Notes
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[*]
Ce texte a bénéficié des navettes avec le comité de rédaction et de nombreuses améliorations dues, en particulier, à Isabelle Merle.
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[1]
Chocolat de Claire Denis (1988), Coup de torchon de Bertrand Tavernier (1991), Indochine de Régis Wargnier (1992). La même année paraissent L’amant de Jean-Jacques Annaud et Dien Bien Phu de Pierre Schoendoerffer.
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[2]
Voir Histoire de la France coloniale, Paris, Armand Colin, coll. « Histoires-Colin », 1991, 2 tomes, I : Jean Meyer, Jean Tarrade, Annie Rey-Goldzeiguer, Jacque Thobie, Des origines à 1914. II : Charles-Robert Ageron, Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilbert Meynier, J. Thobie, 1914-1990.
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[3]
Jacques Berque en a présenté un bilan décapant : « Cent vingt-cinq ans de sociologie maghrébine », Annales ESC, n° 3, 1956, pp. 296-324 ; « sciences sociales et décolonisation », Tiers Monde, n° 9-10, 1962, pp. 1-15. Sur ce point, la critique des savoirs-pouvoirs lors des années 1968 a charrié le meilleur mais aussi le pire. L’une des évaluations les plus heuristiques du regard sur l’Autre est le trop méconnu : Henri Moniot (éd.), Le Mal de voir, Cahier Jussieu n° 2, université Paris VII, 1976.
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[4]
« Le fait colonial et nous », Vingtième Siècle, mars 1992, pp. 127-138. C. Coquery-Vidrovitch présente au même moment : « Le Tiers Monde, état des savoirs, histoire coloniale et décolonisation. Le cas impérial français », Cahier du Gemdev (Groupe économie mondiale et développement), 1991, centré surtout sur l’Afrique noire.
-
[5]
Voir Ch.-R. Ageron in Histoire de la France coloniale, op. cit., t. I, p. 570.
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[6]
André Mandouze, La révolution algérienne par les textes, Paris, Maspero, 1962.
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[7]
Lui-même auteur d’un essai : Les Français d’Algérie, Paris, Seuil, 1961.
-
[8]
Anonyme, OAS parle, Julliard, coll. « Archives », 1964. Voir Jean-François Sirinelli, « Guerre d’Algérie, guerre de pétitions ? », in Jean-Pierre Rioux et J.-F. Sirinelli (éd.), La guerre d’Algérie et les intellectuels français, Bruxelles, Complexe, 1991, pp. 265-306.
-
[9]
Le Monde du 23 mars 1956.
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[10]
Carrefour, 12 octobre 1960
-
[11]
Préface à Gilberto Freyre, Maîtres et esclaves, Paris, Gallimard, La Croix du Sud, 1952. Le rapprochement de ces trois noms montre l’impact de l’émergence du tiers monde dans les sciences sociales. Le mot « Tiers Monde » est inventé par Alfred Sauvy la même année : « Trois mondes et une planète », L’Observateur, 14 août 1952, p. 5.
-
[12]
Chez les marxistes, passablement en retard eux aussi, c’est un article de Jean Dresch, « Le fait national algérien », La Pensée, n° 68, 1956, pp. 3-13, qui affirme l’existence d’une nation algérienne. Point de vue développé in Yves Lacoste, André Nouschi et André Prenant, L’Algérie passé et présent, Paris, Éditions Sociales, 1960. A. Nouschi présente, après sa thèse sur « Les niveaux de vie indigènes dans les campagnes du Constantinois », étude critique de la colonisation sur les paysans, la première synthèse historique : Les origines du nationalisme algérien, Paris, Minuit, 1962. Sur ces débats, voir Claude Liauzu, Les intellectuels français au miroir algérien, Cahiers de la Méditerranée, université de Nice, n° 3, 1984.
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[13]
Henri Brunschwig, Mythes et réalités de l’impérialisme colonial français 1871-1914, Paris, Armand Colin, 1960 et contre lui : Jean Bouvier, « À propos des origines de l’impérialisme : l’installation des groupes financiers au Moyen-Orient (1860-1882) », La Pensée, n° 100, 1961, pp. 57-68 ; J. Bouvier, René Girault et J. Thobie, L’impérialisme à la française, 1916-1960, Paris, La Découverte, 1986. Ce débat n’est pas nouveau : il a opposé, dans les années 1930, Charles-André Julien et Fernand Braudel : « À propos de l’histoire de l’Afrique du Nord », Revue africaine, Alger, 1933, n° 354-355, pp. 37-53. La controverse, devenue passablement répétitive, a été relancée en 1984 par la thèse de Jacques Marseille : Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 1984, qui a mis en relief les éléments expliquant, selon lui, le caractère secondaire de la colonisation dans l’histoire du capitalisme européen, et les blocages opposés à la modernisation de l’économie française par le repli sur l’Empire.
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[14]
Ch.-A. Julien, L’Afrique du Nord en marche, nationalismes musulmans et souveraineté française, Paris, Julliard, 1952.
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[15]
Ces clivages sont bien à la fois scientifiques et politiques. La collection « Colonies et Empires » aux Presses universitaires de France (Puf), dirigée par Ch.-A. Julien, demeure inscrite dans un univers impérial où les colonisés n’apparaissent guère. Olivier Dumoulin dans J.-F. Sirinelli (éd.), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, p. 371 sous-estime la rupture de la guerre d’Algérie sur le plan scientifique.
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[16]
H. Moniot, « Pour une histoire de l’Afrique noire », Annales ESC, janvier-février 1962, pp. 46-64.
-
[17]
C. Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1899-1930, Paris, Mouton, 1972 ; C. Liauzu, Naissance du salariat et du mouvement ouvrier en Tunisie, Paris, CNRS, 1978.
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[18]
Voir Ch.-R. Ageron, Les Algériens musulmans et les Français, Paris, Puf, 1968 ; A. Rey-Goldzeiguer, Le Royaume arabe. Politique algérienne de Napoléon III, Alger, OPU, 1977 ; G. Meynier, « L’Algérie révélée. La guerre de 1914-1918 et le premier quart du xxe siècle », thèse, université de Nice, 1979.
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[19]
Jean Chesneaux avec sa thèse sur Le mouvement ouvrier chinois de 1919 à 1927, publiée en 1962 par Maspero, a ouvert une orientation de travail sur l’Asie du Sud-Est, développée par Daniel Hémery, Révolutionnaires vietnamiens et pouvoir colonial en Indochine, Paris, Maspero, 1975 et Pierre Brocheux, Histoire de l’Asie du Sud-Est. Révoltes, réformes, révolutions, Lille, Presses universitaires de Lille, 1981.
-
[20]
« Charles-Robert Ageron, historien de l’Algérie coloniale », in La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, Paris, Société française d’Histoire d’Outre-Mer, 2000, p. 6.
-
[21]
Tableau dans Gérard Noiriel, Qu’est-ce que l’histoire contemporaine ? Paris, Hachette, 1998, p. 131.
-
[22]
L’une de ses originalités tient à l’importance de l’histoire orale pour l’étude de peuples longtemps sans écriture et à l’art d’en tirer parti. Voir Claude-Hélène Perrot, Les Anyi-Ndenya et le pouvoir politique aux xviiie et xixe siècles, Paris, Sorbonne, 1982. Jean-Pierre Chrétien, pour sa part, inscrit son étude dans la longue durée : L’histoire rurale de la région des grands lacs, Paris, Karthala, 1983.
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[23]
Pascal Bruckner, Le sanglot de l’homme blanc, Paris, Seuil, 1983.
-
[24]
« Compte rendu du concours d’agrégation », Historiens et géographes, n° 271, 1978, p. 251.
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[25]
Jacques Frémeaux, « Les Bureaux arabes de la province d’Alger », thèse de 3e cycle, Toulouse, 1977 ; Les Bureaux arabes dans la conquête de l’Algérie, Paris, Denoël, 1993. Daniel Rivet, Lyautey et l’institution du Protectorat marocain, Paris, Karthala, 1983.
