Genèses 2004/1 no54

Couverture de GEN_054

Article de revue

Une police de « simple observation » ?

Le Service actif des étrangers à Paris dans l'entre-deux-guerres

Pages 53 à 75

Notes

  • [1]
    Voir Archives de la préfecture de Police (APP dans les notes suivantes), Ba/65p. « Note sur le fonctionnement du Service Administratif des Étrangers de la Préfecture de Police depuis le 14 juin 1940… », 1er octobre 1940 ; Roger Langeron, Paris, juin 1940, Paris, Flammarion, 1946 ; Jacques Simon (directeur des Renseignements généraux – RG), « Comment furent sauvées les archives politiques de la préfecture de Police », Historia, n° 81, 1953, pp. 155-160. Quand les récits divergeaient, j’ai préféré le document manuscrit.
  • [2]
    Vicki Caron, Uneasy Asylum : France and the Jewish Refugee Crisis, 1933-1942, Stanford, Californie, Stanford University Press, 1999, pp. 332-333.
  • [3]
    R. Langeron, Paris, juin 1940, op. cit., pp. 125-126 ; Gilbert Badia (éd.), Les barbelés de l’exil. Études sur l’émigration allemande et autrichienne (1938-1940), Grenoble, Pug, 1979, pp. 94-95 ; Frédéric Couderc, Les RG sous l’Occupation. Quand la police française traquait les résistants, Paris, Olivier Orban, 1992, pp. 23-27 ; Jean-Paul Brunet, La Police de l’ombre. Indicateurs et provocateurs dans la France contemporaine, Paris, Seuil, 1990, p. 27. Voir, pour une version différente, J. Simon, « Comment furent sauvées… », op. cit., pp. 159-160.
  • [4]
    Archives départementales de l’Aude (AD Aude dans les notes suivantes), 12 J.
  • [5]
    Sophie Coeuré, Frédéric Monier, et Géraud Naud, « Le retour de Russie des archives françaises. Le cas du fonds de la Sûreté », Vingtième siècle, n° 45, 1995, pp. 133-139 ; Dominique Deveaux, « Les Archives de la direction de la sûreté rapatriées de Russie », La Gazette des archives, n° 176, 1997, pp. 78-86.
  • [6]
    Voir les documents compilés par Pierre Laroque et François Ollive pendant le Front populaire, Centre des archives d’outre-mer (CAOM), 8 H 62, et l’important Fonds Laroque, carton 4, en cours de classement au Centre des archives contemporaines (CAC dans les notes suivantes).
  • [7]
    Jean-François Dubost et Peter Sahlins, Et si on faisait payer les étrangers ? Louis XIV, les immigrés et quelques autres, Paris, Flammarion, 1999 ; John Torpey, The Invention of the Passport : Surveillance, Citizenship, and the State, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Andreas Fahrmeir, Citizens and Aliens : Foreigners and the Law in Britain and the German States, 1789-1870, New York, Berghahn Books, 2000.
  • [8]
    Voir leurs contributions dans : Daniel Roche (éd.), La Ville promise : Mobilité et accueil à Paris (fin xviie-début xixe siècle), Paris, Fayard, 2000, et Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet, Vincent Milliot (éd.), Police et migrants en France de 1667-1939, Rennes, Pur, 2001.
  • [9]
    Gérard Noiriel, Le Creuset français. Histoire de l’immigration xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 1988, pp. 87-89 ; La Tyrannie du national. Le Droit d’asile en Europe, 1793-1993, Paris, Calmann-Lévy, 1991, pp. 169-176.
  • [10]
    Jean-Marc Berlière, Le Monde des polices en France, xixe-xxe siècles, Bruxelles, Complexe, 1996, pp. 133-162.
  • [11]
    Émile Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1925 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 159, 1925, p. 84.
  • [12]
    Georges Mauco, Les Étrangers en France. Leur rôle dans l’activité économique, Paris, Armand Colin, 1932, pp. 284 et suiv.
  • [13]
    Ralph Schor, L’Opinion française et les étrangers, 1919-1939, Paris, Publications de la Sorbonne, 1985, pp. 653-672.
  • [14]
    J.-M. Berlière, Le Monde des polices…, op. cit., pp. 105-110.
  • [15]
    André Benoist, Les Mystères de la police. Révélations par son ancien Directeur, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1934, pp. 49-63, 72-74.
  • [16]
    Faralicq et Guillaume, gardiens de la paix, sont tous deux cités dans J.-M. Berlière, « La Généalogie d’une double tradition policière », in Pierre Birnbaum (éd.), La France de l’Affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, 1994, p. 216.
  • [17]
    Guillauté, Mémoire sur la réformation de la police de France soumis au roi en 1749, illustré de vingt-huit dessins de Gabriel de Saint-Aubin, Paris, Hermann, 1974 [1749].
  • [18]
    Ibid., pp. 47-48.
  • [19]
    Ibid., pp. 40-68.
  • [20]
    Vincent Denis, « Entre police et démographie : Un “Projet de dénombrement” sous le Premier Empire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 133, 2000, pp. 72-78 ; Marie-Noëlle Bourguet, Déchiffrer la France. La Statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris, Éditions des archives contemporaines, 1988 ; Éric Brian, La Mesure de l’État. Administrateurs et géomètres au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 1994 ; V. Milliot in M.-C. Blanc-Chaléard, C. Douki, N. Dyonet, V. Milliot (éd.), Police et migrants en France…, op. cit., pp. 315-331 ; J.-F. Dubost et Peter Sahlins, Et si on faisait payer…, op. cit. ; A. Fahrmeir, Citizens and Aliens…, op. cit. ; J. Torpey, The Invention of the Passport…, op. cit.
  • [21]
    G. Noiriel, Le Creuset français…, op. cit. ; La Tyrannie du national…, op. cit.
  • [22]
    Il y en avait eu jusqu’à quinze, dix ans plus tôt. APP, Db/302. Voir Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 125, 1913, pp. 204-205.
  • [23]
    APP, Ba/67p. Statistiques du 17 avril 1907 de la Direction générale des recherches, 2e Brigade.
  • [24]
    APP, Db/302. Circulaire n° 9, 12 juin 1918, et les quelques rapports annuels pré-1914 du Service des étrangers dans le même dossier. Voir aussi Lucien Picard, « Les Étrangers à Paris », Police parisienne, n° 5, 29 février 1936, pp. 19-27.
  • [25]
    Sur le conseil municipal de Paris, voir Yvan Combeau, Paris et les élections municipales sous la Troisième République. La Scène capitale dans la vie politique française, Paris, L’Harmattan, 1998.
  • [26]
    J.-M. Berlière, Le Monde des polices en France…, op. cit., p. 37.
  • [27]
    Maurice Félix, Le Régime administratif du département de la Seine et de la Ville de Paris, 3e éd., 2 vol., Paris, Rousseau, 1946 [1922], en particulier vol. 1, pp. 29-30.
  • [28]
    Sur É. Massard, voir Y. Combeau, Paris et les élections municipales…, op. cit., p. 346.
  • [29]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur la réorganisation du Service des étrangers à la Préfecture de police », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 32, 1922 [1921], p. 2.
  • [30]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement du Service des étrangers à la Préfecture de police », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 156, 1922 [1921], p. 2.
  • [31]
    Raymond B. Fosdick, European Police Systems, New York, Century, 1915 ; Götz Aly et Karl-Heinz Roth, Die restlose Erfassung : Volkszählen, Identifizieren, Aussondern im Nationalsozialismus, Francfort, Fischer Taschenbuch Verlag, 2000 [1984] ; David Kertzer et Denis Hogan, « On the Move : Migration in an Italian Community, 1865-1921 », Social Science History, n° 9, 1985, pp. 1-24 ; T. van den Brink, « The Netherlands Population Register », Sociologica Neerlandica, n° 3, 1966, pp. 322-53 ; Éric Heilmann, Des herbiers aux fichiers informatiques : L’Évolution du traitement de l’information dans la police, doctorat en sciences de l’information et de la communication, université de Strasbourg II, 1991 ; Nations Unies, « Methodology and Evaluation of Population Registers and Similar Systems », Studies in Methods, série F, n° 15, 1969.
  • [32]
    Donald N. Baker, « The Surveillance of Subversion in Interwar France : The Carnet B in the Seine, 1922-1940 », French Historical Studies, n° 10, 1978, pp. 486-516.
  • [33]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur la réorganisation…», op. cit., pp. 2-3.
  • [34]
    « Communication de M. le Préfet de police sur le régime des étrangers », Conseil municipal de Paris, Procès-verbaux, 15 juillet 1925, p. 1596.
  • [35]
    É. Massard, Conseil municipal de Paris, Procès-verbaux, 26 mars 1926, p. 539.
  • [36]
    Noël Pinelli, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1938 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 39, 1939, pp. 46-47.
  • [37]
    L. Picard, « Les Étrangers à Paris », op. cit., p. 22. Voir D. Eleanor Westney, « The Emulation of Western Organizations in Meiji Japan : The Case of the Paris Prefecture of Police and the Keishi-chö », The Journal of Japanese Studies, vol. 8, n° 2, 1982.
  • [38]
    Cité dans Alexis Spire, Sociologie historique des pratiques administratives à l’égard des étrangers en France (1945-1975), thèse de doctorat de sociologie, université de Nantes, 2003, p. 143.
  • [39]
    Morain, Conseil municipal de Paris, Procès-verbaux, 15 juillet 1925, pp. 1594-1595. Voir aussi APP, Ba/65p. « Action de la Préfecture de Police à l’égard des Étrangers en infraction aux Règlements ou indésirables », s.d. [1929 ?] ; CAC, 19940500, article 116. R. Langeron, « Réalisation des mesures proposées par le Préfet de Police pour renforcer la surveillance des étrangers », 30 août 1937 ; APP, Ba/65p. « Le Préfet de Police [Langeron] à M. le Ministre de l’Intérieur (Sûreté Nationale, 7e Bureau) », 28 mars 1939. Voir également de nombreux documents in APP, Db/336 ; APP, Da/745 et 746.
  • [40]
    Sur ce point, voir Patrick Weil, « Politiques d’immigration de la France et des États-Unis à la veille de la Seconde Guerre mondiale », Les Cahiers de la Shoah, n° 2, 1995, numéro spécial, André Kaspi (éd.).
  • [41]
    Sur l’intervention des gouvernements étrangers au nom de leurs ressortissants, voir par exemple APP, Da/742, Da/744, et Ba/278p ; Archives nationales (AN dans les notes suivantes) F7 13455, et particulièrement F713652 ; Archives départementales des Yvelines (AD Yvelines dans les notes suivantes) 1 W 1146 et 1147 ; Archives du ministère des Affaires étrangères, Z-Europe, 1930-1940, vol. 206, 354, et 368 ; CAC, 19940437, article 234 ; CAC, 19940457, article 80 ; CAC, 19940500, article 116.
  • [42]
    AD Aude, 12 J 36. « Discours de M. Albert Sarraut, Ministre de l’Intérieur », discours ronéotypé à l’Association de l’administration préfectorale, 2 juillet 1928, pp. 28, 30-31.
  • [43]
    AD Aude, 12 J 440, Préfecture de Police, Société amicale et de prévoyance, Annuaire 1938, vol. 55.
  • [44]
    R. Viellard, « Chez les étrangers à Paris », Police parisienne, n° 12, 1937, pp. 19-53, surtout pp. 25, 27-28, 34, 53. L’article précédent est paru dans Police parisienne, n° 7, août 1937, pp. 20-55.
  • [45]
    Julia Franke, Paris — eine neue Heimat ? Jüdische Emigranten aus Deutschland, 1933-1939, Berlin, Duncker & Humblot, 2000, p. 282.
  • [46]
    Créé en mars 1923, le fascio de Paris, émanation de l’État fasciste, se donnait pour objectif la préservation de la culture des Italiens vivant dans la capitale française. Voir Pierre Milza, « Le facisme italien à Paris », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 30, 1983, pp. 420-452.
  • [47]
    APP, Ba/1711, dossier 138.000-L-25. « Activité politique de la colonie italienne de la région parisienne au cours de l’année 1929 », février 1930.
  • [48]
    P. Weil, « Politiques d’immigration… », op. cit., pp. 75-76.
  • [49]
    AN, 2AG 618. « Note sur la Sûreté générale », s. d., cité par Marc-Olivier Baruch, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997, p. 378.
  • [50]
    Xavier Barthélemy, Des Infractions aux arrêtés d’expulsion et d’interdiction de séjour, Paris, Domat-Montchrestien, 1936, p. 47.
  • [51]
    APP, Ba/65p. Rapport ronéotypé, 23 juillet 1937.
  • [52]
    J.-M. Berlière et Laurent Chabrun, Les Policiers français sous l’Occupation, d’après les archives inédites de l’épuration, Paris, Plon, 2001, pp. 254-255 ; Denis Peschanski, « Dans la tourmente », in J.-M. Berlière et D. Peschanski, (éd.), La Police française (1930-1950). Entre bouleversements et permanences, Paris, La Documentation française, 2000, p. 64 ; J.-P. Brunet, Police de l’ombre…, op. cit., chap. ix.
  • [53]
    « Communication de M. le Préfet de police sur le régime des étrangers », Conseil municipal de Paris, Procès-verbaux, 15 juillet 1925, p. 1596. Les rapports annuels contiennent d’innombrables références à des fouilles et des descentes faites dans ce but.
  • [54]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1925 », op. cit., p. 86.
  • [55]
    Jean Balensi, « “Divisions étrangères” : Cinquante hommes qui en contrôlent cinq cent mille », Police parisienne, n° 12, 1937, p. 18.
  • [56]
    X. Barthélemy, Des Infractions…, op. cit., pp. 131-32 (c’est moi qui souligne).
  • [57]
    J. Balensi, « “Divisions étrangères”… », op. cit., p. 18.
  • [58]
    Pour un exemple d’étrangers qui parlaient bien le français et ayant échappé à ces restrictions, voir la lettre du Groupe des chambres syndicales du Bâtiment et des Industries diverses au préfet de police, 8 mars 1921, AN, F7 13651. Le taux d’immigration clandestine reste impossible à établir. Le directeur des RG à la fin des années 1930, J. Simon, l’estimait à environ 10 000 individus (La Direction des Renseignements généraux que j’ai connue, Saint-Brieuc, Les Presses bretonnes, 1956, p. 11).
  • [59]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1931 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 1, 1932 [1931], p. 22.
  • [60]
    Ibid., pp. 162-163 ; N. Pinelli, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1932 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 14, 1933, pp. 208-209.
  • [61]
    V. Caron, Uneasy Asylum…, op. cit., p. 45.
  • [62]
    N. Pinelli, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1934 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 27, 1935, pp. 221-222.
  • [63]
    APP, Ba/65p. Principal chargé de la Section active des Étrangers au Directeur des RG et des Jeux, 16 novembre 1938.
  • [64]
    D. N. Baker, « The Surveillance of Subversion… », op. cit., p. 497.
  • [65]
    CAC, 19940500 article 7, dossier 77.
  • [66]
    CAC, 19940462, articles 407-441, concerne essentiellement des Tunisiens et des Marocains expulsés d’Algérie.
  • [67]
    Sur la création de ces archives, voir CAC, 19940500, article 7, dossiers 76-77.
  • [68]
    CAC, 19940488 article 20. Le Préfet du Doubs à M. le Ministre de l’Intérieur, Direction Générale de la Sûreté Nationale, Direction de la Police du Territoire et des Étrangers, 6e Bureau, lettres du 26 décembre 1935 et du 4 novembre 1936.
  • [69]
    AD Yvelines, 1 W 1148-1149. Le Préfet de Seine-et-Oise à Monsieur le Sous-Préfet de Corbeil, 13 juillet [1927 ?].
  • [70]
    AD Yvelines, 1 W 1148-1149. Le Commissaire de Police d’Enghien-les-Bains à M. Le Préfet du Département [Seine-et-Oise], Enghien, le 5 juillet 1930.
  • [71]
    AD Yvelines, 1 W 1146, Le Commissaire de Police d’Essonnes à Monsieur le Sous-Préfet de Corbeil, 20 décembre 1929.
  • [72]
    APP, Ba/65p, dossier 51343-10. Rapport ronéotypé, Étrangers suspects, correspondance et rapports des RG, mai 1938.
  • [73]
    CAC, 19940457, article 92, dossier 7878.
  • [74]
    CAC, 19940472 article 269, Le Préfet de Police à Monsieur le Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur, 11 mars 1936.
  • [75]
    CAC, 19940499, article 6, dossiers 213 et 229.
  • [76]
    François Cavanna, Les Ritals, Paris, Belfond, 1978, p. 113.

