Genèses 2007/1 n° 66

Couverture de GEN_066

Article de revue

Enquêter dans un lieu public

Pages 108 à 122

Notes

  • [*]
    Je tiens à remercier Ioana Popa pour sa relecture de l’article, qui a permis d’en améliorer l’écriture.
  • [1]
    Dans le cadre d’une thèse de doctorat, Observatoire sociologique du changement (FNSP-CNRS).
  • [2]
    Certains auteurs datent l’apparition des sports informels ou auto-organisés de 1975. « Puisqu’ils présentent une dimension auto-organisationnelle, il est préférable de les appeler sports auto-organisés plutôt que sports informels » (Chantelat, Fodimbi et Camy 1998 : 41). Plus loin, ils ajoutent : « Le plus souvent les regroupements des jeunes autour de la pratique sportive auto-organisée se réalisent à partir de l’espace du quartier » (42) : or, on n’assiste à rien de tel avec le FIE, qui n’est pas la projection du football de quartier sur l’esplanade.
  • [3]
    Observations des 12 et 19 mars 2005.
  • [4]
    A posteriori, je me rends compte que ce geste avait des fortes chances de « refroidir », en l’occurrence, la complicité naissante avec l’enquêté et/ou être pris pour un signe de condescendance, mal interprété.
  • [5]
    Samedi 4 mars 2006, Etivallière.
  • [6]
    1er octobre 2005, Etivallière.
  • [7]
    18 mars 2006, Etivallière.
  • [8]
    Même si je suis d’accord avec Olivier Schwartz (2002) pour dire que l’on prend beaucoup plus qu’on ne donne.
  • [9]
    4 mars 2006, Etivallière.
  • [10]
    Stéphane Beaud (2002) parle de « présence flottante » (entre foyer de jeunes travailleurs, café, local CGT, MJC, ML, etc) pour désigner cette attitude consistant à se rendre familier des lieux sociaux fréquentés par ses enquêtés. La « présence flottante » s’oppose alors à l’« observation flottante » défendue par Colette Pétonnet (1982).
  • [11]
    Suggéré d’abord par Agnès Van Zanten, je la remercie à cette occasion.
  • [12]
    Elijah Anderson (2003) note le même décalage entre l’attitude de dénigrement des regulars chez Jelly’s et leur présence assidue.
  • [13]
    En hiver, occupation le week-end ; en été, dans l’après-midi, le soir et tout le week-end.
  • [14]
    Le développement qui suit s’inspire largement du cours de préparation à l’agrégation de sciences sociales de Florence Weber, « Ethnographie et observation qualitatives. Observer sans comprendre, comprendre sans expliquer, ou comprendre pour expliquer ? » (19 janvier 2004).
  • [15]
    Reprenant cette histoire à Gilbert Ryle, Geertz notait qu’observer, dans une salle, de derrière, un clin d’œil entre deux participants, ne permettait pas de l’interpréter si on ne connaissait pas l’histoire de ces deux individus (s’agit-il d’un moyen de reconnaissance ? ou de faire connaissance ? ou tout simplement d’un geste mécanique involontaire ?).
  • [16]
    F. Weber prend l’exemple du travail remarquable de Christopher Browning (2002). Le 13 juillet 1942, avant le massacre de Josefow qu’ils devaient perpétrer, les soldats du 101e bataillon se sont vus proposer par leur chef d’être dispensés, individuellement, de leur « tâche ». Seuls une douzaine sur les 500 soldats de la brigade sortent du rang. On ne peut comprendre leur attitude si l’on ne sait pas que ce sont les diplômés du bataillon…
  • [17]
    Le « séroual » (en arabe « pantalon » ou « faire tomber le pantalon ») désigne à l’Etivallière un petit pont, dribble qui consiste à passer le ballon entre les jambes de l’adversaire.
  • [18]
    Il est rapidement ressorti de cette comparaison que si les caractéristiques générales étaient voisines (dimensions masculines, plaisir avant tout), certains éléments variaient fortement d’un terrain à l’autre (façons de jouer et de concevoir l’ordre social notamment).
  • [19]
    Akim et Touri se sont connus sur l’esplanade de l’Etivallière. Un samedi matin, suite à une insulte que l’un a cru entendre, ils tentent de se battre, immédiatement séparés par les autres joueurs. Les semaines suivantes, ils reviennent tous deux mais s’évitent, et ne se resaluent qu’après de longs mois.

1Est-il possible d’enquêter dans un lieu public ? Non, si l’on suit Stéphane Beaud et Florence Weber (2003). Mais de quel type d’enquête et de quels lieux publics s’agit-il ? Parmi les chausse-trapes à savoir éviter, et que le Guide de l’enquête de terrain présente clairement, on relève celle que rencontre un étudiant ne parvenant pas à proposer une enquête pertinente d’une file d’attente en gare et qui échoue donc à analyser finement ce processus. Les deux chercheurs évoquent ainsi leurs étudiants qui, par crainte d’un investissement personnel trop coûteux, font « le choix spontané des lieux publics comme thème d’enquête, des interactions anonymes, entre inconnus : le modèle du genre est le (grand) café, mais on peut aussi citer les grands magasins, les fast-food, les gares, les lieux de passage où les interactions sont sans lendemain, c’est-à-dire sans conséquences » (ibid. : 39-41). Ils mentionnent, comme première condition dans la conduite d’une enquête ethnographique, le degré élevé d’interconnaissance qui caractérise le milieu enquêté, tout en précisant : « Sans interconnaissance, pas de terrain, pas d’enquête ethnographique. C’est là une règle d’or qui ne souffre aucune exception [...] Cela ne veut pas dire qu’il soit impossible d’enquêter hors milieu d’interconnaissance : simplement, ce sera une enquête d’un autre type » (ibid. : 296). Pourtant, cette affirmation, bien qu’étayée par des exemples précis et pertinents, soulève deux types de réserve. D’une part, certains précis de méthodologie soulignent qu’il existe bien des terrains sinon interdits, du moins difficiles (Arborio et Fournier 2005) : cependant, il ne s’agit pas, en l’occurrence, de lieux de faible interconnaissance, mais de terrains fermés parce qu’ils engagent, par exemple, une dimension intime (suicide), qu’ils relèvent de pratiques clandestines (drogue) ou sécurisées (nucléaire). D’autre part, différents autres précis (Peretz 2004) affirment que de telles enquêtes dans des lieux publics sont possibles et, manifestement, il en est de fort bonnes.

2Parmi ces dernières, on peut citer, entre autres, les investigations d’Henri Peretz dans les magasins de vêtements, celles de William F. Whyte (2002) ou d’Elijah Anderson (2003), de Vincent Dubois (1999) ou de Yasmine Siblot (2006) (sur l’accueil des caisses d’allocations familiales et, plus généralement, des administrations publiques), celles d’Erwin Goffman (1963), de Lyod Humphreys (1975) sur les pissotières comme lieu de rencontres pour homosexuels, ou encore, celles d’Elliot Liebow (1967) sur les Noirs de son quartier d’enfance. Or, ces lieux publics ne se caractérisent pas tous par une forte interconnaissance.

