Genèses 2000/4 no 41

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Article de revue

Pour une histoire orale de la lecture. Pratiques de lecture en Australie, 1890-1930

Pages 108 à 124

Notes

  • [1]
    Martyn Lyons et Lucy Taksa, Australian Readers Remember : an oral History of Reading, 1890-1930, Melbourne, Oxford University Press, 1992.
  • [2]
    Sur l’histoire de la lecture comme pratique culturelle, on se reportera aux travaux de Roger Chartier, en particulier à R. Chartier (éd.), Histoire de la lecture. Un bilan des recherches, Paris, IMEC, Éd. de la MSH, 1995. Pour un bilan incluant la sociologie de la lecture, voir Gérard Mauger, « Écrits, lecteurs, lectures », Genèses, n° 34, mars 1999, pp. 144-161.
  • [3]
    Richard Hoggart, The Uses of Literacy : Aspects of Working-Class Life, Harmondsworth UK, Penguin, 1958 (éd. fr., La Culture du pauvre : études sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970).
  • [4]
    Ainsi, Anne-Marie Thiesse a notamment publié plusieurs témoignages très intéressants des paysannes de l’Ardèche. Voir A.-M. Thiesse, Le Roman du quotidien : lecteurs et lectures populaires à la belle époque, Paris, Le Chemin vert, 1984 ; « Imprimés du pauvre, livres de fortune », Romantisme, vol. 14, n° 43, 1984, pp. 91-109 ; « Mutations et permanences dans l’univers culturel populaire, le cas de la lecture à la belle époque », Annales ESC, n° 1, 1984.
  • [5]
    Janice A. Radway, Reading the Romance : Women, Patriarchy and Popular Literature, University of North Carolina Press, Chapel Hill, NC, 1984 et 1991.
  • [6]
    Luisa Passerini, Fascism in Popular Memory, Cambridge, Cambridge University Press, 1987 (éd. orig., Torino operaia e fascismo : una storia orale, Rome, Laterza, 1984).
  • [7]
    Kate Darian-Smith et Paula Hamilton (éd.), Memory and History in 20th Century Australia, Melbourne, Oxford University Press, 1994.
  • [8]
    Voir Heather Goodall, « Colonialism and Catastrophe : Contrasted Memories of Nuclear Testing and Measles Epidemics at Ernabella », ibid., pp. 55-76.
  • [9]
    Alistair Thompson, Anzac Memories : Living with the Legend, Melbourne, Oxford University Press, 1994.
  • [10]
    Nicholas Doumanis, Myth and Memory in the Mediterranean : Remembering Fascism’s Empire, Basingstoke UK, Macmillan, 1997 ; « The Italian Empire and brava gente : oral History in the Dodecanese Islands », in Richard J. B. Bosworth et Patrizia Dogliani (éd.), Italian Fascism : history, memory, representation, Basingstoke UK, Macmillan, 1999.
  • [11]
    Le projet a reçu une subvention de l’Australian Research Grants Scheme d’environ 16 000 $A, ce qui valait à l’époque à peu près 100 000 francs français – subvention assez mince, à mon avis, mais qu’il faut bien reconnaître.
  • [12]
    Voir l’utile essai de Shirley Fisher, « Sydney Women and the Workforce, 1870-1890 », in Max Kelly (éd.), Nineteenth Century Sydney : Essays in urban History, Sydney University Press, 1978, pp. 95-105.
  • [13]
    Voir L. Passerini (éd.), Storia Orale : vita quotidiana e cultura materiale delle classi subalterne, Torino, Rosenberg et Sellier, 1978 ; Philippe Joutard et al., « Archives Orales : une autre histoire ? », Annales ESC, n° 35, 1980, pp. 124-199.
  • [14]
    Paul Thompson, The Voice of the Past : oral History, Oxford, Oxford University Press, 1978 (nouvelle édition, 1988).
  • [15]
    Entretiens avec William M. et Agnes B., des 9 mai et 10 juillet 1986.
  • [16]
    John Murphy, « The Voice of Memory : History, Autobiography and Oral Memory », Historical Studies, n° 22, 1986, pp. 157-175.
  • [17]
    L. Passerini, Storia Orale…, op. cit., pp. xxv-xxvi.
  • [18]
    Entretien avec George H., 11 décembre 1986.
  • [19]
    Entretiens du 9 mai et du 27 juin 1986.
  • [20]
    Entretien du 12 septembre 1986.
  • [21]
    Entretien du 8 août 1986, aparté non enregistré.
  • [22]
    Entretien du 26 novembre 1986, et correspondance ultérieure.
  • [23]
    Entretien avec Eileen McC. du 7 novembre 1986, et correspondance ultérieure.
  • [24]
    Entretien réalisé le 21 octobre 1986, et correspondance ultérieure.
  • [25]
    Entretien du 25 septembre 1986.
  • [26]
    Entretien du 14 novembre 1986.
  • [27]
    Entretiens des 4 août et 18 septembre 1986.
  • [28]
    David D. Hall, « The Uses of Literacy in New England, 1600-1850 », in William L. Joyce et al. (éd.), Printing and Society in early America, Worcester, Mass., American Antiquarian Society, 1983 ; Rolf Engelsing, Der Burger als Leser. Lesergeschichte in Deutschland, 1500-1800, Stuttgart, Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1974.
  • [29]
    Mary Gilmore, Old Days, Old Ways : a book of recollections, Sydney, Angus & Robertson, 1934, p. 58.
  • [30]
    Entretien avec Donald W., 10 juin 1986.
  • [31]
    Entretien du 16 juillet 1986.
  • [32]
    Entretien du 27 février 1986.
  • [33]
    Miles Franklin, Childhood at Brindabella : my first ten years, Sydney, Angus & Robertson, 1963, p. 109.
  • [34]
    Mary MacLeod Banks, Memoirs of Pioneer Days in Queensland, London, Heath, Cranton, 1931, p. 40.
  • [35]
    Entretien réalisé le 2 mai 1986.
  • [36]
    M. Gilmore, Old Days, Old Ways…, op. cit., p. 58.
  • [37]
    Daisy B. : entretien réalisé le 16 juillet 1986.
  • [38]
    Entretiens réalisés les 4 août et 18 septembre 1986.
  • [39]
    Entretiens des 24 mars et 24 avril 1986.
  • [40]
    Entretien du 18 septembre 1986.
  • [41]
    Entretien du 14 mars 1986.
  • [42]
    Peter Laslett, The World We Have Lost, London, Methuen, 1965 et 1971, p. 26 (éd. fr., Un Monde que nous avons perdu, Paris, Flammarion, 1969).

1C’est seulement après son décès, ses livres inventoriés ou vendus aux enchères, que le lecteur a pu offrir aux historiens des sources documentaires susceptibles d’être transformées en nourriture pour leurs ordinateurs gourmands. Mais ces sources ne disent pas combien de titres des bibliothèques privées ont été éliminés avant qu’en ait été dressé l’inventaire, soit parce que ces titres étaient très prisés par la famille du défunt, soit parce qu’ils s’étaient abîmés, soit parce que le commissaire-priseur les considérait comme sans valeur. Même quand la présence de livres dans une maison donnée peut être établie, il est impossible de savoir combien ont été achetés ou reçus en héritage, combien ont été lus et par qui ils l’ont été, combien ont été laissés intacts sur leur rayon.

2 Il vaut donc la peine, quand on travaille sur un passé proche, de s’adresser aux lecteurs de leur vivant, ou d’interroger leurs descendants. Certes, ils ne nous donneront jamais un inventaire complet de tout ce qu’ils ont possédé, mais ils seront au moins capables de répondre aux questions. Les entretiens enregistrés par Lucy Taksa et par moi-même représentent une première tentative d’associer les approches des historiens du livre aux témoignages oraux des lecteurs et des lectrices australiens [1]. J’espère démontrer que, dans certaines limites, cette expérience a porté ses fruits, qu’elle indique une ressource que d’autres historiens de la lecture peuvent exploiter, et que sa signification dépasse largement son cadre australien.

