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Article de revue

Gérer un méta-problème : le cas des débris spatiaux

Pages 3 à 12

1Le 10 février 2009, le satellite de télécommunication Iridium-33 est percuté perpendiculairement par un satellite militaire russe déclassifié, Cosmos-2251, à une vitesse estimée à plus de onze kilomètres par seconde. La collision produit sans doute plus de 3000 débris (les estimations varient). C’est le premier accident de cette ampleur jamais répertorié. Depuis le début de la conquête spatiale, en 1957, le nombre de débris dans l’espace augmente de façon exponentielle. Il s’agit de ce que l’on appelle le syndrome de Kessler (Kessler & Cour-Palais, 1978) : chaque accident produit une multitude de nouveaux débris, eux-mêmes susceptibles de provoquer d’autres collisions en chaîne. Aujourd’hui, on recense dans l’espace 34 000 objets de plus de dix centimètres, 900 000 de plus d’un centimètre et 128 millions de plus d’un millimètre, sachant qu’un objet d’un millimètre, un éclat de peinture par exemple, à la vitesse où il se déplace dans l’espace, peut occasionner des dégâts importants sur un satellite en fonction. Avec l’augmentation du nombre de satellites d’observation et de télécommunication, les risques sont en train de se multiplier. Des systèmes de détection permettent d’anticiper les collisions avec des objets de grande taille. Le lundi 2 septembre 2019, l’agence spatiale européenne a opéré une manœuvre de modification de la trajectoire de son satellite Aeolus pour éviter une collision avec un satellite de la constellation Starlink de SpaceX, la firme d’Elon Musk. C’est la première fois que l’Agence Spatiale Européenne doit intervenir pour éviter un satellite opérationnel. Jusque-là, les manœuvres ne concernaient que des débris ou des satellites abandonnés. Beaucoup d’objets de plus petite taille échappent à la détection et la multiplication des débris va rapidement rendre les manœuvres difficiles et sans doute peu efficaces. Les coûts entraînés par la création de débris peuvent être élevés, en termes de vies humaines pour les astronautes et les populations au sol, et en termes économiques si des satellites sophistiqués sont détruits.

2Le cas montre combien la poursuite de stratégies individuelles (lancer toujours plus de satellites) peut mener à une catastrophe collective (ne plus réussir à aller dans l’espace). En ce sens, les orbites terrestres sont le théâtre d’une nouvelle « tragédie des communs », telle qu’elle a été décrite par Hardin en 1968 : « Tous courent à la ruine, chacun poursuivant son intérêt personnel dans une société qui croit à la liberté des biens communs, liberté qui se traduit par la ruine de tous » (Hardin, 2018, p. 29).

3Cartwright (1987) a qualifié une telle situation de « méta-problème ». La gestion de ce type de problème implique des acteurs hétérogènes aux valeurs contradictoires qui peuvent avoir recours à plusieurs moyens d’action. Les questions environnementales, de développement durable, de droits de l’Homme ou de corruption, relèvent de cette catégorie. Le cas des débris spatiaux illustre la manière dont ces problématiques naissent et sont mises à l’agenda, et dont on peut essayer de les gérer. En prolongeant Cartwright, on peut également noter que de tels problèmes se caractérisent par trois dimensions interdépendantes mais séparées. Il s’agit de gérer les problèmes les plus urgents, en empêchant par exemple qu’un tir de missile antisatellite ou une collision avec un satellite actif ne provoque une nouvelle catastrophe qui serait fatale aux activités spatiales. Dans un horizon plus lointain, la situation ne pourra se stabiliser durablement que si les acteurs modifient leurs comportements en profondeur (ce que les Anglo-Saxons appellent mitigation). Enfin, il faut nettoyer les orbites terrestres où se sont accumulés les débris depuis le début de la conquête spatiale (en anglais, remediation).

4Montrant comment le méta-problème des débris spatiaux est apparu, comment il s’est développé et comment les acteurs ont commencé à agir, cet article explore les scénarios possibles et plausibles de sa gestion. Une généralisation à d’autres types de méta-problèmes comme le plastique polluant les océans, est sans doute envisageable.

Analyse narrative du méta-problème

5Nous allons d’abord présenter la narration du cas des débris spatiaux pour comprendre comment a émergé ce méta-problème et comment il s’est structuré au fil du temps. À partir de cette narration, nous proposerons une analyse du problème en trois dimensions.

Narration : apparition et développement du méta-problème

6Dans l’histoire des débris spatiaux, l’étude des chronologies à partir de la littérature consacrée au sujet (Kessler, 1993 ; Salter, 2016 ; Bonnal, 2016 ; Saint-Martin, 2016) amène à construire une narration représentée dans la figure 1 reposant sur l’identification de trois périodes, encadrées par deux points de basculement (Abbott, 2001 ; Abell, 2004 ; Dumez, 2016). La première séquence renvoie à la naissance du problème scientifique et aux premières tentatives pour le résoudre ; les grandes collisions conduisent à une deuxième séquence marquée par une intensification de la réglementation ; actuellement, nous sommes probablement entrés dans une troisième séquence, caractérisée par des ruptures technologiques qui vont considérablement aggraver le problème dans les prochaines années (Voir Figure 1 ci-dessous).

