Genèses 2010/2 n° 79

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Article de revue

Les préfets ne sont pas des collègues. Retour sur une enquête

Pages 116 à 134

Notes

  • [1]
    Au sens strict, Jean-Baptiste Boissonnet n’est pas historien mais juriste : cet ouvrage est sa thèse « pour le doctorat de sciences politiques et économiques ». Sa démarche n’en est pas moins très représentative des pratiques historiennes de la même époque.
  • [2]
    Archives nationales (par la suite AN), BB18 1414. Rapport du Procureur général de Colmar au ministre de la Justice le 9 septembre 1847.
  • [3]
    Après quoi, l’absence d’enquêtes importantes à l’échelle nationale contraint généralement les historiens à se rabattre sur les résultats électoraux, censitaires : l’opinion mesurée ne possède plus alors les mêmes limites sociales.
  • [4]
    Questionnaire reproduit dans Karila-Cohen 2008 : 124-126.
  • [5]
    AN, BB30 238. Lettre du procureur général Fouquet au sous-secrétaire d’État à la Justice, le 27 mars 1820.
  • [6]
    AN, F 1c I 14-23, Brouillon de lettre aux préfets, non signée, mais que l’on peut très probablement attribuer à Guizot (Karila-Cohen 2008 : 139, n. 112).
  • [7]
    AN, F7 6772. Rapport du préfet du Tarn au ministre de l’Intérieur le 23 février 1830.
  • [8]
    Archives départementales des Yvelines, 4 M 32. Rapport du sous-préfet d’Étampes au préfet de Seine-et-Oise, le 2 mars 1836.

1En 1980, dans un article intitulé « Thucydide n’est pas un collègue », Nicole Loraux démonta avec malice et profondeur les pratiques historiennes d’utilisation de La guerre du Péloponnèse. Parce qu’il possède la forme d’un discours rationnel mettant en valeur les causes et les conséquences des événements traités, parce qu’il présente l’apparence d’une enquête déjà menée à bien, ce qu’il est en partie, le récit de Thucydide était souvent spontanément considéré par les historiens de l’Antiquité comme l’œuvre d’un pair dont la seule originalité, à peine remarquée, était d’avoir vécu vingt-cinq siècles plus tôt. Cette proximité suscitait en toute confiance des emprunts massifs, si bien que ce récit servait généralement « de canevas à tout exposé des événements de la guerre du Péloponnèse » (Loraux 1980 : 68). Elle était aussi à l’origine d’amicales critiques à propos de telle ou telle « omission » de l’Athénien. Une telle absence de mise à distance empêchait une véritable compréhension du texte de Thucydide et de ce qu’il dit, entre autres, de l’écriture de l’histoire au ve siècle.

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« Un jour vient (devrait venir) inévitablement, écrivait Nicole Loraux, où, renonçant à la répétition formulaire du discours du maître, ceux-là mêmes qui, au nom de la raison historique, adoptaient sans discuter des catégories grecques, refusent de se contenter d’un document tout prêt et rendent l’Histoire de Thucydide à son statut de texte, prenant de ce fait assez de recul pour la constituer en document : dès lors le travail historique n’est plus “déjà fait”, il est à inventer ».
(ibid : 70)

3Pour des raisons évidentes de profusion des traces écrites, aucune œuvre individuelle ne possède pour l’époque contemporaine la place et le statut du texte de Thucydide. Mais il est un texte collectif, tout aussi « rationnel » et tout aussi familier à l’historien des xixe et xxe siècles que La guerre du Péloponnèse l’est à celui de l’Antiquité, qui produit chez lui le même sentiment spontané de proximité et qui possède dans l’historiographie exactement le même empire, visible et invisible : il s’agit des rapports administratifs, surtout préfectoraux, régulièrement envoyés à Paris afin de faire connaître aux gouvernements successifs la situation de « l’opinion » dans les départements. Pour réutiliser le terme employé par N. Loraux, on peut dire de ces rapports qu’ils constituent le « canevas » du récit politique du xixe siècle. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux notes de bas de page de toute l’historiographie ancienne ou plus récente et d’y constater la profusion des renvois aux cartons des séries qui contiennent ces rapports, essentiellement F 1c III, F7 et BB30 aux Archives nationales, ainsi que M. dans les dépôts départementaux.

4J’ai cherché à montrer ailleurs qu’il était important de se défaire d’une approche purement utilitariste de ces milliers de rapports : pour vraiment les comprendre, il est nécessaire de les considérer comme les résultats d’enquêtes, commandées à un moment donné pour certaines raisons, réalisées selon des modalités particulières et porteuses de représentations spécifiques, ancrées dans un monde qui n’est pas le nôtre (Karila-Cohen 2000, 2008). Il ne s’agit donc pas de le répéter ici, d’autant plus que l’attention aux modalités concrètes de construction des documents de l’historien, mise en avant par quelques études pionnières (Gille 1964 ; Perrot 1972 ; Le Clère et Wright 1973 : 51-60 ; Perrot 1977 ; Bourguet 1989) fait aujourd’hui l’objet de réflexions de plus en plus poussées (parmi de multiples titres : Corbin 1998 : 248-254 ; Chauvaud et Petit 1998 ; Anheim et Poncet 2004), de même que s’impose dans les sciences sociales la conscience de l’intérêt d’une « observation historique du travail administratif » (Buton 2008). À partir de ces bases, je voudrais approfondir ici la question des usages historiens du rapport administratif sur les questions d’opinion : démontrer d’abord la forte contiguïté entre le travail des historiens et celui des préfets, fondée sur des similitudes de position et de démarche et dont les effets sont visibles dans l’historiographie concernant le xixe siècle ; proposer ensuite une utilisation différenciée de ces rapports selon la place de leur scripteur dans la chaîne de la surveillance. Il ne s’agit donc pas ici d’insister sur la canonique critique des sources, mais de contribuer à appeler à une forme de décolonisation de l’imaginaire de l’historien, trop souvent prisonnier des catégories produites dans et par les documents qu’il utilise, et surtout de réfléchir aux conséquences pratiques de cette nécessaire déconstruction. Que peut-il exister au-delà de la critique ?

L’historien, l’administrateur et l’opinion

5Les milliers de rapports sur « la situation morale et politique », « l’état des esprits », « l’esprit public » ou encore « l’opinion publique » rédigés au xixe siècle par les préfets, les sous-préfets, les procureurs généraux ou encore les officiers de gendarmerie possèdent bien des traits susceptibles d’attirer l’attention des spécialistes, passés et présents, de ce siècle. Ils comprennent en effet de longs développements, parfois très fins, sur la répartition des diverses opinions dans le ressort observé, sur la force du libéralisme, du républicanisme ou du légitimisme dans tel groupe socioprofessionnel, sur les fondements historiques ou religieux de telle préférence partisane. De là, la pratique récurrente dès le début du xxe siècle, si ce n’est plus tôt encore, consistant à prélever tout ou partie de ces dissertations préfectorales pour en faire le cœur du discours historique sur l’opinion dans tel ou tel département. Il s’agira bien sûr de raboter ce qui relève de la « subjectivité » du scripteur – parfois un affreux préfet ultra… – de passer sur ses « digressions » et, en bonne méthode, de recouper ces informations avec celles collectées par ailleurs mais, malgré tout, parce que l’historien tente de répondre aux mêmes questions que celles posées aux préfets, le rapport à contenu politique constituera souvent la base de son enquête et se situera au fondement de sa connaissance des tempéraments politiques dans telle préfecture à tel moment.