3L’historien de la lecture voudrait savoir non seulement quels livres ont été produits, en quelles quantités et qui les a achetés, mais aussi par combien de mains un texte donné est passé et quelle était la place des livres dans les foyers qui les détenaient [2]. Il nous faut donc considérer l’histoire de la lecture en tant que pratique culturelle et poser une série de questions à propos de l’histoire de l’assimilation de la culture littéraire. Comment les livres parvenaient-ils à leurs lecteurs ? En quelles occasions lisait-on ? Seul ou en groupe, en silence ou à haute voix, chez soi, au travail, quand on était malade, dans le train, etc. À quelles formes de sociabilité se rattache l’acte de lire à une époque donnée ? Lisait-on irrégulièrement, avec la nonchalance décrite par Richard Hoggart dans The Uses of Literacy[3] ? Ou avidement, pour assouvir une curiosité inlassable et passionnée, une soif de connaissance et d’émancipation ? Les livres étaient-ils vénérés, méprisés ou traités avec indifférence, et en quoi l’attitude à leur égard différait-elle suivant la classe sociale, la religion ou le sexe ? À toutes ces questions, l’histoire orale nous aide à trouver quelques réponses.

4Je me préoccupe donc ici non pas tant de l’histoire des livres que de celle de la pratique de la lecture. De nouvelles perspectives sont nécessaires pour approfondir cette histoire. Je m’attache particulièrement à la contribution individuelle du lecteur sous la forme de confessions autobiographiques. Les autobiographies, écrites ou orales, ouvrent la voie à l’étude des réactions et des attitudes du lecteur vis-à-vis de la littérature. La lecture est ici envisagée comme un processus actif. Le lecteur n’est pas un pur réceptacle et il ne vient jamais au texte sans a priori. Il lit dans le contexte d’une culture forgée par toute une vie, d’une mentalité enracinée dans son milieu ou sa classe sociale. En d’autres termes, la réaction du lecteur dépend de son bagage culturel, qui à son tour procède de son niveau de diplômes, de la profession de son père et d’autres facteurs encore. Le lecteur choisit ce qu’il garde des textes, les transforme, les assimile à un fonds de connaissances et d’attitudes déjà acquises ou héritées.

5 Les spécialistes de l’histoire orale en France ont déjà commencé à rassembler des autobiographies de lecteurs dont l’activité débute avant 1914 [4]. Pour ma part, j’ai rassemblé des témoins d’origines diverses. J’ai interrogé un groupe très hétérogène, pour pouvoir mettre en contraste les attitudes des bourgeois et celles des ouvriers, des citadins et des ruraux, des hommes et des femmes. Mon projet se distingue donc nettement de l’enquête orale de Janice Radway menée parmi des lectrices du Midwest américain [5]. J. Radway se concentre sur un groupe homogène de femmes, consommatrices très attentives de fiction romantique style « Arlequin ». Elle décrit la vie et les pratiques d’une communauté féminine de lecture, pour nous montrer que, pour ces femmes, l’acte de lire pouvait constituer en lui-même une forme de résistance en douceur aux normes patriarcales. La recherche que je présente ici concerne un groupe plus composite de personnages dont le seul point commun était l’âge relativement avancé.

6À l’image de recherches semblables, cette histoire orale a illuminé quelques aspects du public de lecteurs laissés dans l’ombre par les approches plus traditionnelles. Nous avons révélé, par exemple, un vaste public qui n’achetait jamais de livres, et n’en empruntait que très rarement. On découvre aussi des bibliothèques privées improvisées, rassemblant toute une gamme de matériaux, donnés par des amis ou par la famille, des livres de prix, des albums composés d’épisodes de feuilleton découpés, puis cousus ou collés à la page pour créer un roman continu. On s’est rendu compte de l’importance de la lecture verbalisée, et du goût de récitation à haute voix parmi les membres de ce que j’ai nommé « la génération de la poésie » de 1914 : il y avait donc un vaste public qui « écoutait » les livres. Les témoignages recueillis ont donné une série de réponses contradictoires à la réception de la littérature australienne et de la fiction de l’impérialisme britannique très répandue dans la période entre-deux-guerres. Enfin, il faut aussi signaler les différentes choses qu’attendaient de leurs livres les lecteurs et les lectrices. Si l’on veut dresser le bilan de l’histoire orale de la lecture, alors tout cela, je crois, mérite d’être porté à son crédit.

L’apport général de l’histoire orale

7 Ceux qui ont pratiqué l’histoire orale dans un milieu universitaire savent trop bien que beaucoup d’historiens privilégient d’instinct les sources écrites ou imprimées en se méfiant des témoignages oraux. On demande à l’histoire orale de « vérifier » ses propres données en se référant aux sources imprimées – les seules considérées capables de dire la vérité. Pour les historiens qui sont en proie à ce que Marc Bloch appela « le fétiche documentaire », l’histoire orale remplit donc, dans la hiérarchie des sources, une fonction inférieure. Pour d’autres historiens, l’histoire orale offre des petites histoires très intéressantes qui peuvent rendre un peu d’animation à leurs récits mornes ou ennuyants. Le rôle des témoignages oraux n’est alors que purement décoratif. L’histoire orale vue dans cette perspective sait dire des choses insignifiantes à propos de personnages importants, ou bien dire des choses importantes à propos de personnages insignifiants. C’est un trésor de bonnes anecdotes prêt à piller.

8 Or, en tant que méthodologie, l’histoire orale a une spécificité propre. L’historien oral étudie les domaines du passé qu’a occultés ou marginalisés l’historiographie traditionnelle, comme ceux de la vie privée, de la lecture, des pratiques de l’éducation des enfants. Dans ces domaines, l’historien oral trouve des données qui ne seront jamais vérifiables dans les sources publiées, parce que ces sources-là n’existent pas. Les témoignages oraux peuvent aider à construire une histoire de la mémoire, et une histoire des représentations. Luisa Passerini, par exemple, à travers son enquête sur les classes ouvrières de Turin pendant la période fasciste, essaya d’expliquer comment ses interlocuteurs se représentaient eux-mêmes en tant que groupe social [6]. Les femmes ouvrières se percevaient comme des rebelles. Elles se réjouissaient de raconter comment leurs comportements n’étaient pas conformes à l’image désirée de l’épouse soumise, de la mère dévouée, de l’ouvrière docile. Cette image de « la femme rebelle » leur permettait de résister au fascisme et, au moins symboliquement, de renverser son système de valeurs. Seule l’analyse des témoignages oraux a permis à L. Passerini de dégager les représentations de soi qui avaient soutenu les ouvriers et les ouvrières de Turin.