1 Alors que les troupes allemandes se rapprochaient de Paris à l’été 1940, le préfet de police Roger Langeron se mit à chercher désespérément un moyen d’éviter que les documents sensibles ne tombent aux mains de l’ennemi [1]. Ses archives étaient si vastes qu’il dût avoir recours à un système de tri, détruisant de nombreux documents sensibles et en abandonnant beaucoup d’autres sur place. Mais certains dossiers étaient trop précieux pour être détruits ou livrés aux Allemands, à commencer par ses archives relatives à l’immigration, des documents essentiels à la surveillance qu’exerçait la France sur sa population immigrée, et par extension sur ses frontières. Il craignait que les Allemands ne prennent pas en charge le problème du refoulement des « indésirables ». Pire : ils pourraient utiliser la France comme « dépotoir » pour les réfugiés dont eux-mêmes ne voulaient pas [2].

2 Dans une tentative désespérée pour s’accrocher à ses archives de l’immigration, R. Langeron improvisa, et réquisitionna deux bateaux. Dans ses mémoires, il raconte que la quantité de documents était telle que des inspecteurs durent faire la chaîne pendant quarante-huit heures Quai des Orfèvres pour remplir les deux bateaux, l’un rien qu’avec des dossiers sur les étrangers, l’autre avec ceux de son service politique, les Renseignements généraux (RG). Finalement, le mercredi 12 juin 1940, deux jours avant l’entrée des troupes allemandes dans Paris, une péniche remplie de dossiers d’immigration descendait lentement la Seine en direction de la Zone libre. Après trois jours de voyage, la péniche rencontra des problèmes à Bagneaux-sur-Loing (Seine-et-Marne). Une embarcation chargée de munitions avait explosé près de l’écluse locale, mettant le feu à un autre bateau qui transportait de l’essence, et bloquait le canal. Dans l’impossibilité de poursuivre leur chemin, les inspecteurs amarrèrent non loin de ce lieu la péniche contenant les archives de l’immigration et tentèrent d’en cacher le contenu, mais en vain [3]. Les Allemands ne tardèrent pas à le découvrir, et firent rapatrier les dossiers à la préfecture à la mi-juillet. Après un mois passé dans l’humidité et la moisissure, à moitié noyés dans l’eau et la vase, ils étaient dans un état lamentable ; les Allemands ordonnèrent à tout le personnel français disponible de faire sécher ce qui pouvait être sauvé, et de recopier le reste. Sous leur contrôle, près d’un million de dossiers et trois millions de cartes furent ainsi reclassés, avant de regagner leur place sur les étagères.

3 Que contenaient ces dossiers ? Dans quel but étaient-ils tenus, et par qui ? Quel usage en faisait-on ? S’appuyant sur les archives de la préfecture et les publications du conseil municipal, puis sur les papiers Albert Sarraut à Carcassonne [4], les archives départementales de l’ex-Seine-et-Oise et surtout les archives de la Sûreté prises par les Allemands, puis par les Soviétiques, et récemment rapatriées [5], cet article se propose d’examiner l’origine des dossiers de R. Langeron, leur contenu, et leur influence sur la vie des immigrants ordinaires. Il y sera particulièrement question d’un des éléments les plus curieux de leur création, qui n’a pas suscité de commentaires à l’époque et que les historiens ont complètement négligé. En 1925, en plein Cartel des Gauches, le préfet de police Morain rattacha aux RG la section active de son Service des étrangers, appelée par la suite « Quatrième Section ». Certes, ce transfert violait l’un des principes les plus sacrés de la Troisième République – en vertu duquel un service de renseignements ne peut pas faire plus que collecter des informations et ne doit jamais s’afficher sur la voie publique. Mais dans les faits, ce rattachement offrait à la plupart des immigrants d’importantes protections. Division d’élite au sein de la préfecture, à la carrière bien établie dès les années 1920, les RG semblent avoir été moins gagnés par la xénophobie et les mauvais traitements que d’autres services de la police, notamment le service Nord-Africain de la préfecture et la police municipale (PM) [6]. Les renseignements qu’ils collectèrent ne donnèrent lieu qu’à l’éloignement d’une infime partie de la population étrangère parisienne de l’entre-deux guerres.

4 Néanmoins le pouvoir de la police s’accrut considérablement après l’armistice, ce qui n’alla pas sans conséquences importantes pour les immigrants. La Quatrième Section des RG parisiens n’envisagea jamais d’expulser physiquement la plupart de ceux qu’elle arrêtait. Elle cherchait avant tout à prévenir la violence politique et à contrôler le marché du travail. Dans ce but, des agents fouillaient la ville tous les ans pour vérifier les déclarations de résidence, arrêtaient les gens dans la rue pour des contrôles d’identité, menaient des enquêtes sur les demandeurs d’asile et sur des communautés entières. Ils interrogeaient quiconque leur paraissait suspect ou avait des fréquentations considérées comme peu recommandables, confisquant régulièrement les papiers de travail et de résidence de ceux qui refusaient d’obtempérer. Grâce à un système complexe de peines avec sursis et de suspensions des avis d’expulsion, ils disposaient de moyens suffisamment puissants pour s’assurer la docilité d’immigrants désireux à tout prix de garder leur travail, et de rester auprès de leur famille.