Figure 1

Schéma de la narration

Figure 1

Schéma de la narration

Méthodologie

L’analyse a été réalisée à partir d’un corpus bibliographique varié. Le cas des débris spatiaux dispose en effet d’un très grand nombre de données secondaires : rapports, publications d’organismes internationaux, textes de lois, chronologies officielles. Nous nous sommes également appuyés sur des publications scientifiques (Kessler & Cour-Palais, 1978 ; Alby, Arnould & Debus, 2007 ; Bonnal, 2016) dans des disciplines variées comme l’économie (Salter, 2016), la sociologie (Saint-Martin, 2016) et le droit (Chaddha, 2012). Afin d’identifier les éléments majeurs de cette abondante littérature, nous avons adopté la méthode du snowball sampling, ou de l’effet boule de neige (Patton, 2002 ; Miles & Huberman, 2003).
Quinze entretiens sont venus compléter ce matériau. Nous avons rencontré des représentants de chacun des grands acteurs impliqués dans la problématique des débris spatiaux : industriels (éco-design, commercial, engineering), agences spatiales, startups spécialisées (retrait des débris, analyse de risque), universités (fabrication de Cubesats, recherches sur les lasers de puissance), départements juridiques. Ces entretiens libres d’une heure et quart à trois heures nous ont permis d’appuyer les hypothèses formulées au cours de la recherche et de tester la possibilité et la plausibilité des scénarios construits (« traiter les entretiens comme des éléments de révision de la théorie » – Piore, 2006, p. 22).
Un méta-problème se caractérise par son caractère multidimensionnel et son fort degré d’incertitude. Analytiquement, il convient de décomposer sa complexité en plusieurs dimensions constitutives. La littérature identifie deux dimensions dans le méta-problème des débris spatiaux : la mitigation (ne plus produire de nouveaux débris) et la remediation (nettoyer les débris existants). Une approche narrative nous a permis d’en faire apparaître une troisième : contenir, c’est-à-dire éviter une catastrophe imminente. À partir de la mise en évidence de ces trois dimensions constitutives du méta-problème, nous avons traité la question de l’incertitude en mobilisant la méthode des scénarios, souvent utilisée en matière environnementale. Pour développer les scénarios, deux axes de tensions ont été construits à partir de l’analyse du matériau et de la narration, acteurs privés et publics, régulation et marché.

Séquence 1 : l’émergence et l’institutionnalisation du problème

7Les premiers satellites sont restés dans l’espace après leur fin de vie opérationnelle. Avec l’apparition de vols habités, les supports de vols ont été récupérés au sol et analysés. On cherchait notamment à savoir si on allait y retrouver des impacts de météorites. À leur grande surprise, les chercheurs de la NASA (notamment Donald J. Kessler) relèvent aussi la présence de particules d’aluminium. Absentes de l’environnement spatial, celles-ci ne peuvent donc provenir que d’objets artificiels.

8En 1978, Kessler et Cour-Palais publient dans le Journal of Geophysical Research un article fondateur, souvent présenté comme le point de départ de l’histoire des débris spatiaux, et intitulé “Collision Frequency of Artificial Satellites : The Creation of a Debris Belt”. Il s’agit à l’époque d’un modèle statistique pur établissant une loi exponentielle : générés plus rapidement que l’atmosphère ne peut les nettoyer, les débris existants risquent d’entrer en collision avec d’autres objets et de générer encore plus de fragments. Dans l’espace, la masse importe peu et un débris n’a pas besoin d’être lourd pour faire des dégâts : un objet d’un centimètre de diamètre a une puissance destructrice équivalente à celle d’une voiture lancée à 130 km/h. Le phénomène prend le nom de « syndrome de Kessler » (Kessler, 1993). La NASA reconnaît alors officiellement l’importance du problème et propose à Kessler de prendre la tête de l’Orbital Debris Program Office, un nouveau département basé à Houston.

9Autour de Kessler se forme un groupe de scientifiques spécialisés sur le sujet. En 1993, ces chercheurs créent l’IADC (Inter-Agency Space Debris Coordination Committee), une organisation internationale inter-agence consacrée à l’étude des débris spatiaux. Sa mission consiste à « échanger des informations sur les activités de recherche à propos des débris spatiaux, de faciliter les opportunités de coopération académique, de recenser les initiatives collectives existantes et d’identifier les possibilités de diminution du nombre de débris spatiaux » (IADC, 1993). Elle propose également la définition la plus citée d’un débris spatial : « tout objet ou fragment artificiel sur une orbite terrestre ou en cours d’entrée atmosphérique ». La NASA, la JAXA (l’agence spatiale japonaise) et le CNES adoptent rapidement leurs premiers standards. Suivront, au début des années 2000, des guidelines et des codes de conduite publiés par l’IADC et le COPUOS (Committee on the Peaceful Uses of Outer Space), antenne spatiale de l’ONU.

10Au cours de cette première séquence, longue de près de trente ans, le problème des débris spatiaux est progressivement découvert et institutionnalisé (Alby et al., 2007 ; Saint-Martin, 2016 ; Von der Dunk & Tronchetti, 2015).