9 En Australie, le livre de Paula Hamilton et de Kate Darian-Smith a frayé un chemin vers une analyse des mythes et des mémoires, publics ou privés, et de leurs fonctions historiques [7]. L’histoire orale joue un rôle important dans les contributions les plus originales de ce volume. Heather Goodall a brillamment éclairci la façon dont les Aborigènes de l’Australie centrale se sont remémoré les épidémies de rougeole et les essais nucléaires menés à Maralinga dans les années 1950 [8]. Elle montre comment, dans l’intérieur profond d’Australie, le processus de mémorisation a confondu ces deux événements. Les autorités ont pratiqué une politique de l’oubli, ne voulant jamais rappeler ni les essais ni leurs conséquences éventuellement nuisibles. En revanche, dans la mémoire collective du peuple Yanykunytjatjara, « le nuage noir » de débris toxiques qui descendait sur eux en 1953 était aussi le porteur des maladies. Ces dernières, introduites par les Blancs (les épidémies de rougeole qui sévissaient en 1948 et en 1956), emportèrent 25 % de la population locale qui n’avait aucune immunité naturelle. Peu importe que la première épidémie soit apparue cinq ans avant le début des essais nucléaires ; pour donner quelque sens à ce double traumatisme issu du colonialisme, la mémoire confondait les deux catastrophes. Mémoire publique et mémoire privée peuvent quelquefois se renforcer, mais elles peuvent également s’opposer. L’histoire orale nous présente de belles occasions pour prendre la mesure des divergences entre, d’une part, les constructions individuelles du passé et, d’autre part, les versions officielles. Notre tâche est donc de saisir les rapports entre ces mémoires différentes. Et cela a d’ailleurs été fait par Alistair Thompson et par Nicholas Doumanis, pour citer ces deux exemples. A. Thompson a interviewé les « Anzacs » survivants – c’est-à-dire les anciens combattants de l’Australian and New Zealand Army Corps qui subirent le désastre militaire de Gallipolli en 1915 [9]. Il faut rappeler que l’expérience australienne de cette bataille est entrée dans la mythologie collective comme épisode clé dans la formation d’une identité nationale. Mais les combattants individuels n’avaient pas forcément intériorisé cette interprétation mythique de leur service militaire. Le mythe des Anzacs privilégie le courage physique extraordinaire et la fermeté masculine. Pour quelques soldats, selon A. Thompson, il est évident que cet aspect mythologique a donné un vrai sens à la participation australienne dans la Grande Guerre. Mais pour quelques autres, ce n’étaient pas du tout le cas. La célébration de la masculinité, qui s’intégrait progressivement dans la mythologie nationaliste, paraissait contraignante, et représentait un idéal qu’il était impossible à réaliser.

10 L’historien australien N. Doumanis a également étudié l’entrecroisement d’une version publique de l’histoire avec l’expérience vécue par des témoins oraux [10]. La riche enquête de N. Doumanis porte sur les souvenirs des habitants grecs des îles du Dodécanèse pendant l’occupation de ces petits territoires par les Italiens au cours de la Seconde Guerre mondiale. N. Doumanis part donc d’une base apparemment limitée, mais il construit un cas exemplaire des possibilités de l’histoire orale. Ses propos nous permettent d’opposer l’historiographie officielle (il s’agit ici de l’historiographie nationaliste grecque) et les témoignages individuels qui la contredisent. On apprend de ses entretiens que tous les Grecs n’étaient pas résistants et que, pour les habitants de Kos ou de Lemnos, les occupants italiens introduisirent une administration plus rationnelle et plus progressiste qu’auparavant (ce qui ne s’accorde pas très bien avec nos idées reçues du fascisme italien, souvent accusé d’incompétence et de corruption). L’histoire orale nous renseigne donc sur la formation des mythes et des identités collectives. Mais elle nous révèle en même temps que les mythes et les mémoires peuvent aussi bien devenir des domaines sujets à caution.

Méthodes de recherche

11Revenons à l’histoire des pratiques de lecture. Il est important, avant d’illustrer quelques conclusions de notre propre enquête, d’esquisser comment ce projet a été monté, comment nous avons trouvé les personnes interrogées, ce que nous leur avons demandé, et quels étaient les critères d’analyse adoptés [11].

12 Soixante et une personnes ont été interrogées, mais le nombre total d’entretiens a été supérieur, car plus de la moitié des premières rencontres, d’une durée comprise entre quarante-cinq minutes et une heure, furent suivies soit d’un second entretien, soit encore de questions écrites pour élucider des points confus, combler des insuffisances ou profiter de souvenirs réapparus après l’entretien. Un échantillonnage mi-aléatoire et mi-thématique (random + purposeful sampling) présida au choix des personnes interrogées. Autrement dit, nous acceptions quiconque se portait volontaire mais, dans une certaine mesure, nous visions des sujets particuliers. Deux critères de qualification furent essentiels : ces personnes devaient être nées en Australie ou y avoir passé presque toute leur vie et être agé de plus de 70 ans. Cela nous a permis de couvrir les années aussi bien antérieures que postérieures à la Première Guerre mondiale. Les années 1890 constituaient alors pour le spécialiste de l’histoire orale une limite chronologique au-delà de laquelle il ne trouvait plus de personnes à interroger. C’est la décennie de 1920 qui fut la mieux couverte par les enquêtés et, dans un souci de cohérence, les années 1930 ne furent pas systématiquement étudiées au-delà du lancement de la version australienne du magazine illustré Women’s Weekly en 1933, date marquante pour l’histoire de la lecture en Australie.

13 Les personnes interrogées furent trouvées surtout par le biais des maisons et des villages de retraite, des associations de syndiqués à la retraite, des sociétés historiques ou de la presse locale. Les maisons de retraite et les sociétés d’histoire nous faisaient surtout rencontrer des individus appartenant aux couches sociales supérieures, fait que nous avons tenté de compenser en interrogeant des personnes ayant un passé de syndicalistes. Divers tests nous ont aidés à déterminer dans quelle mesure ce groupe de soixante et une personnes, qui, étant très réduit, ne pouvait prétendre à la représentativité, se rapprochait néanmoins de l’ensemble de la population de la Nouvelle-Galles du Sud. Les principales caractéristiques socio-culturelles de cette population ont pu être examinées grâce aux recensements de 1901, 1911 et 1921, que nous avons utilisés ensuite comme éléments de comparaison. En termes d’affiliation religieuse, notre groupe constitue un échantillon assez fidèle de l’ensemble, avec prépondérance numérique des anglicans et quasi-parité entre catholiques et protestants non-conformistes. Le lieu de naissance des parents est également conforme à la norme australienne de 1901, époque où environ les trois quarts des habitants étaient nés dans le pays. En ce qui concerne la répartition des sexes, on compte dans l’échantillon davantage de femmes que dans l’ensemble de la population, mais la plus grande longévité des femmes en ce siècle rend ce déséquilibre inévitable pour tout groupe de personnes âgées de plus de 70 ans.

14 Le profil du groupe interrogé diffère de celui de l’ensemble de la population sous deux aspects importants. En premier lieu, on compte une forte proportion d’habitants de Sydney, à laquelle ne correspond pas un nombre équivalent de ruraux. Du fait des limites en temps et en moyens de l’enquête, il a été difficile de remédier à ce problème. Les citadins ont été classés en trois groupes : les habitants du centre de Sydney, ceux des banlieues et ceux des autres villes ; les ruraux ont été classés comme habitants soit de bourgs, soit de régions reculées. Notre hypothèse de travail était que les attitudes culturelles différaient peut-être suivant qu’on vivait en milieu urbain ou rural, qu’on habitait le centre-ville, les banlieues ou le bush ; et que l’accès à la littérature pouvait varier géographiquement, puisqu’on comptait une plus forte densité d’infrastructures culturelles telles qu’écoles, cinémas et bibliothèques à Sydney qu’en banlieue ou à la campagne. Ensuite, la composition sociale du groupe interrogé fait la part trop belle aux catégories sociales supérieures. Les emplois urbains se trouvent surreprésentés, tout comme les hautes classes sociales : 27 % des personnes interrogées font partie de ce que l’on considère en Australie comme la catégorie supérieure, composée d’hommes d’affaires et de membres des professions libérales ; 30 % appartiennent aux classes moyennes inférieures – petits entrepreneurs, commerçants et employés ; 30 % sont des ouvriers, qualifiés et non qualifiés, et 13 % agriculteurs, dont les ressources et les statuts sont très hétérogènes. Ces découpages sont bien sûr arbitraires – on peut toujours contester les limites des catégories sociales [12] – mais nous voulions tester l’hypothèse d’un lien entre position socioprofessionnelle et culture dans la société australienne.