5 La police parisienne s’est toujours intéressée de près aux étrangers, mais le sens qu’elle donnait au mot a beaucoup évolué avec le temps. Des travaux récents ont montré que les polices de toute l’Europe ont commencé à se préoccuper des migrants bien avant le vingtième siècle [7]. Vincent Milliot et Jean-François Dubost ont récemment dépeint une police parisienne déjà « obsédée » par les migrants sous l’Ancien Régime, et par ceux qui au xixe siècle devaient en permanence porter des passeports, livrets, et autres papiers d’identité [8]. Mais ces derniers pouvaient être français aussi bien qu’étrangers, surtout avant l’avènement de la Troisième République, régime qui vit le gouvernement central prendre le relais des autorités locales dans le secours aux pauvres. Ce n’est qu’avec l’émergence de l’État-providence, comme l’a souligné Gérard Noiriel, que la préoccupation des autorités a commencé à se déplacer des prétendues « classes dangereuses » en général vers les ressortissants étrangers [9]. Après la Grande Guerre, les « étrangers » n’étaient plus ceux qui venaient d’une région voisine, mais ceux issus d’un nation étrangère.

6 En violant l’injonction républicaine selon laquelle ils devaient éviter de jouer un rôle politique actif, les RG ont contribué à modifier les relations entre les immigrants et l’État. La collecte systématique et la mise à jour de renseignements essentiels sur les ressortissants étrangers, ont fini par renforcer des distinctions juridiques qui existaient depuis longtemps, entre étrangers et citoyens français (exemptés de ces mesures), entre travailleurs immigrés et réfugiés politiques. Les questions de nationalité et de citoyenneté ont pris une toute nouvelle importance dans l’entre-deux-guerres, avec la création d’un gigantesque service de police qui régulait les déplacements des immigrants, décidait de leur droit d’obtenir un emploi ou même de vivre où bon leur semblait.

La « Grande Maison » divisée

7 Une des premières exigences de l’opposition républicaine sous le Second Empire fut l’abolition du service politique de la préfecture de Police (PP), dirigé par le commissaire Lagrange. Jules Ferry et Léon Gambetta allèrent jusqu’à réclamer également la suppression du poste de préfet de police, insistant sur le fait qu’une société ouverte n’a pas besoin d’une police secrète pour contrôler l’opinion publique. La démocratie ne peut être maintenue par la force sans que sa nature s’en trouve changée ; seuls les régimes qui privaient leur peuple de liberté de parole et d’élections, selon eux, avaient besoin d’utiliser des mesures de police secrète. Lagrange fut renvoyé, mais le poste de préfet de police survécut au changement de régime. La branche politique survécut également mais, comme l’a montré Jean-Marc Berlière, à la seule condition que la tristement célèbre police d’attaque de Joseph Fouché soit officiellement remplacée par une police de « simple observation » [10].

8 Le préfet de police Morain ne fit pas mention de ces problèmes quand, le 1er janvier 1925, il sépara la section active du Service des étrangers de sa section administrative dite « sédentaire », pour la rattacher aux RG. Le rapport annuel du conseil municipal sur l’activité de la police se contenta de noter que le changement avait été fait « dans le but d’employer tout le personnel actif aux besognes d’enquête et de contrôle, d’obtenir de ce personnel le maximum de rendement et de le faire concourir, le cas échéant, aux Services de voie publique… » [11]. À cette époque la France était devenue proportionnellement le premier pays d’immigration au monde. Les politiciens comptaient naturellement sur la police pour distinguer les militants et les terroristes des immigrants ordinaires, surtout à Paris où la population étrangère avait doublé au cours des années 1920, atteignant le nombre de cinq cent mille à la veille de la Dépression [12]. Et comme l’a montré Ralph Schor, une série de crimes spectaculaires perpétrés par des étrangers – enlèvements, meurtres, incendies criminels et attentats à la bombe – confirma l’existence d’une menace bien réelle [13]. Morain prit sa décision au moment où plusieurs leaders italiens antifascistes, rejoignant l’exode de fuorusciti qui fuyaient Benito Mussolini, commençaient à s’organiser contre l’État fasciste ; au moment où la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) et le Parti communiste français (PCF) créaient, respectivement en 1923 et en 1925, des sections de langue étrangère et où des centaines d’exilés commençaient à comploter contre leurs gouvernements. Il était clair, bien avant les années 1930, que les RG allaient devoir créer au moins une section spéciale pour surveiller les agitateurs étrangers. Le fait de confier à ce service les tâches ordinaires du contrôle de l’immigration donna aux RG une plus grande liberté de manœuvre dans la surveillance des immigrants, et évitait les redondances. Puisque les RG devaient se familiariser avec la population étrangère de Paris, autant le faire d’une façon systématique.

9 Cette décision est peut-être aussi le résultat de l’une des luttes intestines les plus dures qu’ait connu la Grande Maison. Énorme société à elle seule, la PP était minée par des conflits, des jalousies et des rivalités parfois violentes, qui dressaient des sections ou des catégories de personnel les unes contre les autres. Même les préfets de police devaient se méfier de leurs subalternes qui obtenaient trop de pouvoir, en particulier à la direction de la PM. Au xixe siècle le directeur de la PM était resté pendant près de soixante ans à la tête de tous les services actifs de la préfecture, faisant de cet organisme un véritable État dans l’État. Bien qu’ayant perdu la direction de tous les services non ostensibles en 1887, il commandait toujours une armée de gardiens de la paix et jouait un rôle crucial dans le maintien de l’ordre public, avec des milliers d’hommes à sa disposition [14]. Entre les deux guerres le maître de la rue, Paul Guichard, était connu pour ses sympathies d’extrême droite et pour sa ténacité à défendre les prérogatives de la PM. Pendant les émeutes du 6 février 1934 il se fit hospitaliser pour un mystérieux cas d’appendicite, apparemment par solidarité avec son patron destitué, Jean Chiappe [15]. Dans les années 1930, un gardien de la paix se décrivait fièrement dans un journal comme un « connaisseur de races » ; un autre déclara :

« il n’y a pas d’individus plus moralement tarés que les métèques. Pour eux, pour cette engeance qui soulève le dégoût, la répression habituelle est insuffisante… Ce qui conviendrait le mieux ce serait plutôt le châtiment corporel car les métèques ne sont sensibles qu’aux corrections physiques pourvu qu’elles soient sévères… » [16].
Le préfet de police Morain a-t-il rattaché le Service actif du Service des étrangers aux RG plutôt qu’à la PM – comme il aurait dû logiquement le faire – pour qu’il échappe à P. Guichard ? Les archives ne donnent pas de réponse. La décision de Morain, on l’a vu, n’a laissé aucune trace. Mais la formidable croissance du Service des étrangers était déjà visible, et il devait savoir alors l’importance que ce dernier prendrait dans les années à venir.

Fantasmes de contrôle absolu

10 La police a longtemps rêvé de parvenir à un contrôle absolu des sociétés qu’elle protégeait en accumulant de vastes stocks de renseignements. Dans son Mémoire sur la réformation de la police de France[17], Guillauté présentait à Louis XV un système de classement très élaboré qui, disait-il, permettrait aux autorités de tout savoir sur tout le monde : nom, date de naissance, origine et qualité ; date d’arrivée à Paris, lieu d’habitation (non seulement l’adresse mais aussi l’escalier et la chambre), avec qui, et à quel prix ; profession, salaire, taux d’imposition, etc. Pour le lieutenant général de police :

« […] La face actuelle de la ville lui sera aussi parfaitement connue que sa propre maison ; il saura plus de choses sur le compte d’un citoyen, quel qu’il soit, que n’en savent ses voisins et ceux qui fréquentent le plus assidûment dans sa maison… […] La somme des doubles de ces certificats sera toujours pour lui une image fidèle de la ville [18]. »
Pour réaliser ce projet et gérer la masse d’informations qui en résulterait, Guillauté imagina un appareil mécanique qu’il appela « serre papier », roue géante de onze mètres de circonférence et d’un mètre de profondeur divisée en trente-deux sections principales, elles-mêmes sous-divisées en vingt autres. L’appareil géant serait ainsi constitué de six cent quarante sections, et pourrait contenir vingt-cinq mille six cents feuilles de papier. Chacun de ces instruments géants serait actionné avec les pieds, sans qu’il y ait besoin de quitter son bureau. Onze ou douze commis, selon l’estimation de Guillauté, suffiraient à utiliser ce formidable système, et à rendre la ville transparente aux yeux de la police [19].

11 Des mesures concrètes avaient été prises bien avant le projet de Guillauté pour surveiller les mouvements de population dans la capitale. Dès 1407, des lois avaient imposé aux propriétaires de garnis de tenir des registres de leurs locataires, et un décret de 1617 obligeait les commissaires à les inspecter de nuit deux fois par semaine pour s’assurer que tout y était en règle. Un siècle plus tard, en 1708, la création d’un corps de quarante inspecteurs de police facilita la mise en place de la première bureaucratie spécialisée dans la surveillance des lieux d’accueil, et au milieu du xviiie siècle la police tenait apparemment des registres séparés pour les non-régnicoles. Sous l’Empire et pendant tout le xixe siècle, la police continua à perfectionner ses moyens d’identifier les populations mobiles, en s’appuyant de plus en plus sur des documents écrits, notamment des passeports et des livrets. Mais d’une façon générale, avant la Troisième République, les autorités restaient préoccupées avant tout par les vagabonds et la « population flottante » – comme on l’appelait souvent – des gens désespérément pauvres et s’inquiétaient assez peu de la nationalité des migrants [20].

12 Au début de la Troisième République, avec l’émergence de l’État-providence, les fonctionnaires du gouvernement passèrent de la distinction entre pauvres méritants et non méritants, à la distinction entre Français et étrangers. Pour identifier ceux qui étaient tenus à l’impôt, au service militaire, et qui pouvaient prétendre à des aides sociales, deux mesures furent prises – un décret en 1888 et une loi en 1893 – obligeant tous les étrangers venus vivre ou travailler en France à prouver leur identité et à se déclarer à la mairie la plus proche [21]. Mais même après la mise en place de ces mesures, il fallut des dizaines d’années à la bureaucratie policière pour pouvoir tirer parti des nouveaux renseignements. En 1912, le Service des étrangers n’employait encore que quatorze officiers à plein temps [22]. Une proportion élevée d’étrangers – environ 70 % selon les estimations de la police [23] – ne tenait aucun compte des nouvelles mesures, et les quelques renseignements qui arrivaient au compte-gouttes étaient dispersés entre plusieurs services de police [24]. Pendant la Grande Guerre, les autorités réalisèrent qu’elles étaient malheureusement incapables de distinguer les étrangers ennemis des alliés sur leur propre territoire, et avec l’accroissement du pouvoir de l’État pendant les hostilités, de nombreux fonctionnaires purent croire que le gouvernement était en mesure de surveiller d’énormes populations en déplacement constant. Quelques dispositions élémentaires furent bien prises pendant la guerre, mais ce n’est qu’après l’armistice et les conflits sociaux de l’immédiat après-guerre que les autorités imaginèrent une solution sérieuse.