3La question que je voudrais poser dans cet article est ainsi la suivante : est-il vraiment impossible d’enquêter dans un lieu public ? Ou, plus exactement, l’enquête ethnographique, au sens de S. Beaud et F. Weber, est-elle irréalisable quand il s’agit d’étudier un terrain sans interconnaissance préalable ? Je voudrais ainsi montrer que, sous certaines conditions, l’enquête de type ethnographique est possible dans des lieux publics où il n’y a pas d’interconnaissance préalable, ce qui ne veut pas pour autant dire que tous les lieux publics soient propices à une telle approche. C’est pourquoi, après la présentation générale de l’enquête que j’ai menée, j’analyserai des exemples précis permettant de montrer l’applicabilité, sur ce type de terrain, des méthodes préconisées par S. Beaud et F. Weber, tout en précisant, enfin, les conditions de possibilité du recours à ces méthodes.

Une enquête sur « le football informel d’esplanade »

4L’enquête que j’ai menée [1] consiste en une étude sociologique des sociabilités sportives, à partir du cas des matchs de football auto-organisés. Les questions que je me suis posées relativement à ces pratiques sont les suivantes : comment ces matchs sont-ils possibles et pourquoi, dans la grande majorité des cas, vont-ils à leur terme, alors que, la plupart du temps, ils rassemblent des inconnus ? Quelles dimensions de la sociabilité sont-elles engagées dans ces parties ? Assiste-t-on à des rencontres de groupes sociaux ? L’ensemble de ces questions peut se rapporter à un thème plus général, celui du lien entre façons de jouer et ordre social. La principale reste donc la suivante : comment un ordre social est-il possible quand se rencontrent, dans un lieu public, des inconnus qui appartiennent le plus souvent à des groupes sociaux différents ? (Trémoulinas 2007). Ces interrogations m’ont conduit à élaborer le concept de « football informel d’esplanade », central pour mon étude (voir encadré). Les matériaux recueillis durant cette enquête sont de diverses natures : observations (des pratiques de jeu, des commentaires des joueurs, des configurations spatiales, etc.) consignées dans cinq journaux de terrain, entretiens (n=50), photos. Il faut noter qu’il s’agit d’une observation de longue haleine (deux ans, présence hebdomadaire l’hiver et journalière l’été) qui fournit un matériau conséquent et surtout une saturation des observations.

5Ces esplanades sont-elles des lieux publics ? Oui (leur accès est libre, avec des conditions limitatives faibles : Pershing ne ferme jamais, les esplanades stéphanoises sont fermées à la nuit tombée, soit 21 h 30 toute l’année). Sont-elles des lieux de faible interconnaissance ? Oui (la plupart des participants ne se connaissent pas et ceux qui se connaissent se sont, souvent, rencontrés sur ces esplanades). Est-il donc impossible d’enquêter sur ces terrains en ayant recours à une approche ethnographique ? Ou, encore, l’analyse des observations qui y sont recueillies conduit-elle à des résultats pauvres et totalement prévisibles ?

Quatre vertus de l’enquête de terrain

6Je vais essayer de démontrer que, au contraire, les principes de l’enquête comparée de terrain peuvent être appliqués ici, tout en conduisant à des analyses stimulantes. Quatre vertus principales – mentionnées par les auteurs du Guide – sont apparues essentielles dans le déroulement de notre enquête : les vertus de la longue durée, celles de la connaissance locale, celles de la complémentarité entre observations et entretiens, celles de la grounded theory.

Qu’est-ce que le football informel d’esplanade ?

Trois lieux ont été étudiés : deux esplanades à Saint-Étienne (Méons et Etivallière) et une à Paris (Pershing). Trois groupes ont été plus particulièrement suivis : des banquiers en asset-management (Pershing), des ouvriers d’usine (Méons), des ouvriers dispersés entre plusieurs entreprises artisanales ou plusieurs statuts d’emploi (Etivallière). Si les rencontres sportives étudiées sont hebdomadaires et rassemblent des collègues d’une même entreprise, tout en restant ouvertes sur l’extérieur, une partie significative des matchs oppose toutefois des joueurs d’entreprises différentes ou sans affiliation professionnelle (jeunes, sans activités). Ce type de football est par conséquent assis, en partie, sur une base professionnelle mais sans exclusive. C’est pour ces raisons que je suis passé de l’utilisation du terme de « football d’occasion sur base professionnelle » à celui de « football informel d’esplanade » (FIE).
Le football informel d’esplanade ressort d’abord de la catégorie générique du football, sport où le ballon est joué avec toutes les parties du corps sauf les mains. Il s’agit ensuite d’un football informel. « Informel » ne signifie pas ici « non-formel », c’est-à-dire dénué de forme. Au contraire, s’inscrivant dans une perspective pour partie simmelienne, ce travail s’attache à en débusquer les formes sociales. « Informel » est alors à prendre au sens de « non organisé par une instance extérieure ». Par analogie, le FIE est au football ce que l’économie informelle est à l’économie officielle. Contrairement aux rêves ultralibéraux, on constate que l’économie la plus libérale (par exemple le marché boursier) est paradoxalement la plus réglementée. Au-delà de la figure du commissaire-priseur, il existe une seconde instance, l’État, qui garantit le bon fonctionnement d’un marché. De même, le football de compétition, qu’il relève de la Fédération française de football (FFF), de la Fédération française du sport universitaire (FFSU) ou du football « corpo » (Fédération sportive et gymnique du travail, FSGT), est régi par un ensemble strict de règles. Au contraire, le football informel est un « sport-loisir », d’où la compétition est absente. Le FIE est ainsi une pratique :
  • massive (comme dans le cas de l’économie informelle du Tiers-Monde) ;
  • en marge de la légalité (et non illégale) : le FIE est soit organisé par les pouvoirs locaux (les municipalités de Paris et de Saint-Étienne mettent à disposition ces esplanades), soit résulte d’une occupation sans autorisation de terrains réservés à des clubs ;
  • qui emprunte beaucoup au football officiel (infrastructures, règles de jeu) mais qui s’en démarque sur des points cruciaux (absence d’arbitre, de durée de jeu établie, nombre de joueurs non prédéterminé, taille du terrain non arrêtée, etc.) ;
  • qui a sa régularité propre. Le football officiel de compétition a son calendrier, instauré par les instances dirigeantes des différentes fédérations. La régularité du FIE est ici davantage indexée sur la saisonnalité : de début mai à fin août pour les banquiers de Pershing (car les jours rallongent et permettent de jouer tard le soir, parfois jusqu’à 22 heures), toute l’année le samedi matin pour les ouvriers de Saint-Étienne (sauf quand il neige dru et à l’exception d’une partie du mois d’août pour certains, quand l’usine est en vacances).
Le FIE est, enfin, un jeu d’esplanade, celle-ci se distinguant à la fois du stade de compétition et du terrain de quartier. Elle se définit alors comme un vaste espace plan où se juxtaposent de nombreux terrains (douze à Pershing, neuf à Méons, sept à l’Etivallière). Il y a donc un nombre important de terrains à proximité les uns des autres, de façon à ce qu’aient lieu plusieurs matchs en même temps. Par ailleurs, elle se distingue de l’équipement de quartier, qui se limite souvent à un terrain unique. Étant donné sa taille, l’esplanade se situe aux limites des agglomérations (près de la rocade à Saint-Étienne, dans le bois de Boulogne pour Pershing). Cette taille et cette localisation particulières lui confèrent des propriétés importantes pour l’étude sociologique du FIE, notamment le fait que les joueurs potentiels savent qu’ils y trouveront des terrains et des partenaires inconnus. C’est pourquoi je préfère le concept de FIE à celui de « sport auto-organisé » proposé par d’autres auteurs à propos d’une pratique différente, le football auto-organisé de quartier [2].
Un impératif particulier m’a, par ailleurs, amené à recourir au concept de FIE : la nécessité de comparer. Le FIE s’applique à des terrains géographiquement différents : n’étant pas indexé sur un cas particulier, ce concept devait être « dé-spécifié » et se plier à l’échelle d’abstraction théorisée par Giovanni Sartori (1970).