-
[26]
Benjamin Stora, Messali Hadj, Paris, EHESS, 1978 ; Mohammed Harbi, Le FLN. Mirage et réalité, Paris, Jeune Afrique, 1980.
-
[27]
Actes du colloque en l’honneur de Charles-Robert Ageron, Sorbonne novembre 2000, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 2000.
-
[28]
L’ouvrage de Paulette Péju, Ratonnades à Paris, Paris, Maspero, 1961, aussitôt paru est interdit. Dans une longue liste de titres, le livre de Jean-Luc Einaudi, La bataille de Paris, Paris, Seuil, 1991, fait date, et le procès perdu contre lui par Maurice Papon est largement médiatisé en 1999. L’association « Au nom de la mémoire », créée par des jeunes issus de l’immigration a accompli un travail considérable.
-
[29]
Voir Françoise Lanthaume, « Enseigner l’histoire de la guerre d’Algérie », Cahier Confluences Méditerranée, « Mémoires, espaces et tensions en Méditerranée contemporaine », à paraître en janvier 2002.
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[30]
Ce sont les historiens américains qui ont le plus avancé dans cette direction longtemps laissée en friche. Voir Alice Conklin, « Boundaries unbound : Teaching French History as Colonial History and Colonial History as French History », French Historical Studies, n° 23, 2000, pp. 215-238.
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[31]
Voir « Polémiques sur l’histoire coloniale », Manière de voir, n° 58, 2001, p. 25. Le Monde diplomatique a heureusement corrigé le tir dans son numéro de novembre 2001 : voir Samuel Tomei, « Un retour sur la question coloniale. Leçons de morale de l’histoire ».
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[32]
Philippe Bélaval, ancien directeur général des Archives nationales, souligne ce flou dans « Archives et République », Le Débat, n° 115, 2001, pp. 101-117.
-
[33]
Guy Braibant, Les archives en France. Rapport au premier ministre, Paris, La Documentation française, 1996.
-
[34]
Voir les travaux de la Société française pour l’histoire des sciences sociales, par exemple : Claude Blanckaert et al., L’histoire des sciences de l’homme. Trajectoire, enjeux et questions vives, Paris, L’Harmattan, 1999. On se permet aussi de renvoyer, sur ce point, au colloque tenu pour le trentième anniversaire de la fondation de l’université Paris VII-Denis Diderot : Transmettre les passés. Nazisme, Vichy, conflits coloniaux. Les responsabilités des universités, Paris, Syllepse, novembre 2001.
-
[35]
A. Conklin, A Mission to civilize. The Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895-1930, Stanford California, Stanford University Press, 1997.
-
[36]
J. Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers Monde, op. cit., pp. 1-15.
-
[37]
L’effort le plus remarquable pour rendre compte du phénomène national dans la situation de crise algérienne est : Omar Carlier, Entre Nation et Djihad. Histoire sociale du nationalisme algérien, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1995.
-
[38]
P. Brocheux et D. Hémery, Indochine, la colonisation ambiguë, rééd., Paris, La Découverte, 2001. Frederick Cooper et Ann Stoler, Tensions of Empire. Colonial Cultures in a Bourgeois world, Berkeley, University of California Press, 1997.
-
[39]
Sylvie Thénault, La justice dans la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 2001 ; Raphaëlle Branche, L’armée et la torture pendant la guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 2001.
-
[40]
Voir Pascal Blanchard, Nationalisme et colonialisme, thèse, université Paris I, 1994 ; Sandrine Lemaire, « L’Agence des colonies », thèse, Institut universitaire européen, Florence, 2000, et les travaux de l’Achac.
-
[41]
Isabelle Merle, Expériences coloniales. La Nouvelle-Calédonie, 1853-1920, Paris, Belin, 1995.
-
[42]
Françoise Raison-Jourdan, Bible et pouvoir à Madagascar, Paris, Karthala, 1991.
-
[43]
Voir par exemple, Sylvie Kandé (éd.), Discours sur le métissage, identités métisses, Paris, L’Harmattan, 1999 et la thèse d’Emmanuelle Saada qui doit être prochainement soutenue.
-
[44]
Véronique Dimier, « Formation des administrateurs coloniaux français et anglais entre 1930 et 1950 », thèse, université de Grenoble, 1999.
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[45]
Emmanuelle Sibeud, « La construction des savoirs africanistes en France », thèse EHESS, 1999.
-
[46]
Voir numéro spécial des Cahiers internationaux de sociologie, « Georges Balandier, lecture et relecture », vol. 101, janvier-juin 2001.
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[47]
On ne peut pas ne pas citer Edward Saïd, L’orientalisme, Paris, Seuil, 1978, ainsi que Culture et impérialisme, Paris, Fayard- Le Monde diplomatique, 2000, très discutables et très riches.
-
[48]
Mamadou Diouf, L’historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés post-coloniales, Paris, Karthala, 1999.
-
[49]
François-Xavier Fauvelle-Aymar, J.-P. Chrétien, C.-H. Perrot dans Afrocentrismes. L’histoire des Africains entre Égypte et Amérique, Paris, Karthala, 2000, présentent un dossier précis.
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[50]
Charles-Didier Gondola, « La crise de la formation en histoire africaine en France », Politiques Africaines, mars 1997, pp. 132-140.
-
[51]
Achille Mbembélé met à la fois en relief les insuffisances de la pensée occidentale sur l’Afrique et l’absence de réflexion africaine autonome : voir A. Mbembélé, De la post-colonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000.
-
[52]
Gérard Leclerc, La mondialisation culturelle. Les civilisations à l’épreuve, Paris, Puf, 2000.
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[53]
Cours de philosophie positive, 57e leçon, 1842. Présentation et notes de Jean-Pierre Enthoven, Paris, Hermann, 1975.
« Le savant qui se penche sur les problèmes afro-américains se trouve donc impliqué, qu’il le veuille ou non, dans un débat angoissant, puisque c’est de la solution qui lui sera donnée que sortira l’Amérique de demain. Il doit prendre conscience de ses conclusions – non pour farder la réalité – mais pour poursuivre, au cours de ses recherches, une autre recherche, parallèle, sur lui-même ; une espèce d’« auto-psychanalyse » intellectuelle, et cela qu’il soit noir ou qu’il soit blanc. »
1 Dans l’introduction des Amériques Noires, R. Bastide dit la nécessité d’un questionnement permanent pour tout travail scientifique. Les interrogations présentées ici – qui ne concernent que l’histoire française de la colonisation, afin d’en cerner les spécificités – ne sont pas exclusives de préoccupations pluridisciplinaires et comparatives. Si la tentative de proposer une vue d’ensemble du domaine d’étude – au risque d’être superficiel – plutôt que d’en analyser tel ou tel aspect, risque de paraître trop ambitieuse, il faut préciser d’entrée qu’elle tient à la conviction que tous les problèmes se tiennent et au souhait d’ouvrir un débat.
2 Jamais la guerre d’Algérie n’a été aussi présente dans notre mémoire collective. Le 10 juin 1999, le Parlement, renonçant aux euphémismes tels que « maintien de l’ordre » ou « pacification » dans les textes de loi sur le contingent, l’a appelée, enfin, par son nom. Depuis un an, et tout particulièrement en cet automne 2001, la presse a mis au premier plan le massacre par la police parisienne de plusieurs dizaines de manifestants algériens le 17 octobre 1961, ainsi que l’usage généralisé de la torture. Si elle n’a rien révélé des faits, qui étaient avérés depuis longtemps, elle les a imposés à l’attention. Mais la guerre d’Algérie ne doit pas cacher la forêt et masquer cinq siècles de colonisation. Comme en témoigne le succès de films aussi divers que Coup de torchon, Chocolat, Indochine [1]…, ou du téléfilm L’Algérie des chimères en novembre 2001, notre société manifeste un regain d’intérêt pour ce qui a été la « plus grande France ».