6Faire comprendre la fortune de cette conception implicite du rapport préfectoral comme « pré-travail » de l’historien – un rapport qu’il n’aura plus, en quelque sorte, qu’à améliorer – nécessite de s’appuyer sur des exemples précis, saisis à des moments différents du développement de l’historiographie. Pour ce faire, on utilisera les ouvrages respectifs de Jean-Baptiste Boissonnet (1924), Jean Vidalenc (1952) et Pierre Lévêque (1983). Au fil du temps, une sorte de séparation s’opérera entre le discours historien et le discours préfectoral, mais l’emprise des formes et des temps du rapport sur l’historiographie demeurera assez forte dans des plis moins visibles du texte. Le premier moment est celui de la superposition entre les deux discours. Dans Le Bourbonnais sous la seconde Restauration. L’esprit public, J.-B. Boissonnet propose ainsi une analyse qui ressemble trait pour trait à celle d’un préfet. Dès la lecture du titre, l’usage de l’expression « esprit public » le situe dans un univers conceptuel commun avec les administrateurs du siècle précédent : il s’agit, et c’est exactement la question posée aux préfets de ce régime, de mesurer par différents signes le degré d’adhésion des habitants de l’Allier au retour, puis au règne des Bourbons. Le corps du texte confirme cette première impression. Les appréciations générales de l’historien [1] ne dépareraient pas, en effet, en 1820. « Si le caractère du paysan bourbonnais le porte à accepter avec empressement les idées libérales, écrit-il ainsi, son apathie et son indolence l’éloignent de tout mouvement politique grave » (Boissonnet 1924 : 24). Ou, plus loin : « Le paysan bourbonnais est naturellement indolent et pacifique : ses idées s’accordent avec sa physionomie » (ibid. : 168). On retrouve dans ces phrases, semblables à des milliers d’autres sous la plume de préfets, non seulement le projet général des enquêtes politiques du xixe siècle qui consiste à chercher à caractériser le « naturel » politique de tel ou tel espace, mais aussi un socle de représentations communes avec le siècle précédent, ici sur les paysans. Le fait que J.-B. Boissonnet écrive une histoire manifestement républicaine, inversée de celle des préfets de la Restauration, ne change rien à l’affaire : son questionnaire et une partie de ses réponses sont les mêmes que ceux du siècle qu’il étudie. Plus que tout peut-être, le plan de l’ouvrage témoigne d’une démarche commune. Après une introduction développant les effets sur le département des événements de 1814-1815, la première partie est en effet consacrée aux « diverses influences » qui s’exercent sur l’esprit public (chapitre i : « L’administration départementale et communale » ; chapitre ii : « Le clergé » ; chapitre iii : « L’armée »), puis une seconde est intitulée « Esprit public et élections ». On retrouve tout simplement là le type de plan suivi par les préfets de la monarchie constitutionnelle dans leurs rapports mensuels, trimestriels et annuels, de même que leur vision de l’esprit public comme matière malléable, soumise à des influences diverses et contradictoires. Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Bien au contraire, l’ouvrage de Jean-Baptiste Boissonnet est très représentatif de l’historiographie du xixe siècle politique écrite des années 1910 aux années 1930 environ (par exemple Perrin 1913 ; Contamine 1932 ; Ponteil 1932), dans laquelle la communauté de vue des auteurs de ces études et des préfets du xixe siècle peut mener les premiers à une véritable paraphrase des seconds. « L’Alsacien est essentiellement ami de l’ordre », écrivait ainsi le procureur général de Colmar en 1847 [2] ; « Libéral, l’Alsacien l’est, à n’en pas douter, mais dans l’ordre, la discipline », écrit encore l’historien Félix Ponteil (1932 : 2), qui a nécessairement lu celui-ci.

7Vingt ou trente ans plus tard, l’étude de Jean Vidalenc sur l’Eure, publiée dans la « Bibliothèque d’histoire économique et sociale » dirigée par Georges Bourgin, Édouard Dolléans et Ernest Labrousse, témoigne d’une superposition moins nette avec le récit préfectoral. Elle est fortement adossée sur lui mais ne le duplique plus. La composition chronologique de l’ouvrage et la place consacrée à la « vie économique et sociale » éloigne cet épais volume de la forme généralement prise par les rapports préfectoraux sur l’opinion. On n’y trouve pas d’affirmations naturalisantes sur le caractère politique de l’habitant de l’Eure. Toutefois, tout comme les préfets dont il utilise les rapports, J. Vidalenc est habité par le projet d’établir l’état exact de l’opinion publique dans l’Eure entre 1814 et 1848 et d’en traquer les manifestations, comme le montrent de nombreux titres de parties ou de sous-parties. Utilisant le même type d’indicateurs que les administrateurs – la participation aux cérémonies publiques, la réaction aux événements politiques d’importance, le nombre des adresses envoyées au roi à telle ou telle occasion… – il place son analyse dans un double rapport de validation et de rivalité avec celles des préfets et des sous-préfets. Pour tout dire, il traite ceux-ci comme des pairs, approuvant telle analyse, redressant telle erreur ou prolongeant tel raisonnement jusqu’à son terme. Le passage suivant, qui concerne l’action politique des libéraux de l’Eure dans les années 1821-1822, illustre bien la manière dont progresse son texte :

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« Leurs efforts semblaient vains, et le sous-préfet de Bernay, rendant compte de l’état d’esprit lorsqu’était parvenue la nouvelle d’un attentat contre Louis XVIII se félicitait qu’on n’eût pas observé “…des joies féroces qui ont quelquefois été reconnues dans d’autres circonstances pénibles et malheureuses…” Cette constatation, il est vrai, pouvait signifier bien autre chose qu’un ralliement à la monarchie bourbonienne : la disparition du duc de Berry, seul Bourbon en âge d’avoir des enfants, réjouissait les adversaires de la dynastie, mais ceux-ci, considérant Louis XVIII comme un moindre mal, le préféraient au comte d’Artois. L’indifférence pour le baptême du duc de Bordeaux, le caractère administratif des souscriptions recueillies dans les villes pour lui offrir le château de Chambord, montrèrent que l’opinion publique n’en était plus aux épanchements royalistes de 1814 ou même de 1820 ».
(1952 : 213)

9Là où le sous-préfet semble se féliciter de l’absence d’hostilité au régime des habitants de l’Eure, l’historien perçoit des formes d’indifférence plus dangereuses encore dont il prouve l’existence en note en s’appuyant sur d’autres sources, essentiellement d’autres rapports, émanant de la gendarmerie et de la préfecture. Malgré cette différence – que, par provocation, on pourrait qualifier de fonctionnelle : le sous-préfet est garant du calme de son arrondissement et a tendance à minorer les signes négatifs, mais l’historien sait bien, lui, que la Restauration chutera dix ans après dans l’indifférence du pays – l’un et l’autre parlent le même langage et puisent au même régime de preuves.