La longue durée : faire connaissance dans un lieu public

7Aucun terrain n’est inaccessible. Le temps est un atout pour faire sauter les verrous. Notre enquête s’est étalée sur deux ans. Deux raisons expliquent une telle durée. Tout d’abord, l’enquête ethnographique démarre le plus souvent par une négociation du terrain : dès lors qu’il s’agit de pénétrer un milieu d’interconnaissance, il suffit d’en négocier l’entrée auprès de quelques intermédiaires (les « alliés »). D’où un temps d’enquête voisin de l’année : l’entrée sur le terrain étant rapide (c’est la phase de négociation qui peut être longue), le chercheur accumule rapidement ses données de terrain. Ensuite, et cette condition constitue le soubassement logique de la négociation, l’enquêteur doit procéder à découvert : ayant noué des alliances avec certains « alliés » à qui il a présenté son projet, il est accueilli au sein du groupe d’interconnaissance, puis attend de se faire oublier pour ne pas trop perturber le milieu. Or, mon enquête n’a relevé que partiellement de cette approche, même si la partie menée auprès des banquiers a procédé d’une logique voisine. En effet, introduit sur le terrain de Pershing par un camarade de promotion (Romuald) comme footballeur, j’ai pu rapidement gagner la confiance des banquiers. Après quelques jours seulement, j’ai pu présenter mon projet d’enquête à la plupart des « leaders » du groupe (Adrien, Ahmed) et obtenir leur assentiment. J’ai rencontré un écho favorable, qui s’explique par une proximité culturelle indéniable : tous ces banquiers étaient des diplômés de grande école (niveau master) et tous savaient ce qu’était une thèse de doctorat. Ils ont trouvé, d’un point de vue scientifique (la plupart maîtrise d’ailleurs bien la théorie des graphes), original qu’on s’intéresse à leur partie de football et, d’un point de vue plus narcissique, ils étaient flattés qu’on les interroge sur leurs pratiques sportives. L’entrée sur le terrain a donc été aisée. En plus de la connivence et de l’introduction (par Romuald), j’arrivais dans une conjoncture favorable : il manquait de joueurs et ma présence active leur permettait souvent de faire nombre.

8Au contraire, l’enquête sur les terrains stéphanois ne s’est pas déroulée de la même manière. Je ne bénéficiais d’aucun introducteur et les groupes de joueurs étaient très extensibles. Il n’y avait, en fait, pas besoin d’introduction. Mes deux premières présences à Saint-Étienne sont révélatrices à cet égard : « Je suis sur le bord de touche et, sans avoir demandé quoi que ce soit, Norredine me dit : “tu joues avec eux”. La semaine suivante, Abdelkader : “tu rentres avec eux” [3]. » On ne m’a pas demandé mon avis : j’étais présent, en tenue, ils avaient besoin de joueurs, ils ne me connaissaient pas, ils m’ont dit de rentrer avec telle équipe. Cet écart dans les modalités d’introduction est révélateur de la gestion différente d’un équipement public : les banquiers ont tendance à avoir une conception de l’accueil beaucoup plus restrictive que les ouvriers stéphanois de l’Etivallière. Alors que ces derniers acceptent tout le monde (« soi généreux » – Lamont 2002), les banquiers favorisent l’entre soi et n’ont recours à des joueurs extérieurs qu’en cas d’insuffisance numérique (« soi discipliné »). Par ailleurs, il s’est vite révélé impossible de présenter, dès les premières semaines, la teneur de mon travail et de négocier un terrain. La connivence culturelle ne fonctionnait manifestement pas. Les joueurs comprenaient qu’on puisse s’intéresser à eux, mais la sociologie était un terme exotique et la thèse de doctorat un diplôme inconnu. Contrairement aux banquiers de Pershing, les ouvriers de l’Etivallière n’avaient, pour la plupart, pas de diplômes, et ceux qui en avaient étaient titulaires de CAP (certificat d’aptitude professionnelle) ou de baccalauréat professionnel (un seul sur la soixantaine de joueurs du groupe détient un diplôme du supérieur, en l’occurrence un brevet de technicien supérieur, BTS). À titre d’exemple de la situation de porte-à-faux dans laquelle je me trouvais vis-à-vis des enquêtés, je prendrais celui d’Olik, jeune joueur inscrit en bac professionnel et qui suit son stage dans une entreprise de meulières (et développe une conscience précoce de l’exploitation). Nous rentrons du match en tramway et j’en profite pour discuter de lui : on lui demande d’exécuter les travaux de soudure les plus durs. La carte de visite de mon laboratoire, que je lui ai donnée, l’a fortement impressionné : il me vouvoie désormais [4]. Il me demande ce que je fais exactement et je passe de longues minutes à essayer de lui expliquer en quoi consiste une thèse. Il conclut l’échange, un peu ébahi : « mais ça sert à quoi ? » [5]. Je m’étais présenté comme doctorant en sociologie, mais pour eux, dans un premier temps, j’étais le journaliste. Au bout de quelques mois, ne voyant aucun papier sur eux dans le journal local, certains joueurs m’ont demandé de repréciser ma situation. Comprenant qu’une nouvelle explication de mon statut était vaine, je présentais une autre face de mon personnage : j’étais enseignant. Cette sortie déchaînait alors les réactions de dérision bien entendues (« mais les profs, ils foutent rien ! ») et révélatrices de l’image des fonctionnaires auprès de ces ouvriers précaires. Une autre fois, lors d’un match, j’ai commis une erreur technique et Alessandro, pour se moquer, m’a dit : « Allez ! Alex, tu vas retourner aux buts. » J’ai essayé de me justifier par une blessure (réelle) et il me rétorqua : « C’est ça, tu forces pas de la semaine [métier d’enseignant] et ça craque le samedi matin ! » [6]. Cette étiquette m’a suivi pendant de longs mois, comme me le rappela le même joueur l’année suivante : suite à une action où je pris Alessandro de vitesse, il dit à tout le monde : « Mais il est prof, il fout rien de la semaine. À vingt-cinq ans, même avec cinq caravanes, il ne me passait pas ! » [7].