13 Le contrôle moderne de l’immigration est né non pas à la faveur de la poussée xénophobe des années 1930, comme on le pense souvent, mais plutôt dans le contexte de démobilisation qui suivit la Grande Guerre, alors que le gouvernement tentait de maintenir l’ordre public tout en renonçant aux contrôles en vigueur pendant le conflit. Certains radicaux en vue, notamment Camille Chautemps et Albert Sarraut, étaient tellement préoccupés par la criminalité immigrée, par les agitateurs étrangers et les communistes, qu’ils étaient prêts à faire cause commune avec les antirépublicains déclarés qui dirigeaient l’administration locale dans la capitale [25]. C. Chautemps, A. Sarraut et leurs collègues décidèrent de travailler avec les autorités locales parisiennes pour contourner l’inefficacité notoire de la politique parlementaire, et éviter une opposition des groupes humanitaires. Ostensiblement exclues du débat politique par les fondateurs de la Troisième République et confinées exclusivement aux décisions administratives, les autorités municipales promirent une certaine discrétion. Les journalistes avaient tendance à ignorer l’hôtel de ville et l’écrasante majorité conservatrice de l’administration locale réduisait le risque de protestations préjudiciables. Mais la plupart des historiens oublie qu’en plus la capitale disposait de moyens importants que même les autorités nationales n’avaient pas. La PP, une création napoléonienne peu conforme à la loi républicaine, avait un pouvoir énorme. Elle employait plus d’hommes que toutes les autres forces de police du pays réunies – à l’exclusion de la gendarmerie – avec près de douze mille officiers au début des années 1920, et vingt mille en 1939 [26]. Le ministre de l’Intérieur nommait le préfet de la Seine et le préfet de police, mais c’est le conseil municipal qui prenait les décisions et finançait près de la moitié de son budget. En outre, il accordait souvent d’importants fonds discrétionnaires pour financer des opérations spéciales, qu’il payait en puisant dans sa propre caisse [27].

14 Avec le support des radicaux, la majorité de droite de l’hôtel de ville fit du contrôle de l’immigration l’une de ses premières priorités après la Grande Guerre. Émile Massard, un ancien bonapartiste passé dans le camp du général Boulanger avant de devenir un des nationalistes les plus éminents au sein du conseil municipal, présidait la Seconde Commission du conseil, qui établissait le budget de la PP [28]. En 1921, il rapportait que le Service des étrangers avait supporté de trop lourdes charges pendant la guerre, qu’il n’avait survécu que grâce à des mesures bouche-trou, et qu’une réforme s’imposait sérieusement :

« Pendant la guerre, sous la pression des circonstances, et jusqu’à ce jour, le Service des étrangers a été assuré – sous les ordres de quelques fonctionnaires titulaires – par un personnel de fortune presque exclusivement composé d’auxiliaires, hommes et femmes. Le moment est venu de donner à ce Service une organisation définitive.
Il s’agit, en effet, de connaître exactement le nombre des étrangers domiciliés ou de passage à Paris et dans le département de la Seine, leur répartition par nationalité, leurs occupations et moyens d’existence, en un mot, d’assurer d’une manière efficace le contrôle de ces étrangers [29]. »
Cette année-là, il fut à la tête d’une initiative qui permit la rénovation complète des locaux du service et augmenta radicalement son budget et ses effectifs.

15 La première priorité était de classer la quantité considérable de documents accumulés : plus d’un million de dossiers, dispersés entre les différents services. Pour accueillir cette masse d’informations et la rendre accessible, le Service des étrangers investit une grande salle, située escalier F, premier étage, bureau 205 du siège de la préfecture boulevard du Palais. Là s’entassèrent bientôt des bureaux, et s’alignèrent du sol au plafond des étagères en bois pleines de « cabriolets » construits spécialement pour l’occasion, débordant de fiches de différentes couleurs.

« Je me suis rendu sur place, nota É. Massard, et j’ai constaté avec quel soin et quelle minutie ont été réglés les moindres détails : la dimension et la couleur des fiches et des chemises de dossiers, les boîtes en bois d’un modèle nouveau qui les contiennent, tout, jusqu’à la hauteur des chaises selon la taille des employés, hommes ou femmes, la disposition des tables de travail et des rayons, tout a été soigneusement étudié et réalisé [30]. »
Il semble que la police parisienne ait été parmi les premières au monde à abandonner les registres reliés destinés à l’enregistrement des mouvements de population, au profit d’un système de fiches mobiles classées alphabétiquement, par nationalité et par rue. Les fichiers existaient depuis des siècles, et au cours du xixe siècle, la PP les avait utilisés pour une variété toujours plus grande de renseignements, mais ce n’est qu’après la Grande Guerre qu’ils furent utilisés pour le contrôle de l’immigration [31]. La police parisienne put ainsi gérer de façon beaucoup plus efficace d’énormes stocks d’informations en croisant différents systèmes d’enregistrement et en les mettant régulièrement à jour. Chaque immigrant en règle avait sa carte dans ces fichiers. Ces derniers contenaient eux-mêmes des références à des dossiers conservés dans le Casier central ou ailleurs, soit à la suite d’une demande de naturalisation ou de permis de travail, soit à la suite d’une mention dans le « Carnet B » qui contenait la liste des ennemis politiques que le gouvernement avait établie en cas d’urgence nationale ou de guerre [32].

16 Mais les dossiers classés alphabétiquement par nom propre, selon la méthode traditionnelle, même lorsqu’ils étaient parfaitement tenus, ne renseignaient en rien sur les populations des différentes communautés immigrantes :

« La création du Casier central constitue la véritable innovation à réaliser […] Aujourd’hui, comme en 1914, si l’on voulait connaître exactement les étrangers d’une nationalité quelconque, réellement établis dans le Département, il faudrait reprendre une à une les fiches des déclarations et opérer à domicile des vérifications individuelles [33]. »
Les fonctionnaires ne tardèrent pas à reconnaître que de nouveaux fichiers et des progrès administratifs seraient inutiles, sans de nouvelles informations détaillées et mises à jour. Ils envoyèrent donc des inspecteurs à travers la ville pour vérifier le statut légal de tous les immigrants qu’ils pourraient trouver. En 1924, le préfet expédia des inspecteurs faire du porte-à-porte dans toute la ville pour contrôler l’identité de chaque étranger enregistré auprès de la police. En envoyant un groupe d’agents, se vantait-il, « quartier par quartier, rue par rue, maison par maison, toute la région parisienne a été visitée à fond ; ce travail a duré environ cinq mois, mais il a permis de procéder à l’examen de situation de très nombreux étrangers qui, par incurie ou par intérêt, avaient négligé de se faire connaître » [34]. En 1925, un groupe de cinquante agents des RG en civil fut réparti en huit divisions pour renouveler l’opération en investissant le métro à peu près une fois par an.

17 En 1926, les deux sections du Service des étrangers employaient plus d’agents et traitaient plus d’affaires que n’importe quel autre service de la préfecture [35]. Treize ans plus tard, le Casier central contenait plus de 1,6 million de dossiers et 2,6 millions de fiches [36]. Selon le journal du syndicat de la police, Police parisienne, le Casier central « constitue ainsi une véritable mine de renseignements d’ordre administratif ou judiciaire. Son importance est unique en France et les représentants de la plupart des Polices étrangères sont venus étudier son organisation » [37]. Depuis il est devenu un lieu de mémoire, le symbole d’une administration censée tout savoir sur tout le monde. Plus d’un demi-siècle après, un ancien membre du Service se rappelait :

« Bah, c’est la mine de renseignements. Bon il y avait la vie des gens, leur état civil, l’adresse, et puis tout quoi… Il y avait tout dedans. Il contenait tout. Le Casier central, c’était le Casier central. J’ai jamais constaté de perte ou d’insuffisance. Il marchait très bien [38]. »
Malgré tous les renseignements dont la police disposait, seule une infime proportion des gens qu’elle poursuivait et tentait d’éloigner semble avoir effectivement quitté le pays. La France comptait parmi les pays les plus ouverts au monde pour les immigrants. Les préfets de police se plaignaient constamment du manque d’aide de la Place Beauvau, de la clémence des tribunaux, et même de la mauvaise foi des immigrants. Comme nombre de ses pairs tout au long des années d’entre-deux-guerres, Le préfet de police Morain protesta :
« […] Le refoulement est trop souvent par lui-même une mesure vaine : l’étranger qui en est l’objet est bien formellement invité à faire constater son départ, en se présentant au service ou à la gare à des jours et des heures qui lui sont indiqués ; mais dans la moitié des cas il ne se présente pas, change de domicile et ne songe plus qu’à se cacher. D’autres fois il se présente à la gare, prend ostensiblement le train pour la frontière et… descend à la première station. Souvent, enfin, il prétexte n’avoir pas la somme nécessaire à son voyage et met à se la procurer toute la mauvaise grâce possible [39]. »
Quel que soit le dispositif utilisé, déploraient les autorités, le résultat était toujours le même.

18 Leurs plaintes n’étaient pas totalement infondées. Une série de contraintes républicaines empêchait la police de profiter pleinement de la puissance répressive des outils mis à sa disposition [40]. Les informations rassemblées par les agents donnaient aux immigrants un statut reconnu légalement. Les permis de travail leur permettaient de vivre et de travailler en paix, sans craindre l’expulsion ou le harcèlement des autorités locales. La promesse des gouvernements de tous bords de donner asile aux opprimés obligeait les autorités à mener de très longues enquêtes pour vérifier les déclarations des immigrants, ce qui permettait à beaucoup de se cacher. De plus une foule d’institutions, de la Ligue des droits de l’homme au parti socialiste en passant par le Secours rouge international, intervenait souvent en faveur de tel ou tel immigré.

19 L’ironie de l’histoire, c’est que le recours aux RG eux-mêmes n’était pas la moindre des protections républicaines. De fait, l’utilisation du service politique pour surveiller les immigrants ordinaires contribua à atténuer la sévérité dans l’application de la loi. Les futures recrues devaient, en dehors de leur service, suivre pendant des mois des cours à l’école de police de la préfecture, et travailler encore des années comme agent de ronde en uniforme, avant de pouvoir passer l’examen d’entrée. Pendant toute cette période d’apprentissage, les nouveaux apprenaient des anciens à rester dans les limites d’une conduite acceptable et assimilaient une culture professionnelle bien établie ; leçons que le temps consacré à atteindre le rang d’inspecteur ne faisait que renforcer. La perspective de rater une promotion, la peur d’une rétrogradation humiliante ou d’une pension perdue, étaient autant de bonnes raisons d’obéir. Avec sa tradition de carrières toutes tracées, la Quatrième Section des RG était particulièrement sensible au risque de déclencher un incident international et à l’intervention des gouvernements étrangers, qui prenaient un intérêt croissant au sort de leurs citoyens installés sur le sol français [41].