15Nos entretiens comprenaient une série de questions toujours souples, qui impliquaient rarement une réponse par « oui » ou par « non ». Il ne s’agissait pas d’un questionnaire, mais avant tout de la tentative de susciter de libres déclarations d’opinions et d’attitudes. Un premier ensemble de questions visait à établir des faits essentiels quant au milieu de la personne interrogée : son âge, ses principaux lieux de résidence lors de son enfance et de sa jeunesse, et une brève histoire de son éducation. En outre, nous lui demandions de quel pays venaient ses parents (rappelons que l’Australie est un pays d’immigration), ainsi que la profession de son père, que nous retenions comme une indication de son statut socioprofessionnel. La religion et le niveau général d’instruction et de culture figuraient aussi au programme de ces entretiens.

16 Venait ensuite une série de questions portant sur la consommation de journaux et de magazines. On demanda quels étaient, s’il y en avait, les journaux lus régulièrement, comment on se les procurait et quelles en étaient les modalités de lecture : qui lisait le journal en premier ? La famille entière le lisait-elle ou seulement quelques-uns de ses membres ? Certaines caractéristiques du journal étaient-elles particulièrement appréciées ? On demandait aussi quel était le sort des journaux et des magazines une fois lus, pour tenter de déceler l’existence de circuits de prêt et d’emprunt. On a tiré de ces informations des données statistiques sur la consommation de journaux et sur le profil des lecteurs de quotidiens et de périodiques populaires, tels le Bulletin et le Sydney Morning Herald. Nous avons enregistré une consommation très forte de journaux, ce qui n’a pas étonné, étant donné que l’Australie est un pays prospère, très urbanisé, avec à Sydney et à Melbourne un marché dense et concentré de consommateurs.

17On invita les personnes interrogées à se rappeler quels livres il y avait chez elles, et à quel endroit (indication parfois précieuse de l’importance qu’on leur accordait). La possibilité qu’avaient les sujets de connaître la littérature fut le thème d’un ensemble de questions portant sur la fréquentation des librairies, des bibliothèques de prêt, des Mechanics’ Institutes ou Schools of Arts et des marchands de livres ambulants, sur les livres qu’ils empruntaient et sur ceux qu’ils avaient reçus comme prix à l’école.

18On leur demanda quel type de littérature de fiction ils avaient le plus lu pendant leur jeunesse et s’ils avaient chez eux des livres de poésie, des dictionnaires, des ouvrages de référence, des livres de cuisine, des Bibles et des manuels techniques. Pour rafraîchir quelque peu les mémoires et susciter des commentaires, on leur présenta des listes de titres et d’auteurs biens connus.

19 On interrogea ces personnes sur les pratiques de lecture de leurs père, mère, frères et sœurs, afin de rassembler des informations sur les variations des pratiques de lecture suivant le sexe et, en même temps, pour déceler des attitudes sexuellement stéréotypées vis-à-vis des lecteurs (par exemple le stéréotype de la femme qui lit peu, superficiellement et de préférence dans le registre de la fiction « légère » ou romantique). On demanda aussi si elles se souvenaient de différentes pratiques de lecture (analysées plus tard), telles que la lecture à haute voix, particulièrement en ce qui concerne la Bible. On les invitait aussi à parler de leurs pratiques de lecture actuelles, de telle manière qu’elles puissent établir un bilan personnel de leur vie de lecteur.

20Toutes ces questions visaient à dégager trois points :

  1. Que lisait-on le plus fréquemment à l’époque ?
  2. Comment les personnes interrogées accédaient-elles aux ouvrages qu’elles-mêmes ou que leur famille lisait ?
  3. Que faisait-on de ces ouvrages, et quelle importance leur accordait-on à la maison ?
En dernier lieu, on questionna ces personnes sur leurs autres formes de loisirs et de distractions, tels que le cinéma, le théâtre et la musique, afin de mieux situer la lecture dans le contexte général des activités de loisir.

21 Ainsi l’enquête portait sur la vie culturelle de deux générations d’Australiens : celle des gens interrogés eux-mêmes pendant leur jeunesse et celle de leurs parents autant qu’ils pouvaient s’en souvenir. Ces générations ont vécu une conjoncture exceptionnelle en matière culturelle. Elles commençaient à s’habituer à la radio et au cinéma dans les années 1920, tout en ayant une certaine maîtrise de la culture livresque. Il s’agit des générations charnières entre le monde du livre et celui des médias électroniques. Plusieurs de nos interlocuteurs mentionnèrent la popularité de la lanterne magique, forme de loisir pré-cinématographique, illustrant la transition culturelle qui sapait la brève suprématie de l’imprimé.

Problèmes d’histoire orale

22Sans reprendre l’intégralité du débat sur la valeur et les insuffisances de l’histoire orale, je crois qu’il convient d’indiquer brièvement quelle fut mon approche et de reconnaître quelques-unes des difficultés auxquelles le travail s’est heurté en tant que programme d’histoire orale [13].

23 Laissons de côté la sempiternelle question de savoir à quel point la mémoire, et particulièrement celle des personnes âgées, est fiable : on a pu montrer que les personnes âgées se souviennent mieux du passé lointain que d’événements plus récents [14]. La valeur des informations recueillies peut être vérifiée en comparant les témoignages de plusieurs personnes. Ce cas de figure s’est produit lorsque nous avons interrogé trois enfants d’une même famille. Pour l’essentiel, leurs déclarations coïncidaient, ce qui était encourageant, mais les divergences entre leurs témoignages nous ont paru intéressantes et instructives en elles-mêmes. Le frère et une des sœurs, par exemple, avaient un souvenir différent des lectures de leur mère [15]. Selon William (né en 1911), celle-ci ne lisait que des romans à l’eau de rose ; d’après Agnès (née en 1910), les femmes n’avaient jamais le temps de lire. Ni l’une ni l’autre de ces versions ne doit être tenue pour erronée, ni être écartée. C’étaient deux réponses toutes faites sur la lecture des femmes, qui ont une valeur de témoignage sur les représentations qui avaient cours à l’époque, la première étant en général le fait des hommes, la seconde fréquente chez les femmes, portées souvent à condamner leurs propres lectures en tant que pure perte de temps de travail.

24Le récit oral a ses structures particulières, et obéit à ses propres lois. Les autobiographies orales ne suivent jamais les modes narratifs chronologiques adoptés par les autobiographies écrites : début, suite et fin. Les autobiographies orales, par contraste, commencent n’importe où, recourent au flash-back, procèdent par sauts en avant, reprises et digressions imprévisibles. Les souvenirs peuvent aussi se télescoper, et l’historien doit rétablir le sens de la chronologie chez son interlocuteur. Nous avons remarqué, par exemple, la fréquente tendance à mélanger les souvenirs de l’épidémie de grippe de 1919-1920 avec ceux de flambées antérieures de peste bubonique à Sydney. Notre enquête d’histoire orale buta sur une riche gamme de souvenirs populaires associés à l’épidémie de grippe, que de nombreuses personnes interrogées appelaient à tort « la peste ».

25Les souvenirs sont sélectifs, mais la sélection n’est pas forcément le fruit du hasard. Depuis Sigmund Freud, entre autres, on admet que les lacunes de mémoire peuvent cacher les moments difficiles ou traumatiques qu’on ne veut pas affronter. Ou bien la mémoire tend à effacer ce qui ne concorde pas avec l’image que l’on désire se faire présentement de soi-même. Ainsi, qu’une personne interrogée ne puisse se rappeler quels livres se trouvaient chez elle ou chez ses parents, peut être significatif. Ces livres ont peut-être été oubliés parce qu’ils n’étaient pas jugés importants. Dans ce cas, l’amnésie devient une indication à part entière. Ainsi la mémoire est à l’origine d’une censure qui est loin d’être aléatoire.

