1Comme l’a dit Steve Jobs : “It’s more fun to be a pirate than to join the Navy”. En toute modestie, je suis plutôt d’accord avec Steve : embarqué depuis plus de vingt-cinq ans sur ce corsaire au service d’une gestion éclairée qu’est Gérer & Comprendre, je vois mal comment j’aurais pu me laisser enrôler, sans m’y perdre, les fers aux pieds, à bord de l’un de ces lourds vaisseaux académiques voguant au fil du main stream, armés de toutes les certitudes du moment. Au lieu de cela, ce quart de siècle passé sur les sept mers des sciences humaines, au service d’un capitaine et de joyeux compagnons, irrévérencieux toujours, iconoclastes souvent, a été rempli de voyages surprenants, découvrant à mes yeux étonnés des contrées mal connues et d’étranges tribus aux rituels inouïs. Et cela continue !
2 Tenez, ce numéro thématique que vous avez dans les mains : c’est une frégate légère qui va vous embarquer sur les traces de huit aventuriers de bel aloi, doctorants de fraîche date et/ou vieux loups de mer des entreprises, dont la course était vouée par les prudents à se fracasser sur les écueils de strictes méthodologies et qui nous ramènent pourtant quelques jolies pépites. Des banquiers, un extrader, une DRH, des ingénieurs en R&D, des consultants : c’est là une faune digne d’une taverne de Pirates des Caraïbes, dont les auteurs nous invitent à découvrir, par leurs descriptions minutieuses et leurs observations sur le vif, les mœurs étranges. On y découvre des jeux de pouvoir, des trésors amassés, des arnaqueurs de belle apparence, des marchés aux esclaves (pardon, aux sous-traitants), des bals du Gouverneur où les sourires masquent les complots. On y voit même les affres de simples matelots voulant devenir capitaines ! C’est quand même plus amusant que les corvées de pont dans la Royale, non ?
3 C’est d’autant plus amusant que l’on apprend, voire que l’on comprend des choses que les litanies aseptisées des régressions statistiques ne nous révèleront jamais : une organisation, ça vit et c’est unique ! Ça ne baigne pas dans le formol, bien rangée sur les étagères d’un musée. Et pour savoir comment ça vit, il faut aller y regarder de près : il faut l’observer avec humilité, voire expérimenter par soi-même son mode de vie, partager ses valeurs et ses craintes, mettre la main à la pâte. En un mot, il faut vivre avec. Les ethnographes nous ont montré la voie depuis longtemps, mais elle est sans doute trop impliquante pour le chercheur qui fait des ronds dans l’eau douce de son université, bien à l’abri de la grande houle du large.
4 « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux », disait Marcel Proust. Et il s’y connaissait ! Michel Villette et ses complices du Centre Maurice Halbwachs nous en offrent ici l’opportunité. Alors, merci à eux d’être montés à bord et tous à la manœuvre pour larguer les amarres !