Genèses 2001/4 no45

Couverture de GEN_045

Article de revue

La construction juridique d'une politique de notables

Le double jeu des patriciens du barreau Indien sur le marché de la vertu civique

Pages 69 à 90

Notes

  • [1]
    Ce terme désignait les indigènes qui servaient d’intermédiaires aux marchands coloniaux. Nous l’avons utilisé pour rappeler que les héritiers des notables locaux, formés dans les écoles de droit européennes ont rempli un rôle similaire au plan politique, en Asie comme en Amérique latine. Voir Yves Dezalay, Bryant Garth, The Internationalization of Palace Wars : Lawyers, Economists and the Contest to Transform Latin American States, Chicago, University of Chicago Press, à paraître en 2002.
  • [2]
    Effectivement, pour être complète, cette démarche devrait aussi prendre en compte la concurrence avec d’autres savoirs d’État, comme l’économie, et insister beaucoup plus qu’on ne le fait ici sur les relations entre les lawyers et le monde des affaires. À titre d’exemple, voir Y. Dezalay, B. Garth, The Internationalization of Palace Wars…, op. cit. ; « Law, Lawyers and Social Capital : “Rule of Law” versus Relational Capitalism », Social and Legal Studies, vol. 6, n° 1, 1997, pp. 109-143. Voir aussi : Christophe Charle, « Pour une histoire sociale des professions juridiques à l’époque contemporaine : note pour une recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 76-77, 1989. Victor Karady, « Une nation de juristes : des usages sociaux de la formation de juriste dans la Hongrie d’ancien régime », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 86-87, 1991.
  • [3]
    Sur la violence symbolique de ces logiques d’État, voir Pierre Bourdieu : « Esprits d’État ; Genèse et structure du champ bureaucratique », in Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Le Seuil, 1994.
  • [4]
    Y. Dezalay, B. Garth, Dealing in Virtue, Chicago, University of Chicago Press, 1986.
  • [5]
    P. Bourdieu, « La force du droit, Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, pp. 5-19, 1986 ; Réponses, Paris, Seuil, 1992, p. 207.
  • [6]
    La stratification du barreau a été formellement abolie par le Advocates Act de 1961 (Samuel Schmitthener, « A Sketch of the Development of the Legal Profession in India », Law & Society Review, vol. 3, n° 2, 1968-1969, p. 360), qui institue un All India Bar, tout en tolérant – à titre provisoire – une survivance de la distinction coloniale entre barristers et solicitors dans les grands barreaux de Bombay et Calcutta, où subsiste d’ailleurs une différenciation de fait entre haute et basse justice. Car les grosses affaires, essentiellement commerciales, peuvent venir directement devant la High Court, qui fonctionne en parallèle comme instance d’appel pour des affaires plus routinières. Il va sans dire que cette tolérance a perduré. Encore aujourd’hui, ces deux barreaux se côtoient sans se mélanger. Leur organisation professionnelle et leurs lieux de rencontre sont bien distincts. Selon l’un de nos interlocuteurs, l’un garde l’allure d’un club britannique avec de profonds fauteuils en cuir, pendant que l’autre se contente de bancs en bois, sans dossiers.
  • [7]
    Le barreau de la Cour suprême compte un peu moins de 4 000 membres, par rapport aux quelque 600 000 lawyers que compterait l’Inde d’après une estimation qui nous a été donnée par l’actuel Law Minister. Même en y ajoutant l’élite des principaux barreaux, notamment Bombay, on peut estimer que ce petit groupe qui parle au nom du barreau ne représente guère plus de 1 % des praticiens du droit.
  • [8]
    Les limites assez floues de cette définition peuvent choquer par rapport aux démarches usuelles en histoire ou en sociologie. Par contre elles sont conformes à la notion d’un champ, avec son noyau dur et ses frontières, poreuses et mouvantes. Le principal intérêt heuristique d’une telle conceptualisation est d’attirer l’attention sur les enjeux qui se jouent précisément sur ces marges d’un champ professionnel. Car c’est là notamment que l’on peut observer la mobilité des personnes et la circulation des ressources sociales ou financières entre le champ juridique et les champs du pouvoir économique ou politique, que les représentations institutionnelles tendent à laisser dans l’ombre.
  • [9]
    S. Schmitthener, « A Sketch of the Development of the Legal Profession in India », Law & Society Review, vol. 3, n° 2, 1968-1969, p. 365. En effet, il s’agissait de séjours longs. Car, avant d’être admis par les Inns, la plupart des étudiants indiens commençaient par étudier en Grande-Bretagne pendant quatre ou cinq ans.
  • [10]
    Ibid., p. 369.
  • [11]
    Ibid., p. 375.
  • [12]
    Déjà, dans les années soixante, S. Schmittener s’étonne que ses propres observations ne fassent que reproduire celles faites à propos du barreau de Madras au milieu du xixe siècle.
  • [13]
    Voir Richard L. Abel, « England and Wales : A Comparison of the Professional Projects of Barristers and Solicitors », in R. Abel, Philip S. Lewis (éd.), Lawyers in Society, The Common Law World, Berkeley ; University of California Press, 1988. Voir aussi : Joginder S. Gandhi, « Past and Present : A Sociological Portrait of the Indian Legal Profession », in R. L. Abel, Ph. S. Lewis (éd.), Lawyers in Society, The Common Law World, Berkeley, University of California Press, 1988, p. 376.
  • [14]
    Bien évidemment, c’est encore plus facile quand le jeune barrister vient d’une famille qui compte un ou des juges – ce qui n’est pas exceptionnel compte tenu de l’endogamie du milieu et du mode de recrutement de la haute justice. Selon l’un de nos interlocuteurs, lui-même fils d’un Chief Justice, « c’est que ce nous appelons ici une justice à la gueule de l’avocat » (face law). Car les arguments d’une plaidoirie passent bien mieux quand ils s’adressent à un juge qui est aussi un parent. »
  • [15]
    S. Schmitthener, « A Sketch… », op. cit., p. 346.
  • [16]
    Ibid., p. 348.
  • [17]
    Ibid., p. 370. Voir aussi l’excellente biographie de la famille Nehru : Jad Adams et Phillip Whitehead, The Dynasty, The Nehru-Gandhi story, Londres, Penguin, 1997, pp. 9 et suiv.
  • [18]
    « L’Inde est devenue le laboratoire pour les réformes judiciaires inspirées par la mouvance libérale » (whiggish) Voir Rajeev Dhavan, « Judges and Indian Democracy : the Lesser Evil ? », in Francine R. Frankel et al., Transforming India, Social and Political Dynamics of Democracy, New Dehli, Oxford University Press, 2000, p. 317. « Pour la plupart des Britanniques, la mise en place de la rule of law sur le continent indien fut probablement considérée comme une des réussites du British raj dont ils sont le plus fier », Lloyd I. Rudolph, Susanne Hoeber Rudolph, « Barristers and Brahmans in India », dans In Pursuit of Lakshmi, The Political Economy of the Indian State, Chicago, University of Chicago Press, 1987, p. 34.
  • [19]
    « Curieusement, le mouvement pour l’indépendance n’a guère insisté pour des changements radicaux dans le système juridique. […] On s’est contenté “d’indigéniser” le sommet de la pyramide judiciaire. », R. Dhavan, « Judges… », op. cit., p. 319.
  • [20]
    Voir S. Schmitthener, « A Sketch… », op. cit., pp. 372 et 378.
  • [21]
    « Ayant pris conscience du potentiel que représentaient les barristers pour diriger la société indienne, un des leaders parsi les plus clairvoyants avait ouvert un fonds pour financer cet apprentissage. […] La profession d’avocat apparaissait comme une des voies naturelles pour faire avancer la nation indienne. Des espoirs qui furent amplement réalisés […] » (ibid., p. 366).
  • [22]
    Ibid, p. 372.
  • [23]
    Cette appellation dérogatoire était donnée par les colons britanniques pour dénoncer l’accès trop facile des Indiens à des juridictions où leurs mandataires (Vakil) étaient passés maîtres en procédure.
  • [24]
    Voir R. Dhavan, « Judges… », op. cit., p. 318. L’analyse faite par Edward P. Thompson (Whigs and Hunters, Londres, Allen Lane, 1975) des contradictions inhérentes à une justice qui participe d’une domination symbolique vaut, a fortiori, dans le rapport colonial.
  • [25]
    « Le parti du Congress a commencé comme un regroupement d’élites régionales anglicisées qui avaient surtout en commun des intérêts et un style de vie qui les distinguaient profondément de la grande majorité des Indiens qu’ils prétendaient représenter », L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit., p. 127. J. Adams et Ph. Whitehead, (The Dynasty…, op. cit., p. 25) suggèrent qu’un des principaux objectifs des fondateurs du Congress était aussi de faire reconnaître les mérites de cette nouvelle classe de professionnels par une aristocratie impériale qui les ignorait, au profit d’une politique coloniale reposant sur des arrangements directs avec les familles régnantes des États princiers.
  • [26]
    S. Schmitthener, « A sketch… », op. cit., p. 378.
  • [27]
    Voir J. Adams et Ph. Whitehead, The Dynasty…, op. cit., pp. 54 et suiv.
  • [28]
    Ibid., pp. 380 et 381.
  • [29]
    En effet, on pourrait appliquer à beaucoup de ces ascètes de la politique la remarque gentiment ironique de la fille du Mahatma Gandhi : « Si mon père savait tout ce que ça coûte pour le garder dans sa pauvreté ! ».
  • [30]
    Ibid. p. 382. Certes, ce diagnostic pessimiste fut sans conteste influencé par les orientations idéologiques des missionnaires du law & development qui, avant de s’en dissocier, partageaient l’idéologie des promoteurs des politiques de développement, notamment leurs critiques à l’encontre d’un barreau accusé de mobiliser toutes les ressources de la procédure pour freiner les projets de réforme agraire.
  • [31]
    Ainsi, l’un de ces senior advocates, qui fut un dirigeant du barreau avant d’être ministre, considère qu’il est tout à fait naturel que les ténors du barreau poursuivent leur carrière dans la politique grâce à leur maîtrise du langage : « Quand vous possédez la maîtrise du verbe d’un bon avocat, quoi de plus naturel que de vouloir porter ses ambitions vers une tribune bien plus vaste, celle de l’arène politique. Le barreau est un marchepied naturel pour la politique. » (entretien).
  • [32]
    « La profession juridique n’a fait que répondre aux demandes des clients qui avaient les moyens de la payer. Elle s’est mise au service du groupe qui avait les principaux intérêts à protéger : les propriétaires fonciers », Herbert C. L. Merillat, « Law and Land Reform in India », Law & Society Review, vol. 3, n° 2, 1968-1969, pp. 295-299.
  • [33]
    Charles R. Epp parle d’une profession « qui bouge à la vitesse des glaciers ! » Voir Ch. R. Epp, The Rights Revolution, Lawyers, activists and Supreme Courts in Comparative Perspective, Chicago, University of Chicago Press, 1998, p. 101. Effectivement, on ne peut qu’être frappé par le fait que les observations faites par George H. Gadbois J. R. en 1969 restent parfaitement d’actualité. Voir G. H. Gadbois J. R. « Indian Supreme Court Judges : A Portrait », Law & Society Review, vol. 3, n° 2, 1968-1969, pp. 317-337.
  • [34]
    Ce pourcentage relevé par G. H. Gadbois dans les années 1960 reste identique vingt ans plus tard, selon J. S. Gandhi (« Past and… », op. cit., p. 376)
  • [35]
    « Le juge typique est un personnage apolitique qui, tout au long de sa carrière, s’est gardé de s’engager ouvertement dans des activités politiques », G. H. Gadbois, « Indian Supreme… », op. cit., vol. 1, p. 330.
  • [36]
    Cet écart entre les rémunérations des hauts juges et les revenus des ténors du barreau n’a fait que s’accroître. Au point de poser actuellement, nous a-t-on dit, de sérieux problèmes de recrutement pour la haute justice.
  • [37]
    H. C. L. Merillat les décrit comme « des grands propriétaires fonciers, souvent absentéistes et prélevant dans certains cas, des rentes si élevées qu’elles soulevaient des protestations de la part des fermiers exploités. » (« Law and Land… », op. cit., p. 295).
  • [38]
    Même si le parti du Congrès domine le champ politique, il est lui-même divisé autour de ces questions de réforme agraire, particulièrement au niveau des États dont c’est la compétence. H. C. L. Merillat souligne que « au niveau des États, la politique est dominée par les grands propriétaires et les paysans aisés » (ibid. p. 297).
  • [39]
    « En se cantonnant dans les strictes limites d’un raisonnement purement juridique et d’une interprétation purement formelle et technique de la Constitution, les juridictions ont bloqué tous les efforts des gouvernements successifs du parti du Congrès en faveur de changements économiques ou sociaux. Cette rigidité des hautes cours a encouragé les dirigeants étatiques à essayer de les affaiblir ou de contourner cette obstruction. », L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit. p. 104.
  • [40]
    Il s’agit de l’examen par le juge de la conformité de la loi à la Constitution.
  • [41]
    Avec l’arrêt Golak Nath de 1967. En 1973, un autre arrêt vient nuancer, mais aussi renforcer cette affirmation en énonçant que le Parlement est tenu de respecter les basic structure ou essential features de la constitution. Les hauts juges se réservant, cela va sans dire, le pouvoir de préciser le contenu de ces notions, pour vérifier si le Parlement a outrepassé ses droits (L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit. p. 110).
  • [42]
    Le Président du All India Bar aurait ainsi déclaré publiquement : « On leur demandait de se plier et ils se sont couchés ! ».
  • [43]
    La meilleure synthèse est celle de L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph dans In Pursuit…, op. cit. Mais on peut consulter aussi les analyses de praticiens plus directement engagés dans ces luttes : Upendra Baxi, The Indian Cour suprême and Politics, Lucknow, India, Eastern Book Company, 1980 ; R. Dhavan, « Judges… », op. cit. ; S. K. Verma Kusum (éd.) Fifty Years of the Cour Suprême of India, Its Grasp and Reach, New Dehli, Oxford University Press, Indian Law Institute, 2000.
  • [44]
    Ch. R., Rights Revolution…, op. cit.
  • [45]
    À la suite d’un accord conclu avec le premier Président de l’Inde, Patel Rep Vallabhai, quelques centaines de familles princières bénéficiaient d’une rente annuelle à perpétuité de quelques millions de roupies (privy purse), garantie par la constitution en échange de l’abandon de leur souveraineté. L’abolition de ces privilèges avait été décidée après les élections de 1967, en raison de la radicalisation du parti du Congrès. Mais elle dut être instaurée par décret présidentiel du fait de l’opposition du Sénat. Et cette décision fut invalidée par la Cour (ibid. p. 108).
  • [46]
    L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit., p. 104.
  • [47]
    On peut d’ailleurs se demander si la disparition de ce grand juriste, très influent auprès d’Indira Gandhi, n’a pas contribué à cette surenchère qui a abouti à la proclamation de l’Emergency.
  • [48]
    L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit., p. 111.
  • [49]
    Parmi lesquels on trouve d’ailleurs bon nombre d’anciens du Congress, en dissidence avec les orientations socialistes d’I. Gandhi ou heurtés par les méthodes utilisées par son fils Sanjay, pour se constituer une clientèle de jeunes politiciens aussi dévoués que peu scrupuleux (ibid., pp. 85 et 140).
  • [50]
    Ce Congress I (I pour Indira) s’oppose au « paternalisme ainsi qu’à cette mentalité aristocratique – « noblesse oblige » – caractéristiques des castes supérieures (twice-born) qui dirigent le Congress O (O pour organization) » (ibid., p. 168).
  • [51]
    Voir J. S. Gandhi, « Past and Present… », op. cit., pp. 369-382. Même s’ils reflètent en grande partie un effet de génération (les lawyers des cabinets ministériels sont pour la plupart des représentants de la vieille génération, issue des luttes de l’indépendance), ces pourcentages restent cependant remarquables. Car les voies d’accès aux carrières d’État ou de la politique se sont multipliées, alors que l’offre émanant du barreau reste strictement limitée par un mode de reproduction familial et très élitiste. De surcroît, ce type de carrière devient moins rentable – en raison de la fragilité des coalitions gouvernementales qui accélère le renouvellement (turn-over) du personnel politique – et surtout plus risquée : « Au début des années 1990, c’est un nombre sans précédent de ministres qui ont été mis en accusation pour corruption, tant au niveau fédéral qu’à celui des États », L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, « Redoing the Constitutionnal Design : From an Interventionist to a Regulatory State », in Atul Kohli, (éd.), Against the Odds ; India’s Democracy at Fifty, Cambridge University Press, 2000.
  • [52]
    Notamment en renouant avec la seniority rule, quitte à nommer comme Chief Justice l’un des partisans d’I. Gandhi (L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit., p. 116).
  • [53]
    Ch. R. Epp, Rights Revolution…, op. cit. p. 85. R. Dhavan considère que « cette période de revalorisation et de promotion de l’autorité judiciaire est spectaculaire à double titre : non seulement, la Cour réussit à restaurer son image alors que celle-ci était au plus bas, mais elle devient de surcroît une des institutions clefs du nouveau régime de gouvernement (governance) » (« Judges… », op. cit., p. 331).
  • [54]
    Voir P. N. Bhagwati, « Judicial Activism and Public Interest Litigation » Columbia Journal of Transnational Law, vol. 23, 1985, p. 561.
  • [55]
    L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph citent (In Pursuit…, op. cit., p. 108) deux déclarations publiées par la revue Statesman en avril 1980, peu après le retour au pouvoir d’I. Gandhi : Pour Lyer, « le droit, tel qu’il a été modelé par les britanniques pour servir leurs intérêts de classe, n’est pas approprié aux conditions sociales de l’Inde d’aujourd’hui ». Quant à P. N. Bhagwati, futur Chief Justice, il n’hésite pas à jouer les sycophantes d’I. Gandhi avec beaucoup d’emphase : « Je suis convaincu qu’avec votre volonté de fer et votre ferme détermination, votre instinct sans faille et votre vision du futur, votre compétence administrative et votre vaste expérience, mais aussi l’amour et l’affection irrésistibles de votre peuple, […] vous serez parfaitement capable de diriger le navire de l’État vers les objectifs que nous chérissons tous […] ».
  • [56]
    « Comme la Cour avait une conception de l’activisme judiciaire qui pouvait s’intégrer dans l’agenda populiste des gouvernements d’Indira (1980-1984) et de Rajiv (1985-1989), ni l’un ni l’autre de ces premiers ministres du Congress n’ont considéré le PIL (Public Interest lawyering) comme une menace à l’égard de la souveraineté parlementaire revendiquée par leur parti » (L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, « Redoing… », op. cit.).
  • [57]
    R. Dhavan, « Judges… », op. cit., p. 314.
  • [58]
    Ainsi, R. Dhavan (ibid. p. 317) rappelle la conception très ancienne du rôle social du juge en Inde, qui devait être une sorte de conscience morale du chef, tout en restant très conscient des limites de son autorité symbolique : « éviter toute confrontation directe » au profit de « remontrances discrètes ».
  • [59]
    Notamment dans le monde anglo-saxon où la promotion du PIL est assurée par des juristes indiens, comme U. Baxi ou R. Dhavan, qui en sont les acteurs, après avoir contribué à cette importation.
  • [60]
    Voir Y. Dezalay « Juristes purs et marchands de droit : division du travail de domination symbolique et aggiornamento dans le champ du droit », Politix, n° 10-11, 1990.
  • [61]
    Cependant, nos enquêtes biographiques ont montré que le poids de l’héritage reste très fort dans la plupart des pays d’Amérique latine ou d’Asie. Voir Y. Dezalay, B. Garth, « Law, Lawyers… », op. cit. ; The Internationalization of Palace Wars…, op. cit.

