Genèses 2011/1 n° 82

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Article de revue

Des migrations exceptionnelles ? Les « voyages » des danseurs contemporains africains

Pages 120 à 139

Notes

  • [1]
    Le récent dossier de la Revue européenne des migrations internationales (2009), intitulé « Créations en migrations », constitue à ce titre une exception notable. Les différentes contributions mettent en effet en évidence le poids des expériences migratoires des acteurs du monde culturel dans les processus de création artistique.
  • [2]
    Sans pouvoir procéder à une analyse poussée de ces espaces d’émigration et d’immigration, il convient néanmoins de préciser que les politiques menées par les ministères de la Coopération et des Affaires étrangères dans le domaine de la culture au lendemain des indépendances africaines ont contribué dans un premier temps à structurer les échanges artistiques entre la France et ses anciennes colonies, mais aussi avec de nombreux autres pays d’Afrique (notamment anglophones). La circulation des danseurs africains, initialement organisée autour des partenaires institutionnels de la coopération culturelle française, s’est élargie dans un second temps à la faveur de la mobilisation des réseaux personnels des danseurs, d’une part, et de l’apparition de programmes de coopération encourageant les projets d’échanges à l’échelle européenne, d’autre part. Cet élargissement progressif de la géographie des échanges culturels contribue à créer des espaces de référence globalisés : pour les institutions françaises et européennes, il s’agit de mener des projets « avec l’Afrique », pour les danseurs africains, il s’agit d’aller « en France », « en Europe », « au Nord » ou encore « chez les Blancs ».
  • [3]
    Plusieurs centres de formation à la danse contemporaine ont ouvert leurs portes en Afrique au cours de la précédente décennie : Toubab-Diallaw au Sénégal, Bamako au Mali, Ouagadougou au Burkina Faso, Nairobi au Kenya pour ne citer que les principaux. Un important réseau de festivals irrigue le reste de l’Afrique : Maroc, Tunisie, Bénin, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, Mali, Sénégal, Cameroun, Congo-Brazzaville, Gabon, Kenya, Rwanda, Afrique du Sud, Madagascar. Les chorégraphes africains à l’origine de ces initiatives sont le plus souvent issus des couches sociales favorisées et/ou ont été formés à la danse contemporaine en Europe avant de rentrer au pays. À Bamako, comme dans la plupart des centres cités plus haut, la formation s’organise autour d’ateliers pluriannuels (de quelques semaines à plusieurs mois) et d’événements chorégraphiques ponctuels (festivals, créations, etc.). Ces ateliers de formation réunissent des effectifs d’une vingtaine de danseurs – essentiellement des hommes.
  • [4]
    Les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien « Danse l’Afrique danse ! », initiées en 1995 par l’association Afrique en créations (aujourd’hui département de CulturesFrance), sont une biennale panafricaine de danse contemporaine. À la fois concours chorégraphique et plate-forme de diffusion de la création africaine contemporaine, cette manifestation est aussi souvent un espace de formation pour les plus jeunes danseurs. Désormais itinérante, elle est coorganisée et mise en œuvre par CulturesFrance et les opérateurs culturels africains du pays d’accueil du festival (la septième édition en 2008 s’est tenue à Tunis ; la huitième devrait voir le jour en novembre 2010 à Bamako). Le concours constitue un tremplin important pour les lauréats qui accèdent à une programmation à l’échelle internationale. Certaines compagnies lauréates sont aujourd’hui bien insérées dans le champ chorégraphique : Cie Salia nï Seydou (Burkina Faso), Cie Gaara (Kenya), Cie Rary (Madagascar), Cie Kettly Noël (Mali), Cie Premier Temps (Sénégal), par exemple.
  • [5]
    Parmi ces bailleurs de fonds, on recense la Commission européenne, la coopération culturelle française, les centres culturels français (CCF), l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), l’association suisse de coopération Helvetas, et plus marginalement le Bureau de la coopération suisse (Buco), l’association belge de coopération Africalia, ainsi que les coopérations canadienne et allemande.
  • [6]
    L’émergence d’une danse contemporaine en France doit beaucoup à ce que Pierre-Emmanuel Sorignet appelle l’« import-export » artistique (2001 : 22). En particulier, les migrations de chorégraphes d’avant-garde allemands et américains en France dès les années 1930 et l’émigration d’artistes français aux États-Unis ont contribué à structurer un espace de diffusion de la danse contemporaine de fait centré sur l’Europe et l’Amérique du Nord.
  • [7]
    « Itinéraires 2009 », Dossier de presse annuel de CulturesFrance http://www.culturesfrance.com/evenement/Danse-l-Afrique-danse-a-Tunis/evpg560.html (consulté le 24 mars 2010).
  • [8]
    Poursuivant les objectifs promus par la Conférence mondiale sur les politiques culturelles organisée à Mexico en 1982, Jacques Pelletier, ministre de la Coopération et du Développement, initie en 1990 les rencontres « Afrique en Créations » intitulées : « Création artistique, dialogue des cultures, développement : les enjeux de la coopération culturelle ». Sur le programme envoyé aux participants, on peut lire : « Organisées à l’initiative de M. Jacques Pelletier, ministre de la Coopération et du Développement, pour témoigner de la vitalité de la création artistique en Afrique et de l’importance de la dimension culturelle du développement, ces Rencontres sont nées d’une réflexion sur les besoins de la création contemporaine et d’une volonté de favoriser toutes les expressions culturelles. En effet, les créateurs sont les acteurs irremplaçables du développement, les porte-parole incarnant l’esprit critique indispensable à la prise en charge par tous des composantes culturelles des sociétés. Les rencontres Afrique en créations marqueront une étape essentielle de cette réflexion, en mettant en lumière le dialogue culturel et les différents modes de la création, dans leur lien avec l’œuvre de développement entreprise par les Africains et leurs partenaires français » (Rencontres Afrique en créations, 1990 : 15). Nous soulignons.
  • [9]
    Pour préserver l’anonymat des enquêtés, nous avons recours à l’usage du pseudonyme.
  • [10]
    Les propos entre guillemets suivis de la mention « journal de terrain » sont des extraits d’entretiens informels, non enregistrés. S’ils ne peuvent pas être interprétés de manière littérale, ils reprennent relativement fidèlement la parole des enquêtés dans la mesure où ils ont été reconstitués soit immédiatement après l’échange, soit à l’issue de chaque journée d’enquête.
  • [11]
    Le directeur du centre culturel français de Bamako m’a confirmé en entretien avoir été contraint à plusieurs reprises de contacter personnellement le consul et/ou l’ambassadeur de France au Mali afin d’obtenir des visas pour certains danseurs.
  • [12]
    « Circulation des artistes : État des lieux », débat organisé par Zone Franche le 11 mai 2008 au festival d’Angoulême « Musiques métisses ».
  • [13]
    Il existe notamment à Paris un marché des cours de danses traditionnelles africaines relativement important. Isabelle Lefèvre (1986) répertorie une trentaine de centres parisiens où sont enseignées les danses « afro », cumulant près de cent quarante cours hebdomadaires. Sans être en mesure d’actualiser ce répertoire, on peut toutefois postuler que l’inauguration en 1998 du Centre de danses pluri-africaines témoigne de la pérennité de ce marché. Créé par le chorégraphe ivoirien Georges Momboye, cet espace est un centre de formation aux danses africaines traditionnelles et afro-contemporaines situé dans le 20e arrondissement de Paris. Il propose une grande variété d’enseignements : cours de « danses traditionnelles » du Cameroun, du Congo, de Côte-d’Ivoire, de Guinée, du Mali et du Sénégal, ainsi que des cours de danses « Afro-brésilien », « Afro-jazz » et « Afro-contemporain », soit une cinquantaine de cours dispensés chaque semaine. Les stages de danse africaine organisés par mes enquêtés au moment de leurs séjours en France s’inscrivent le plus souvent dans des réseaux déjà constitués de cours de danses traditionnelles. Ainsi, lorsque Salah se rend en France, c’est son cousin, danseur immigré et enseignant au centre Momboye, qui organise pour lui des stages de danse africaine. Salah bénéficie par ce moyen de locaux adaptés à la pratique de la danse et surtout du public captif des élèves du centre.
  • [14]
    Une partie de ces biens est parfois consacrée à la revente, activité qui s’apparente alors à ce que Michel Peraldi a appelé le « commerce à la valise » (2001).
  • [15]
    Si la danse est une pratique très largement partagée par la population africaine, son usage est traditionnellement circonscrit à certains événements sociaux : mariages, baptêmes, cérémonies de circoncision et autres fêtes. Dans un contexte urbain comme Bamako, les manifestations lors desquelles les jeunes trouvent des occasions de danser excèdent pourtant largement ces rituels : on danse dans les « balani » ou « bals poussière » (fêtes dansantes organisées dans la rue), dans les « maquis » (bars de nuit), lors des fêtes de fin d’année de certains établissements scolaires, lors des concours interquartiers (compétitions entre troupes des quartiers et communes de Bamako), dans les clips des vedettes maliennes, pour des concours télévisés, en boîtes de nuit… Paradoxalement, alors que les occasions et les lieux réservés pour danser se multiplient, les entretiens montrent que la danse, lorsqu’elle est pratiquée en dehors des événements traditionnels, est sévèrement réprimée par l’entourage des danseurs. Les jeunes que j’ai interrogés font état des insultes et des châtiments corporels reçus de la part de leur père, leurs oncles ou leurs frères aînés. Certains ont même pu être chassés du foyer familial. De manière générale, la danse contemporaine est perçue par les familles comme un milieu déviant : « bons à rien », « voleurs », « femmelettes », ou encore « paresseux » sont quelques-uns des qualificatifs attribués aux danseurs par leur famille, qui manifeste par ailleurs certaines inquiétudes à l’égard de l’alcool, la drogue et l’homosexualité.