10Surtout, quelles que soient les précautions prises par Jean Vidalenc, son degré de confiance envers les analyses préfectorales demeure en définitive très élevé. En témoigne à la fin du livre, au milieu d’autres planches concernant les réseaux de transports ou les émeutes frumentaires durant la période, une carte assez étonnante de « l’opinion en 1816 d’après les rapports administratifs », où chaque canton, hachuré ou non, reçoit une désignation politique, « ultraroyalistes », « royalistes modérés » et « opinions mélangées », tandis que les « centres d’opposition » – Pont-Audemer, Evreux…. – sont marqués d’un triangle (voir document 1). De même, une autre carte sur « l’opinion publique en 1833 » est établie non seulement sur les résultats des élections au conseil général, mais aussi sur « les rapports de police », J. Vidalenc voulant sans doute, par cet ajout, dépasser les limites étroites du corps électoral et atteindre « l’opinion » de toute la société départementale. Cette « amélioration » – en réalité une extension des limites sociales de la notion d’opinion due au fait que J. Vidalenc est un homme du xxe siècle, qui plus est socialiste – ne doit pas cacher l’essentiel ici, à savoir que par ces cartes, l’historien fait siens les résultats des enquêtes préfectorales, qu’il ne peut plus nuancer par des mots. Les écrits des préfets sur les opinions des différents cantons posséderaient donc le même degré de réalité que l’évolution du tracé des axes de communication.

Document 1

Carte des opinions dans l’Eure en 1816 d’après Jean Vidalenc (1952). © DR.

Document 1

Carte des opinions dans l’Eure en 1816 d’après Jean Vidalenc (1952). © DR.

11Ce faisant, J. Vidalenc réutilise sans les discuter, sans doute parce qu’elles lui semblent évidentes, des catégories propres aux enquêtes politiques du xixe siècle, aussi bien en termes d’échelle de saisie de l’opinion – celle-ci respecte les limites administratives, du canton au département – que de taxinomie des sensibilités politiques, récupérée en droite ligne des rapports de la monarchie de Juillet. Par exemple, sa carte de « l’opinion en 1833 » reproduit, en la simplifiant, la tripartition proposée par des circulaires ministérielles de novembre et décembre 1833 entre les opinions « gouvernementales », « démocratiques » et « légitimistes ». De même, il apparaît prisonnier d’une temporalité qu’il ignore, la chronologie des enquêtes productrices de ses sources, enquêtes qui sont loin de se couler dans des flux réguliers. Cette remarque, comme d’ailleurs celles qui précèdent, dépasse de loin le seul cas de l’ouvrage de J. Vidalenc : l’historiographie sur les aspects politiques de la Restauration et la monarchie de Juillet, du début du xxe siècle à nos jours, est généralement marquée par des stations régulières à des moments clefs, qui le sont sans doute au moins autant parce qu’ils correspondent à des temps de forte intensité de l’enquête politique que pour leur importance dans le déroulement du régime.

12Ces stations sont les suivantes : les années 1814-1818, 1820-1822, 1827-1830 et 1832 à 1835. À chacune de ces dates correspondent des rapports émanant de tel ou tel acteur et approchant l’opinion selon un biais spécifique, tour à tour utilisés. Par exemple, les monographies départementales utilisent systématiquement, pour la fin de la Restauration, les rapports préfectoraux contenus dans les cartons F7 6767 à 6772 et consacrent de la même manière qu’eux, comme s’il devait forcément en être ainsi, des développements aux ventilations des opinions selon les groupes professionnels, en détaillant en particulier les cas de l’armée et de la magistrature, ce qui est strictement la question posée dans les circulaires du ministère de l’Intérieur entre 1827 et 1830. L’accès à la situation de l’opinion semble ensuite devoir nécessairement passer par l’attention au nombre d’abonnements aux journaux des différentes tendances (1832-1833), puis par une focalisation sur les résultats des élections des conseillers généraux (1833), avant de revenir à des indicateurs plus divers trouvés dans des rapports préfectoraux à nouveau généraux (1834-1835) [3]. Cette succession correspond strictement à celles des modalités d’enquête choisies durant ces années. Morphologiquement, les notes de bas de page des récits politiques de la Restauration et de la monarchie de Juillet se succèdent donc avec régularité d’un ouvrage à l’autre, des références aux cartons F 1c III et F7 9000 env. pour les premières années, très bien pourvues, à celles des séries M. des dépôts départementaux pour les rapports trimestriels des années 1834-1835. Cette donnée caractérise aussi des ouvrages plus récents, par exemple Une société provinciale. La Bourgogne sous la monarchie de Juillet, de Pierre Lévêque, paru en 1983, dont les pages consacrées à la formation des grandes tendances politiques de 1814 à 1834 suivent l’ordre rituel (pp. 465-504). Dans ce cas comme dans d’autres, le lecteur aguerri peut avoir l’impression d’assister à une pièce de théâtre où apparaissent un à un les protagonistes de la surveillance dans des rôles figés, comme appris par cœur. Dans l’ordre viendront le préfet, le commissaire du roi, le commissaire spécial ou général, le gendarme, puis de nouveau le préfet. Pour les années du Second Empire et des débuts de la IIIe République, où les séries préfectorales et judiciaires sont bien conservées et classées, la pièce comportera d’un bout à l’autre deux personnages principaux : le préfet et le procureur général (par exemple Dupeux 1962), dont les voix porteront davantage que pour les années de la monarchie de Juillet non pas seulement pour des raisons de conservation, mais parce que le pouvoir impérial systématise la tenue d’une correspondance politique, en accroît la fréquence et veille avec une plus grande sévérité à la discipline de ses agents en la matière.

13On peut bien sûr rétorquer qu’il ne s’agit là que d’un banal effet de sources et que l’historien se meut forcément dans un paysage documentaire déjà formé. On peut aussi dire que les moments ministériels et préfectoraux de l’observation ne sont pas aberrants, pas plus d’ailleurs que les catégories d’analyse utilisées. Par exemple, la tripartition opérée dans les enquêtes de 1833 entre opinions ministérielles, démocratiques et légitimistes correspond effectivement aux divisions politiques, et tout simplement électorales, de ce temps. C’est bien là toutefois que réside le problème : dans l’illusion de familiarité qui porte l’historien à croire qu’il parle le même langage. Tout est là, certes, pour le confondre : l’objectif, déjà présent en 1820, d’analyser l’opinion ; les moyens choisis pour le faire, c’est-à-dire la recherche de traces menant à la réalité des choses ; et les constructions intellectuelles élaborées en amont et en aval de cette recherche, puisque les préfets et leurs ministres bâtissent des catégories de saisie du monde, de la même manière que les historiens du social. C’est oublier un peu vite que l’écriture de ces rapports procède d’une commande ministérielle et qu’ils sont écrits dans la haute conscience qu’ils font partie d’un échange obligé avec un supérieur hiérarchique. C’est oublier aussi que leurs auteurs possèdent leur propre grille de compréhension du monde, enracinée dans leur temps, et qu’ils ne comprennent pas la notion d’opinion de la même manière que les historiens qui utilisent, bien plus tard, leurs rapports. C’est oublier enfin que la plupart de ces rapports sont par leur fadeur et leur conformisme, proprement inutilisables. Il faut, pour s’en rendre compte en lire un grand nombre et voir à quel point un rapport sur l’état des esprits dans l’Indre en 1820 ressemble à un rapport sur la situation morale et politique dans les Basses-Alpes à la même date ou dix ans plus tard. Il est vrai que les historiens qui n’y prêtent pas toujours attention ont beaucoup d’autres choses à faire : un auteur comme P. Lévêque qui écrit une somme de près de huit cents pages sur la société bourguignonne au mitan du siècle n’a pas le temps de lire des dizaines de rapports sur des départements d’autres régions. Par ailleurs, les fausses continuités sont particulièrement trompeuses en histoire contemporaine : lire des développements sur l’opinion lorsque l’on vit soi-même dans un monde imprégné de cette idée et de la certitude de la possibilité de sa mesure n’incite pas particulièrement à la distance. Mais, bien plus importante que ces raisons, la consanguinité entre l’histoire – du mot grec signifiant « enquête », rappelons-le – et l’enquête politique des préfets est si essentielle qu’elle finit toujours par emporter les précautions. Les croyances peuvent s’étioler – par exemple l’idée qu’il existe des caractères régionaux – mais la communauté d’objectif et de démarche qui lie le préfet et l’historien est autrement plus difficile à réviser.

