Genèses 2004/4 no57

Couverture de GEN_057

Article de revue

Circulations, connexions et espaces transnationaux

Pages 110 à 126

Notes

  • [1]
    Voir Actes de la recherche en sciences sociales, numéros 121-122, 1998 (« Les ruses de la raison impérialiste ») ; 136-137, 2001 (« Nouvelles formes d’encadrement ») ; 139, 2001 (« L’exception américaine (2) ») ; 144, 2002 (« Traduction : les échanges littéraires internationaux ») ; 145, 2002 (« La circulation internationale des idées ») ; et 151-152, 2004 (« Sociologie de la mondialisation »).
  • [2]
    Comme le rapportait récemment Giovanni Gozzini, le nombre des abonnés de la liste h-world est passé de 600 à 1 500 entre 1994 et aujourd’hui (« Dalla Weltgeschichte alla world history : Percorsi storiografici attorno al concetto di globale », Contemporanea, vol. 7, n° 1, 2004, pp. 3-38). Un des ouvrages les plus récents d’une « new world history » marquée par l’intérêt pour les franchissements de frontières est celui de Patrick Manning, Navigating World History : Historians Create a Global Past, New York, Palgrave Macmillan, 2003. À signaler l’analyse de l’évolution de la world history aux États-Unis donnée par Michael Geyer et Charles Bright dans « World History in a Global Age », American Historical Review, vol. 100, n° 4, 1995, pp. 1034-1060.
  • [3]
    Voir, par exemple, le dossier spécial que la revue italienne Contemporanea, op. cit., a consacré à l’approche transnationale, ou encore le colloque « Trans-national history » organisé à l’Australian National University de Canberra en octobre 2004.
  • [4]
    En témoigne la montée de l’usage du terme « transnational » et de ses dérivés dans les titres de livre, comme avec Donna R. Gabaccia et Franca Iacovetta (éd.), Women, Gender and Transnational Lives : Italian Workers of the World, Toronto, University of Toronto Press, 2003 ; Marcel Van der Linden (éd.), Transnational Labour History : Explorations, Aldershot, Ashgate, 2003 ; Ionna Laliotou, Transatlantic Subjects : Acts of Migration and Culture of Transnationalism Between Greece and America, Chicago, University of Chicago Press, 2004.
  • [5]
    Deux exemples récents avec Thomas Bender (éd.), Rethinking American History in a Global Age, Berkeley, University of California Press, 2002 et Michael Werner et Bénédicte Zimmerman, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 58, n° 1, 2003, pp. 7-36 ou « Vergleich, Transfer, Verflechtung. Der Ansatz der histoire croisée und die Herausforderung des Transnationalen », Geschichte und Gesellschaft, vol. 28, n° 4, 2002, pp. 607-636.
  • [6]
    Une utile remise en place de ce type a été effectuée sur le terrain urbain par Thierry Dutour, « La mondialisation, une aventure urbaine. Du Moyen Âge au “Globalblabla” » Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 81, n° 1, pp. 107-117.
  • [7]
    Pour une vue critique du comparatisme, voir Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, Puf, 1999, pp. 31-51 et Frederick Cooper, « Race, Ideology and the Perils of Comparative History », American Historical Review, vol. 101, n° 4, 1996, pp. 112-238. Pour une des nombreuses défenses du comparatisme et de ses enseignements « exceptionnalistes », voir Michael Kammen, « The Problem of American Exceptionalism : A Reconsideration», American Quarterly, vol. 45, n° 1, 1993, pp. 1-43.
  • [8]
    Voir, sur ces questions et d’autres, le symposium organisé par diverses listes du réseau H-Net sur l’ouvrage de Daniel T. Rodgers en 1999 (http://h-net.msu.edu).
  • [9]
    Le fait que je sois l’un des participants à ce volume permet de signaler au passage que je suis en relation plus ou moins directe de travail et d’échange avec la plupart des auteurs des ouvrages rassemblés ici. Le lecteur, ainsi avisé, saura apprécier les limites et les possibilités résultant de cette position.
  • [10]
    On pense ici à Florence Kelley. Voir Kathryn Kish Sklar, Florence Kelley and the Nation’s Work, New Haven, Yale University Press, 1995.
  • [11]
    On rejoint ici certaines des propositions avancées par Éric Brian, « Transactions statistiques au xixe siècle. Mouvements internationaux de capitaux symboliques», Actes de la recherche en sciences sociales, n° 145, 2002, pp. 34-46 ou par Abram De Swaan, « Pour une sociologie de la société transnationale », Revue de synthèse, vol. 119, n° 1, 1998, pp. 89-111.
  • [12]
    William B. Rayward, The Universe of Information : The Work of Paul Otlet for Documentation and International Organisation, Moscou, All-Union Institute for Scientific and Technical Information, 1975, pp. 206-208.
  • [13]
    Laird McLeod Easton, The Red Count : The Life and Times of Harry Kessler, Berkeley, University of California Press, 2002, pp. 300 et suiv.
  • [14]
    Renaud Payre, «Une république des communes. Henri Sellier et la réforme municipale en avril 1942», Genèses, n° 41, 2000, pp. 143-163.
  • [15]
    Le terme permet de regrouper les diverses facettes de la contribution à l’activité circulatoire, en dérivation de certaines des propositions de Pascale Casanova, «Consécration et accumulation du capital littéraire. La traduction comme échange inégal», Actes de la recherche en sciences sociales, n° 144, 2002, pp. 7-21. Voir son application dans Pierre-Yves Saunier, « Note de recherche : quand Mickey Mouse joue au tennis », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 151-152, 2003, pp. 49-56.
  • [16]
    Memo du 13 septembre 1956, cité par V. R. Berghahn, America and the Intellectual Cold Wars…, op. cit., p. 184.
  • [17]
    Outre les chapitres très importants que V. R. Berghahn consacre au CCF, on rappellera ici le livre de Pierre Grémion, Intelligence de l’anticommunisme, Paris, Fayard, 1995.
  • [18]
    Qui prend sens dans une série de travaux du même auteur, dont Cultural Internationalism and World Order, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1997 ; China and Japan in the Global Setting, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1992 et « Misperception, Mistrust, Fear », in Geir Lundestad et Olav Njølstad (éd.), War and Peace in the 20th Century and Beyond, River Edge, World Scientific, 2002, pp. 199-219.
  • [19]
    Les travaux historiques sur les organismes non gouvernementaux et sur l’aspect « technique » de l’activité des organismes intergouvernementaux (par opposition à leur travail diplomatique et politique) se font cependant plus nombreux. Voir, par exemple, Matthew Evangelista, Unarmed Forces : The Trans-National Movement to End the Cold War, Ithaca, Cornell University Press, 1999 ; Helen Laville, Cold War Women : The International Activities of American Women’s Organizations, Manchester, Manchester University Press, 2002 ; Sanjeev Khagram, James V. Riker et Kathryn Sikkink (éd.), Restructuring World Politics : Transnational Society Movements, Networks, and Norms, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2002 ; Gabriele Metzler, Internationale Wissenschaft und nationale Kultur : deutsche Physiker in der internationalen Community, 1900-1960, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2000 ; Daniel Holly, Les Nations-Unies et la mondialisation. Pour une économie politique des organisations internationales, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Jean-Jacques Renoliet, L’Unesco oubliée. La Société des Nations et la coopération intellectuelle (1919-1946), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999 ; Christel Taillibert, L’Institut international du cinématographe international éducatif. Regards sur le rôle du cinéma éducatif dans la politique internationale du fascisme italien, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Marta Aleksandra Balinska, Une vie pour l’humanitaire. Ludwik Rajchmann, 1881-1965, Paris, La Découverte, 1999. Sur le contemporain, le lecteur de Genèses se rappellera aussi des travaux de Johanna Siméant, Jérôme Bellion-Jourdan ou François Mabille (Genèses, n° 48, 2002).
  • [20]
    Il est frappant que les analyses de Marc-Olivier Padis et Thierry Pech, Les multinationales du cœur. Les ONG, la politique et le marché, Paris, Seuil, 2004 ou celles de Philippe Ryfman, Les ONG, Paris, La Découverte, 2004, se focalisent sur les trente dernières années du xxe siècle, reléguant l’histoire de l’associationisme international dans une préhistoire anecdotique non pertinente.
  • [21]
    Cette alliance scientifique contre la prolifération nucléaire dont Mathew Evangelista a récemment fait la chronique dans Unarmed forces…, op. cit.
  • [22]
    Sans revenir sur le contexte de cette évolution, on pense ici notamment aux travaux de Karl Kaiser, Robert Keohane ou Harold Jakobson, qui font entrer le transnational et les acteurs non gouvernementaux dans le périscope des spécialistes des relations internationales. Les perspectives ainsi ouvertes, conjuguées aux événements contemporains, semblent fondatrices pour l’actuel « tournant historique » des relations internationales, dont témoigne par exemple Michael Cox, Tim Dunne et Ken Booth (éd.), Empires, Systems and States : Great Transformations in International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
  • [23]
    Voir John Boli, John W. Meyer, Francisco O. Ramirez et George M. Thomas, Institutional Structure : Constituting State, Society and the Individual, Beverly Hills, Sage Publications, 1987.
  • [24]
    Les unes posent les fondations comme les rouages impeccablement huilés d’une réforme conservatrice capitaliste destinée à tout changer pour que rien ne change, les autres les considèrent comme des foyers d’activités non-américaines (unamerican) dont les activités pervertissent les fondements de la démocratie états-unienne originelle. Voir, comme points de départ pour les travaux sur la grande philanthropie états-unienne : Ellen Condliffe Lagemann (éd.), Philanthropic Foundations : New Scholarship, New Possibilities, Bloomington, Indiana University Press, 1999 et Mario Cueto (éd.), Missionaries of Science : The Rockefeller Foundation and Latin America, Bloomington, Indiana University Press, 1994.
  • [25]
    Giuliana Gemelli (éd.), American Foundations and Large-Scale Research : Construction and Transfer of Knowledge, Bologna, Clueb, 2001.
  • [26]
    Sur cette vision d’un long xxe siècle comme grande inflexion globalisante de l’histoire du monde, voir M. Geyer et Ch. Bright, « World history… », op. cit.
  • [27]
    Frederick Cooper, « What is the Concept of Globalization Good For ? An African Historian’s Perspective », African affairs, vol. 100, n° 399, 2001, pp. 189-213. Voir aussi sa contribution au très intéressant volume de Thomas Callaghy, Ronald Kassimir et Robert Latham (éd.), Intervention and Transnationalism in Africa : Global-Local Networks of Power, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
  • [28]
    Les travaux de Homi K. Bhabha ou d’Arjun Appadurai peuvent servir à localiser les principes de ces approches.
  • [29]
    Peter Linebaugh et Marcus Rediker, The Many-Headed Hydra. Sailors, Slaves, Commoners, and the Hidden History of the Revolutionary Atlantic, Boston, Beacon Press, 2000. Sur un terrain semblable, voir aussi Paul Gilroy, Black Atlantic : Modernity and Double Consciousness, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1993. Pour une réflexion sur cette dimension du « transnational » et une foule de références, je renvoie à M. Geyer et C. Bright, « World history… », op. cit., ainsi qu’à Robin D. G. Kelley, « How the West Was One : The African Diaspora and the Re-Mapping of US History », in T. Bender (éd.), Rethinking…, op. cit., pp. 123-147.
  • [30]
    Pour quelques repères, voir Daniel T. Rodgers, « Exceptionalism », in Anthony Molho et Gordon Wood, Imagined Histories : American Historians Interpret the Past, Princeton, Princeton University Press, 1998 ; Thomas Haskell, « Taking Exception to Exceptionalism », Reviews in American History, vol. 28, 2000, pp. 151-166 ; Ian Tyrrell, « American Exceptionalism in an Age of International History », American Historical Review, vol. 96, n° 2, 1991, pp. 1031-1072 (et le reste du dossier de ce numéro) ; Michael Kammen, « The Problem of American Exceptionnalism…», art. cit.
  • [31]
    Dont Laurence Veysey, « The Autonomy of American History Reconsidered », American Quarterly, vol. 31, n° 2, 1979, pp. 455-477.
  • [32]
    Thomas Bender (éd.), La Pietra Report, sur le site de l’Organization of American Historians : http://www.oah.org/activities/lapietra/final.html (page consultée le 12 décembre 2003).
  • [33]
    Voir, par exemple, comment David Thelen retrace la manière dont le terme transnational a été choisi par le groupe de travail international qui a élaboré le numéro spécial dont son article fait l’ouverture, David Thelen, « The National and Beyond : Transnational Perspectives on United States History », The Journal of American History, vol. 86, n° 3, 1999, http://www.historycooperative.org/journals/jah/86.3/thelen.html (page consultée le 17 juillet 2003).
  • [34]
    Pour une évaluation des impacts, voir par exemple Carl J. Guarneri, « Internationalizing the United States Survey Course : American History for a Global Age 1 », The History Teacher, vol. 36, n° 1, 2002, http://www. historycooperative.org/journals/ht/36.1/guarneri.html (page consultée le 15 juillet 2003).
  • [35]
    François Weil, « Do American Historical Narratives Travel ? », in T. Bender (éd.), Rethinking…, op. cit., pp. 317-342.
  • [36]
    Une présentation plus longue des unes et des autres dans Pierre-Yves Saunier, « E pericoloso sporgersi ? Attrazioni e limiti dell’approccio trans-nazionale », Contemporanea, op. cit., pp. 114-122.
  • [37]
    Les différents volumes édités de la correspondance de Lucien Febvre et Marc Bloch me semblent particulièrement suggestifs sous cet angle, comme témoignages de l’incroyable dépense d’énergie consentie par les protagonistes des sciences humaines et sociales à des fins de singularisation et d’institutionnalisation.
  • [38]
    Louis A. Pérez Jr, « We are the World : Internationalizing the National, Nationalizing the International », Journal of American History, vol. 89, n° 2, 2002. http://www.historycooperative.org/journals/jah/89.2/ perez.html (page consultée le 20 juillet 2003).
  • [39]
    Voir, sur cette distinction, Charles Bright et Michael Geyer « Where in the World is America ? The History of the United States in a Global Age », in T. Bender (éd.), Rethinking…, op. cit., pp. 63-100.

