffée par le manque d’espace vital, trouve ainsi de nouveaux champs d’éclosion propices pour se développer avec une intensité telle que nous connaissons aujourd’hui » [11].

12Par cette augmentation des effectifs et cette diversification des lieux, la prostitution acquiert une visibilité nouvelle dans la ville mais aussi dans les archives. Une sous-série du cadre de classement élaboré à l’époque coloniale par l’archiviste Paul Boudet (« D638 – police des mœurs ») concerne la prostitution qui, comme d’autres phénomènes sociaux, devient visible du fait même de la mise en place d’une administration moderne avec ses mécanismes de surveillance et de régulation. L’administration de la prostitution se fait sous le double regard policier et médical, les premiers règlements créant simultanément la police des mœurs et le dispensaire municipal. Avec la colonisation, le système réglementariste à la française s’installe au Viêt-Nam. Cette réglementation doit être resituée dans un espace plus large qui englobe la métropole et l’empire colonial dans son ensemble. En Cochinchine, colonie française où la loi de la métropole s’applique, les règlements de la prostitution renvoient à la législation métropolitaine en la matière : « décret du 23 Fructidor, an VIII confiant aux Maires l’attribution spéciale de réglementer les mesures de police et de surveillance à l’égard des femmes qui se livrent à la prostitution » [12]. Dans les protectorats d’Annam et du Tonkin, la situation diffère mais la réglementation est pensée à l’échelle du territoire. À Nam Dinh le règlement de 1901 se base sur celui de Haiphong de 1886 [13]. En 1903, la ville de Phu Liên promulgue un arrêté copié sur celui de Thai Nguyên du 15 décembre 1899 qui « a toujours servi de modèle en la matière », en vigueur à Ninh Binh et d’autres centres [14]. Les autorités tonkinoises s’intéressent aussi à ce qui se fait en matière à Saigon [15] ou ailleurs en Indochine : « les œuvres d’assistance entretenues par la ville sont inexistantes alors qu’il en existe à Saigon, Phnom-Penh, Tourane [16], Vinh, Nam-dinh, Haiphong […] création […] d’une polyclinique du modèle des polycliniques de Khanh-Hôi et Yên-Dinh à Saigon » [17]. Cet intérêt ne s’arrête pas aux frontières indochinoises et les membres de la Société médico-chirurgicale de l’Indochine (SMCI) choisissent de recopier dans leur bulletin le règlement de Casablanca de 1929 (Joyeux 1930 : 645-675).

13Si les grands principes de surveillance médico-policière se retrouvent à la fois en métropole et dans les colonies, il faut néanmoins apporter des nuances car dans le domaine colonial un thème majeur apparaît : la dimension raciale qui est sous-jacente à la quasi-totalité des discours coloniaux sur la prostitution. À la différence du « monde de la ségrégation » maghrébin (Taraud 2003 : 135), au Viêt-Nam, il n’y a aucune discrimination en ce qui concerne la clientèle des maisons de tolérance [18], comme le montre la surveillance des maisons clandestines [19] : civils et militaires, Européens et Asiatiques fréquentent les mêmes maisons. La seule exception pour ce qui est de la clientèle concerne les BMC (bordel militaire de campagne) qui sont réservés à un régiment en particulier [20]. Ces BMC n’apparaissent officiellement que dans les années 1940 au Viêt-Nam (Hardy 2004), même si dans les faits il existe quelques établissements de ce type dès les années 1930 (Tracol 2005 : 28).

14La réglementation de la prostitution au Viêt-Nam colonial se construit donc dans des jeux de miroirs avec la métropole, les autres parties de l’empire colonial et du Viêt-Nam. Les grands principes sont les mêmes – « enfermer pour observer, observer pour connaître, connaître pour surveiller et tenir en son pouvoir [21] » (Corbin 1978 : 34) – tout comme les réalisations articulées autour de la maison de tolérance et du dispensaire-prison. Dès la mise en place de la réglementation, la volonté de contrôle est manifeste : le cadre de classement des archives [22] résulte d’une administration de la prostitution avant tout policière.

Surveiller les prostituées

15La réglementation de la prostitution et la création de la police des mœurs suivent de près la conquête. La Cochinchine est colonie française en 1874, en 1876 [23] un arrêté du directeur de l’Intérieur réglemente la prostitution pour la région de Saigon-Cholon [24], et en 1915 elle est réglementée dans toute la colonie [25]. Le même processus se retrouve au Tonkin dont la conquête se termine en 1885 avec la mise en place du protectorat. La même année les bases d’une campagne prophylactique sont posées par les autorités militaires, soucieuses de la conservation d’effectifs déjà diminués du fait du climat. Principal port du Tonkin, Haiphong est le premier centre tonkinois à disposer dès 1886 de l’arsenal réglementaire et d’une police des mœurs pour l’appliquer [26]. En 1888 Hanoi dispose aussi d’une police des mœurs [27] et si d’autres villes [28] édictent leur propre réglementation, il faut attendre 1921 pour que ce soit le cas à l’échelle du Tonkin [29].

16La mission de la police des mœurs est de recenser et surveiller les prostituées. Le réglementarisme impose l’inscription « aux bureaux de la province du Commissariat de police sur le registre dit “des filles soumises” spécialement ouvert à cet effet » [30] suite à quoi chaque prostituée reçoit une carte nominative avec, théoriquement, une photo d’identité [31].

Doc. 2. Carte individuelle de Nguyên Thi Du (Cochinchine, province de Tây Ninh, 1913). © ANV2, Gouvernement de Cochinchine IA.8 072 (12). Enseignement : affaires diverses : maladies vénériennes au collège de My Tho (1888-1893)

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Doc. 2. Carte individuelle de Nguyên Thi Du (Cochinchine, province de Tây Ninh, 1913). © ANV2, Gouvernement de Cochinchine IA.8 072 (12). Enseignement : affaires diverses : maladies vénériennes au collège de My Tho (1888-1893)

17La question de l’identité est très importante au Viêt-Nam où il existe très peu de patronymes différents. De plus, les prostituées y changent souvent de nom. C’est pourquoi la réglementation leur impose de donner leurs « nom, prénoms, surnoms, âge, lieu de naissance, dernier domicile, profession antérieure » [32] pour faciliter les recherches. À l’origine, la police des mœurs était placée sous l’autorité du maire de la ville [33] ou du résident de la province associé au commandant militaire. La surveillance de la prostitution est une question d’administration municipale au même titre que l’hygiène, la surveillance de la voirie ou les égouts [34], ce qui nous ramène à Alexandre Parent-Duchâtelet pour qui « les prostituées sont aussi inévitables, dans une agglomération d’hommes, que les égouts, les voiries et les dépôts d’immondices » (1836 : 513). Avant le règlement de 1921 pour l’ensemble du Tonkin, la réglementation de la prostitution se fait dans le cadre d’un règlement municipal de police et de voirie plus vaste, comme à Phu Liên en 1898 [35] ou à Yên Bai en 1901 [36]. En Cochinchine la prostitution est réglementée par l’arrêté de 1915, mais on en traite encore dans les règlements de police et de voirie comme à Can Tho en 1926 [37]. Le Tonkin opère le même changement que Paris [38] (Corbin 1978 : 156) : à partir de 1925 la police des mœurs est rattachée à la Sûreté générale. Ce renforcement de la surveillance policière est déploré par le Dr Bernard Joyeux, chef du dispensaire de Hanoi dans les années 1930, pour qui ce nouveau rattachement « offre certains avantages (identités et recherches), mais aussi des inconvénients (dualité des points de vue police et hygiène, tendance à la prédominance de l’influence policière sur celle de la prophylaxie, détournement des pouvoirs du Maire, responsable en la matière) » (1937 : 111). Le rattachement de la police des mœurs à la Sûreté générale ne surprend pas puisque cette dernière a pour mission de contrôler les individus, avec un système de fiches [39] particulièrement développé en Indochine (Morlat 1990).