1Depuis une quinzaine d’années en Europe, le nombre de danseurs africains accueillis sur les scènes de la création contemporaine n’a cessé de croître. Les institutions culturelles multiplient leurs invitations en direction des artistes chorégraphiques africains : programmation de spectacles, proposition de formation, accueil en résidence, sont autant d’opportunités offertes à ces danseurs pour traverser la Méditerranée et séjourner sur le sol européen. Les artistes du spectacle vivant ont de longue date ancré leur carrière professionnelle dans la mobilité. Dans le domaine chorégraphique les tournées ont constitué, avec les voyages de formation, le support principal de ces circulations internationales (Centre national de la danse 2000 ; Ginot et Michel 2002). Que l’on songe aux tournées des Ballets russes et du New York City Ballet, aux nombreux séjours des chorégraphes modernes américains en Europe (Alvin Ailey, Katherine Dunham, Ruth St. Denis, Loïe Fuller, Isadora Duncan, Martha Graham) (Foulkes 2002), aux tournées aux États-Unis des Allemands Mary Wigman et Kurt Jooss (Partsch-Bergsohn 1994), à la formation de Pina Bausch à la Juilliard School de New York, ou à l’installation de l’Américaine Carolyn Carlson à Paris, la mobilité des danseurs et chorégraphes s’est essentiellement concentrée, tout au long du xxe siècle, dans l’hémisphère nord. Le développement récent, à l’échelle européenne, de programmes de coopération culturelle en direction de l’Afrique semble avoir renforcé les circulations artistiques autour d’un nouvel axe Nord-Sud.

2Malgré l’importance croissante des études consacrées à la mondialisation, les enquêtes sociologiques concernant les artistes traitent le plus souvent la question de leur mobilité sous l’angle de la circulation des influences artistiques, voire la laissent en suspens [1]. La tradition critique de la sociologie de l’immigration a quant à elle favorisé des recherches centrées sur les populations « dominées » et les phénomènes migratoires de masse inscrits dans la durée : travailleurs immigrés non qualifiés, demandeurs d’asile, sans-papiers, migrants de transit, etc. (Tripier 2004). Les populations migrantes a priori plus dotées, numériquement plus marginales et/ou concentrant des enjeux politiques moins immédiats, semblent plutôt faire l’objet d’une analyse en termes d’« élites » (Dedieu 2003 ; Geisser 1997 ; Leveau et Wihtol de Wenden 2001 ; Paris 2009). Or, cette opposition binaire – immigrés dominés versus élites migrantes – tend à occulter la complexité des rapports de force induits par le phénomène de mobilité. À partir d’une enquête ethnographique réalisée auprès de danseurs contemporains africains (voir encadré 1), cet article invite à s’interroger sur l’expérience sociale de la mobilité propre à des artistes africains dont la socialisation professionnelle est inscrite dans la circulation internationale. Ces danseurs africains font doublement figure d’exception : exception quantitative, puisque dans un contexte général de durcissement des politiques européennes d’immigration (Bribosia et Rea 2002), ils font partie des rares migrants subsahariens à parvenir encore à traverser légalement les frontières ; et exception symbolique liée à leur statut d’artiste. Pour comprendre ce qui se joue dans ce que les enquêtés nomment pour leur part des « voyages », il convient en particulier d’analyser ceux-ci en envisageant simultanément les espaces sociaux traversés – espaces qui sont tout à la fois physiques et symboliques – et les positions sociales différenciées occupées par les danseurs au cours de leurs déplacements. L’appareillage conceptuel propre à la sociologie des migrations permet de façon heuristique de penser cette double exception. En effet, l’approche en termes de « migration » – plutôt que, par exemple, de « circulation transnationale » (Cortes et Faret 2009) – présente l’avantage de restituer les enjeux liés au rapport de force inégalitaire Nord-Sud qui, d’une part, structure le contexte et la forme des déplacements des danseurs et qui, d’autre part, informe manifestement leurs perceptions de ces voyages.
Pour saisir la spécificité des espaces traversés par les danseurs, il convient en préalable de restituer, ne serait-ce que succinctement, le contexte sociohistorique dans lequel ils se sont structurés, où l’émergence d’une « niche africaine » dans le champ de la danse contemporaine se conjugue aux contraintes imposées par les politiques migratoires. Reprenant à son compte la perspective désormais classique formulée par Abdelmalek Sayad, les parties suivantes mettent en regard les différents points de vue à partir desquels les danseurs appréhendent leurs opportunités migratoires (Sayad 1999) : l’espace d’émigration dans lequel s’actualisent les bénéfices économiques et symboliques engrangés par les voyages prend sens en relation avec un espace d’immigration dans lequel les efforts fournis par les danseurs pour se conformer aux codes artistiques et sociaux de la danse contemporaine trahissent, in fine, des formes de domination culturelle [2].

