Notes
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[*]
Une première version de ce texte a fait l’objet d’une communication lors de la journée d’étude « Modalités d’enquête et construction de l’objet dans la recherche en sciences sociales de la santé », École des hautes études en sciences sociales, Paris, 5 mai 2009. Il a bénéficié des commentaires et indications des étudiants de la formation doctorale SPPS (Santé, populations, politiques sociales) de l’École, organisateurs de la journée, des lectures attentives de Marie-Christine Pouchelle et Bertrand Pulman, ainsi que des remarques des membres du comité de rédaction de la revue Genèses. Que toutes et tous soient ici remerciés.
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[1]
Le classique Guide de l’enquête de terrain de Stéphane Beaud et Florence Weber (2003) fait, par exemple, référence à la nécessité de « négocier (sa) place », mais il s’agit de négociations informelles, d’ajustements en cours d’enquête et non de négociations initiales et formelles avec des autorités institutionnelles.
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[2]
« Vivre une expérimentation biomédicale : devenir “partenaire de recherche” ? Étude ethnographique de l’expérience des personnes participant à une recherche clinique dans un service de cancérologie en France », École des hautes études en sciences, Paris.
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[3]
Dans la recherche clinique, on appelle « investigateur » le médecin qui est responsable de la mise en œuvre d’une recherche menée sur les patients d’un établissement, pour le compte d’un « promoteur », qui la finance et en a défini le « protocole », c’est-à-dire les objectifs, méthodes, durée, nombre de patients concernés…
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[4]
Voir, par exemple, le Journal de l’institut Curie (« Les patients, partenaires de recherche », n° 65, 2006, p. 7) ou encore l’axe 7 du « Projet fédéral 2003-2006 » de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (2003).
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[5]
Pour des raisons d’anonymat, tous les noms ont été modifiés.
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[6]
Voir par exemple les QLQ (Quality of Life Questionnaires) répertoriés par le site internet de l’European Organization of Reasearch and Treatment of Cancer : http://groups.eortc.be/qol (consulté le 17 juin 2009).
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[7]
Pour une présentation de cette démarche voir les travaux d’Alain Leplège (notamment 1999) et pour son application à la recherche clinique, Rodary, Leplège et Hill 1998.
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[8]
Structure qui rassemble tous les médecins du centre (chirurgiens, radiothérapeutes, oncologues) traitant une même pathologie cancéreuse, afin de permettre un travail en commun sur les dossiers médicaux des patients des uns et des autres.
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[9]
Littéralement « étranger au lit du malade », par référence au livre de David J. Rothman sur l’histoire de l’influence des comités de bio-éthique, et notamment des non médecins qui y participent, sur la médecine, notamment expérimentale, aux États-Unis (1991).
1Dans le cadre d’une « anthropologie des mondes contemporains » (Augé 1999) portant sur une institution (établissement scolaire, prison, hôpital…), la négociation de terrain, c’est-à-dire la série de démarches (prises de contacts, entretiens, échanges oraux ou écrits…) que l’on entreprend pour parvenir à obtenir le droit de réaliser une enquête in situ, est une étape liminaire incontournable de toute collecte de matériaux. L’accord des autorités (chef d’établissement, directeur, chef de service…), formel et explicite, oral ou écrit, est un prérequis nécessaire de l’enquête. Ainsi, un nombre croissant de travaux de sciences sociales font état de telles négociations. Cependant, si leur existence est fréquemment mentionnée, les enjeux épistémologiques, éthiques et politiques de ces tractations parfois longues et à l’issue toujours incertaine avec les gatekeepers, les gardiens d’un groupe social déterminé, sont rarement examinés. Les ouvrages de méthodologie du travail de terrain ne mettent généralement pas non plus l’accent sur cette dimension de la recherche [1]. Or, l’effort de réflexivité qui permet d’étendre le fameux « paradigme de la négociation » d’Anselm Strauss (1992 : 46) aux négociations menées par le chercheur sur son terrain est potentiellement riche d’enseignements. Il suffit, pour s’en convaincre, de se rapporter à l’article de Muriel Darmon sur l’histoire d’un refus de terrain, dans lequel elle engage la réflexion sur la signification, en l’occurrence sociologique, de ce moment considéré trop souvent comme une simple « condition de réalisation de l’enquête » et non comme « un objet de plein droit de la recherche et […] un véritable matériau d’analyse du terrain lui-même » (2005 : 99). Ainsi, ce qui peut être assimilé à une « épreuve ethnographique » peut réellement permettre « d’approfondir la compréhension des individus, des groupes et des sociétés étudiées » (Fassin 2008a : 9). Mais, plus fondamentalement encore, ces épisodes de négociation ne peuvent-ils pas également être considérés comme des étapes décisives de la construction de l’objet même de la recherche dans le cadre d’une science empirique, l’anthropologie, dont l’induction est le mode de connaissance privilégié ? Autrement dit, en deçà de la fonction heuristique qu’ils peuvent prendre au sein d’une réflexion globale sur un groupe social déterminé, ces premiers échanges entre le chercheur et ses « indigènes » n’engagent-ils pas déjà la nature même de la recherche : son objet, sa problématique et sa méthodologie ?
2Je me suis trouvé confronté à ces questions au cours de négociations que j’ai menées dans le cadre de ma thèse de doctorat en anthropologie médicale en cours [2] portant sur les activités de recherche clinique en cancérologie. En effet, il m’avait semblé intéressant de documenter une pratique des essais cliniques, très courante dans les services d’oncologie médicale en France, dont les résultats défraient régulièrement la chronique dans la presse, mais dont le déroulement, la signification et les enjeux pour les acteurs restaient encore assez largement méconnus – à la différence de ce que l’on peut observer dans le champ du VIH-sida, par exemple. Il s’agissait pour moi de tenter de comprendre comment et à quelles conditions pouvait se nouer, se construire sur le terrain, une relation d’expérimentation entre un médecin et son patient. Autrement dit, d’étudier la microculture mi-scientifique, mi-thérapeutique mise en œuvre par la communauté cancérologique et destinée à faire progresser la connaissance et les traitements des cancers. C’est dans cette optique que j’ai été conduit à m’adresser à deux établissements médicaux dans l’espoir d’y conduire un terrain ethnographique sur les expérimentations menées sur certains malades volontaires, en vue de tester l’efficacité de nouveaux produits. Or, dans les démarches que j’ai entreprises, plus encore que la simple possibilité de mener l’enquête au sein de ces structures médicales, c’est la nature même de ma recherche qui m’est apparue mise en jeu. En effet, mes interlocuteurs pouvaient, certes, toujours décider de refuser que je réalise mon projet avec eux, de me « fermer » le terrain. Mais de mon côté, je me suis aussi trouvé dans la position de devoir prendre des décisions engageant l’orientation de mon projet de recherche, en fonction de leurs réactions, de leurs propositions ou de leurs sollicitations. La question à laquelle je devais faire face était alors moins : « pourrai-je mener une enquête ? » que « quelle enquête pourrai-je mener ? ». C’est la raison pour laquelle je propose ici de désigner la négociation comme un « moment critique » de l’enquête, c’est-à-dire, étymologiquement, un moment décisif durant lequel des choix sont opérés, des options sont prises, des compromis réalisés par le chercheur qui engagent déjà en partie le contenu et l’avenir de sa recherche.