9En fait, mon intégration légitime n’a été que progressive et elle le fut en tant que joueur et non en tant que chercheur. C’est parce que j’ai acquis au fil des semaines une certaine réputation de joueur que des portes se sont ouvertes pour l’enquête. Profitant de certaines qualités, appréciées sur cette esplanade, mais non à Pershing (il faut savoir « jouer physique », encaisser les contacts et ne pas hésiter à « brasser »), j’ai obtenu de la part de Menzo, l’un des personnages de l’Etivallière, un surnom à part entière, assorti de commentaires élogieux : « Julio Baptista, une espèce de Golgoth, je sais pas où ils l’ont trouvé. » Par ailleurs, j’avais le souci de bien jouer et, sans me conformer au style de jeu en vigueur à l’Etivallière (dribbling-game), d’apparaître, grâce à mon jeu de passes (aucune perte de balle), comme un défenseur dont chacune des équipes cherchait à s’attacher les services. Autre technique d’insertion réussie : je n’hésitais pas à jouer comme gardien de but. Outre la vue panoramique et la possibilité de noter mentalement les éléments relatifs à ma grille d’observation, cette position particulière m’apportait un élément de reconnaissance particulier. Durant ces parties de FIE, le poste de gardien de but n’est pas très apprécié. Personne ne se propose d’y aller spontanément et la solution trouvée consiste à ce que chacun y aille à son tour quelques minutes. Aussi, quand j’affirmais vouloir y aller de mon propre chef, ma proposition était acceptée avec enthousiasme. Mes rapports avec les enquêtés ont alors évolué vers une relation de donnant/donnant [8] : j’étais parfois utilisé comme un interlocuteur crédible par rapport à certaines institutions. Par exemple, quand une école de football a occupé notre terrain habituel, Idriss me proposa d’aller demander aux éducateurs s’ils ne pouvaient pas nous laisser le terrain au cas où ils n’utiliseraient pas les buts pour leurs exercices. Il se justifia ainsi : « Toi, tu passes bien » [9].

10Devenu « légitime » d’un point de vue sportif, je pouvais obtenir des entretiens. Or là encore, la durée a constitué une ressource. Au départ, croyant que le passage par les « leaders » du groupe me permettrait d’obtenir une série d’entretiens, je me suis fourvoyé pendant de longues semaines à essayer d’en obtenir un auprès de l’un des personnages les plus imposants de l’Etivallière, Menzo. Or celui-ci fuyait mes rendez-vous et se dérobait sans cesse à ses engagements. Au bout de six mois, je n’avais réussi à obtenir qu’un entretien avec Kikim, joueur du groupe. Ce n’est que l’année suivante, c’est-à-dire quinze mois après mes premiers pas sur cette esplanade, que la situation s’est débloquée. Ayant proposé un nouvel entretien à Akim, il me l’accorda volontiers (ma proposition tombait à pic dans son agenda personnel : au chômage, il cherchait à se réorienter et cet entretien était pour lui le moyen de mettre les choses à plat). Son exemple porta ses fruits car le rendez-vous avait été donné en public : la plupart des joueurs voulaient aussi être interrogés et, en deux mois, je réalisais une vingtaine d’entretiens, sans parvenir toutefois à en obtenir un de Menzo. Systématiquement, les joueurs me demandaient, avant ou après l’entretien, ce que je faisais vraiment, et je pouvais alors expliquer à loisir ma démarche et mon statut de doctorant en sociologie, ce qui permettait fréquemment d’engager des discussions politiques, sur l’état de la société en général. La manière dont l’enquête s’est déroulée à ce niveau a révélé une absence de structure hiérarchique à l’Etivallière, contrairement au terrain parisien où des leaders informels (Adrien, Ahmed) émergeaient rapidement.

11Avancer en masquant partiellement son statut de sociologue n’est pas un handicap, surtout quand le temps permet de débloquer les choses et d’enlever progressivement ce « masque ». Par ailleurs, la situation étant caractérisée par une interconnaissance et une conflictualité faible, je n’avais pas à négocier mon entrée dans les mêmes termes que s’il s’était agi d’un terrain avec conflit et interconnaissance forts.

La connaissance de l’environnement local

12Connaître l’environnement social des enquêtés a été d’un grand secours, notamment pour comprendre le monde social des ouvriers stéphanois. Que ce soit lors de discussions informelles ou des entretiens, cette connaissance du local m’a permis d’approfondir mes investigations. J’ai procédé essentiellement par la lecture quotidienne de la presse régionale, et les visites des différents quartiers, en bus et à pied. Cette connaissance de la ville m’a été utile lors d’une discussion informelle avec Redouane : je lui demande où il travaille, il me répond à l’Agef. Je connais cet organisme et lui demande des précisions. Même chose pour Samir, il est en formation de maçonnerie en CFA (Centre de formation d’apprentis) ; je connais ceux de la ville et lui demande des précisions. Dans les deux cas, le plaisir suscité par le fait de savoir que je connaissais leurs institutions m’a permis d’obtenir des entretiens. Au cours de ceux-ci, la connaissance précise du local constitue autant d’occasions de mise en confiance et de relances. Ainsi, Akim m’avoue aller fréquemment à la Mission locale – je m’y suis rendu plusieurs fois – et il développe. De même pour les trajets en bus d’Olik : ce sont des lignes que j’ai pratiquées. Toutes ces connaissances locales constituent autant de marques d’attention qui permettent de gagner relativement vite la confiance des enquêtés. Ainsi, l’entretien avec Alessandro s’est très bien passé, en partie grâce au fait que j’ai pu lui suggérer une réponse à une de ses questions relatives à un quartier de Saint-Étienne, dont il ne se rappelait plus le nom, et dont je me suis souvenu grâce à un fait divers paru dans le journal local et qu’il m’avait signalé (« Tu sais, le quartier où le jeune est mort… ») [10].