18Les agents des mœurs contrôlent l’intégralité du processus par lequel une femme devient officiellement prostituée ainsi que les conditions d’exercice de la prostitution. Les maisons closes sont dès le début sous leur contrôle : « l’établissement des maisons de tolérance [est] autorisé par l’autorité administrative, sur la présentation du consentement écrit du propriétaire de la maison et sur le rapport du Commissaire de police » [40]. Elles sont placées sous la surveillance constante de la police et ne peuvent « être ouvertes ostensiblement après minuit. Néanmoins, les agents de l’autorité [ont] droit d’y pénétrer à toute heure de la nuit pour les besoins du service » [41]. C’est pour faciliter ces besoins du service que le règlement de 1921 pour le Tonkin précise que « ces maisons ne devront avoir autant que possible qu’une seule issue sur la voie publique » [42] pour éviter la fuite des prostituées clandestines qui viennent bien souvent renforcer le personnel officiel. Les prostituées peuvent en effet être classées selon deux catégories : les filles « soumises », celles qui sont inscrites et qui respectent la réglementation, et les filles « insoumises » ou clandestines. Celles-ci, beaucoup plus nombreuses, font l’objet d’une surveillance de la part de la police des mœurs dont la mission principale est de les trouver et les inscrire sur le registre : « Chaque fois qu’une femme lui est signalée, le chef de police peut choisir de mener une enquête pour vérifier les faits de prostitution et inscrire la fille d’office » [43]. Au Tonkin, la prostitution est définie comme « le fait de faire métier de son corps à tous venants et sans choix, moyennant une rémunération pécuniaire : la conviction de cet état peut être établie par tous moyens de preuve, celle contraire étant réservée à la personne intéressée » [44]. En Cochinchine, le règlement de 1915 précise qu’une femme peut être inscrite d’office si elle a fait l’« objet de plaintes, reconnues fondées [ou] aura été arrêtée plusieurs fois pour fait de prostitution ou déclarée atteinte de maladies contagieuses » [45]. Quelques années plus tard, la présomption de prostitution clandestine se définit ainsi : « 1°) la présence en compagnie d’hommes différents, constatée, à plusieurs reprises, par des agents différents, soit dans une maison de tolérance ou de passe, soit dans l’une des maisons de prostitution clandestines ; 2°) le racolage habituel sur la voie ou dans les lieux publics » [46]. Enfin, le diagnostic d’une maladie vénérienne est associé à la pratique de la prostitution et le médecin se fait alors l’auxiliaire du policier.

19Les prostituées inscrites, volontairement ou d’office, sont tenues de passer une visite médicale, hebdomadaire le plus souvent. Elles sont amenées à date et heure fixes au dispensaire municipal par les agents des mœurs qui veillent au bon déroulement de la visite, sans pouvoir entrer dans la salle d’examen [47]. Alliés du médecin, les agents des mœurs doivent inscrire sur la carte individuelle de chaque fille les résultats des visites (voir doc. 2) et en fonction des résultats les prostituées sont admises au dispensaire pour être soignées : « indépendamment des visites périodiques énoncées ci-dessus, chaque fille publique est visitée toutes les fois qu’elle passe d’une catégorie à une autre, qu’elle change de maison de tolérance ou de domicile, qu’elle demande un passeport [48] ou qu’elle sort de prison ou des hôpitaux » ; « Des visites spéciales peuvent en outre être ordonnées au Médecin chargé de la visite sanitaire par l’autorité administrative, chaque fois que l’exige l’intérêt de la santé publique » [49].

20Dernière étape dans la carrière d’une prostituée, la radiation du registre qui est soumise à l’approbation des agents des mœurs. À Saigon, en 1916, la radiation est prononcée par le maire sur proposition du commissaire [50]. Par la suite, les conditions deviennent plus contraignantes :

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« Toute fille publique qui renonce à la prostitution, doit adresser à l’Administrateur de la Région une demande établissant soit qu’elle pourvoit à son existence par le travail ou par tout autre moyen licite, soit qu’elle est réclamée par une personne honorablement connue et en position de lui offrir des moyens d’existence. […] Avant sa radiation définitive, la fille, à l’égard de laquelle des renseignements favorables sont recueillis par le Chef du Service de la Police, est soumise à une épreuve de trois mois pendant la durée desquels les dispositions du présent arrêté sont suspendues à son égard » [51].

22Pour son reportage Luc xi sur le dispensaire et la prostitution à Hanoi en 1937, Vu Trong Phung rencontre le Dr Joyeux qui lui explique que le processus de radiation est volontairement compliqué pour être sûr de l’engagement des personnes concernées : « si je suis trop accommodant avec eux, dans quelques mois seulement le mari divorcera de sa femme, la femme retournera dans le cercle de la débauche si elle n’y est pas forcée par son mari qui deviendra un gigolo » (Vu Trong Phung 2004 : 177).

Constat d’un échec

23Les missions attribuées à la police des mœurs sont nombreuses, mais pas ses effectifs, surtout quand on les rapporte au nombre de prostituées, notamment clandestines qui « sont partout […] sont légion » [52]. Les chiffres sont très difficiles à déterminer en raison du caractère clandestin de la majeure partie de l’activité prostitutionnelle. Les autorités évaluent le nombre des clandestines à Hanoi à environ cinq mille, « la Sûreté les estime officiellement à bien au-delà [sic] de 3.000 » dans les années 1930 (Joyeux 1937 : 460). Il y a certainement beaucoup plus de prostituées à Saigon mais les chiffres manquent. Face à cette « légion », la police des mœurs apparaît singulièrement « squelettique » (Joyeux 1930 : 487). Il n’y a qu’un seul agent à Haiphong en 1886 comme à Hanoi en 1888 [53]. Le service s’étoffe progressivement. En 1917, la police des mœurs hanoienne compte un agent européen et quatre gradés ou agents indigènes [54]. En 1926, un agent supplémentaire est alloué au service des mœurs [55] et en 1942 « le Service des Mœurs fonctionne sous la direction du Commissaire de Police Judiciaire secondé par un Brigadier Hors Classe de la Police Municipale, lequel est assisté de neuf gardes indochinois (dont cinq du Service de la Sûreté) » [56]. En 1930, les autorités de Hanoi se plaignent qu’« en raison de la carence qualitative et quantitative d’un service des mœurs inexistant ou embryonnaire, […] nous contrôlons 5 % des prostituées au maximum, 95 % opèrent donc clandestinement » [57].