C’est donc le rôle constitutif de ce moment critique dans la dynamique d’élaboration de mon projet de recherche que je vais tenter de mettre en évidence à travers l’analyse des séquences de négociation que j’évoquais et qui se sont déroulées, de fin septembre à décembre 2008, dans un centre de lutte contre le cancer francilien – que j’appellerai le « Centre » dans ce qui va suivre – et un centre hospitalier universitaire (CHU) parisien.
Négocier un terrain d’enquête : entre sollicitation et échange
3Les chercheurs de terrain en sciences sociales qui pratiquent l’enquête « à découvert » (Peretz 1998) au sein « d’institutions fermées » (Darmon 2005 : 98) ont coutume de considérer les négociations de terrain comme des pourparlers à mener avec les autorités hiérarchiques du groupe social dont ils souhaitent pénétrer et comprendre le fonctionnement, afin de pouvoir y pratiquer une observation et un certain nombre d’entretiens. Il s’agit donc d’abord d’obtenir le droit d’entrer en un lieu, au sein d’une communauté et un accord pour y travailler sur un objet déterminé. L’enquêteur se trouve donc en position de demandeur vis-à-vis de ses interlocuteurs, sollicitant de leur bienveillance l’autorisation de séjourner pour une certaine période dans l’espace social qu’ils gèrent, et leur coopération pour la réalisation de son entreprise cognitive. L’enjeu est alors double. D’une part, l’acceptation de l’étude, qui se traduit par la présence du chercheur sur place et la possibilité de négocier ultérieurement des entretiens avec certaines personnes. D’autre part, le degré de liberté du chercheur sur le terrain, qui est fonction de la nature ou du nombre des espaces qui lui sont ouverts ou fermés, de la qualité des personnes qu’il peut observer et interroger et des informations auxquelles il pourra ou non accéder, etc. On saisit immédiatement l’importance de telles négociations sur lesquelles reposent rien moins que les conditions de possibilité d’une recherche. Ainsi, une négociation « réussie » dépend largement de l’habileté de l’enquêteur, de son savoir-faire, de sa science de la « politique du terrain » (Olivier de Sardan 2009 : 39). En un mot, négocier un terrain d’enquête en sciences sociales prend souvent le sens d’entreprise destinée, pour le chercheur, à se ménager un accès le plus large possible aux informations qui l’intéressent concernant un ou plusieurs aspects de la vie d’un groupe social particulier.
4Cependant, dans un contexte où « les conditions [faites à l’ethnographie] sont de plus en plus difficiles », où « chaque chercheur pourrait probablement établir une liste des lieux dont on lui a rendu l’accès difficile » (Fassin 2008a : 9), on peut noter un changement dans la nature de certaines négociations. Il n’est pas rare, par exemple, que les enquêtés auxquels il s’adresse demandent au chercheur qu’il leur « restitue » les résultats de sa recherche en contrepartie de leur accueil. Une exigence qui, non seulement constitue une obligation de « l’ethnologue du proche » (Zonabend 1994), mais qui permet également de rendre à la négociation son dynamisme d’échange entre deux parties qui, toutes deux, donnent et reçoivent pour parvenir à un accord. Ces situations de recherche intéressant à la fois l’enquêteur (du point de vue du progrès de la connaissance) et l’enquêté (du point de vue de la reconnaissance de soi ou du progrès de ses pratiques) contribuent à rendre les négociations moins unilatérales et les interactions plus équilibrées entre des individus également actifs et intéressés.
5Mais les choses peuvent aller plus loin. Sur certains terrains, il peut être demandé au scientifique du social une collaboration, voire une participation contractualisée et rémunérée à une recherche interne dont les conclusions intéressent les enquêtés eux-mêmes. C’est le cas par exemple dans le milieu médical où, par un effet de « looping », pour reprendre l’expression de Ian Hacking (1995), les acteurs sociaux se sont approprié certaines catégories les concernant, en provenance plus ou moins directe des sciences sociales, et se sont donné pour mission « d’humaniser » l’univers hospitalier de l’intérieur. Les médecins procèdent ainsi fréquemment à des enquêtes par questionnaire, inspirées des méthodes sociologiques, auprès de leurs malades. Dans ce contexte de gestion interne de la critique, l’expert du social qui négocie un terrain peut donc se voir proposer dans le cadre de sa propre recherche, la réalisation d’une étude, pour le compte de la structure contactée, à titre compensatoire.
Qu’en est-il dès lors de l’autonomie du chercheur s’il accepte ce travail ? Est-il vraiment, quand le terrain est d’accès difficile, en position de refuser une offre qui le lui ouvrirait ? Mais surtout, qu’en est-il de la construction de son objet de recherche ? Peut-il s’approprier celui prédéfini par ses enquêtés comme étant pertinent et problématique, ou doit-il chercher à faire accepter une orientation cognitive propre ?
Le projet de recherche initial : susciter l’intérêt des enquêtés potentiels ?
6J’ai commencé d’envisager une partie de ce problème durant la rédaction de la réponse que j’ai faite, pour financer ma thèse, à un appel d’offre relatif à des projets de recherche en sciences humaines et sociales, lancé par l’INCa (Institut national du cancer). Il me semblait en effet important de montrer les implications concrètes possibles du travail que je souhaitais entreprendre pour la communauté médicale, patients inclus. Ceci non seulement dans une intention rhétorique destinée à attirer l’attention des experts sur ma proposition, mais aussi plus profondément, car je ne parviens pas à concevoir la recherche en sciences sociales comme une activité de connaissance purement autotélique, dénuée de toute perspective sinon utilitaire, du moins, à terme, réformiste. J’ai donc tenté, en rédigeant mon projet de recherche, de surmonter le paradoxe qui veut que, comme le souligne Sophie Caratini, il est certainement vain de vouloir « définir a priori une ‘‘problématique’’ s’il s’agit du ‘‘problème’’ de l’objet, alors qu’on ne le connaît pas, qu’on ne l’a même jamais rencontré » (2004 : 65). Il y a là effectivement un cercle lié à la forme des modes de financement de la recherche qui exigent des sciences inductives qu’un objet, une problématique, des hypothèses et une méthode très précises soient établies préalablement à l’enquête au cours de laquelle ils sont censés se constituer. Il n’est pas douteux que cela tende à rendre assez formels certains projets élaborés dans ces conditions. Mais, comme le note très justement Sylvie Fainzang : « S’il est vrai que les questions que l’on se pose au départ ne doivent pas être de nature à figer l’enquête, elles permettent néanmoins de donner un sens (j’entends : une direction) à l’observation » (1994 : 171). C’est la raison pour laquelle, à partir de lectures théoriques et d’informations récoltées çà et là (sites internet, brochures, colloques…), j’ai élaboré un premier projet de recherche.