1 Fortement marqué par son histoire coloniale, le champ juridique indien illustre de manière exemplaire les effets d’une imbrication étroite du droit et de la politique. Si les juristes-politiciens ont été les pères de l’État indien, c’est l’un des leurs – Jawarharlal Nehru – qui les a accusés d’avoir détourné à leur profit les grands principes constitutionnels. Car l’élite du barreau s’est mobilisée contre la réforme agraire en jouant à la fois de son entregent politique et des ressources de la procédure pour défendre les intérêts d’une clientèle de notables, auxquels elle s’identifiait d’autant plus aisément qu’elle en était issue. Certes, plus tard, en défendant les libertés civiles lors de l’instauration de l’état d’urgence (Emergency) par Indira Gandhi, le barreau a réussi à restaurer son image publique, sans pour autant regagner les positions perdues dans le champ politique. Puis, à son tour, la Cour suprême s’est lancée dans un activisme judiciaire en faveur des plus défavorisés, avant de s’engager dans la défense de l’environnement et la lutte contre la corruption – ce qui lui vaut aujourd’hui d’être reconnue comme l’arbitre légitime des conflits entre politiciens. L’affirmation de l’autonomie du droit peut apparaître ainsi comme le corollaire, sinon l’effet de l’affaiblissement de la position des juristes dans le champ du pouvoir d’État.

2 Pour comprendre ce paradoxe et ces revirements, il est essentiel de revenir sur la genèse coloniale de cette élite de compradores[1] du droit qui a construit l’État indien. Dans les premières années de la république, les héritiers de lignées familiales de juristes, formés dans les Inns of Courts du colonisateur, recueillent les fruits de leur engagement dans les luttes d’indépendance : ils forment le noyau du champ politique. Cette réussite exceptionnelle doit aussi beaucoup au capital social et économique dont ils héritent et qui leur permet de convertir la notoriété professionnelle en capital politique. Paradoxalement, cet investissement de l’aristocratie du droit dans la construction de l’État se fait aux dépens de l’autonomie du champ juridique. Car les plus dotés ou les plus ambitieux de ces clercs ont tout intérêt à préserver une définition de l’excellence professionnelle qui leur permette de cumuler des positions diversifiées au carrefour du droit, de l’économie et de la politique.

3 La situation n’est plus la même aujourd’hui. Certes, les dirigeants du barreau appartiennent encore à cette génération de grands notables qui pouvait mener de front le droit et la politique. Mais ce double jeu est devenu beaucoup plus difficile et risqué, dès lors que l’autonomie du champ politique s’est construite autour d’idéologies – comme le développementalisme ou l’hindouisme – bien différentes, sinon opposées à celles d’un droit fortement marqué par les ambiguïtés et les compromis d’une élite coloniale. Le mode de reproduction familiale qui garantissait l’homogénéité sociale des notables du barreau s’adapte difficilement à la compétition scolaire qui prévaut désormais sur le marché des savoirs d’État. En outre, cet habitus aristocratique ne convient guère à des luttes politiques exacerbées par une surenchère populiste et traditionaliste. On aboutit ainsi à une situation paradoxale : pour préserver des positions de plus en plus menacées dans le champ du pouvoir, les élites politiques du champ juridique n’ont d’autres solutions que de renforcer les institutions – comme la Cour suprême – sur lesquelles repose l’affirmation de l’autonomie du juridique et de sa distance à l’égard du politique. En les conduisant à se démarquer des professionnels de la politique, cette stratégie d’investissement dans le droit les place en position d’arbitre ; de ce fait elle rend plus difficile le cumul des rôles et le double jeu qui leur avaient valu prospérité et prestige.

4 L’analyse des relations du juridique et du politique doit donc s’inscrire dans une démarche d’histoire sociale. Le savoir-faire du barreau n’est pas automatiquement convertible en capital politique. Il convient de s’interroger sur les déterminations sociologiques qui pèsent sur la structuration du champ juridique, comme sur celle des institutions et des savoirs d’État [2]. Pour comprendre l’imbrication de ces deux lieux de pouvoir, il faut partir des stratégies de reproduction des élites qui s’y jouent en parallèle, voire de manière complémentaire. Car la transmission familiale d’un capital de notoriété juridique a longtemps représenté une des voies privilégiées d’accès au champ du pouvoir et une des ressources les plus valorisées sur le marché de la vertu civique.