1 Un parfum trans, supra ou inter-national (cross national étant une autre des expressions employées en anglais) semble flotter dans l’air des diverses sciences sociales, en particulier dans celles qui utilisent la dimension historique pour développer leurs analyses. La sociologie bourdieusienne française part à l’assaut des structures de l’échange international des valeurs et des idées [1], la world history reprend du poil de la bête [2], les rencontres et forums se multiplient [3], les recherches, ouvrages et articles qui se donnent comme terrain le monde au-delà des nations ou entre celles-ci apparaissent toujours plus nombreuses [4], et avec elles les propositions méthodologiques [5]. L’objet de cette note n’est pas de revenir en termes méthodologiques ou épistémologiques sur les différentes modalités qu’a prises cet intérêt, ni de proposer des définitions, ni de rendre compte des débats sur les mérites relatifs des différents concepts utilisés, voire de rentrer dans la sociologie du développement de ce terrain foisonnant à l’université. Il n’est pas non plus question de faire un panorama des travaux en insistant sur les diasporas, les migrations ou les identités, qui sont parmi les thématiques les plus travaillées de ces dernières années. Il ne s’agit pas enfin de faire école, de proposer une rénovation des outils et des postures des sciences sociales. Ici, on considérera plutôt le « transnational » comme une manière de faire de l’histoire, un point de vue, un questionnement exercé sur des terrains et des sources, en suggérant ce que cet angle peut apporter aux historiens du contemporain. Ce point de vue « modeste » correspond finalement aux postures des travaux rassemblés ici.

2 Ceux-ci, qui sont aussi des outils de travail pour ma propre recherche, ne représentent bien évidemment qu’une des manières de travailler dans une perspective transnationale. Ils sont concentrés sur un espace nord-atlantique, mettent en jeu pour l’essentiel des élites économiques ou intellectuelles, et concernent avant tout des flux de personnes, d’idées, d’objets, de textes ou de services qui se développent à la fois entre les États-nations, mais aussi au-dessus, au-delà et en deçà de ceux-ci. On n’aborde donc bien ici qu’une fraction de ces approches transnationales évoquées plus haut, et passer par ce prisme-là recèle autant de possibilités que de limites. C’est en tenant ces données présentes à l’esprit que le lecteur pourra lire ce texte. Tous ces ouvrages partagent une approche systématique des phénomènes transnationaux par les flux et les espaces qu’ils ont constitués. Cet intérêt pour la mécanique des connexions, des circulations, pour leur morphologie, me semble être une condition préalable pour saisir les fluctuations, les dilatations, les dénivellations de ces formations transnationales qui découpent leur existence à travers les nations, mais aussi à travers ce qu’on a pour habitude de penser en termes de « niveaux » (le local, le national, l’international comme autant de poupées russes). En d’autres mots, c’est d’une des possibles contributions historiennes à l’historicisation de la « globalisation » qu’il est question ici.

3 Aux yeux des historiens médiévistes ou modernistes, qui ont développé depuis très longtemps des thématiques similaires dans le domaine du commerce et des pratiques religieuses ou culturelles (le livre, le commerce des idées), cette ambition ressemblerait sans doute à l’invention de l’eau tiède [6]. Et ce d’autant plus que certains historiens du contemporain ont été sensibles à cet angle d’approche, notamment ceux qui ont travaillé sur le mouvement ouvrier et ses diverses « Internationales », ou encore les spécialistes de l’histoire diplomatique. Néanmoins, en jouant sur les préfixes, on peut argumenter ici que l’histoire des sociétés contemporaines a plutôt été inter nationale que trans nationale. L’État-nation, à la construction duquel la discipline historique a vivement contribué (et vice-versa) dans l’ensemble des pays occidentaux, est le cadre dominant des recherches, des publications et des enseignements d’histoire contemporaine. On peut dès lors admettre que la fortune actuelle de la thématique transnationale dans l’étude des sociétés des xixe et xxe siècles est inédite parce que précisément elle prend pour cadre l’âge des États-nations, ces cellules sociales dont les historiens des moments médiévaux ou modernes ne subissent pas ou moins la contrainte. Cette primauté de l’État-nation comme cellule de base de l’observation en sciences sociales a certes été attaquée, notamment par l’adoption de perspectives comparatistes. Mais la démarche comparative elle-même, comme il a pu être écrit, se love dans le cadre des États-nations, et se développe souvent à partir de l’un d’entre eux vers d’autres [7]. Ainsi elle aboutit fréquemment au renforcement même de la cellule d’observation de base – les États-nations – soit par l’insistance sur les différences entre ceux-ci, soit par le simple enregistrement de l’existence d’un espace dénivelé appréhendé au moyen des notions de retard ou d’avance. En mettant l’accent sur les circulations, aussi bien sur la manière dont elles traversent, agitent, dépassent, subvertissent le national, que sur les manières dont le national les contraint et les organise, en s’attachant à un terrain chronologique marqué par la force symbolique et pratique des États-nations, l’approche transnationale n’est donc pas nouvelle mais simplement inédite. C’est dans cet esprit que l’on examinera les ouvrages rassemblés ici, en s’attardant sur ce qu’ils peuvent suggérer, proposer et apporter. Je m’attacherai d’abord au thème des circulations entre espaces nationaux, pour aborder ensuite celui de l’émergence au xxe siècle d’un espace transnational.