7J’ai identifié le vécu des patients participant à une recherche clinique en cancérologie comme un objet de recherche pertinent susceptible d’intéresser l’ensemble des parties, depuis les patients eux-mêmes jusqu’à l’INCa, en passant par les médecins investigateurs [3] et moi-même en tant qu’anthropologue. En effet, ce qui m’a beaucoup frappé dans mes lectures préparatoires, c’est l’absence récurrente des patients (de leur parole, de leur expérience) dans les quelques études en sciences sociales existant sur l’expérimentation en cancérologie. Il s’agit là d’un véritable double paradoxe dans la mesure où, d’une part, la littérature de terrain sur les essais cliniques est assez restreinte alors même qu’il existe historiquement une véritable « culture de l’expérimentation » en cancérologie (Löwy 2002) et, d’autre part, que la relation clinique, entre soignants et soignés, n’y est jamais investiguée comme elle a pu l’être pour d’autres pathologies dans les années 1950 par Renée Fox (1959) aux États-Unis. « Mon investigation ne comportait pas de contacts directs avec les malades ni d’enquête poussée sur le service d’oncologie », précise par exemple Ilana Löwy (2002 : 35) dès l’introduction de l’ouvrage dans lequel elle étudie un essai d’immunothérapie du cancer en France dans les années 1980. Ce qui intéresse la sociologue et historienne des sciences, qui s’est faite « ethnologue de laboratoire » pour cette enquête, c’est d’abord la connaissance des conditions sociales concrètes de la production du savoir scientifique, au niveau de la coopération entre les « médecins des souris » et les « médecins des hommes ». Quant à Isabelle Baszanger, dont un des terrains a été consacré, dans un service d’oncologie, à la période des « chantiers empiriques » durant laquelle les médecins décident d’orienter les malades en situation d’impasse thérapeutique plutôt en soins palliatifs ou plutôt vers un essai clinique, elle conclut son article sur ces mots : « c’est […] ce qu’il faut maintenant explorer en orientant ce travail de recherche vers les malades dans cette phase particulière des trajectoires de santé » (2000 : 94). Autrement dit, le vécu des malades inclus dans une expérimentation biomédicale en cancérologie constitue un point aveugle de nos connaissances. Il m’a donc semblé qu’un travail de documentation ethnographique des interactions proprement cliniques, c’est-à-dire du malade avec l’ensemble des acteurs sociaux de la recherche (de l’investigateur, à la diététicienne en passant par l’infirmière, le technicien de recherche ou la psychologue) pouvait contribuer à combler cette lacune.
Pour donner corps à cet objet de recherche et le faire entrer dans le champ de préoccupation des acteurs de la recherche biomédicale, j’ai identifié un concept employé par certains d’entre eux, à savoir celui de « patient partenaire de recherche » [4]. J’ai formulé à partir de là l’hypothèse de l’existence d’un processus de construction sociale autour du malade cancéreux inclus dans une expérimentation biomédicale, visant à le rendre acteur de la recherche et non plus objet de science, partenaire et non plus cobaye. D’où la question que j’ai élaborée, relative à la spécificité éventuelle du vécu des patients traduisant ce statut de partenaire qui leur est accordé dans la recherche clinique. Quel « travail », au sens de Strauss (et al. 1985), fournissent-ils pour la recherche ? Dans quelle mesure sont-ils l’objet d’un traitement spécial par rapport aux autres patients ? Comment l’expérience de la participation à une recherche s’inscrit-elle dans leur trajectoire de maladie ?
De la négociation à la collaboration : travailler « sur » ou « avec » la médecine ?
8C’est avec ce projet de recherche assez général, à connotation sociologique, que je me suis d’abord adressé à un centre de lutte contre le cancer situé en Île-de-France, réputé internationalement pour le nombre et la qualité des recherches menées en son sein. Sa visibilité dans le champ de la recherche clinique en cancérologie, la variété des études y étant menées et le nombre de patients concernés ont naturellement été à la base de ce choix.
9Assez rapidement, un contact m’est donné avec un médecin investigateur, le Dr Alain [5], intéressé par une collaboration avec un chercheur en sciences sociales sur un projet d’étude de la qualité de vie des patientes incluses dans un essai clinique européen sur le cancer du sein. Dans la foulée nous avons un entretien pour discuter de nos projets respectifs et envisager la possibilité de travailler ensemble. Autour d’un café, après un accueil chaleureux, le médecin – qui me tutoie d’emblée – me présente la recherche qu’il souhaite me confier. Il s’agirait de mener une étude par questionnaires auprès des patientes incluses dans un essai « très particulier » visant principalement à comparer l’efficacité d’un test génomique novateur avec celle des traditionnels examens clinico-pathologiques dans la prédiction des risques de rechute de certains cancers du sein. Autrement dit, un essai sans visée thérapeutique directe pour les malades – qui ne testeront pas de nouvelle molécule – mais portant sur la fiabilité du diagnostic. L’objectif serait de mesurer, à côté de l’efficacité médicale, « l’impact sur les patients d’avoir un diagnostic traditionnel ou scientifique », c’est-à-dire leur perception du fait que la décision de traitement les concernant soit fondée sur les résultats d’un test biologique plutôt que sur l’analyse d’un médecin.