14Dès lors, la question qui se pose est double. Tout d’abord, une histoire de « l’opinion publique » est-elle possible, y compris pour l’époque contemporaine ? Si la réponse est positive, alors les historiens chercheront à diversifier les signes, à sophistiquer le questionnaire – comme l’ont proposé dans des articles méthodologiques très intéressants Jacques Ozouf (1966, 1974), Pierre Laborie (1988) et Jean-Jacques Becker (1996) – mais ils continueront de se placer, quoi qu’ils fassent, dans le sillage des préfets. Mais si la réponse est négative, s’il s’agit pour eux, comme les y invite Brigitte Gaïti (2007), de sortir de l’impasse en faisant le deuil de savoir « ce que pensaient vraiment les Français » à telle époque, alors le risque, à première vue, pourrait être celui du renoncement. Pensée telle qu’elle l’a été à partir de J. Ozouf au moins, l’histoire de l’opinion a représenté un authentique progrès dans l’histoire politique puisqu’il s’est agi de dépasser les cercles étroits du pouvoir ou encore celui des élites sociales pour atteindre la réception des événements dans de larges couches de la population. Peut-on pour autant poser la question en termes d’opinion publique, et fonder cette recherche sur la source que nous évoquons dans cet article ? Il faut d’abord remarquer qu’il y a loin entre la réflexion d’un Jacques Ozouf par exemple et les pratiques historiennes, même trente ou quarante ans après. Les allusions paresseuses à « l’opinion des Français », tirées de quelque rapport administratif, ont-elles véritablement disparu de l’historiographie ? On peut même parfois observer dans un même ouvrage la juxtaposition paradoxale entre une position théorique critique, allant jusqu’à se réclamer de l’important article de B. Gaïti, et un projet exactement inverse qui consiste à faire « l’histoire de l’opinion publique » à tel moment.

15Pour sortir de ces contradictions, qui semblent autoriser l’alliance entre la vertu de la distance critique et des pratiques ordinaires, il faut, me semble-t-il, poser les problèmes très franchement, notamment celui-ci : que peut-on faire du rapport préfectoral sur l’opinion, longtemps source reine de l’histoire politique ? À mon sens, la réponse est double : d’abord saisir à quel point les conditions concrètes de fabrication de ces rapports en font des sources inadéquates pour l’étude importante de la politisation, qu’il convient de dégager d’une réflexion uniforme en termes d’opinion(s) ; ensuite, envisager la richesse d’une approche de ces mêmes rapports dans une histoire des représentations, de l’enquête et de l’innovation administrative. Cette manière de voir les choses permet peut-être de dépasser une opposition entre la démarche positiviste, qui, comme on l’a rappelé (Prost 1996), a parfois été caricaturée par ses détracteurs, et les approches plus récentes et plus critiques sur le rapport des sources à la « réalité », jusqu’au scepticisme radical du linguistic turn. Considérer les textes des siècles précédents comme des « représentations discursives de la réalité », s’efforcer de déconstruire les catégories d’analyse présentes dans ces documents et suivre les démarches nécessaires à leur fabrication ne consiste pas forcément ici à renoncer à atteindre des réalités passées, dans le sens d’événements qui ont eu effectivement lieu. La relation au rapport administratif peut permettre d’argumenter dans ce sens : non seulement l’enquête préfectorale, aussi éloignée soit-elle d’une pure reproduction du réel, n’est pas assimilable à un texte littéraire, mais son étude est nécessaire pour atteindre des pans de réalité inconnus jusqu’alors, en premier lieu le fonctionnement concret de l’État et la manière dont ses serviteurs travaillent. Bien plus, seule la compréhension fine des conceptions et du travail de la surveillance permet de repérer les sources les plus fécondes pour approcher, autant que faire se peut, les formes de la politisation au xixe siècle.

Déconstruction et histoire du politique

16Il semble que le premier mouvement nécessaire pour une lecture profitable du rapport préfectoral soit celui de la déconstruction, même lorsqu’il ne constitue pas un objet d’étude en soi pour l’historien. Le considérer autrement que comme l’écrit d’un collègue, c’est être attentif, comme l’a fait Marie-Noëlle Bourguet (1989) il y a vingt ans, aux temps et aux modalités de construction de l’enquête, transformée ensuite en archive puis en source. Cela consiste donc à chercher à saisir les raisons et les moments de son lancement, les démarches concrètes de l’observation et enfin les grilles de représentations du réel qu’elle donne à voir. Le rapport administratif est ainsi réintégré dans son univers propre, l’ensemble beaucoup plus vaste des enquêtes et des voyages. Les premiers préfets observateurs de l’esprit public sont des contemporains de Chaptal, Fouché et Villermé, ce qui veut dire qu’ils comprennent ce qu’on leur demande à partir des savoirs d’État traditionnels – la statistique et les comptes d’administration – qu’ils pensent la mesure de l’opinion comme une partie essentielle de leur mission de police générale, qui mobilise aussi un certain nombre d’acteurs et de savoirs routiniers, et qu’ils se posent les mêmes questions que les observateurs sociaux des années 1820 à 1840 sur les mouvements de la société, les « classes dangereuses » et les rapports du « moral » au politique.