Encadré 1. Une enquête ethnographique multi-située

Les analyses proposées dans cet article s’appuient sur les matériaux d’une enquête menée depuis 2008 auprès de danseurs contemporains africains (entretiens, notes ethnographiques).
– Mali (février-juin 2008) :
Séjour à Bamako dans un centre de formation à la danse contemporaine [3] à l’occasion de la création d’un spectacle chorégraphique réunissant de jeunes interprètes africains. J’ai mené une enquête ethnographique par observation participante – en tant qu’assistante de la chorégraphe – au cours de laquelle j’ai pu assister aux différents ateliers de création du spectacle et à toutes les activités de formation des danseurs du centre. Ce terrain a inclus un détour par Tunis, où l’un des danseurs impliqués donnait une de ses créations solo à l’occasion des Septièmes Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien [4] (mai 2008).
– France (juin-juillet 2008) :
L’enquête s’est poursuivie en France au sein d’un théâtre où le spectacle créé à Bamako était accueilli en résidence. Enfin, j’ai suivi la compagnie durant la première phase de la tournée du spectacle (Montpellier, Paris, Lyon).
– Mali (février-mars 2009) :
Un retour de deux mois sur le terrain bamakois auprès des mêmes enquêtés a été l’occasion d’une seconde investigation, non participante, principalement centrée sur les activités professionnelles et non professionnelles des danseurs à l’extérieur du centre de formation, ainsi qu’auprès des danseurs du Conservatoire des arts et métiers multimédia.
– Burkina Faso (décembre 2009) :
Observation ethnographique à Ouagadougou à l’occasion d’une formation à la danse contemporaine destinée aux jeunes chorégraphes du continent africain, centrée sur « les techniques d’écritures chorégraphiques ». Cette formation a réuni de nombreux danseurs rencontrés sur les terrains précédents.
Le profil social des danseurs qui constituent mon échantillon d’enquêtés tranche très nettement avec ce que l’on sait des danseurs contemporains français (Faure 2000 ; Sorignet 2001 ; Rannou et Roharik 2006). La profession de danseur en France est très féminisée, fait usuellement suite à une formation précoce et se caractérise par la part importante de danseuses et danseurs issus des classes supérieures (professionnels du spectacle, cadres et professions intellectuelles supérieures). Les trois quarts des danseurs sont titulaires d’un diplôme du baccalauréat ou d’un diplôme supérieur. Par contraste, en Afrique de l’Ouest, à quelques rares exceptions près, les danseurs qui entreprennent une formation en danse contemporaine sont plutôt des hommes, âgés de dix-huit à trente-cinq ans, et ont été très peu scolarisés. Au Mali, pays où le taux de scolarisation est très faible (Gérard 1997 : 42), beaucoup d’entre eux n’ont suivi que la scolarité obligatoire, entre six et huit ans. La plupart des danseurs ont donc appris à lire, écrire et parler le français, avec plus ou moins d’aisance, au cours de leur formation en danse. Les entretiens ont révélé que ces jeunes se destinaient initialement à des emplois peu qualifiés, dans des métiers manuels (mécanique, couture), dans le petit commerce ou dans le secteur informel (colportage). Certains d’entre eux ont été contraints par le passé à avoir recours, pour subsister, à de petits vols ou à la mendicité.

Les conditions institutionnelles de la migration d’artistes africains

3D’après de récentes estimations, plus de 80 % du budget consacré au secteur culturel au Mali provient de bailleurs de fonds européens – essentiellement français (Touré 2007) [5]. Le secteur de la danse contemporaine y est presque exclusivement financé par des politiques de coopération culturelle, via le Service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France (SCAC), le Centre culturel français (CCF) et CulturesFrance (opérateur délégué des ministères français des Affaires étrangères et de la Culture). Les artistes trouvent auprès de ces institutions le moyen de pallier la faiblesse du financement consacré à l’art et à la culture par les pouvoirs publics locaux. En effet, en l’absence d’opérateurs culturels africains, l’apport fourni par la coopération européenne se révèle décisif pour les artistes, à tous les niveaux de leur activité (formation, création et diffusion), et tant d’un point de vue quantitatif – le montant des subventions allouées – que qualitatif – la possibilité de bénéficier d’infrastructures et de programmes répondant aux normes européennes. Pour la seule année 2008-2009, les financements alloués par la coopération ont ainsi permis aux danseurs maliens du centre de formation de Bamako concerné par cet article, de bénéficier de l’enseignement de formateurs issus d’institutions aussi prestigieuses que l’Académie nationale de danse de Rome, le Ballet Preljocaj et le Centre chorégraphique national (CCN) de Tours. Dans le domaine de la diffusion des œuvres, les grandes institutions liées à la coopération culturelle offrent également des aides à la mobilité des artistes : fonds d’aide à la circulation des artistes pour l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), programme de soutien aux tournées des spectacles étrangers pour l’Office national de diffusion artistique (ONDA), programme ACP [Afrique, Caraïbes, Pacifique]-Cultures pour l’Union européenne, appuis à la diffusion des artistes et des projets pour CulturesFrance, etc. Une manifestation comme les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien est ainsi largement financée et administrée par CulturesFrance et différents organismes français. En termes de mobilité, l’investissement par les danseurs africains de ce réseau de coopération présente un avantage certain. Sur un marché de la danse contemporaine fortement concentré en Europe et aux États-Unis, l’étendue du réseau rend possible une diffusion de leurs œuvres à l’échelle internationale [6]. Les lauréats de la septième édition des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien en 2008 ont, par exemple, bénéficié d’une tournée internationale organisée par CulturesFrance, qui les a conduits en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Maroc et en Israël, ainsi qu’au Sénégal, Togo, Bénin, Côte-d’Ivoire, Congo, Guinée-Bissau, Niger, Burkina Faso, Mali, Ghana et Guinée [7].
L’importance de la contribution européenne à la danse contemporaine en Afrique se mesure donc d’abord à travers le volume des financements accordés par les organismes de coopération pour la mobilité des danseurs africains. Le développement de ces programmes de soutien ne saurait toutefois se résumer à l’élaboration, dès le début des années 1980, du discours sur la « dimension culturelle du développement » cher aux organismes internationaux de coopération [8]. Il convient également de mettre cette contribution en perspective avec l’émergence d’un intérêt spécifique des agents du champ chorégraphique contemporain pour les danseurs africains. Sans parler de la fascination du public occidental pour les danses exotiques (Décoret-Ahiha 2004), si l’on prend le cas français, on assiste depuis les années 1990 à une ouverture des lieux les plus légitimes de production et de diffusion aux chorégraphes venus du continent africain. Suivant l’exemple emblématique de la Biennale de la danse de Lyon – dont l’édition de 1994, intitulée « Mama Africa, de l’Afrique à Harlem », a mis au premier plan les danseurs africains – de nombreux festivals et théâtres se sont ouverts à la création africaine. Le théâtre de la Ville à Paris, le festival Montpellier danse ou encore les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis ont tous compté des compagnies africaines à leur programmation au cours des deux dernières saisons. Certains festivals se sont créés en mettant entièrement ou partiellement à l’honneur la création africaine (festival Danses d’ailleurs à Caen, festival Afrique(s) à la Villette à Paris), d’autres y ont consacré une édition (Les Hivernales d’Avignon 2010), etc. Le succès considérable rencontré par une pièce comme le « Sacre du printemps » de Heddy Maalem, dont la distribution est exclusivement africaine, illustre bien l’engouement pour ce type de production (voir encadré 2).

Encadré 2. L’engouement pour « les corps africains en mouvement »

En 2004, le chorégraphe Heddy Maalem recrée Le Sacre du printemps – célèbre ballet chorégraphié pour la première fois en 1913 par Vaslav Nijinski sur la musique d’Igor Stravinski – avec quatorze danseurs issus du continent africain. La tournée du spectacle compte plus de cent cinquante dates à travers le monde : France, Portugal, Italie, Suisse, Tunisie, Pays-Bas, Belgique, Pologne, Espagne, Russie et, chose suffisamment rare pour être soulignée, une vingtaine de représentations aux États-Unis. Sur l’affiche annonçant la pièce à Seattle on peut lire, sous le titre du spectacle : « A look on african bodies in movement ».
Au-delà de l’intérêt pour la pièce en elle-même, c’est clairement le « concept » qui a suscité l’engouement chez les programmateurs, du moins si l’on en croit un membre de la compagnie Heddy Maalem : « Ils [la compagnie] sont allés voir les directeurs de théâtres et autres festivals. Le concept – Heddy Maalem va faire un “Sacre du printemps” avec quatorze Africains, danseurs africains – tout le monde a sauté dessus ! »
(Entretien avec un membre de la compagnie, juin 2009)

4L’espace migratoire qui se dessine autour des partenaires institutionnels de la coopération culturelle ne doit pas laisser croire pour autant que les danseurs puissent voyager librement. Entrer et travailler dans l’espace Schengen n’en reste pas moins un parcours semé d’embûches (Cimade 2010). Les effets d’annonce d’une politique d’« immigration choisie » visant à « faciliter l’entrée et les séjours en France des hommes d’affaires et de toutes les personnes qui contribuent de manière significative aux relations bilatérales entre leur pays et le nôtre, notamment en matière économique, politique ou culturelle », dissimulent des pratiques de délivrance de titres de séjour restrictives : sur vingt-huit mille titres de séjour délivrés en 2008 pour motifs professionnels, seuls deux cent quatre-vingt-cinq ont concerné les artistes, tous pays confondus (Comité interministériel de contrôle de l’immigration 2010 : 12). La probabilité qu’un danseur originaire d’un pays d’Afrique subsaharienne obtienne un tel sésame étant très faible, les compagnies africaines d’un côté et, de l’autre, les structures d’accueil en Europe doivent entreprendre une double procédure : les danseurs africains effectuent une demande de visa court séjour (quatre-vingt-dix jours maximum), et les structures d’accueil demandent les autorisations provisoires de travail auprès de la Direction départementale du travail de l’emploi et de la formation professionnelle.