10Sur le moment, la question me semble intéressante. Mais la méthodologie me gêne. Elle s’inscrit tout à fait dans la pratique, que j’évoquais plus haut, de médecins soucieux de mesurer la « qualité de vie » de leurs patients. Ces mesures font l’objet d’une méthodologie établie à un niveau international par la rédaction de questionnaires standardisés [6] débouchant sur un traitement statistique des réponses en termes de « score » [7]. Or, de nombreux auteurs, par exemple Alvan Feinstein (1996), ont dénoncé la vision réductionniste du vécu des personnes engendrée par ces méthodes. C’est également ma conviction, ce qui me conduit à dire d’emblée à mon interlocuteur mes réticences à l’idée d’utiliser une telle méthodologie dans le cadre de ma thèse. Soulignant, comme le formule Jean-Pierre Olivier de Sardan, « le contraste évident qui oppose l’enquête par questionnaire et l’enquête de terrain socio-anthropologique » (2009 : 40), j’expose alors les grandes lignes de mon projet d’observation participante centré sur l’ensemble du processus institutionnel de prise en charge du patient dans le cadre d’un essai. Cela ne semble pas poser de problème à mon interlocuteur qui m’assure de la possibilité de faire mon étude en parallèle et d’interroger aussi les médecins, dans la mesure où, selon lui, ces derniers peuvent éprouver des difficultés à « expliquer aux patients » un essai aussi complexe et « troublant » qui nécessite une certaine « foi dans la technologie ». Bref, j’ai affaire à un médecin assez conciliant qui me propose un échange de bon procédés : une aide pour réaliser une enquête par questionnaires contre le fait d’avoir accès aux patientes incluses dans l’essai et, plus tard peut-être, dans d’autres. Nous convenons donc que je réfléchisse à la pertinence de cette collaboration et que je prenne éventuellement contact avec le Dr Ulrich, médecin coordonnateur de cet essai, afin d’obtenir son accord pour réaliser mon travail.
Réflexions sur une proposition plutôt gênante pour l’anthropologue
11Les semaines qui ont suivi cet échange ont été pour moi celles du doute concernant la proposition qui m’était faite. Premier doute en ce qui concerne l’essai lui-même comme objet de recherche. Il s’agissait d’un essai « très particulier », selon les termes mêmes du Dr Alain, du fait de sa dimension non thérapeutique. Les traitements auxquels les patientes étaient soumises étaient des traitements standard. Or, c’est plutôt a priori les essais de nouvelles molécules que j’avais l’intention d’étudier, dont les enjeux humains sont d’autant plus forts que l’incertitude et la prise de risque est grande pour les patients. Deuxième doute, à propos de la méthodologie des questionnaires : dans quelle mesure ce type d’enquête pourrait-il s’inscrire dans la démarche de ma thèse en anthropologie ? J’étais très sceptique sur cette possibilité. Troisième doute, le temps : la mise en place d’une telle étude risquait de m’en prendre beaucoup. En effet, la période d’« ouverture » de l’essai, durant laquelle des patientes étaient susceptibles d’être « recrutées », était de trois ans et celle du suivi de ces mêmes patientes de sept ans ! Cela n’était manifestement pas compatible avec la temporalité d’un travail de thèse. Enfin, ce qui me souciait beaucoup, c’était le sentiment de perte d’autonomie de ma recherche dans la mesure où le médical décidait de mon objet. En sortant de ce premier entretien, j’avais le sentiment qu’on assignait aux sciences sociales le statut d’auxiliaire de la biomédecine. Il s’agissait, en somme, de savoir si les patientes vivaient bien ou mieux le fait que leur traitement soit basé sur le résultat d’un test diagnostic génomique, afin de pouvoir justifier un peu plus de son utilisation ultérieure auprès des investisseurs ou des décideurs politiques.
12Mes doutes ne se sont pas dissipés suite à un second entretien que j’ai eu avec l’attaché de recherche clinique (ARC) coordonnateur du Centre. Je me suis adressé à lui, au motif de préparer l’étude que l’on m’avait proposée, afin d’en savoir plus sur l’organisation de la recherche clinique dans l’établissement. Les ARC sont les professionnels chargés de la gestion technique de l’essai, ils veillent au respect des procédures du protocole par les soignants et récoltent des données cliniques concernant chaque patient. Ils ont donc un rôle clé dans le fonctionnement de la recherche. Or, lors de cet entretien, mon interlocuteur met en doute directement la pertinence, de son point de vue, de m’intéresser pour ma thèse à l’essai que l’on me propose. Selon lui, ce sont les essais précoces, dits de « phase I », c’est-à-dire ceux, durant lesquels on administre pour la première fois un nouveau médicament à l’homme, qui sont les plus problématiques. En effet, seulement 10 à 15 % des patients tirent un bénéfice thérapeutique de ces essais qui visent principalement à établir quelle est la dose maximale tolérée chez l’homme du produit à l’étude. Les autres malades non seulement ne voient pas leur maladie régresser, mais doivent subir des toxicités très importantes et souvent inconnues. Le problème éthique de ce type de recherche risquée est donc évident, qui rend l’ARC « pessimiste sur la situation actuelle » et soucieux de « réinjecter du sens dans certaines pratiques ». Autrement dit, ce dernier voit d’un très bon œil ma recherche et y fait bon accueil, mais accentue mes interrogations concernant le choix de mon objet de recherche dans le Centre.
L’ouverture d’une négociation parallèle : ethnographie « multi-site » et multiplication stratégique des contacts
13Ces doutes m’ont incité à démarrer plus rapidement que prévu une négociation parallèle sur un autre terrain. Une telle démarche m’a semblé nécessaire afin de ne pas rester prisonnier de la situation inconfortable dans laquelle j’étais impliqué au Centre. Il se trouve que l’exploration de cette autre piste a confirmé quelques-unes de mes intuitions.
14Je prends donc rendez-vous avec le Pr Antoine, jeune cancérologue qui dirige un service de taille modeste, assez récemment créé, dans un CHU parisien, dont je savais qu’il était impliqué dans la recherche clinique puisque je m’étais procuré quelques articles d’éthique médicale qu’il avait publiés sur ce sujet. Lors de notre entrevue, ce dernier se montre d’emblée très curieux de mon travail. Il accepte même très rapidement le principe que je travaille dans son service après que je lui ai décrit sommairement mon projet et ma méthodologie. Et quand, développant mon propos, j’évoque mon intention de faire un terrain « multi-site » (Marcus 1998), dans une perspective comparatiste, dans son unité et au Centre, il se lance alors dans un long exposé sur sa propre conception de la recherche clinique et ce qui la distingue de celle des médecins du Centre. Selon lui, la pratique de la recherche clinique dans son unité est plus réduite, concerne un nombre moins important de malades qu’au Centre, ce qui permet à l’équipe médicale d’être plus proche des patients inclus, notamment en cas d’échec, au moment délicat de la sortie de l’essai clinique. Il oppose donc sa gestion presque « familiale » de la recherche à celle, plutôt industrielle, à grande échelle, pratiquée au Centre. Grâce à cela, notre rendez-vous se transforme donc en entretien très intéressant pour ma recherche. Je comprends l’existence d’une compétition entre cancérologues qui l’incite à penser que la « comparaison » des services pourrait tourner à son avantage, alors même qu’il n’est pas question pour moi d’évaluer les pratiques respectives des cliniciens, mais de multiplier les points de vue sur mon objet. Ce malentendu sur le sens du terme « comparatisme », qu’il interprète immédiatement (et de manière très significative relativement à l’univers de la recherche clinique) comme une mise en concurrence, excite davantage encore son intérêt pour ma recherche et favorise alors pour moi le recueil d’informations essentielles. Il insiste ainsi également très fortement sur le thème des essais de « phase I », qui sont « à haut enjeu », et qui devraient être au centre de ma recherche selon lui, car la question de leur caractère « éthique » est très discutée dans le milieu de la cancérologie. Ce discours, qui s’accorde en tous points avec celui de l’ARC rencontré au Centre, me renforce dans l’idée, qui fait son chemin dans mon esprit, que les phases I sont probablement un objet pertinent pour ma recherche. Je prends conscience, alors, du caractère déterminant de ces négociations en ce qu’elles constituent un premier contact avec le terrain au cours duquel un projet peut prendre corps, se concrétiser et se lester éventuellement du poids du questionnement authentique d’une partie des acteurs.