26 Je pars donc du principe que toute autobiographie, écrite ou orale, est une forme de fiction. En répondant aux historiens, les personnes interrogées ne donnent pas une image transparente de l’expérience vécue, mais une vision censurée et reconstruite par leur mémoire. Comme l’écrit John Murphy, parmi bien d’autres analystes qui ont développé une réflexion à son sujet, l’autobiographie est largement une version corrigée de la vie de l’auteur [16]. On retravaille le passé dans une intention particulière, pour se justifier, pour attirer l’intérêt et la sympathie de l’enquêteur, ou pour donner un sens et une cohérence aux expériences personnelles. Écrite ou orale, l’autobiographie s’inscrit dans un processus de découverte, ou de construction, d’une identité personnelle.

27En outre, comme le note L. Passerini, le jugement que les personnes interrogées portent sur leur passé est formé à travers le double prisme du passé et du présent [17]. Ce jugement est tout d’abord forgé par les normes sociales du passé. Ainsi, le mépris de certains de nos interlocuteurs pour ce que lisent actuellement les gens, et pour bien des émissions de télévision, est le fruit d’un ensemble de valeurs morales acquises cinquante ans plus tôt. Mais leur jugement porte également l’empreinte des normes d’aujourd’hui. Ceux qui nous disaient ne pas avoir appris l’histoire australienne à l’école s’exprimaient dans le contexte du récent essor de la conscience nationale australienne. Citons, par exemple George H., né en 1915 :

28

« Je me rends compte à quel point l’histoire qu’on nous enseignait était biaisée. Nous ne connaissions que l’histoire de l’Angleterre. Et, autant que je sache, quand en Angleterre on en était à peine à descendre de l’arbre, en Europe on était déjà très avancé, ce qui me sidère, car nous ne connaissions que l’histoire de l’Angleterre, l’Europe était tout à fait ignorée.
— Et l’histoire de l’Australie ?
— On n’en apprenait pas beaucoup non plus. C’était peut-être que l’histoire de l’Angleterre était plus facile à traiter, je n’en sais rien. Bien sûr, nous avons entendu parler du Capitaine Philip et de la marche des explorateurs, avec les colons qui les suivaient, qui profanaient la nature, mais il y avait peu d’histoire proprement dite. Peut-être qu’il n’y avait pas beaucoup… non, c’est sûr, il n’y avait pas beaucoup d’histoire à apprendre… la formation du Parti travailliste est pratiquement la seule histoire qu’ait l’Australie à l’heure actuelle [18]. »

29L’absence de l’histoire australienne dans les programmes scolaires est un fait que les gens interrogés condamnent aujourd’hui, mais dont ils ne se rendaient pas compte il y a cinquante ans. Mis à part l’évident parti pris du commentaire final de George H., « profaner la nature » apparaît comme un bon exemple de réflexion typique des années 1980, presque inimaginable à l’époque où il était écolier.

30 Le trait distinctif de l’histoire orale par rapport aux autres méthodes d’analyse historique, c’est le rôle actif et engagé de l’enquêteur. Les témoignages oraux ne se produisent pas spontanément. Ce sont des réponses données aux questions spécifiques, formulées et enregistrées par l’enquêteur. Les données se produisent donc à la suite d’un processus d’échanges mutuels dans lequel ce dernier se trouve fortement impliqué. Son statut socioprofessionnel, son sexe, ses origines nationales ou ethniques peuvent influencer les réponses données par son interlocuteur. L’enquêteur entre donc dans un rapport dynamique avec son interlocuteur, et il est essentiel que le fait incontournable de sa participation dans ce dialogue ne soit pas effacé par respect pour une fausse objectivité. Les témoignages oraux se créent à travers une négociation entre l’enquêteur et son interlocuteur. L’enquêteur ne peut pas se cacher. Il faut reconnaître qu’il est présent, qu’il s’implique dans la création même des données, et qu’il ne peut pas s’imaginer comme observateur neutre et désintéressé.

31Certaines personnes interrogées n’appréciaient guère d’être questionnées sur leur niveau d’instruction et de lecture par des enquêteurs de formation universitaire, tout particulièrement si elles avaient quitté l’école à l’âge de 14 ans, comme c’était alors fréquent. Le syndrome de l’illettrisme semble très puissant, et nous nous sommes rapidement aperçus qu’une question directe sur l’aptitude des parents à lire et à écrire pouvait susciter une réaction hostile.

32Bien sûr, à la fin du xixe siècle l’Australie était entrée dans l’âge de l’instruction de masse, c’est-à-dire que 95 % de la population était capable de lire et d’écrire. L’illettrisme était par conséquent un phénomène marginal, et seulement quatre des personnes interrogées citèrent un père ou une mère complètement ou partiellement illettré. Dans deux cas, ces parents n’étaient pas issus d’un milieu anglophone. Néanmoins, seule une personne, Joan P., née en 1904, fut capable de répondre d’une manière franche et ouverte : le souvenir de son beau-père « rustre » et analphabète ne lui causait aucune gêne [19].

33 Certaines des personnes interrogées éprouvèrent le besoin d’impressionner l’enquêteur par leur culture générale et leurs parcours scolaire. C’était là en partie la réaction défensive d’hommes et de femmes qui n’avaient qu’un cursus secondaire imparfait face à des universitaires armés des magnétophones. Néanmoins, on rencontra également une sorte de « vantardise culturelle » chez les personnes issues d’un milieu riche et ayant bénéficié d’une éducation privée, comme Nora K., née en 1911, qui nous déclara avec satisfaction qu’il y avait bien plus de deux mille livres dans la maison où elle avait grandi [20]. Cet élitisme culturel s’exprimait encore dans la réponse à notre demande de décrire les gens qui, comme sa famille et ses proches, fréquentaient la bibliothèque privée d’Anguis et Robertson à Sydney dans les années 1920. Elle répondit, pensive : « Je dirais que c’étaient surtout des intellectuels… plutôt que des ouvriers, oui, c’est bien cela ». Certaines des personnes interrogées ont vu dans l’enquêteur quelqu’un que les livres intéressaient a priori, et ont supposé qu’il existait entre elles et lui une connivence culturelle. Pour Letty O., née en 1913, qui déclara : « Il n’y a pas de reconnaissance officielle de la culture aujourd’hui en Australie, des gens comme vous et moi doivent agir pour que les livres soient toujours respectés », nous étions tous les deux les défenseurs d’une culture menacée [21]. Il y avait ici tentative de recruter l’enquêteur comme complice dans une croisade culturelle.

34 D’autres étaient fiers de leur culture pour une autre raison. Quelques autodidactes, tous des hommes, avaient une culture littéraire spécifique, fondée essentiellement sur ce qu’ils jugeaient être les lectures réfléchies, utiles, et par conséquent non-récréatives. Ainsi certains écartaient tout ouvrage de fiction. Randolph H., né en 1915, nous déclara : « Les lectures faciles ne m’ont jamais intéressé, je ne m’intéresse pas du tout aux romans, mes lectures ont toujours eu une certaine profondeur [22]. » Randolph H. conservait la soif d’apprendre de l’autodidacte : il avait déjà obtenu deux diplômes intermédiaires comme étudiant du troisième âge, et suit encore à l’heure actuelle des cours universitaires.