11Le 11 janvier 2007, l’armée chinoise effectue un tir de missile antisatellite et détruit un vieux satellite météorologique. À elle seule, cette opération aurait accru de 25 % le nombre de débris dans l’espace. La Chine devient responsable de près de 42 % de la population de débris (contre 27,5 % pour les États-Unis et 25,5 % pour la Russie). Deux ans plus tard intervient la collision d’Iridium et de Cosmos, évoquée en introduction. Ces deux événements constituent un point de basculement qui fait entrer l’histoire des débris spatiaux dans une nouvelle phase. Les membres de la communauté spatiale reconnaissent la gravité du problème et les conséquences dramatiques qui peuvent en découler. Reste à trouver collectivement une solution adéquate.

Séquence 2 : la montée de la réglementation

12La deuxième séquence se caractérise par deux phénomènes distincts qui viennent se combiner. D’une part, on l’a vu, le nombre de débris en orbite augmente brutalement suite aux deux évènements de 2007 et 2009. D’autre part, des acteurs privés apparaissent au cœur du secteur spatial. SpaceX, la société d’Elon Musk, voit le jour en 2003. Après plusieurs lancements infructueux, Falcon 1 devient en 2009 la première fusée privée à mettre un satellite en orbite. La combinaison de ces deux phénomènes indépendants conduit à des réactions en matière de régulation, tant de la part des États que des acteurs privés.

13Les États sont tout d’abord de plus en plus nombreux à adopter des législations nationales sur les débris. Les grands traités internationaux ne mentionnent pas cette question, mais stipulent que les États sont responsables de leurs activités spatiales nationales. Avec l’entrée d’acteurs privés dans le domaine des lancements, les États, responsables en dernière instance, cherchent à se couvrir en encadrant l’activité de leurs opérateurs privés. Dans cette perspective, la France vote par exemple la LOS (Loi sur les Opérations Spatiales) en 2008. Par ailleurs, les acteurs privés tentent de participer au processus de régulation. En 2011, l’élaboration d’un standard ISO consacré à la gestion des systèmes spatiaux reflète cette volonté de créer une régulation privée. Élaborée par des agences spatiales, des États, des industriels, des juristes, des assureurs, cette norme est largement inspirée des guidelines techniques de l’IADC. Elle pourrait devenir efficace si elle provoquait un effet d’entraînement ou si l’enjeu réputationnel devenait majeur pour tous les acteurs. Malheureusement, elle est encore peu appliquée par les acteurs influents. On observe en parallèle, durant cette séquence, l’apparition de startups qui voient dans la question des débris spatiaux une opportunité de marché. Créée en 2013 par un entrepreneur japonais, Astroscale cherche par exemple à commercialiser des services de retrait des débris. Ses démarches auprès des gros opérateurs de méga-constellations commencent à porter leurs fruits. Néanmoins, l’entreprise a des difficultés à élaborer un modèle d’affaires viable à long terme.

14La question des débris sort du domaine restreint des spécialistes en 2013, avec la sortie du film Gravity d’Alfonso Cuarón. Des médias généralistes commencent également à s’emparer du sujet.

15Au cours de cette séquence, les débris spatiaux ont été identifiés par la communauté internationale comme un problème à gérer collectivement. Malgré la médiatisation, les efforts de régulation et les recherches menées pour identifier des solutions technologiques, aucune solution précise et efficace n’a émergé. Pire, de nouvelles menaces apparaissent à l’horizon à la fin de la séquence.

Séquence 3 : ruptures technologiques et aggravation du problème

16La période qui s’ouvre en 2015 marque une aggravation considérable du problème, due à trois facteurs : les projets de méga-constellations, l’essor des nano-satellites et la poursuite des essais militaires par certains pays.

17Une constellation est un groupe de satellites qui se coordonnent pour couvrir la plus grande zone au sol possible. Le phénomène concerne surtout les satellites en orbite basse. Ces constellations servent le plus souvent à collecter des données de positionnement et d’observation à travers la télédétection. Elles sont notamment utilisées dans le domaine des télécommunications, en climatologie, en météorologie et en cartographie. Une constellation comme Galileo, système européen de positionnement, compte par exemple trente satellites. Mais, en 2015, de nombreux opérateurs de satellites privés ont dévoilé des projets de méga-constellations qui assureraient une couverture Internet parfaite et du haut débit à n’importe quel endroit du globe. C’est par exemple le projet de OneWeb ou de SpaceX avec la méga-constellation Starlink. Alors que, depuis Spoutnik, 8850 objets ont été mis sur orbite, Starlink prévoit le lancement de 12 000 satellites en orbite basse. Ces nouveaux projets présentent un réel danger. Ils augmentent en effet de manière brutale le nombre de satellites en orbite, donc de collisions possibles. Or, la plupart de ces satellites ne comportent pas de moteur suffisamment puissant pour envisager une désorbitation propre et contrôlée en fin de vie ou en cas de panne.