Import / Export

4 L’ensemble des ouvrages présentés ici nous familiarise tout d’abord avec des flux qui franchissent les frontières dans le long xxe siècle (1875-2000) que dessine leur lecture. Chacun de ces ouvrages mériterait une note détaillée pour rendre justice à son propos spécifique, mais on ne fera ici qu’évoquer la variété des objets considérés. Daniel Rodgers traque les circulations des réformistes et des politiques sociales qu’ils promeuvent entre Europe (ou, plus exactement, certains espaces ou pays européens [8]) et États-Unis entre le début du siècle et les années 1940. Pascale Casanova suit les traductions, les auteurs, les processus de consécration littéraire et leurs mouvements vers les différents « méridiens » qui disent la loi de l’espace littéraire mondial au xxe siècle. Wade Jacoby se consacre à l’étude de transferts institutionnels entre États-Unis et Allemagne de l’Ouest pendant l’occupation états-unienne qui suit la Seconde Guerre mondiale, puis à l’intérieur de l’Allemagne réunifiée, dans les domaines de l’éducation et de l’organisation des rapports sociaux dans le monde économique. Dans tous ces cas, ce sont des êtres animés et les textes et idées qu’ils portent (principes juridiques, valeurs morales, objectifs économiques et sociaux) qui supportent le regard. Mais ce qui circule ainsi à travers les frontières prend aussi des formes moins humanisées. Ce sont les mutants du colibacille que s’envoient les biologistes Jacques Monod et Josuah Lederberg entre 1947 et 1952, les isotopes radioactifs que l’Institut national d’hygiène et le Commissariat à l’énergie atomique importent des États-Unis aux lendemains de la guerre, les spectromètres, ultracentrifugeuses et autres microscopes électroniques dont Jean-Paul Gaudillière reconstitue les circuits d’achat et d’usage. Ce sont aussi les financements des grandes fondations philanthropiques états-uniennes, qui traversent frontières et océans à partir des premières années du xxe siècle vers l’Amérique latine, l’Europe, l’Asie. Ainsi ces fondations contribuent-elles à structurer les programmes de recherche et d’enseignement, en sciences naturelles comme en sciences humaines, mais aussi la vie culturelle et politique, comme les contributions rassemblées par Roy MacLeod et Giuliana Gemelli [9] le suggèrent, aux côtés de l’ouvrage de Volker Berghahn. Ce foisonnement des contenus suggère la variété de ce qui passe ainsi à travers, au-dessus des frontières, de l’objet anodin au matériel complexe, des êtres humains aux micro-organismes, des produits de l’esprit (idées, concepts, paradigmes, normes, pratiques, lois et règlements) aux produits matériels, du vivant au manufacturé, du financier au spirituel. Bien sûr, la liste n’est pas ainsi épuisée et reste longue de tout ce qui ne rentre pas dans le spectre ici proposé. Mais celui-ci est assez large pour concerner les praticiens et les lecteurs des diverses sciences sociales et de leurs déclinaisons, et attirer leur attention sur la facilité relative avec laquelle, dans les contextes et les espaces les plus divers, un ensemble d’objets en circulation travaille les espaces scientifiques, politiques, sociaux ou culturels des États-nations.

5 Cette formidable prolixité, que favorisent parfois les contextes ou les formes mêmes de ce qui circule, s’inscrit dans la grande variété des contenants et des modalités qui accomplissent les circulations dans leur aspect matériel. Ici, ce sont les êtres – et, à travers eux, les mots – qui prennent le pas sur les choses. Ce qu’ils racontent, ce qu’ils écrivent dans le privé de leurs correspondances ou au grand jour de leurs publications, ce qu’ils lisent, ce qu’ils entendent – tout autant ce qu’ils ne voient, ne disent ou n’écrivent pas – témoigne aujourd’hui de leur participation à l’organisation, à l’opération et à l’impact des circulations. Livres, articles, rapports, conférences, discours, cours, rencontres ne sont que quelques-unes des formes où s’inscrivent les circulations. Le déplacement même des corps est le plus souvent au fondement de ces formes, et le voyage est une thématique qui traverse tous nos ouvrages. On reste suspendu à ces récits en miroir des missions de productivité qui du monde entier convergent vers les entreprises états-uniennes entre la fin des années 1940 et la fin des années 1960, et dont les contributeurs de l’ouvrage dirigé par Dominique Barjot nous rappellent que, dans un mouvement inverse de celui des voyageurs de D. Rodgers, ils nous parlent tout autant de ce qu’ils voient aux États-Unis que de leur propre pays ou industrie, mettant ainsi en évidence les processus de sélection, filtrage, traduction et, au-delà, tout le travail de comparaison que constitue le voyage. La tournée états-unienne de W. Beveridge en 1943 (trois mois, une centaine de rencontres ou conférences pour diffuser les principes et les contenus de son célèbre rapport), les caravanes d’élus municipaux, de réformateurs, de journalistes et d’hommes d’affaire que la National Civic Federation (1905) ou la Boston Chamber of Commerce (1911) propulsent pendant des mois à travers l’Europe urbaine pour y étudier les régies municipales ou l’aménagement des villes, sont quelques-uns des instantanés que nous livre D. Rodgers sur ces moments de collecte de l’information et de constitution des réseaux, moments clés dont la conception et le déroulement contiennent le dessin d’une partie des usages possibles une fois opéré le retour à la maison. Axel Schäfer, qui revient de manière détaillée sur certains protagonistes des «traversées» de D. Rodgers, en se focalisant sur leur fréquentation et leur usage de l’Allemagne, est particulièrement attentif à montrer combien les séjours à l’étranger, séjours d’étude, séjours de travail ou séjours privés, sont aussi des moments de redéfinition. C’est en Allemagne, par exemple, que le grand sociologue noir William Edward Burghardt Du Bois reconfigure sa perception de lui-même comme Américain et noir, et élabore ses postures intellectuelles et pratiques vis-à-vis des problèmes raciaux et des concepts sociologiques. Cette transfiguration, qui rappelle les changements vécus par certaines social justice feminists lors de leurs séjours européens [10], souligne combien le voyage n’est pas simplement un moment, clairement délimité, mais une expérience ou une épreuve dont les conséquences peuvent s’incorporer dans celui ou celle qui la tente ou la subit. Une visite d’exposition, une participation à un congrès, un voyage de recherche, un séjour d’études, une étape professionnelle hors des frontières nationales transforment celles et ceux qui les accomplissent.

6 Cette transformation intime n’est pas le moindre des impacts des circulations qui conduisent hommes, choses et mots à traverser les limites conventionnelles, juridiques des États-nations, tout autant que les limites sociales et culturelles des espaces qu’ils délimitent. Là encore, j’invite le lecteur à se reporter aux ouvrages rassemblés pour prendre la mesure des effets de ces circulations. Ils pourront y retrouver l’analyse du poids du détour américain dans la constitution du « complexe biomédical à la française », et le découpage très fin que J.-P. Gaudillière opère entre les diverses composantes de cette construction « au miroir de l’Amérique ». De même qu’il est particulièrement attentif à décliner les incarnations variées des circulations transatlantiques (personnes, instruments, matériaux de recherche, résultats, financements), il est soucieux d’établir les diverses modalités du rapport à l’Amérique (acculturation, collaboration, importation, indifférence), et de traquer les usages des circulations. D. Rodgers, qui couvre des secteurs très variés de politique sociale (reconstruction rurale, assurances sociales, city planning…), est particulièrement pointu lorsqu’il s’attarde sur le rapport entre les usages et les impacts des circulations. Son analyse de l’enterrement du projet de législation sur les assurances sociales (retraite, maladie…) culmine ainsi avec la manière dont les adversaires de la mesure l’enterrent, aux lendemains de la Première Guerre mondiale, sous l’accusation du « made in Germany », celle-là même qui avait permis à ses partisans de croire en l’avènement d’une législation en la matière dans la première décennie du xxe siècle. A. Schäfer, dont le travail, très complémentaire, confirme le plus grand nombre des propositions de D. Rodgers, insiste quant à lui tout particulièrement sur l’impact structurant des circulations en provenance d’Allemagne. Les médiateurs transatlantiques états-uniens proposent ainsi sur le terrain domestique une adaptation de l’historicisme et de l’éthique sociale d’un certain nombre de maîtres à penser allemands (Gustav Schmoller, Johannes Conrad, Adolph Wagner). Cette adaptation va nourrir la contestation du laisser-faire économique et social et contribuer à transformer les concepts de connaissance, d’action sociale, d’éthique collective. Mais le mouvement progressiste va aussi échouer à proposer une alternative « complète » au libéralisme, et finira par s’y agréger sous la forme d’une intégration autour de thèmes comme le contrôle social, l’exclusion culturelle et la répression politique.