Carte : Les voyages de Salah.

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Carte : Les voyages de Salah.

Source : Altaïr Despres.

5 En cumulant les différents séjours effectués à l’étranger, certains danseurs passent plus de la moitié de l’année en dehors de leur pays de résidence. Pourtant, il est rare qu’ils quittent le pays pour plus de quelques semaines. De fait, le recours à des visas court séjour pour se rendre sur le territoire européen entraîne des migrations temporaires, faites d’allers-retours réguliers entre l’Afrique et l’Europe. La carte ci-dessus illustre les différents déplacements professionnels effectués par Salah [9] (danseur malien) depuis 2006, date de son entrée au centre de formation de Bamako. Pas moins de huit allers-retours en Europe ont été effectués entre 2006 et 2008. On constate qu’au fil de sa (jeune) carrière, les déplacements de Salah se multiplient : dans un premier temps, vers l’Europe et, dans un second temps seulement, à travers l’Afrique.

6La procédure de demande de visa Schengen de court séjour est pour les danseurs africains une entreprise à la fois onéreuse et pénible. Pour chaque demande, les frais de dossier s’élèvent à 40 000 francs CFA (soit environ 60 euros, non remboursables, quelle que soit l’issue de la demande). Ensuite, pour un séjour de quelques semaines, les danseurs doivent être en mesure d’apporter des garanties financières. En particulier, ils sont amenés à faire la preuve qu’ils possèdent plusieurs centaines d’euros. Or, les moyens dont ils disposent sont bien souvent largement en deçà de ces exigences. Pour un projet d’envergure comme une tournée internationale, et lorsque le danseur appartient à une compagnie, « c’est la compagnie qui avance l’argent » me confie une ancienne administratrice du centre de formation à Bamako. Mais dans le cas d’un projet plus modeste, comme l’invitation par une petite association en France d’un danseur n’appartenant pas à une compagnie, trouver les fonds nécessaires pour entreprendre la demande de visa conduit à l’endettement. L’argent doit être emprunté auprès de la famille ou des amis ; il peut aussi être « loué » auprès de « banquiers informels » installés aux abords de l’ambassade, lesquels proposent des prêts d’argent (en liquide ou sur virement bancaire) pour quelques jours, voire quelques heures, moyennant un taux d’intérêt élevé. Enfin, outre les garanties financières exigées, les danseurs doivent être en mesure de produire de nombreux justificatifs relatifs à leur voyage et à leur séjour en Europe (réservation du billet d’avion aller-retour correspondant aux dates de validité du visa demandé, assurance-voyage, attestation d’accueil visée par la mairie du lieu de résidence de l’accueillant, contrat de travail, autorisation temporaire de travail, etc.). Une fois encore, pour des danseurs dits « isolés », les difficultés d’obtention de ces documents peuvent mener à un certain découragement. Valentin, d’origine ivoirienne, vit depuis plusieurs années à Bamako où il mène des activités de danseur. Il participe régulièrement aux projets mis en place par le centre de formation (stages et événements locaux) sans toutefois être membre de la compagnie – il tient, me dit-il, à son indépendance. Lorsque je le rencontre en 2009 à l’occasion de ma seconde enquête au Mali, il vient de terminer la première phase d’une création avec une danseuse française et souhaite se rendre à Rouen pour poursuivre la création du duo. Valentin n’a encore jamais eu à faire de demande de visa pour la France (il n’a alors circulé qu’en Afrique) et très vite, la lourdeur de la procédure et les suspicions de fraude le découragent :

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« Moi je m’en fous, si ça continue je laisse tomber ! J’en ai rien à foutre moi de la France, je veux pas vivre là-bas ! S’ils me donnent pas le visa je m’en fous, je vais à l’ambassade et je leur dirai que je veux même pas mettre mes pieds en France ! Il faut leur dire que c’est pas tous les Noirs qui veulent aller en Europe ! […] Y’a quoi en France, hein ? Y’a des diamants ? […] Moi, la France, je veux pas y aller si c’est pour être sans-papiers ».
(journal de terrain, Bamako, mars 2009)[10]

8Finalement, avec mon aide et le concours décisif du directeur du CCF, Valentin parvient à réunir les documents nécessaires à la constitution de son dossier [11]. Ne lui reste alors plus qu’à se procurer les sommes pour couvrir les frais de dossier et les garanties journalières. Le montant du visa est envoyé le jour même par l’association rouennaise via Western Union et je suis personnellement sollicitée pour le reste :

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« Elle (l’agent consulaire) m’a demandé combien j’avais pour voyager. Je lui ai dit d’abord que tout était pris en charge par l’association, mais elle m’a dit qu’il me fallait quand même un minimum, au cas où, quoi. Alors j’ai dit 100 000. Demain je dois revenir à l’ambassade pour récupérer mon visa et apparemment j’ai besoin de venir avec cette somme. »
(ibid.)
Je m’acquitte donc de ces 100 000 francs CFA (soit l’équivalent de 150 euros) que Valentin me remettra immédiatement après son entretien au consulat.
« Les agents chargés du contrôle de l’immigration détiennent le pouvoir de prendre des décisions en toute discrétion » note Alexis Spire (2008 : 79). Dans certains cas, le « pouvoir discrétionnaire » dont bénéficient ces agents rend possibles des ajustements de la procédure. Parmi ceux-ci, certains vont dans le sens d’un durcissement. Notamment, plusieurs enquêtés ont dénoncé l’obligation qui leur avait été faite dans les consulats de se livrer à des démonstrations physiques pour faire la preuve de leurs compétences chorégraphiques, le jugement des agents administratifs conditionnant l’obtention du visa. Une telle pratique ajoute à l’humiliation une épreuve de plus dans une procédure administrative déjà lourde. Par ailleurs, s’agissant des premières demandes de visa, une contrainte supplémentaire consiste à faire la preuve de son retour au pays au terme de validité du visa. Cette obligation est rappelée au bénéficiaire par un coupon agrafé à son passeport qui porte la mention suivante : « Je reconnais avoir obtenu mon visa sous réserve de me présenter personnellement au consulat, muni de mon passeport à 15 h, au plus tard le… ». Cette présentation dans les délais impartis conditionne l’acceptation de futures demandes. Certaines de ces pratiques consulaires s’inscrivent bien dans ce que Salvatore Palidda a décrit comme la « criminalisation des migrants » (1999), ici la production d’une figure de l’immigré comme potentiel « irrégulier ». La focalisation sur les « clandestins », les « irréguliers », les « faux demandeurs d’asile », qui caractérise depuis quelques années le débat politique sur l’immigration n’épargne pas les artistes. Didier Le Bret, secrétaire d’État à la Francophonie et à la Coopération au ministère des Affaires étrangères, tout en déplorant le caractère très coercitif des pratiques consulaires, considère d’ailleurs que le « public d’artistes […] représente un risque migratoire élevé » [12]. Le séjour professionnel en France est d’abord perçu comme un prétexte pour pénétrer sur le territoire, et le danseur comme un « fugitif » en puissance. Au cours des déplacements des danseurs en France, cette méfiance des institutionnels à leur égard s’incarne très concrètement dans des pratiques comme la rétention des passeports, la distribution des salaires et des défraiements au compte-gouttes, etc.