18On assiste également à une multiplication des lancements de nano-satellites, ou Cubesats. Grâce à la standardisation de leurs composants, ces petits cubes de 10 cm de côté se fabriquent à bas coût. À l’origine, les Cubesats ont été développés par des universités pour permettre aux étudiants de fabriquer leur propre satellite et de le piloter. Aujourd’hui, des sociétés privées comme des agences spatiales s’y intéressent avec des perspectives commerciales. Leur petite taille empêche de les localiser avec précision, surtout lorsqu’ils cessent d’émettre, et ils peuvent devenir en fin de vie de petits bolides incontrôlables et extrêmement dangereux.

19Enfin, on a assisté, ces dernières années, à plusieurs manœuvres militaires qui allaient à l’encontre des règles les plus élémentaires de sécurité. La destruction récente d’un satellite indien par un tir de missile, le 27 mars 2019, en fournit l’exemple. Démonstration de force, besoin de légitimation sur la scène militaire mondiale, signal implicite à un pays voisin, le secteur spatial reste le théâtre d’enjeux politiques mondiaux. Ces tests multiplient le nombre de débris. Ils remettent également en question les efforts de la communauté scientifique et juridique qui essaie d’imposer des régulations.

20La figure 2 ci-dessous illustre l’évolution du problème au cours du temps et montre comment il s’est transformé en méta-problème à gérer.

Figure 2

Évolution du nombre d’objets orbitaux catalogués (de plus de 10 cm de diamètre en orbite basse et de 1 m en orbite géostationnaire)

Figure 2

Évolution du nombre d’objets orbitaux catalogués (de plus de 10 cm de diamètre en orbite basse et de 1 m en orbite géostationnaire)

Analyse de la narration : les trois dimensions du méta-problème

21La narration montre qu’un méta-problème peut être analysé à partir de trois dimensions constitutives. Celles-ci sont à la fois séparables, parce que les acteurs impliqués et les modes d’action requis diffèrent d’une dimension à l’autre, et interdépendantes, car le méta-problème est envisagé comme un tout constitutif. Elles sont liées à l’horizon temporel particulier du méta-problème, qui plonge ses racines très profondément dans le passé et implique un futur lointain, avec une urgence d’agir dans le présent. Ces trois dimensions sont les nécessités de contenir, d’impulser et de nettoyer.

22Afin d’empêcher que le problème ne s’aggrave de manière dramatique, les acteurs doivent d’abord réagir en prenant des mesures immédiates. Il faut qu’ils contiennent le problème. Dans le cas des débris spatiaux, il s’agit d’éviter une nouvelle catastrophe. Un tel événement pourrait résulter d’une collision entre deux objets spatiaux, d’une explosion en vol ou de la destruction volontaire d’un satellite.

23Les méta-problèmes concernent également l’avenir. Afin d’atténuer les risques, il est indispensable de modifier le comportement des acteurs impliqués et de créer de nouvelles dynamiques. Dans la littérature, ce procédé est qualifié de mitigation (« il vise à empêcher l’aggravation du problème », Baiocchi & Welser IV, 2010, p. 13). Plusieurs mécanismes d’incitation peuvent être utilisés pour encourager les acteurs à suivre les recommandations. Dans le cas des débris, ces derniers doivent cesser de provoquer la création de nouveaux fragments et anticiper la fin de vie de leurs satellites en utilisant des matériaux plus adaptés qui se désagrègent facilement dans l’atmosphère et résistent mieux aux collisions. Il est également possible d’équiper les satellites de petits moteurs permettant de les désorbiter et de les faire redescendre dans l’atmosphère une fois leur mission accomplie.

24Il faut enfin prendre en compte les dégâts créés par le passé et nettoyer les déchets. Ce processus est souvent qualifié de remediation (« il cherche à inverser le cours des événements », Baiocchi & Welser IV, 2010, p. 13). C’est un processus réactif, qui ne vise pas forcément à l’élimination complète du problème mais plutôt déjà à son atténuation. De nombreuses techniques de retrait des débris sont actuellement en phase d’expérimentation : bras robotique, harpon, filet, laser. Mais ces techniques de nettoyage sont difficiles à mettre en œuvre et financièrement coûteuses.

25Ces trois dimensions (contenir, impulser et nettoyer) décrivent trois processus d’action collective à la fois distincts et simultanés. Ils doivent être abordés de front afin de résoudre le méta-problème de la prolifération de débris dans les orbites terrestres. Quels scénarios possibles et plausibles peuvent répondre à ces trois nécessités ?

L’approche par scénarios

26Les grands traités de l’espace refusent la militarisation et l’appropriation privée ou publique. Dans le dernier adopté (1984), la Lune est qualifiée de « common heritage of mankind ». L’espace a donc été pensé, dès les débuts de la conquête spatiale, comme un domaine commun. Il faut pourtant noter que cette approche n’a jamais fonctionné complètement. Les armées n’ont pas cessé de mener des stratégies militaires dans l’espace, et les opérateurs privés y ont progressivement développé des activités commerciales. À l’époque de la signature des premiers traités, dans les années 1960, il n’existait pas encore de « tragédie des communs ». Celle-ci n’a fait son apparition que très progressivement avec le problème des débris spatiaux, comme on l’a vu dans la narration.