15Enfin, mon interlocuteur me glisse en passant quelques conseils sur la conduite à tenir selon lui pendant mon enquête, qui démontrent une certaine ouverture aux méthodes de travail des chercheurs de terrain en sciences sociales. Il me demande, par exemple, de réfléchir à la manière de présenter mon travail à ses collaborateurs afin qu’ils ne se sentent pas « espionnés », il me propose également de le « suivre à la culotte » pendant quelques jours pour comprendre le fonctionnement de la recherche dans son unité, et, dernier élément, il m’indique certains espaces connexes à explorer pour ma recherche, comme l’Unité mobile de soins palliatifs, avec laquelle il déclare travailler en étroite collaboration lors de la prise en charge des malades sortis d’essai. Ainsi, de manière surprenante, le Pr Antoine ne semble poser aucune condition à ma venue dans son service. Il n’est par exemple pas question de restitution ou de quelconque « retour d’enquête », destiné à améliorer la qualité du travail de son équipe ou à lui faire mieux connaître le vécu des malades inclus, comme on aurait pu l’imaginer. Tout se passe comme si son accord n’était motivé que par son intérêt pour mon questionnement, qui pouvait rejoindre en partie celui qu’il avait exprimé dans ses articles d’éthique médicale sur le sujet de la recherche clinique de phase I. En me glissant : « tu viens quand tu veux, nous on est là, on continue de toute manière », il m’indiquait qu’il me laissait l’entière responsabilité de ma recherche.
Cette sensibilité du Pr Antoine aux modes de questionnement et de recherche en sciences sociales et le très bon accueil qu’il fait à mon projet sont d’autant plus remarquables qu’ils contrastent fortement avec la teneur d’un entretien ultérieur que j’aurai, au Centre, avec l’investigateur principal de l’essai sur lequel on me propose de travailler.
Recherche en sciences sociales et recherche clinique : le poids des cultures, le choc des épistémologies
16En effet, soucieux d’explorer complètement la piste ouverte au Centre, je prends rendez-vous (comme convenu avec le Dr Alain) avec l’investigateur principal de l’essai diagnostic sur le cancer du sein, le Dr Ulrich, pour discuter des conditions de possibilité d’un travail ethnographique sur l’étude qu’il conduit. C’est lui, en effet, qui peut, en dernier ressort, me donner le droit d’entrée sur ce terrain.
17Après avoir annulé un premier rendez-vous in extremis quelques semaines auparavant, le médecin m’accueille avec trois quarts d’heure de retard dans le premier box de consultation qu’il trouve inoccupé, tout en priant de l’excuser de manger son sandwich pendant notre entretien. Sur son invitation, je commence alors à présenter mon projet. Cependant, je n’ai pas le temps de développer totalement le petit propos que j’avais préparé sur le vécu spécifique des patients dans la recherche clinique, qu’il m’interrompt en me demandant assez sèchement : « oui, mais c’est quoi ta question ? », laissant entendre que mon projet est « trop flou », « pas assez précis ». J’argumente tant bien que mal l’hypothèse de la construction sociale d’une nouvelle figure du sujet expérimental en cancérologie, mais lui s’intéresse plutôt à ce que je « veux faire, des entretiens qualitatifs ? […] Combien de patients tu veux interroger ? ». J’hésite un peu dans la réponse à donner à cette question, ne sachant pas exactement combien de patientes participent à l’essai, mais cela achève de déconsidérer ma proposition à ses yeux :
« — Non. Nous, on en a vu des milliers de patients avant d’avoir une idée, comment tu veux faire ? Il faut que tu fasses un bras de contrôle, sinon comment tu vas juger du vécu particulier des patients dans un essai clinique ? Il faut que tu puisses comparer.
— En anthropologie, vous savez, l’objectif n’est pas forcément d’atteindre la représentativité, l’objectif est descriptif. On veut décrire des situations, des cas… la situation ici, au Centre, du déroulement d’une recherche, sans jugement de valeur. On cherche pas à dire : “ça c’est bien, ça c’est pas bien, etc.”
— Oui, mais à quoi ça sert ? J’y connais rien en anthropologie ou en sociologie, mais nous on veut des connaissances généralisables. On n’est pas une ethnie primitive. C’est quoi ton objectif ?
— Eh bien, c’est de décrire la réalité d’un terrain sans tirer des conclusions sur comment ça se passe ailleurs, c’est empirique…
— (Rires) Oui mais tu as bien un objectif, informer le public sur la recherche, je sais pas… Et pourquoi (cet essai) alors ?