20 Dans l’entre-deux-guerres, la xénophobie affecta sensiblement les autres services de la préfecture – comme l’ensemble de la société. En 1928, le ministre de l’Intérieur A. Sarraut se plaignit devant une assemblée de policiers parisiens que les masses d’étrangers à Paris apportaient

« Leurs mœurs, leurs habitudes, leurs défauts et leurs vices, en telle manière que votre tâche est singulièrement plus complexe, et il y a véritablement des moments où je me demande par quelle sorte de paradoxe, le ministre de l’Intérieur n’est pas plus souvent obligé de prendre acte et de fournir des explications sur votre attitude et votre conduite… Mes chers collaborateurs, vous pouvez hardiment engager la vôtre [responsabilité], car vous avez affaire à un chef, à des chefs qui n’ont pas l’habitude de se dérober quand on met leurs collaborateurs et leurs subordonnés en cause (vifs applaudissements) [42]. »
Dix ans plus tard, la même assemblée accueillit le préfet de police R. Langeron par des salves d’applaudissements quand il annonça que la Quatrième Section des RG avait mené quinze mille enquêtes au cours du trimestre précédent, ce qui avait donné lieu à cent quarante expulsions [43]. Le propre journal du syndicat de la police publia un essai de trente-cinq pages à la gloire de l’Allemagne nazie, de ses camps de jeunesse, de l’efficacité de sa police, des SS (Schutz-Staffel). Le même auteur, une certaine madame R. Viellard, parlait de l’immigration à Paris comme d’une « invasion » d’« indésirables » assoiffés de sang, dans un article rempli d’illustrations antisémites et de descriptions destinées à choquer. Sa conclusion : « Il serait urgent de mettre un frein aux largesses de la France trop hospitalière pour tous [44]. »

21 La section administrative « sédentaire » du Service des étrangers – les employés de bureau qui classaient les fiches et décidaient qui pouvait rester et qui devait être expulsé – finit par être connue à la fin des années 1930 pour son arrogance et sa condescendance dédaigneuses. Italiens, Russes, Espagnols, juifs d’Europe de l’Est, ressortissants de tous les pays devaient attendre des heures devant son bureau et quémander l’indulgence. Tous étaient directement témoins des formalités interminables, des procédures contradictoires d’un système complètement dépassé par les événements, et beaucoup en gardaient un souvenir pénible. Les réfugiés se mirent à appeler la préfecture la « Haus der Tränen », la maison des larmes. Déjà à l’été et à l’automne 1933, sept d’entre eux avaient tenté de se suicider dans l’enceinte même de la préfecture [45].

22 Le peu de témoignages dont on dispose laisse penser que la Quatrième Section des RG – la section active du Service parisien des étrangers – était relativement épargnée par l’extrême xénophobie qui régnait ailleurs à la préfecture. Pendant toutes les années de l’entre-deux-guerres, on l’a vu, les préfets de police se donnèrent beaucoup de mal pour utiliser les RG comme contrepoids à la PM. Les rapports qu’ils rédigèrent dans les années 1930 témoignent d’une grande familiarité avec les communautés immigrées de la capitale et soulignent souvent le fait que l’écrasante majorité des immigrants ne souhaitait qu’une chose : travailler en paix. Des rapports de cette période, le plus complet à nous être parvenu, un rapport sur la communauté italienne de Paris, demandait non pas l’expulsion des opposants politiques, mais que l’on empêche le fascio de Paris [46] d’interférer dans l’assimilation des citoyens italiens [47]. À la Sûreté, certains services semblaient également partager cette sensibilité cosmopolite. Patrick Weil a montré récemment que même au plus fort de la crise des réfugiés, des officiers haut placés défendaient la cause des réfugiés juifs, encourageant la venue en France de communautés juives entières pour soutenir l’économie [48]. Les fonctionnaires de Vichy se plaignaient d’ailleurs du dernier directeur de la Police du territoire et des étrangers de la Troisième République, M. Combes :

« Chef adjoint du cabinet Blum en 1936, il n’a pas cessé de faire, avec un fanatisme probablement sincère, la politique du Front populaire, en réservant toutes ses faveurs aux anti- fascistes [49]. »
Avoir affaire aux immigrants n’entraînait pas forcément une réaction raciste.

23 Parmi les immigrants qui reçurent un avis d’expulsion, un grand nombre réussit à échapper à la police, ou revint tout simplement en France. Pour un total de 95 130 personnes expulsées de France entre 1920 et 1933, on en comptait 40 771 qui s’étaient dérobées à un avis d’expulsion [50]. En 1932, on procéda à 1 832 arrestations dans le département de la Seine pour défaut d’observation d’un refoulement administratif, et à 1 363 autres pour non-respect d’un avis d’expulsion. Après avoir interrogé 3 800 personnes sur la voie publique en 1937, les RG s’aperçurent que près d’un tiers des étrangers qui s’étaient vus notifier leur expulsion avaient réussi à la faire suspendre [51]. Les mesures utilisées variaient selon les priorités de la coalition au pouvoir, mais une constante s’impose : quels qu’aient été les moyens employés par le gouvernement, seul un petit pourcentage des personnes expulsées semble avoir effectivement quitté le pays (voir tableaux 1 et 2 ci-dessous). Des statistiques qui pourraient éventuellement donner à penser que la police ne faisait pas grand-chose de tous les renseignements qu’elle collectait.

Pure observation ?

24 Les immigrants sous la Troisième République bénéficiaient de protections bien réelles, mais il ne faudrait pas en conclure pour autant que la section active du Service des étrangers n’avait pas d’effets sur leur vie quotidienne. Les historiens ont insisté sur le fait qu’avant Vichy, les RG respectaient la distinction traditionnelle entre action ou répression d’une part, et collecte de renseignements d’autre part. La plupart s’accorderaient pour dire que la période de l’Occupation, lorsque les RG tapaient aux papiers sur la voie publique et contrôlaient au faciès, marqua une rupture fondamentale avec les pratiques républicaines. Selon cette opinion très largement partagée, seuls quelques cas isolés de provocation – des indicateurs rémunérés suscitant les réactions qu’ils étaient censés observer – compromettaient les principes républicains [52].

Tableau 1
Tableau 1
Source: Conseil municipal, Rapports et documents. Pas d’information pour 1921-1922
Tableau 2
Tableau 2
Source: Conseil municipal, Rapports et documents. Pas d’information pour 1922, 1927, 1930-1931, 1936-1938. Les mesures « réussies » sont celles qui ont été constatées par la police à la frontière. Selon toutes probabilités, les résultats réels étaient nettement supérieurs.

25 Cette police-là n’était manifestement pas de pure observation. Le Service actif du Service des étrangers s’intéressait particulièrement aux quartiers d’immigrants, où il tentait d’effrayer les clandestins pour les pousser à se déclarer aux autorités, et arrêtait ceux dont les papiers n’étaient pas en règle. Quelques mois après avoir rattaché la brigade des immigrants au service politique, le préfet de police évoquait devant le conseil municipal les fréquentes descentes dans les quartiers d’immigrants :

« L’opération n’est pas seulement fructueuse par elle-même : toute la population étrangère voisine, frappée de cette surveillance, veille avec soin à se mettre en règle avec la police [53]. »
Les rapports annuels sur les activités des RG parlaient régulièrement d’« action répressive », pourtant considérée comme en dehors de la compétence d’un service de renseignements. Au cours de sa première année d’existence, la section active du Service des étrangers
« s’est attachée, au moyen d’une série d’enquêtes conduites à Paris et en banlieue, à reconnaître les principaux points d’agglomération des étrangers et ensuite elle a procédé à une série d’opérations destinées à découvrir dans ces agglomérations les éléments indésirables ou réfractaires aux lois et règlements. C’est ainsi qu’elle a effectué des descentes dans 90 hôtels et visité plusieurs “îlots” de la zone des fortifications où des Espagnols et des Italiens vivent dans des conditions qui leur permettent d’échapper au contrôle normal. Au cours de ces opérations, 6 208 étrangers ont été vérifiés et 437 infractions ont été relevées [54] ».
Outre les tâches consistant à vérifier les déclarations de résidence des étrangers et à remplir des dizaines de milliers de rapports, le Service actif délivrait des avis d’expulsion et effectuait des dizaines de descentes dans les boîtes de nuit et les quartiers d’immigrants. En 1937, la Quatrième Section enquêta à la suite de plus de deux mille dénonciations anonymes : « “Un tel”, Polonais, n’a pas les papiers qu’exige la loi », notait la Police parisienne ; « tel autre, Yougoslave, est démuni de carte de travailleur » [55].

26 Et elle n’hésitait pas à contrôler au faciès. Comme le remarquait en 1936 le juriste Xavier Barthélémy :

« C’est le plus souvent au cours d’un contrôle effectué dans les garnis, les établissements divers et publics qu’un Secrétaire de la Sûreté, par exemple, invite un individu dont la mine lui paraît suspecte à “exhiber” ses papiers d’identité. Si celui-ci révèle sa qualité d’étranger et est dépourvu de carte d’identité analogue à celle délivrée aux étrangers, il est conduit au commissariat de police où l’on compulse les bulletins des expulsés [56]. »
Des remarques qui s’appliquent également à la Sûreté et à la Quatrième Section des RG. Un an après la publication de la thèse de X. Barthélémy, en plein Front populaire, le service politique s’intéressa tout spécialement aux hôtels qui attiraient des clients étrangers, et arrêta des centaines de milliers d’immigrants dans la rue, dont certains à plusieurs reprises [57].

27 Les étrangers qui ne se soumettaient pas – ceux en tout cas qui parlaient un français imparfait – sacrifiaient tous les avantages sociaux dont ils auraient pu bénéficier. Pour eux les perspectives d’emploi étaient limitées, ils se retrouvaient avec des amendes souvent lourdes, et risquaient l’expulsion [58]. La loi laissait au préfet de police une latitude considérable pour délivrer ou non des papiers d’identité. Il pouvait refuser d’en délivrer à l’arrivée de l’immigrant (refus de séjour), il pouvait aussi les confisquer à son gré sans explication (refoulement), forçant ainsi les gens à fuir le pays ou à braver les conséquences de la clandestinité : le refoulement était une mesure administrative sans recours possible. Mais elle ne pouvait empêcher les étrangers de revenir et de redemander des papiers. La loi du 3 décembre 1849, appliquée de façon encore plus contraignante, donnait au ministre de l’Intérieur et aux préfets des départements frontaliers l’autorité d’expulser officiellement, manu militari, tout étranger qui paraissait présenter un risque pour l’ordre public, en appliquant tout l’arsenal des sanctions prévues par la loi.