7 Ce pouvoir structurant issu des circulations, où l’impact se mesure plus à la mise en place de cadres de pensées, de réseaux d’acteurs, de schèmes d’organisation ou de lieux de production du savoir qu’à l’installation d’un système légal ou réglementaire ou à la reproduction d’une pratique, est au cœur des travaux sur l’action extérieure des grandes fondations philanthropiques états-uniennes. Oliver Schmidt en illustre un aspect dans sa contribution à l’ouvrage de Roy MacLeod et Giuliana Gemelli. Il y insiste sur les réseaux transatlantiques que le séminaire de Salzbourg, dont Clemens Heller fut l’un des animateurs, permit de renouer ou de construire, et qui contribuèrent à nourrir la thématique de la « société atlantique » dans les années difficiles de la guerre froide. La création en Turquie, entre 1950 et 1970, de diverses institutions « modernes » de recherche et d’enseignement (santé publique, médecine, enseignement féminin, agriculture, planning familial, sciences naturelles, management), présentée par Kenneth Rose dans le même volume, a elle aussi été propulsée par les fonds des fondations Rockefeller et Ford. Il s’agit, dans ces cas comme dans d’autres, de mettre en place des structures plus que de modifier des conjonctures, et c’est ce pari du moyen et du long terme que prend l’action des agences de la philanthropie « scientifique ».

8 L’ouvrage dirigé par D. Barjot est un exemple particulièrement parlant du « profit qu’il y a à partir des connections » sur lequel D. Rodgers insiste dans son introduction. Ceci à cause de la diversité des contenus, des situations et des résultats qu’il présente. Les missions de productivité de l’après-Seconde Guerre mondiale concernent en effet des pays alliés aux États-Unis pendant le conflit, des pays occupés par les forces de l’Axe, aussi bien que d’anciens adversaires. Elles touchent des pays aux degrés d’industrialisation très divers, aux structures sociales et politiques incommensurables, et s’adressent à toutes les branches industrielles. Les missions, leurs voyages, leurs rapports, font circuler procédés techniques, mystique productiviste, technologies du marché et du management et principes d’organisation des relations sociales dans l’entreprise. Le relevé des points d’impact est édifiant, et confirme que le poids des circulations ne peut se déduire d’une seule de leur caractéristique. Leurs participants, leurs modalités, les augures de leur mise en place et de leur maintenance, leur localisation précise dans l’espace-temps social, politique et économique sont autant de facteurs clés. Le patronat japonais embrasse le principe même des missions alors que la Cofindustria italienne résiste du mieux qu’elle peut ; les Pays-Bas sont un espace globalement rétif alors que la Norvège fait figure de premier de la classe ; les entreprises françaises du BTP (Bâtiment et travaux publics) firent grand profit des enseignements technologiques et organisationnels des missions quand l’industrie allemande du pneu y trouva sa fin pour avoir adopté des orientations états-uniennes que la technologie du pneu radial allait rendre caduques. Ces variations défient à première vue toute simplification, en même temps qu’elles nous invitent à l’étude détaillée. Wade Jacoby, dans ses solides chapitres introductifs et sa conclusion, revient d’ailleurs sur l’approche délicate qu’il convient de mettre en œuvre dans l’étude des transferts institutionnels (ceux qui concernent la transplantation d’objets juridiques, réglementaires, politiques). Il y écarte les explications univoques : diagnostics brutaux quant à la similitude ou la diversité irréconciliable des systèmes (politiques ou sociaux) ou des cultures ; retraites argumentaires sur les structures de l’échange (domination, emprunt) ; grands dessins de convergence ou de diffusion. Sans forcément adhérer à son souci de dessiner une « autre » approche par rapport aux postures théoriques qui structurent l’étude des policy transfers – ce qu’il appelle l’institutional transfer approach – son insistance sur les flexibilités et les marges de manœuvre des partenaires les plus contraints, sur les décalages entre les intentions et les réalisations, son intérêt pour les processus de traduction, d’appropriation, de légitimation, son souci de suivre ce que les sociétés locales font subir aux objets qu’elles accueillent au terme de leur circulation seront précieux à tous ceux qui traitent de procédures semblables.

9 Cette problématique du transfert n’épuise cependant pas la thématique des circulations. Celles-ci ne se laissent pas enfermer dans des couples simples émission / réception, départ / arrivée, demande / offre, local / national, dominant / dominé. Les ouvrages ici proposés qui se placent dans une perspective de circulations bilatérales (circulation Allemagne / États-Unis chez A. Schäfer, États-Unis / France chez J.-P. Gaudillière) ou polarisées (des États-Unis vers le monde industrialisé pour les contributeurs de D. Barjot, de l’Europe vers les États-Unis pour D. Rodgers) restituent bien toute la complexité de ces mouvements et de ces flux, qui ne se résument jamais à la peinture de contenants et de contenus allant sagement d’un pays à l’autre par les miraculeux sauts de puce de la « diffusion des innovations » ou de « l’influence ». Les passages sont complexes, et dessinent souvent des géographies plurinationales, comme dans ces cheminements des thèmes de l’assurance sociale vers les États-Unis, ou les pratiques danoises et allemandes percolent par le système légal britannique, ou ces généalogies (parfois refoulées dans la présentation publique) des systèmes d’assurance chômage dont les branches passent par les villes belges ou françaises tout autant que par les villes allemandes (et pas forcément selon les « lois de la gravité » des réseaux urbains).

10 Cette complexité, tout autant que l’attention prêtée par les divers auteurs aux subtilités des contenants, des contenus, des modalités et des usages des circulations, peuvent ici servir à dégager deux suggestions. La première, c’est que l’approfondissement du travail sur les circulations met à mal l’usage d’une des plus paresseuses notions qui soient, celle d’« influence » étrangère dans les évolutions culturelles, sociales, voire politiques d’une société locale (nation, ville, groupe social ou culturel). Ce deus ex machina qui dénoue les situations de crise, cette concession magnanime à l’importance de ce qui se passe « en dehors » des limites des espaces étudiés, cette boîte noire qui enserre maladroitement tout ce qui survient ou provient du hors-cadre de nos sujets de recherche sera éparpillée « façon puzzle » sur le bureau de tous ceux qui voudront bien se pencher un peu sur ces ouvrages. C’est en ramassant les morceaux qu’ils se féliciteront de ce petit accident. À sa place ils trouveront un champ d’étude, celle des circulations, de leurs contenus, de leurs porteurs et de l’ensemble des usages qu’elles autorisent, comme autant de possibilités et de contraintes qui travaillent les espaces fermés que nos habitudes et les contraintes structurelles de nos institutions (qui poussent à la délimitation spatialisée des sujets) nous font privilégier. La deuxième suggestion qui peut être extraite de la lecture de ces forts volumes mérite un examen plus attentif. Ensemble, ils me semblent en effet suggérer l’émergence, sur le long xxe siècle, d’un espace de pratiques caractérisé par son déploiement à la fois au-dessus ou au-delà du national et inséré dans les interstices des nations, espace que l’on qualifiera ici de transnational pour faire court, le lieu n’étant pas aux entreprises de définition [11].

Un espace transnational ?

11 Partons, pour approfondir un peu cette question, des voyageurs évoqués plus haut. Passeurs, traducteurs, entremetteurs, organisateurs des circulations, leur localisation culturelle, tout autant que leur affiliation et leurs loyautés nationales, apparaissent comme tourmentées. Cela est particulièrement saillant dans les situations où la géopolitique internationale impose ses lignes de clivage et impose à chacun de prendre camp. Ceux qui tentent d’échapper à ces logiques nationales s’en trouvent mis au ban, à l’image de l’activiste belge Paul Otlet qui soutient encore la cause internationaliste au cœur de la Première Guerre mondiale [12], ou du cosmopolite comte Harry Kessler qui devient le Comte Rouge dans l’Allemagne des années 1920 pour avoir soutenu l’idée d’une Société des Nations anationale [13]. C’est pourtant aussi dans ces moments que l’on peut lire la force de certains attachements « universels », souvent nés d’une immersion intense dans les réseaux d’échange et de circulation. Qu’on se rappelle par exemple la correspondance soutenue qu’Henri Sellier, figure française du socialisme urbain et du mouvement municipal international, entretient avec les dignitaires nazis Kurt Jeserich et Karl Strölin au début des années 1940 [14]. On manque d’espace ici pour évoquer les interrogations que feraient naître des parallèles avec d’autres cosmopolites, ceux de l’âge moderne, mais on est frappé à la lecture de plusieurs des ouvrages rassemblés ici par le fait que nos « interprètes » [15], incarnent les circulations. Enchevêtrements ordonnés de valeurs, de possibilités, d’idées, de réalisations, ils sont eux-mêmes désormais « au-delà » ou « entre » les États-nations. Shepard Stone, dont Volker Berghahn retrace la trajectoire en est une illustration. Ce prêcheur de la « société atlantique » est une des figures des relations culturelles Est-Ouest, sous divers avatars : né dans le New Hampshire en 1908 de parents juifs lithuaniens, S. Stone achève ses études à Berlin (1929-1932), écrit pour le New York Times sur les affaires allemandes et européennes à la fin des années 1930, avant de prendre part au conflit dans les services d’espionnage et d’information de l’armée états-unienne. Par la suite, il occupe des fonctions clés dans la régulation des échanges culturels atlantiques : responsable des Public Affairs au Haut commissariat américain en Allemagne occupée (HICOG, 1950-1952), conseiller du programme Establishment of peace (1952-1954) puis assistant director pour l’International affairs program de la Ford Foundation (1954-1967), directeur de l’Association internationale pour la liberté de la culture (1967-1973) et enfin directeur de l’Aspen Institute de Berlin (1973-1988). S. Stone passe ainsi la plus grande partie de sa vie active à narrer, servir, initier, gérer des échanges culturels entre Europe et États-Unis, se révélant tout autant imbibé de références culturelles européennes que soucieux « d’enflammer l’Europe de l’esprit des institutions états-uniennes » [16]. Cette trajectoire souligne à la fois les possibilités ouvertes par un espace de pratiques résolument situé entre les nations (sur le thème du rapprochement, de l’entente, de la proximité culturelle) et les complexes interactions entre cet espace et les appartenances et politiques nationales, dont témoigne la coopération constante, effective mais souvent tendue entre Ford Foundation, Département d’État et CIA (l’épisode du Congress for Cultural Freedom n’en étant qu’un épisode [17]). Néanmoins, il semble que cet espace transnational affermisse son autonomie relative au xxe siècle. Il est par exemple frappant que se dessinent des trajectoires d’élites supranationales, qui se définissent par le service à l’universel (la paix, la justice…) et se rattachent à un nombre croissant d’institutions dont la compétence, sinon la légitimité, remet en cause les découpages nationaux. La trajectoire familiale des Hammarskjöld en est une illustration. Dorothy Jones en rappelle les figures : le père, Hjalmar, délégué à la seconde conférence de la paix à La Haye en 1907, puis membre de la Cour permanente d’arbitrage où il géra plusieurs cas importants. Le fils aîné, Ake, momentanément employé par la Société des Nations, puis entre 1920 et 1939 secrétaire fondateur et par la suite juge de la Cour internationale de justice de La Haye. Le cadet, Dag, diplomate suédois, participe aux négociations du plan Marshall, siège pour son pays aux assemblées générales des Nations unies, avant de prendre la direction de l’organisme dont il demeure l’icône. Dorothy Jones permet ainsi d’accéder au travail pratique et juridique qui a fondé la possibilité d’un ordre mondial supranational, notamment autour des rapports entre paix et justice, travail dont les Hammarskjöld incarnent la continuité au-delà des grands épisodes et catégories (guerres, clivages) qui servent de repère à notre perception du xxe siècle.