24L’échec de la surveillance policière de la prostitution à Hanoi ne provient pas uniquement d’un manque d’effectifs. En effet, Hanoi connaît une situation administrative très particulière qui pose de nombreux problèmes à la police des mœurs. Si la ville de Hanoi est un territoire français concédé au même titre qu’une colonie, la périphérie ne l’est pas et fait partie du protectorat tonkinois. « Il en résulte que les limites de Hanoi ne sont pas seulement municipales, mais encore et surtout de véritables frontières nationales » (Joyeux et Virgitti 1937 : 73) et la police des mœurs de Hanoi ne peut légalement pas intervenir. En 1937, le maire de Hanoi et le médecin municipal déplorent que :

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« […] fuyant la ville pour les raisons les plus diverses, (cherté du terrain, des loyers et des conditions générales de vie ; surpeuplement des immeubles ; taxes, sujétions administratives et policières, etc…) […] toutes les maisons de chanteuses et diverses autres maisons de débauche quittèrent Hanoi pour venir s’installer au cœur des centres suburbains […] se blotissant [sic] les unes contre les autres, ces maisons de débauche forment maintenant de véritables quartiers […] aux portes de la ville ».
(ibid. : 75-76)

26Ni l’autorité de la police des mœurs, ni les règlements municipaux ne s’appliquent à « la ceinture de Vénus qui couronne les faubourgs de Hanoi » [58] et la Ligue prophylactique [59] entend travailler exclusivement sur la ville car la zone suburbaine « […] ne dépend pas d’Hanoi, siège et lieu de l’action de la Ligue Prophylactique » [60].

27La surveillance de la prostitution, que ce soit au niveau des personnes ou des lieux, est globalement un échec, ce que reconnaissent les agents des mœurs : « nombreuses sont les femmes qui se livrent à la prostitution clandestine et qui passent inaperçues, ceci par manque de personnel » [61]. Or, si médecins, policiers et conseillers municipaux sont unanimes pour déplorer le manque d’efficacité de la police des mœurs et critiquer le manque d’effectifs, l’unanimité n’est plus de mise quand il s’agit de recruter des agents : « il paraît bien difficile d’admettre que les agents indigènes puissent être désignés comme inspecteur des mœurs, c’est la porte ouverte à tous les abus » [62]. Les agents des mœurs disposent d’un pouvoir discrétionnaire quasi absolu, notamment en ce qui concerne l’inscription d’office. Les autorités coloniales affirment redouter les rivalités familiales, les déceptions amoureuses, les vengeances de toute sorte des agents indigènes. Le procureur général évoque en 1917 « le suicide d’une jeune fille à Long-suyên [sic], en 1913, à la suite de son inscription abusive comme prostituée » [63]. Pour limiter ces dérives, les règlements de Saigon précisent que les agents des mœurs doivent être des individus d’une moralité exemplaire, mariés et vivant sous le même toit que leur femme [64]. Quand le débat ne concerne pas les agents, il porte sur le financement de la police des mœurs. En 1938 le maire de Hanoi a le projet de recruter des agents, ce qui suscite la réprobation de certains journalistes vietnamiens qui parlent de « grande brèche au budget » alors que « le budget municipal est dans une situation pas très brillante et menace de n’en plus sortir » (Tô An 1938).

28Contrairement à ce qui se passe en métropole (Berlière 1992), la police des mœurs n’est que peu remise en cause au Viêt-Nam, que ce soit par les médecins ou par les journalistes européens et vietnamiens. Les principales critiques portent en fait sur le dispensaire, presque unanimement dénoncé comme étant avant tout une prison. Dans certains chefs-lieux de province, les prostituées sont de fait visitées, soignées et confinées dans la prison, la ville n’ayant pas les moyens de construire plusieurs locaux [65]. Ce n’est pas qu’une question financière puisqu’à la même date le dispensaire de Hanoi est fortement critiqué :

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« Cet établissement sanitaire est bien plutôt une prison, les malheureuses y sont internées derrière de solides grillages en fer à la manière de bêtes fauves. La dureté d’une telle détention n’est même pas compensée par la qualité des soins qu’on y reçoit car le traitement des malades, faute de matériel et de personnel, est d’une insuffisance notoire » [66].

30Vingt ans plus tard, le dispensaire « a toutes les caractéristiques d’un hôpital de coercition ; rien ne peut en sortir […] du fait des murs aussi hauts que le ciel, célèbres pour être infranchissables » et des « portes couleur de cendre toujours silencieusement fermées » (Thao Thao 1937). Le dispensaire de Saigon ne paraît pas plus accueillant avec des « murs assez hauts garnis de tessons, une porte en fer » (Marquis 1936 : 88).

31L’aspect carcéral du dispensaire explique la profonde réticence des prostituées à se faire inscrire et donc examiner régulièrement. L’échec de la réglementation au Viêt-Nam vient en partie de la « tendance à la prédominance de l’influence policière sur celle de la prophylaxie » (Joyeux 1937 : 111), par conséquent les filles redoutent la visite qui peut mener à leur incarcération dans le dispensaire tant détesté. Elles font tout leur possible pour dissimuler leur maladie au médecin, comme à Cholon en 1915 :

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« J’eus donc, il y a trois ans, une révolte au dispensaire parce que ces prostituées, avant que je les examine, furent gardées une heure au moins sans pouvoir se “maquiller”. Le lendemain, à une contre-visite par un confrère, plusieurs apparurent seulement suspectes. Elles avaient eu le temps de se parer pour la visite. […]
J’ai tenu à relater ces faits pour montrer combien on est désarmé contre cette variété de malades qui normalement mettront toujours tout en œuvre pour arriver à tromper le médecin qui ne veut pas déroger et tient à faire son service consciencieusement » [67].

33L’aspect sanitaire de la surveillance de la prostitution est aussi un échec : la réglementation ne permet pas de protéger la population des maladies sexuellement transmissibles alors que la question du péril vénérien est l’argument principal des réglementaristes en métropole [68] (Corbin 1977 ; 1978 : 386-405) et dans les colonies (Guénel 2001 ; Taraud 2003 : 20-24 ; Tracol 2005 : 30-39).