Vertus de la grounded theory

13Mon enquête a suivi un chemin semblable à celui proposé par Barney Glaser et Anselm Strauss (1967) : l’enquêteur, après avoir recueilli une première vague d’observations, à l’aide d’une première grille, propose un système interprétatif permettant d’élaborer une deuxième série de questions et donc une deuxième grille, qui implique de retourner sur le terrain : c’est l’étape de l’échantillonnage théorique au sein de la grounded theory. J’ai élaboré une première grille à l’occasion d’un DEA (Diplôme d’études approfondies), qui a été développée pendant ma recherche doctorale. Au final, une troisième grille, définitive, a été conçue à partir du sixième mois d’enquête et a été donc mise en œuvre pendant un an et demi. De la première grille à la troisième, seules quelques modifications des questions initiales sont apparues, accompagnées essentiellement d’ajouts : les deux premières grilles s’intéressaient trop succinctement aux façons de jouer, aux dimensions du masculin et du féminin, à des questions précises quant à l’ordre social (tournois, scissions). Par exemple, le questionnement sur les dimensions du masculin n’est apparu que progressivement [11], puis est devenu essentiel suite à certains évènements (dont la confrontation avec le « doseur-pénis » lors de l’« apéro » avec les ouvriers de Méons). La succession de ces faits s’imposait à moi, sans que j’eusse prévu leur recension dans ma grille initiale. Ils constituaient des réponses potentielles : restait à se poser les questions. Une nouvelle problématique était née : comment se développent les identités masculines dans un univers exclusivement composé d’hommes ? Assiste-t-on à des recompositions des identités selon les groupes sociaux d’appartenance ? Autant de questions auxquelles je tentais de répondre en insérant dans ma grille d’observation une nouvelle série d’indicateurs (recension des saillies masculines, des blagues propres à ce milieu) et dans mes entretiens, des questions spécifiques (« qu’est-ce pour vous qu’une femme ? », « que pensez-vous du football féminin ? »). Cette nécessité méthodologique trouve par ailleurs sa justification épistémologique dans la nature même de la sociologie : cette dernière n’est pas purement inductive ou déductive, mais un mixte d’induction et de déduction (Vigour 2005 : 195-196). Cette façon de procéder a permis de parvenir à la saturation du terrain : au bout de deux ans, tous les faits observés rentraient dans la grille d’observation et s’interprétaient correctement sans qu’il fut besoin de rajouter des questions. La saturation correspond bien à la redondance : plus aucun évènement nouveau ne vient perturber la grille analytique.

La complémentarité entre observations et entretiens

14S. Beaud et F. Weber font de la complémentarité des méthodes d’enquête le principe essentiel de leur manuel – il s’agit de « faire feu de tout bois », à tous les moments de l’enquête – tout en plaçant clairement l’observation comme le soubassement indispensable à cette dernière. Dans mon enquête, l’observation constitue le point de départ au double sens du terme. D’abord, l’observation part de l’étonnement. Confronté à une pratique originale, ma première réaction était ainsi de me demander : pourquoi des banquiers en asset-management jouent-ils au football le jeudi soir ? (et non au golf ou au tennis ?). Pourquoi le petit pont déclenche-t-il des réactions à l’Etivallière et pas sur les deux autres terrains ? Pourquoi les ouvriers de Méons sont-ils tant attachés à leur apéro de fin de partie ? Pourquoi les banquiers de Pershing refusent-ils tout début de violence, même sous forme de contact viril ? La confrontation avec des évènements incongrus suscite l’étonnement et l’étonnement doit déboucher sur une problématique. Ensuite, l’observation constitue un socle de données premières sur lequel viennent se greffer les entretiens. Ces derniers sont réalisés afin de saisir les parcours biographiques des individus, leurs motivations, les valeurs auxquelles ils adhèrent, les représentations qu’ils ont du FIE et le sens qu’ils donnent à leur participation à cette activité. Les entretiens viennent ainsi compléter les observations, apporter des correctifs et des nuances, pour saisir des décalages éventuels entre pratique et discours.

15Trois raisons expliquent cette préférence pour l’observation. D’abord, l’observation permet de rendre compte des pratiques au sens large : pratiques de footballeurs, interactions, contextes et situations d’interactions, commentaires en situation. Les footballeurs étudiés parlent, mais cette parole est d’autant plus intéressante à saisir qu’elle s’effectue dans le contexte de son énonciation. Le discours est une pratique, à observer comme telle et à rapporter à la fois à son contexte (la situation d’entretien diffère de la situation fournie par le FIE) et à la position de son énonciateur (le discours est une pratique identitaire, ludique, distinctive selon les milieux sociaux). Les insertions au long cours permettent ainsi de dévoiler la dynamique propre au sous-système, de comprendre le langage indigène (Peretz 2004 : 22-23), de saisir les positions des individus, notamment par des questions lors des discussions informelles qui précèdent ou suivent les parties.

16Ensuite, pour peu que la présence de l’enquêteur soit la plus discrète et neutre possible, l’observation révèle ce qui se passe vraiment, sans trop d’interférence. Au contraire, la situation d’entretien conduit les individus à de multiples reconstructions, notamment identitaires, ce qui est préjudiciable pour une enquête qui vise à saisir, entre autres, la construction des identités. Par exemple, lors de l’entretien qu’il m’a accordé, Kikim présente un parcours footballistique exemplaire en club et dénigre légèrement le FIE. Or l’assiduité avec laquelle il participe à ce dernier et l’intensité qu’il y met, tel que nous le constatons, éclairent l’identité qu’il cherche à se forger (celui d’un footballeur émérite) grâce au football informel d’esplanade et qu’il n’a pu acquérir dans le football officiel (en fait, il ne joue pas en équipe première dans son club et est donc relégué dans le championnat de district) ou dans le monde professionnel (il oscille entre chômage et intérim). Dans son cas, l’entretien a été extrêmement précieux car il a permis de saisir sa trajectoire biographique et, surtout, d’éclairer sa pratique à la lumière de son discours. Reste que la réalité (son engagement fort dans le FIE comme pis-aller à sa relégation en club) doit rester première par rapport au discours sur cette réalité (léger dénigrement [12]).

17Enfin, troisième raison : l’observation s’attache au quotidien, à la banalité, tandis que les entretiens reconstruisent et sélectionnent notamment les évènements marquants pour l’individu. D’où le recours à l’observation pour quantifier les pratiques quotidiennes et « invisibles ». La construction d’indicateurs est alors indispensable : ici, c’est surtout le recensement précis du nombre de joueurs et de son évolution au cours des parties, d’une part, de la récurrence de certains gestes techniques (dribbles, passes, têtes), d’autre part, qui, compte tenu de la problématique (ordre social et façons de jouer), ont fait l’objet d’un comptage exhaustif.

18L’observation est l’objet de critiques récurrentes, à l’instar de celles synthétisées par H. Peretz (2004) : non représentativité, pas de distance, modification de l’action par présence du chercheur (il crée ce qu’il croit observer), sensationnalisme (scènes et anecdotes), subjectivisme (essayisme littéraire). On peut ramener ces critiques à deux tensions principales, auxquelles l’observation s’est trouvée confrontée dans le cadre de mon enquête.