L’enquête

Notre démarche de recherche repose essentiellement sur des entretiens biographiques (en l’occurrence un peu plus d’une centaine) avec les principaux représentants des différents savoirs (comme le droit et l’économie) et des individus occupant des positions institutionnelles (praticiens, universitaires, administrateurs, hommes politiques, responsables d’organisations non gouvernementales – ONG – consultants, journalistes…) dont les stratégies contribuent à structurer le champ des professionnels d’État. Ces entretiens nous permettent de recueillir des informations très personnelles sur les origines sociales, les réseaux familiaux, les trajectoires professionnelles, les alliances et les oppositions. Notre premier objectif est d’esquisser une sorte de cartographie des positions dans le champ, en fonction des différentes espèces de capitaux sociaux qui peuvent y être mobilisés. Ainsi, en soulignant l’importance du capital familial, généralement occultée dans les discours professionnels, ces biographies nous permettent de relire en termes stratégiques toute une production savante qui vise à renforcer – ou remettre en question – la hiérarchie des pratiques juridiques (ou économiques) et leur inscription dans le champ des savoirs et des pouvoirs d’État. Ce type d’enquête qui doit être poursuivi dans d’autres pays d’Asie, a été appliqué à l’Amérique latine. Voir Y. Dezalay, B. Garth, The Internationalization of Palace Wars…, op. cit.

5 Pour essayer de minimiser les effets d’objectivation inscrits dans les institutions juridiques comme dans les logiques d’État [3], les descriptions qui suivent s’efforcent d’éclairer les structures du champ professionnel par l’histoire sociale qui a contribué à les produire, avant de les redéfinir en permanence. C’est ce qui nous a conduit à privilégier trois séquences cruciales pour saisir la dynamique politique de cette histoire structurale :

  • La première est de loin le plus importante ; car les stratégies familiales de promotion d’une élite compradore éclairent à la fois la genèse coloniale du barreau indien et la réussite de ses stratégies étatiques.
  • Le recrutement social du barreau éclaire aussi le double jeu de ces juristes politiciens : au nom de la défense des intérêts des grands propriétaires, ils incitent la Cour suprême à mobiliser la Constitution pour affirmer son autonomie à l’égard du politique. Ces contradictions culminent avec la proclamation de l’état d’urgence en 1975 : car c’est autour du barreau que les juristes politiciens se regroupent pour dénoncer ce coup d’État contre les libertés constitutionnelles.
  • La défaite d’I. Gandhi, en 1977 et l’échec de la tentative de restauration de l’hégémonie des juristes politiques ouvrent la voie à une recomposition de la division du travail qui devient plus complexe dans le champ juridique comme dans celui du pouvoir d’État. La haute justice s’affirme comme arbitre d’un jeu politicien à l’égard duquel les notables du barreau ont pris leurs distances, car ils jouent désormais la carte de l’internationalisation.

D’une génération à l’autre : deux modèles d’excellence

Pour illustrer de manière plus explicite les hypothèses qui viennent d’être évoquées, il suffit de comparer les trajectoires de deux générations successives au sein d’une lignée familiale de notables du barreau.
P. qui fut Chief Justice of India avant d’être nommé à la Cour internationale de justice de La Haye est le fils d’un lawyer qui termina sa carrière comme vice-président de l’Inde, après avoir été un des proches conseillers de J. Nehru et ministre de la justice d’I. Gandhi. Cependant, avant d’entamer une carrière d’État, le père commence par gravir tous les échelons d’une carrière juridique typique. N’étant pas issu d’une famille de lawyers et en dépit d’un parcours scolaire brillant, couronné par un master à Cambridge, il doit commencer par exercer tout en bas de la pyramide judiciaire, dans les District Courts, au début des années vingt. La notoriété acquise auprès de ses confrères lui permet de s’installer quelques années plus tard comme barrister à la High Court, puis de se voir proposer, en 1945, un poste de juge, couronnement d’une carrière prospère de praticien, consacrée essentiellement à la défense des intérêts de propriétaires fonciers. C’est peu après que sa trajectoire s’oriente vers la politique : J. Nehru – qu’il ne connaît pas personnellement, même s’ils viennent de la même ville – lui demande de faire partie de la délégation indienne à l’ONU. Dans les années suivantes, il mène de front une carrière de diplomate – comme envoyé spécial et conseiller de J. Nehru – et d’homme politique, élu au Sénat, puis ministre de la justice, gouverneur du Karnataka et finalement Chairman of the Upper House et Vice-Président of India (1969-74) – tout en continuant d’exercer comme barrister devant la Cour suprême. Il refuse d’ailleurs d’y être nommé comme Justice (juge de la Cour suprême). Car, bien qu’il se présente comme un « juriste conservateur plutôt qu’un politicien » il considère la cour comme une « cage dorée ».
Par contre, son fils se définit d’entrée de jeu comme un héritier de la tradition britannique dans laquelle, dit-il, « les juges doivent être aussi discrets qu’éminents ; surtout, ils doivent se tenir à l’écart des médias » (entretien). Son entrée dans la carrière est facilitée par la notoriété de son père : après un rapide « pupillage » auprès d’un Senior réputé, il s’oriente vers un nouveau contentieux en plein essor, le droit fiscal et le droit des affaires. Son cabinet prospère très rapidement puisqu’à l’âge de trente-trois ans il emploie déjà sept juniors. Cependant, noblesse oblige, il n’hésite guère lorsqu’on lui offre un poste de juge à l’âge exceptionnellement précoce de trente-six ans, alors que cette promotion divise ses revenus par cinq… Il gravit ensuite – assez rapidement – tous les échelons de la hiérarchie judiciaire jusqu’à la Cour suprême (1978) dont il devient, selon l’usage de l’ancienneté, le Chief Justice en 1986. Il contribue à tempérer l’activisme de son prédécesseur qui, aux yeux du courant modéré, « est allé trop loin et trop vite […] en a trop fait à bien des reprises […], ce qui a entamé la confiance du public dans l’impartialité de la Justice » (entretien). Dans un recueil d’essais en l’honneur d’un avocat fameux, constitutionnaliste et directeur du groupe industriel Tata, il souligne d’ailleurs qu’il est dangereux pour la Cour de s’aventurer sur le terrain politique. En 1989, à la requête du Premier ministre, il rejoint la cour de La Haye. Au terme de ce triple parcours de fiscaliste, de Chief Justice et de juge international, il devient tout naturellement un arbitre international réputé [4]. Et deux de ses fils sont aujourd’hui des partners dans des firmes juridiques internationales.
Plutôt que de multiplier les exemples, on peut mentionner plus brièvement un autre de ces parcours familiaux, moins exceptionnel, mais tout aussi représentatif du grand barreau d’affaires de Bombay. Fils aîné d’un marchand aisé, il avait pour ambition de faire de la politique. Il était donc parti à Oxford étudier le droit et l’histoire. À son retour en Inde, son père ayant entre temps fait faillite, il dut renoncer – provisoirement – à la politique pour faire durement (car sans appuis familiaux) ses débuts dans le barreau. Puis, après une brillante carrière qui l’a amené à être choisi par ses pairs pour diriger le barreau de Bombay, il est nommé Chief Justice, puis ambassadeur à Washington. Son fils est bien parti sur ses traces, puisque, après avoir étudié lui aussi le droit et l’histoire à Cambridge, il a été réélu à trois reprises comme président du prestigieux Bombay Bar Association qui regroupe les avocats très spécialisés dans les grosses affaires commerciales soumises directement devant la Bombay High Court. Cependant, contrairement à son père, il n’envisage guère d’occuper des fonctions publiques. Son intervention dans le champ politique se limite à peser sur la politique du droit – ce qui, dans le contexte actuel d’ouverture économique, est loin d’être négligeable.
Ainsi, dans les deux cas, les carrières de la deuxième génération sont marquées par un repli sur le droit. Certes, cela s’explique en grande partie par l’accroissement et la diversification de l’offre sur le marché des élites d’État. La relative pénurie de professionnels cosmopolites dans les premières années de l’indépendance représentait une opportunité exceptionnelle pour se lancer dans une seconde carrière politique ou diplomatique. Alors qu’aujourd’hui, la professionnalisation de ces carrières d’État en rend plus difficile l’accès à des non-spécialistes, qui ne peuvent faire valoir que leur capital social de grands notables du droit.
La concurrence de nouveaux savoir-faire d’État n’explique cependant pas tout. Si ces élites polyvalentes ont perdu leur prééminence dans le champ politique, c’est peut-être aussi faute d’avoir diversifié à temps leurs stratégies et leurs alliances. Comme à l’époque coloniale, ces notables du droit ont continué à défendre essentiellement les intérêts financiers des familles de grands propriétaires fonciers et de marchands-compradores ; ils ont été ainsi amenés à prendre le contre-pied de la politique de développement et de justice sociale qui s’imposait à ce nouvel État. Avant d’analyser les péripéties de cette histoire politique du barreau, il convient donc de revenir sur la genèse coloniale de ces stratégies de double jeu.

De l’apprentissage d’un droit colonial à la construction de l’État : la trajectoire d’une élite compradore

6 Comme l’a montré Pierre Bourdieu [5], on ne peut analyser les luttes internes dans lesquelles se construit un champ professionnel si l’on s’en tient à des définitions institutionnelles qui contribuent à les occulter, alors même qu’elles en sont le produit. Un retour sur la genèse du champ est essentiel pour éviter d’être piégé par ces représentations faussement objectives, comme la notion de « barreau », qui tend à masquer l’extraordinaire stratification de ce milieu professionnel, ainsi que l’importance déterminante de l’héritage familial. Les analyses qui suivent ne traitent donc que du haut barreau. Car cette hiérarchie instituée par le colonisateur demeure très forte en dépit des lois visant à l’abolir [6]. Ce sous-ensemble regroupe essentiellement les advocates devant la Cour suprême [7] et les plus anciennes et les plus prestigieuses High Courts de l’époque coloniale, Bombay, Madras, Calcutta, qui constituent le vivier de reproduction du personnel de la haute justice [8]. En effet, comme dans le modèle britannique, les hauts juges se recrutent au sein de l’élite des Queen’s Counsel (QC) pour lesquels cette nomination représente le couronnement de leur trajectoire professionnelle. Ce n’est que récemment, comme on le verra plus loin, que se met en place une sorte de division du travail symbolique où la figure du haut juge s’oppose à celle du notable-politicien, tout en la complétant, pour incarner la distance, la réserve et la neutralité d’un arbitre des conflits sociaux.

7 Le retour sur l’histoire coloniale est aussi très éclairant du point de vue des rapports entre droit et politique. Car l’ouverture progressive du haut barreau à des indiens participait à la fois d’une logique de promotion professionnelle et d’un projet politique de construction d’une aristocratie de compradores. En effet, plusieurs voies d’accès coexistaient : la « petite porte » permettait la promotion interne d’un petit nombre de praticiens devant les juridictions indigènes (vakils et indian pleaders) par contre, la « grande porte » des Inns of Courts était réservée aux héritiers des classes possédantes. « Bien peu d’Indiens pouvaient se permettre de financer le long programme d’apprentissage pour les futurs barristers qui n’existait qu’en Grande-Bretagne. Les premières générations de candidats étaient essentiellement des enfants de riches marchands Parsi [9]. » Ce détour par la métropole était aussi prestigieux que peu exigeant du point de vue scolaire. L’examen qui permettait d’accéder aux Inns of Court était réputé moins difficile que ceux des écoles de droit indiennes et, a fortiori, que celui – très sélectif – du Indian Civil Service. Ainsi, les héritiers des classes possédantes étaient-ils « appelés au barreau » et rentraient en Inde, transformés en English gentlemen[10]. Pour autant, ces héritiers n’échappaient pas à l’apprentissage auprès d’un senior, qui représentait une barrière supplémentaire à l’entrée de ce marché, d’autant plus rentable que très protégé.