— Eh bien, parce que j’en ai discuté (…) avec le Dr Alain, votre confrère, qui me l’a proposé…
— Ah bon ! Il vaudrait mieux que le choix découle d’une question. De toute façon on va pas te laisser scruter comme ça très tôt dans la maladie… On te laissera pas “emmerder”, entre guillemets, les patientes comme ça si tu n’as pas des questions précises à leur poser, tu vois… On est là pour les protéger aussi les patientes. Alors, tu nous donnes un projet précis avec les enjeux, méthode, temps… La recherche c’est du temps et de l’argent. De l’argent, surtout en ce moment, ça vient pas comme ça. Tu peux pas dire que tu vas interroger six ou douze patients, on n’a pas le droit d’avoir des incertitudes comme ça. »
19Un malentendu épistémologique de fond est manifeste dans cet entretien, qui n’est pas sans rappeler les fréquentes « incompréhensions réciproques » (Sarradon-Eck 2008) entre anthropologues et médecins sur le terrain, devenues un classique du genre, voire un lieu commun de nos réflexions. Il convient tout de même de souligner ici le fait que, dans le cadre d’une recherche (en sciences sociales) sur la recherche (clinique), le risque pour l’anthropologue d’être soumis aux exigences scientifiques dominantes dans le milieu qu’il étudie est véritablement majoré. En effet, sans entrer dans un débat théorique possible entre une conception unifiée de la science et un dualisme opposant les sciences humaines et sociales des sciences de la nature (Cefaï 2003 : 182), il existe, de fait, des rapports de pouvoir entre ces deux univers de savoir. En l’occurrence, c’est l’être humain qui leur sert de trait d’union, dans la mesure où il est le matériau sur lequel l’anthropologue comme le clinicien investigateur travaillent, l’un au niveau biologique, l’autre au niveau culturel. Mais de plus, en se plaçant dans la position du protecteur de leur tranquillité, le Dr Ulrich suggère que l’enquête ethnographique pourrait ne pas être non plus sans conséquences sur les patients – ce qui constitue précisément un des problèmes majeurs de la recherche clinique en lien avec la toxicité des médicaments. Il indique bien ainsi une certaine volonté de rendre commensurables les deux types de recherche en présence. Dès lors, visiblement convaincu que « ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique », ainsi que le proclamait le grand cancérologue Jean Bernard, ce sont d’abord les méthodes de travail et le type de connaissance produit par les sciences sociales qui se trouvent mis en question par mon interlocuteur. Ce dernier aborde mon exposé avec les préjugés naturels d’un chercheur rompu aux méthodes en vigueur dans le domaine de l’expérimentation biomédicale (« bras de contrôle »). Ce qu’il attend d’un projet de recherche, c’est qu’il ait la forme d’un protocole expérimental comparatif, susceptible de valider ou d’invalider un certain nombre d’hypothèses prédéfinies de manière non équivoque, et visant l’obtention de connaissances générales finalement utiles. La conception « exotique » de la science, à ses yeux, que je m’efforce maladroitement de faire valoir ne le convainc donc pas vraiment. Ainsi, bien qu’il semble admettre l’existence possible de régimes de scientificité qu’il ignore (« j’y connais rien en anthropologie ou en sociologie… »), il conclut notre « dialogue de sourds », comme on pourrait le qualifier, par une invitation à reformuler mon projet dans les termes canoniques de la recherche clinique. Malgré d’évidentes difficultés de compréhension, qui ne sont pas sans rappeler la « dimension belliqueuse de l’expérience de terrain » (Pulman 1988), le Dr Ulrich ne ferme donc pas définitivement la porte devant ma recherche. Je me trouve simplement placé face à l’obligation de me conformer à l’habitus scientifique d’une partie de mes enquêtés à titre de condition préalable de l’enquête. Plus que sur un procès en « incompétence scientifique » (Darmon 2005 : 109), notre entretien débouche donc sur un réquisit manifestant la domination de l’épistémologie expérimentale sur celle de l’induction empirique.
On peut interpréter cette exigence comme l’expression d’une certaine volonté de contrôle du regard anthropologique par le médical, ceci à un double niveau. D’abord au niveau particulier, local, si l’on considère la position du Dr Ulrich dans la hiérarchie médicale du Centre, qui est celle d’un médecin qui, certes, exerce certaines responsabilités (coordonnateur d’essais cliniques, responsable d’un comité d’organe [8]), mais dont l’ascension professionnelle est en cours, qui n’occupe pas encore une place dominante dans l’institution à laquelle il appartient. Dans ce cas, en effet, le contrôle pourrait avoir une finalité de protection pour ce médecin en devenir, désireux de se prémunir contre d’éventuels effets gênants d’une enquête dont il a le sentiment de ne pas maîtriser tous les tenants et les aboutissants. Le fait que, a contrario, un médecin parvenu au sommet de la hiérarchie médicale hospitalière, comme le Pr Antoine au CHU, n’impose pas à ma recherche une domination aussi formelle et explicite tend à confirmer cette hypothèse. Ce qui ne veut pas dire que l’accueil que ce dernier fait à ma recherche soit exempt d’effets de domination. Il tente en effet, d’une certaine manière, d’influencer mon regard en m’exposant sa conception de la recherche clinique – influence sur laquelle j’aurai aussi à réfléchir – mais la volonté de contrôle s’exerce alors plus subtilement, moins violemment. Ainsi, l’effort de domination de la recherche en sciences sociales par le médical semble bien exister aussi à un niveau plus général, global, sur lequel on peut s’interroger. En effet, d’un côté, l’exigence de conformité de nos projets de recherche à des standards exogènes ne risque-t-elle pas de déboucher sur un conformisme de façade de la part d’une partie des chercheurs en sciences humaines et sociales, qui, avertis, seront tentés de rédiger des protocoles ad hoc destinés à leur garantir l’accès à des terrains médico-hospitaliers sur lesquels ils tenteront par la suite de poursuivre leur propre type de recherche ? Et, d’un autre côté, ne risquerait-on pas, au contraire, de basculer dans un style de recherches sur commande, « finalisée », c’est-à-dire guidée par des impératifs et des problématiques médicales, visant à produire des résultats mesurables, évaluables et utiles ? Autrement dit, dans une forme de « gouvernement de la recherche, au sens foucaldien de l’intériorisation par les chercheurs de normes [scientifiques] limitant leur indépendance » (Desclaux 2008) ? C’est toute la question de l’autonomie de la recherche en sciences sociales vis-à-vis du pouvoir médical qui se trouve mis en jeu dans le continuum de situations qui peut exister entre ces deux polarités.
Mais, pour revenir à mon expérience de terrain, il faut souligner que cet entretien n’aura pas été inutile du point de vue de la construction de mon objet de recherche. Bien au contraire. Une phrase m’a en effet immédiatement frappé dans le propos de mon interlocuteur, qui entrait directement en résonance avec les doutes que j’ai exposés plus haut. Il s’agit de sa remarque sur le fait qu’« il vaudrait mieux que le choix (de l’essai étudié) découle d’une question ». Elle soulignait la difficulté d’ajustement de mon projet de recherche avec la proposition qui m’était faite sur le terrain. Bien que cet ajustement puisse relever du « tour de main » ou du « bricolage » qui caractérise l’enquête ethnographique selon J.-P. Olivier de Sardan (2009 : 45), il ne cessait pas de me poser problème et de m’interroger. Devais-je suivre cette ouverture, quitte à transformer mon questionnement, en préparant un protocole dédié, comme l’exigeait cet investigateur, ou bien n’était-ce pas le signe que je faisais fausse route ? Jusqu’à quel point l’anthropologue peut-il se laisser « guider dans ses choix par les injonctions sensibles venues du terrain » (Bromberger et al. 1995 : 4), sans dénaturer sa recherche, sans la vider de sa substance ? La question de la qualité de vie mesurable des patientes, bien que suggérée par certains acteurs, était-elle néanmoins un bon objet de recherche pour moi ? En arrière-plan de ces questions scientifiques, se trouve bien sûr celle, plus politique, de savoir si l’anthropologue, qui est en position de demandeur dans ces négociations, peut se permettre de refuser une proposition qui lui est faite sans risquer de compromettre son entrée sur un terrain. En effet, hormis cet essai particulier sur lequel on me donnait l’opportunité de travailler, le Centre était pour moi un terrain d’enquête potentiellement formidable dans la mesure où un service entièrement dédié aux essais précoces de phase I venait d’y être ouvert, incluant plus d’une centaine de patients par an.