27Hardin (2018) propose deux solutions à la tragédie qu’il décrit. La première consiste à faire de l’État un acteur coercitif, capable de contrôler et de sanctionner le comportement des autres acteurs. Dans le cas des débris, cela impliquerait une coopération internationale forte entre États. Or, les juristes spécialisés que nous avons rencontrés, et qui participent aux groupes de travail de l’ONU, sont extrêmement pessimistes sur une telle possibilité, même à moyen terme. La seconde solution consiste à privatiser le commun, chaque propriétaire ayant alors intérêt à prendre soin de sa parcelle. Mais cette option irait à l’encontre du principe fondamental du libre accès à l’espace, qui figure dans le premier traité. Ostrom (1990) dépasse cette dualité en introduisant une autre solution : la gestion d’un commun par des communautés locales (ses cas portent sur la gestion de forêts et de systèmes d’irrigation). Mais cette approche, qui suppose qu’un État reconnaisse une communauté et que des sanctions soient mises en place, ne convient pas non plus au caractère global du problème des débris spatiaux et à l’absence de possibilité de sanctions.

28Il semble paradoxalement impossible de gérer cette tragédie à l’aide des solutions proposées par Hardin et Ostrom (État, marché, communauté). Il faut plutôt envisager des combinaisons de ces différents éléments, cette dynamique se rapprochant de ce que Fournier appelle commoning : « Nous ne voyons pas les communs seulement comme un ensemble limité de ressources, mais également comme un processus social de production et d’organisation » (Fournier, 2013, p. 438). L’expression « processus social de production et d’organisation » est juste et s’applique au problème, mais reste vague. Il nous est apparu que ces processus pouvaient sans doute être multiples. C’est donc une approche par scénarios que nous avons adoptée (Schwartz, 1991 ; Schoemaker, 1995 ; Pinkham & Chaplin, 1996 ; Wiebe et al., 2018). Une telle démarche s’articule généralement en deux étapes : « Une approche commune à la construction de scénarios consiste à choisir deux forces motrices particulièrement importantes et incertaines, ou imprévisibles. Pour chacune de ces deux “incertitudes critiques”, on suppose alors deux résultats futurs différents mais plausibles. En combinant les deux résultats pour les deux forces, on obtient une matrice de scénarios comportant quatre futurs différents. » (Pinkham & Chaplin, 1996, p. 3).

Identification des deux axes de tension

29L’hétérogénéité des acteurs et la diversité des formes de coordination apparaissent comme des dimensions critiques du méta-problème. Chacune compte deux pôles opposés. D’une part, les acteurs peuvent être publics ou privés. D’autre part, la régulation et le marché sont deux formes alternatives de coordination. L’identification de ces deux axes constitue la première étape permettant de construire des scénarios.

Des acteurs publics et privés

30Comme l’avait vu Cartwright (1987), un méta-problème se caractérise par la combinaison d’objectifs et d’intérêts variés avec des horizons temporels différents (Cartwright, 1987, p. 93). L’espace est un secteur où se côtoient acteurs privés et acteurs publics. Bien que les deux types d’acteurs coexistent, leurs intérêts diffèrent. En fonction des activités, les uns ou les autres prennent l’initiative et l’ascendant.

31Historiquement, le spatial était dominé par les États et le public, dans les volets à la fois civil et militaire. Les agences sont des organismes publics chargés d’orchestrer les activités spatiales nationales. Elles peuvent avoir une importance plus ou moins grande selon les pays. En France et aux États-Unis, par exemple, elles sont impliquées jusque dans la conception et le lancement des objets spatiaux. Le secteur privé est aujourd’hui en pleine expansion. Il se compose d’entreprises industrielles historiques comme Airbus ou Arianespace, mais également de nouveaux entrants influents, à l’image de SpaceX ou de Blue Origin, et de nombreux petits acteurs plus spécialisés, qui constituent le New Space (Pasco, 2017). Les firmes disposent de moyens financiers conséquents qui leur permettent de réagir rapidement aux évolutions du marché. Par ailleurs, elles se révèlent sans doute plus sensibles au mécanisme de « nommer et dénoncer » (naming and shaming) que les États, dont l’implication géopolitique réduit la marge de manœuvre. Contrairement à ces derniers, elles poursuivent des objectifs de rentabilité à court et moyen terme qui peuvent entrer en contradiction avec les projets de soutenabilité. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir quel type d’acteur peut prendre l’initiative sur les différentes dimensions du méta-problème et assumer le leadership sur la mise en œuvre des solutions envisagées.

Les formes de coordination : régulation ou marché ?

32Face aux multiples dimensions du problème, les acteurs peuvent avoir recours à plusieurs processus d’organisation. D’une part, la régulation peut encadrer le comportement des acteurs, via l’établissement de normes publiques ou privées. D’autre part, la création de marchés permet de coordonner les acteurs autour d’un prix d’équilibre entre offre et demande. Bien évidemment, en pratique, régulation et marché se combinent (le marché a besoin de règles, et la régulation vise à encadrer le marché). Mais l’un domine souvent l’autre : le curseur se déplace plutôt du côté du marché ou plutôt du côté de la régulation.