8 La formation des producteurs de droit a toujours été – et demeure – une affaire de famille. « C’est à la maison que les traditions professionnelles étaient inculquées. […] Faute de pouvoir compter sur l’appui d’un parent déjà établi au barreau, les jeunes lawyers les mieux entraînés ou les plus talentueux n’avaient guère d’opportunités pour faire leurs preuves [11]. » On ne peut d’ailleurs qu’être frappé par l’extraordinaire continuité du mode de recrutement de cette élite professionnelle [12]. Car cette situation perdure encore aujourd’hui. La grande majorité de nos interlocuteurs – et tout particulièrement ceux qui occupent des positions de pouvoir dans le barreau et la haute justice – sont des héritiers qui se flattent de compter plusieurs quartiers de noblesse de robe.

9 L’appui familial est surtout décisif pour faire son apprentissage dans les chambers d’un senior renommé. « Avoir été formé dans des chambers réputées, c’est le facteur déterminant pour réussir au barreau. […] Et c’est à ce niveau que les appuis familiaux sont décisifs. Quand un de vos collègues vous demande de prendre son fils comme stagiaire, il est bien difficile de refuser. Et c’est là que tout se joue… » (entretien). Bien évidemment, ce stage n’est pas rémunéré pendant les premières années – ce qui accroît encore, comme l’avait noté Richard L. Abel, une sélection sociale où les ressources familiales comptent largement autant que le savoir et le talent personnels [13].

10 La suite de la carrière ne fait qu’amplifier cet écart initial entre les héritiers et les nouveaux venus. Pour peu qu’ils aient quelque talent, les premiers vont d’emblée se familiariser avec l’élite du barreau et, progressivement, se faire connaître non seulement des hauts juges [14], mais aussi des solicitors susceptibles de leur confier des grandes affaires, celles qui permettent de se bâtir une notoriété. Car ce processus est rapidement cumulatif : la renommée acquise dans ces grandes plaidoiries n’attire pas seulement les clients ou des pairs qui peuvent être source de fructueux renvois ; elle éveille surtout l’attention des seniors advocates et des juges qui contrôlent l’accès au prestigieux barreau de la Cour suprême.

11 Ainsi, l’actuel président du barreau de la Cour suprême, élu en 1996 président de l’Union internationale des avocats, nous raconte comment il est devenu senior advocate, après une quinzaine d’années de pratique :

« Votre nomination comme QC (Queen’s Counsel) dépend de votre réputation au sein du barreau. Quand vos collègues commencent à faire appel de plus en plus à vous pour présenter leurs dossiers devant la Cour suprême, cela veut dire qu’ils ont confiance dans la réputation que vous avez acquise auprès de la cour en traitant des affaires bien différentes. […] À la différence de mes collègues, j’avais eu l’occasion de plaider devant la cour. J’avais publié, bref, j’étais connu » (entretien).
Il faut aussi préciser que son père, formé à Lincoln Inn, était devenu très célèbre dans les années cinquante pour avoir plaidé dans un des premiers grands procès constitutionnels en faveur d’un leader communiste emprisonné.

Des « nababs » du droit des affaires

12 Cette double sélection par l’argent et le milieu familial est conforme à la logique de cette haute justice étroitement imbriquée dans le monde des affaires. De tout temps, les honoraires ont été exorbitants : ainsi au xixe siècle, on estimait qu’ils étaient sept fois plus élevés qu’en Grande-Bretagne [15]. Les barristers qui consentaient à s’expatrier gagnaient des fortunes, qu’ils dépensaient tout aussi vite. Car ces gentlemen attorneys se devaient de maintenir le même train de vie fastueux que leur riche clientèle (riches marchands et prêteurs indiens). « Le prestige d’un lawyer dépend de son hospitalité, de ses bonnes manières et du cercle d’amis qu’il entretient [16]. »

13 Cette situation qui garantit aux marchands une justice sur mesure, avec des praticiens aussi compétents qu’attentionnés, ne change guère avec l’arrivée – au compte-gouttes – de jeunes barristers indiens que tout prédisposait à devenir des gentlemen du droit. Suivant l’exemple de leurs seniors censés leur « enseigner l’excellence des traditions britanniques », ils ont vite appris à profiter de leur monopole pour s’enrichir de manière spectaculaire. À tel point que l’étalage de leur richesse leur a valu le surnom de « nababs du droit ». Ainsi, dans les années 1880, alors qu’il était encore dans sa trentaine, Motilal, le père de J. Nehru, « vivait comme un prince, dans un véritable palais et possédait les toutes premières voitures automobiles » [17]. De manière générale, le marché du droit a toujours été extraordinairement prospère : les procès étaient légions – 2,2 millions en 1901 – notamment en raison des litiges suscités par le système de grandes propriétés (zamindari) et ils se prolongeaient à l’infini – souvent le temps d’une génération.

Une stratégie modérée d’indianisation au profit d’une élite anglicisée

14 Si, comme l’avait noté Max Weber, l’adoption du modèle britannique de production des biens de justice est conforme à une logique marchande, son « indianisation » répond aussi à des préoccupations politiques spécifiques de la relation coloniale. Si les institutions juridiques étaient au cœur du dispositif impérial [18], elles ont aussi joué un rôle central dans une transmission du pouvoir colonial où, de part et d’autre, on s’est efforcé de ne remettre en question, ni les règles du marché, ni les hiérarchies sociales. La stabilité des institutions juridiques apparaissait comme une des meilleures garanties d’un changement dans la continuité [19]. Cette stratégie n’a rien de surprenant, car les notables indiens du droit ont été les principaux bénéficiaires de ce transfert des pouvoirs qu’ils ont programmé – mais aussi pour lequel ils avaient été programmés.

15 L’apprentissage du droit s’inscrit, dès le départ dans un projet politique : la construction d’une élite nationale, vivier de futurs leaders. La formation juridique était considérée comme la meilleure préparation pour une carrière politique [20]. Ces ambitions ont été encouragées, sinon suscitées par les leaders de groupes sociaux comme les parsi, qui représentaient l’élite éclairée de la classe marchande [21]. « En tant que groupe professionnel ayant vocation à regrouper l’essentiel des élites du pays, la profession juridique a dominé l’espace public. C’étaient des lawyers qui organisaient et géraient les institutions éducatives et philanthropiques ou les sociétés de charité [22]. » En attendant que cette stratégie politique de longue haleine ait produit ses effets, le barreau permettait à cette élite réformiste de prospérer, tout en défendant les intérêts de ses mandants face aux exigences de la bureaucratie coloniale. En effet, formés à l’école du colonisateur, ces Indian gentlemen étaient parfaitement placés pour retourner contre lui les contradictions ou les ambiguïtés d’un système judiciaire qui se devait d’apparaître comme indépendant et crédible aux yeux des Indiens puisque ce Vakil Raj[23] visait précisément à rendre plus légitime la domination qu’ils subissaient [24].

16 L’Indian National Congress, fondé en 1885, a été le principal support d’une stratégie de réformisme constitutionnel, conçue et conduite par des élites juridiques anglicisées [25].

« En raison de leur éducation occidentale et de leur formation juridique, les leaders du Parti du Congrès étaient parfaitement à l’aise avec la procédure parlementaire et les débats constitutionnels. Ils avaient confiance dans la tradition britannique de justice. […] Selon sa biographie, Mothilal Nehru était un modéré, d’autant moins favorable aux thèses des extrémistes qu’il était convaincu qu’un avocat de talent pouvait aussi facilement se faire entendre à la tribune de l’opinion britannique que devant celle de la Allahabad High Court [26]. »
Certes, la modération de ces revendications n’a pas suffi à prévenir les conflits. Et l’intensification des luttes a conduit un certain nombre de ces nababs du droit, dont Motilal, à renoncer à leurs positions doublement privilégiées pour suivre I. Gandhi dans sa stratégie de boycott des institutions juridiques et politiques coloniales [27]. Les exigences de la politique étaient devenues telles qu’elles s’accommodaient mal de l’amateurisme de cette élite compradore dont les multiples rôles facilitaient le double jeu.
« Motilal, Das, Rajagopachari et bien d’autres lawyers ont sacrifié leurs revenus princiers et ont renoncé à leurs mandats législatifs pour commencer à vivre dans la simplicité et l’austérité. […] À partir des années vingt, ce sont toujours les lawyers qui fournissent tous les dirigeants politiques, mais ce ne sont plus des praticiens. Certes, c’étaient des juristes – et même des juristes très renommés – mais ils n’avaient pas hésité à sacrifier leur carrière professionnelle pour se dévouer à l’intérêt national en tant que serviteur à plein temps [28]. »
Même si, en l’occurrence, ce « sacrifice » était surtout révélateur de la priorité donnée aux ambitions politiques par rapport à la poursuite d’un métier qui, d’ailleurs, leur avait procuré tout ce qu’ils pouvaient en attendre – notamment l’accumulation de ressources financières, indispensable pour investir dans la politique, en changeant l’image de nabab anglicisé pour celle d’un ascète au service de la collectivité indienne [29].

L’investissement dans les institutions du droit comme stratégie politique

Des politiques aux grands prêtres du droit : confusion des rôles et division du travail symbolique

17 Les premières années de l’indépendance ont marqué l’apogée d’un barreau qui voit son marché professionnel rendu encore plus profitable par la réussite spectaculaire de ses investissements politiques. Pourtant, cette réussite a été aussi exceptionnelle que de courte durée. Dès les années soixante, l’image publique du barreau a commencé à péricliter.

« Le barreau n’offre plus l’activité la plus honorable et profitable que l’on puisse trouver en Inde. Cette carrière n’attire plus les meilleurs étudiants et elle ne domine plus la vie politique et sociale du pays. Elle a perdu désormais le monopole des élites dirigeantes qui fut le sien pendant un siècle [30]. »
Ce relatif déclin ne tient pas seulement à la concurrence de nouveaux savoirs d’État, comme l’économie, dont l’essor a été favorisé par les politiques de développement. Il s’explique aussi par la priorité donnée à ces politiques par le nouvel État indien – sous l’impulsion personnelle de J. Nehru – qui rend manifestes toutes les ambiguïtés du cumul de positions des juristes-politiciens. En effet, en tant qu’avocats des propriétaires fonciers, ils sont amenés à s’opposer devant les juridictions aux réformes agraires, alors que celles-ci constituent la pierre angulaire de la stratégie de modernisation et de progrès social, prônée officiellement par le parti du Congrès où ils conservent des positions très influentes. Certes, ce double rôle s’avère très profitable dans un premier temps ; mais, en se prolongeant, cette stratégie de double jeu n’est pas sans risques : tant pour la crédibilité sociale de la justice, que pour la prétention de l’élite du barreau à incarner l’intérêt national. En effet, si les leaders du Congress – comme I. Gandhi, J. Nehru ou Patel – ont renoncé au barreau pour mener une carrière politique, cet exemple n’a guère été suivi par la grande majorité des juristes-politiciens.

18 La frontière entre ces deux univers aux exigences contradictoires est restée longtemps aussi floue que poreuse. La plupart des lawyers qui s’engageaient dans la politique ou les affaires d’État continuaient à cultiver soigneusement leurs attaches avec le barreau. Encore aujourd’hui, d’ailleurs, ces allers et retours restent nombreux. Car cette double activité est aussi profitable que conforme au modèle d’excellence du barreau [31], tel qu’il avait été défini depuis près d’un siècle par – et pour – les juristes fondateurs du Indian National Congress. Or, tout en s’engageant dans la politique, ce milieu professionnel est resté profondément marqué par tout un habitus élitiste et un niveau de vie qui renforcent leurs liens avec des classes possédantes [32], plus ou moins directement menacées par la réforme agraire et l’encadrement bureaucratique, voire la privatisation de la production industrielle. Dès lors, il était inévitable que ces patriciens du barreau aient mobilisé toutes les ressources de la procédure dans un combat politique, où ils représentaient à la fois leurs propres intérêts et ceux de leurs clients. En revanche, cette instrumentalisation du droit ne pouvait que mettre en péril la légitimité des juridictions. Car les juges étaient trop liés au barreau pour ne pas apparaître comme étant de parti pris dans ce conflit social majeur. La forte homogénéité sociale de ce milieu professionnel contribuait à renforcer l’image d’une justice partiale, entièrement au service des possédants.