19Une première tension existe entre insertion, participation, perte de lucidité et distanciation, lucidité, objectivité. Si l’insertion conduit à une participation très importante, elle peut en effet susciter deux types de travers. D’une part, une participation trop intensive – dans ce contexte, la répétition d’efforts physiques violents – peut conduire à une perte de lucidité, préjudiciable à l’observateur quand il s’agit de mobiliser son attention et sa mémoire. D’autre part, l’observateur n’est pas censé créer, par sa participation même, ce qu’il doit ensuite observer. Pour le dire autrement, l’enquêteur peut parfois observer des faits qu’il a contribué largement à créer. Quelle solution trouver à cette tension entre observation exogène et endogène ? Le but premier doit être de ne pas détourner l’action de son déroulement ordinaire et donc d’être le plus neutre possible. Si contrevenir ponctuellement à cette règle peut conduire à saisir des mécanismes importants, il faut veiller à une participation la plus neutre possible. J’ai ainsi développé deux attitudes concrètes pour parvenir à un tel résultat. D’abord, j’adaptais autant que possible mon niveau de jeu à celui de la partie en cours, ce qui m’a conduit tantôt à l’abaisser (Pershing), tantôt à l’élever (Etivallière). Ensuite, j’ai occupé le plus systématiquement possible le poste de gardien de but. Poste dévalorisé, je n’empiétais généralement pas sur les prébendes de personne. Par ailleurs, il s’agit d’un poste idéal pour être au plus près des actions (voir les gestes, entendre les commentaires) tout en conservant sa lucidité (nécessaire, par exemple, pour remplir mentalement sa grille d’observation et la plus grande neutralité possible (dans le cadre du FIE, le gardien n’a souvent pas de gants, il ne peut donc guère arrêter les tirs adverses et influer sur le cours du jeu).

20La seconde tension a lieu entre la volonté d’obtenir une vue générale sur l’objet (en l’occurrence, le FIE) et celle d’approfondir le terrain. Si ce dernier cas de figure supposait d’étudier un seul terrain et un seul groupe et renoncer à toute volonté de généralisation des résultats (sinon quelques processus partiels), le premier impliquait par contre d’observer de multiples terrains, tout en s’interdisant de les approfondir. C’est une solution intermédiaire que j’ai retenue : étudier de manière sérieuse trois groupes différents afin de proposer une comparaison féconde. Ainsi, en m’inspirant de la démarche de Peretz (61 et 79) les trois esplanades ont fait l’objet d’explorations systématiques au début de l’enquête : je m’y suis rendu tous les jours pour éclaircir le calendrier des activités qui s’y déroulaient [13]. Avant toute observation, je faisais par ailleurs le tour des esplanades pour compter le nombre de matchs et de joueurs par équipe. Enfin, je m’insérais ponctuellement dans des groupes différents de mes trois groupes de référence (au moins une quinzaine d’insertions ponctuelles de ce type).

21Les principes de l’enquête de terrain semblent dès lors avoir pu être appliqués dans un cas où l’interconnaissance de départ des acteurs est faible. Quelles conditions de possibilité plus générales peut-on en dégager quant à la possibilité d’analyser d’une manière ethnographique des lieux publics ?

Conditions de possibilité pour enquêter dans un lieu public

22On peut dégager six conditions de possibilités pour cette analyse. Les trois premières renvoient à la « nature » du lieu public étudié, les trois suivantes aux conditions méthodologiques à utiliser à leur endroit.

Qu’est-ce qu’un lieu public ?

23D’abord, se réunissent sur ces esplanades des individus qui ne sont pas complètement atomisés. Des groupes, instables certes, préexistent partiellement aux groupes de footballeurs auto-organisés. Par exemple, les banquiers de Pershing et les ouvriers de Méons se réunissent sur une base largement professionnelle. Il existe ainsi un noyau dur de collègues avant le FIE. Néanmoins, ce groupe agrège de nombreux éléments extérieurs et il se constitue également au travers de cette pratique : la plupart des collègues, dispersés dans des entreprises de taille relativement importante (100 et 350 salariés pour les ouvriers des deux usines d’équipementiers automobiles ; 300 pour la banque), ont véritablement fait connaissance à l’occasion de ces matchs. Le cas des ouvriers de l’Etivallière est encore plus extrême : aucune appartenance (professionnelle ou même résidentielle) ne préside au rassemblement des joueurs. On est donc confronté à la situation suivante : ces lieux publics peuvent faire l’objet d’une enquête parce qu’ils se caractérisent par une certaine interconnaissance, interconnaissance dont la majeure partie résulte de la rencontre, sur ces lieux mêmes, d’individus ne se connaissant pas auparavant. Enquêter dans un lieu public devient possible dès lors qu’on s’évertue à reconstruire la genèse de ces liens sociaux, la façon dont ils s’entretiennent et dont ils sont éventuellement rompus.

24La deuxième condition est une conséquence de la première : il s’agit de lieux publics où la rencontre est possible. On peut effectivement penser qu’un certain nombre de normes sociales tacites autorisent ou empêchent les rencontres selon les lieux et les situations. Par exemple, aborder une jeune fille en « boîte de nuit » (lieu public partiel) ne présuppose pas les mêmes conditions que dans la rue (lieu public total) : E. Goffman montre que, dans ce dernier cas, toute une série d’éléments doivent intervenir (prétexte, second regard, jeu où l’homme propose et la femme dispose…). De même, pour proposer une partie de football, ces esplanades rassemblent des joueurs qui ont présent à l’esprit que l’on peut y rencontrer des partenaires en sachant que ces derniers ont également conscience de cette éventualité : on est dans la situation classique du common knowledge. La deuxième condition peut donc s’énoncer comme suit : on peut enquêter dans les lieux publics où il est de connaissance commune que la rencontre y est possible.

25La troisième condition participe du degré de conflictualité. Bien des auteurs ont rappelé que les espaces et scènes sociales où la conflictualité domine condamnent les enquêteurs à choisir un camp : par exemple, enquêter en prison oblige le sociologue à choisir une population, soit les gardiens, soit les prisonniers, la conflictualité entre les deux groupes étant à ce point exacerbée qu’enquêter auprès des uns empêche alors d’approcher les autres (Milly 2001 ; Khosrokhavar 2004). On retrouve ici, la condition de négociation du terrain auprès d’« alliés » dont S. Beaud et F. Weber se font les avocats et dont je me suis affranchi : l’existence d’« alliés » suppose des ennemis et donc un conflit. L’espace du monde ouvrier correspond bien à cette logique conflictuelle. Or, justement, le lieu public étudié ici, l’esplanade, n’est pas conflictuel, ou plutôt, s’il est traversé par des conflits inévitables (relatifs à l’occupation des terrains et aux bagarres qui y surviennent), il n’est pas structuré par un conflit permanent entre deux ou plusieurs factions aisément identifiables, préexistant à la rencontre sur l’esplanade et connues personnellement de chacun des deux camps. La notion d’alliés se révèle donc inopérante sur ce terrain.