17Arracher ces textes à cet environnement administratif et intellectuel les appauvrit considérablement, mais fait aussi courir le risque de ne pas comprendre les raisons et même le sens de tel développement. A minima, on peut penser que les notes de bas de page des contemporanéistes, bien moins considérables que celles de leurs collègues antiquisants et médiévistes, qui commencent souvent par une présentation détaillée des sources utilisées, pourraient gagner en érudition. Chaque pièce citée fait en effet partie d’un ensemble, dont la connaissance de la genèse et même d’une certaine manière de la conservation ultérieure est indispensable à l’analyse. Or, il est facile de remarquer que bien peu d’articles et d’ouvrages consacrent une place substantielle à la présentation des sources et à la méthode utilisée. Est-il possible, comme c’est souvent le cas, de se contenter d’aligner en note de bas de page des renvois à des cartons d’archives sans s’interroger, à un moment ou à un autre, sur les raisons pour lesquelles ces cartons d’archives existent et, partant, sur la manière dont on peut les utiliser ? Les pages précises, et finalement assez rares, que consacre Patrick Bruneteaux à la fin de son livre Maintenir l’ordre à la « méthodologie générale », la « périodisation » puis à la « mise à plat du matériel » – expression au demeurant assez curieuse – peuvent à cet égard constituer une sorte de modèle (1996 : 327-341) en dehors du cadre imposant et inégalable des thèses de doctorat de troisième cycle comme celle de Michelle Perrot qui comprend de nombreuses pages consacrées aux sources et à la méthode (1973).

18Bien au-delà des précautions méthodologiques, un bénéfice important de l’attention à la production des sources consiste à comprendre comment une question prend du sens à un moment donné pour les individus ou les institutions dont elles émanent. En ce qui concerne les rapports préfectoraux sur l’opinion, la reconstitution de leur genèse est un observatoire précieux pour saisir des formes d’innovation en matière politique et administrative, tant en amont (la demande d’enquête) qu’en aval (la manière qu’ont les observateurs de répondre à la question posée). En amont, la recherche minutieuse des circulaires donnant lieu à des enquêtes et la reconstitution de la succession de celles-ci permet de repérer des inflexions, des inventions et des changements de paradigme. Lorsque l’on met en série ces circulaires depuis la Révolution, on s’aperçoit en effet, par exemple, que le questionnaire adressé en juillet 1814 par Jacques Beugnot, directeur de la Police générale du royaume, à des délégués de police chargés de parcourir la France constitue la première enquête gouvernementale aussi détaillée sur l’esprit public [4]. En outre, les questions, une trentaine, dont elle est composée sont particulièrement innovantes. On peut en effet y repérer des intuitions fondamentales sur les fondements sociaux et culturels de la formation des opinions, par exemple la différence entre milieu urbain et milieu rural, le poids des événements passés, en l’occurrence révolutionnaires, l’importance aussi des classes, des professions et des confessions d’appartenance des individus.

19Cette opération de mise en perspective, qui ne considère pas comme normale la production d’une correspondance sur l’esprit public, permet de repérer d’autres innovations ministérielles, par exemple les toutes premières demandes de rapports politiques aux procureurs généraux en 1820-1821 ou, encore, la diffusion progressive de dénominations politiques fournies aux préfets pour qu’ils exposent dans un langage uniforme les résultats des élections. L’émoi ou l’incompréhension des serviteurs de l’État face à une demande nouvelle permet à cet égard d’en confirmer le caractère inédit. En mars 1820, le procureur général de Rouen s’insurge ainsi contre la demande qui lui est faite d’un rapport politique. « Mes moyens, comme mes attributions, se renferment dans les limites de la police judiciaire. La police administrative ou inquisitoriale ne me concerne pas », écrit-il alors en opposant au ministre ses habitudes professionnelles, c’est-à-dire, selon lui, l’attachement aux faits matériels et le refus des spéculations sur ce qui ne peut être connu (le for intérieur, les adhésions politiques individuelles qui ne se manifestent pas) et n’a pas donné lieu à une infraction à la loi [5]. Cette protestation est isolée en 1820 et elle est unique : les procureurs écrivent à partir de cette date avec docilité et, parfois, prolixité. Leurs rapports occupent des cartons entiers de l’une des séries les plus utilisées des Archives nationales, BB30. Mais, grâce à un questionnement sur l’existence même de la source, on a pu assister à un moment décisif de genèse administrative et lire de circulaire en circulaire – la Chancellerie n’en produit pas moins de huit entre mars 1820 et mars 1821 – comment le ministre et le secrétaire d’État alors en place naturalisent par petites touches ce qui n’existait pas auparavant et n’est effectivement pas compris dans le travail habituel des procureurs.

20Cette histoire des enquêtes administratives rejoint donc le mouvement plus général d’attention aux « sciences de gouvernement » (Ihl, Kaluszynski et Pollet 2003) et aux « savoirs policiers » (Denis 2008). Elle permet de repérer aussi les formes d’innovation qui se manifestent sur le terrain parmi les centaines d’observateurs qui bricolent comme ils le peuvent des grilles d’analyse de l’esprit public. C’est le cas non seulement parce qu’ils manquent souvent d’instructions précises, mais surtout parce que la subjectivité est le fondement même du système : François Guizot réclame des préfets en 1814, lorsqu’il est secrétaire général du ministère de l’Intérieur, non pas un « rapport de police », mais une « conversation familière » [6]. Cette opinion du préfet/notable sur l’opinion n’est donc pas une scorie que l’historien doit mettre de côté, mais l’essence même du rapport, ou en tout cas des meilleurs rapports, de ceux qui ne se contentent pas de paraphraser la circulaire ministérielle afin de ne pas prendre de risques. Là encore, seule la lecture en série de centaines d’entre eux permet de repérer des éléments essentiels de l’économie du rapport, que ne peut apercevoir un historien n’utilisant que quelques lettres préfectorales sur l’esprit public dans une logique positiviste. Je pense là à certains lieux communs qu’il n’est pas très utile de prendre en compte dans le travail historique parce qu’ils ne constituent qu’une rhétorique usée jusqu’à la corde. La phrase sous-préfectorale citée plus haut sur l’absence de manifestation de « joies féroces » des opposants libéraux lors d’un attentat contre Louis XVIII en est une illustration : il s’agit d’une formule rituelle, écrite la plupart du temps en cabinet, et qui s’inscrit dans un échange routinier entre préfets et ministres, reposant sur une sensibilité romantique (l’expression des sentiments), des résidus de croyances physiognomoniques (le moral se lit sur le physique) et aussi, tout simplement, sur la nécessité hiérarchique d’écrire, y compris du vide, le plus rassurant possible. Les rapports préfectoraux sur l’attitude des sociétés locales à l’occasion des fêtes de souveraineté ou des passages de telle ou telle personnalité, encore utilisés au premier degré par une partie de l’historiographie (Dalisson 2004), sont faits du même bois creux : ils répondent à une économie particulière de l’échange administratif et ne renseignent la plupart du temps que sur cette économie, c’est-à-dire sur le fonctionnement de l’administration. Il en est de même au xxe siècle à l’occasion des voyages présidentiels, comme l’a montré à plusieurs reprises Nicolas Mariot (notamment 2006).