28 Avec la détérioration des conditions économiques, la police chercha de plus en plus à protéger les travailleurs français de la concurrence étrangère, et le rôle des RG s’accrut. Outre la tâche de distinguer les opposants politiques des immigrants ordinaires, la section active du Service des étrangers était maintenant chargée de faire respecter les lois sur le travail destinées à protéger les travailleurs français. Au moment du ralentissement économique en 1926-1927, la police vint prêter main-forte aux inspecteurs du travail ; ensemble, ils firent respecter les lois limitant le pourcentage d’étrangers employés dans le secteur public en engageant la responsabilité des employeurs. Des équipes d’agents se mirent à inspecter toutes les entreprises de Paris et de banlieue à la recherche de travailleurs clandestins. Pour tenter de sévir contre l’immigration clandestine et protéger le marché du travail, la police dressa des registres supplémentaires d’étrangers dans chaque commissariat de la ville et de la banlieue, afin de surveiller plus efficacement leurs allées et venues et de mettre à jour les informations stockées dans le Casier central [59].

29 Ces mesures restrictives furent considérablement renforcées en 1932, touchant non plus le seul secteur public mais également l’industrie privée et le commerce. Cette année-là tous les établissements ouverts de nuit furent minutieusement inspectés, ainsi que certaines entreprises réputées employer des étrangers. L’effort de surveillance redoubla encore en 1935 avec la réduction de la proportion d’artisans étrangers, auxquels étaient désormais délivrées des cartes d’identité spéciales [60].

30 Avec l’aggravation de la crise, la législation devint encore plus stricte. Le Service l’appliqua avec zèle, et intensifia en plus les contrôles sur les demandeurs d’asile. La première vague de Juifs allemands avait été reçue à bras ouverts en avril 1933. Mais dès le mois d’août, les policiers reçurent l’ordre de refouler toute personne dont les papiers n’étaient pas en règle, à moins qu’elle puisse prouver qu’elle courait un grave danger en Allemagne. Pendant les deux années suivantes, les gouvernements très durs du Bloc national de Pierre-Étienne Flandrin et Pierre Laval déclenchèrent ce que Vicki Caron a appelé un véritable règne de la terreur à l’encontre de la population étrangère, et particulièrement des réfugiés [61]. Dans le cadre de sa lutte contre la crise économique, le gouvernement conservateur prit pour cible les quartiers d’immigrants et utilisa les refoulements administratifs pour tenter en vain de renvoyer ces derniers chez eux. Le nombre d’étrangers obligés de venir faire vérifier leurs papiers était tel que l’on affecta au Service de la voie publique des locaux supplémentaires pour désencombrer les couloirs [62].

31 La surveillance s’intensifia encore sensiblement après l’arrivée au pouvoir d’Édouard Daladier, le 10 avril 1938. Au cours des années 1930, la France accueillait proportionnellement plus de réfugiés qu’aucun autre pays au monde, même avant l’arrivée de 450 000 républicains espagnols qui avaient traversé péniblement la frontière à pied. Le nombre d’étrangers vivant à Paris passa de 370 701 à la fin de l’année 1936 à 438 688 fin 1938. Devant la dégradation de la situation en Europe de l’Est et la perspective d’un nouveau flot de réfugiés, de plus en plus de voix se firent entendre pour réclamer la fermeture des frontières françaises. La combinaison d’arrivées en masse et de nouveaux décrets-lois accrut brusquement la sévérité des mesures pour faire respecter la loi. Les policiers non seulement renforcèrent les contrôles sur les demandeurs d’asile, mais se mirent à patrouiller la ville à la recherche d’étrangers travaillant sans une autorisation en bonne et due forme, et de toute personne dont les papiers n’étaient pas en conformité avec les décrets-lois. Malgré les lois de 1938 qui offraient certaines protections aux réfugiés, le nombre d’étrangers arrêtés fut multiplié par six en une seule année, les refoulements firent plus que doubler et les recherches menées au porte-à-porte se poursuivaient. Dans la nuit du 15 au 16 novembre 1938, un agent des RG interrogea à lui seul trois cents étrangers [63].

32 À partir du milieu des années 1930, les étrangers avaient supplanté les citoyens français dans les dossiers politiques de la préfecture. Un examen du Carnet B à Paris montre qu’en 1914, 60 % des gens inscrits étaient des citoyens français ; en 1936, ce pourcentage était tombé à 12 %. À cette date les étrangers représentaient moins de 10 % de la population parisienne, mais près de 90 % des personnes figurant dans le Carnet B [64]. Une situation due en partie à l’évolution de la menace politique : obsédées au tournant du siècle par les anarchistes, les pacifistes et les syndicalistes révolutionnaires, les autorités de l’entre-deux-guerres s’inquiétaient maintenant des communistes et des fascistes, dont beaucoup étaient étrangers. Cette évolution peut naturellement s’expliquer par une xénophobie croissante au sein de la police. Mais la stigmatisation des étrangers a aussi des raisons moins évidentes. La liste dressée au printemps 1936, peut-être expurgée sous Vichy, ne contenait aucun membre des ligues d’extrême droite ; elle visait essentiellement des communistes français de second rang – mais pas les leaders – et surtout les étrangers. Elle fut dressée, comme le souligne Donald Baker, pendant une période de grande incertitude politique. La police était tenue de mettre à jour ses dossiers sans moyen de savoir qui remporterait les prochaines élections et les noms qui y figurent reflètent son souci d’atténuer les effets d’un éventuel retour de bâton. Les mêmes officiers de police étaient au service de gouvernements de tendances idéologiques très différentes, et il fallait trouver le moyen de cohabiter avec tous. La présence de communistes dans le Carnet B ne pouvait surprendre personne, et dans ce contexte les étrangers, dénués d’influence politique, étaient également des candidats tout désignés.

33 Pour comprendre comment des étrangers se sont retrouvés dans le Carnet B et dans d’autres dossiers politiques, et les conséquences d’une telle situation, il nous faut quitter les archives de la préfecture, d’où les dossiers individuels et les documents relatifs aux expulsions ont presque tous disparu, peut-être perdus au cours de leur voyage sur la Seine, peut-être jetés dans les chaudières de la PP à l’approche des Allemands. Celles de l’ancienne Seine-et-Oise et surtout les archives récemment rapatriées de Moscou, évoquées en début d’article, compensent partiellement cette perte, puisqu’on y trouve des copies des dossiers parisiens et de nombreux documents du même ordre. Créées en 1934, les archives de la Sûreté concernant les ennemis politiques potentiels se concentraient surtout sur les étrangers, et étaient classées sur le même modèle que celles de la PP, dont elles s’inspiraient. En utilisant un seul énorme fichier pour pouvoir retrouver tous leurs dossiers sur un suspect donné, et en le mettant à jour constamment, les autorités nationales étaient en mesure non seulement de connaître le contenu et l’emplacement de chaque dossier, mais de savoir qui y avait eu accès et quand. Parent pauvre de la PP, la Sûreté nationale ne tarda pas à amasser une quantité stupéfiante d’informations. Ses archives furent bientôt si volumineuses qu’au bout de trois ans il fallut acquérir un nouvel immeuble, destiné en grande partie à leur conservation ; le fichier comprenait à lui seul vingt mille cartons qui remplissaient un étage entier [65]. On y trouvait par exemple plus de trente cartons sur les seuls porteurs du nom Mohamed [66].

34 Il faut insister sur le fait que les dossiers du fonds dit « de Moscou » ne sont pas exactement analogues à ceux du Service parisien des étrangers. Créées pour regrouper dans un même lieu tous leurs dossiers, les archives de la Sûreté contiennent des informations sur les citoyens français, et les étrangers qui y figurent s’y trouvent souvent pour avoir attiré l’attention sur eux [67]. Ce qui ressort de ces documents, et d’autres qui ont survécu à la guerre, n’est pas le degré de surveillance auquel les forces de police étaient parvenues, c’est le fait qu’il suffisait d’un rien pour qu’un immigré se retrouve dans les dossiers politiques, la distinction entre contrôle de l’immigration et surveillance politique étant extrêmement floue dans la pratique. Un citoyen polonais, Lucien Z., se mit la police à dos pour s’être déporté un peu trop vers la gauche – sur son vélo ! Comme il n’avait aucun autre délit à son actif, Lucien s’en tira avec un très officiel « avertissement sévère » tamponné dans son dossier et il fut prévenu « qu’au premier écart de conduite, il serait l’objet d’un arrêté d’expulsion » [68]. En janvier 1923 un émigré russe, Léon R., écopa de quatre mois de prison avec sursis pour un délit mineur, assorti d’un avis d’expulsion. Il ne quitta jamais la France – à vrai dire il lui était interdit de quitter la région parisienne – et dut écrire au ministre de l’Intérieur tous les quatre mois sur papier timbré pour prolonger son séjour, ce qu’il fit assidûment pendant au moins les quatorze années suivantes [69]. Même le chef cuisinier du ministère de l’Intérieur, expulsé en 1919 pour une infraction mineure, devait encore réclamer la suspension de son expulsion trois fois par an dans les années 1930, bien qu’il ait épousé une Française et n’ait jamais « fait l’objet de remarque défavorable » [70]. Un Italien, Guiseppe G., s’attira des ennuis pour avoir juré, refusé d’installer un phare sur son vélo et traîné dans un café fréquenté par des communistes. Le commissaire de police local dans l’Essonne reconnut volontiers qu’« aucun fait grave et isolé n’a motivé mon rapport », mais confisqua quand même les papiers de Guiseppe et lui délivra un refus de séjour [71]. Même sans avoir parlé ouvertement de politique, un couple marié se retrouva sur une des listes d’éléments subversifs de la préfecture parce qu’ils

« reçoivent chez eux des individus équivoques, accompagnés de filles de mœurs légères, et on assure que leur appartement servirait souvent de lieu de rendez-vous. D’autre part, leurs relations suivies avec Samuel U., Else K., et d’autres individus louches, qui viennent journellement chez eux, leurs moyens d’existence et leurs occupations non définies, les rendent suspects aux points de vue national et politique [72] ».
Traîner avec des gens peu recommandables, assister à une réunion syndicale, voilà qui compromettait souvent la situation légale d’un immigrant. En 1920, la police parisienne arrêta un chapelier polonais, Khil K., et lui notifia son expulsion pour avoir assisté à une réunion de l’Association ouvrière juive, d’obédience radicale. Comme Khil n’avait jamais eu d’ennuis avec la justice auparavant, l’expulsion fut suspendue. Mais pendant des années la police surveilla attentivement son courrier, interrogea ses amis et ses collègues, et espionna ses allées et venues. Elle ne découvrit jamais rien. Le chapelier avait fait très attention, de peur qu’on lui retire ses papiers. Dix ans plus tard, même après que l’expulsion ait été officiellement rapportée, la vieille tache dans son dossier compromettait encore sa naturalisation. Le préfet de police R. Langeron ne réexamina son cas qu’à la veille du dix-huitième anniversaire – et donc du service militaire – du fils de Khil, polonais de naissance [73]. Magdalene R., allemande, arriva à Paris en 1933 avec un passeport dûment tamponné par le consul de France à Cologne et un contrat de stagiaire pour lequel tout était déjà arrangé. Quand le contrat expira, elle obtint une permission spéciale pour rester en France jusqu’à ce que la police découvre qu’elle fréquentait un certain Siméon K., membre de la section de langue bulgare de la CGTU. Ils étudièrent sa vie privée et découvrirent qu’elle « manifeste elle aussi des sentiments extrémistes et ses sympathies vont aux groupements révolutionnaires. D’autre part, elle a attiré l’attention à plusieurs reprises en raison de ses sentiments hostiles à l’égard de la France ». Un avertissement et un refus de séjour n’ayant pas réussi à lui faire passer le goût de la politique, le préfet de police demanda son expulsion [74]. Une fois identifié comme risque politique, l’étranger devait endurer l’ordinaire des méthodes de surveillance politique : son courrier était lu, ses amis et ses relations interrogés, les cartes de visite déposées dans sa boîte aux lettres étaient saisies, et parfois même sa ligne était mise sur écoute [75].