Le « voyage » : une pratique valorisante et valorisée

10« La danse m’a ouvert quand même la porte du monde » me confiait en entretien un enquêté malien. Au regard des opportunités de mobilité offertes par le réseau de coopération culturelle, un tel témoignage pourrait conduire à considérer que la danse constitue un projet migratoire parmi d’autres pour de jeunes Africains en quête d’Europe. Or, cette hypothèse se révèle rapidement non-fondée. Le principe d’incertitude qui régit l’organisation des activités artistiques (Menger 2009) rend l’anticipation des opportunités migratoires pratiquement impossible. Le succès d’un spectacle étant difficile à prévoir, les danseurs qui s’engagent dans une création ne connaissent pas a priori leur chance de partir en tournée – et encore moins où cette tournée pourrait les conduire. Lorsque les danseurs évoquent leurs débuts dans la danse, la perspective de la migration n’est jamais mentionnée, même sur un mode rétrospectif :

11

« On pensait même pas à l’Europe à l’époque […] À l’époque où je suis venu dans la danse y’avait pas de voyage, donc les anciens qui étaient dedans, nous on voyait pas le voyage, on dansait comme ça ».
(Entretien avec Jesse, danseur congolais, Bamako, avril 2009)

12

« Au début on savait même pas qu’on pourrait avoir ces opportunités-là un jour, participer à des festivals à l’étranger, rencontrer des différentes personnes, voyager surtout ».
(Entretien avec Yoro, danseur malien, Bamako, juin 2008)

13Le « voyage », terme localement en usage dans les pays d’Afrique de l’Ouest, désigne toutes les formes de déplacements hors de sa région ou de son pays, indépendamment du motif (séjour professionnel, visite familiale…). Dans le cadre de l’activité chorégraphique, ces voyages sont le plus souvent des déplacements liés à la diffusion de spectacles, à la formation, ou à la création. Quelle que soit la raison du séjour (diffusion, formation ou création), les voyages des danseurs représentent toujours une période d’activité professionnelle et, le plus souvent, ouvrent droit à une rémunération. Ce sont d’abord des considérations d’ordre économique qui alimentent les discussions autour de ces voyages et qui président à leur organisation. J’ai déjà mentionné les garanties financières nécessaires à la seule demande de visa, mais au-delà, lors des enquêtes, j’ai souvent été sollicitée sur ces questions à l’approche d’une tournée ou de tout autre déplacement professionnel des danseurs : convertir en francs CFA des sommes annoncées en euros sur les contrats de travail, évaluer le montant et les modalités de distribution des « défraiements », apprécier le caractère raisonnable ou non du montant proposé pour une prestation, et toutes sortes de calculs liés à la rémunération des différentes activités organisées dans le cadre de ces déplacements. Pour les danseurs, ces migrations sont toujours synonymes d’une période d’activité intense. En effet, les contraintes liées à la durée restreinte des visas obtenus impliquent une forte concentration de l’activité. Pour rentabiliser des déplacements souvent onéreux, les structures d’accueil tendent à multiplier les prestations. Ainsi il n’est pas rare que les compagnies doivent effectuer plusieurs représentations d’un spectacle dans la même journée (notamment lors de séances organisées en journée pour un public scolaire), ou encore assurer des stages de danse et participer à des rencontres avec le public à l’issue d’une représentation.

14Parallèlement, lorsque la temporalité du séjour à l’étranger le permet, les danseurs mettent à profit leur temps libre (par exemple entre deux représentations de spectacle) pour organiser des activités annexes pouvant leur fournir un complément de rémunération. Alors que Salah me raconte le déroulement de son séjour en France où il bénéficie de deux mois et demi de résidence de création au sein d’un CCN, il m’explique qu’il passera une semaine supplémentaire à Paris pour ce qu’il me présente d’abord comme une semaine de vacances accordée par la compagnie « pour (le) récompenser » :

15

« Ouais, après je reviens une semaine. Mais quand je viens à Paris c’est pour gérer mes gombos, hein !
— Alors c’est quoi ?
— Mes gombos, c’est donner des cours pour me faire des sous…
— C’est pas tes vacances ?
— Ouais, c’est mes vacances mais je profite pour… […] Peut-être on va donner deux ou trois cours là-bas ; à Paris ici on va donner deux ou trois cours, donc tu vois pour nous faire un peu de sous pour rentrer au pays ».
(Entretien avec Salah, Paris, mars 2010)

16Ces gombos (qu’on pourrait traduire par « bons plans ») sont le plus souvent de courts stages de danse africaine traditionnelle que les danseurs organisent en mobilisant leurs réseaux personnels, rentabilisant du même coup au maximum leur présence en Europe [13]. Ainsi, le temps du voyage est un temps concentré de travail, qui s’organise entièrement autour d’activités rémunérées, contractuelles ou personnelles.

17« Se faire un peu de sous pour rentrer au pays », comme le dit Salah, est loin d’être un enjeu mineur. Le retour du migrant est chargé d’attentes de la part de ceux qui sont restés au pays. Aya, danseuse burkinabè décrit ainsi l’ambiance des retours :

18

« Tout le monde est content de te revoir et tout le monde attend son petit cadeau (rires) Eh mais c’est ça ! Donc tout le monde est content de savoir que tu es partie, tu es revenue, tout le monde vient pour te dire “Bonne arrivée !”, en espérant avoir quelque chose, un petit quelque chose ».
(Entretien avec Aya, Paris, mars 2010)

19Les bénéfices économiques et matériels générés par les périodes de travail à l’étranger ne profitent pas qu’aux seuls migrants. Bien au contraire, les membres de la famille, les amis, le voisinage jouissent des dons effectués par les artistes à leur retour au pays (cadeaux, argent liquide). Lors du séjour en Europe, les danseurs réservent une partie de leur temps à l’achat de marchandises qui seront ensuite distribuées : vêtements, nourriture, bijoux, matériel hi-fi, médicaments, produits de beauté, etc. [14].

20Dans un contexte de durcissement des contrôles migratoires, celui qui voyage – et a fortiori s’il fait des allers-retours réguliers entre l’Afrique et l’Europe – est perçu comme un privilégié. Les médias, le style de vie des classes dominantes autant que les récits et pratiques des émigrés lors de leurs allers et retours au pays contribuent à structurer des « imaginaires partagés » liant l’Europe à la richesse et à la réussite sociale (Quiminal 2009). Ces représentations font peser sur les danseurs des attentes importantes de la part des communautés locales. Lorsqu’un danseur rentre de voyage, il doit se montrer à la hauteur du mythe de l’Europe qu’il incarne (et par là même renforce) en exhibant les signes de sa réussite. Ainsi de Issa, au retour de sa première tournée qui l’avait conduit dans plusieurs pays européens, qui se promène dans la rue en distribuant cinq euros à quiconque parvient à lui toucher la tête. Selon la logique bien décrite par A. Sayad (1999) du « mensonge collectif », Issa se livre à des pratiques délibérément ostentatoires, distribuant avec largesse sa « richesse » durement gagnée. Comme l’explique Salah, chaque départ d’un danseur constitue déjà la promesse d’un retour généreux :

21

« Tu pouvais pas imaginer quoi. À l’aéroport c’était la folie ! À l’aéroport y’avait tout le quartier ! (rires)
— Ils sont venus vous chercher quand vous êtes rentrés ?
— Non, quand on allait partir. À l’aéroport tu avais l’impression que… ffff… C’était la population totale quoi tu vois ! Toute la famille qui se sont bien habillés, tu avais l’impression que c’était mariage ou y’avait un baptême. Donc toutes les familles ont porté les habits de luxe. Tout l’aéroport c’était rempli que par la population quoi tu vois, qu’ils étaient contents : les mamans, les grandes sœurs, les amis, les parents, les copines, les enfants, tout le monde ! Ils se sont groupés pour aller à l’aéroport, donc… Et y’avait même celui qui jouait le tamani (tambour d’aisselle) dans le sotrama (minibus de transport collectif)… C’était une fierté vraiment tu vois ».
(Entretien avec Salah, Paris, mars 2010)