12 Akira Iriye, dans son dernier ouvrage [18], partage cet intérêt pour un espace au-delà des nations. Cet historien des relations internationales offre ici ce qui me semble le premier ouvrage synthétique sur les organisations internationales, avec ce caractère particulier que la synthèse précède ici l’analyse, puisque les recherches de première main sont encore rares [19]. De manière intéressante, il propose en fait plusieurs déplacements. Il s’agit tout d’abord, dit-il, de défaire le regard historique de ses lunettes habituelles qui, en concentrant l’attention (parfois de manière téléologique) sur les grandes scansions des relations entre nations, négligent le travail continu d’interconnexion qui a marqué l’âge contemporain. Pour percevoir ce travail, il convient, ajoute-t-il, de considérer d’autres acteurs « globaux » que les États-nations, à savoir les organismes intergouvernementaux (IGOs, selon le sigle en anglais), qui résultent d’accords et de traités entre les nations, et les organismes non gouvernementaux internationaux (INGOs), établis de manière privée par des groupes ou des individus. Sans prétendre saisir l’ensemble des organisations internationales ainsi pointées, puisque le livre exclut les entreprises, les Églises, les groupes terroristes et se focalise sur les secteurs de l’aide humanitaire, de l’échange culturel, de la paix et du désarmement, de l’aide au développement, de l’environnement et des Droits de l’homme, il n’en dresse pas moins un tableau convaincant et suggestif de l’importance de ces organisations internationales. Importance quantitative, avec la croissance de leur nombre (par exemple, on compte en 1940 trente-huit IGOs et quatre cent soixante-dix-sept INGOs, et respectivement mille cinq cent trente et douze mille six cent quatre-vingt-six en 1984), mais surtout importance qualitative par leur impact ponctuel et de long terme sur le monde contemporain. Si le travail de Greenpeace, Médecins sans frontières, Amnesty International et autres nous est aujourd’hui familier, et qu’il n’est plus nécessaire de revenir sur leur capacité à intervenir dans des négociations internationales ou à faire pression sur des gouvernements nationaux, A. Iriye nous rappelle que cette présence effective ne date pas d’hier [20]. Au-delà de ces icônes centenaires du mouvement associatif mondial que sont la Croix-Rouge ou le Comité olympique, le travail de l’International Council of Women, du mouvement Pugwash [21], de l’International Council for Bird Preservation, et de centaines d’autres, se mesure à la fois par leurs réalisations, par les réseaux qu’ils fondent et par les procédés, méthodes et paradigmes qu’ils développent sur le long terme. L’insistance à montrer comment le travail « universalisant » des INGOs dépasse les scansions convenues des relations internationales (guerres, tensions, détentes), est convaincante. L’argument classique de l’échec des IGOs et des autres acteurs non gouvernementaux à contrecarrer le jeu des relations de pouvoir entre pays s’en trouve remis en question. Et même plus lorsqu’A. Iriye retourne l’argument. D’une part, en soulignant comment certaines INGOs agissent sur ces relations entre puissances et blocs, comme c’est le cas des diverses organisations scientifiques qui luttent contre la course aux armements nucléaires dans les années 1950 et 1960. D’autre part, en insistant sur le fait que, au-delà de leurs « échecs » lus à la lumière téléologique de l’éclatement des deux conflits mondiaux, les organismes intergouvernementaux fondent sur le long terme des principes de perception et d’action qui, plusieurs décennies plus tard, fournissent parfois la base de procédures par lesquelles la souveraineté belliqueuse des États est mise à mal.

13 L’ouvrage d’A. Iriye est finalement un appel à considérer sérieusement l’histoire de ces différents acteurs non-nationaux et non gouvernementaux de la scène globale qui se dessine au xxe siècle. Les historiens, insiste A. Iriye, n’ont pas encore fait ce mouvement que les théoriciens des relations internationales ont progressivement opéré depuis les années 1970 [22]. Plusieurs des ouvrages ici considérés viennent le rejoindre dans cette tâche. D. Jones, tout d’abord, qui considère le travail de long terme de certains organismes intergouvernementaux. Elle rappelle ainsi diverses occurrences où la Société des Nations sut maîtriser des conflits (la guerre du Chaco entre Bolivie et Paraguay en 1933 ou les hostilités gréco-bulgares en 1925), et souligne que toutes les situations habituellement lues comme des échecs, comme la crise mandchoue de 1931, furent aussi des contributions à l’édification d’un appareil qui fonda des expériences ultérieures. Au-delà des échecs diplomatiques se mettent en place des procédures (commissions d’enquête, rapports) et des postures (ingérence supranationale dans les affaires intérieures et les conflits de frontière, prise de parole des États non frontaliers au nom de l’intérêt commun à la paix) qui plus tard forment le palimpseste sur lequel se bâtit l’action des Nations unies. Ce sont aussi ces procédures et ces postures anciennes et souvent ridiculisées, comme celles mises en place par la Convention de La Haye sur les lois de la guerre (1907) qui fournirent le socle juridique du tribunal de Nuremberg, socle sur lequel se bâtit un droit international dont les plus récentes incarnations sont les tribunaux criminels pour l’ex-Yougoslavie, le Ruanda et, finalement, le tribunal pénal international.

14 De leur côté, John Boli et George Thomas ont regroupé diverses contributions couvrant l’activité d’INGOs entre 1875 et la fin du xxe siècle. Pour ces collaborateurs de John Meyer [23], dans leur souci de fonder en raison leur définition d’un « système de gouvernement mondial » (world polity regime) qui se développerait depuis la fin du siècle précédent, la croissance et le travail des INGOs est un argument précieux, et ils les identifient comme les vecteurs d’une culture mondiale qui, à côté des actions des États ou des IGOs, impose des normes, définit des standards et propose des valeurs à vocation universelle qui s’insinuent jusque dans les pratiques localisées. La plupart des contributions ici rassemblées sont construites sur des données quantitatives, et ne s’aventurent guère plus avant dans la vie interne des INGOs que dans l’exploration des thèmes ou des actes de congrès. Néanmoins, l’ensemble est tout aussi précieux pour ses apports à la connaissance de la structure du monde des INGOs, et de son évolution dans le temps et dans l’espace, que pour les options théoriques qu’il propose quant aux sources de l’autorité des associations internationales qui, contrairement au type d’autorité exercée par les États, se basent sur l’universalisme de leurs attendus et conclusions, s’exercent par la coopération librement consentie et par les pressions « éthiques » sur les IGOs et les gouvernements nationaux, et traversent les frontières et les limites politiques et administratives. Un tel ouvrage, à lire en même temps que celui d’A. Iriye, suggère une foule d’idées de recherches sectorielles, typologiques ou monographiques sur les INGOs. Ses chapitres théoriques fournissent un ensemble de données et d’hypothèses avec ou contre lesquelles il fera bon travailler.