21A contrario, la lecture en grand nombre des rapports met en évidence l’inventivité heuristique de certains administrateurs, qui, elle, n’est pas aperçue par des lectures au premier degré, soit parce qu’elles en récupèrent les résultats en passant, soit parce qu’elles y voient des bavardages inutiles contrairement aux passages prétendus factuels sur l’attitude du peuple lors des fêtes officielles. L’effort par exemple de certains préfets pour bâtir une « sociologie », certes primaire, des opinions est tout à fait frappant. Ainsi dans le Tarn, le préfet Decazes s’attache à décrire en 1830 des paliers de politisation des plus pauvres aux plus riches [7], initiative qui, aussi marquée soit-elle par des formes de mépris social, constitue un véritable essai de déchiffrement des attitudes politiques, plus proche des réserves de Pierre Bourdieu sur le caractère uniforme de l’opinion publique (1973) que des affirmations crânes de nos modernes sondeurs sur les variations de « l’opinion publique » en général. Tout en étant rivés eux aussi à leur habitus, d’autres rivalisent d’ingéniosité, comme le comte d’Arros pour mettre en place des indicateurs chiffrés de l’opinion (voir document 2).

Document 2. Extrait d’un rapport du préfet Arros sur « l’opinion publique » dans la Meuse, le 26 décembre 1828 (AN, F7 6770)[1]

Ces rapports n’ayant pas un objet bien déterminé, n’ayant pas à traiter une question bien posée, et l’appréciation des éléments dont se compose l’esprit public étant sujette à beaucoup de difficultés, il est presque impossible de donner à un semblable travail une véritable utilité : on est réduit à saisir quelques faits, à tirer des inductions qui peuvent manquer de justesse ; on est forcé souvent de consulter des intermédiaires dont les opinions peuvent quelquefois égarer le jugement : pour peu qu’on ait soi-même du pouvoir et de l’influence on n’aperçoit autour de soi que des opinions qui se dissimulent ou se modifient d’après celles que l’on vous suppose ; les partis sont eux-mêmes fort difficiles à caractériser, ils ne sont point unanimes et on est exposé à prendre des opinions individuelles pour des opinions générales ; je n’ai du moins jamais reçu aucun rapport sur cette matière, qui, par quelqu’une de ces raisons ne m’inspirât quelque défiance, et je ne puis faire que peu d’usage de ceux qui me sont adressés.
Je ne verrais qu’un seul moyen pour arriver, non pas sans doute à un résultat parfaitement exact, mais au moins pour approcher davantage de la vérité, et je pourrais le tenter si V. E. voulait bien lui donner son approbation.
Les deux parties réunies des listes du jury comprennent à peu près toutes les notabilités d’un département ; on pourrait, si on le voulait, y ajouter le petit nombre d’individus notables qui n’y figurent point, et alors on aurait un état assez exact de tout ce qui dans la population peut être considéré comme étant réellement en état d’avoir une opinion sur des matières politiques. Le reste serait considéré comme appartenant aux classes inférieures et celles-ci ont une tendance, un instinct, des affections politiques ; mais elles n’ont pas d’opinions, et à leur égard il suffit de connaître les opinions de ceux à l’influence desquelles elles sont soumises.
Or, on a pu quand on l’a voulu connaître fort exactement les dispositions du collège électoral, et prévoir le résultat de ses opérations ; et il ne serait pas plus impossible de connaître la composition de la liste dont je viens de parler ; mais pour que ce travail fût réellement utile, il serait indispensable de définir avec une grande précision les opinions dont on essayerait d’établir ainsi la statistique, et il me paraîtrait même préférable de les caractériser par un trait positif et pour ainsi dire matériel, soit en les rapportant par exemple à celles d’une des divisions de la chambre des députés, ou d’un orateur ou d’un écrivain connu, soit en les jugeant dans leur rapport avec tel ou tel acte du gouvernement, avec tel ou tel événement ; et pour éclairer ce que je viens de dire par une application, voici par exemple, en opérant ainsi, comment je pense qu’on pourrait établir les classifications politiques du canton de Bar-le-Duc en prenant seulement les listes du jury.
Les deux parties de cette liste comprennent dans ce canton à peu près 120 individus ; je ne crois pas me tromper beaucoup en les classant ainsi qu’il suit :
Opinions du côté gauche70
Extrême gauche29
Centre droit16
Extrême droite5
120
Opinions favorables aux ordonnances du 16 juin [2]113
Id. contraires7
Il est, je pense, inutile de pousser plus loin l’application de cette méthode ; mais on voit qu’il serait facile de lui donner plus de généralité et d’intérêt, et je le tenterai si V. E. le désire, en observant cependant que je ne pourrai garantir la parfaite exactitude des résultats que pour ce qui m’entoure et pour ce que je puis voir par moi-même.
En attendant que ce moyen soit mis en usage, je vais pour satisfaire aux ordres de V. E. rassembler ici quelques observations moins précises mais qui sont cependant le résultat d’un examen attentif et de renseignements soigneusement recueillis.

22Beaucoup posent la question des signes par lesquels saisir l’opinion. Un sous-préfet d’Étampes retient en 1836 « la voix de la presse, le bruit des conversations, l’écho des réunions publiques, ou bien enfin les rumeurs de la classe ouvrière » [8]. Il est très intéressant à cet égard de lire en parallèle les rapports préfectoraux des années 1820 et 1830 et les questionnements respectifs de J. Ozouf, au tournant des années 1960 et 1970, puis de P. Laborie et J.-J. Becker à la fin des années 1980 sur les modalités pratiques d’une histoire de l’opinion. Car, en définitive, les mêmes questions sont posées sur la nature de cette abstraction, sa volatilité, sa versatilité et sur la difficulté de sa saisie. Dans les articles méthodologiques cités comme dans les rapports, certains indicateurs sont repoussés – par exemple la presse ou du moins certaines études de presse (Ozouf 1966) – et d’autres valorisés. Le plaidoyer de J. Ozouf pour une approche quantifiée d’une étude de l’opinion (1974) fait exactement penser à la préférence donnée par le ministère de l’Intérieur au début des années 1830 à une saisie des opinions par le décompte départemental du nombre d’abonnements aux journaux de diverses tendances : il s’agit alors de sortir de l’impressionnisme des observations antérieures et de remplacer une opinion sur l’opinion – problème que se posent aussi les historiens cités – par des éléments d’appréciations objectifs (Karila-Cohen 2006). Plus tard, l’approche plus qualitative proposée par P. Laborie (1988), qui ne rejette pas les approches quantifiées mais les dépasse en proposant une étude plus large de « l’imaginaire social », témoigne de ce que ce moment statistique, en 1832 comme en 1974, n’a qu’un temps, et plus largement que, dans les enquêtes politiques du xixe siècle, un paradigme chasse l’autre. L’enquête sur l’opinion prend ainsi des allures de poupée russe : à chaque interrogation et à chaque certitude d’un historien pour déterminer la situation exacte de l’opinion à un moment donné correspond toujours cent ou deux cents ans auparavant le même doute ou la même confiance de la part d’un administrateur ou d’un ministre.