3 Cette attitude des médias et cette sensibilité de l’opinion tranchent sur l’indifférence de l’école historique française à l’égard d’un passé colonial qui ne représente guère que 3,5 % des titres de la Bibliographie annuelle de l’histoire de France. Les plus récentes des grandes synthèses datent d’une bonne décennie, et elles ont vieilli [2]. Aussi, les enseignants éprouvent-ils des difficultés sérieuses pour répondre à des besoins grandissants, pour exercer leur métier face à des guerres de mémoires qui traversent les salles de classes et, parfois, à des identités déchirées. Car les enjeux politiques surdéterminent le domaine.
4 Non que la recherche n’ait pas progressé : les générations d’historiens se renouvellent, de même que les thèmes d’études. Cependant, l’accumulation scientifique est hypothéquée par l’extrême cloisonnement entre les aires culturelles et entre les spécialités, et l’évolution se fait surtout par des variations des curiosités, par exemple par un glissement de l’économique et du politique vers l’anthropologie dans les vingt dernières années.
5 Ce paysage contrasté incite à s’interroger sur les conditions d’élaboration des connaissances concernant la colonisation et sur les possibilités de les intégrer à part entière dans notre mémoire et dans notre culture historique. Pour ce faire, il est commode de choisir trois moments à partir des années 1950-1960, ces dates ne signifiant pas que l’histoire produite pendant la période coloniale ne présenterait pas d’intérêt. Critiquée lors des décolonisations en raison des justifications qu’elle a apportées à l’expansion, de son instrumentalisation au service du contrôle des populations, elle a suscité un rejet négligeant ses acquis et laissant en friche des domaines où elle avait accumulé un capital important. Le problème du bon usage des savoirs coloniaux mériterait d’être reconsidéré, car on peut difficilement entreprendre une étude des politiques indigènes et des transformations qu’elles ont entraînées dans les sociétés dominées sans y avoir recours [3].
6 Mais, en fonction du choix retenu ici, tout commence avec la rupture qu’est la décolonisation. Elle s’effectue à travers un duel idéologique et scientifique où les anti-impérialistes prennent le dessus. Les années 1980-1990, second moment étudié, présentent, vingt ans après l’indépendance algérienne et alors que les mythes révolutionnaires tiers-mondistes se sont effondrés, un paysage très différent. Daniel Rivet l’a analysé dans un texte qui aurait mérité un débat. Selon lui, l’éloignement du fait colonial a entraîné un apaisement des passions et un dépassement des combats d’historiens, mais il constate aussi que cette prise de distance s’est accompagnée d’une éclipse dans le champ des savoirs [4]. On ne pouvait guère prévoir, dans les années 1980, quand 7 % des Français seulement considéraient la guerre d’Algérie comme une réalité majeure [5], l’importance qu’elle prendrait dans nos problèmes de mémoires. Aujourd’hui se dessine un troisième moment dans le débat public et dans la recherche, dont l’enjeu est crucial. Il ne s’agit plus, en effet, de revenir, comme certains semblent vouloir le faire, sur des dénonciations anciennes, mais bel et bien d’ouvrir de nouvelles pistes d’investigations pour traiter un passé qui, comme d’autres, « ne passe pas ».
Combats d’historiens dans la guerre d’Algérie
7 On sait que l’Affaire Dreyfus a été une affaire d’historiens, que certains d’entre eux – et non des moindres – s’y sont engagés avec les armes de leur méthode critique, que la profession a été profondément divisée. Sans trop forcer la comparaison, il est évident qu’une autre passion française, l’Algérie, a été également une guerre d’historiens. Comme lors de l’Affaire, ils ont apporté à la lutte politique leur compétence de chercheurs : par exemple dans l’établissement des faits concernant l’assassinat de Maurice Audin et la torture, ou dans la collecte de documents émanant du Front de libération nationale (FLN) [6]. Dans l’autre camp, c’est aussi un historien qui confie à Pierre Nora, directeur de la collection « Archives » [7], les documents publiés sous le titre OAS parle en 1964 [8]. Les historiens se montrent-ils plus sensibles à cette guerre que les spécialistes des autres disciplines ? Ils sont bien représentés, derrière les philosophes avec les sociologues et les ethnologues, parmi les 121, aussi bien que dans l’appel de l’Union pour le salut et le renouveau de l’Algérie française et dans le texte de soutien à Guy Mollet [9] rédigé par « des professeurs à la Sorbonne ». La droite historienne (Jacques Heurgon, Roland Mousnier, Francis Chamoux, Gilbert Picard, Pierre Chaunu, François Bluche) signe largement le premier « manifeste des intellectuels français » [10]. Cependant, les seuls se signalant ès qualité dans les pétitions sont les ethnologues : le 28 mars 1956, un « groupe d’ethnologues » s’adresse au président du Conseil.
8 Mais les engagements de l’époque ne se limitent pas à la recherche de la vérité et à la défense des valeurs humanistes ou de la nation. La décennie qui a ébranlé le monde – entre Dien Bien Phu (1954), la Conférence de Bandoung (1955), la nationalisation de canal de Suez (1956) et l’indépendance de l’Algérie (1962) – a projeté sur le devant de la scène comme acteurs, voire comme héros, ceux qui avaient été oubliés par l’histoire coloniale.
9
Pour prendre la mesure de la période, qu’on relise la préface de Lucien Febvre à Maîtres et esclaves de Gilberto Freyre, livre qui pose « à sa façon, dans son secteur à lui, le plus gros des problèmes qui se dressent en 1952, devant les porteurs de la vieille civilisation européenne. Partout, ils voient se révolter contre eux les peuples de couleur […] ». Ce soulèvement, qui met fin à notre domination, exige une réflexion renouvelée sur l’unité et la diversité du monde loin des carcans de l’académisme, insiste L. Febvre qui, transporté par le flot amazonien de l’écriture de G. Freyre, s’enthousiasme :
Dans l’enseignement, une ouverture au monde semble se faire dans les années cinquante. En 1959, l’étude des civilisations entre dans les programmes. Mais ces initiatives, qui suscitent beaucoup de réticences, sont rapidement gommées.« Ah, puissent-ils, les Brésiliens, comprendre leur bonheur. Puissent-ils ne pas troquer cette liberté d’allures, cet accord, cette intimité simplement renouée, sans tractations procédurières, avec leurs pères, ceux qui les ont engendrés, ceux qui ont déposé en eux tant de sentiments instinctifs et profonds, tant de façons d’être et d’agir toujours vivantes – puissent-ils ne pas troquer ce bienfait contre les pédantes règles d’une histoire de vieux, fiers paradoxalement de leurs artères cassantes et de leur sclérose [11]. »
10 Les décolonisations ont été, en effet, un défi scientifique, en raison de l’apparition de phénomènes nouveaux ou mal perçus auparavant – ce qu’il est convenu d’appeler le sous-développement, les mutations des sociétés colonisées et leur mobilisation politique – et de la découverte des nationalités jusqu’ici « assoupies, refoulées ou ignorées », selon la formule de Jacques Berque. Précisément, la reconnaissance de la réalité de la nation algérienne a rencontré des obstacles dans notre tradition historiographique et dans l’ethnocentrisme dominant [12]. Un autre débat emblématique de la période, sur l’impérialisme, oppose Henri Brunschwig et les marxistes qui, dans la tradition de Lénine, voient dans la colonisation le résultat d’un déterminisme économique [13]. Si cette théorisation n’a pas été exempte de dogmatisme, elle a orienté les recherches sur l’exploitation des sociétés dominées, la dépossession, le travail forcé…
11 Les décolonisations ont donc ouvert un front épistémologique, où les combats d’historiens ont été particulièrement vifs, l’interprétation du sens de la guerre d’Algérie en étant un enjeu direct. Cependant, il faut apporter deux compléments et nuances à ces affirmations.