19 En effet, comme dans le modèle britannique, la haute justice se recrute au sein de l’élite du barreau, qu’elle contribue également à reproduire. En définissant les critères d’excellence, les juges ont une grande influence sur la notoriété et la promotion dans la hiérarchie professionnelle. Ce double système d’interdépendance garantit une forte homogénéité, mais aussi une grande stabilité [33].

20 Les juges de la Cour suprême représentent un des archétypes de l’excellence professionnelle. Ils incarnent l’expérience mais aussi la distance, vertus essentielles de la (juris)prudence. Comme les notables du barreau, ce sont encore aujourd’hui des héritiers d’une élite compradore : issus de familles brahmanes (pour la moitié [34]) et formés dans les Inns of Court (pour une autre moitié, souvent issus de milieux plus divers). Avant de gravir les échelons de la carrière judiciaire (en une dizaine d’années en moyenne), ils ont commencé par acquérir leur notoriété en pratiquant une vingtaine d’années au sein du barreau. Certains ne sont pas restés insensibles aux attraits du pouvoir : près d’un tiers d’entre eux ont rempli des fonctions gouvernementales – government pleader, government advocate – qui, selon nos interlocuteurs, sont autant un accélérateur de carrière qu’une marque de reconnaissance par les politiques du champ. Mais en même temps, ils se sont gardés d’afficher trop ouvertement des positions politiques [35]. De surcroît, le mode de fonctionnement – et notamment la promotion à l’ancienneté qui produit une rotation rapide des Chief Justice – contribue à donner l’image de juges dont l’individualité s’efface au profit d’une collectivité presque anonyme, censée incarner l’autorité du droit. Ce choix de carrière, où l’honorabilité s’acquiert au prix de renoncements matériels [36] et d’une soumission à la discipline collective, convient mal aux fortes personnalités du barreau. L’idéal du haut juge se situe donc tout à l’opposé du charisme que leurs confrères se doivent de cultiver pour faire carrière dans la politique.

21 On aboutit ainsi à une situation apparemment paradoxale d’un champ juridique à la fois très homogène socialement et néanmoins structuré autour de deux pôles qui affichent deux conceptions très différentes de l’excellence professionnelle : celle du notable de la politique et celle du grand prêtre à l’écart des querelles politiques et médiatiques. Ces deux figures de l’élite ont suivi le même apprentissage familial et le même parcours professionnel, avant de prendre des chemins divergents dans la deuxième partie de leur carrière. Ces spécialisations tardives représentent deux voies bien distinctes pour rentabiliser le capital de notoriété accumulé dans la pratique du droit. Cependant, chacune à sa manière contribue à produire et reproduire du capital de légitimité. Leur opposition affichée participe ainsi d’un jeu de rôles qui s’inscrit dans la division du travail symbolique de (re)production de la croyance dans le droit. D’ailleurs, les biographies montrent bien que la frontière continue à être aussi floue que poreuse entre stratégies juridiques et stratégies politiques. Ainsi, lorsqu’on les interroge sur les moments déterminants de leur carrière, la plupart des seniors barristers s’empressent de citer la « cause célèbre » à l’origine de leur notoriété. Et celle-ci est presque toujours une affaire politique. Car ces plaidoiries sont d’autant plus susceptibles de retenir l’attention des seniors qu’elles sortent de la routine et soulèvent des questions de droit constitutionnel, qui font partie de la compétence réservée de la hiérarchie du champ.

Les armes juridiques d’une politique de classe

22 Lorsque, sous l’impulsion de J. Nehru, le parti du Congress se lance dans une politique d’interventionnisme économique et social, l’élite du barreau se mobilise pour défendre les intérêts des classes possédantes. Cette lutte politique est d’autant plus facilement orchestrée sur le terrain juridictionnel que les principaux protagonistes – notamment les grands propriétaires fonciers – sont familiers de ce forum, où ils avaient l’habitude d’utiliser toutes les ressources de la procédure pour se défendre contre les empiétements de la bureaucratie coloniale ou ses exigences fiscales. Là encore, l’enjeu est à la fois politique et financier : il s’agit de déterminer le niveau de compensation des zamindars[37], dont les nouvelles lois prévoient l’expropriation. La High Court ayant jugé que ces lois violent le « principe fondamental d’une égalité devant la loi » le gouvernement répond par un amendement constitutionnel (le premier, 1951) selon lequel ces lois de mise en œuvre de la réforme agraire ne sont pas soumises aux droits fondamentaux – un amendement que les avocats des zamindars s’empressent de contester comme une atteinte aux principes fondamentaux de la Constitution.

23 Ce ne sont là que les premiers épisodes d’une longue bataille qui connaît de multiples rebondissements – tant juridiques que politiques. La formulation de cette lutte politique en termes juridiques sert parfaitement les intérêts des élites du barreau, qui y trouvent une formidable opportunité pour valoriser leur double casquette : d’abord en monnayant – très cher – à leur clientèle un talent de procédurier qui s’appuie sur leur entregent politique ; mais aussi en mobilisant leur savoir juridique dans les luttes internes au champ politique [38].

24 Du fait de cette surenchère sur le terrain constitutionnel, la Cour suprême se retrouve très rapidement au centre de ces batailles [39]. La plupart des commentateurs qui analysent les péripéties et les rebondissements de l’histoire de la judicial review[40], l’interprètent en termes de rapport de force entre le pouvoir politique et l’autorité judiciaire. Lloyd et Suzanne Rudolph décrivent ainsi une sorte d’oscillation : après s’être montrée relativement accommodante face à un parti du Congrès hégémonique et dominée par la forte personnalité de J. Nehru, la Cour affirme son autorité constitutionnelle lorsque le parti du Congrès se divise et connaît ses premières défaites électorales en 1967 [41]. En revanche, devant les menaces d’I. Gandhi, la Cour revient sur des positions beaucoup plus prudentes et elle va même jusqu’à déclarer valides les atteintes aux libertés à la suite de la proclamation de l’état d’urgence, en 1975 – un renoncement dénoncé comme humiliant par les leaders du barreau [42]. Enfin, ultime étape de ce mouvement de balancier, l’affaiblissement du parti du Congrès et la fragilité des coalitions de gouvernement favorisent la réaffirmation solennelle du pouvoir constitutionnel de la Cour – et cela d’autant plus facilement que la vieille génération des juristes-politiciens est largement représentée dans la première de ces coalitions – Janata – qui gouverne après le départ d’I. Gandhi.

25 Les multiples rebondissements de cette histoire ont été suffisamment décrits [43] pour qu’il ne soit guère nécessaire d’y revenir à nouveau. Par contre, leur interprétation ne va pas sans poser problème, notamment parce que ces commentaires sont le plus souvent écrits ou inspirés par des membres du sérail. En effet, quel que soit leur objectif – encourager l’activisme de cette rights revolution[44] ou, à l’inverse, souligner les dangers d’un aventurisme sur le terrain politique – toutes ces analyses endossent plus ou moins le postulat d’une haute justice distincte et distante du politique. D’ailleurs, l’image même du balancier ne fait qu’illustrer ce postulat, tout en démontrant apparemment son bien-fondé : puisque l’affaiblissement du politique coïncide avec l’affirmation de l’autorité de la cour, et inversement, n’est-ce pas la meilleure preuve qu’il s’agit bien d’entités distinctes ?

26 Pourtant, cette évolution en sens inverse peut aussi s’interpréter comme l’effet d’une complémentarité qui résulte de leur étroite imbrication par l’intermédiaire du double rôle des grands notables du barreau. Après s’être aventurés pendant un temps du côté de la politique pour tirer parti des opportunités offertes par la construction des institutions d’État, les grands notables du barreau se replient sur le terrain du droit pour prendre leurs distances avec l’interventionnisme d’un socialisme d’État, aussi peu conforme à leur habitus professionnel qu’hostile aux intérêts de leurs clients et alliés politiques. Ainsi, en 1970, la Cour suprême invalide les mesures de nationalisation des quatorze plus grandes banques, qui viennent d’être prises par le gouvernement d’I. Gandhi, ainsi que celles qui suppriment les privilèges financiers des Princes (Privy Purse[45]). Certes, il ne s’agit en l’occurrence que d’une bataille d’arrière-garde puisque le gouvernement finit par imposer sa politique. Mais ces escarmouches procédurales permettent de gagner du temps et surtout elles préparent la voie d’une contre-offensive idéologique, lorsque l’affrontement s’exacerbe avec la proclamation de l’état d’urgence. Discrédités comme des adversaires du progrès et de l’équité, les notables du droit et de la politique se rebâtissent une vertu civique comme défenseurs des libertés constitutionnelles.

« Le conflit a changé de sens lorsque le gouvernement Gandhi, qui était apparu dans les années soixante comme le champion d’un progrès social bloqué par les juridictions, s’est vu accusé dans les années soixante-dix de s’opposer à la Cour parce qu’elle s’efforçait de restreindre les abus de pouvoir déraisonnables d’un État n’obéissant qu’à sa seule logique [46]. »

L’affrontement des lawyers-politiciens sur le terrain judiciaire

27 Cette représentation en termes d’opposition entre deux pouvoirs – le politique et le judiciaire – ne correspond d’ailleurs pas à la réalité d’affrontements dans lesquels, de part et d’autre, les adversaires mobilisent des ressources qui sont tout autant juridiques que politiques. Deux des principaux protagonistes de ce débat constitutionnel – Nani Palkivala et Mohan Kumaramangalam – sont des juristes savants, qui représentent des pôles opposés du champ politique. Le premier est un avocat commercialiste et constitutionnaliste très célèbre qui est aussi directeur du groupe Tata. Il publie en 1974 un ouvrage pour dénoncer la « profanation » et la « souillure » de la constitution : Our Constitution profaned and Defiled. Le second, qui fut un des condisciples d’I. Gandhi en Grande-Bretagne, avant de devenir un de ses plus proches conseillers jusqu’à sa mort en 1973 [47], a poursuivi, comme nombre de ses confrères, une double carrière au barreau et dans la politique. En tant que leader de la fraction socialiste du parti du Congrès, il est l’un des principaux inspirateurs de la politique de nationalisation des banques. Par ailleurs, dans un ouvrage de théorie du droit constitutionnel – Constitutional Amendments : The reason why (1971) – il justifie le bien fondé des vingt-quatrième, vingt-cinquième et vingt-sixième amendements constitutionnels (connus sous le nom de « Kumaramangalam package »), qui prennent le contre-pied de l’arrêt Golak Nath par lequel la Cour avait affirmé son autorité constitutionnelle [48].

28 On peut donc difficilement réduire cette lutte à une opposition entre le Parlement et la haute justice. L’élite du barreau est au cœur de cet affrontement qui se joue en parallèle sur les deux terrains du droit et de la politique. Le mélange des genres est dès lors inévitable. La mobilisation de ressources juridiques par les défenseurs des classes possédantes conduit à une politisation croissante des institutions du champ juridique, transformé en arène du combat politique. Lorsque la confrontation s’exacerbe avec la proclamation de l’Emergency, ce sont les grands dirigeants du barreau qui prennent la tête du mouvement d’opposition, en dénonçant publiquement les excès du pouvoir d’État, au nom de la défense des libertés fondamentales. À l’inverse, la haute cour s’incline devant les exigences du pouvoir. Il est vrai qu’I. Gandhi vient d’y nommer cinq juges « politiquement engagés », qui vont devenir ultérieurement les champions d’un activisme social et qu’elle a, par ailleurs, imposé son candidat comme Chief Justice, au mépris de l’usage jusque-là respecté de l’avancement à l’ancienneté.