33On distingue deux grands types de régulation. La loi dure ou hard law peut se déployer au niveau national ou international et se définit par son caractère contraignant, spécifique et délégatoire (Abbott & Snidal, 2000). Elle permet de réduire les coûts de transaction mais également de renforcer la crédibilité des acteurs ainsi que leur stratégie politique. En contrepartie, elle dicte les comportements et restreint les libertés. À l’échelle internationale, le traité en est la forme la plus coercitive. La loi molle ou soft law, dont le standard est l’outil représentatif, relève de l’auto-régulation, n’a pas de dimension coercitive et peut même être pensée comme une forme d’organisation (Brunsson et al., 2012). Elle peut s’appuyer sur l’existence de méta-organisations, c’est-à-dire d’organisations dont les membres sont des organisations (Ahrne & Brunsson, 2008 ; Berkowitz & Dumez, 2016), qui regroupent souvent des acteurs privés du marché (syndicats professionnels) et qui discutent et émettent des standards. La multiplication des standards (Büthe & Mattli, 2013) va parfois à l’encontre de l’objectif initial de simplification de la norme. Reinecke et al. (2012) qualifient ce phénomène de méta-standardisation : « [Elle] signifie que la convergence se produit au niveau des critères de base et des principes généraux (“règles du jeu”), tandis que la variété se limite aux attributs spécialisés permettant aux normalisateurs de conserver leurs propres identités » (Reinecke et al., 2012, p. 792).

34Face à la régulation, le marché est considéré comme un autre mode de coordination, au sein duquel des individus ou des organisations concurrentes échangent des droits de propriété à un certain prix. Les théories classiques présentent le marché et l’organisation comme deux éléments antagonistes, les organisations servant uniquement à pallier les manquements des marchés en cas de défaillance (market failure). Elles sont le « moyen d’atteindre les bénéfices de l’action collective dans des situations où le système de prix est défaillant » (Arrow, 1974, p. 33). Or, si le marché est bien un outil incontournable de la structuration du méta-problème, il doit être pensé comme une organisation (Ahrne, Aspers & Brunsson, 2015). Comme elle, sa structure et son mode de fonctionnement peuvent varier. Comme elle, il peut être plus ou moins bien organisé. Comme elle enfin, il s’articule autour de cinq dimensions : l’adhésion, les règles, le contrôle, la sanction et la hiérarchie. Penser les marchés comme des organisations permet de revoir la manière dont ils émergent. Ahrne, Aspers & Brunsson (2015) proposent une typologie des organisateurs du marché qui peuvent être des « profiteurs » (pour qui la création de marché est synonyme de profit), des acheteurs et des vendeurs, ou des tiers (qui n’ont pas d’intérêt économique à la création d’un marché mais y participent, comme les ONG).

35La figure 3 ci-dessous expose les deux axes de tension :

Figure 3

(a) Moyens de coordination et (b) acteurs

Figure 3

(a) Moyens de coordination et (b) acteurs

Construction des quatre scénarios

36Quatre scénarios de gestion peuvent être élaborés. Le premier est la régulation publique. Il peut reposer sur des règles de hard ou soft law discutées lors de négociations entre États et organismes internationaux. Le deuxième relève de la régulation privée. Il repose sur la standardisation et suppose des formes de coopération entre acteurs privés souvent en concurrence. Le troisième est du côté de l’activité elle-même et non plus de sa régulation, il s’agit du service public, souvent associé à l’absence de profit et à une forme de monopole. Enfin, le quatrième scénario est celui du marché classique : des acteurs cherchent à réaliser un profit en offrant ou en achetant des services.

37Les quatre scénarios sont représentés dans la figure 4 ci-dessous :

Figure 4

Les quatre scénarios

Figure 4

Les quatre scénarios

Gérer le méta-problème : les scénarios possibles pour les trois dimensions

38Comme on l’a vu, le méta-problème se compose de trois dimensions : contenir, impulser et nettoyer. Pour chacune de ces dimensions, on peut chercher à identifier le scénario qui semble le plus plausible.

Contenir : la régulation publique

39À court terme, il est nécessaire d’éviter les catastrophes en empêchant de nouveaux tirs de missiles antisatellites et en évitant les collisions des gros débris identifiés. Ces deux impératifs relèvent du domaine public, notamment en raison de la dimension militaire. Ils supposent l’adoption de règles par les acteurs publics. La solution optimale serait celle de la signature d’un nouveau traité international que tous les États, directement ou indirectement présents dans l’espace, signeraient (Barrett, 2003). Mais comme on l’a vu, les juristes impliqués dans les processus de négociation émettent des doutes sérieux quant à la capacité des Nations Unies à parvenir à un nouvel accord de ce type. En effet, le comité pour l’utilisation pacifique de l’espace (COPUOS) ne fonctionne que par consensus et semble aujourd’hui paralysé par les conflits géopolitiques. En l’absence d’une communauté internationale unie, l’espace ne peut donc pas être géré comme un commun. A priori, le scénario d’un traité international paraît donc impossible à réaliser. Seule une nouvelle catastrophe, à l’image des événements de 2007 et 2009, pourrait éventuellement pousser l’ensemble de la communauté internationale à réagir collectivement.