22En réalité, l’enjeu se situe sans doute moins dans la quantité d’argent et de biens rapportés au pays que dans le voyage en lui-même. Le fait de voyager constitue, en propre, un pouvoir symbolique fort. Pour des danseurs africains qui ont le plus souvent subi l’opprobre et le rejet de la part de leur entourage au moment du choix de la carrière artistique, le voyage représente le moyen de légitimer a posteriori leur engagement dans la pratique chorégraphique [15]. Ainsi, un danseur malien se souvient de son premier voyage en Italie en 2006 :

23

« Ouais, on est partis à quatre. Les quatre frères tu vois. Et puis on est revenus… toute la famille était fière de nous. Quand on est partis, ils ont dit à tout le monde : “Non mais attends, moi mon fils est parti en Europe”. Tu vois, ils se vantaient maintenant quoi, tu vois. Puis après, à peine revenus, les oncles eux-mêmes qui te disaient de ne jamais danser, ils sont venus prendre nos crédits (nous emprunter de l’argent) quoi, tu vois. Moi, mon oncle il est venu, il m’a demandé le crédit d’argent ! Bon… je l’ai regardé, j’ai jamais cru que c’est lui quoi. Il me dit : “Fiston viens ici”, je viens et puis il me dit : “Tu n’as pas un peu d’argent à me prêter là, demain tu passes à la maison”. Je lui ai demandé : “Tu veux combien ?” Il m’a dit la somme et puis après je lui ai donné en euro quoi, tu vois. J’avais que l’euro sur moi, je l’ai sorti il était étonné quoi. Bon donc… y’a quelque chose qui a changé quoi, tu vois… […] Depuis le jour qu’on a fait le premier voyage pour partir en Italie… après l’Italie, Allemagne […] Depuis lors on est venus (rentrés à Bamako) : ah là… les parents ils ont compris que non attends, il faut commencer à les regarder avec un œil quoi, tu vois (avec considération). Depuis lors maintenant, tu salues, on te répond ».
(Entretien avec Baba, danseur malien, Bamako, juin 2008)
Dans le même ordre d’idée, la chorégraphe qui dirige le centre de formation à Bamako se réjouit ainsi du succès rencontré par Salah et Aïssatou à Ouagadougou où ils ont présenté un spectacle :
« Ici le problème c’est qu’on t’adore seulement si tu as été d’abord adoré à l’étranger. Tiken (Jah Fakoly, un célèbre chanteur de reggae ivoirien) on l’adore ici, mais on ne l’adorait pas avant qu’il ne devienne célèbre en France. C’est pour ça que je suis contente pour Salah et Aïssatou, parce que les autres ils vont voir qu’ils voyagent, ils vont savoir qu’ils ont eu du succès, et ça, ça va leur apporter la reconnaissance de tout le monde : de leur famille et des autres danseurs. Aïssatou maintenant on va la traiter comme une princesse. Elle s’était fait jeter par sa troupe folklorique parce qu’elle est venue ici (au centre de formation). Maintenant ils sont tous en train de revenir vers elle. Salah ? Salah son oncle lui prête sa voiture alors qu’il ne la prête même pas à son jeune frère ! Son oncle il lui dit : (mimant le geste de remettre les clés de voiture) “Tiens, ce soir tu vas sortir avec les filles”. Le frère de Salah détestait Salah et maintenant il lui mange dans la main ».
(Journal de terrain, Bamako, février 2008)
Ces deux extraits ont en commun de souligner l’importance de l’expérience migratoire pour le statut symbolique des danseurs dans le cercle familial et professionnel. Le changement de regard porté sur les danseurs et la considération regagnée à l’issue du séjour à l’étranger se traduisent par la fierté affichée de la famille pour l’enfant parti en Europe, mais surtout, par le renversement dans la hiérarchie familiale que rend possible l’expérience migratoire. On comprend alors que le voyage constitue une étape décisive pour la carrière des danseurs en Afrique. Il permet de légitimer aux yeux de leur entourage l’entrée dans la danse contemporaine et par conséquent fonctionne comme la condition sine qua non de l’émergence d’une pratique artistique localement valorisée, et peut-être aussi d’une élite chorégraphique en Afrique.

L’épreuve du voyage

24La célébration des départs et arrivées des danseurs par la communauté locale ne doit cependant pas occulter ce qui se passe sur le sol européen. Les départs en fanfare de l’émigré et les arrivées célébrant le retour du fils prodigue encadrent aussi une expérience d’immigré. À l’inverse des migrations de sportifs marocains, faiblement encadrées institutionnellement, et qui obligent les coureurs qui l’investissent à recourir à un « réseau immigré » à leur arrivée en France (Schotté 2008 : 87), les mobilités des danseurs sont largement organisées et prises en charge par les programmes de coopération. Les lieux et événements qui accueillent les artistes africains constituent par conséquent un réseau dans lequel circulent des agents particulièrement dotés culturellement (programmateurs, directeurs de festivals, journalistes, etc.) et ouvrent sur des espaces géographiques et sociaux souvent éloignés des « réseaux migrants » mobilisés lors des migrations plus traditionnelles (Massey et al. 1993). Cette prise en charge particulière a un double effet sur la migration des danseurs : d’une part, elle la facilite et, d’autre part, elle s’accompagne de pratiques culturelles parfois en décalage avec celles des danseurs.

25« J’en ai marre de l’Europe. J’arrive pas à bien manger, j’arrive pas à bien fumer, je travaille comme un chien » sont les mots prononcés par Salah lors d’un moment d’abattement. Pour comprendre ce témoignage il convient de restituer le contexte dans lequel il a été prononcé. Nous achevons à Marseille la création d’un spectacle qui conduira les danseurs dans une grande tournée européenne. Nous sommes à ce moment-là en France depuis une quinzaine de jours. Toute l’équipe du spectacle est logée dans un gîte (ancien couvent) situé à quelques kilomètres du théâtre qui nous accueille, dans les quartiers nord de la ville. Plusieurs fois par jour, j’assure en minibus la liaison entre le théâtre et le gîte à proximité duquel on ne trouve aucun commerce. Le ravitaillement en cigarettes doit donc s’effectuer depuis le théâtre. Or, les horaires d’ouverture du bureau de tabac sont aussi ceux des répétitions des danseurs. Les défraiements étant versés au compte-gouttes, il leur est difficile de s’approvisionner pour plusieurs jours, ce qui mène régulièrement à des périodes de pénurie. S’agissant de la nourriture, la restauration est au début de notre séjour commandée auprès d’un traiteur local, mais les menus concoctés sur la base de la cuisine française se révèlent très vite inadaptés aux pratiques alimentaires des danseurs africains : portions trop réduites au regard de l’effort physique nécessaire à leur activité, plats contenant du porc ou éloignés de leur goûts et pratiques alimentaires. Difficultés pour se procurer des cigarettes (a fortiori celles qui sont consommées au pays) et de se nourrir selon ses habitudes alimentaires ne sont que deux exemples parmi d’autres de l’isolement dans lequel se trouvent les danseurs lorsqu’ils investissent les espaces du réseau de coopération culturelle. La localisation du gîte reflète bien sûr d’abord un isolement géographique, mais plus largement, elle témoigne de l’« isolement culturel » dans lequel se trouvent les danseurs. La rupture avec les pratiques africaines se fait d’autant plus sentir qu’elle ne trouve pas à s’apaiser auprès d’autres migrants. Pour des raisons historiques et sociales évidentes, la cartographie du réseau de coopération culturelle en France ne croise qu’occasionnellement celle des réseaux de migrants africains. À l’instar des « self-made-migrants » dont Mahamet Timera décrit les trajectoires « hors ou en marge des réseaux migratoires communautaires efficients » (2009 : 185), les danseurs se trouvent coupés des réseaux familiaux ou communautaires qui sont aussi des lieux de sociabilité africaine dans lesquels ils peuvent trouver pour un temps à conjurer le mal du pays (Poiret 1997). Cet isolement rend d’autant plus difficiles les autres épreuves qui sont les leurs.