12 Tout d’abord, ce sont des antiquistes surtout qui ont été les figures de proue des deux camps : Charles et G. Picard d’un côté, André Mandouze et Pierre Vidal-Naquet de l’autre. Les contemporanéistes et les spécialistes du Maghreb alors reconnus étant plus en retrait. Manifestement, l’Algérie n’est pas la cause où Charles-André Julien se sentait le plus à l’aise. L’importance de l’acteur politique et de l’historien – qui est titulaire de la chaire d’histoire coloniale de la Sorbonne – mérite attention. Ch.-A. Julien, qui a adhéré en 1920 à la IIIe Internationale, l’a quittée dès 1924 pour rallier la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Il y a joué un rôle d’expert, ainsi qu’auprès du gouvernement Blum sous le Front populaire. Sa part dans la solution négociée des crises marocaine et tunisienne entre 1954 et 1956 a été non négligeable. Dans L’Afrique du Nord en marche [14], il a fustigé le lobby colonial et les Européens d’Afrique du Nord, responsables des « occasions manquées » qui ont bloqué une évolution pacifique vers la décolonisation. Mais le scénario algérien, où il voit la main d’un Nasser exécré et du « panarabisme », où les élites francophones laïques et modérées sont débordées par les activistes, est le pire à ses yeux. Car Ch.-A. Julien est représentatif d’une gauche que les mouvements de masse inquiètent, et qui leur préfère un despotisme éclairé dans l’orbite de l’Occident [15].
13 Autre nuance, malgré leur intensité, ces débats n’ont jamais été centraux pour l’Université. Les Annales évitent de trop s’impliquer, et l’intérêt de la revue – demeurée très occidentalocentriste – est aux antipodes de l’accélération de l’histoire et du contemporain. Il faut ajouter que Fernand Braudel est très éloigné des anticolonialistes. Son début de carrière à Alger (où il a assumé le secrétariat des congrès scientifiques accompagnant le « Centenaire » de 1830), ses liens avec la communauté européenne ont joué dans ce sens, de même qu’une vision pessimiste de l’islam. Il est assez remarquable que, dans la réédition de sa thèse en 1966, il ne prenne guère en compte dans la mise à jour de la bibliographie les travaux qui se réclament de la critique du colonialisme et d’un renouvellement du regard sur les sociétés dominées. Ce sont les éditions Maspero et des chercheurs souvent en marge de l’académie qui jouent alors un rôle moteur essentiel.
14 Cependant, l’engagement étudiant contre les guerres d’Algérie et du Viêt-nam, puis la vague idéologique de mai 1968 – qui ont suscité un éloignement de la culture de la « vieille gauche » républicaine et une radicalisation idéologique – alimentent des vocations scientifiques. Cet élan a bénéficié aussi d’une augmentation du nombre des étudiants et de la création de la thèse de troisième cycle, qui a permis de multiplier les monographies. On peut parler ainsi d’une génération d’historiens engagés, qui a contribué à structurer de nouveaux domaines de recherche. La période est, en effet, celle où se constitue le champ des études développementalistes et tiersmondistes, à la jonction de plusieurs sciences sociales : l’économie, la géographie, la sociologie, la science politique, l’anthropologie en particulier. Dans cet ensemble, la part de l’histoire – qui suit les autres disciplines, plutôt qu’elle ne les précède – a consisté à réintroduire la temporalité dans l’étude de sociétés longtemps perçues comme inertes. Henri Moniot lui attribue cet objectif à propos de l’Afrique [16].
15 Si l’on tient compte du temps d’élaboration de la thèse d’État, les travaux importants aboutissent dans les années 1970. Ils portent plus spécialement sur les aspects économiques de la colonisation et les transformations sociales, l’apparition du salariat et du syndicalisme, sur les mouvements de libération [17]. L’Algérie, abordée d’un point de vue français, ou d’un point de vue qui s’efforce d’éclairer les dynamiques internes de la société dominée, demeure un objet d’étude majeur [18]. Ce qui domine c’est l’histoire de la question nationale, et, pour l’Asie, ses rapports avec le communisme [19].
16 Un historien constatait récemment que « la génération qui accède à la recherche historique aujourd’hui a du mal à réaliser l’ambiance intellectuelle de ces années 1960-1970 et à comprendre le mélange de pouvoirs de persuasion et d’intimidation du marxisme et du gauchisme tiers-mondiste [20] ». Il y a là quelque amplification. Un tableau des directions de thèses permet d’évaluer, même approximativement, l’influence des diverses sensibilités : les « patrons » que l’on peut classer comme « tiers-mondistes» n’en totalisent que 40 % [21].
17 Relativement épargnés par ces enjeux, les historiens de l’Afrique sub-saharienne ont pu, peut-être en bénéficiant d’une certaine distance, travailler sur la longue durée et adapter précocement à leur terrain certaines des orientations les plus fécondes de l’École des Annales ainsi que des études anglo-saxonnes, tout particulièrement l’histoire anthropologique [22]. Au total, ces années ont été fondatrices. Mais, la dynamique amorcée par les décolonisations et par les transformations des rapports Nord-Sud s’est trouvée rapidement confrontée à l’épreuve des réalités.
18 La prise de Saïgon, qui devient, en 1975, Ho Chi Minh Ville, est suivie de près par l’exode des boat people et, à la mort de Mao Zedong en 1976, se manifestent de plus en plus fortement les doutes sur la Révolution culturelle. La révélation du génocide cambodgien entre 1975 et janvier 1979 rappelle que les utopies peuvent être meurtrières. Les nouveaux philosophes, brûlant ce qu’ils avaient parfois adoré, répudient la révolution, tandis que les catastrophes politiques ou économiques du tiers-monde annihilent les illusions lyriques qui cèdent alors la place à la compassion humanitaire. Le succès d’un essai brillant et superficiel, Le sanglot de l’homme blanc, en tuant le tiers-mondisme sous le ridicule, témoigne de ce désenchantement [23].
Les années 1980-1990 : paysage après la bataille
19 Ce désenchantement politique et la crise des grandes idéologies ont eu leurs effets scientifiques. La revanche des sociétés contre les pouvoirs a pris parfois aussi l’allure d’une revanche contre les sciences de la société, et l’usure rapide des paradigmes qui organisaient le domaine – développement, tiers-monde, nation – a mis à mal les systèmes d’interprétations. Les chocs les plus brutaux ont sans aucun doute été, avec les goulags tropicaux, la surprise de la révolution iranienne et les remontées des fondamentalismes identitaires, qui n’entraient pas dans les catégories de pensée des années soixante.
20
Il en est résulté une décote des valeurs tiers- mondistes dans l’Université française, une chute brutale des vocations scientifiques et une crise du recrutement des jeunes chercheurs. Le temps n’est plus où les jurys s’indignaient, comme en 1978 – avec des accents quelque peu revanchards, dix ans après mai 1968 – à la lecture de dissertations traitant un sujet sur les Amériques à la fin du xviiie siècle :
Ces changements ont favorisé des réorientations. Corrigeant ce qu’avait d’excessif le manichéisme des années 1960-1970, les historiens ont redécouvert l’importance des acteurs de la colonisation [25]. L’usure des mythes tiers-mondistes a permis de regarder d’un œil plus critique la genèse des nationalismes, de redonner leur place aux vaincus et de mettre en lumière – après le travail pionnier et longtemps isolé de Mohammed Harbi – les germes des totalitarismes [26]. L’une des réactions contre la période antérieure a été aussi une prise de distance à l’égard des engagements politiques, le double rejet de l’histoire coloniale d’avant-hier et de l’histoire anticolonialiste d’hier. Cette sensibilité s’est affirmée en particulier à l’occasion du colloque « La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises » organisé par la Société française d’histoire d’outre-mer [27].« Quand il est question d’acculturation les jugements de valeur se multiplient au détriment du christianisme chargé de tous les péchés. Son action est uniformément jugée tout à la fois nocive et superficielle […] Le plus grave est la généralisation d’un primarisme moralisant et parfaitement anachronique où les jugements de valeur dispensent de toute réflexion originale […] [24]. »
21
Les principaux arguments peuvent être présentés ainsi :
- à l’encontre des débauches théoriciennes auxquelles a succombé le marxisme universitaire, la priorité doit revenir aux faits, et ce d’autant plus que l’histoire de la colonisation ne saurait traiter par le mépris l’étude d’événements encore insuffisamment connus ;
- contre les passions partisanes, le « regard froid » de l’historien est le garant de l’objectivité, qui est aux antipodes de la mémoire ;
- l’historien professionnel ne saurait se confondre avec les journalistes et les militants. Ce qui le définit avant tout, c’est l’application de sa méthode critique aux documents, et l’écrit demeure le document par excellence ;
- les garanties scientifiques et morales qu’il présente justifient un droit d’accès particulier aux archives, auquel ne sauraient prétendre les amateurs.