15 V. Berghahn et les contributeurs du volume édité par G. Gemelli et R. MacLeod insistent de leur côté sur d’autres acteurs non gouvernementaux qu’A. Iriye évoque à plusieurs reprises, à savoir les grandes fondations philanthropiques états-uniennes et leurs programmes internationaux. Ces deux volumes prennent place dans la bibliothèque de plus en plus fournie des études sur la philanthropie, qui depuis les années 1980 semblent avoir dépassé à la fois les frontières états-uniennes et le heurt frontal entre les interprétations idéologiques néogramsciennes et leur pendant crypto-républicaines [24]. V. Berghahn, à travers l’analyse des programmes culturels dirigés par S. Stone, pointe clairement l’importance des soutiens financiers qui permirent les circulations des produits culturels américains (de la chorégraphie aux concepts philosophiques) dans l’Europe de l’après-guerre, et notamment en Allemagne. La Ford Foundation est un des acteurs des guerres froides intellectuelles, celle qui oppose ouvertement les blocs occidentaux et soviétiques, et celle qui, plus discrète, a pour enjeu la pénétration des valeurs états-uniennes dans ce qui n’était pas encore la « Vieille Europe ». Les contributeurs à l’ouvrage de G. Gemelli et R. MacLeod, qui marque la fin du cycle de travaux du réseau RAFE (Role of American Foundations in Europe) s’égaillent pour leur part dans les programmes variés de la philanthropie Rockefeller et de la Ford Foundation, de la sociologie à l’éducation médicale. Ils complémentent ainsi un autre volume édité par G. Gemelli, dont les chapitres traitaient des programmes internationaux des grandes fondations en matière de soutien aux recherches en mathématiques, en physique, en biomédecine, en santé publique ou en cybernétique [25]. Ensemble, ils montrent l’étendue des entreprises soutenues hors États-Unis dans le domaine scientifique par quelques-unes de ces fondations, soit par des programmes localisés, soit par des entreprises à vocation explicitement inter ou transnationales. On peut cavalièrement résumer cela sous forme de devinette : qu’y a-t-il de commun entre Family and Kinship in East London, le classique de sociologie urbaine signé par Michael Young et Peter Willmott, l’International Institute for Applied System Analysis de Vienne, le Population Council créé en 1952 puis installé face au siège de l’Organisation des Nations unies (Onu) et le centre de recherches biologiques de Tihany dans la Hongrie des années 1930 ? Le lecteur le plus inattentif aura deviné la réponse : ils ont tous été financés par des grants des grandes fondations philanthropiques états-uniennes, notamment celles des groupes Rockefeller et de la Ford Foundation. Les ouvrages présentés ici, ainsi que ceux auxquels il est fait allusion dans les notes, n’épuisent pas pour autant la longue liste des entreprises philanthropiques (la synergie entre fondations et IGOs n’est ainsi pratiquement pas abordée). Celle-ci serait-elle exhaustive qu’elle ne ferait que confirmer l’hypothèse que la lecture même rapide de ces ouvrages suggère : depuis leur création au début du xxe siècle, les grands organismes de la philanthropie « scientifique » conçoivent leur action non seulement à l’intérieur de leur espace domestique, mais aussi vers le genre humain tout entier, « for the welfare of mankind » comme le disent nombre de leurs statuts. Elles nourrissent, tout comme les IGOs ou les INGOs ou les acteurs mentionnés plus haut, de véritables projets universels et universalisants qui se déploient dans un espace de plus en plus spécifique, non pas tant par son échelle que par ses acteurs ou ses enjeux.

16 Bien qu’elle traite d’un tout autre sujet, Pascale Casanova nous donne finalement une clé pour lire l’ensemble de ces ouvrages et les insérer dans une proposition historiographique séduisante, au moins pour l’auteur de ces lignes. Dans son chapitre iv qu’elle intitule « La fabrique de l’universel », elle revient sur quelques-unes des structures de l’élaboration de l’universel littéraire : lieux et moyens de consécration (capitales littéraires, prix), procédures de transsubstantiation (traduction). La formule qui donne son titre au chapitre est belle car elle accompagne tout le projet du livre, dans sa volonté de considérer que les œuvres et les auteurs prennent sens dans un espace mondial, où les définitions nationales qui régissent l’élaboration du capital littéraire se confrontent, avec leurs acteurs collectifs et individuels, pour conquérir la légitimité littéraire que seule l’universalité peut accorder au regard des canons de l’art pour l’art. Par son insistance sur les luttes visant à définir, incarner et diffuser ce qui est universel, par sa volonté de cartographier les dénivellations de cet espace de rapports inégaux qu’est l’espace littéraire, par son souci de rentrer dans le travail des « grands intermédiaires », ces polyglottes littéraires qu’on voit animer les circulations qui construisent et parcourent cet espace, ce que montre P. Casanova rejoint les cheminements empruntés par les ouvrages rassemblés ici. La reconstitution des morphologies et des fonctionnements des espaces de circulation en devient l’objectif commun de facto.

17 Ce qu’ils proposent finalement, ensemble, en se focalisant sur des espaces de pratique, des institutions ou des acteurs qui travaillent à un niveau régional ou planétaire, c’est peut-être de contribuer à historiciser l’analyse de ces mouvements et processus désignés sous le nom de globalisation, dans le domaine des réalisations sociales, culturelles, politiques. Il s’agit alors de considérer les divers acteurs de ce processus avec leurs projets, leurs desseins, leurs stratégies universalisantes, de retracer les géographies et les morphologies de leurs luttes, de suivre les circulations auxquelles ces dernières donnèrent forme et lieu, dans ce long xxe siècle qui est, dans son ensemble, un moment, inédit par son échelle et son intensité, de définition, de heurts et de contestation de diverses entreprises à propension universelles [26].

Historiciser l’analyse de la « globalisation »

18 Le développement de cette perspective transnationale n’est pas, certes, une « simple » entreprise de connaissance. Les interrogations qu’il porte sont explicitement liées aux enjeux de la légitimation ou de la délégitimation de la « globalisation », et c’est bien au moment où ce dernier terme a envahi le débat public partout dans le monde que les approches « transnationales » se sont faites plus visibles. En conséquence, l’intérêt pour la perspective transnationale doit s’accompagner d’une considération plus attentive de la genèse de cette actualité de la thématique transnationale en sciences sociales. L’arbre généalogique en est complexe, la frondaison abondante. Je n’en envisagerai ici, fort brièvement, que trois branches. En premier lieu, il est assez clair que la fortune du thème de la globalisation / mondialisation a contribué à déplacer les logiques de l’interrogation historique, comme d’autres bruits du monde l’avaient fait auparavant. Logiques scientifiques qui guident l’intérêt intellectuel, logiques carriéristes et commerciales qui guident les stratégies de publication, logiques rhétoriques qui servent à justifier le choix des sujets sont saisies ensemble et indissociablement par la thématique de la mondialisation. L’intérêt pour tout ce qui circule se glisse avec profit dans cette manière dont le vif saisit le mort, comme cela est particulièrement perceptible dans la proposition de Frederick Cooper, historien de l’Afrique, qui saisit le discours de la globalisation, dans ses versions libérales ou alter mondialistes, comme une opportunité appelant historicisation [27]. Vouloir contribuer à historiciser la globalisation, explique F. Cooper, comprendre les interconnections entre diverses parties du monde, en remettre en perspective les rythmes, les angles morts, en cerner les résistances, les refus et les non-pertinences, appelle à une stratégie modeste d’analyse des processus transnationaux qui constituent des réseaux et des champs sociaux de grande envergure sans être forcément planétaires. La fortune de l’angle transnational s’inscrit aussi dans le succès des notions proposées – ou souvent reformulées par les cultural, subaltern et autres colonial studies[28]. Les thématiques de la créolisation et de l’hybridation, des cultures diasporiques, des frontières et autres zones incertaines ont ainsi elles aussi contribué à placer l’attention sur les groupes et les individus en mouvement (volontaire ou contraint), comme l’illustre entre autres le livre de Peter Linebaugh et Marcus Rediker, The Many-Headed Hydra, en une peinture transatlantique et impériale de la contestation sociale et politique qui défie les constructions nationales de la classe ouvrière [29]. Enfin, une des ramifications les plus solides de l’arbre généalogique de la thématique transnationale nous ramène vers l’entreprise d’« internationalisation de l’histoire des États-Unis ». Celle-ci prend sens dans le débat sur la nature et la pertinence de la thèse historiographique et sociale de « l’exceptionnalisme américain » [30]. Enclenché par diverses interventions critiques à la fin des années 1970 [31], le mouvement prit de l’ampleur dans les années 1990 lorsque l’Organization of American Historians et l’American Studies Association se lancèrent dans l’entreprise pratique d’internationalisation (création de prix et récompenses, ouvertures des revues aux auteurs étrangers…). Celle-ci culmina avec le La Pietra Report : A Report to the Profession, publié en 2000, qui en appelle à une internationalisation de l’histoire américaine par une plus grande ouverture, dans l’enseignement et la recherche, aux processus historiques qui dépassent la nation, et formule une série de propositions pour une didactique de cette histoire américaine « déprovincialisée » [32]. Dans ce mouvement ouvertement antiexceptionnaliste, qui prend sens dans les configurations du champ disciplinaire aux États-Unis et dans les interrogations politiques sur le rôle et la place des États-Unis comme puissance globale, se sont forgés des termes [33], des réseaux et des travaux qui ont contribué à une internationalisation de la recherche et de l’enseignement de l’histoire des États-Unis [34]. Mais, et cela nous intéresse plus encore aujourd’hui, ces termes, réseaux et travaux se déploient bien en dehors du territoire et de l’historiographie états-unienne. La thématique transnationale, pour reprendre une question posée par François Weil, l’un des participants français aux conférences La Pietra, pourrait bien être un de ces très rares « récits historiques états-uniens » à (bien) voyager [35].