35 Cependant l’attitude contraire, c’est-à-dire la sous-estimation de ses propres lectures, fut sans doute prépondérante. Beaucoup de femmes, en particulier, commencèrent l’entretien en affirmant qu’il n’y avait jamais dans leur vie de temps pour la lecture, puisqu’il y avait tant de choses à faire dans la maison ou à la ferme, avec tant d’enfants à élever, sans l’électroménager qui maintenant est censé faciliter ces tâches. Ces dénégations n’ont pas été acceptées telles quelles. Les questions posées ensuite ont révélé que ces femmes en réalité lisaient, ne serait-ce que de manière fragmentaire, des journaux, des magazines ou même des livres. Les soirées et les dimanches apportaient un certain répit dans le travail ménager, laissant du temps pour la lecture. Pourquoi donc se défendaient-elles si vigoureusement de lire ? On a trouvé chez les femmes interrogées une tendance fréquente à dénigrer leur propre culture littéraire. Plusieurs d’entre elles affirmèrent avec insistance qu’elles ne lisaient que des « choses sans intérêt » ou de « stupides foutaises » [23]. « Je crois que les ouvriers avaient de mauvaises attitudes vis-à-vis de la lecture à cette époque », déclara Kate A., née en 1918, épouse d’un ancien docker. « Ma mère considérait la lecture comme une perte de temps. Si elle nous surprenait à lire, elle nous reprochait de perdre notre temps » [24]. L’analyse a montré que ce déni traduit une condamnation morale de la lecture, activité gratuite, allant à l’encontre d’une éthique de travail exigeante. Deux autres exemples illustrent encore mieux cette auto-dévaluation culturelle. Sylvia J., née en 1917, interrogée sur les journaux d’enfants illustrés tels que Magnet et Chum, répondit : « Je n’appelle pas cela de la lecture. Je crois qu’on les achetait au bureau de tabac… la lecture n’a jamais occupé une place importante dans notre vie. C’est probablement pour cela que j’ai toujours été un cancre [25]. » En fait Sylvia J. lisait, comme le montre son témoignage, mais n’y accordait pas d’importance. On peut rapprocher cela du témoignage de Mabel T., née en 1912, se décrivant comme « une lectrice passionnée mais pas une bonne lectrice », et ajoutant :

36

« Je ne dresse pas de listes de livres à lire pour mon éducation, ni rien de ce genre, et ça ne m’intéresse pas d’analyser… même à l’école je n’arrivais pas à m’y intéresser. Je n’aime pas analyser, de toute manière. Alors je lis n’importe quoi. Ma mère devait s’occuper de sept enfants. Je ne crois pas qu’elle lisait autant qu’elle aurait voulu, non, elle ne lisait pas beaucoup, et puis, plus tard dans sa vie… elle ne lisait que des choses insignifiantes, rien de bien méchant, juste des romans, des histoires simples, des histoires à l’eau de rose, mais pas les pires… [26]. »

37 Mabel T. ne voulait pas donner l’impression que les lectures de sa mère étaient nulles, tout en laissant cependant entendre qu’elles n’étaient pas de toute première qualité. Elle était de ces lecteurs qui méprisent leurs propres lectures, qu’ils jugent inférieures aux classiques, sérieux et édifiants, qu’on leur a appris à respecter. Ils acceptent les valeurs de la culture littéraire bourgeoise ou officielle, et ainsi dévalorisent ce qu’ils lisaient par comparaison avec Dickens, Shakespeare, et les autres monuments de la littérature anglo-saxonne.

38Ce n’est qu’exceptionnellement que nous avons rencontré une personne ayant rejeté les valeurs officielles de la littérature. Henry K., communiste, né en 1907, avait de l’estime pour ce qu’il lisait, comme faisant partie d’une culture allant à l’encontre des idées orthodoxes. Il dénonçait les préjugés racistes de la presse populaire de l’époque, de Smith’s Weekly par exemple, ce que peu de lecteurs interrogés étaient disposés à faire. Ses lectures avaient pris une orientation marxiste et athée depuis qu’il avait découvert Marx dans une sucrerie de Queensland. Pour être précis, cherchant du travail sur les routes de Queensland, des personnes de rencontre lui avaient parlé de la littérature socialiste, qu’il avait ensuite consultée dans une bibliothèque à Maruyan. Ses réflexions montraient comment une institution culturelle soutenue par le capitalisme (une bibliothèque dans une sucrerie) pouvait être adaptée et transformée à des fins contestataires. Et pourtant même Henry K. évoquait les années d’avant son éveil politique en de termes peu flatteurs : « Le soir, soit nous jouions aux cartes soit nous lisions, et je suis certain que nous avons lu beaucoup de foutaises à cette époque [27]. »

La lecture traditionnelle

39 Passons à quelques-uns des thèmes qui se dégagent des données recueillies, surtout pour remarquer la persistance des modes de lecture traditionnels. Cette notion, telle que nous l’entendons, renvoie largement aux analyses de David Hall en Nouvelle-Angleterre et de Rolf Engelsing en Allemagne du Nord [28].

40La rareté des livres et le respect de l’imprimé constituent deux caractéristiques du monde traditionnel de la lecture identifié par D. Hall dans la Nouvelle-Angleterre puritaine du xviiie siècle. Il était également fréquent de lire à haute voix ou en famille, et c’est là aussi un autre aspect de la lecture traditionnelle. La lecture, en silence ou à voix haute, prenait place dans un contexte religieux, que ce soit pour l’éducation des enfants ou dans le cadre de la piété familiale. La Bible était parfois la seule lecture des familles de la Nouvelle-Angleterre. Par conséquent, ses pages étaient lues et relues, et sa sagesse constamment évoquée.

41L’historien allemand R. Engelsing, dans son étude des bourgeois de Brême au début du xixe siècle, qualifie leur lecture non pas de « traditionnelle » mais d’« intense » : un petit nombre de textes familiers était lu et relu. Ces ouvrages fidèlement appréciés, parmi lesquels figurait la Bible, passaient d’une génération à l’autre. L’accent mis sur la mémorisation des textes favoris et leur récitation par cœur caractérisaient aussi cette lecture intensive. Nombre de nos interlocuteurs auraient pu reconnaître certains aspects de cette ancienne façon de lire. Dans leur cas, on trouve des analogies réelles, bien qu’inattendues, entre la Nouvelle-Angleterre au xviii e siècle, l’Allemagne du Nord au xixe siècle et Sydney au début du xxe siècle. L’un des liens essentiels entre ces trois univers culturels est la force du protestantisme évangélique. La présence de la Bible familiale, la pratique de lire en groupe dans un contexte religieux et le respect qu’inspiraient les livres en tant qu’objets de luxe, tout cela évoque « le monde que nous avons perdu » de la lecture.

42Vingt des soixante et une personnes interrogées – soit pratiquement une personne sur trois – se souvenaient d’une Bible familiale. C’était un patrimoine substantiel. La Bible de famille de Mary Gilmore, poète australienne des années 1920, transmise à travers au moins six générations, était un « trésor sans prix », préservé dans un étui de soie et de flanelle, estimé à plusieurs milliers de livres, mais probablement brûlé par une tante qui en ignorait la valeur [29]. Les personnes interrogées se souvenaient que naissances, mariages et décès, et parfois baptêmes et confirmations, étaient notés et datés dans ses pages. La Bible familiale répertoriait et commémorait toutes les dates importantes et les rites de passage dans la vie chrétienne des générations. C’était un témoin de l’identité familiale, identité qui ne pouvait être définie que par le biais de la religion, et une affirmation résolue de l’unité et de la continuité de la famille. Les personnes interrogées nous apprennent qu’elle était habituellement transmise de femme à femme, et que le transfert avait souvent eu lieu le jour du mariage de leur mère, après quoi la succession dépendait de la fille [30].