22 En outre, contrairement à leur revendication d’un monopole du savoir objectif, les historiens n’échappent pas à la concurrence et aux tensions entre « amateurs » et professionnels. Ce ne sont pas les universitaires d’abord qui ont fait progresser la vérité sur le massacre du 17 octobre 1961. Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, ce sont des militants, au prix d’un travail considérable mené par les associations antiracistes et par des descendants d’immigrés algériens [28].
23 Aussi, est-il impossible de s’en tenir à la dichotomie dissociant histoire et mémoire. La meilleure façon de les distinguer – ce qui est indispensable – serait de se pencher sur leurs relations pour fonder un questionnement propre à la discipline. Qui d’entre nous ignore que l’histoire s’est structurée à partir de l’enseignement, c’est-à-dire d’une fonction sociale consacrée à la mémoire nationale ? Les deux millions de soldats qui ont eu « vingt ans dans les Aurès » n’étaient-ils pas de purs produits de l’école Ferry-Lavisse ? La colonisation invite à s’interroger sur les liens qui se sont noués à partir de la IIIe République entre savoir spécialisé, éducation nationale, projet politique et identité de la France [29]. Notre discipline a eu pour tâche de neutraliser les conflits idéologiques et d’élaborer un consensus à propos des moments critiques, de la Révolution française, des luttes sociales et politiques du xixe siècle, puis de Vichy [30]. Les commissions d’historiens, constituées pour exploiter les documents de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, se situent dans la même logique : non pas, certes, celle de proposer une vérité officielle, et moins encore un mensonge, mais la part de vérité compatible avec les paradigmes patriotiques. N’est-ce pas cette vocation qui entraîne la difficulté éprouvée par l’institution à prendre en charge certains passés, la difficulté, par exemple, d’intégrer la guerre d’Algérie dans les programmes ? Cela est une évidence. Autre chose est de présenter l’enseignement de l’histoire comme une variante de l’histoire officielle des pays totalitaires. Que Maurice Maschino soit dans son rôle d’imprécateur outrancier quand il le fait ne porte guère à conséquence, mais on a du mal à comprendre qu’une association d’historiens comme l’Achac – association de chercheurs sur l’Afrique contemporaine – soutienne que « les manuels d’histoire sont de véritables véhicules de l’histoire officielle » [31].
24 Parmi les autres raisons de la discrétion des historiens, la dépendance à l’égard des archives pèse lourd. Cette dépendance (« sans archives il n’y a pas d’histoire ») n’a certes plus la même portée aujourd’hui qu’au xixe siècle, mais elle a été fondatrice de la discipline. Elle explique que la guerre d’Algérie ait été écartée des sujets de thèses présentables jusqu’à ces derniers temps. Le problème est assez important pour justifier quelques précisions. La loi de 1979 autorise la consultation des documents trente ans après les faits, mais elle ajoute des prolongations considérables pour les dossiers dits « sensibles » selon une formule aussi convenue que floue [32]. On sait que cette loi est en question depuis le « rapport Braibant » de 1996, qui annonçait une réforme malheureusement sans cesse repoussée jusqu’ici en raison des réticences de la classe politique [33]. Ceux mêmes qui sont chargés de mettre en œuvre le texte – les archivistes et les administrations concernés – sont si conscients de ses insuffisances qu’ils s’appliquent à ne pas l’appliquer et accordent des dérogations de plus en plus fréquentes aux chercheurs. Le paradoxe n’est pas mince, et il se complique de problèmes scientifiques et déontologiques graves. Car les « autorisations exceptionnelles », outre leur part d’arbitraire, mettent en cause un des fondements du métier, le caractère collectif de la critique et de la validation des résultats, qu’elles rendent impossible. Quant aux accords entre une administration et tel historien ou tel groupe d’historiens ou encore telle institution, chargés de l’utilisation des fonds, ils constituent une privatisation d’archives de nature publique.
25 Le résultat est une sorte d’anomie du milieu professionnel. En dehors d’une minorité qui fait campagne pour une modification de la législation, les spécialistes sont restés en retrait dans un débat qui les implique pourtant très directement.
26 Mais ce désistement n’est plus possible en raison du profond besoin de savoir porté par la remontée du refoulé de la guerre d’Algérie. Le rôle des médias dans cette remontée a surpris autant les militants que les historiens, et il exigerait une réflexion sur leurs rapports avec le quatrième pouvoir. L’importance de la presse n’est pas exempte d’effets pervers, quand le devoir de mémoire et les jugements moraux entrent en contradiction avec les exigences de la recherche, quand la compétence scientifique et l’audience ne sont pas forcément synonymes.
L’histoire de la colonisation aujourd’hui : un paysage contrasté
27 Après la reconnaissance des responsabilités des puissances européennes et de l’Église dans l’antisémitisme, après la reconnaissance de celles de l’État français dans le génocide qui a frappé les Juifs, l’esclavage a été déclaré crime contre l’humanité et la colonisation est l’objet d’une condamnation morale.
28 Dans cette conjoncture, la longue amnésie officielle concernant les crises des décolonisations, les guerres de mémoires – opposant les pieds-noirs, les nostalgiques des colonies, les anciens combattants, les immigrés et leurs descendants, les anticolonialistes – l’absence de consensus minimum sur les faits, la place du prétoire et de la presse dans les débats favorisent les tentations de surenchères et la propension à cultiver le rôle du procureur. L’histoire procès que Marc Bloch critiquait fleurit donc. Aujourd’hui, la facilité serait d’oublier ses belles pages appelant à comprendre, à expliquer plutôt que de juger. Or les questions d’histoire ne manquent pas.
29 On maîtrise mal le problème des relations entre les sciences et les idéologies, voire les mythologies d’une société, qui est trop souvent traité soit par la dénonciation, soit au contraire par l’angélisme, soit par l’oubli. C’est le cas des rapports étroits qui ont été noués entre l’étude de l’homme et la pensée raciale depuis le xixe siècle jusqu’à l’effondrement du nazisme [34].
30 Les liens entre la IIIe république et l’impérialisme, les contradictions entre le principe de citoyenneté et le statut de sujet, les codes dits de l’indigénat auxquels ont été soumis les colonisés, l’adhésion à une vision hiérarchique des sociétés par des familles d’esprit et des partis se réclamant de la gauche ont été encore peu abordés [35]. Questions complexes sur lesquelles les réponses toutes faites n’apportent rien. Ce n’est certes pas en cultivant un discours qui n’est, en dernière analyse, que le doublet inversé du discours colonialiste, que les historiens pourront aider la société française à prendre en charge un passé qui passe si mal.
31 L’anticolonialisme a posteriori et anachronique, très hexagonaliste, ne permet pas non plus d’analyser les sociétés dominées, ce qui devrait être une tâche prioritaire, car il n’y a pas de pays sous-développés, il n’y a que des pays sous-étudiés [36]. Il n’éclaire pas les germes des pouvoirs autoritaires dans les mouvements nationalistes, ainsi que les facteurs expliquant pourquoi « les ancêtres redoublent de férocité », comme disait Kateb Yacine, c’est-à-dire les aspects conservateurs des cultures populaires [37]. Son manichéisme l’amène à négliger les cheminements ambigus de la modernité à travers les relations inégales entre colonisateurs et colonisés, de même qu’il néglige les multiples types de contacts, de résistances, mais aussi de subversion et d’accommodation et les cas de passages identitaires [38].