Refus de terrain de l’anthropologue et reconstruction de l’objet de recherche
20De novembre à décembre 2008, je me suis donc trouvé dans une situation critique, liée au fait d’avoir mené ces négociations parallèles qui m’ont confronté à deux possibilités de terrain de natures radicalement distinctes. La première, au Centre, était axée sur la proposition qui m’était faite par le Dr Alain de participer à une étude de mesure de la qualité de vie de patientes incluses dans un essai clinique particulier. Je pouvais envisager cette opportunité de deux manières : soit tenter d’intégrer l’étude que l’on me proposait dans mon projet et en faire mon objet de recherche, soit développer éventuellement mon enquête dans ses marges et me servir de ce partenariat comme d’un tremplin pour investiguer par la suite d’autres dimensions de la recherche clinique dans cet établissement. La seconde, dans le CHU, constituait une ouverture plus classique pour l’anthropologue, accompagnée du conseil de mettre au centre de mes investigations un type d’essai clinique problématique pour les acteurs, qu’ils soient soignants ou malades. Dans ce cas-là, je me posais la question de savoir si l’intérêt marqué par le chef de service pour la problématique des phases I était susceptible de venir nourrir mon projet de l’intérieur. À cela s’ajoutait, dans le premier cas, le fait que l’intégration immédiate dans un grand centre anti-cancéreux de renommée internationale, en tant que collaborateur des médecins, pouvait me laisser escompter un certain nombre d’avantages en termes de publications ou de financements ultérieurs éventuels. En effet, il fut notamment question avec le Dr Alain que mon travail soit crédité en cas de publications d’articles dans les revues habituelles de cancérologie (Bulletin du cancer, Journal of Clinical Oncology…), ce qui aurait pu avoir pour effet de me donner une certaine visibilité dans le milieu, bienvenue dans la perspective de futurs travaux dans ce domaine. Tandis que, dans l’autre cas, j’optais pour l’incertitude qui accompagne un travail moins visible, plus solitaire, mais relativement plus libre. J’aurais alors à conduire seul mon enquête, dans un service de moindre renommée, sans perspective assurée de valorisation académique de mon terrain. La situation que j’avais provoquée me plaçait donc devant la nécessité de prendre une décision qui engageait du même coup ma recherche tout entière. Face à l’impossibilité de faire deux terrains en même temps, il me fallait trancher.
21Le dernier entretien que j’ai eu, au mois de décembre 2008, avec le Dr Ulrich, au Centre, a achevé de me convaincre de l’impasse dans laquelle m’engagerait la volonté de surmonter l’hétérogénéité de ma recherche et de l’étude que l’on me proposait. J’ai donc décidé de prendre le risque de me fermer, peut-être définitivement, le terrain dans le Centre, en ne donnant pas suite à la proposition de collaboration qui m’y était faite. En faisant ce choix, je privilégiais donc ma liberté de chercheur dans la mesure où, n’étant heureusement pas demandeur de financement dans le futur ou d’autres gratifications dans l’immédiat – grâce à mon statut d’enseignant du second degré, qui me met à l’abri de la précarité que connaissent de nombreux jeunes chercheurs à l’heure actuelle – celle-ci pouvait d’autant plus facilement m’apparaître comme une valeur non négociable. Un choix qui renvoie, bien évidemment, à la question fondamentale aujourd’hui de l’autonomie matérielle des chercheurs en sciences sociales. Mais si j’ai pris cette voie, c’est aussi et surtout après avoir compris quel parti je pouvais tirer du conseil qui m’avait été donné par le Pr Antoine lors de ma négociation au CHU. À la suite de celle-ci, je me suis en effet intéressé de plus près encore à la question des phases I, afin de voir dans quelle mesure cet objet pouvait être fécond pour ma recherche. C’est ainsi que j’en suis venu à remodeler mon projet, pour inscrire la question du vécu des patients en tant que « partenaires de recherche » dans le cadre d’une « anthropologie morale » (Fassin 2006a) des pratiques de recherche clinique en cancérologie. En effet, le thème de la morale ou de l’éthique, omniprésent dans le domaine de l’expérimentation sur l’homme, était également au centre du discours du Pr Antoine. Il m’a donc semblé intéressant, dans une perspective ethnographique, d’envisager l’éthique en actes, « l’éthique comme pratique » (Fassin 2008b : 121) telle qu’elle se manifeste dans les conduites effectives des acteurs autour des essais de phase I en cancérologie.
22Mon hypothèse est que, par-delà les règles éthiques codifiées, explicitées voir légalisées (l’éthique des éthiciens, des comités d’éthique, c’est-à-dire des « strangers at the bedside » [9]), il existe des pratiques éthiques locales, situées, qui se manifestent dans les manières particulières de mettre en œuvre telle ou telle recherche, de résoudre tel ou tel problème concernant tel ou tel patient particulier. Il s’agirait d’étudier des comportements éthiques qui, loin d’être déterminés par un discours théorique général, dépendent d’une situation déterminée, spécifique et pratique, liée à l’histoire des services et à la formation des individus, autrement dit de ce que Pierre Bourdieu nomme l’« ethos » des chercheurs, c’est-à-dire un « ensemble de croyances, de coutumes, de principes ou de normes qui, intériorisées, font que dans telle situation, nous agissons de telle ou telle manière » (1992 : 133). Ainsi, en observant les pratiques des acteurs, en décrivant les actions des individus en certaines circonstances, on décrit des postures morales, on explore la « réalité empirique de l’éthique médicale » (Fassin 2008b : 120). Le projet d’une anthropologie morale des phases I d’essai clinique en cancérologie permettrait donc de mettre à jour la culture éthique de tous les jours en vigueur dans la recherche clinique. Or, parmi les éléments de cet éthos des cliniciens figure, bien entendu, la manière de traiter le patient et notamment de l’envisager ou non en tant que « partenaire de recherche ». Autrement dit, je me suis rendu compte que ma problématique initiale, centrée sur la construction sociale d’un partenariat médecin-patient dans la recherche clinique en cancérologie, s’inscrivait pleinement dans le cadre d’une investigation plus large portant sur les pratiques éthiques effectives au sein d’un service de recherche clinique. Par exemple comment le médecin juge-t-il s’il est bon ou mauvais, juste ou injuste de délivrer telle ou telle information à son patient ? Accepte-t-il ou non le consentement d’un patient qui n’a manifestement pas compris le but scientifique de l’essai qu’on lui propose ? Au nom de quelles valeurs ? La compassion, le refus de la mort apparaissent-ils comme des motifs légitimes pour proposer un essai dont on sait qu’il a peu de chances de réussir ? Mais plus encore, dans la démarche de recherche, l’éthos médical rencontre l’éthos des patients dans la mesure où l’autonomie et la responsabilité de ces derniers sont sollicitées au niveau de la demande de consentement qui leur est faite avant toute inclusion dans un protocole et tout au long de la recherche puisqu’ils peuvent, à tout moment, décider de quitter l’essai. Ainsi, s’ajoute la question de savoir ce qui est acceptable, tolérable pour le patient. Au nom de quelles valeurs accepte-t-il ou refuse-t-il de participer à une recherche ? Quelle valeur accorde-t-il à la vie et à la mort ? Quelles sont les croyances et les représentations qui guident ses décisions ? Il s’agirait alors d’étudier l’économie des valeurs, l’« économie morale » (Fassin 2006b : 392) en jeu dans la recherche clinique, qui met en relation des équipes médicales et des patients qui ont tous une certaine manière de faire le partage entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, le tolérable et l’intolérable, la vie et la mort.