26L’investissement dans le réseau des institutions culturelles françaises engage souvent les danseurs, au-delà de la seule représentation d’un spectacle, à participer à des événements mis en place dans le cadre des opérations d’« action culturelle » prévues par les théâtres ou les festivals en marge de leur programmation. En général, ces opérations ont pour vocation d’amener le public à accéder à une meilleure compréhension des œuvres qu’il a vues, et la rencontre organisée entre les artistes et le public à l’issue d’une représentation en est une forme largement répandue. Ce type de rencontre est chose aisée pour un chorégraphe rompu à l’exercice de production d’un discours intellectuel sur son travail – à toutes les étapes du travail de création, les chorégraphes sont amenés à construire ce discours : au moment de la rédaction des dossiers artistiques joints aux demandes de subventions, au moment des entretiens avec les journalistes, etc. – mais il a tout d’une épreuve culturelle pour des interprètes qui manient avec difficulté la langue française et dont la participation à la pièce est souvent déconnectée des questionnements esthétiques auxquels le chorégraphe a pu se livrer au moment de la création. Au cours de l’enquête, Salah m’explique ainsi que la chorégraphe lui fait faire des simulations d’entretien en prévision des rencontres chorégraphiques au cours desquelles il devra présenter (verbalement) son solo devant les autres artistes de la compétition et un parterre de professionnels du spectacle :

27

« Elle me fait faire des interviews pour mon solo pour pas que je dise n’importe quoi. Mais c’est trop difficile quoi. Des fois elle me corrige, elle reprend ce que je dis avec des mots trop compliqués quoi. Jamais je pourrai me souvenir de tout ça devant un journaliste. De toute façon j’aime pas du tout les interviews ».
(Journal de terrain, Bamako, avril 2008)

28Le métier de danseur ne se résume pas à l’acquisition et à la mise en œuvre de compétences corporelles. Le parcours est aussi jalonné d’expériences qui nécessitent des compétences linguistiques. Au cours des périodes de diffusion des spectacles, il faut être en mesure de parler de son travail à des journalistes, à des institutionnels, ou au public. Dans les phases de formation ou de création, les danseurs doivent partager leur expérience avec le chorégraphe ou le formateur qui mène l’atelier. Pendant le stage de formation que j’ai suivi à Ouagadougou, aux exercices corporels succédait systématiquement un temps de « débriefing » au cours duquel les danseurs étaient invités à exprimer la manière dont ils avaient vécu ceux-ci. Salah, qui n’a été que très brièvement scolarisé, est conscient que son niveau de français est insuffisant pour pouvoir se plier de façon satisfaisante à ce type d’exercice :

29

« Y’a personne qui parle mieux le français que Jason (danseur ivoirien participant au stage) […] Si je parlais bien comme lui, j’allais dire plein de trucs. Ou si c’était en bambara, oui, mais là en français… Y’a plein de trucs que je veux dire mais je peux pas quoi ».
(Journal de terrain, Ouagadougou, décembre 2009)

30Produire un discours dans les formes imposées par le marché linguistique dans le champ artistique (c’est-à-dire en particulier en respectant un certain lexique, en montrant des capacités d’abstraction – ne pas s’en tenir seulement à la thématique de l’œuvre – en usant de références artistiques ou intellectuelles) s’avère le plus souvent difficile pour les danseurs africains. Le décalage entre leurs compétences linguistiques et le capital culturel conforme aux exigences du champ artistique dans toutes les pratiques « hors scènes » (rencontres, conférences, entretiens…) se résout le plus souvent dans une faible participation à ces pratiques. Mais comme le note Anne-Catherine Wagner pour les classes supérieures, « le voyage est un dispositif d’apprentissage international » (2007 : 59). Incontestablement, au fil des voyages, les danseurs améliorent leur niveau de français – Salah m’a par exemple sollicitée pour que je lui fasse faire des dictées – voire même apprennent les rudiments d’une langue supplémentaire (anglais, italien…). Plus généralement, une socialisation progressive aux codes propres au champ artistique est ainsi susceptible de réduire la distance linguistique et plus largement culturelle à laquelle sont confrontés les danseurs, et partant, de rendre les voyages moins éprouvants, moins violents symboliquement.
* * *
Dans un texte récent, Alain Tarrius suggère que l’expérience migratoire caractérisée par une présence longue sur un territoire, « situe [les populations] face aux institutions et aux normes de chacune des nations abordées, et exige parfois un parcours d’acculturation, voire d’intégration ». À l’inverse, « la traversée, le transnational, serait davantage susceptible de les affranchir d’un lien de dépendance ou de connivence trop exclusif vis-à-vis de telle ou telle nation » (2009 : 43). Cette distinction, qui va dans le sens de la typologie américaine qualifiant de « non-immigrants » les catégories de personnes qui séjournent sur le territoire américain pour une durée limitée – moins de trois mois – (Garson et Thoreau 1999 : 16), gagne à être nuancée. L’exemple des voyages des danseurs contemporains africains suggère en particulier de questionner une catégorie comme la durée du séjour pour comprendre les liens entre les migrants et les territoires qu’ils traversent. Dans le cas de ces mobilités artistiques entre l’Afrique et l’Europe, la « traversée » n’implique pas nécessairement l’affranchissement du lien aux institutions. Si le voyage en lui-même peut ne durer que quelques semaines, il est en réalité conditionné par l’inscription au long cours des danseurs africains dans le réseau des institutions européennes de la coopération culturelle et les divers agents d’un champ chorégraphique dont les règles sont fixées au Nord. Jouer quelques heures dans un théâtre parisien avant de s’envoler pour un festival en Allemagne et de repartir pour l’Afrique est une expérience migratoire certes brève, mais qui demande en réalité un investissement durable des danseurs dans des espaces sociaux auxquels ils doivent s’adapter. Ainsi, la mobilité des artistes africains demande à être appréhendée à la fois en prenant en compte ses spécificités (en termes de temporalité et de réseaux empruntés notamment) et en tant qu’expérience migratoire – certes exceptionnelle à plusieurs titres – qui n’affranchit pas les danseurs des rapports de domination qui structurent d’autres formes plus traditionnelles de migrations.

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Date de mise en ligne : 15/06/2011.