34La réglementation se met en place au Viêt-Nam, plus particulièrement en Cochinchine, dans un contexte particulier en métropole, celui de l’abolitionnisme qu’Alain Corbin situe entre 1876 et 1884 (1978 : 315-361). Ces débats intenses en métropole n’ont eu qu’une très faible incidence au Viêt-Nam, et au Tonkin où la réglementation est adoptée après 1884 sans que l’abolitionnisme ne soit évoqué. Au Viêt-Nam, comme au Maghreb (Taraud 2003 : 23), c’est le triomphe du néoréglementarisme [69]. Les controverses restent très limitées, la situation coloniale semblant imposer la réglementation de la prostitution :

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« À qui veut bluffer, c’est [l’abolitionnisme] une élégante solution pour un État ; car son adoption présuppose un degré d’évolution et d’organisation que peu d’États même abolitionnistes, atteignent réellement et totalement. L’adopter c’est affirmer que le paupérisme n’existe pas ; que l’État-civil, les recensements, sont parfaitement tenus à jour, que l’organisation administrative est sérieuse et complète jusque dans ses moindres détails ; que le niveau moyen d’instruction générale, civique et juridique est satisfaisant ; que l’équipement sanitaire est complet et largement pourvu en installations, personnel et médicaments etc, etc… Bref, c’est se proclamer riche et hautement civilisé et minutieusement organisé. Je ne sache pas que l’Indochine en soit encore arrivé à ce stade. […]
En ce pays, on ne peut être ni réglementariste ni abolitionniste, mais OPPORTUNISTE, c’est-à-dire EVOLUTIONNISTE [sic] » [70].

36Comme en métropole, on en reste à la réglementation de la prostitution tout en essayant d’humaniser la surveillance médicale des maladies vénériennes. Participent de ce mouvement le développement d’une médecine sociale (consultations spéciales pour les vénériens dans les hôpitaux classiques) et la création d’un corps de visiteuses sociales chargées de visiter les prostituées pour leur enseigner les bases de l’hygiène [71]. Le dispensaire de Hanoi est transformé pour améliorer le séjour des prostituées (Virgitti 1938), ce dont se font l’écho les journalistes Vu Trong Phung (2004 : 48) et Thao Thao :

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« Un établissement qui traite les filles malades – un traitement bienveillant – ne devrait pas être appelé autrement que «dispensaire» […] Comment les gens peuvent-ils penser que c’est une prison ? Les prisons n’ont pas de jardin fleuri, pas de sol pavé, pas de salle de bains ou de douches ».
(1937)

38Il est intéressant de constater que Thao Thao utilise le terme nha Phuc- duong[72], ce qui n’est pas habituel pour parler de dispensaire. Cette évolution dans la conception de la lutte contre la prostitution et les maladies vénériennes est réclamée par les Vietnamiens eux-mêmes. Si Vu Trong Phung, Thao Thao et d’autres reprennent à leur compte le discours sur la prostitution [73], la hantise des maladies vénériennes [74] et constatent les améliorations apportées au dispensaire de Hanoi, d’autres journalistes sont plus critiques et demandent un réel remaniement de la réglementation : « La prostituée ne doit plus être un malheureux animal dont l’élevage, le dressage et le maintien en parfait état de fonctionnement doivent faire l’objet de sollicitudes attendries des pouvoirs publics » (Annam nouveau 1938a). Mais pour autant, l’auteur ne parle pas d’abolir complètement la réglementation car il évoque la nécessité d’une « police des lieux publics, des garnis, des fumeries, des établissements de plaisir utilisant des femmes de façon permanente ou temporaire ; établissement obligatoire des titres d’identité pour toutes ces femmes » (Annam nouveau 1938b).

Doc. 3. Le jardin du dispensaire municipal de Hanoi (Joyeux 1937 : 122)

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Doc. 3. Le jardin du dispensaire municipal de Hanoi (Joyeux 1937 : 122)

39Quels que soient les aménagements effectués [75], la réglementation de la prostitution reste résolument coercitive :

« Le dispensaire est somme toute une prison hospitalière où l’on incarcère des malheureuses qui n’ont commis que la faute d’avoir contracté une ou plusieurs maladies vénériennes qui, injustice flagrante, leur ont été communiquées par des hommes contre lesquels jusqu’ici rien n’a été tenté. Dans le but de dissimuler autant que faire se peut, les rigueurs de cette cruelle incarcération, la Ligue Prophylactique s’ingénie à multiplier les divertissements et les jeux ».
(Joyeux 1937 : 121)
La réglementation a beau être remise en question, elle n’est pas supprimée, pas plus que la police des mœurs réorganisée pendant la guerre d’Indochine [76].

Prostitution et ordre colonial

Préserver l’ordre colonial en réglementant la rencontre coloniale

40La police des mœurs n’est pas remise en question car elle participe à la préservation de l’ordre colonial en contrôlant « les éléments instables de la population » (Rodriguez 2001 : 224) et en protégeant la santé des militaires et des Européens : « les groupes cibles, ainsi définis par la politique antivénérienne, se limitent, pour une bonne part de la période coloniale, essentiellement au couple «militaire-prostituée» » (Guénel 2001 : 233). L’ordre colonial passe par la défense de la colonie, donc par la préservation des effectifs militaires. La relation étroite entre militaires et prostituées est une relation triple qui inclut les maladies vénériennes (Tracol 2005), les prostituées étant vues comme le principal vecteur de propagation (Parent-Duchâtelet 1836 ; Corbin 1978). Les médecins militaires sont unanimes pour faire des maladies vénériennes la principale cause de morbidité des troupes au Viêt-Nam, parlant même d’« endémie vénérienne » [77]. La morbidité vénérienne n’est pas seulement un problème individuel au sens où elle ne concernerait que le soldat qui en est atteint, c’est un problème collectif, voire national [78] dans la mesure où elle gêne le fonctionnement de l’armée. Ainsi « le problème vénérien s’est posé en Indochine avec une acuité toute particulière le jour où l’on s’est aperçu que ce mal affectait très gravement l’armée et qu’un pourcentage des effectifs, immobilisés par la maladie, serait incapable, en cas de besoin, de répondre à l’appel du pays pour la défense nationale » [79]. Protéger l’ordre colonial passe par la protection des militaires européens :

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« En outre, dans le cas où vous jugeriez nécessaire d’installer un dispensaire au chef-lieu de votre province, je vous serais obligé de me faire à cet effet des propositions, en restreignant dans les limites les plus strictes, les dépenses qui pourraient en résulter. Cette mesure ne s’impose, bien entendu, que dans les villes où il existe de la troupe européenne » [80].