43 La Bible familiale était avant tout, mais pas exclusivement, une tradition protestante. Quelque 75 % des gens interrogés qui s’en souvenaient sont protestants. Ils appartiennent souvent aux catégories sociales supérieures : l’élite des affaires et des professions libérales, la petite bourgeoisie et les agriculteurs prospères. Un quart des personnes se souvenaient de lectures collectives de textes religieux pendant leur enfance. Cinq d’entre elles ont évoqué les lectures familiales quotidiennes de la Bible ou de livres de prières ; trois autres la lecture religieuse collective comme une activité réservée au dimanche.

44Daisy B., née en 1905, exprima l’idée répandue que ces pratiques culturelles avaient disparu depuis longtemps, si elles avaient jamais existé « dans le temps » – expression souvent employée par les personnes interrogées cherchant à évoquer un passé imprécis et difficilement imaginable. « Chez nous – dit par exemple Daisy B. – il n’y avait pas de séances où, comme on faisait il y a longtemps, le père lisait la Bible à table, ce genre de chose, il n’y avait pas cela [31] ». Laura P., née 1911, aurait pu contester ce déni catégorique d’une telle pratique. Pour elle et sa famille, la lecture collective de la Bible était une institution familiale fondamentale : « Lire la Bible faisait partie de notre vie ». Son père, diplômé de lettres et instituteur à Sydney, dirigeait les prières familiales, et s’il y avait des invités au dîner, ceux-ci participaient à la cérémonie. Après le repas, d’après elle, la famille faisait une « lecture tournante » de la Bible, autrement dit, on faisait un tour de table au cours duquel chaque personne lisait un verset [32].

45 Pour l’enquêteur, c’était là une expérience similaire à celle décrite par la romancière Miles Franklin dans son livre Childhood at Brindabella :

46

« Dès que j’ai su lire, je m’attelais au chapitre de la Bible préparé pour le dimanche, et je lisais avec ma mère un verset chacune. Je trouvais plus de satisfaction dans le fait de lire que d’intérêt pour ce que je lisais [33]. »

47La lecture collective de la Bible occupait une place privilégiée parmi les devoirs du sabbat presbytérien. Mary Banks donne une vision positive du dimanche presbytérien dans ses souvenirs du Queensland :

48

« Nos dimanches dans le bush étaient heureux, même truffés d’interdictions ; nous n’avions pas le droit de courir, ni de cueillir des fruits, ni de chanter des chansons, ni de lire autre chose que des livres religieux ou les magazines posés dans la véranda comme lectures de dimanche [34]. »

49Ainsi, la force du puritanisme et le strict respect du sabbat furent des éléments importants dans la survie d’un mode de lecture traditionnel en Nouvelle-Galles du Sud, comme ils l’avaient été en Allemagne et en Nouvelle-Angleterre.

50 En examinant les principaux lieux de résidence des personnes interrogées qui gardaient le souvenir d’une Bible familiale ou de séances de lecture collective de textes religieux, nous avons remarqué que c’était dans le centre-ville et dans les bourgs ruraux que ces pratiques avaient duré le plus longtemps. L’explication réside peut-être dans la survivance en ces lieux d’une vie sociale et culturelle communautaire. C’est dans les bourgs de campagne et dans ce village urbain qu’était le centre-ville que se maintenaient le mieux une vie collective et un esprit communautaire. Dans les banlieues et dans le bush, l’individu, pour des raisons différentes, était plus isolé.

51Certaines personnes interrogées témoignèrent d’une grande sensibilité au texte imprimé et d’un sens aigu des livres comme objets. Par exemple, elles appréciaient les livres suivant leur reliure et leurs caractéristiques physiques. Kathleen T., née en 1902, se montra très sensible à l’aspect extérieur des livres, comme on peut le voir dans ces courts extraits :

52

« Nous collectionnions de petites éditions de Dickens sur très beau papier bible… L’Atlas Illustré était très bien imprimé, vous savez, d’abord chaque lettre en était délicatement ondulée… J’ai gardé un tas de livres… tous de beaux gros livres avec de jolies reliures et de bonnes couvertures épaisses, vous savez, pas comme beaucoup de ceux d’aujourd’hui qui sont si fragiles… et bien sûr ils ne coûtaient pas des fortunes comme ce que coûtent les beaux livres aujourd’hui… Little Dorritt avait une belle couverture de cuir… plus tard j’ai acheté tous les volumes, des jolis livres verts avec des lettres dorées dessus [35]. »

53 Le sens tactile du lecteur ne manque pas non plus à M. Gilmore, quand elle décrit les formes compliquées des caractères de sa Bible familiale, « les majuscules comme des miniatures de cathédrale » et la finesse du papier, qui stimulaient le sens du toucher et celui de la vue dans son enfance [36]. Il existait, pour manier les livres, des codes de conduite qui renforçaient le respect qu’on leur vouait en tant qu’objets :

54

« On nous disait dès notre petite enfance de faire attention aux livres, de ne jamais arracher les pages ni de faire des gribouillages, et nous apprenions ainsi à vivre avec eux… Jamais nous n’aurions déchiré ou laissé traîner dehors un livre, ni rien de tout cela. Je n’aime pas aujourd’hui voir certaines de ces personnes âgées prendre un livre de bibliothèque et le laisser dehors au soleil [37]. »

55Les livres comme la Bible, associés aux rites de famille, étaient des objets de valeur durables. C’étaient des trésors, transmis d’une génération à l’autre, symboles de l’unité, de la prospérité et de la continuité de la famille. Ils avaient besoin d’être protégés, respectés et joliment exposés. Pour de nombreuses personnes interrogées issues de la classe ouvrière, il y avait peu d’argent à consacrer à l’exposition des trésors de la famille et le rangement des livres se faisait sans cérémonie. Plusieurs se souviennent de livres empilés sur le buffet dans la salle à manger. Mais c’était, là encore, un endroit public qui indiquait peut-être une volonté de montrer les livres. Ainsi, pour Henri H., les livres du buffet étaient là « juste pour faire bien, s’ils avaient un dos brillant ou s’ils étaient bien reliés [38] ».

56 Plus fréquentes étaient les bibliothèques de forme et de taille diverses, qui ne caractérisaient pas forcément un milieu social donné. Ronald L., né en 1914, issu d’une famille ouvrière, se souvient que sa mère avait installé une bibliothèque dans le coin d’une pièce et y avait fixé des portes ajourées, de telle sorte que Ronald L. pensait pouvoir l’appeler « la librairie » [39]. Ceux qui possédaient des bibliothèques étaient d’origines sociales diverses.

57 La bibliothèque de cèdre, cependant, avait bien davantage de signification, et l’on peut à juste titre la qualifier de symbole de classe en Australie à cette époque. Quatre personnes interrogées en mentionnent une en particulier : sa beauté et sa finition en faisait un meuble particulièrement adapté à l’exposition orgueilleuse des livres de valeur. Aucun de ceux qui évoquaient des bibliothèques de cèdre n’était d’origine ouvrière ; ils appartenaient aux classes moyennes et supérieures. Les livres familiaux les plus respectés (mais pas forcément les plus lus) étaient disposés dans le salon (parlour). Leur présence dans cette partie en quelque sorte officielle et publique de la maison était un signe du respect qu’on leur portait et de leur importance comme trésors de famille. Charlotte C., née en 1908, se souvient de livres dans le fumoir, lieu de rituel du café après le dîner dans les classes supérieures (cela dans une maison comportant huit chambres à coucher située dans la banlieue de l’Est de Sydney) [40]. Mais les membres des classes moyennes avaient la même volonté d’affirmer leur statut et de montrer leur respect pour la culture officielle. Le père d’Emily M., qui avait reçu peu d’instruction scolaire, avait fabriqué quelque chose qu’on pourrait qualifier de reliquaire familial. Il avait construit une table spéciale, marquetée et délicatement polie, sur laquelle étaient posés une Bible et d’autres trésors de famille [41]. Ainsi, dans les salons de Nouvelle-Galles du Sud, les livres étaient préservés amoureusement, avec un respect traditionnel pour leur valeur en tant qu’objets matériels. Leur exposition était parfois une affirmation du statut social et une revendication d’appartenance à une société cultivée.