32 D’autres cheminements se font jour. Ils sont dus à des chercheurs, dont les plus jeunes, nés bien après la fin de la guerre d’Algérie, sont animés par des motivations différentes des générations précédentes, et pour lesquels le regard historien sur un passé loin d’être mort n’est plus dépendant de l’immédiateté politique. La volonté de passer des mémoires à l’histoire en assumant la tension qui en résulte est féconde [39].
33 L’une des caractéristiques actuelles de l’étude de la période coloniale est aussi l’élargissement de l’éventail des thèmes, qui reflète l’éclatement de l’histoire. De nombreux travaux ont été réalisés sur les représentations et l’imaginaire coloniaux [40]. Signe d’un rééquilibrage, on réétudie aujourd’hui les colons, oubliés depuis les années 1960, en les inscrivant dans leurs rapports avec les indigènes [41]. Dans le même sens, la problématique missionnaire est élargie aux nouvelles chrétientés [42]. Quant aux analyses sociales, elles glissent du monde du travail, de la bourgeoisie ou des paysans vers les jeunes, les femmes et les rapports de sexe. Longtemps demeurés dans un point aveugle, les métis apparaissent comme des révélateurs des contradictions du système [43]. La question des politiques coloniales conduit à celle du contrôle des dominés par la violence, mais aussi par l’éducation, l’administration et par la collaboration des élites indigènes [44]. Le genre contestataire des années 1968 n’a pas épuisé l’étude de la production de connaissance [45].
34 À l’évidence, un besoin de réflexion sur les problématiques et sur les thèmes de recherche se manifeste dans le milieu des spécialistes. La relecture de la notion de situation coloniale élaborée par Georges Balandier dans les années 1950 en est un exemple [46].
Perspectives des études post-coloniales
35 Quel peut donc être leur devenir ? Il dépend d’un ensemble de conditions, mais d’abord de leur place dans la demeure de Clio. Leur marginalité dans une école française désespérément hexagonale représente un handicap. L’investissement dans l’apprentissage d’une langue et d’une civilisation, très lourd, est si peu pris en considération par les instances académiques que les historiens des sociétés musulmanes et asiatiques choisissent souvent de se domicilier dans l’orientalisme. Quant à l’insertion de ces recherches dans le champ développementaliste et tiers-mondiste, très centré sur les problèmes contemporains, et dont les paradigmes sont économicistes, elle les éloigne aussi de la discipline.
36 Il faut ajouter que, en raison de l’éclatement des spécialités, l’étude de l’aspect métropolitain de la colonisation est mal articulée avec celle des sociétés colonisées. Un tel morcellement est d’autant plus préjudiciable qu’il est très peu compensé par des travaux comparés, dont la recherche française en général et l’orientalisme en particulier ne sont guère friands. Enfin, l’absence de pôles constituant l’unité du domaine, de problématique autonome de l’histoire de la colonisation, le nombre réduit de spécialistes rendent difficile une accumulation.
37 Devant un bilan aussi pauvre, on peut être tenté de prendre une certaine distance avec le milieu scientifique français et de se situer dans un espace transnational. Une telle perspective renvoie d’abord, bien sûr, aux rapports privilégiés entre les historiens du Sud et ceux des anciennes métropoles. Privilégiés ne signifie certes pas harmonieux. On a même pu dire, non sans quelque raison, que les chercheurs algériens et français constituaient un « couple maudit ».
38 Ces relations sont, en effet, à la fois inévitables et parfois conflictuelles. Inévitables, car les premières générations nationales de spécialistes dans le tiers-monde ont été formées, après les indépendances, par les universités des anciennes métropoles. Mais, dans la concurrence entre clercs, ceux du Sud conjuguent la double légitimité de la modernité et de l’authenticité. Au contraire, sur ceux du Nord, pèse toujours la suspicion d’un savoir partiel et partial, complice des anciennes ou nouvelles dominations, ou du moins prisonnier de son extériorité. L’orientalisme et l’ethnographie surtout ont ainsi fait l’objet d’une répudiation en règle [47].
39 Les nouveaux États se sont donc attachés à construire un système national d’éducation et de recherche. Les subaltern studies indiennes sont un exemple positif de cette reprise de soi [48]. Mais la fonction civique attribuée à l’histoire la rend particulièrement sensible aux captations. Au Maghreb, en Algérie tout particulièrement, elle a été l’une des premières disciplines (avec la philosophie) à avoir été précipitamment arabisée, au risque de se déconnecter du milieu scientifique occidental. Autre risque, qui n’a pas été évité, elle a été soumise au discours de légitimité des pouvoirs. Elle subit, de manière plus générale, la crise des sciences sociales, qui n’ont pu relever le double défi du développement et de l’identité.
40 La tentation d’hypostasier les spécificités culturelles est d’autant plus grande que les remontées fondamentalistes se sont affirmées avec force dans les deux dernières décennies. Il est certain que la prétention à l’universalité de la culture occidentale est restée prisonnière de notre provincialisme et des rapports de domination qui ont présidé à la connaissance de l’altérité. Mais la quête de paradigmes propres – arabité, islamité… – censés organiser la connaissance n’est pas mieux parvenue à maîtriser « la dialectique du local et de l’universel », de l’endogène et de l’exogène, comme y appelait J. Berque. La Révolution iranienne et l’islamisme, les conflits ethniques et religieux qui se sont multipliés dans le tiers-monde ont eu de lourdes conséquences sur les sciences sociales, dont certains questionnements risquent d’être considérés comme blasphématoires. En Égypte, par exemple, on encourt facilement l’accusation d’apostasie.
41 La disqualification des savoirs du Nord sur le Sud a pris d’autres formes, et l’une des variantes qui agite actuellement le milieu des spécialistes, est la querelle sur l’afrocentrisme. Ce qu’il est convenu d’appeler ainsi – et qui a pris son essor aux États-Unis sur les décombres du mouvement pour les droits civiques – repose sur un certain nombre d’affirmations : origine noire de la civilisation égyptienne, et, à travers elle, grecque ; antériorité de la découverte de l’Amérique par les Africains ; naissance de l’humanité sur le continent noir… [49]. Politique Africaine s’en est fait l’écho en mars 1997. Un chercheur afro- américain y a mis en cause le néocolonialisme, l’attachement à « leur monopole des africanistes français », leur « volonté de propager l’idéologie française en Afrique » et leur participation à la main mise politique exercée par leur gouvernement. Il incrimine l’insuffisante représentation des spécialistes d’origine africaine dans nos universités (ce qui est une réalité déplorable) et revendique une recherche afrocentrée « productrice de ses propres préoccupations et interrogations ». « Il ne s’agit pas de questionner la compétence scientifique des africanistes français, souvent bien outillés, à produire du savoir sur le champ historique africain. Mais, plutôt de s’interroger sur leur légitimité à décider des problématiques vers lesquelles doit se concentrer la recherche et à fournir un cadre idéologique forcément francocentriste dans lequel doivent se dérouler les débats [50]. » Tout débat, souligne-t-il, doit d’abord « poser un problème de légitimité et d’orientation idéologique ». La scission de l’African Studies Association en 1969 et la formation de l’African Heritage Studies Association regroupant les afro-américains est présentée comme un modèle.
42 Heureusement, le conflit des cultures véhiculé par les sciences n’est pas toujours la chose la mieux partagée [51]. À cet égard, un changement récent dans les relations entre les intellectuels mérite attention. Une partie de ceux des pays arabes et de l’Iran, victimes de persécutions intégristes et des dictatures, ont pris leurs distances à l’égard des absolus identitaires et en ont entrepris une critique sans complaisance. Les émigrations et les exils (massifs dans le cas algérien par exemple) ont eu pour effet de favoriser des situations d’exterritorialité et le développement d’espaces mixtes entre spécialistes du Nord et du Sud, propices à un renouvellement de la réflexion sur la position du chercheur à l’égard de son objet d’étude.
43 Plutôt que la définition exclusive d’une centralité (celle de l’Occident ou celle du Sud), ce qui paraît le plus prometteur est le croisement d’angles de vision multiples [52].