26Ces trois conditions permettent de préciser la définition sociologique d’un lieu public. Ce n’est pas parce qu’un lieu est public que la sociologie ne peut y pénétrer. C’est parce que la sociologie échoue à y pénétrer qu’un lieu peut être considéré comme purement public. C’est parce qu’un lieu se caractérise par une absence totale d’interconnaissance et de possibilité de sociabilité que l’ethnographie échoue. Cet échec n’est que partiel puisque d’autres analyses peuvent proposer des interprétations fécondes de ces lieux et des relations qui s’y nouent : que l’on songe à Georg Simmel et à sa parabole de l’étranger dans la métropole anonyme. D’où la distinction entre lieu public total et lieu public de rencontre : le premier correspond à des lieux (rue, métro, etc.) où les interrelations anonymes, fondées sur l’ignorance mutuelle pour préserver la face, dominent. Cette ville simmelienne (et, bien sûr, goffmannienne) est alors codifiée par des règles strictes d’évitement et de maintien de la face, d’où surgissent des infractions : par exemple, dans le métro, ne pas aborder une fille ou, sur l’esplanade, ne pas proposer à quelqu’un qui porte un maillot de football de faire une partie avec lui. Au contraire, le lieu public de rencontres est celui d’une sociabilité potentielle, où l’interconnaissance est possible selon des règles de mise en relation (comment aborder une fille en discothèque, comment proposer une partie de football…).

Précautions méthodologiques

27Trois conditions méthodologiques apparaissent alors.

28D’abord, la longue durée, la connaissance du local, la grounded theory, la complémentarité entre observations et entretiens sont des éléments déjà développés. Ensuite, observer sans comprendre et comprendre sans observer mène à des impasses symétriques [14]. Toute enquête doit saisir le sens que donnent les individus à leurs actions. La sociologie est compréhensive, comme le rappelle l’histoire du clin d’œil de Clifford Geertz [15]. Sur mon terrain, saisir la signification d’un certain nombre de gestes, d’expressions et d’interjections (« séroual », « hanani »), ne pouvait s’effectuer sans comprendre la signification de ces actes. De même, connaître la position sociale des individus s’avère décisif pour comprendre leurs logiques d’action [16]. Pierre Bourdieu affirmait, en faisant référence à son analyse en termes de champ, que « la vérité de l’interaction n’est pas dans l’interaction » (Bourdieu 2000 : 181). Or cette étude du FIE tend à montrer, au contraire, que la vérité de l’interaction réside bien dans l’interaction, à condition qu’on y instille une dose suffisante de compréhension des actes (le clin d’œil parce que la connaissance est préalable) et des biographies sociales individuelles (on sort du rang parce qu’on est un intellectuel). Dans l’exemple du séroual, on ne peut comprendre la signification de ce geste [17] si, d’une part, on ne le traduit pas, si on ne demande pas sa signification aux intéressés et, d’autre part, si on ne le met pas en relation avec les situations sociales des joueurs (des ouvriers maghrébins dispersés et précaires, cherchant dans la crispation virile un succédané à la réussite monétaire). Par la formule citée, P. Bourdieu signifiait qu’il existait des forces contraignantes qui surplombaient le social et qui expliquaient les comportements. Connaître ces forces dispenserait en quelque sorte de l’enquête puisqu’on sait ce qu’on va trouver si l’on étudie bien ce qui se passe dans le champ du pouvoir (le politique, l’État). Saisir la portée des interactions dans un lieu public ne déroge pas à cette règle : il faut être en mesure d’appréhender les significations accordées par les individus à leurs actes et de les situer socialement. Cette condition peut donc s’énoncer ainsi : l’enquêteur doit confronter les pratiques observées aux discours des individus et à leur position sociale. Ces mises en relation permettent de trouver des concordances ou des décalages, qui conduisent le plus souvent à informer la problématique et à la développer.

29Enfin, nombre des questions et réponses relatives à cette enquête proviennent de la comparaison. C’est parce que le séroual ne se donnait à voir qu’à l’Etivallière (et ni à Méons, ni à Pershing) ou que le doseur-pénis n’était présent qu’à Méons, que des problématiques ont été élaborées. La comparaison constitue une méthode contrôlée : il s’agit de comparer des choses comparables selon une grille d’analyse construite à cet effet. Une telle comparaison débouche généralement sur une typologie, sur des idéaux-types au sens de Max Weber. La comparaison des footballs auto-organisés a été réalisée de cette manière. Trois dimensions variaient : le gradient Paris/province (et donc la nature de la scène sociale : scène sociale secondaire pour les banquiers parisiens, principale pour les ouvriers stéphanois), la classe sociale (cadres/ouvriers), le socle d’agrégation des joueurs (connaissance professionnelle préalable/aucune connaissance préalable). Ce qu’on perd en intensité monographique avec ce type de comparaison, on le gagne en généralisation (idéaux-types de Weber). L’ethnographie multisite est d’ailleurs une démarche féconde en plein développement (Céfaï 2003).

30Le lien entre observation et objectivité se modifie alors. « Ce que nous observons ne ‘‘vaut’’ pas pour une autre population que celle que nous avons enquêtée directement. De ce point de vue, nous entrons dans la catégorie des monographies. Pour autant, nous n’abdiquons pas toute ambition à la généralisation. Simplement, nous ne généralisons pas sur des ‘‘individus’’ ou des ‘‘populations’’ mais sur des ‘‘processus’’ et des ‘‘relations’’ » (Beaud et Weber : 289). La généralisation de processus peut alors se fonder sur la pluralité des terrains, et être nuancée le cas échéant [18].

31* * *

32« Sans interconnaissance, pas de terrain, pas d’enquête ethnographique. C’est là une règle d’or qui ne souffre aucune exception […] Cela ne veut pas dire qu’il soit impossible d’enquêter hors milieu d’interconnaissance : simplement, ce sera une enquête d’un autre type » (ibid. : 296). Or, cet article a essayé de montrer qu’enquêter dans un lieu public était possible à certaines conditions. Le point de divergence théorique est le suivant. Les deux auteurs se fondent sur la différence entre deux natures d’interactions : « L’interconnaissance (qu’on devrait dire personnelle pour souligner qu’elle réunit des individus dotés d’un nom propre, patronyme officiel ou surnom) distingue l’interaction personnelle de l’interaction anonyme » (ibid. : 295). Ils prennent l’exemple de l’accident de voiture sur un parking qui met en présence deux cousins, où « l’interaction personnelle remplace soudain l’interaction anonyme ». C’est le « soudain » qui pose problème : pour les deux auteurs, soit on se connaît déjà, soit on ne se connaît pas, il n’y a pas de demi-mesure. Or, l’espace public peut être aussi le lieu d’une transformation progressive de l’interaction anonyme en interaction personnelle. La question est de savoir, entre autres, comment une interaction anonyme peut se transformer en interaction personnelle (sociabilité, répétition…) ou comment, au contraire, une interaction personnelle redevient une interaction anonyme (Touri et Akim après leur bagarre) [19]. Entre anonymat et connaissance personnelle, existe ainsi une zone de transformation progressive que nous nous sommes proposé d’étudier. L’enquête ethnographique hors milieu d’interconnaissance est dès lors possible dans le cas où elle interroge et étudie ce passage coulé, progressif, négocié d’une interaction anonyme à une interaction personnelle.