23Ce constat permet de prendre conscience du caractère problématique de la notion d’opinion aux yeux mêmes de ses premiers observateurs. Il invite donc à déconstruire une catégorie produite par l’enquête politique elle-même, genèse dont nous n’avons plus conscience et qui renforce notre conviction que l’opinion publique est un objet d’étude qui s’impose, puisque, pourrait-on dire, on cherchait déjà à la mesurer il y a deux cents ans. La certitude historienne dénoncée par Brigitte Gaïti selon laquelle il est possible de « traquer […] une opinion publique enfouie, déposée quelque part (dans des conversations, dans des lettres, dans des rapports de police, dans des rassemblements de foule, dans les réflexions de journalistes, dans des comportements électoraux), et qu’il s’agirait pour le chercheur de faire émerger, de rassembler, de contextualiser et d’interpréter » (2007 : 96) trouve ses racines dans un processus de naturalisation de la notion qui a démarré au milieu du xviiie siècle, et dont les historiens vivant au xxe siècle et au-delà sont les héritiers exactement au même titre que leurs contemporains. Mais elle trouve aussi ses origines dans le travail politico-administratif qui a donné lieu aux rapports dont nous parlons. Éric Phélippeau (1 994) a bien montré comment, en aval, la « science politique balbutiante » (Corbin 1998 : 248) des préfets a servi de modèle à André Siegfried pour son Tableau politique de la France de l’Ouest (1913). Si l’on porte son regard davantage en amont, il apparaît combien la demande ministérielle a favorisé le remplacement de rapports factuels sur des événements par des synthèses globales sur l’état de l’opinion, dans lesquelles les éléments factuels sont des signes de quelque chose et servent d’illustrations à une argumentation. Il a fallu des décennies pour que les préfets dans leur ensemble s’habituent à la notion d’opinion et consentent à écrire régulièrement sur cet objet que beaucoup considèrent au départ comme un fantôme, un peu comme il a fallu des décennies aux Français pour devenir électeurs, c’est-à-dire pour s’approprier l’univers conceptuel et pratique nécessaire au vote.

24On pourrait à cet égard établir des comparaisons en dehors de l’histoire politique, tant la construction des catégories, administratives ou non, pèse toujours de tout son poids sur le cours postérieur de l’historiographie. Faire l’histoire sociale des ouvriers au xixe et au xxe siècle nécessite ainsi de mettre à distance aussi bien les récits édifiants des observateurs sociaux que les tâtonnements et les préjugés des recensements contemporains et les catégorisations téléologiques du marxisme. Mais faire cette histoire exige aussi de comprendre comment des notions unifiantes telles que la « classe » ont pu jouer un rôle effectif dans la vie de ceux qui s’en réclamaient (Noiriel 1986). De manière générale, l’histoire des enquêtes, actuellement en plein développement, démontre le caractère construit mais aussi bien souvent performatif des catégories par lesquelles les hommes, à un moment donné, se mettent à penser et ordonner le monde, un caractère si performatif que les historiens travaillent ensuite naturellement dans ces cadres. « Faut-il départementaliser l’histoire de France ? » s’interrogeait déjà Jacques Rougerie en 1966 à propos d’un cadre administratif bien réel qui avait fini par enfermer l’historiographie après avoir été l’unité géographique de la plupart des enquêtes administratives (Rougerie 1966). On pourrait multiplier les exemples plus récents sur des découpages plus abstraits mais tout aussi tyranniques, de l’opposition des « deux Italie », née en partie de la diffusion des publications statistiques officielles du jeune État à partir de la décennie 1860 (Patriarca 1996), aux catégorisations par races du recensement américain (Shor 2009). Dans tous les cas, l’administration paraît constituer un réceptacle de représentations sociales qu’elle ne crée pas de toutes pièces mais aussi un puissant opérateur de leur diffusion. Et dans tous les cas, l’historiographie ultérieure vient souvent naturaliser une seconde fois les catégories historiquement créées.

25En ce qui concerne l’opinion, le passage décrit ci-dessus du relevé de faits à l’analyse a engendré d’importantes conséquences. La première est l’introduction d’un évolutionnisme marqué dans les rapports demandés. Dès que l’on cherche à mettre au jour une opinion générale ou même des opinions particulières se pose en effet la question du seuil à partir duquel il apparaît possible d’utiliser ce terme qui renvoie à un choix politique fondé en raison. Sous la plume des préfets du xixe siècle se dessine ainsi très nettement une frontière entre une élite éclairée capable de penser, parfois mal, et des « classes inférieures », ramenées soit à l’enfance soit à l’animalité, en deçà en tout cas d’une quelconque « opinion ». Or, pendant très longtemps, les historiens spécialistes du xixe siècle se sont inscrits dans le même schéma, en décrivant peu ou prou une ascension progressive des populations, notamment rurales, vers la raison, se confondant d’ailleurs avec une politisation républicaine. Le plan même de la République au village, où la « préparation » précède la « révélation », c’est-à-dire le choix de la République en 1848, indique bien comment l’historiographie s’est construite sur une attente (Agulhon 1970). En ce domaine, elle n’a fait en définitive que retourner en espérance les craintes des administrateurs de l’avant-dernier siècle. La réduction du politique à l’opinion rejoue, et redouble ainsi, l’appauvrissement opéré lors de la fabrication du rapport préfectoral. Celui-ci trouve en effet place au sommet d’une chaîne de l’observation qui a nécessité des lissages successifs, du gendarme ou du commissaire au préfet, en passant ou non par le maire et le sous-préfet. Le sous-préfet synthétise ce qui lui parvient d’en bas, puis le préfet réunit les trois ou quatre rapports de sous-préfets, avec l’obligation de fournir un texte cohérent : à chaque étape, une multitude de faits succombe mécaniquement à la synthèse, au cours de laquelle l’administrateur ajoute en outre sa vision du monde, intériorise les tensions de l’échange de la correspondance avec ses supérieurs et présente, parfois, ses intuitions sur la mesure de l’opinion. On peut suivre cette déperdition/transformation de manière panoramique ou l’analyser à l’échelle d’un individu : Georges Clause a ainsi très finement montré comment l’insubmersible Bourgeois de Jessaint, préfet de la Marne pendant trente-huit ans (1800-1838), composait ses rapports politiques très fades en vidant de toute substance ceux, plus diserts, qui lui parvenaient de ses sous-préfets (1997 : 279-280).

26Analyser finement ces attitudes d’acceptation ou de refus, de compréhension, d’apprentissage ou d’inertie, c’est donc en définitive s’intéresser au métier de préfet, ou encore à celui de procureur général, de gendarme ou des autres scripteurs. Or, ces fonctions – surtout celle de préfet, comme l’a bien montré Gildas Tanguy (2009) – ont rarement été appréhendées sous cet angle, au bénéfice d’une lecture exclusivement politique séquencée par régimes. L’écriture de rapports constitue pourtant l’une des occasions de professionnalisation sur un temps long. Dès l’Empire, des formulaires ministériels évaluent la correspondance préfectorale (voir document 3), sans toutefois que cette correspondance ne joue le rôle le plus central dans la carrière des préfets. Bourgeois de Jessaint, dont il vient d’être question, n’était ainsi ni très zélé ni très pénétrant dans ses rapports (Karila-Cohen 2010). L’empire de l’écrit et du formulaire imprimé s’étend pourtant au cours du siècle et les libertés que s’accorde ce grand notable paraissent céder le pas à des technicités nouvelles qu’il s’agirait d’étudier en tant que telles. Dès le début du siècle toutefois, l’ardeur à écrire dépend pour chaque préfet, de son zèle politique, du sentiment plus ou moins profond de sa propre autonomie, de sa situation en termes de carrière, du nombre d’années que l’on a passé dans son ressort. Celles-ci agissent toujours en défaveur de l’obéissance épistolaire, les préfets les plus installés écrivant généralement le moins et avec le moins de conviction. Par le biais de l’écrit donc, à l’échelle du corps comme de l’individu, on peut essayer de reconstituer les conditions de possibilité et les rythmes de construction d’un éthos professionnel. Mais, pour apporter des réponses fines, il faudrait pouvoir multiplier les études individuelles afin de jauger les poids respectifs du statut social initial, du moment dans la carrière et de la relation nouée avec Paris dans les configurations de la correspondance de chacun.