44 Les pays hier colonisés ont été projetés dans une dynamique dont la nation est une composante fondamentale et une étape, mais non pas l’horizon unique qu’en ont fait les nationalismes. Avec l’usure des systèmes politiques, avec le renouvellement des générations, dans des pays où la plus grande partie de la population est née après les indépendances, l’histoire ne parle plus guère à des sociétés en mal de mémoire, et pas du tout à la jeunesse. Dans les mouvements de reconstruction de leur passé, ces sociétés sont amenées à réévaluer aussi leur patrimoine colonial refoulé.
45
En France, le repli cartiériste, qui a dominé dans le dernier demi-siècle, s’est appuyé sur le socle eurocentriste constitutif des sciences de l’homme qu’Auguste Comte avait légitimé :
Mais, aujourd’hui, comprendre notre société, c’est faire un retour au colonial. Loin d’être enfoui dans « le temps de la marine à voiles et de la lampe à huile » – pour reprendre une expression gaullienne – ce passé est on ne peut plus vivant. Il l’est dans certaines formes françaises de xénophobie, anti-arabe en particulier, comme dans la (provisoirement) dernière grande immigration des années 1950-1970, et dans des réalités culturelles – les musiques de toutes les couleurs, raï, rap – auxquelles l’Alma Mater n’a pas encore accordé l’attention qu’elles méritent, parce que perçues comme triviales, il l’est dans l’enracinement de l’islam.« La sociologie doit considérer exclusivement le développement effectif des populations les plus avancées, en écartant, avec une scrupuleuse persévérance, toute vaine et irrationnelle digression sur les divers autres centres de civilisation indépendante, dont l’évolution a été, pour des causes quelconques, arrêtée jusqu’ici à un état plus imparfait […] Notre explication historique devra donc être uniquement réduite à l’élite ou l’avant-garde de l’humanité [53]. »
46 Se connaître, c’est donc aussi effectuer un détour par l’autre. Il n’est plus possible d’ignorer que la colonisation a été l’une des composantes du processus contradictoire et conflictuel de mondialisation des sociétés. Le Congrès mondial des sciences historiques tenu à Oslo en 2000 en a fait une question majeure avec la « rencontre des cultures entre continents ».
47 Comment conclure autrement qu’en soulignant la nécessité de sortir du pré-carré, d’interroger notre histoire en la comparant avec celle des autres, de soumettre nos paradigmes à une confrontation avec les études anglo-saxonnes, américaines bien sûr, mais aussi avec celles élaborées au Sud ?
Notes
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[*]
Ce texte a bénéficié des navettes avec le comité de rédaction et de nombreuses améliorations dues, en particulier, à Isabelle Merle.
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[1]
Chocolat de Claire Denis (1988), Coup de torchon de Bertrand Tavernier (1991), Indochine de Régis Wargnier (1992). La même année paraissent L’amant de Jean-Jacques Annaud et Dien Bien Phu de Pierre Schoendoerffer.
-
[2]
Voir Histoire de la France coloniale, Paris, Armand Colin, coll. « Histoires-Colin », 1991, 2 tomes, I : Jean Meyer, Jean Tarrade, Annie Rey-Goldzeiguer, Jacque Thobie, Des origines à 1914. II : Charles-Robert Ageron, Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilbert Meynier, J. Thobie, 1914-1990.
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[3]
Jacques Berque en a présenté un bilan décapant : « Cent vingt-cinq ans de sociologie maghrébine », Annales ESC, n° 3, 1956, pp. 296-324 ; « sciences sociales et décolonisation », Tiers Monde, n° 9-10, 1962, pp. 1-15. Sur ce point, la critique des savoirs-pouvoirs lors des années 1968 a charrié le meilleur mais aussi le pire. L’une des évaluations les plus heuristiques du regard sur l’Autre est le trop méconnu : Henri Moniot (éd.), Le Mal de voir, Cahier Jussieu n° 2, université Paris VII, 1976.
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[4]
« Le fait colonial et nous », Vingtième Siècle, mars 1992, pp. 127-138. C. Coquery-Vidrovitch présente au même moment : « Le Tiers Monde, état des savoirs, histoire coloniale et décolonisation. Le cas impérial français », Cahier du Gemdev (Groupe économie mondiale et développement), 1991, centré surtout sur l’Afrique noire.
-
[5]
Voir Ch.-R. Ageron in Histoire de la France coloniale, op. cit., t. I, p. 570.
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[6]
André Mandouze, La révolution algérienne par les textes, Paris, Maspero, 1962.
-
[7]
Lui-même auteur d’un essai : Les Français d’Algérie, Paris, Seuil, 1961.
-
[8]
Anonyme, OAS parle, Julliard, coll. « Archives », 1964. Voir Jean-François Sirinelli, « Guerre d’Algérie, guerre de pétitions ? », in Jean-Pierre Rioux et J.-F. Sirinelli (éd.), La guerre d’Algérie et les intellectuels français, Bruxelles, Complexe, 1991, pp. 265-306.
-
[9]
Le Monde du 23 mars 1956.
-
[10]
Carrefour, 12 octobre 1960
-
[11]
Préface à Gilberto Freyre, Maîtres et esclaves, Paris, Gallimard, La Croix du Sud, 1952. Le rapprochement de ces trois noms montre l’impact de l’émergence du tiers monde dans les sciences sociales. Le mot « Tiers Monde » est inventé par Alfred Sauvy la même année : « Trois mondes et une planète », L’Observateur, 14 août 1952, p. 5.
-
[12]
Chez les marxistes, passablement en retard eux aussi, c’est un article de Jean Dresch, « Le fait national algérien », La Pensée, n° 68, 1956, pp. 3-13, qui affirme l’existence d’une nation algérienne. Point de vue développé in Yves Lacoste, André Nouschi et André Prenant, L’Algérie passé et présent, Paris, Éditions Sociales, 1960. A. Nouschi présente, après sa thèse sur « Les niveaux de vie indigènes dans les campagnes du Constantinois », étude critique de la colonisation sur les paysans, la première synthèse historique : Les origines du nationalisme algérien, Paris, Minuit, 1962. Sur ces débats, voir Claude Liauzu, Les intellectuels français au miroir algérien, Cahiers de la Méditerranée, université de Nice, n° 3, 1984.
-
[13]
Henri Brunschwig, Mythes et réalités de l’impérialisme colonial français 1871-1914, Paris, Armand Colin, 1960 et contre lui : Jean Bouvier, « À propos des origines de l’impérialisme : l’installation des groupes financiers au Moyen-Orient (1860-1882) », La Pensée, n° 100, 1961, pp. 57-68 ; J. Bouvier, René Girault et J. Thobie, L’impérialisme à la française, 1916-1960, Paris, La Découverte, 1986. Ce débat n’est pas nouveau : il a opposé, dans les années 1930, Charles-André Julien et Fernand Braudel : « À propos de l’histoire de l’Afrique du Nord », Revue africaine, Alger, 1933, n° 354-355, pp. 37-53. La controverse, devenue passablement répétitive, a été relancée en 1984 par la thèse de Jacques Marseille : Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 1984, qui a mis en relief les éléments expliquant, selon lui, le caractère secondaire de la colonisation dans l’histoire du capitalisme européen, et les blocages opposés à la modernisation de l’économie française par le repli sur l’Empire.
-
[14]
Ch.-A. Julien, L’Afrique du Nord en marche, nationalismes musulmans et souveraineté française, Paris, Julliard, 1952.
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[15]
Ces clivages sont bien à la fois scientifiques et politiques. La collection « Colonies et Empires » aux Presses universitaires de France (Puf), dirigée par Ch.-A. Julien, demeure inscrite dans un univers impérial où les colonisés n’apparaissent guère. Olivier Dumoulin dans J.-F. Sirinelli (éd.), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, p. 371 sous-estime la rupture de la guerre d’Algérie sur le plan scientifique.
-
[16]
H. Moniot, « Pour une histoire de l’Afrique noire », Annales ESC, janvier-février 1962, pp. 46-64.
-
[17]
C. Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1899-1930, Paris, Mouton, 1972 ; C. Liauzu, Naissance du salariat et du mouvement ouvrier en Tunisie, Paris, CNRS, 1978.