* * *
Les négociations de terrain sont donc non seulement un véritable moment de l’enquête, mais elles peuvent également représenter une période critique dans l’élaboration de son objet par le chercheur. Loin d’être un mal nécessaire, une déplorable contrainte dont on se passerait bien, ou une simple contingence dont on pourrait tirer quelque information relative aux activités du groupe social envisagé, ces pourparlers initiaux peuvent constituer une ressource utile pour le chercheur soucieux de construire un objet de recherche pertinent, qui épouse les contours d’une réalité émergeant au fur et à mesure de sa progression sur le terrain. L’analyse de cette étape clé des « interactions entre l’enquête de terrain et la construction de l’objet » (Girard et Langumier 2006 : 128) est donc essentielle au processus de réflexivité qui est la garantie de scientificité des travaux ethnographiques. Pour ce qui est de ma propre recherche, l’accent mis sur la question des essais cliniques de phase I en cancérologie confirme pleinement le fait que, comme le fait remarquer Sophie Caratini : « La problématique, s’il en est, ne peut naître que de l’expérience, de la rencontre entre les “problèmes” du sujet cherchant, qui tente justement de mettre en mots “son problème” quitte à le déplacer sur un autre, et du sujet cherché qui, en cette occasion, va être sollicité pour énoncer le sien » (2004 : 65). Ainsi, la période des négociations de terrain, qui constitue l’articulation entre les versants théoriques et pratiques de la construction d’un objet de recherche, exige du chercheur une grande attention. Il s’agit en effet du moment où un projet d’abord intellectuel, porté par un désir de connaissance, fait l’épreuve du réel pour la première fois. Or, dans une science comme la nôtre, dont l’empirisme est réputé « irréductible » (Schwartz 1993) et dont l’induction constitue le credo, cette épreuve ne saurait être assimilée à une vérification. Au contraire, nous souhaitons qu’elle soit une confrontation à l’inattendu, l’inouï et l’inconnu de situations qui mettent à mal nos préjugés. Mais, face aux accidents d’un terrain à explorer, remettant en cause les cartographies mentales préalablement élaborées et destinées à donner du sens à nos observations, il s’agit également de ne pas perdre la boussole. Il me semble en effet que, symétriquement au dogmatisme rationaliste imposant ses catégories a priori à la réalité sociale, il existe aussi un danger pour l’anthropologue, particulièrement présent dans la phase initiale d’une enquête, de se faire « mal-mener » par le terrain, c’est-à-dire de perdre le fil de son intuition de départ en se laissant séduire par certaines opportunités. Il importe donc, dans la mesure où les conditions de travail du chercheur déterminent en grande partie la nature de son enquête, d’être spécialement attentif au moment où elles se négocient.
Bibliographie
Ouvrages cités
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Notes
-
[*]
Une première version de ce texte a fait l’objet d’une communication lors de la journée d’étude « Modalités d’enquête et construction de l’objet dans la recherche en sciences sociales de la santé », École des hautes études en sciences sociales, Paris, 5 mai 2009. Il a bénéficié des commentaires et indications des étudiants de la formation doctorale SPPS (Santé, populations, politiques sociales) de l’École, organisateurs de la journée, des lectures attentives de Marie-Christine Pouchelle et Bertrand Pulman, ainsi que des remarques des membres du comité de rédaction de la revue Genèses. Que toutes et tous soient ici remerciés.
-
[1]
Le classique Guide de l’enquête de terrain de Stéphane Beaud et Florence Weber (2003) fait, par exemple, référence à la nécessité de « négocier (sa) place », mais il s’agit de négociations informelles, d’ajustements en cours d’enquête et non de négociations initiales et formelles avec des autorités institutionnelles.
-
[2]
« Vivre une expérimentation biomédicale : devenir “partenaire de recherche” ? Étude ethnographique de l’expérience des personnes participant à une recherche clinique dans un service de cancérologie en France », École des hautes études en sciences, Paris.
-
[3]
Dans la recherche clinique, on appelle « investigateur » le médecin qui est responsable de la mise en œuvre d’une recherche menée sur les patients d’un établissement, pour le compte d’un « promoteur », qui la finance et en a défini le « protocole », c’est-à-dire les objectifs, méthodes, durée, nombre de patients concernés…
-
[4]
Voir, par exemple, le Journal de l’institut Curie (« Les patients, partenaires de recherche », n° 65, 2006, p. 7) ou encore l’axe 7 du « Projet fédéral 2003-2006 » de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (2003).
-
[5]
Pour des raisons d’anonymat, tous les noms ont été modifiés.
-
[6]
Voir par exemple les QLQ (Quality of Life Questionnaires) répertoriés par le site internet de l’European Organization of Reasearch and Treatment of Cancer : http://groups.eortc.be/qol (consulté le 17 juin 2009).
-
[7]
Pour une présentation de cette démarche voir les travaux d’Alain Leplège (notamment 1999) et pour son application à la recherche clinique, Rodary, Leplège et Hill 1998.
-
[8]
Structure qui rassemble tous les médecins du centre (chirurgiens, radiothérapeutes, oncologues) traitant une même pathologie cancéreuse, afin de permettre un travail en commun sur les dossiers médicaux des patients des uns et des autres.
-
[9]
Littéralement « étranger au lit du malade », par référence au livre de David J. Rothman sur l’histoire de l’influence des comités de bio-éthique, et notamment des non médecins qui y participent, sur la médecine, notamment expérimentale, aux États-Unis (1991).