42La prostitution domestique (prostituée et client vietnamiens) intéresse peu les autorités coloniales, aucun dossier d’archive conservé n’évoque la question. Les autorités se préoccupent avant tout de la rencontre entre les colonisateurs et les colonisés (Tracol-Huynh 2010). Cette rencontre est pensée comme une nécessité dans la mesure où l’abstinence relève de l’utopie, surtout pour les militaires : « les troupes coloniales seraient-elles chastes ? Si c’est là un beau titre de roman, la question est trop grotesque pour l’envisager sérieusement » (Joyeux 1934 : 904). Or l’Indochine n’est pas une colonie de peuplement et les colonisateurs sont des hommes jeunes, présents pour un temps relativement court (Brocheux et Hémery 2001). Pour beaucoup, ils sont célibataires ou loin de leurs femmes, l’immigration de femmes européennes n’étant pas encouragée jusqu’au tournant du siècle (Stoler 1989 ; Rodriguez 2001 : 226-227). La population européenne connaît un profond déséquilibre dans le ratio entre les sexes (Gantès 1981) et le manque de femmes européennes explique le développement du concubinage. C’est en partie pour pallier ce déficit que le concubinage est valorisé au début de la colonisation par les autorités coloniales qui y voient un moyen efficace d’apprendre la langue, les coutumes et de créer des contacts avec les indigènes (Stoler 1989). Progressivement ces avantages deviennent des défauts voire des dangers car le colonisateur court le risque de s’« encongayer [81] » et de perdre son prestige. Pour ces raisons, au tournant du siècle, le concubinage est interdit aux fonctionnaires [82].

43La prostitution est vue comme un moindre mal (Tracol-Huynh 2010 : 80) car, par ce biais, la relation entre colonisateurs et colonisés reste brève et sous la surveillance des autorités. La volonté de contrôler la rencontre coloniale se manifeste par les tentatives d’inclure d’autres femmes que les prostituées dans la réglementation, comme les concubines des Européens et les chanteuses. Les contours du monde prostitutionnel semblent être à géométrie variable, alors même qu’il existe une définition précise de la prostitution [83]. Les chanteuses, « courtisanes d’une autre époque » (Rodriguez 2001 : 227), renvoient à une tradition chinoise de divertissement au départ réservé à une élite (Henriot 1997), puis « des chanteuses, qui prétendent respecter les mœurs louables du temps de Ng-Công-Tru et Yên-Dô, deviennent dans ce siècle du matérialisme prépondérant, de vraies prostituées patentées » (Annam nouveau 1936). Les journalistes vietnamiens se font largement l’écho de cette transformation [84] (Nguyên Tiên Lang 1931 ; Viêt Sinh 1933 ; F. A. C. 1937 ; Trong Lang 1938).

44Les chanteuses font l’objet d’une attention toute particulière de la part des autorités coloniales car elles posent problème comme à Son Tây [85] en 1932 :

45

« […] par requête du 15 juin dernier, un nommé NGUYEN HUU DONG, invoquant les dangers présentés par la prostitution pratiquée par les chanteuses, a demandé au chef du protectorat que la profession de chanteuse soit formellement interdite sur tout le territoire du Tonkin et que les intéressées soient astreintes au même règlement que les pensionnaires des maisons de tolérance » [86].

46En 1938, il est toujours question des chanteuses de cette ville et le premier bureau rappelle que « toutes les chanteuses ne sont pas des prostituées » [87] et qu’on ne peut leur appliquer la réglementation. À Nam Dinh, les chanteuses se plaignent auprès du résident supérieur au Tonkin des mesures prises par le résident de la province suite à la contamination vénérienne de jeunes gens et militaires européens par des chanteuses. Elles protestent et en réfèrent à la dignité de leur métier ancestral [88]. Le 1er septembre, le résident supérieur au Tonkin demande des informations au résident de Nam Dinh qui lui répond qu’« il ne fait doute pour personne au Tonkin que la très grande majorité des chanteuses se livre à la prostitution », pour preuve la diminution du nombre des prostituées inscrites et l’augmentation de celui des chanteuses [89]. Le directeur de la Santé, consulté par le résident supérieur, affirme quant à lui que « si la profession de chanteuse a pu être autrefois avouable, elle a sombré aujourd’hui dans la plus basse prostitution » [90]. Ce que n’approuve pas le premier bureau pour qui « le seul fait d’être chanteuse n’est pas une présomption suffisante pour la mise en carte » [91].

47Au début de l’année 1939, à Bac Giang, suite à la contamination d’un militaire indigène par une chanteuse, le commissaire les mit toutes en carte afin qu’elles passent la visite sanitaire [92]. Le résident de la province approuve ces mesures mais demande tout de même l’avis du résident supérieur. La solution retenue semble avoir été alors le statu quo modulé par des adaptations locales. En 1944, le résident supérieur approuve le maire de Hanoi qui a autorisé des « rafles » dans les maisons de chanteuses puis des arrangements avec les patronnes des maisons : la suppression des opérations de police est promise si les tenancières s’engagent à louer un local discret où elles feront examiner leurs chanteuses [93]. Ce qui n’empêche pas le résident supérieur de reconnaître que « ces mesures sont tout de même difficilement conciliables avec l’arrêté local 22 mai 1939 interdisant la prostitution dans les maisons de chanteuses, prescriptions qui doivent rester en vigueur […] L’expérience tentée […] doit donc conserver un caractère officieux » [94]. La situation est plus simple en Cochinchine où depuis 1912 les chanteuses sont soumises à la visite sanitaire [95].

Recréer les catégories raciales

48Ce sont les autorités qui définissent ce qu’est la prostitution et qui peut être une prostituée (Tracol-Huynh 2009). Cette définition et la réglementation sont politiques et raciales car il s’agit de recréer dans le champ prostitutionnel la hiérarchie raciale qui régit le champ social (Roustan et Tracol-Huynh, à paraître). Le monde de la prostitution est profondément multiracial, à l’image de la population coloniale : on y trouve des prostituées vietnamiennes, majoritaires, chinoises, japonaises et européennes. Les prostituées chinoises s’inscrivent dans les migrations vers les différents pays d’Asie du Sud-Est. Au Viêt-Nam, on les trouve surtout dans les grands centres urbains comme Saigon [96], Hanoi ou encore Haiphong. Quant aux prostituées japonaises, connues dans l’historiographie sous le nom de karayuki-san[97], elles sont présentes dans ces villes et dans des villes de garnison comme Nam Dinh ou Lang Son au Tonkin (Roustan 2001 : 33). Entre 1900 et 1920, on compte entre deux et quatre cents prostituées japonaises au Viêt-Nam (ibid. : 98-99). Les prostituées européennes sont encore moins nombreuses et surtout présentes à Saigon. La réglementation rend visibles ces différentes catégories de prostituées car les taxes que les filles doivent payer diffèrent selon leur race. Les filles soumises doivent payer annuellement une carte individuelle et à Viêt Tri [98] le prix est de 2 piastres pour les Vietnamiennes, 4 pour les Chinoises et les Japonaises, 8 pour les prostituées « de toute autre origine » [99], entendre par là européennes. Ces différences s’expliquent par les niveaux de standing des maisons, liés aux stéréotypes associés à chaque race [100]. Il y a d’autres raisons, plus politiques, à cette différenciation. Le Japon fait partie des grandes puissances de l’époque grâce à sa victoire sur la Russie en 1905 et les Japonais ont le statut d’Européens assimilés (Roustan 2001 : 56-67), puis à partir de 1913 d’Européens (Roustan 2005 : 194-196). La position sociale des Japonais se retrouve donc dans la hiérarchie prostitutionnelle où les Japonaises sont proches des Européennes, sans être pour autant leurs égales. Les Chinois ont eux aussi un statut particulier au Viêt-Nam : proches des Vietnamiens dans l’esprit des colonisateurs, ils ne sont pourtant pas des colonisés. Ce statut politique se double d’une ambiguïté en ce qui concerne les prostituées chinoises qui se confondent souvent avec les chanteuses. C’est pourquoi elles se voient parfois associées aux prostituées japonaises, parfois aux prostituées vietnamiennes quand elles ne sont pas situées dans une forme d’entre-deux :