-
[18]
Voir Ch.-R. Ageron, Les Algériens musulmans et les Français, Paris, Puf, 1968 ; A. Rey-Goldzeiguer, Le Royaume arabe. Politique algérienne de Napoléon III, Alger, OPU, 1977 ; G. Meynier, « L’Algérie révélée. La guerre de 1914-1918 et le premier quart du xxe siècle », thèse, université de Nice, 1979.
-
[19]
Jean Chesneaux avec sa thèse sur Le mouvement ouvrier chinois de 1919 à 1927, publiée en 1962 par Maspero, a ouvert une orientation de travail sur l’Asie du Sud-Est, développée par Daniel Hémery, Révolutionnaires vietnamiens et pouvoir colonial en Indochine, Paris, Maspero, 1975 et Pierre Brocheux, Histoire de l’Asie du Sud-Est. Révoltes, réformes, révolutions, Lille, Presses universitaires de Lille, 1981.
-
[20]
« Charles-Robert Ageron, historien de l’Algérie coloniale », in La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, Paris, Société française d’Histoire d’Outre-Mer, 2000, p. 6.
-
[21]
Tableau dans Gérard Noiriel, Qu’est-ce que l’histoire contemporaine ? Paris, Hachette, 1998, p. 131.
-
[22]
L’une de ses originalités tient à l’importance de l’histoire orale pour l’étude de peuples longtemps sans écriture et à l’art d’en tirer parti. Voir Claude-Hélène Perrot, Les Anyi-Ndenya et le pouvoir politique aux xviiie et xixe siècles, Paris, Sorbonne, 1982. Jean-Pierre Chrétien, pour sa part, inscrit son étude dans la longue durée : L’histoire rurale de la région des grands lacs, Paris, Karthala, 1983.
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[23]
Pascal Bruckner, Le sanglot de l’homme blanc, Paris, Seuil, 1983.
-
[24]
« Compte rendu du concours d’agrégation », Historiens et géographes, n° 271, 1978, p. 251.
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[25]
Jacques Frémeaux, « Les Bureaux arabes de la province d’Alger », thèse de 3e cycle, Toulouse, 1977 ; Les Bureaux arabes dans la conquête de l’Algérie, Paris, Denoël, 1993. Daniel Rivet, Lyautey et l’institution du Protectorat marocain, Paris, Karthala, 1983.
-
[26]
Benjamin Stora, Messali Hadj, Paris, EHESS, 1978 ; Mohammed Harbi, Le FLN. Mirage et réalité, Paris, Jeune Afrique, 1980.
-
[27]
Actes du colloque en l’honneur de Charles-Robert Ageron, Sorbonne novembre 2000, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 2000.
-
[28]
L’ouvrage de Paulette Péju, Ratonnades à Paris, Paris, Maspero, 1961, aussitôt paru est interdit. Dans une longue liste de titres, le livre de Jean-Luc Einaudi, La bataille de Paris, Paris, Seuil, 1991, fait date, et le procès perdu contre lui par Maurice Papon est largement médiatisé en 1999. L’association « Au nom de la mémoire », créée par des jeunes issus de l’immigration a accompli un travail considérable.
-
[29]
Voir Françoise Lanthaume, « Enseigner l’histoire de la guerre d’Algérie », Cahier Confluences Méditerranée, « Mémoires, espaces et tensions en Méditerranée contemporaine », à paraître en janvier 2002.
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[30]
Ce sont les historiens américains qui ont le plus avancé dans cette direction longtemps laissée en friche. Voir Alice Conklin, « Boundaries unbound : Teaching French History as Colonial History and Colonial History as French History », French Historical Studies, n° 23, 2000, pp. 215-238.
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[31]
Voir « Polémiques sur l’histoire coloniale », Manière de voir, n° 58, 2001, p. 25. Le Monde diplomatique a heureusement corrigé le tir dans son numéro de novembre 2001 : voir Samuel Tomei, « Un retour sur la question coloniale. Leçons de morale de l’histoire ».
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[32]
Philippe Bélaval, ancien directeur général des Archives nationales, souligne ce flou dans « Archives et République », Le Débat, n° 115, 2001, pp. 101-117.
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[33]
Guy Braibant, Les archives en France. Rapport au premier ministre, Paris, La Documentation française, 1996.
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[34]
Voir les travaux de la Société française pour l’histoire des sciences sociales, par exemple : Claude Blanckaert et al., L’histoire des sciences de l’homme. Trajectoire, enjeux et questions vives, Paris, L’Harmattan, 1999. On se permet aussi de renvoyer, sur ce point, au colloque tenu pour le trentième anniversaire de la fondation de l’université Paris VII-Denis Diderot : Transmettre les passés. Nazisme, Vichy, conflits coloniaux. Les responsabilités des universités, Paris, Syllepse, novembre 2001.
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[35]
A. Conklin, A Mission to civilize. The Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895-1930, Stanford California, Stanford University Press, 1997.
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[36]
J. Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers Monde, op. cit., pp. 1-15.
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[37]
L’effort le plus remarquable pour rendre compte du phénomène national dans la situation de crise algérienne est : Omar Carlier, Entre Nation et Djihad. Histoire sociale du nationalisme algérien, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1995.
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[38]
P. Brocheux et D. Hémery, Indochine, la colonisation ambiguë, rééd., Paris, La Découverte, 2001. Frederick Cooper et Ann Stoler, Tensions of Empire. Colonial Cultures in a Bourgeois world, Berkeley, University of California Press, 1997.
-
[39]
Sylvie Thénault, La justice dans la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 2001 ; Raphaëlle Branche, L’armée et la torture pendant la guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 2001.
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[40]
Voir Pascal Blanchard, Nationalisme et colonialisme, thèse, université Paris I, 1994 ; Sandrine Lemaire, « L’Agence des colonies », thèse, Institut universitaire européen, Florence, 2000, et les travaux de l’Achac.
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[41]
Isabelle Merle, Expériences coloniales. La Nouvelle-Calédonie, 1853-1920, Paris, Belin, 1995.
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[42]
Françoise Raison-Jourdan, Bible et pouvoir à Madagascar, Paris, Karthala, 1991.
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[43]
Voir par exemple, Sylvie Kandé (éd.), Discours sur le métissage, identités métisses, Paris, L’Harmattan, 1999 et la thèse d’Emmanuelle Saada qui doit être prochainement soutenue.
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[44]
Véronique Dimier, « Formation des administrateurs coloniaux français et anglais entre 1930 et 1950 », thèse, université de Grenoble, 1999.
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[45]
Emmanuelle Sibeud, « La construction des savoirs africanistes en France », thèse EHESS, 1999.
-
[46]
Voir numéro spécial des Cahiers internationaux de sociologie, « Georges Balandier, lecture et relecture », vol. 101, janvier-juin 2001.
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[47]
On ne peut pas ne pas citer Edward Saïd, L’orientalisme, Paris, Seuil, 1978, ainsi que Culture et impérialisme, Paris, Fayard- Le Monde diplomatique, 2000, très discutables et très riches.
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[48]
Mamadou Diouf, L’historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés post-coloniales, Paris, Karthala, 1999.
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[49]
François-Xavier Fauvelle-Aymar, J.-P. Chrétien, C.-H. Perrot dans Afrocentrismes. L’histoire des Africains entre Égypte et Amérique, Paris, Karthala, 2000, présentent un dossier précis.
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[50]
Charles-Didier Gondola, « La crise de la formation en histoire africaine en France », Politiques Africaines, mars 1997, pp. 132-140.
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[51]
Achille Mbembélé met à la fois en relief les insuffisances de la pensée occidentale sur l’Afrique et l’absence de réflexion africaine autonome : voir A. Mbembélé, De la post-colonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000.
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[52]
Gérard Leclerc, La mondialisation culturelle. Les civilisations à l’épreuve, Paris, Puf, 2000.
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[53]
Cours de philosophie positive, 57e leçon, 1842. Présentation et notes de Jean-Pierre Enthoven, Paris, Hermann, 1975.