Figure 5

Contenir par la régulation publique

Figure 5

Contenir par la régulation publique

40On peut imaginer un scénario, certes sous-optimal, mais plus réalisable, qui reposerait sur la constitution de communautés vertueuses d’États importants sur la scène spatiale, s’engageant par une charte commune à ne plus procéder à des tirs militaires sur des satellites existants. Certes, des États voyous qui ne seraient pas contraints par ce texte pourraient continuer leurs tirs, mais ils seraient soumis à un processus de naming and shaming qui pourrait avoir une certaine efficacité.

41Sur le plan de l’évitement des collisions (Space Traffic Management), les tensions géopolitiques ne semblent pas pouvoir non plus conduire à un traité international signé par l’ensemble des États. De plus, dans ce cas-là, la notion de communauté vertueuse ne semble pas applicable (on ne peut pas concevoir un code de la route qui ne serait appliqué que par une communauté de conducteurs vertueux).

Impulser : la régulation privée

42Pour que les débris cessent de proliférer, il est nécessaire que les acteurs modifient leurs comportements à long terme. Il s’agit de les inciter à prendre en compte la fin de vie des objets dès leur conception, en anticipant leur désorbitation. Cette évolution implique l’ensemble des quatre pôles identifiés : elle requiert des changements de règles mais également le développement d’activités de marché, et doit probablement mobiliser les acteurs publics comme privés. Il est donc difficile d’élire un seul scénario parmi les quatre possibilités. Il apparaît qu’en pratique, régulation et marché vont se combiner. La question est donc plutôt de savoir vers quel pôle le curseur va se déplacer sur l’axe régulation/marché. Il semble que la création de règles constitue la première étape incontournable d’un changement à long terme. Sur cet axe, le curseur se positionne donc plutôt du côté de la régulation. En effet, la mise en place d’un cadre normatif favorise et fluidifie généralement l’organisation des activités. La seconde question consiste à savoir si cette régulation va être plutôt publique ou privée. Comme on l’a vu dans le premier scénario, la régulation publique bute sur des tensions géopolitiques.

43La première étape pour modifier les comportements à long terme semble donc être la mise en place d’une régulation privée, illustrée dans la figure 6.

Figure 6

Impulser par la régulation privée

Figure 6

Impulser par la régulation privée

44Dans la gestion des méta-problèmes, la réputation des acteurs privés constitue un levier puissant de modification des comportements (Fombrun, 1996 ; Fombrun, 2001 ; Breitinger & Bonardi, 2019). Les firmes peuvent être considérées non pas comme socialement responsables par nature, mais comme socialement responsabilisées par le champ dans lequel elles se trouvent (Bastianutti & Dumez, 2012). Par ailleurs, la réputation d’une firme peut avoir des répercussions sur l’ensemble du secteur. On parle alors de réputation collective : « La réputation d’un secteur s’établit sur la base des réputations individuelles des firmes. Si une des firmes se comporte mal, le secteur dans son ensemble sera jugé comme s’étant mal comporté » (Tucker, 2008, p. 7). Cette solidarité réputationnelle encourage la coordination des entreprises (Winn et al., 2008). Celle-ci peut aller jusqu’à la création d’une méta-organisation. En 2019, un groupe d’acteurs privés, dont des industriels historiques, des startups spécialisées, des assureurs et des propriétaires de méga-constellations, s’est rassemblé pour créer la Space Safety Coalition. Tous ses membres, formant une communauté vertueuse privée, se sont engagés à respecter plusieurs best practices pour gérer plus durablement leurs activités spatiales. Cette forme de régulation privée s’inscrit dans le phénomène plus général de la standardisation qui a conduit à la publication du standard ISO de 2011.

45Ce scénario imagine donc un renforcement de la régulation privée. Dans un tel cas de figure, les firmes sont les acteurs impulsant des changements de comportement par le biais de règles auxquelles elles adhèrent d’autant plus facilement qu’elles les ont elles-mêmes élaborées (Brunsson & Jacobsson, 2000). Entre firmes, ces règles se diffusent souvent via les relations fournisseurs/sous-traitants. Elles peuvent également toucher les acteurs publics, les normes adoptées par les plus vertueux finissant par s’appliquer aussi aux moins vertueux.

Nettoyer : service public ou marché privé ?

46La résolution du problème du nettoyage, même si elle implique la formulation de règles, se situe plutôt du côté de l’activité. En effet, aller désorbiter les débris implique de réaliser des avancées technologiques significatives et doit passer par le développement d’un marché, plutôt que par la seule création de normes. Il s’agit de mobiliser des acteurs autour d’un problème collectif qui se déploie sur le long terme et dont le retour sur investissement reste incertain. Deux scénarios d’activités sont alors envisageables : le service public ou le marché classique. Il nous a semblé nécessaire d’explorer ces deux scénarios et de comparer leurs forces et leurs limites respectives.