Doc. 4. Tarif en piastres des visites médicales des prostituées de Saigon-Cholon (1934). Arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon du 28 mars 1934

tableau im4
Visite en maison À domicile Au dispensaire Européenne 3 5 3 Japonaise 2 4 Chinoise 1 3 Vietnamienne 0,50 1

Doc. 4. Tarif en piastres des visites médicales des prostituées de Saigon-Cholon (1934). Arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon du 28 mars 1934

49Il serait trompeur de penser que la visite au dispensaire met les prostituées sur un pied d’égalité puisqu’un arrêté antérieur précise que les visites sont autorisées pour les filles asiatiques les lundi et jeudi, entre 15 et 16 h, le jeudi de 16 h à 17 h 30 pour les Européennes [101]. Ces dernières, pourtant peu nombreuses, posent un double problème aux autorités coloniales : elles ne sont pas à la hauteur de l’image de la race blanche et surtout elles remettent en cause la séparation raciale à la base de la colonisation, un Vietnamien pouvant s’offrir une femme blanche. La réglementation de la prostitution ne fait pas de distinction en ce qui concerne les clients et, si on excepte les BMC, les maisons de prostitution sont ouvertes à tous ceux qui peuvent payer. Alors que les autorités policières et administratives font leur possible pour enregistrer les prostituées clandestines, et ce faisant les rendent visibles en les inscrivant sur les registres de la police des mœurs, « pour de multiples raisons, bonnes ou mauvaises, le Tonkin fait tout pour éviter de mettre une européenne en carte » (Joyeux 1930 : 465). Dissimulées, les prostituées européennes sont largement absentes des archives car la « prostitution européenne – officiellement, n’existe pas » [102]. Pourtant, en 1905 le conseil municipal de Saigon débat de la question des prostituées européennes :

50

« On hésite beaucoup ici à soumettre des femmes européennes à cette mesure réservée jusqu’à présent aux femmes asiatiques. […] c’est ce qui empêche [le maire], à moins de nécessité absolue, de prendre une semblable décision. En nous engageant dans cette voie, nous arrivons à l’organisation des maisons de tolérance européennes […]
M. le Commissaire Central, appuyé en haut lieu, a été d’un avis absolument différent pour ce motif qu’il serait attentatoire à la dignité des Européens que des femmes européennes puissent se livrer à la prostitution dans des maisons de tolérance » [103].

51On peut néanmoins entrevoir la présence de ces prostituées dans la réglementation puisqu’elles ne paient pas les mêmes taxes que les prostituées asiatiques et bénéficient d’avantages [104]. Au Tonkin, elles sont les seules à pouvoir passer la visite médicale à leur domicile, à charge pour elles d’indemniser le médecin municipal [105]. À Saigon les visites à domicile, « faveur particulière à l’égard de certaines filles soumises » [106], sont supprimées mais les Européennes peuvent passer la visite « sur leur demande, à un jour spécial, pour éviter qu’elles soient mêlées à la masse des prostituées indigènes » [107]. Elles passent la visite à des horaires qui leur sont réservés [108] et ont un pavillon spécifique dans le dispensaire municipal (Marquis 1936 : 92).

52*

53**

54La période coloniale correspond à un moment important de l’histoire de la prostitution au Viêt-Nam. Contrôlée par les autorités, la prostitution s’insère dans un cadre médico-policier qui renvoie au néoréglementarisme mis en place en métropole et dans les autres parties de l’empire colonial français. Cette volonté de contrôle se révèle illusoire dans la mesure où la prostitution est par définition un phénomène mouvant qui ne peut pas être régulé par des règlements, aussi stricts soient-ils. Malgré les efforts d’une police des mœurs numériquement peu étoffée, le monde prostitutionnel reste un monde caché et clandestin (Tracol-Huynh 2012). Cet échec de la réglementation est constaté par les autorités, médicales et policières, ce qui n’en empêche pas le maintien. La dimension sociale de la prostitution n’intéresse que très peu les autorités coloniales ou les journalistes vietnamiens. Ombres furtives, silhouettes floues, les prostituées s’effacent derrière les préoccupations médicales, sociales, raciales ou politiques qui animaient les hommes – qu’ils soient médecins, policiers, journalistes, français ou vietnamiens – ayant écrit sur la prostitution.

Ouvrages cités

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Date de mise en ligne : 20/06/2012