Document 3

L’évaluation de la correspondance des préfets sous l’Empire (AN, F 1c I 13, fin 1807). © DR.

Document 3

L’évaluation de la correspondance des préfets sous l’Empire (AN, F 1c I 13, fin 1807). © DR.

27Au total, il semble bien que les rapports des préfets, lieux d’une tension avec les ministères, laboratoires où s’expérimente la jeune notion d’opinion, réceptacles enfin d’un travail administratif immense qui s’épuise d’une certaine manière en eux, constituent de magnifiques supports pour une histoire du fonctionnement concret de l’État, des représentations de ses serviteurs, de l’action administrative collective aussi bien qu’individuelle et des sciences de gouvernement… que leur usage est beaucoup plus complexe dans l’étude de la politisation des Français au xixe siècle, c’est-à-dire ce pour quoi ils ont été et sont encore massivement utilisés. L’ignorance des conditions concrètes d’élaboration de ces rapports et leur usage naïf rendent finalement bien peu positiviste l’histoire des positivistes, puisque celle-ci prend tout simplement des vessies pour des lanternes. L’histoire des représentations est dans ce cadre-là de loin la plus « réaliste » puisqu’elle s’attache à repérer les discours topiques inutilisables (ou intéressants à étudier pour eux-mêmes), et puisqu’elle sert à montrer comment certaines catégories au départ peu diffusées ou peu comprises finissent par ordonner la vision du monde d’un grand nombre d’individus.

28Quant à l’étude des passions, adhésions et émotions politiques des Français, elle a tout à gagner à s’émanciper du schéma évolutionniste de l’enquête politique du xixe siècle. Il est maintenant bien établi que le massacre (Corbin 1990), les cloches (Corbin 1 994), la rumeur (Ploux 2003), les incendies (Caron 2006), les attaques contre les gendarmes (Lignereux 2008) et les émotions en général sont des objets politiques qui possèdent leur rationalité. D’autres chantiers, très prometteurs, se mettent en place en reprenant au sérieux des actes autrefois négligés, par exemple tous les actes de dégradation ou de destructions d’objets qu’Emmanuel Fureix range sous l’expression d’« iconoclasme politique » (2008). Or, à bien y regarder, cette histoire se détourne souvent des rapports de préfets pour puiser dans ceux des gendarmes, des maires, des procureurs du roi ou encore des sous-préfets, incapables dans beaucoup de cas de produire un discours abstrait sur l’opinion et auxquels il est même souvent recommandé de s’en tenir à « ce qui s’est passé » durant la période précédente. Il ne s’agit évidemment pas de tomber d’une illusion à une autre et de dire qu’on tient là, enfin, la « réalité » : les sources de la petite surveillance sont elles aussi construites, s’inscrivent elles aussi dans une chaîne hiérarchique, procèdent elles aussi d’une vision du monde, etc. Mais elles possèdent l’insigne avantage d’être moins ambitieuses et moins sophistiquées. Qui plus est, leurs auteurs ne sont pas toujours séparés de ceux qu’ils observent par un gouffre social semblable à celui qui isole préfets et procureurs généraux dans leur Olympe. Enfin, puisqu’elles se situent plus bas dans la chaîne de la surveillance, toute une série d’opérations administratives de correction, simplification, rationalisation n’ont pas encore eu lieu. Ces rapports, lettres ou comptes de petits ou moyens agents de la surveillance fournissent dès lors un matériel presque inépuisable pour une approche culturelle de la politisation, plus près des manières de penser et d’espérer des observés, que l’on cherchera à déduire autant que faire se peut d’actes et de pratiques ayant effectivement eu lieu (avec toutes les précautions nécessaires bien sûr en termes de croisement des sources), et non dans le cadre d’une analyse uniformisante et linéaire mobilisant la notion d’opinion(s).

29Autrement dit, c’est dans les écrits de ceux qui tiennent une place modeste ou moyenne dans le système de surveillance et de ceux qui ne comprennent pas ce qu’on leur demande lorsque leur est prescrit d’analyser « l’opinion » que l’on aura sans doute le plus de chance de trouver les moyens d’une histoire innovante des formes diverses de politisation dans la France du xixe siècle : une histoire mettant en valeur, par exemple, la coexistence d’espaces publics qui s’emboîtent ou s’ignorent et les rythmes spécifiques de leur formation et de leur disparition, questions actuellement débattues par les spécialistes de la politisation (Offerlé 2007), mais qui n’intéressaient pas les préfets dans leur analyse ou qu’ils considéraient comme des formes d’indifférence, de retard ou de sauvagerie. Heureusement pour l’historien, la préoccupation de l’ordre public n’a pas stimulé uniquement la production de rapports analytiques sur l’opinion – par ailleurs processus historique d’importance – mais aussi des montagnes de lettres, de comptes et de rapports de police générale dans son sens littéral, c’est-à-dire d’une police qui s’intéresse à tout. Il s’agit donc, au sens propre, de refaire le chemin de l’enquête à l’envers en reprenant le travail là où les préfets l’ont trouvé : dans le fourmillement de regards mal assurés sur « l’état des esprits » dont il n’est pas forcément possible d’établir la synthèse.

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Date de mise en ligne : 15/07/2010

https://doi.org/10.3917/gen.079.0116

Notes

  • [1]
    Au sens strict, Jean-Baptiste Boissonnet n’est pas historien mais juriste : cet ouvrage est sa thèse « pour le doctorat de sciences politiques et économiques ». Sa démarche n’en est pas moins très représentative des pratiques historiennes de la même époque.
  • [2]
    Archives nationales (par la suite AN), BB18 1414. Rapport du Procureur général de Colmar au ministre de la Justice le 9 septembre 1847.
  • [3]
    Après quoi, l’absence d’enquêtes importantes à l’échelle nationale contraint généralement les historiens à se rabattre sur les résultats électoraux, censitaires : l’opinion mesurée ne possède plus alors les mêmes limites sociales.
  • [4]
    Questionnaire reproduit dans Karila-Cohen 2008 : 124-126.
  • [5]
    AN, BB30 238. Lettre du procureur général Fouquet au sous-secrétaire d’État à la Justice, le 27 mars 1820.
  • [6]
    AN, F 1c I 14-23, Brouillon de lettre aux préfets, non signée, mais que l’on peut très probablement attribuer à Guizot (Karila-Cohen 2008 : 139, n. 112).
  • [7]
    AN, F7 6772. Rapport du préfet du Tarn au ministre de l’Intérieur le 23 février 1830.
  • [8]
    Archives départementales des Yvelines, 4 M 32. Rapport du sous-préfet d’Étampes au préfet de Seine-et-Oise, le 2 mars 1836.

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