58Plus de la moitié des personnes interrogées au cours de notre enquête se souvenaient d’une ou de plusieurs des pratiques définies comme relevant de modes de lecture traditionnels. Les nombreuses références à la Bible familiale en constituent les indices les plus remarquables. La lecture oralisée collective a été aussi évoquée, généralement dans un contexte religieux, mais parfois aussi complètement laïc. La lecture répétée de quelques textes familiers était une habitude persistante, et plusieurs lecteurs ont montré une vive sensibilité à la présence physique du livre, qui était plus habituelle au cours des siècles précédents. Avec leurs bibliothèques de cèdre, les foyers rendaient hommage à la culture littéraire. Ces pratiques peuvent être considérées comme des vestiges du passé. Il est cependant surprenant de découvrir leur vigoureuse survivance dans la Nouvelle-Galles du Sud du début du xxe siècle. Comme Peter Laslett nous le rappelle, « le monde que nous avons perdu » est en quelque sorte encore à nos côtés, bien que nous soyons rarement conscients de sa « persistance fantomatique » [42].

Notes

  • [1]
    Martyn Lyons et Lucy Taksa, Australian Readers Remember : an oral History of Reading, 1890-1930, Melbourne, Oxford University Press, 1992.
  • [2]
    Sur l’histoire de la lecture comme pratique culturelle, on se reportera aux travaux de Roger Chartier, en particulier à R. Chartier (éd.), Histoire de la lecture. Un bilan des recherches, Paris, IMEC, Éd. de la MSH, 1995. Pour un bilan incluant la sociologie de la lecture, voir Gérard Mauger, « Écrits, lecteurs, lectures », Genèses, n° 34, mars 1999, pp. 144-161.
  • [3]
    Richard Hoggart, The Uses of Literacy : Aspects of Working-Class Life, Harmondsworth UK, Penguin, 1958 (éd. fr., La Culture du pauvre : études sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970).
  • [4]
    Ainsi, Anne-Marie Thiesse a notamment publié plusieurs témoignages très intéressants des paysannes de l’Ardèche. Voir A.-M. Thiesse, Le Roman du quotidien : lecteurs et lectures populaires à la belle époque, Paris, Le Chemin vert, 1984 ; « Imprimés du pauvre, livres de fortune », Romantisme, vol. 14, n° 43, 1984, pp. 91-109 ; « Mutations et permanences dans l’univers culturel populaire, le cas de la lecture à la belle époque », Annales ESC, n° 1, 1984.
  • [5]
    Janice A. Radway, Reading the Romance : Women, Patriarchy and Popular Literature, University of North Carolina Press, Chapel Hill, NC, 1984 et 1991.
  • [6]
    Luisa Passerini, Fascism in Popular Memory, Cambridge, Cambridge University Press, 1987 (éd. orig., Torino operaia e fascismo : una storia orale, Rome, Laterza, 1984).
  • [7]
    Kate Darian-Smith et Paula Hamilton (éd.), Memory and History in 20th Century Australia, Melbourne, Oxford University Press, 1994.
  • [8]
    Voir Heather Goodall, « Colonialism and Catastrophe : Contrasted Memories of Nuclear Testing and Measles Epidemics at Ernabella », ibid., pp. 55-76.
  • [9]
    Alistair Thompson, Anzac Memories : Living with the Legend, Melbourne, Oxford University Press, 1994.
  • [10]
    Nicholas Doumanis, Myth and Memory in the Mediterranean : Remembering Fascism’s Empire, Basingstoke UK, Macmillan, 1997 ; « The Italian Empire and brava gente : oral History in the Dodecanese Islands », in Richard J. B. Bosworth et Patrizia Dogliani (éd.), Italian Fascism : history, memory, representation, Basingstoke UK, Macmillan, 1999.
  • [11]
    Le projet a reçu une subvention de l’Australian Research Grants Scheme d’environ 16 000 $A, ce qui valait à l’époque à peu près 100 000 francs français – subvention assez mince, à mon avis, mais qu’il faut bien reconnaître.
  • [12]
    Voir l’utile essai de Shirley Fisher, « Sydney Women and the Workforce, 1870-1890 », in Max Kelly (éd.), Nineteenth Century Sydney : Essays in urban History, Sydney University Press, 1978, pp. 95-105.
  • [13]
    Voir L. Passerini (éd.), Storia Orale : vita quotidiana e cultura materiale delle classi subalterne, Torino, Rosenberg et Sellier, 1978 ; Philippe Joutard et al., « Archives Orales : une autre histoire ? », Annales ESC, n° 35, 1980, pp. 124-199.
  • [14]
    Paul Thompson, The Voice of the Past : oral History, Oxford, Oxford University Press, 1978 (nouvelle édition, 1988).
  • [15]
    Entretiens avec William M. et Agnes B., des 9 mai et 10 juillet 1986.
  • [16]
    John Murphy, « The Voice of Memory : History, Autobiography and Oral Memory », Historical Studies, n° 22, 1986, pp. 157-175.
  • [17]
    L. Passerini, Storia Orale…, op. cit., pp. xxv-xxvi.
  • [18]
    Entretien avec George H., 11 décembre 1986.
  • [19]
    Entretiens du 9 mai et du 27 juin 1986.
  • [20]
    Entretien du 12 septembre 1986.
  • [21]
    Entretien du 8 août 1986, aparté non enregistré.
  • [22]
    Entretien du 26 novembre 1986, et correspondance ultérieure.
  • [23]
    Entretien avec Eileen McC. du 7 novembre 1986, et correspondance ultérieure.
  • [24]
    Entretien réalisé le 21 octobre 1986, et correspondance ultérieure.
  • [25]
    Entretien du 25 septembre 1986.
  • [26]
    Entretien du 14 novembre 1986.
  • [27]
    Entretiens des 4 août et 18 septembre 1986.
  • [28]
    David D. Hall, « The Uses of Literacy in New England, 1600-1850 », in William L. Joyce et al. (éd.), Printing and Society in early America, Worcester, Mass., American Antiquarian Society, 1983 ; Rolf Engelsing, Der Burger als Leser. Lesergeschichte in Deutschland, 1500-1800, Stuttgart, Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1974.
  • [29]
    Mary Gilmore, Old Days, Old Ways : a book of recollections, Sydney, Angus & Robertson, 1934, p. 58.
  • [30]
    Entretien avec Donald W., 10 juin 1986.
  • [31]
    Entretien du 16 juillet 1986.
  • [32]
    Entretien du 27 février 1986.
  • [33]
    Miles Franklin, Childhood at Brindabella : my first ten years, Sydney, Angus & Robertson, 1963, p. 109.
  • [34]
    Mary MacLeod Banks, Memoirs of Pioneer Days in Queensland, London, Heath, Cranton, 1931, p. 40.
  • [35]
    Entretien réalisé le 2 mai 1986.
  • [36]
    M. Gilmore, Old Days, Old Ways…, op. cit., p. 58.
  • [37]
    Daisy B. : entretien réalisé le 16 juillet 1986.
  • [38]
    Entretiens réalisés les 4 août et 18 septembre 1986.
  • [39]
    Entretiens des 24 mars et 24 avril 1986.
  • [40]
    Entretien du 18 septembre 1986.
  • [41]
    Entretien du 14 mars 1986.
  • [42]
    Peter Laslett, The World We Have Lost, London, Methuen, 1965 et 1971, p. 26 (éd. fr., Un Monde que nous avons perdu, Paris, Flammarion, 1969).

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