https://doi.org/10.3917/gen.086.0055

Notes

  • [1]
    À l’époque coloniale le Viêt-Nam se compose de trois entités : le Tonkin au nord avec Hanoi comme résidence supérieure, l’Annam au centre avec Hué et, au sud, la Cochinchine avec Saigon. La Cochinchine est une colonie alors que l’Annam et le Tonkin sont des protectorats. Pour des raisons typographiques, les accents vietnamiens n’ont pu être restitués.
  • [2]
    La plupart des exemples cités concernent le Tonkin : les archives de la résidence supérieure du Tonkin sont mieux conservées, et surtout mieux classées, que celles du gouvernement de la Cochinchine. Cet article entend néanmoins étudier la réglementation de la prostitution dans l’ensemble du Viêt-Nam colonial, les différences entre les deux régions restant mineures.
  • [3]
    En France : Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence (ANOM) et Service historique de la défense à Vincennes (SHD) ; au Viêt-Nam : Centre n°1 des Archives nationales à Hanoi (ANV1) et Centre n°2 à Hô-Chi-Minh-Ville (ANV2).
  • [4]
    Notamment le Bulletin de la société médico-chirurgicale de l’Indochine (BSMCI), source extrêmement riche sur la question.
  • [5]
    Ce Code, promulgué en 1912 par l’empereur Gia Long, consiste en une compilation de lois chinoises et annamites. Il a fait l’objet d’une traduction commentée à l’époque coloniale.
  • [6]
    L’auteur Nguyên Du est mort en 1820.
  • [7]
    Les autorités coloniales estiment le nombre de prostituées à environ 5 000 en 1930 à Hanoi (Joyeux 1930 : 460), pour une population totale de 145 000 habitants en 1936 (Papin 1997 : 344).
  • [8]
    ANV1, Tribunal de Haiphong 1831. Procès-verbal du commissaire de police de Haiphong, 22 mai 1925.
  • [9]
    ANV1, Phu Tho D638 102. Gendarme commissaire de police au résident de Hung Hoa, 22 août 1904.
  • [10]
    ANV1, Phu Tho D638 103. Brigadier au résident de Phu Tho, 29 août.
  • [11]
    SHD, 10H 2099. La prostitution à Haiphong, 1954.
  • [12]
    Arrêté du maire de Saigon, 16 novembre 1916.
  • [13]
    ANV1, Résidence supérieure au Tonkin (RST) D638 1990. Résident supérieur au Tonkin au résident de Nam Dinh, 2 février 1901.
  • [14]
    ANV1, RST D600 4365. Arrêté du résident supérieur au Tonkin, 10 novembre 1903.
  • [15]
    Sur la métallo-prévention par exemple : ANV1, Mairie de Hanoi (MdeH) S03 5769. Rapport annuel sur le fonctionnement du service municipal d’hygiène, année 1942.
  • [16]
    L’actuelle ville de Da Nang.
  • [17]
    ANV1, MdeH D638 2593. Inspecteur général de l’Hygiène et de la Santé publiques au directeur des Finances de l’Indochine, 4 novembre 1936.
  • [18]
    La distinction raciale se fait, on le verra par la suite, au niveau des prostituées elles-mêmes.
  • [19]
    ANV1, MdeH D638 2583. Rapport de l’agent des mœurs, 26 octobre 1910.
  • [20]
    SHD, 7U 1025.
  • [21]
    On retrouve ici les grands principes de « l’hypothèse répressive » décrite par Michel Foucault et la question des « stratégies de pouvoir immanentes à cette volonté de savoir » (1976 : 98).
  • [22]
    D – administration générale ; D6 – police administrative ; D63 – police des lieux publics, jeux, mœurs.
  • [23]
    Marie-Corine Rodriguez évoque des rapports de police signalant l’arrestation de prostituées à Saigon en 1862 (2001 : 226).
  • [24]
    Saigon est l’ancien nom de l’actuelle Hô-Chi-Minh-Ville. Cholon est la deuxième ville de Cochinchine. Principal port d’exportation du riz, elle est progressivement englobée par la croissance urbaine de Saigon.
  • [25]
    Arrêté du gouverneur de Cochinchine, 1er mars 1915.
  • [26]
    Arrêté du résident général en Annam et au Tonkin, 28 avril 1886.
  • [27]
    Arrêté du résident-maire de Hanoi, 21 décembre 1888.
  • [28]
    Par exemple Nam Dinh ou Viêt Tri.
  • [29]
    Arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [30]
    Article 4 de l’arrêté du gouverneur de Cochinchine, 1er mars 1915.
  • [31]
    ANV1, IA.8/072 (12).
  • [32]
    Article 4 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [33]
    « Le Commissaire central et les agents placés sous ses ordres sont chargés, sous l’autorité du maire, de l’exécution du présent arrêté ». Article 37 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 25 avril 1907. Ce qui va dans le sens de la loi métropolitaine de 1884 (Corbin 1978 : 154).
  • [34]
    « Dans la plus pure tradition augustinienne » (ibid. : 15).
  • [35]
    ANV1, RST D605 10147. Règlement de police et de voirie de la ville de Phu-Liên, 1898.
  • [36]
    ANV1, RST D605 3057. Règlement de police et de voirie de la ville de Yên-Bay, 1901.
  • [37]
    « Police et voirie à Cantho – police urbaine – Section VII quête mendicité prostitution : art.141 la prostitution est réglementée dans les centres par l’arrêté du 1er mars 1915 » ; Décision de l’administrateur de Cantho, 15 novembre 1926.
  • [38]
    En 1881 la police des mœurs est rattachée à la Sûreté.
  • [39]
    La police des mœurs travaille elle aussi à partir de fiches, les cartes individuelles des prostituées inscrites au registre.
  • [40]
    Article 21 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [41]
    Article 13 de l’arrêté du gouverneur de Cochinchine, 1er mars 1915.
  • [42]
    Article 20 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [43]
    Article 47 de l’arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon, 27 novembre 1935.
  • [44]
    Article 34 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [45]
    Article 6 de l’arrêté du gouverneur de Cochinchine, 1er mars1915.
  • [46]
    Articles 10 et 11 de l’arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon, 27 novembre 1935.
  • [47]
    Article 41 de l’arrêté du maire de Saigon, 16 novembre 1916.
  • [48]
    Pour changer de province notamment, ou aller à l’étranger.
  • [49]
    Articles 16 et 17 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin, 3 février 1921.
  • [50]
    Article 7 de l’arrêté du maire de Saigon, 16 novembre 1916.
  • [51]
    Article 14 de l’arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon, 27 novembre 1935.
  • [52]
    ANV1, MdeH D638. Rapport du directeur du service municipal d’hygiène sur le fonctionnement du service de contrôle médical et de réglementation de la prostitution surveillée à Hanoi, 1933.
  • [53]
    Article 1 de l’arrêté du résident-maire de Hanoi, 21 décembre 1888.
  • [54]
    ANV1, MdeH D638 2587. Rapport sur le fonctionnement et les opérations du service des mœurs du 1er janvier au 31 décembre 1916.
  • [55]
    ANV1, MdeH D638 2593. Rapport sur le fonctionnement du service des mœurs du 1er janvier au 31 décembre 1926.
  • [56]
    ANV1, MdeH S03 5769. Rapport annuel sur le fonctionnement du service municipal d’hygiène, année 1942.
  • [57]
    ANOM, RSTNF [nouveau fonds] 003856. 18 novembre 1930.
  • [58]
    ANV1, MdeH D638 2593. Lettre du président de la Ligue prophylactique au gouverneur général de l’Indochine, 12 novembre 1936.
  • [59]