35 * *

36 *

37 Pour gérer toutes les données qu’elles rassemblaient, la Sûreté comme la PP durent expérimenter de nouvelles méthodes de classement et de stockage de l’information. L’ampleur de l’effort fourni, tant en nombre de dossiers créés qu’en nombre d’agents impliqués, mit le contrôle de l’immigration au premier plan d’un accroissement important du pouvoir de la police entre les deux guerres. Loin de se limiter désormais à certains quartiers ou populations considérés « à risque », la police se mit à surveiller plus de gens qu’elle ne l’avait jamais fait. Mais elle ne réalisa jamais le rêve de Guillauté de rendre la ville totalement transparente. Dans les documents les plus complets dont nous disposions, rapatriés de Moscou, il est souvent question de personnes recherchées en vain. Et même une fois arrêtés, la plupart des immigrants réussissaient à éviter l’expulsion et à rester en France. Mais les services de l’immigration ne se sont pas contentés simplement de rassembler et de gérer un vaste stock d’informations. Les RG ne se sont pas satisfaits d’observer les mouvements de population et de suivre l’opinion publique. La police, comme elle l’avait toujours fait, interrogeait quiconque détonnait et avait de « mauvaises » fréquentations. Le besoin de maîtriser la frontière entre citoyens de plein droit et travailleurs immigrés l’a amenée en outre à s’intéresser de plus en plus aux personnes nées à l’étranger. Le contrôle moderne de l’immigration a donné aux RG une plus grande liberté de manœuvre avec les étrangers qu’ils ne souhaitaient pas voir devenir citoyens français, allant de l’avertissement verbal ou de l’« avertissement sévère » tamponné sur leurs papiers, à un séjour renouvelable, une condamnation avec sursis ou une expulsion immédiate justifiée par une variété infinie de délits. Avec l’émergence du contrôle systématique de l’immigration au milieu des années 1920, il ne suffisait plus désormais de traverser la frontière et de trouver du travail pour s’établir en France. Nombreux étaient ceux qui, de plus en plus inquiets pour leur carte d’identité et leurs papiers de travail, se seraient reconnus dans ces mots de François Cavanna :

« Pris dans une manif, ou à un meeting, c’est la carte de travailleur qui saute, la carte bleue. Tu te retrouves avec la carte verte, pas le droit de mettre les pieds sur un chantier, juste celui de faire du tourisme. Ou même carrément expulsé, reconduit à la frontière avec au cul un dossier de dangereux agitateur que la police française se fera un plaisir de communiquer aux sbires de Mussolini [76]. »
Une forte proportion d’immigrants parisiens reçut un avis d’expulsion ou connaissait quelqu’un qui en avait reçu un. Plus de 50 000 personnes se virent notifier une expulsion ou un refoulement au cours des années 1930, sur une population de 370 000 en 1936.

38 Avant l’« étrange défaite », le contrôle de l’immigration a investi d’un sens nouveau des catégories légales déjà anciennes. La distinction entre étrangers et ressortissants français existait depuis la Révolution française, et dans sa forme moderne depuis la réforme de la loi sur la nationalité de 1889. Mais elle a pris une tout autre signification avec le remaniement du Service des étrangers à la fin 1921, et la volonté de surveiller l’énorme population étrangère de la capitale. Dans les dernières années de la décennie, et particulièrement pendant la Dépression, les RG ont fait respecter les lois sur le travail qui limitaient pour les immigrants la possibilité de s’installer et d’exercer un emploi où ils voulaient. À partir de 1933, ils se sont mis à examiner de plus près les demandes d’asile. Ce qui jusque-là était resté une distinction théorique entre migration politique et migration ouvrière, a influé de plus en plus sur les perspectives d’avenir et les chances de chacun. Les expulsions, les refoulements et les rapatriements n’ont que rarement forcé les gens à quitter le pays, mais ils ont pesé lourdement sur les conditions de leur séjour.