19 Les volumes ici recensés, dont on peut signaler que certains proviennent de participants à l’entreprise du La Pietra Report (Thomas Bender, Daniel Rodgers, Akira Iriye), s’inscrivent dans cette généalogie complexe. Celle-ci est aussi une mise en garde : embrasser une perspective transnationale est une démarche riche de possibilités, comme le suggèrent au lecteur les ouvrages présentés ici, mais qui recèle aussi un ensemble de possibles moins alléchants [36]. Parmi les risques dont on ne fera pas l’inventaire exhaustif ici, figure en bonne place pour l’historien la propension à glisser vers le rôle de l’intellectuel organique de la globalisation, que ce soit dans sa version libérale et postnationale, jouant ainsi une fonction similaire à celle des historiens qui contribuèrent à la construction et à la légitimation des États-nations, ou bien dans sa version altermondialisante et contestatrice. Ce risque, enraciné dans l’actualité des conditions de possibilité du développement d’une approche transnationale, s’accompagne des tentations du kitsch universitaire, qui touche les élans les plus divers et les fait rapidement se mouler dans des formes sinon de mauvais goût, du moins convenues, rassurantes et gratifiantes : associations, colloques, revues et programmes « spécialisés », livres collectifs « fondateurs », disputes sur le « in » et le « out », le « central » et le « périphérique », définition de canons dont il convient de ne plus dévier… Les développements de l’histoire sociale des sciences sociales, qui ont mis en évidence les usages et artifices de ces procédés, ne semblent pas – hélas ! – avoir tenu le rôle d’antidote que leur lecture suggère [37]. Il faut donc sans doute prendre garde à ne pas tomber dans le « tournant transnational ». Le troisième danger, enfin, est celui qu’a évoqué Louis A. Pérez Jr dans son compte rendu de l’ouvrage de Bender [38]. Pérez insiste en effet sur le risque que la nouvelle histoire transnationale soit avant tout une internationalisation de l’histoire des États-Unis d’Amérique, de ses historiens, de ses problématiques, et que les pluralités potentiellement contenues dans l’histoire transnationale en soient perdues. Le genre contient en soi à la fois le poison et son antidote : travailler sur les polarisations des circulations planétaires au xxe siècle, ou sur les luttes de l’universel, ramène immanquablement vers l’Amérique (comme espace symbolique) ou vers les États-Unis (comme puissance mondiale) [39]. Les logiques de la production et de la consommation du marché des produits d’histoire, tout autant que la polarisation perceptible dans l’objet lui-même (les États-Unis d’Amérique étant un maillon essentiel des phénomènes circulatoires de l’ère contemporaine) sont susceptibles de produire des effets structurants. Leur force suggère une intégration possible des acteurs, des problématiques et des concepts, laissent entrevoir l’éventualité d’une uniformisation des conduites et des trajectoires de recherche, qu’elle se produise selon les lois de la gravité académique ou par les anticipations et conformismes d’un usage cynique des analogies historiques. Dont acte. Dans le même temps, prendre pour objet d’étude historique un circuit d’échanges et de circulations assez proche de ceux dans lesquels nous sommes nous-mêmes insérés, de par notre époque et de par cet objet d’étude des circulations et connexions, peut fournir les moyens cliniques d’ériger les contre-feux qui éclairent les effets des contraintes historiquement attachés à ces circuits.

Bibliographie

Ouvrages commentés

  • ■ Dominique Barjot (éd.), Catching up with America. Productivity Missions and the Diffusion of American Economic and Technological Influence after the Second World War, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2002, 477 p.
  • ■ Thomas Bender (éd.), Rethinking American History in a Global Age, Berkeley, University of California Press, 2002, 427 p.
  • ■ Volker R. Berghahn, America and the Intellectual Cold Wars in Europe : Shepard Stone Between Philanthropy, Academy and Diplomacy, Princeton et Oxford, Princeton University Press, 2001, 373 p.
  • ■ John Boli et George M. Thomas (éd.), Constructing World Culture : International Nongovernmental Organizations since 1875, Stanford, Stanford University Press, 1999, 363 p.
  • ■ Pascale Casanova, La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1999, 492 p.
  • ■ Jean-Paul Gaudillière, Inventer la biomédecine. La France, l’Amérique et la production des savoirs du vivant (1945-1965), Paris, La Découverte, 2002, 392 p.
  • ■ Giuliana Gemelli et Roy Mc Leod (éd.), American Foundations in Europe : Grant-Giving Policies, Cultural Diplomacy and Transatlantic Relations, 1920-1980, Bruxelles, Peter Lang, 2003, 227 p.
  • ■ Akira Iriye, Global Community : The Role of International Organizations in the Making of the Contemporary World, Berkeley, University of California Press, 2002, 246 p.
  • ■ Wade Jacoby, Imitation and Politics : Redesigning Modern Germany, Ithaca, Cornell University Press, 2000, 226 p.
  • ■ Dorothy V. Jones, Toward a Just World : The Critical Years in the Search for International Justice, Chicago, University of Chicago Press, 2002, 270 p.
  • ■ Daniel T. Rodgers, Atlantic Crossings : Social Politics in a Progressive Age, Cambridge (Mass.), The Belknap Press of Harvard University Press, 1998, 634 p.
  • ■ Axel Schäfer, American Progressives and German Social Reform, 1875-1920, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2000, 252 p.