    « Cette Ligue, à l’instigation de M. le Résident-Maire VIRGITTI, a succédé à la Commission pour la lutte contre les maladies vénériennes qui avait été créée par arrêté du Gouverneur Général du 2 décembre 1933 ; ses bases statutaires établies elle fut autorisée à fonctionner par décision du Résident Supérieur du 25 octobre 1934. Son but était l’étude et la prophylaxie des maladies vénériennes, son premier champ d’expérience Hanoi, ses moyens de très substantielles allocations apportées par les divers budget colonial, général, local, municipal ». ANV1, MdeH S03 5769. Rapport annuel sur le fonctionnement du service municipal d’hygiène, année 1942, 31 décembre 1942.
  • [60]
    ANV1, MdeH D638 2593. Président de la Ligue prophylactique de la ville de Hanoi à l’inspecteur général de l’Hygiène et de la Santé publiques, 12 novembre 1936.
  • [61]
    ANV1, MdeH D638 2593. Rapport sur le fonctionnement du service des mœurs du 1er janvier au 31 décembre 1926.
  • [62]
    ANV1, MdeH D605 2470. Médecin de l’état-civil, directeur des services sanitaires et du bureau d’hygiène au président de la commission municipale, n° 237, 17 avril 1915.
  • [63]
    Ibid.
  • [64]
    Leur femme ne doit pas résider dans une autre province. Article 41 de l’arrêté du maire de Saigon, 16 novembre 1916. Puis article 61 de l’arrêté de l’administrateur de la région Saigon-Cholon, 27 novembre 1935.
  • [65]
    ANOM, RSTNF 04003. Rapport annuel sur le fonctionnement des services médicaux de la province de Bac-Giang.
  • [66]
    ANOM, RSTNF 003856. Rapport sur la morbidité des troupes, réglementation militaire, réglementation civile, 9 février 1917.
  • [67]
    ANV1,VIA.8/286 (19). Le directeur du dispensaire de Cholon au gouverneur de la Cochinchine, 16 janvier 1915.
  • [68]
    « L’outrance avec laquelle on dénonce le fléau [vénérien] témoigne d’ailleurs, répétons-le, de la volonté du corps médical de justifier la réglementation de la prostitution » (Corbin 1978 : 402).
  • [69]
    « La manifestation des prétentions du corps médical à développer son pouvoir et à exercer son autorité par le biais de l’hygiène puis de la prophylaxie sociales » (Corbin 1978 : 362).
  • [70]
    ANOM, Commission Guernut carton 24Bd. Dr Joyeux, 1937.
  • [71]
    Réclamées à Hanoi dès 1937, elles apparaissent concrètement seulement en 1942 ; ANV1, MdeH S03 5769. Mais les rapports des années 1938 à 1941 (incluse) ne sont pas conservés dans les archives.
  • [72]
    Nha : maison, établissement ; phuc : bonté, bonheur ; duong : manière.
  • [73]
    « Nul n’ignore qu’à l’heure actuelle la prostitution se propage d’une façon angoissante, et revêt, de ce fait, la forme d’un véritable fléau » (Annam nouveau 1936).
  • [74]
    « L’existence du péril vénérien dans les grandes villes de l’Indochine, à Hanoi et dans la zone suburbaine, n’a jamais été mise en doute et l’opinion annamite a été unanime à réclamer qu’il soit apporté remède d’urgence à cette situation dangereuse » (Annam nouveau 1938a).
  • [75]
    Le titre de l’ouvrage d’Henri Virgitti, Quelques œuvres sociales dans la ville de Hanoi (1938), illustre bien cette volonté d’humaniser le traitement des prostituées et leur séjour au dispensaire.
  • [76]
    SHD, 10H 2099. La prostitution à Haiphong, 1954.
  • [77]
    ANOM, RSTNF 03856. Copie d’un article du Dr Raymond envoyé au résident supérieur au Tonkin par le directeur local de la Santé au Tonkin, le 18 novembre 1930.
  • [78]
    Ce discours anxiogène est par ailleurs repris par les Vietnamiens : « Pour la nation annamite, c’est [les maladies vénériennes] l’arrêt de son expansion morale économique, c’est l’abatardissement [sic] de la race, c’est l’affaiblissement de la mortalité [sic], la dépopulation » (Annam nouveau 1938a).
  • [79]
    ANOM, RSTNF 00746. Note pour le chef du premier bureau, le 25 octobre 1938.
  • [80]
    Journal officiel de l’Indochine, 2e partie Annam-Tonkin, 1893.
  • [81]
    Du mot vietnamien con gai signifiant fille par opposition à garçon. Pendant la période coloniale, ce mot a pris une autre acception et désignait, de façon péjorative bien souvent, la concubine indigène d’un Européen.
  • [82]
    ANOM, Gouvernement général de l’Indochine (GGI) E01 21744.
  • [83]
    À savoir « le fait de faire métier de son corps à tous venants et sans choix, moyennant une rémunération pécuniaire », article 34 de l’arrêté du résident supérieur au Tonkin du 3 février 1921.
  • [84]
    Cette transformation des pratiques se retrouve largement en Chine (Henriot 1997), le Viêt-Nam s’inscrit une fois de plus dans des processus beaucoup plus vastes.
  • [85]
    Pour les différentes villes citées, voir doc. 1.
  • [86]
    ANOM, RSTNF D638 00746. Note du 1er bureau, pour le résident supérieur au Tonkin, 9 juillet 1932.
  • [87]
    Ibid., L’administrateur chef du 1er bureau au directeur des bureaux, 3 janvier 1938.
  • [88]
    Ibid., 27 août 1938.
  • [89]
    Ibid., Résident de Nam-Dinh au résident supérieur au Tonkin, 5 septembre 1938.
  • [90]
    Ibid., Directeur de la Santé au résident supérieur au Tonkin, 19 septembre 1938.
  • [91]
    Ibid., Note du 1er bureau, 25 octobre 1938.
  • [92]
    Ibid., Résident de France à Bac Giang au résident supérieur au Tonkin, 25 février 1939.
  • [93]
    ANV1, MdeH D638 2596. Maire de Hanoi au résident supérieur au Tonkin, 24 février 1944.
  • [94]
    Ibid., Résident supérieur au Tonkin au maire de Hanoi, 18 avril 1944.
  • [95]
    ANV1, IA.8/141 (7). Arrêté du 18 octobre 1912 cité dans une lettre du maire de Cholon au gouverneur de la Cochinchine, 22 juillet 1913.
  • [96]
    Et plus précisément à Cholon.
  • [97]
    Terme qui littéralement signifie « aller en Chine », mais qu’il faut plutôt traduire par « les femmes qui vont au loin » car ces Japonaises s’inscrivent dans un mouvement plus vaste d’émigration à fin de prostitution en Asie et en Asie du Sud-Est (Roustan 2001 : 87).
  • [98]
    Au nord-est de Hanoi.
  • [99]
    ANV1, RST 1992. Projet d’arrêté réglementant les taxes à percevoir pour frais de séjour au dispensaire des femmes se livrant à la prostitution dans les centres urbains de Viétri, de Phuto (et de Hung Hoa).
  • [100]
    Les Japonaises ont ainsi une réputation d’hygiène irréprochable, contrairement aux Vietnamiennes.
  • [101]
    Article 36 de l’arrêté du maire de Saigon du 16 novembre 1916.
  • [102]
    Par exemple : MdeH S03 5757 : Rapports mensuels sur le fonctionnement du service municipal d’hygiène de Hanoi (1931).
  • [103]
    ANV1, IB.38/174. Procès-verbal de la commission municipale du 26 septembre 1905.
  • [104]
    Qui participent à la volonté des autorités de dissimuler ces prostituées.
  • [105]
    Article 18 de l’arrêté du 16 décembre 190 de l’administrateur-maire de Hanoi.
  • [106]
    ANV1, VIA.8/286 (14). Maire de Saigon au gouverneur de Cochinchine, 3 mai 1912.
  • [107]
    Ibid., Directeur local de santé au gouverneur de Cochinchine, 29 mai 1912.
  • [108]
    Article 36 de l’arrêté du maire de Saigon du 16 novembre 1916.

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