33Cette affirmation permet par ailleurs de préciser ce qu’est un lieu public. Le lieu public peut se définir par la méthode ethnographique : un lieu est totalement public quand toute enquête de terrain y est impossible. Quels sont alors les exemples de lieux publics purs ? Les transports en commun (métro, train…), la rue… Or, G. Simmel montre comment on peut en faire la sociologie (sinon l’ethnographie). On peut alors rendre compte ainsi de l’échec de l’étudiant à faire l’ethnographie de la file d’attente : ce n’est pas parce que la gare est un lieu public qu’il est impossible d’y enquêter, mais parce qu’elle correspond à des situations (la file d’attente, le voyage en Transilien, etc.) où les règles de sociabilité interdisent la mise en relation entre inconnus. De cette définition du lieu public découlent deux questions : comment un lieu public devient-il moins public (comment des individus ou des groupes se l’approprient-ils ? quels usages conflictuels d’un lieu public peuvent déboucher sur la fin de son caractère public ?) et, inversement, comment un lieu où la rencontre était possible tend à faire de la relation anonyme son mode principal de régulation ? Ou, encore, comment les pouvoirs publics tendent à rendre les lieux urbains de moins en moins publics ? (Davis 1997).

34Emprunter une démarche cohérente avec la posture méthodologique retenue, consistant à enquêter dans un lieu public, de manière partiellement anonyme, sans négociation préalable du terrain ni recours à des alliés, s’accorde aussi avec le propos des deux auteurs du Guide, qui suggèrent implicitement de partir non d’une question concernant un groupe clairement délimité (les ouvriers, les facteurs, etc.), mais de questions relatives à des situations d’interaction entre individus différents (les interactions entre fractions du monde populaire en maison de justice par exemple – Coutant 2005). Avec deux extensions cependant par rapport au terrain « canonique » – une monographie d’un espace où existe une forte interconnaissance – suggéré par le Guide : le lieu public de rencontre et la comparaison.

Ouvrages cités

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  • Beaud, Stéphane. 2002. 80 % au bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire. Paris, La Découverte (Textes à l’appui). — et Florence Weber. 2003 [1997]. Guide de l’enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques. Paris, La Découverte (Guides Repères).
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Notes

  • [*]
    Je tiens à remercier Ioana Popa pour sa relecture de l’article, qui a permis d’en améliorer l’écriture.
  • [1]
    Dans le cadre d’une thèse de doctorat, Observatoire sociologique du changement (FNSP-CNRS).
  • [2]
    Certains auteurs datent l’apparition des sports informels ou auto-organisés de 1975. « Puisqu’ils présentent une dimension auto-organisationnelle, il est préférable de les appeler sports auto-organisés plutôt que sports informels » (Chantelat, Fodimbi et Camy 1998 : 41). Plus loin, ils ajoutent : « Le plus souvent les regroupements des jeunes autour de la pratique sportive auto-organisée se réalisent à partir de l’espace du quartier » (42) : or, on n’assiste à rien de tel avec le FIE, qui n’est pas la projection du football de quartier sur l’esplanade.
  • [3]
    Observations des 12 et 19 mars 2005.
  • [4]
    A posteriori, je me rends compte que ce geste avait des fortes chances de « refroidir », en l’occurrence, la complicité naissante avec l’enquêté et/ou être pris pour un signe de condescendance, mal interprété.
  • [5]
    Samedi 4 mars 2006, Etivallière.
  • [6]
    1er octobre 2005, Etivallière.
  • [7]
    18 mars 2006, Etivallière.
  • [8]
    Même si je suis d’accord avec Olivier Schwartz (2002) pour dire que l’on prend beaucoup plus qu’on ne donne.
  • [9]
    4 mars 2006, Etivallière.
  • [10]
    Stéphane Beaud (2002) parle de « présence flottante » (entre foyer de jeunes travailleurs, café, local CGT, MJC, ML, etc) pour désigner cette attitude consistant à se rendre familier des lieux sociaux fréquentés par ses enquêtés. La « présence flottante » s’oppose alors à l’« observation flottante » défendue par Colette Pétonnet (1982).
  • [11]
    Suggéré d’abord par Agnès Van Zanten, je la remercie à cette occasion.
  • [12]
    Elijah Anderson (2003) note le même décalage entre l’attitude de dénigrement des regulars chez Jelly’s et leur présence assidue.
  • [13]
    En hiver, occupation le week-end ; en été, dans l’après-midi, le soir et tout le week-end.
  • [14]
    Le développement qui suit s’inspire largement du cours de préparation à l’agrégation de sciences sociales de Florence Weber, « Ethnographie et observation qualitatives. Observer sans comprendre, comprendre sans expliquer, ou comprendre pour expliquer ? » (19 janvier 2004).
  • [15]
    Reprenant cette histoire à Gilbert Ryle, Geertz notait qu’observer, dans une salle, de derrière, un clin d’œil entre deux participants, ne permettait pas de l’interpréter si on ne connaissait pas l’histoire de ces deux individus (s’agit-il d’un moyen de reconnaissance ? ou de faire connaissance ? ou tout simplement d’un geste mécanique involontaire ?).
  • [16]
    F. Weber prend l’exemple du travail remarquable de Christopher Browning (2002). Le 13 juillet 1942, avant le massacre de Josefow qu’ils devaient perpétrer, les soldats du 101e bataillon se sont vus proposer par leur chef d’être dispensés, individuellement, de leur « tâche ». Seuls une douzaine sur les 500 soldats de la brigade sortent du rang. On ne peut comprendre leur attitude si l’on ne sait pas que ce sont les diplômés du bataillon…
  • [17]
    Le « séroual » (en arabe « pantalon » ou « faire tomber le pantalon ») désigne à l’Etivallière un petit pont, dribble qui consiste à passer le ballon entre les jambes de l’adversaire.
  • [18]
    Il est rapidement ressorti de cette comparaison que si les caractéristiques générales étaient voisines (dimensions masculines, plaisir avant tout), certains éléments variaient fortement d’un terrain à l’autre (façons de jouer et de concevoir l’ordre social notamment).
  • [19]
    Akim et Touri se sont connus sur l’esplanade de l’Etivallière. Un samedi matin, suite à une insulte que l’un a cru entendre, ils tentent de se battre, immédiatement séparés par les autres joueurs. Les semaines suivantes, ils reviennent tous deux mais s’évitent, et ne se resaluent qu’après de longs mois.

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