Notes

  • [1]
    Voir Actes de la recherche en sciences sociales, numéros 121-122, 1998 (« Les ruses de la raison impérialiste ») ; 136-137, 2001 (« Nouvelles formes d’encadrement ») ; 139, 2001 (« L’exception américaine (2) ») ; 144, 2002 (« Traduction : les échanges littéraires internationaux ») ; 145, 2002 (« La circulation internationale des idées ») ; et 151-152, 2004 (« Sociologie de la mondialisation »).
  • [2]
    Comme le rapportait récemment Giovanni Gozzini, le nombre des abonnés de la liste h-world est passé de 600 à 1 500 entre 1994 et aujourd’hui (« Dalla Weltgeschichte alla world history : Percorsi storiografici attorno al concetto di globale », Contemporanea, vol. 7, n° 1, 2004, pp. 3-38). Un des ouvrages les plus récents d’une « new world history » marquée par l’intérêt pour les franchissements de frontières est celui de Patrick Manning, Navigating World History : Historians Create a Global Past, New York, Palgrave Macmillan, 2003. À signaler l’analyse de l’évolution de la world history aux États-Unis donnée par Michael Geyer et Charles Bright dans « World History in a Global Age », American Historical Review, vol. 100, n° 4, 1995, pp. 1034-1060.
  • [3]
    Voir, par exemple, le dossier spécial que la revue italienne Contemporanea, op. cit., a consacré à l’approche transnationale, ou encore le colloque « Trans-national history » organisé à l’Australian National University de Canberra en octobre 2004.
  • [4]
    En témoigne la montée de l’usage du terme « transnational » et de ses dérivés dans les titres de livre, comme avec Donna R. Gabaccia et Franca Iacovetta (éd.), Women, Gender and Transnational Lives : Italian Workers of the World, Toronto, University of Toronto Press, 2003 ; Marcel Van der Linden (éd.), Transnational Labour History : Explorations, Aldershot, Ashgate, 2003 ; Ionna Laliotou, Transatlantic Subjects : Acts of Migration and Culture of Transnationalism Between Greece and America, Chicago, University of Chicago Press, 2004.
  • [5]
    Deux exemples récents avec Thomas Bender (éd.), Rethinking American History in a Global Age, Berkeley, University of California Press, 2002 et Michael Werner et Bénédicte Zimmerman, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 58, n° 1, 2003, pp. 7-36 ou « Vergleich, Transfer, Verflechtung. Der Ansatz der histoire croisée und die Herausforderung des Transnationalen », Geschichte und Gesellschaft, vol. 28, n° 4, 2002, pp. 607-636.
  • [6]
    Une utile remise en place de ce type a été effectuée sur le terrain urbain par Thierry Dutour, « La mondialisation, une aventure urbaine. Du Moyen Âge au “Globalblabla” » Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 81, n° 1, pp. 107-117.
  • [7]
    Pour une vue critique du comparatisme, voir Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, Puf, 1999, pp. 31-51 et Frederick Cooper, « Race, Ideology and the Perils of Comparative History », American Historical Review, vol. 101, n° 4, 1996, pp. 112-238. Pour une des nombreuses défenses du comparatisme et de ses enseignements « exceptionnalistes », voir Michael Kammen, « The Problem of American Exceptionalism : A Reconsideration», American Quarterly, vol. 45, n° 1, 1993, pp. 1-43.
  • [8]
    Voir, sur ces questions et d’autres, le symposium organisé par diverses listes du réseau H-Net sur l’ouvrage de Daniel T. Rodgers en 1999 (http://h-net.msu.edu).
  • [9]
    Le fait que je sois l’un des participants à ce volume permet de signaler au passage que je suis en relation plus ou moins directe de travail et d’échange avec la plupart des auteurs des ouvrages rassemblés ici. Le lecteur, ainsi avisé, saura apprécier les limites et les possibilités résultant de cette position.
  • [10]
    On pense ici à Florence Kelley. Voir Kathryn Kish Sklar, Florence Kelley and the Nation’s Work, New Haven, Yale University Press, 1995.
  • [11]
    On rejoint ici certaines des propositions avancées par Éric Brian, « Transactions statistiques au xixe siècle. Mouvements internationaux de capitaux symboliques», Actes de la recherche en sciences sociales, n° 145, 2002, pp. 34-46 ou par Abram De Swaan, « Pour une sociologie de la société transnationale », Revue de synthèse, vol. 119, n° 1, 1998, pp. 89-111.
  • [12]
    William B. Rayward, The Universe of Information : The Work of Paul Otlet for Documentation and International Organisation, Moscou, All-Union Institute for Scientific and Technical Information, 1975, pp. 206-208.
  • [13]
    Laird McLeod Easton, The Red Count : The Life and Times of Harry Kessler, Berkeley, University of California Press, 2002, pp. 300 et suiv.
  • [14]
    Renaud Payre, «Une république des communes. Henri Sellier et la réforme municipale en avril 1942», Genèses, n° 41, 2000, pp. 143-163.
  • [15]
    Le terme permet de regrouper les diverses facettes de la contribution à l’activité circulatoire, en dérivation de certaines des propositions de Pascale Casanova, «Consécration et accumulation du capital littéraire. La traduction comme échange inégal», Actes de la recherche en sciences sociales, n° 144, 2002, pp. 7-21. Voir son application dans Pierre-Yves Saunier, « Note de recherche : quand Mickey Mouse joue au tennis », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 151-152, 2003, pp. 49-56.
  • [16]
    Memo du 13 septembre 1956, cité par V. R. Berghahn, America and the Intellectual Cold Wars…, op. cit., p. 184.
  • [17]
    Outre les chapitres très importants que V. R. Berghahn consacre au CCF, on rappellera ici le livre de Pierre Grémion, Intelligence de l’anticommunisme, Paris, Fayard, 1995.
  • [18]
    Qui prend sens dans une série de travaux du même auteur, dont Cultural Internationalism and World Order, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1997 ; China and Japan in the Global Setting, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1992 et « Misperception, Mistrust, Fear », in Geir Lundestad et Olav Njølstad (éd.), War and Peace in the 20th Century and Beyond, River Edge, World Scientific, 2002, pp. 199-219.
  • [19]
    Les travaux historiques sur les organismes non gouvernementaux et sur l’aspect « technique » de l’activité des organismes intergouvernementaux (par opposition à leur travail diplomatique et politique) se font cependant plus nombreux. Voir, par exemple, Matthew Evangelista, Unarmed Forces : The Trans-National Movement to End the Cold War, Ithaca, Cornell University Press, 1999 ; Helen Laville, Cold War Women : The International Activities of American Women’s Organizations, Manchester, Manchester University Press, 2002 ; Sanjeev Khagram, James V. Riker et Kathryn Sikkink (éd.), Restructuring World Politics : Transnational Society Movements, Networks, and Norms, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2002 ; Gabriele Metzler, Internationale Wissenschaft und nationale Kultur : deutsche Physiker in der internationalen Community, 1900-1960, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2000 ; Daniel Holly, Les Nations-Unies et la mondialisation. Pour une économie politique des organisations internationales, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Jean-Jacques Renoliet, L’Unesco oubliée. La Société des Nations et la coopération intellectuelle (1919-1946), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999 ; Christel Taillibert, L’Institut international du cinématographe international éducatif. Regards sur le rôle du cinéma éducatif dans la politique internationale du fascisme italien, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Marta Aleksandra Balinska, Une vie pour l’humanitaire. Ludwik Rajchmann, 1881-1965, Paris, La Découverte, 1999. Sur le contemporain, le lecteur de Genèses se rappellera aussi des travaux de Johanna Siméant, Jérôme Bellion-Jourdan ou François Mabille (Genèses, n° 48, 2002).
  • [20]
    Il est frappant que les analyses de Marc-Olivier Padis et Thierry Pech, Les multinationales du cœur. Les ONG, la politique et le marché, Paris, Seuil, 2004 ou celles de Philippe Ryfman, Les ONG, Paris, La Découverte, 2004, se focalisent sur les trente dernières années du xxe siècle, reléguant l’histoire de l’associationisme international dans une préhistoire anecdotique non pertinente.
  • [21]
    Cette alliance scientifique contre la prolifération nucléaire dont Mathew Evangelista a récemment fait la chronique dans Unarmed forces…, op. cit.
  • [22]
    Sans revenir sur le contexte de cette évolution, on pense ici notamment aux travaux de Karl Kaiser, Robert Keohane ou Harold Jakobson, qui font entrer le transnational et les acteurs non gouvernementaux dans le périscope des spécialistes des relations internationales. Les perspectives ainsi ouvertes, conjuguées aux événements contemporains, semblent fondatrices pour l’actuel « tournant historique » des relations internationales, dont témoigne par exemple Michael Cox, Tim Dunne et Ken Booth (éd.), Empires, Systems and States : Great Transformations in International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
  • [23]
    Voir John Boli, John W. Meyer, Francisco O. Ramirez et George M. Thomas, Institutional Structure : Constituting State, Society and the Individual, Beverly Hills, Sage Publications, 1987.
  • [24]
    Les unes posent les fondations comme les rouages impeccablement huilés d’une réforme conservatrice capitaliste destinée à tout changer pour que rien ne change, les autres les considèrent comme des foyers d’activités non-américaines (unamerican) dont les activités pervertissent les fondements de la démocratie états-unienne originelle. Voir, comme points de départ pour les travaux sur la grande philanthropie états-unienne : Ellen Condliffe Lagemann (éd.), Philanthropic Foundations : New Scholarship, New Possibilities, Bloomington, Indiana University Press, 1999 et Mario Cueto (éd.), Missionaries of Science : The Rockefeller Foundation and Latin America, Bloomington, Indiana University Press, 1994.
  • [25]
    Giuliana Gemelli (éd.), American Foundations and Large-Scale Research : Construction and Transfer of Knowledge, Bologna, Clueb, 2001.
  • [26]
    Sur cette vision d’un long xxe siècle comme grande inflexion globalisante de l’histoire du monde, voir M. Geyer et Ch. Bright, « World history… », op. cit.
  • [27]
    Frederick Cooper, « What is the Concept of Globalization Good For ? An African Historian’s Perspective », African affairs, vol. 100, n° 399, 2001, pp. 189-213. Voir aussi sa contribution au très intéressant volume de Thomas Callaghy, Ronald Kassimir et Robert Latham (éd.), Intervention and Transnationalism in Africa : Global-Local Networks of Power, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
  • [28]
    Les travaux de Homi K. Bhabha ou d’Arjun Appadurai peuvent servir à localiser les principes de ces approches.
  • [29]
    Peter Linebaugh et Marcus Rediker, The Many-Headed Hydra. Sailors, Slaves, Commoners, and the Hidden History of the Revolutionary Atlantic, Boston, Beacon Press, 2000. Sur un terrain semblable, voir aussi Paul Gilroy, Black Atlantic : Modernity and Double Consciousness, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1993. Pour une réflexion sur cette dimension du « transnational » et une foule de références, je renvoie à M. Geyer et C. Bright, « World history… », op. cit., ainsi qu’à Robin D. G. Kelley, « How the West Was One : The African Diaspora and the Re-Mapping of US History », in T. Bender (éd.), Rethinking…, op. cit., pp. 123-147.
  • [30]
    Pour quelques repères, voir Daniel T. Rodgers, « Exceptionalism », in Anthony Molho et Gordon Wood, Imagined Histories : American Historians Interpret the Past, Princeton, Princeton University Press, 1998 ; Thomas Haskell, « Taking Exception to Exceptionalism », Reviews in American History, vol. 28, 2000, pp. 151-166 ; Ian Tyrrell, « American Exceptionalism in an Age of International History », American Historical Review, vol. 96, n° 2, 1991, pp. 1031-1072 (et le reste du dossier de ce numéro) ; Michael Kammen, « The Problem of American Exceptionnalism…», art. cit.
  • [31]
    Dont Laurence Veysey, « The Autonomy of American History Reconsidered », American Quarterly, vol. 31, n° 2, 1979, pp. 455-477.
  • [32]
    Thomas Bender (éd.), La Pietra Report, sur le site de l’Organization of American Historians : http://www.oah.org/activities/lapietra/final.html (page consultée le 12 décembre 2003).
  • [33]
    Voir, par exemple, comment David Thelen retrace la manière dont le terme transnational a été choisi par le groupe de travail international qui a élaboré le numéro spécial dont son article fait l’ouverture, David Thelen, « The National and Beyond : Transnational Perspectives on United States History », The Journal of American History, vol. 86, n° 3, 1999, http://www.historycooperative.org/journals/jah/86.3/thelen.html (page consultée le 17 juillet 2003).
  • [34]
    Pour une évaluation des impacts, voir par exemple Carl J. Guarneri, « Internationalizing the United States Survey Course : American History for a Global Age 1 », The History Teacher, vol. 36, n° 1, 2002, http://www. historycooperative.org/journals/ht/36.1/guarneri.html (page consultée le 15 juillet 2003).
  • [35]
    François Weil, « Do American Historical Narratives Travel ? », in T. Bender (éd.), Rethinking…, op. cit., pp. 317-342.
  • [36]
    Une présentation plus longue des unes et des autres dans Pierre-Yves Saunier, « E pericoloso sporgersi ? Attrazioni e limiti dell’approccio trans-nazionale », Contemporanea, op. cit., pp. 114-122.
  • [37]
    Les différents volumes édités de la correspondance de Lucien Febvre et Marc Bloch me semblent particulièrement suggestifs sous cet angle, comme témoignages de l’incroyable dépense d’énergie consentie par les protagonistes des sciences humaines et sociales à des fins de singularisation et d’institutionnalisation.
  • [38]
    Louis A. Pérez Jr, « We are the World : Internationalizing the National, Nationalizing the International », Journal of American History, vol. 89, n° 2, 2002. http://www.historycooperative.org/journals/jah/89.2/ perez.html (page consultée le 20 juillet 2003).
  • [39]
    Voir, sur cette distinction, Charles Bright et Michael Geyer « Where in the World is America ? The History of the United States in a Global Age », in T. Bender (éd.), Rethinking…, op. cit., pp. 63-100.
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