Vers une division du travail dans le champ juridique comme dans celui du pouvoir

29 En dépit de la forte homogénéité sociale des notables du barreau, la violence des affrontements politiques réussit à casser le consensus tacite qui leur permettait d’investir dans la politique tout en préservant le mythe de la neutralité des institutions juridiques. En même temps, cette crise leur fournit une formidable opportunité pour restaurer leur capital politique (bien amoindri), en reproduisant la stratégie qui avait si bien réussi à leurs prédécesseurs dans les luttes d’indépendance. Le mimétisme est même poussé assez loin puisque, selon l’un de nos interlocuteurs, c’est en prison que ces lawyers[49] jettent les bases d’un nouveau parti de gouvernement (le parti Janata) pour servir de support à leurs stratégies de notables dans le champ politique.

30 Effectivement, avec la défaite électorale d’I. Gandhi en 1977, les vieux notables du droit reviennent au premier plan du champ politique. Pourtant, cette première tentative de restauration des patriciens de la politique est de courte durée. La coalition hétéroclite qu’ils ont constituée pour s’opposer au parti du Congrès ne résiste pas longtemps aux intrigues de palais entre des gérontocrates qui n’hésitent guère à porter leurs querelles devant les tribunaux en s’accusant respectivement de corruption. Cependant, ce modèle des notables-politiciens perdure, que ce soit lors du retour au pouvoir du parti du Congrès I [50] en 1980 et de la dynastie Gandhi, ou dans les coalitions qui lui ont succédé à partir de la fin des années quatre-vingts. Certes, les lawyers ont perdu le quasi-monopole dont ils jouissaient dans les premières années de la République, mais ils détiennent encore près d’un tiers des sièges au Parlement et, surtout, leurs positions sont d’autant plus fortes que l’on monte dans la hiérarchie du pouvoir politique : 50 % des positions de cabinet et 67 % des ministres, en 1985 [51]. Aujourd’hui, encore, les dirigeants du barreau de la Cour suprême se flattent d’être bien représentés au cabinet du Premier ministre, par d’éminents confrères qui apportent à ces coalitions à dominante populiste tout leur capital social de grands notables d’État.

Un homme d’État du droit

Ainsi, à l’époque de notre enquête, le ministre de la Justice en fonction, doit l’essentiel de sa notoriété au fait qu’il a présidé le All India Bar pendant cinq termes consécutifs, dans les années de crise qui ont culminé avec l’Emergency. Auparavant, cet héritier de trois générations d’éminents lawyers n’avait jamais fait de politique. Par contre, très jeune, au début des années cinquante, il se fait remarquer grâce à une « cause célèbre » : peu après la partition, alors qu’il vient de s’établir à Bombay, après avoir fui Karachi, comme des millions d’autres, il conteste le Bombay Refugie Act, en invoquant le respect des droits des minorités inscrit dans la Constitution. Et la Cour lui donne raison contre le gouvernement de J. Nehru. « C’est à cette affaire que je dois ma réputation d’avocat capable d’emporter la conviction d’un jury. Gagner un procès de cette envergure vous donne tout de suite de l’autorité. […] Cela attire l’attention publique – ce qui est la clef du succès au barreau. […] Ce sont ces espèces de “cause célèbre” qui rendent un avocat fameux, en focalisant sur lui l’attention de l’opinion publique. […] La réussite dans des procès commerciaux n’attire guère ce genre d’attention. Par contre, cela vous amène des clients… ». Cette notoriété contribue à lui valoir une pratique florissante qu’il combine avec une activité d’enseignement. Elle lui vaut aussi une visibilité auprès de ses pairs qui l’élisent en 1964 au Bar Council de Bombay, puis au All India Bar Council qu’il préside à partir du début des années soixante-dix. « Quand l’état d’urgence a été proclamé, je ne suis pas resté silencieux […] Lors d’une réunion du barreau j’ai lancé des attaques violentes contre madame Gandhi et son fils. […] Finalement ils se sont décidés à réagir et ont donné l’ordre de m’arrêter. Trois jours plus tard, il y avait un mandat d’arrêt lancé contre moi. […] Lorsque 300 confrères se sont présentés devant la High Court de Bombay pour plaider ma cause, les juges ont ordonné que ce mandat ne soit pas exécuté. Avec ce jugement dans ma poche, j’ai pu continuer à voyager à travers tout le pays pour attaquer madame Gandhi. […] Jusqu’à ce que, finalement, la plus haute juridiction s’écrase en rendant le plus ignoble des jugements : les tribunaux ne peuvent plus assurer la protection des droits de l’homme lorsque l’état d’urgence a été instauré. […] Avant minuit, c’est le chef de la police lui-même qui m’a mis dans un avion pour sortir du pays. » (entretien). Après une brève période d’exil aux États-Unis, où il s’emploie à mobiliser les ONG et le barreau, il fait un retour triomphal en Inde à l’occasion des élections de 1988, où il l’emporte face au ministre de la Justice d’I. Gandhi. Il poursuit ensuite une double carrière de politicien et de dirigeant du barreau. À ce double titre, il se dit « un grand supporter de l’activisme judiciaire », même s’il est parfaitement conscient qu’il s’agit d’une tentative de réhabilitation : « Les juges font pénitence pour leurs péchés […] ils réagissent pour faire oublier un passé honteux ». D’ailleurs, ce notable prend soin de marquer ses distances avec l’idéologie radicale affichée par ces juges « politiquement engagés », nommés par I. Gandhi, notamment l’un des plus éminents qu’il va jusqu’à qualifier de « communiste notoire ».

31 Tout en renouant avec les palais du pouvoir, l’élite du barreau n’a pas pour autant négligé les institutions du droit auxquelles elle doit son retour sur la scène politique. Sous leur influence, le gouvernement Janata s’engage à restaurer l’indépendance du pouvoir judiciaire [52], ainsi que son autorité en matière constitutionnelle. Des promesses qui restent sans suite, en raison des querelles internes à cette coalition hétéroclite. C’est paradoxalement en 1980, après le retour au pouvoir d’I. Gandhi que la Cour suprême revient sur les concessions faites pendant l’état d’urgence, avant de se lancer dans un activisme paternaliste en faveur des plus déshérités et des victimes des abus des violences policières, avec la mise en place de la nouvelle procédure du Public Interest Lawyering (PIL), qui permet aux activistes des mouvements sociaux d’introduire facilement des recours. La plupart des commentateurs s’accordent pour caractériser cette « quête populiste de légitimation comme une tentative pour restaurer sa cote dans l’opinion publique, alors qu’elle était au plus bas du fait de l’approbation donnée par la Cour aux abus de pouvoir commis pendant l’état d’urgence [53] ». Par contre, ils ne font guère état des ressources politiques qui ont été mobilisées pour permettre la réussite de cette entreprise de restauration de l’autorité judiciaire.

32 Deux des principaux protagonistes de cet activisme judiciaire – Krishna Iyer et P. N. Bhagwati [54] – sont des juges nommés à la Cour par I. Gandhi sur les conseils de Kumaramangalam, en raison même de leur engagement politique. Tout en affichant publiquement leurs convictions et leur fidélité politiques [55], ces hauts juges manœuvrent très habilement pour redorer l’image publique de la Cour et affirmer – prudemment – son autorité, sans pour autant risquer les foudres du pouvoir [56]. Pour le gouvernement cet activisme n’est guère menaçant car il dénonce surtout les exactions et les abus de pouvoir perpétrés par les derniers échelons de l’appareil d’État – policiers, gardiens de prisons, etc. – à l’encontre des plus basses castes. D’ailleurs, la justice sociale n’est plus la priorité d’un régime marqué par l’anticommunisme de Sanjay Gandhi et tenté par une politique d’ouverture économique et de dérégulation, plus en accord avec le credo néo-libéral des années quatre-vingts.

33 L’habileté de cette stratégie est de prendre à contre-pied aussi bien les politiciens – par un renvoi à leur propre discours, même s’il n’est plus tout à fait d’actualité – que les patriciens du droit, en leur rappelant qu’I. Gandhi avait réussi à disqualifier la haute justice lors de l’état d’urgence, en la dénonçant comme « l’ennemi du développement et des pauvres » [57].

34 En neutralisant ainsi l’hostilité potentielle des politiciens et des praticiens du droit, ces hauts juges radicaux font alliance avec les nouvelles franges urbaines et professionnelles qui, après s’être mobilisées pour la défense des droits civiques lors de l’état d’urgence, se reconvertissent dans l’activisme social en encadrant des ONG. Conformément à une stratégie aussi ancienne qu’universelle [58], cette entreprise prétorienne d’élargissement du domaine d’intervention de la Cour va de pair avec un effort pour élargir sa base sociale, au-delà du cercle magique des héritiers, en nouant des liens avec les représentants les plus entreprenants d’une nouvelle méritocratie professionnelle, encore peu reconnue par l’establishment.

35 Ainsi, plusieurs des membres de la haute cour vont donner leur appui à la création d’une nouvelle Law School voulue – au moins initialement – comme la pépinière d’une nouvelle méritocratie d’activistes du droit. Conçue pour répondre aux critères de financement imposés par la politique réformiste de la Fondation Ford et les universitaires nord-américains qui la conseillent, cette école ne répond que partiellement aux ambitions de ses parrains. Certes, une sélection scolaire rigoureuse et une formation de qualité en a fait effectivement la pépinière d’une nouvelle méritocratie professionnelle, bien distincte des héritiers produits par les circuits familiaux. Mais, parmi ces diplômés, les vocations d’activistes demeurent l’exception. Cette nouvelle élite n’a encore trouvé qu’une niche – précaire – dans les nouveaux cabinets d’affaires auxquels elle fournit une main-d’œuvre compétente, mais dont la promotion se heurte à un « plafond de verre », qui réserve aux héritiers les voies d’accès à la hiérarchie du champ.

36 L’activisme social de la Cour va de pair avec une relative prudence au plan politique. La Cour rejette de manière cavalière une vingtaine de procédures engagées contre I. et S. Gandhi ou leurs collaborateurs, pour leurs abus de pouvoir commis pendant l’état d’urgence. Certes, pour garder l’équilibre, elle a l’habileté de rejeter simultanément les poursuites à l’encontre des dirigeants de Janata. Si elle est réaffirmée dans son principe, l’autorité constitutionnelle de la Cour s’accompagne d’une grande prudence dans sa mise en œuvre.

37 On peut donc se demander dans quelle mesure la forte visibilité [59] de cet activisme social très médiatique n’a pas eu pour fonction de servir d’alibi à des stratégies de compromis dans le champ politique qui permettaient aux notables du barreau de poursuivre discrètement un double jeu politique et juridique qui leur a été si profitable. À cet égard, il est significatif que la haute justice n’ait été que relativement peu impliquée – sauf par le biais des affaires de corruption – dans les débats politiques et les conflits sociaux qui accompagnent le processus d’ouverture et de dérégulation qui s’accélère depuis une décennie. Selon le ministre de la Justice, « la Cour a réaffirmé de manière réitérée que les orientations de la politique économique ne relèvent pas de la compétence des tribunaux et que les juges ne doivent s’en mêler qu’avec la plus extrême réticence ». Il reconnaît d’ailleurs que cette attitude de réserve ne va pas de soi : « car, dit-il, le socialisme inscrit dans la Constitution impose à l’État une obligation permanente de prendre à sa charge les besoins des couches sociales les plus faibles ». Pourtant, le démantèlement – certes encore très partiel – de l’interventionnisme d’État se joue, pour l’essentiel, en dehors de l’arène judiciaire, alors que toutes les ressources du droit avaient été mobilisées contre ces politiques. Il est vrai que l’élite du barreau profite trop des retombées commerciales de ce processus de libéralisation de l’économie pour que ses adversaires puissent imaginer de faire appel à leurs compétences pour s’y opposer.