47Le premier suppose la création d’un marché public de type monopolistique. Solidaires, les États pourraient constituer un fond international destiné à la création d’un nouvel acteur neutre, interétatique et responsable du nettoyage des orbites. Cet organisme non-lucratif deviendrait l’éboueur public de l’espace et serait chargé de désorbiter les débris dangereux avec ou sans l’aval du pays lanceur. En effet, pour la première fois dans le cadre d’un méta-problème de développement durable, une action collective internationale réussirait à émerger pour résoudre un problème commun. Elle supposerait d’engager financièrement l’ensemble des acteurs, à hauteur de leurs moyens respectifs et de leur présence en orbite, dans le cadre d’une mutualisation des coûts (avec un système de redevance analogue à celui du contrôle aérien). Une telle initiative aurait un poids symbolique considérable, présenterait l’avantage d’une répartition des coûts entre pays et d’une approche civile du problème. Mais la plupart des acteurs interrogés ayant participé à ce type de négociation internationale en soulignent la lenteur et le caractère épuisant. De plus, le multilatéralisme apparaît menacé depuis quelques années.

48Pour toutes ces raisons, la création d’un marché privé, seconde option (présentée dans la figure 7), apparaît à moyen terme comme possible, et sans doute plus plausible, malgré le montant extrêmement élevé des investissements requis. L’augmentation des risques financiers liés aux collisions potentielles va sensibiliser les acteurs privés et leurs clients à la nécessité de trouver des solutions. La condition nécessaire est de créer et d’organiser ce marché. Cette création et cette organisation supposent une action collective des firmes. Les offreurs et demandeurs potentiels sont plus nombreux qu’il y a quelques années mais leur nombre reste relativement limité. On pourrait alors imaginer une forme d’action collective minimale, reposant sur des contacts intermittents et informels. Néanmoins, il est probable que cette forme d’organisation souple soit insuffisante, notamment pour élaborer les règles. Dès lors, un petit groupe d’acteurs pourrait prendre l’initiative de créer une méta-organisation. Un simple syndicat professionnel étant sans doute insuffisant, la méta-organisation pourrait à la fois coordonner directement des actions, mais être aussi un opérateur sur le marché (ne serait-ce qu’en lançant et en animant des projets de nettoyage) et se positionner comme régulateur (en concevant des règles et en suivant – monitoring – les comportements). Une telle configuration est assez rare, mais elle peut exister. Elle ressemble par exemple à ce qu’a été la Companhia Geral das Vinhas do Alto Douro qui organisait le marché des vins de Porto (Duguid, 2015).

Figure 7

Nettoyer par le service public ou le marché classique

Figure 7

Nettoyer par le service public ou le marché classique

49La figure qui précède montre les deux possibilités de coordination par le marché qui ont été discutées. La première suppose des négociations internationales lourdes entre États, la seconde une coordination plus souple, avec néanmoins la création probable d’une méta-organisation, scénario qui semble le plus plausible à moyen terme. Une combinaison des deux scénarios (marché classique et service public) sous la forme d’un partenariat-public privé est bien sûr envisageable. En effet, de nombreux partenariats de ce type se sont déjà développés autour des débris spatiaux. Par exemple, l’ESA et OneWeb ont signé, dans le cadre du projet Sunrise en 2019, un partenariat avec la startup japonaise Astroscale pour gérer la fin de vie des satellites envoyés au cours du programme.

Conclusion

50La gestion des méta-problèmes ressemble à une tâche herculéenne. L’horizon temporel s’étend dans le passé et se projette loin dans l’avenir, et trois dimensions émergent. Concernant le passé, il faut nettoyer les écuries d’Augias, c’est-à-dire éliminer tout ce qui s’est accumulé au fil du temps sur les orbites terrestres. Il faut également gérer tout de suite les multiples têtes de l’hydre de Lerne, ou plutôt les problèmes qui surgissent en permanence et au jour le jour, en évitant la catastrophe. Il faut enfin inventer les solutions qui stabiliseront et règleront le problème dans le futur et changer les comportements, comme Hercule a saisi par les cornes et dompté le taureau de Crète.

51Concrètement, on distingue deux axes de tension critique dans le méta-problème : le type d’acteurs, public ou privé, ainsi que le moyen de coordination utilisé, le marché ou la régulation. Ils font apparaître quatre scénarios de gestion d’un commun. Pour chaque dimension du méta-problème, un ou deux scénarios sont identifiés comme les plus plausibles et correspondent aux caractéristiques de la situation.

52Afin d’enrichir et de confirmer cette grille de lecture d’un méta-problème, il serait intéressant d’établir une comparaison avec un cas similaire. Travailler ces mêmes scénarios dans le cas du plastique dans les océans, par exemple, ou de la transmutation des déchets nucléaires, pourrait faire apparaître les spécificités de chaque problème. Est-ce que les trois dimensions s’articulent de la même manière ? Est-ce que le choix des quatre pôles (acteurs publics et privés, marché ou régulation) reste valable ? Répondre à ces questions permettrait de confirmer ou d’infirmer la pertinence de notre analyse, mais également de faire apparaître la spécificité du méta-problème des débris spatiaux par rapport à un cas analogue.

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