https://doi.org/10.3917/gen.082.0120

Notes

  • [1]
    Le récent dossier de la Revue européenne des migrations internationales (2009), intitulé « Créations en migrations », constitue à ce titre une exception notable. Les différentes contributions mettent en effet en évidence le poids des expériences migratoires des acteurs du monde culturel dans les processus de création artistique.
  • [2]
    Sans pouvoir procéder à une analyse poussée de ces espaces d’émigration et d’immigration, il convient néanmoins de préciser que les politiques menées par les ministères de la Coopération et des Affaires étrangères dans le domaine de la culture au lendemain des indépendances africaines ont contribué dans un premier temps à structurer les échanges artistiques entre la France et ses anciennes colonies, mais aussi avec de nombreux autres pays d’Afrique (notamment anglophones). La circulation des danseurs africains, initialement organisée autour des partenaires institutionnels de la coopération culturelle française, s’est élargie dans un second temps à la faveur de la mobilisation des réseaux personnels des danseurs, d’une part, et de l’apparition de programmes de coopération encourageant les projets d’échanges à l’échelle européenne, d’autre part. Cet élargissement progressif de la géographie des échanges culturels contribue à créer des espaces de référence globalisés : pour les institutions françaises et européennes, il s’agit de mener des projets « avec l’Afrique », pour les danseurs africains, il s’agit d’aller « en France », « en Europe », « au Nord » ou encore « chez les Blancs ».
  • [3]
    Plusieurs centres de formation à la danse contemporaine ont ouvert leurs portes en Afrique au cours de la précédente décennie : Toubab-Diallaw au Sénégal, Bamako au Mali, Ouagadougou au Burkina Faso, Nairobi au Kenya pour ne citer que les principaux. Un important réseau de festivals irrigue le reste de l’Afrique : Maroc, Tunisie, Bénin, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, Mali, Sénégal, Cameroun, Congo-Brazzaville, Gabon, Kenya, Rwanda, Afrique du Sud, Madagascar. Les chorégraphes africains à l’origine de ces initiatives sont le plus souvent issus des couches sociales favorisées et/ou ont été formés à la danse contemporaine en Europe avant de rentrer au pays. À Bamako, comme dans la plupart des centres cités plus haut, la formation s’organise autour d’ateliers pluriannuels (de quelques semaines à plusieurs mois) et d’événements chorégraphiques ponctuels (festivals, créations, etc.). Ces ateliers de formation réunissent des effectifs d’une vingtaine de danseurs – essentiellement des hommes.
  • [4]
    Les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien « Danse l’Afrique danse ! », initiées en 1995 par l’association Afrique en créations (aujourd’hui département de CulturesFrance), sont une biennale panafricaine de danse contemporaine. À la fois concours chorégraphique et plate-forme de diffusion de la création africaine contemporaine, cette manifestation est aussi souvent un espace de formation pour les plus jeunes danseurs. Désormais itinérante, elle est coorganisée et mise en œuvre par CulturesFrance et les opérateurs culturels africains du pays d’accueil du festival (la septième édition en 2008 s’est tenue à Tunis ; la huitième devrait voir le jour en novembre 2010 à Bamako). Le concours constitue un tremplin important pour les lauréats qui accèdent à une programmation à l’échelle internationale. Certaines compagnies lauréates sont aujourd’hui bien insérées dans le champ chorégraphique : Cie Salia nï Seydou (Burkina Faso), Cie Gaara (Kenya), Cie Rary (Madagascar), Cie Kettly Noël (Mali), Cie Premier Temps (Sénégal), par exemple.
  • [5]
    Parmi ces bailleurs de fonds, on recense la Commission européenne, la coopération culturelle française, les centres culturels français (CCF), l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), l’association suisse de coopération Helvetas, et plus marginalement le Bureau de la coopération suisse (Buco), l’association belge de coopération Africalia, ainsi que les coopérations canadienne et allemande.
  • [6]
    L’émergence d’une danse contemporaine en France doit beaucoup à ce que Pierre-Emmanuel Sorignet appelle l’« import-export » artistique (2001 : 22). En particulier, les migrations de chorégraphes d’avant-garde allemands et américains en France dès les années 1930 et l’émigration d’artistes français aux États-Unis ont contribué à structurer un espace de diffusion de la danse contemporaine de fait centré sur l’Europe et l’Amérique du Nord.
  • [7]
    « Itinéraires 2009 », Dossier de presse annuel de CulturesFrance http://www.culturesfrance.com/evenement/Danse-l-Afrique-danse-a-Tunis/evpg560.html (consulté le 24 mars 2010).
  • [8]
    Poursuivant les objectifs promus par la Conférence mondiale sur les politiques culturelles organisée à Mexico en 1982, Jacques Pelletier, ministre de la Coopération et du Développement, initie en 1990 les rencontres « Afrique en Créations » intitulées : « Création artistique, dialogue des cultures, développement : les enjeux de la coopération culturelle ». Sur le programme envoyé aux participants, on peut lire : « Organisées à l’initiative de M. Jacques Pelletier, ministre de la Coopération et du Développement, pour témoigner de la vitalité de la création artistique en Afrique et de l’importance de la dimension culturelle du développement, ces Rencontres sont nées d’une réflexion sur les besoins de la création contemporaine et d’une volonté de favoriser toutes les expressions culturelles. En effet, les créateurs sont les acteurs irremplaçables du développement, les porte-parole incarnant l’esprit critique indispensable à la prise en charge par tous des composantes culturelles des sociétés. Les rencontres Afrique en créations marqueront une étape essentielle de cette réflexion, en mettant en lumière le dialogue culturel et les différents modes de la création, dans leur lien avec l’œuvre de développement entreprise par les Africains et leurs partenaires français » (Rencontres Afrique en créations, 1990 : 15). Nous soulignons.
  • [9]
    Pour préserver l’anonymat des enquêtés, nous avons recours à l’usage du pseudonyme.
  • [10]
    Les propos entre guillemets suivis de la mention « journal de terrain » sont des extraits d’entretiens informels, non enregistrés. S’ils ne peuvent pas être interprétés de manière littérale, ils reprennent relativement fidèlement la parole des enquêtés dans la mesure où ils ont été reconstitués soit immédiatement après l’échange, soit à l’issue de chaque journée d’enquête.
  • [11]
    Le directeur du centre culturel français de Bamako m’a confirmé en entretien avoir été contraint à plusieurs reprises de contacter personnellement le consul et/ou l’ambassadeur de France au Mali afin d’obtenir des visas pour certains danseurs.
  • [12]
    « Circulation des artistes : État des lieux », débat organisé par Zone Franche le 11 mai 2008 au festival d’Angoulême « Musiques métisses ».
  • [13]
    Il existe notamment à Paris un marché des cours de danses traditionnelles africaines relativement important. Isabelle Lefèvre (1986) répertorie une trentaine de centres parisiens où sont enseignées les danses « afro », cumulant près de cent quarante cours hebdomadaires. Sans être en mesure d’actualiser ce répertoire, on peut toutefois postuler que l’inauguration en 1998 du Centre de danses pluri-africaines témoigne de la pérennité de ce marché. Créé par le chorégraphe ivoirien Georges Momboye, cet espace est un centre de formation aux danses africaines traditionnelles et afro-contemporaines situé dans le 20e arrondissement de Paris. Il propose une grande variété d’enseignements : cours de « danses traditionnelles » du Cameroun, du Congo, de Côte-d’Ivoire, de Guinée, du Mali et du Sénégal, ainsi que des cours de danses « Afro-brésilien », « Afro-jazz » et « Afro-contemporain », soit une cinquantaine de cours dispensés chaque semaine. Les stages de danse africaine organisés par mes enquêtés au moment de leurs séjours en France s’inscrivent le plus souvent dans des réseaux déjà constitués de cours de danses traditionnelles. Ainsi, lorsque Salah se rend en France, c’est son cousin, danseur immigré et enseignant au centre Momboye, qui organise pour lui des stages de danse africaine. Salah bénéficie par ce moyen de locaux adaptés à la pratique de la danse et surtout du public captif des élèves du centre.
  • [14]
    Une partie de ces biens est parfois consacrée à la revente, activité qui s’apparente alors à ce que Michel Peraldi a appelé le « commerce à la valise » (2001).
  • [15]
    Si la danse est une pratique très largement partagée par la population africaine, son usage est traditionnellement circonscrit à certains événements sociaux : mariages, baptêmes, cérémonies de circoncision et autres fêtes. Dans un contexte urbain comme Bamako, les manifestations lors desquelles les jeunes trouvent des occasions de danser excèdent pourtant largement ces rituels : on danse dans les « balani » ou « bals poussière » (fêtes dansantes organisées dans la rue), dans les « maquis » (bars de nuit), lors des fêtes de fin d’année de certains établissements scolaires, lors des concours interquartiers (compétitions entre troupes des quartiers et communes de Bamako), dans les clips des vedettes maliennes, pour des concours télévisés, en boîtes de nuit… Paradoxalement, alors que les occasions et les lieux réservés pour danser se multiplient, les entretiens montrent que la danse, lorsqu’elle est pratiquée en dehors des événements traditionnels, est sévèrement réprimée par l’entourage des danseurs. Les jeunes que j’ai interrogés font état des insultes et des châtiments corporels reçus de la part de leur père, leurs oncles ou leurs frères aînés. Certains ont même pu être chassés du foyer familial. De manière générale, la danse contemporaine est perçue par les familles comme un milieu déviant : « bons à rien », « voleurs », « femmelettes », ou encore « paresseux » sont quelques-uns des qualificatifs attribués aux danseurs par leur famille, qui manifeste par ailleurs certaines inquiétudes à l’égard de l’alcool, la drogue et l’homosexualité.
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