38 Dans cette esquisse d’histoire structurale de la haute justice, on a privilégié la dimension politique. Pourtant, l’extraordinaire prospérité du barreau d’affaires à la faveur de la libéralisation économique est là pour nous rappeler que cette élite professionnelle n’a jamais sacrifié le développement de son marché à ses ambitions politiques. Tout au plus s’est-elle efforcée, avec plus ou moins de succès selon les époques, de combiner ces deux préoccupations.

39 Ce constat – qui n’est certes pas spécifique à l’Inde ! – devrait nous inciter à dépasser cette fausse alternative entre les théories qui privilégient les logiques monopolistes sur le marché du droit – même si c’est pour mieux les dénoncer – et ces nouvelles démarches idéal typiques, qui s’en tiennent au politique, en faisant l’impasse sur la dimension marchande. Comme si ce n’était pas la mise en relation de ces deux espaces qui fait la prospérité du marché du barreau, tout en assurant la reproduction du capital de légitimité sociale, dont dépend la valeur de ces biens symboliques ! De surcroît, la division du travail symbolique entre différentes catégories de professionnels [60] permet de gérer les tensions entre ces logiques aussi contradictoires que complémentaires. Et cela avec d’autant plus de facilités que les alliances et les stratégies familiales tissent des liens entre ces multiples composantes du champ juridique qui incarnent des intérêts sociaux – et/ou professionnels – momentanément divergents.

40 La mise en évidence de cette composante familiale du droit représente sans doute le principal mérite heuristique de cet exemple. Il ne sert à rien de s’interroger sur les rapports complexes de la politique et du marché professionnel si l’on ne tient pas compte de la logique sociologique – en l’occurrence, celle de l’héritage – qui est au principe de l’une comme de l’autre. Certes, à cet égard, l’exemple indien est sans doute particulièrement exceptionnel [61]. Cependant, même dans les pays où il est combiné avec du capital scolaire, le capital social hérité demeure une des variables déterminantes pour comprendre les stratégies familiales qui continuent à structurer le champ juridique dans ses relations aux différents pôles de reproduction du pouvoir.

Quelques repères chronologiques
1885 Première réunion du parti du Congrès.
1907 Motilal Nehru, leader de la fraction modérée du parti du Congrès.
1920 Premières campagnes de boycott sous l’influence d’Indira Gandhi.
1947 Partition et indépendance de l’Inde et du Pakistan. Jawarharlal Nehru devient Premier ministre.
1950 Lois de réforme agraire invalidées par la Cour suprême.
1951 Premier amendement constitutionnel : la réforme agraire fait exception aux principes constitutionnels.
1964 Mort de J. Nehru.
1966 I. Gandhi devient Premier ministre.
1967 Arrêt Golak Nath : le Parlement ne peut modifier les principes constitutionnels.
Juillet 1969 Nationalisation des quatorze principales banques.
Novembre 1969 Scission au sein du Congress entre la " vieille garde " autour de Morarji Desai et ceux qui restent fidèles à I. Gandhi.
1970 La Cour annule pour inconstitutionnalité la nationalisation des banques et l’abolition des privy purse.
12 juin 1975 I. Gandhi déchue de son mandat par la High Court d’Allahabad pour des irrégularités lors des élections de 1971. Après avoir envisagé de démissionner, I. Gandhi décide de se battre, d’autant que cette décision n’est pas exécutoire en l’attente d’un appel devant la Supreme Court.
25 juin 1975 Proclamation de l’état d’urgence (Emergency) et emprisonnement de six cents leaders de l’opposition, dont Morarji Desai, qui avait lancé un appel public au renversement d’I. Gandhi.
21 mars 1977 Défaite électorale d’I. Gandhi qui met fin à l’état d’urgence.
Janvier 1980 I. Gandhi revient au pouvoir après la défaite électorale de la coalition Janata.
Mai 1980 La Cour suprême réaffirme son pouvoir constitutionnel, tout en l’inscrivant dans des limites qu’elle se réserve de définir.
31 octobre 1984 Assassinat d’I. Gandhi, remplacée par son fils Rajiv.
21 mars 1991 Assassinat de Rajiv.