39 Traduction François Keen

Notes

  • [1]
    Voir Archives de la préfecture de Police (APP dans les notes suivantes), Ba/65p. « Note sur le fonctionnement du Service Administratif des Étrangers de la Préfecture de Police depuis le 14 juin 1940… », 1er octobre 1940 ; Roger Langeron, Paris, juin 1940, Paris, Flammarion, 1946 ; Jacques Simon (directeur des Renseignements généraux – RG), « Comment furent sauvées les archives politiques de la préfecture de Police », Historia, n° 81, 1953, pp. 155-160. Quand les récits divergeaient, j’ai préféré le document manuscrit.
  • [2]
    Vicki Caron, Uneasy Asylum : France and the Jewish Refugee Crisis, 1933-1942, Stanford, Californie, Stanford University Press, 1999, pp. 332-333.
  • [3]
    R. Langeron, Paris, juin 1940, op. cit., pp. 125-126 ; Gilbert Badia (éd.), Les barbelés de l’exil. Études sur l’émigration allemande et autrichienne (1938-1940), Grenoble, Pug, 1979, pp. 94-95 ; Frédéric Couderc, Les RG sous l’Occupation. Quand la police française traquait les résistants, Paris, Olivier Orban, 1992, pp. 23-27 ; Jean-Paul Brunet, La Police de l’ombre. Indicateurs et provocateurs dans la France contemporaine, Paris, Seuil, 1990, p. 27. Voir, pour une version différente, J. Simon, « Comment furent sauvées… », op. cit., pp. 159-160.
  • [4]
    Archives départementales de l’Aude (AD Aude dans les notes suivantes), 12 J.
  • [5]
    Sophie Coeuré, Frédéric Monier, et Géraud Naud, « Le retour de Russie des archives françaises. Le cas du fonds de la Sûreté », Vingtième siècle, n° 45, 1995, pp. 133-139 ; Dominique Deveaux, « Les Archives de la direction de la sûreté rapatriées de Russie », La Gazette des archives, n° 176, 1997, pp. 78-86.
  • [6]
    Voir les documents compilés par Pierre Laroque et François Ollive pendant le Front populaire, Centre des archives d’outre-mer (CAOM), 8 H 62, et l’important Fonds Laroque, carton 4, en cours de classement au Centre des archives contemporaines (CAC dans les notes suivantes).
  • [7]
    Jean-François Dubost et Peter Sahlins, Et si on faisait payer les étrangers ? Louis XIV, les immigrés et quelques autres, Paris, Flammarion, 1999 ; John Torpey, The Invention of the Passport : Surveillance, Citizenship, and the State, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Andreas Fahrmeir, Citizens and Aliens : Foreigners and the Law in Britain and the German States, 1789-1870, New York, Berghahn Books, 2000.
  • [8]
    Voir leurs contributions dans : Daniel Roche (éd.), La Ville promise : Mobilité et accueil à Paris (fin xviie-début xixe siècle), Paris, Fayard, 2000, et Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet, Vincent Milliot (éd.), Police et migrants en France de 1667-1939, Rennes, Pur, 2001.
  • [9]
    Gérard Noiriel, Le Creuset français. Histoire de l’immigration xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 1988, pp. 87-89 ; La Tyrannie du national. Le Droit d’asile en Europe, 1793-1993, Paris, Calmann-Lévy, 1991, pp. 169-176.
  • [10]
    Jean-Marc Berlière, Le Monde des polices en France, xixe-xxe siècles, Bruxelles, Complexe, 1996, pp. 133-162.
  • [11]
    Émile Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1925 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 159, 1925, p. 84.
  • [12]
    Georges Mauco, Les Étrangers en France. Leur rôle dans l’activité économique, Paris, Armand Colin, 1932, pp. 284 et suiv.
  • [13]
    Ralph Schor, L’Opinion française et les étrangers, 1919-1939, Paris, Publications de la Sorbonne, 1985, pp. 653-672.
  • [14]
    J.-M. Berlière, Le Monde des polices…, op. cit., pp. 105-110.
  • [15]
    André Benoist, Les Mystères de la police. Révélations par son ancien Directeur, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1934, pp. 49-63, 72-74.
  • [16]
    Faralicq et Guillaume, gardiens de la paix, sont tous deux cités dans J.-M. Berlière, « La Généalogie d’une double tradition policière », in Pierre Birnbaum (éd.), La France de l’Affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, 1994, p. 216.
  • [17]
    Guillauté, Mémoire sur la réformation de la police de France soumis au roi en 1749, illustré de vingt-huit dessins de Gabriel de Saint-Aubin, Paris, Hermann, 1974 [1749].
  • [18]
    Ibid., pp. 47-48.
  • [19]
    Ibid., pp. 40-68.
  • [20]
    Vincent Denis, « Entre police et démographie : Un “Projet de dénombrement” sous le Premier Empire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 133, 2000, pp. 72-78 ; Marie-Noëlle Bourguet, Déchiffrer la France. La Statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris, Éditions des archives contemporaines, 1988 ; Éric Brian, La Mesure de l’État. Administrateurs et géomètres au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 1994 ; V. Milliot in M.-C. Blanc-Chaléard, C. Douki, N. Dyonet, V. Milliot (éd.), Police et migrants en France…, op. cit., pp. 315-331 ; J.-F. Dubost et Peter Sahlins, Et si on faisait payer…, op. cit. ; A. Fahrmeir, Citizens and Aliens…, op. cit. ; J. Torpey, The Invention of the Passport…, op. cit.
  • [21]
    G. Noiriel, Le Creuset français…, op. cit. ; La Tyrannie du national…, op. cit.
  • [22]
    Il y en avait eu jusqu’à quinze, dix ans plus tôt. APP, Db/302. Voir Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 125, 1913, pp. 204-205.
  • [23]
    APP, Ba/67p. Statistiques du 17 avril 1907 de la Direction générale des recherches, 2e Brigade.
  • [24]
    APP, Db/302. Circulaire n° 9, 12 juin 1918, et les quelques rapports annuels pré-1914 du Service des étrangers dans le même dossier. Voir aussi Lucien Picard, « Les Étrangers à Paris », Police parisienne, n° 5, 29 février 1936, pp. 19-27.
  • [25]
    Sur le conseil municipal de Paris, voir Yvan Combeau, Paris et les élections municipales sous la Troisième République. La Scène capitale dans la vie politique française, Paris, L’Harmattan, 1998.
  • [26]
    J.-M. Berlière, Le Monde des polices en France…, op. cit., p. 37.
  • [27]
    Maurice Félix, Le Régime administratif du département de la Seine et de la Ville de Paris, 3e éd., 2 vol., Paris, Rousseau, 1946 [1922], en particulier vol. 1, pp. 29-30.
  • [28]
    Sur É. Massard, voir Y. Combeau, Paris et les élections municipales…, op. cit., p. 346.
  • [29]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur la réorganisation du Service des étrangers à la Préfecture de police », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 32, 1922 [1921], p. 2.
  • [30]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement du Service des étrangers à la Préfecture de police », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 156, 1922 [1921], p. 2.
  • [31]
    Raymond B. Fosdick, European Police Systems, New York, Century, 1915 ; Götz Aly et Karl-Heinz Roth, Die restlose Erfassung : Volkszählen, Identifizieren, Aussondern im Nationalsozialismus, Francfort, Fischer Taschenbuch Verlag, 2000 [1984] ; David Kertzer et Denis Hogan, « On the Move : Migration in an Italian Community, 1865-1921 », Social Science History, n° 9, 1985, pp. 1-24 ; T. van den Brink, « The Netherlands Population Register », Sociologica Neerlandica, n° 3, 1966, pp. 322-53 ; Éric Heilmann, Des herbiers aux fichiers informatiques : L’Évolution du traitement de l’information dans la police, doctorat en sciences de l’information et de la communication, université de Strasbourg II, 1991 ; Nations Unies, « Methodology and Evaluation of Population Registers and Similar Systems », Studies in Methods, série F, n° 15, 1969.
  • [32]
    Donald N. Baker, « The Surveillance of Subversion in Interwar France : The Carnet B in the Seine, 1922-1940 », French Historical Studies, n° 10, 1978, pp. 486-516.
  • [33]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur la réorganisation…», op. cit., pp. 2-3.
  • [34]
    « Communication de M. le Préfet de police sur le régime des étrangers », Conseil municipal de Paris, Procès-verbaux, 15 juillet 1925, p. 1596.
  • [35]
    É. Massard, Conseil municipal de Paris, Procès-verbaux, 26 mars 1926, p. 539.
  • [36]
    Noël Pinelli, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1938 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 39, 1939, pp. 46-47.
  • [37]
    L. Picard, « Les Étrangers à Paris », op. cit., p. 22. Voir D. Eleanor Westney, « The Emulation of Western Organizations in Meiji Japan : The Case of the Paris Prefecture of Police and the Keishi-chö », The Journal of Japanese Studies, vol. 8, n° 2, 1982.
  • [38]
    Cité dans Alexis Spire, Sociologie historique des pratiques administratives à l’égard des étrangers en France (1945-1975), thèse de doctorat de sociologie, université de Nantes, 2003, p. 143.
  • [39]
    Morain, Conseil municipal de Paris, Procès-verbaux, 15 juillet 1925, pp. 1594-1595. Voir aussi APP, Ba/65p. « Action de la Préfecture de Police à l’égard des Étrangers en infraction aux Règlements ou indésirables », s.d. [1929 ?] ; CAC, 19940500, article 116. R. Langeron, « Réalisation des mesures proposées par le Préfet de Police pour renforcer la surveillance des étrangers », 30 août 1937 ; APP, Ba/65p. « Le Préfet de Police [Langeron] à M. le Ministre de l’Intérieur (Sûreté Nationale, 7e Bureau) », 28 mars 1939. Voir également de nombreux documents in APP, Db/336 ; APP, Da/745 et 746.
  • [40]
    Sur ce point, voir Patrick Weil, « Politiques d’immigration de la France et des États-Unis à la veille de la Seconde Guerre mondiale », Les Cahiers de la Shoah, n° 2, 1995, numéro spécial, André Kaspi (éd.).
  • [41]
    Sur l’intervention des gouvernements étrangers au nom de leurs ressortissants, voir par exemple APP, Da/742, Da/744, et Ba/278p ; Archives nationales (AN dans les notes suivantes) F7 13455, et particulièrement F713652 ; Archives départementales des Yvelines (AD Yvelines dans les notes suivantes) 1 W 1146 et 1147 ; Archives du ministère des Affaires étrangères, Z-Europe, 1930-1940, vol. 206, 354, et 368 ; CAC, 19940437, article 234 ; CAC, 19940457, article 80 ; CAC, 19940500, article 116.
  • [42]
    AD Aude, 12 J 36. « Discours de M. Albert Sarraut, Ministre de l’Intérieur », discours ronéotypé à l’Association de l’administration préfectorale, 2 juillet 1928, pp. 28, 30-31.
  • [43]
    AD Aude, 12 J 440, Préfecture de Police, Société amicale et de prévoyance, Annuaire 1938, vol. 55.
  • [44]
    R. Viellard, « Chez les étrangers à Paris », Police parisienne, n° 12, 1937, pp. 19-53, surtout pp. 25, 27-28, 34, 53. L’article précédent est paru dans Police parisienne, n° 7, août 1937, pp. 20-55.
  • [45]
    Julia Franke, Paris — eine neue Heimat ? Jüdische Emigranten aus Deutschland, 1933-1939, Berlin, Duncker & Humblot, 2000, p. 282.
  • [46]
    Créé en mars 1923, le fascio de Paris, émanation de l’État fasciste, se donnait pour objectif la préservation de la culture des Italiens vivant dans la capitale française. Voir Pierre Milza, « Le facisme italien à Paris », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 30, 1983, pp. 420-452.
  • [47]
    APP, Ba/1711, dossier 138.000-L-25. « Activité politique de la colonie italienne de la région parisienne au cours de l’année 1929 », février 1930.
  • [48]
    P. Weil, « Politiques d’immigration… », op. cit., pp. 75-76.
  • [49]
    AN, 2AG 618. « Note sur la Sûreté générale », s. d., cité par Marc-Olivier Baruch, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997, p. 378.
  • [50]
    Xavier Barthélemy, Des Infractions aux arrêtés d’expulsion et d’interdiction de séjour, Paris, Domat-Montchrestien, 1936, p. 47.
  • [51]
    APP, Ba/65p. Rapport ronéotypé, 23 juillet 1937.
  • [52]
    J.-M. Berlière et Laurent Chabrun, Les Policiers français sous l’Occupation, d’après les archives inédites de l’épuration, Paris, Plon, 2001, pp. 254-255 ; Denis Peschanski, « Dans la tourmente », in J.-M. Berlière et D. Peschanski, (éd.), La Police française (1930-1950). Entre bouleversements et permanences, Paris, La Documentation française, 2000, p. 64 ; J.-P. Brunet, Police de l’ombre…, op. cit., chap. ix.
  • [53]
    « Communication de M. le Préfet de police sur le régime des étrangers », Conseil municipal de Paris, Procès-verbaux, 15 juillet 1925, p. 1596. Les rapports annuels contiennent d’innombrables références à des fouilles et des descentes faites dans ce but.
  • [54]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1925 », op. cit., p. 86.
  • [55]
    Jean Balensi, « “Divisions étrangères” : Cinquante hommes qui en contrôlent cinq cent mille », Police parisienne, n° 12, 1937, p. 18.
  • [56]
    X. Barthélemy, Des Infractions…, op. cit., pp. 131-32 (c’est moi qui souligne).
  • [57]
    J. Balensi, « “Divisions étrangères”… », op. cit., p. 18.
  • [58]
    Pour un exemple d’étrangers qui parlaient bien le français et ayant échappé à ces restrictions, voir la lettre du Groupe des chambres syndicales du Bâtiment et des Industries diverses au préfet de police, 8 mars 1921, AN, F7 13651. Le taux d’immigration clandestine reste impossible à établir. Le directeur des RG à la fin des années 1930, J. Simon, l’estimait à environ 10 000 individus (La Direction des Renseignements généraux que j’ai connue, Saint-Brieuc, Les Presses bretonnes, 1956, p. 11).
  • [59]
    É. Massard, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1931 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 1, 1932 [1931], p. 22.
  • [60]
    Ibid., pp. 162-163 ; N. Pinelli, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1932 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 14, 1933, pp. 208-209.
  • [61]
    V. Caron, Uneasy Asylum…, op. cit., p. 45.
  • [62]
    N. Pinelli, « Rapport au nom de la 2e Commission, sur le fonctionnement des services de la Préfecture de police au cours de l’année 1934 », Conseil municipal de Paris, Rapports et documents, n° 27, 1935, pp. 221-222.
  • [63]
    APP, Ba/65p. Principal chargé de la Section active des Étrangers au Directeur des RG et des Jeux, 16 novembre 1938.
  • [64]
    D. N. Baker, « The Surveillance of Subversion… », op. cit., p. 497.
  • [65]
    CAC, 19940500 article 7, dossier 77.
  • [66]
    CAC, 19940462, articles 407-441, concerne essentiellement des Tunisiens et des Marocains expulsés d’Algérie.
  • [67]
    Sur la création de ces archives, voir CAC, 19940500, article 7, dossiers 76-77.
  • [68]
    CAC, 19940488 article 20. Le Préfet du Doubs à M. le Ministre de l’Intérieur, Direction Générale de la Sûreté Nationale, Direction de la Police du Territoire et des Étrangers, 6e Bureau, lettres du 26 décembre 1935 et du 4 novembre 1936.
  • [69]
    AD Yvelines, 1 W 1148-1149. Le Préfet de Seine-et-Oise à Monsieur le Sous-Préfet de Corbeil, 13 juillet [1927 ?].
  • [70]
    AD Yvelines, 1 W 1148-1149. Le Commissaire de Police d’Enghien-les-Bains à M. Le Préfet du Département [Seine-et-Oise], Enghien, le 5 juillet 1930.
  • [71]
    AD Yvelines, 1 W 1146, Le Commissaire de Police d’Essonnes à Monsieur le Sous-Préfet de Corbeil, 20 décembre 1929.
  • [72]
    APP, Ba/65p, dossier 51343-10. Rapport ronéotypé, Étrangers suspects, correspondance et rapports des RG, mai 1938.
  • [73]
    CAC, 19940457, article 92, dossier 7878.
  • [74]
    CAC, 19940472 article 269, Le Préfet de Police à Monsieur le Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur, 11 mars 1936.
  • [75]
    CAC, 19940499, article 6, dossiers 213 et 229.
  • [76]
    François Cavanna, Les Ritals, Paris, Belfond, 1978, p. 113.

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