Notes

  • [1]
    Ce terme désignait les indigènes qui servaient d’intermédiaires aux marchands coloniaux. Nous l’avons utilisé pour rappeler que les héritiers des notables locaux, formés dans les écoles de droit européennes ont rempli un rôle similaire au plan politique, en Asie comme en Amérique latine. Voir Yves Dezalay, Bryant Garth, The Internationalization of Palace Wars : Lawyers, Economists and the Contest to Transform Latin American States, Chicago, University of Chicago Press, à paraître en 2002.
  • [2]
    Effectivement, pour être complète, cette démarche devrait aussi prendre en compte la concurrence avec d’autres savoirs d’État, comme l’économie, et insister beaucoup plus qu’on ne le fait ici sur les relations entre les lawyers et le monde des affaires. À titre d’exemple, voir Y. Dezalay, B. Garth, The Internationalization of Palace Wars…, op. cit. ; « Law, Lawyers and Social Capital : “Rule of Law” versus Relational Capitalism », Social and Legal Studies, vol. 6, n° 1, 1997, pp. 109-143. Voir aussi : Christophe Charle, « Pour une histoire sociale des professions juridiques à l’époque contemporaine : note pour une recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 76-77, 1989. Victor Karady, « Une nation de juristes : des usages sociaux de la formation de juriste dans la Hongrie d’ancien régime », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 86-87, 1991.
  • [3]
    Sur la violence symbolique de ces logiques d’État, voir Pierre Bourdieu : « Esprits d’État ; Genèse et structure du champ bureaucratique », in Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Le Seuil, 1994.
  • [4]
    Y. Dezalay, B. Garth, Dealing in Virtue, Chicago, University of Chicago Press, 1986.
  • [5]
    P. Bourdieu, « La force du droit, Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, pp. 5-19, 1986 ; Réponses, Paris, Seuil, 1992, p. 207.
  • [6]
    La stratification du barreau a été formellement abolie par le Advocates Act de 1961 (Samuel Schmitthener, « A Sketch of the Development of the Legal Profession in India », Law & Society Review, vol. 3, n° 2, 1968-1969, p. 360), qui institue un All India Bar, tout en tolérant – à titre provisoire – une survivance de la distinction coloniale entre barristers et solicitors dans les grands barreaux de Bombay et Calcutta, où subsiste d’ailleurs une différenciation de fait entre haute et basse justice. Car les grosses affaires, essentiellement commerciales, peuvent venir directement devant la High Court, qui fonctionne en parallèle comme instance d’appel pour des affaires plus routinières. Il va sans dire que cette tolérance a perduré. Encore aujourd’hui, ces deux barreaux se côtoient sans se mélanger. Leur organisation professionnelle et leurs lieux de rencontre sont bien distincts. Selon l’un de nos interlocuteurs, l’un garde l’allure d’un club britannique avec de profonds fauteuils en cuir, pendant que l’autre se contente de bancs en bois, sans dossiers.
  • [7]
    Le barreau de la Cour suprême compte un peu moins de 4 000 membres, par rapport aux quelque 600 000 lawyers que compterait l’Inde d’après une estimation qui nous a été donnée par l’actuel Law Minister. Même en y ajoutant l’élite des principaux barreaux, notamment Bombay, on peut estimer que ce petit groupe qui parle au nom du barreau ne représente guère plus de 1 % des praticiens du droit.
  • [8]
    Les limites assez floues de cette définition peuvent choquer par rapport aux démarches usuelles en histoire ou en sociologie. Par contre elles sont conformes à la notion d’un champ, avec son noyau dur et ses frontières, poreuses et mouvantes. Le principal intérêt heuristique d’une telle conceptualisation est d’attirer l’attention sur les enjeux qui se jouent précisément sur ces marges d’un champ professionnel. Car c’est là notamment que l’on peut observer la mobilité des personnes et la circulation des ressources sociales ou financières entre le champ juridique et les champs du pouvoir économique ou politique, que les représentations institutionnelles tendent à laisser dans l’ombre.
  • [9]
    S. Schmitthener, « A Sketch of the Development of the Legal Profession in India », Law & Society Review, vol. 3, n° 2, 1968-1969, p. 365. En effet, il s’agissait de séjours longs. Car, avant d’être admis par les Inns, la plupart des étudiants indiens commençaient par étudier en Grande-Bretagne pendant quatre ou cinq ans.
  • [10]
    Ibid., p. 369.
  • [11]
    Ibid., p. 375.
  • [12]
    Déjà, dans les années soixante, S. Schmittener s’étonne que ses propres observations ne fassent que reproduire celles faites à propos du barreau de Madras au milieu du xixe siècle.
  • [13]
    Voir Richard L. Abel, « England and Wales : A Comparison of the Professional Projects of Barristers and Solicitors », in R. Abel, Philip S. Lewis (éd.), Lawyers in Society, The Common Law World, Berkeley ; University of California Press, 1988. Voir aussi : Joginder S. Gandhi, « Past and Present : A Sociological Portrait of the Indian Legal Profession », in R. L. Abel, Ph. S. Lewis (éd.), Lawyers in Society, The Common Law World, Berkeley, University of California Press, 1988, p. 376.
  • [14]
    Bien évidemment, c’est encore plus facile quand le jeune barrister vient d’une famille qui compte un ou des juges – ce qui n’est pas exceptionnel compte tenu de l’endogamie du milieu et du mode de recrutement de la haute justice. Selon l’un de nos interlocuteurs, lui-même fils d’un Chief Justice, « c’est que ce nous appelons ici une justice à la gueule de l’avocat » (face law). Car les arguments d’une plaidoirie passent bien mieux quand ils s’adressent à un juge qui est aussi un parent. »
  • [15]
    S. Schmitthener, « A Sketch… », op. cit., p. 346.
  • [16]
    Ibid., p. 348.
  • [17]
    Ibid., p. 370. Voir aussi l’excellente biographie de la famille Nehru : Jad Adams et Phillip Whitehead, The Dynasty, The Nehru-Gandhi story, Londres, Penguin, 1997, pp. 9 et suiv.
  • [18]
    « L’Inde est devenue le laboratoire pour les réformes judiciaires inspirées par la mouvance libérale » (whiggish) Voir Rajeev Dhavan, « Judges and Indian Democracy : the Lesser Evil ? », in Francine R. Frankel et al., Transforming India, Social and Political Dynamics of Democracy, New Dehli, Oxford University Press, 2000, p. 317. « Pour la plupart des Britanniques, la mise en place de la rule of law sur le continent indien fut probablement considérée comme une des réussites du British raj dont ils sont le plus fier », Lloyd I. Rudolph, Susanne Hoeber Rudolph, « Barristers and Brahmans in India », dans In Pursuit of Lakshmi, The Political Economy of the Indian State, Chicago, University of Chicago Press, 1987, p. 34.
  • [19]
    « Curieusement, le mouvement pour l’indépendance n’a guère insisté pour des changements radicaux dans le système juridique. […] On s’est contenté “d’indigéniser” le sommet de la pyramide judiciaire. », R. Dhavan, « Judges… », op. cit., p. 319.
  • [20]
    Voir S. Schmitthener, « A Sketch… », op. cit., pp. 372 et 378.
  • [21]
    « Ayant pris conscience du potentiel que représentaient les barristers pour diriger la société indienne, un des leaders parsi les plus clairvoyants avait ouvert un fonds pour financer cet apprentissage. […] La profession d’avocat apparaissait comme une des voies naturelles pour faire avancer la nation indienne. Des espoirs qui furent amplement réalisés […] » (ibid., p. 366).
  • [22]
    Ibid, p. 372.
  • [23]
    Cette appellation dérogatoire était donnée par les colons britanniques pour dénoncer l’accès trop facile des Indiens à des juridictions où leurs mandataires (Vakil) étaient passés maîtres en procédure.
  • [24]
    Voir R. Dhavan, « Judges… », op. cit., p. 318. L’analyse faite par Edward P. Thompson (Whigs and Hunters, Londres, Allen Lane, 1975) des contradictions inhérentes à une justice qui participe d’une domination symbolique vaut, a fortiori, dans le rapport colonial.
  • [25]
    « Le parti du Congress a commencé comme un regroupement d’élites régionales anglicisées qui avaient surtout en commun des intérêts et un style de vie qui les distinguaient profondément de la grande majorité des Indiens qu’ils prétendaient représenter », L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit., p. 127. J. Adams et Ph. Whitehead, (The Dynasty…, op. cit., p. 25) suggèrent qu’un des principaux objectifs des fondateurs du Congress était aussi de faire reconnaître les mérites de cette nouvelle classe de professionnels par une aristocratie impériale qui les ignorait, au profit d’une politique coloniale reposant sur des arrangements directs avec les familles régnantes des États princiers.
  • [26]
    S. Schmitthener, « A sketch… », op. cit., p. 378.
  • [27]
    Voir J. Adams et Ph. Whitehead, The Dynasty…, op. cit., pp. 54 et suiv.
  • [28]
    Ibid., pp. 380 et 381.
  • [29]
    En effet, on pourrait appliquer à beaucoup de ces ascètes de la politique la remarque gentiment ironique de la fille du Mahatma Gandhi : « Si mon père savait tout ce que ça coûte pour le garder dans sa pauvreté ! ».
  • [30]
    Ibid. p. 382. Certes, ce diagnostic pessimiste fut sans conteste influencé par les orientations idéologiques des missionnaires du law & development qui, avant de s’en dissocier, partageaient l’idéologie des promoteurs des politiques de développement, notamment leurs critiques à l’encontre d’un barreau accusé de mobiliser toutes les ressources de la procédure pour freiner les projets de réforme agraire.
  • [31]
    Ainsi, l’un de ces senior advocates, qui fut un dirigeant du barreau avant d’être ministre, considère qu’il est tout à fait naturel que les ténors du barreau poursuivent leur carrière dans la politique grâce à leur maîtrise du langage : « Quand vous possédez la maîtrise du verbe d’un bon avocat, quoi de plus naturel que de vouloir porter ses ambitions vers une tribune bien plus vaste, celle de l’arène politique. Le barreau est un marchepied naturel pour la politique. » (entretien).
  • [32]
    « La profession juridique n’a fait que répondre aux demandes des clients qui avaient les moyens de la payer. Elle s’est mise au service du groupe qui avait les principaux intérêts à protéger : les propriétaires fonciers », Herbert C. L. Merillat, « Law and Land Reform in India », Law & Society Review, vol. 3, n° 2, 1968-1969, pp. 295-299.
  • [33]
    Charles R. Epp parle d’une profession « qui bouge à la vitesse des glaciers ! » Voir Ch. R. Epp, The Rights Revolution, Lawyers, activists and Supreme Courts in Comparative Perspective, Chicago, University of Chicago Press, 1998, p. 101. Effectivement, on ne peut qu’être frappé par le fait que les observations faites par George H. Gadbois J. R. en 1969 restent parfaitement d’actualité. Voir G. H. Gadbois J. R. « Indian Supreme Court Judges : A Portrait », Law & Society Review, vol. 3, n° 2, 1968-1969, pp. 317-337.
  • [34]
    Ce pourcentage relevé par G. H. Gadbois dans les années 1960 reste identique vingt ans plus tard, selon J. S. Gandhi (« Past and… », op. cit., p. 376)
  • [35]
    « Le juge typique est un personnage apolitique qui, tout au long de sa carrière, s’est gardé de s’engager ouvertement dans des activités politiques », G. H. Gadbois, « Indian Supreme… », op. cit., vol. 1, p. 330.
  • [36]
    Cet écart entre les rémunérations des hauts juges et les revenus des ténors du barreau n’a fait que s’accroître. Au point de poser actuellement, nous a-t-on dit, de sérieux problèmes de recrutement pour la haute justice.
  • [37]
    H. C. L. Merillat les décrit comme « des grands propriétaires fonciers, souvent absentéistes et prélevant dans certains cas, des rentes si élevées qu’elles soulevaient des protestations de la part des fermiers exploités. » (« Law and Land… », op. cit., p. 295).
  • [38]
    Même si le parti du Congrès domine le champ politique, il est lui-même divisé autour de ces questions de réforme agraire, particulièrement au niveau des États dont c’est la compétence. H. C. L. Merillat souligne que « au niveau des États, la politique est dominée par les grands propriétaires et les paysans aisés » (ibid. p. 297).
  • [39]
    « En se cantonnant dans les strictes limites d’un raisonnement purement juridique et d’une interprétation purement formelle et technique de la Constitution, les juridictions ont bloqué tous les efforts des gouvernements successifs du parti du Congrès en faveur de changements économiques ou sociaux. Cette rigidité des hautes cours a encouragé les dirigeants étatiques à essayer de les affaiblir ou de contourner cette obstruction. », L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit. p. 104.
  • [40]
    Il s’agit de l’examen par le juge de la conformité de la loi à la Constitution.
  • [41]
    Avec l’arrêt Golak Nath de 1967. En 1973, un autre arrêt vient nuancer, mais aussi renforcer cette affirmation en énonçant que le Parlement est tenu de respecter les basic structure ou essential features de la constitution. Les hauts juges se réservant, cela va sans dire, le pouvoir de préciser le contenu de ces notions, pour vérifier si le Parlement a outrepassé ses droits (L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit. p. 110).
  • [42]
    Le Président du All India Bar aurait ainsi déclaré publiquement : « On leur demandait de se plier et ils se sont couchés ! ».
  • [43]
    La meilleure synthèse est celle de L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph dans In Pursuit…, op. cit. Mais on peut consulter aussi les analyses de praticiens plus directement engagés dans ces luttes : Upendra Baxi, The Indian Cour suprême and Politics, Lucknow, India, Eastern Book Company, 1980 ; R. Dhavan, « Judges… », op. cit. ; S. K. Verma Kusum (éd.) Fifty Years of the Cour Suprême of India, Its Grasp and Reach, New Dehli, Oxford University Press, Indian Law Institute, 2000.
  • [44]
    Ch. R., Rights Revolution…, op. cit.
  • [45]
    À la suite d’un accord conclu avec le premier Président de l’Inde, Patel Rep Vallabhai, quelques centaines de familles princières bénéficiaient d’une rente annuelle à perpétuité de quelques millions de roupies (privy purse), garantie par la constitution en échange de l’abandon de leur souveraineté. L’abolition de ces privilèges avait été décidée après les élections de 1967, en raison de la radicalisation du parti du Congrès. Mais elle dut être instaurée par décret présidentiel du fait de l’opposition du Sénat. Et cette décision fut invalidée par la Cour (ibid. p. 108).
  • [46]
    L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit., p. 104.
  • [47]
    On peut d’ailleurs se demander si la disparition de ce grand juriste, très influent auprès d’Indira Gandhi, n’a pas contribué à cette surenchère qui a abouti à la proclamation de l’Emergency.
  • [48]
    L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit., p. 111.
  • [49]
    Parmi lesquels on trouve d’ailleurs bon nombre d’anciens du Congress, en dissidence avec les orientations socialistes d’I. Gandhi ou heurtés par les méthodes utilisées par son fils Sanjay, pour se constituer une clientèle de jeunes politiciens aussi dévoués que peu scrupuleux (ibid., pp. 85 et 140).
  • [50]
    Ce Congress I (I pour Indira) s’oppose au « paternalisme ainsi qu’à cette mentalité aristocratique – « noblesse oblige » – caractéristiques des castes supérieures (twice-born) qui dirigent le Congress O (O pour organization) » (ibid., p. 168).
  • [51]
    Voir J. S. Gandhi, « Past and Present… », op. cit., pp. 369-382. Même s’ils reflètent en grande partie un effet de génération (les lawyers des cabinets ministériels sont pour la plupart des représentants de la vieille génération, issue des luttes de l’indépendance), ces pourcentages restent cependant remarquables. Car les voies d’accès aux carrières d’État ou de la politique se sont multipliées, alors que l’offre émanant du barreau reste strictement limitée par un mode de reproduction familial et très élitiste. De surcroît, ce type de carrière devient moins rentable – en raison de la fragilité des coalitions gouvernementales qui accélère le renouvellement (turn-over) du personnel politique – et surtout plus risquée : « Au début des années 1990, c’est un nombre sans précédent de ministres qui ont été mis en accusation pour corruption, tant au niveau fédéral qu’à celui des États », L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, « Redoing the Constitutionnal Design : From an Interventionist to a Regulatory State », in Atul Kohli, (éd.), Against the Odds ; India’s Democracy at Fifty, Cambridge University Press, 2000.
  • [52]
    Notamment en renouant avec la seniority rule, quitte à nommer comme Chief Justice l’un des partisans d’I. Gandhi (L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, In Pursuit…, op. cit., p. 116).
  • [53]
    Ch. R. Epp, Rights Revolution…, op. cit. p. 85. R. Dhavan considère que « cette période de revalorisation et de promotion de l’autorité judiciaire est spectaculaire à double titre : non seulement, la Cour réussit à restaurer son image alors que celle-ci était au plus bas, mais elle devient de surcroît une des institutions clefs du nouveau régime de gouvernement (governance) » (« Judges… », op. cit., p. 331).
  • [54]
    Voir P. N. Bhagwati, « Judicial Activism and Public Interest Litigation » Columbia Journal of Transnational Law, vol. 23, 1985, p. 561.
  • [55]
    L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph citent (In Pursuit…, op. cit., p. 108) deux déclarations publiées par la revue Statesman en avril 1980, peu après le retour au pouvoir d’I. Gandhi : Pour Lyer, « le droit, tel qu’il a été modelé par les britanniques pour servir leurs intérêts de classe, n’est pas approprié aux conditions sociales de l’Inde d’aujourd’hui ». Quant à P. N. Bhagwati, futur Chief Justice, il n’hésite pas à jouer les sycophantes d’I. Gandhi avec beaucoup d’emphase : « Je suis convaincu qu’avec votre volonté de fer et votre ferme détermination, votre instinct sans faille et votre vision du futur, votre compétence administrative et votre vaste expérience, mais aussi l’amour et l’affection irrésistibles de votre peuple, […] vous serez parfaitement capable de diriger le navire de l’État vers les objectifs que nous chérissons tous […] ».
  • [56]
    « Comme la Cour avait une conception de l’activisme judiciaire qui pouvait s’intégrer dans l’agenda populiste des gouvernements d’Indira (1980-1984) et de Rajiv (1985-1989), ni l’un ni l’autre de ces premiers ministres du Congress n’ont considéré le PIL (Public Interest lawyering) comme une menace à l’égard de la souveraineté parlementaire revendiquée par leur parti » (L. I. Rudolph, S. Hoeber Rudolph, « Redoing… », op. cit.).
  • [57]
    R. Dhavan, « Judges… », op. cit., p. 314.
  • [58]
    Ainsi, R. Dhavan (ibid. p. 317) rappelle la conception très ancienne du rôle social du juge en Inde, qui devait être une sorte de conscience morale du chef, tout en restant très conscient des limites de son autorité symbolique : « éviter toute confrontation directe » au profit de « remontrances discrètes ».
  • [59]
    Notamment dans le monde anglo-saxon où la promotion du PIL est assurée par des juristes indiens, comme U. Baxi ou R. Dhavan, qui en sont les acteurs, après avoir contribué à cette importation.
  • [60]
    Voir Y. Dezalay « Juristes purs et marchands de droit : division du travail de domination symbolique et aggiornamento dans le champ du droit », Politix, n° 10-11, 1990.
  • [61]
    Cependant, nos enquêtes biographiques ont montré que le poids de l’héritage reste très fort dans la plupart des pays d’Amérique latine ou d’Asie. Voir Y. Dezalay, B. Garth, « Law, Lawyers… », op. cit. ; The Internationalization of Palace Wars…, op. cit.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions