Notes
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Le terme freemium vient de l’association des mots free et premium. Il s’agit de mettre à disposition des internautes une offre gratuite, tout en proposant des options et outils complémentaires payants.
1Chaque jour, de nombreux produits arrivent en « fin de vie » car leurs propriétaires ne souhaitent plus les conserver. Les raisons de se séparer d’un objet sont diverses : le produit n’a plus d’utilité perçue, n’est plus désiré ou, tout simplement, ne fonctionne plus. Un individu qui décide de ne plus garder un produit est confronté à de multiples options : ➀ le jeter sans le recycler ➁ le jeter en le triant à des fins de recyclage institutionnel (Elgaaied, 2012) ➂ le transformer pour une autre utilisation (pratique de récupération domestique appelée upcycling [Cova, Kreziak et Mani, 2012]) ➃ le donner à une association ou à une tierce personne (Guillard, Del Bucchia et Delacroix, 2012) ➄ profiter d’une offre de reprise (Guillard et Johnson, 2015), ou encore, ➅ le vendre (Roux, 2004 ; Roux et Guiot, 2008). Notre article se focalise sur cette dernière possibilité en analysant tout particulièrement le développement des échanges entre les particuliers dans le cadre de la vente en ligne d’objets d’occasion en CtoC (Consumer to Consumer).
2Dans le contexte actuel où les problématiques environnementales se trouvent davantage au cœur des préoccupations des consommateurs, des pouvoirs publics, des industriels, des distributeurs et de l’ensemble des parties prenantes, on assiste à un développement rapide de modes d’échange alternatifs visant à allonger la durée de vie des produits, tels que les économies circulaires ou collaboratives. Face à ces évolutions, la compréhension des stratégies mises en œuvre par les vendeurs non professionnels de produits d’occasion apparaît comme un enjeu important. L’achat d’occasion se définit, dans la littérature, comme « l’acquisition d’objets de seconde main par des modes et lieux d’échange souvent spécifiques » (Roux et Guiot, 2008, p. 66).
3Dès 2001, Bauhain-Roux et Guiot ont mis en exergue le développement du marché des produits d’occasion. Les lieux de vente physiques de ces produits sont variés : les brocantes, les dépôts-ventes, les vide-greniers, les boutiques de charité comme Emmaüs, les boutiques spécialisées telles que Cash Converters ou Easy Cash, les braderies organisées dans les garages de particuliers (notamment aux États-Unis, appelées garage sales)… (Roux et Guiot, 2008). Au cours de ces dernières années, les possibilités de diffusion géographique des produits ont été grandement modifiées par la croissance de ce type de vente sur Internet. Cet élargissement des canaux de diffusion s’accompagne d’une démocratisation de la pratique de vente et d’achat d’objets d’occasion, telle que l’on peut même les offrir en cadeaux (Guiot et Roux, 2012). Selon Prieto et Dutertre (2014, p. 106), « l’émergence des NTIC a […] renforcé et renouvelé les pratiques d’échange de biens d’occasion, notamment à travers les sites d’enchères et d’annonce en ligne. » D’ailleurs, selon une étude Médiamétrie/NetRatings (2018), Leboncoin, site leader de la vente en ligne en France, est le cinquième site français en termes de trafic avec 28 millions de visiteurs uniques, soit plus d’un internaute sur deux qui se connecte chaque mois. Par rapport aux circuits traditionnels, la vente en ligne de produits d’occasion offre l’avantage d’être facile, rapide et économique (Lemaitre et De Barnier, 2015), amenant ainsi de nouvelles pratiques par les consommateurs.
4Les travaux de recherche sur le marché d’occasion sont relativement récents et se concentrent essentiellement sur les motivations des acheteurs, en lien avec des antécédents ou des conséquences comportementales (Lemaitre et De Barnier, 2015). Afin d’accroître la compréhension des pratiques et des usages dans ce domaine, il paraît intéressant d’approfondir l’analyse, en se focalisant sur les comportements des vendeurs non professionnels qui œuvrent sur ce marché. A cet égard, les travaux de Lemaitre et De Barnier (2015) permettent un premier éclairage qui porte essentiellement sur les motivations des vendeurs non professionnels de biens d’occasion.
5Notre article vise à compléter ces travaux, en s’interrogeant de manière plus globale sur les stratégies adoptées par les consommateurs-vendeurs au cours du processus de vente d’un produit de seconde main, en analysant toutes les étapes, de la décision de vendre à la conclusion de la vente. Les recherches préexistantes concernant le CtoC ne donnent, en effet, que peu d’éclairages à ce sujet.
6Afin d’apporter des éléments de réponse à cette problématique, nous présentons tout d’abord une courte revue de littérature sur les motivations et les caractéristiques des vendeurs non professionnels du marché de l’occasion. Nous expliquons ensuite notre méthodologie de collecte de données basée sur une étude qualitative menée auprès de vingt consommateurs. Puis, les principaux résultats sont étayés, mettant au jour les actions mises en place par les vendeurs non spécialistes. La dernière section se concentre sur les apports, les limites et les voies futures de la recherche.
Revue de littérature
Les motivations des vendeurs de produits d’occasion
7Les travaux de recherche portant sur le marché de produits de seconde main sont souvent axés sur le comportement des consommateurs acheteurs (Roux, 2004 ; Roux et Guiot, 2008 ; Bezançon, Guiot et Le Nagard, 2018). La recherche de Lemaitre et De Barnier (2015) révèle que les motivations des vendeurs ne sont pas uniquement économiques, même si la dimension « financière » reste importante. Ces chercheurs mettent en évidence trois autres motivations, à savoir la volonté de s’opposer à la société de consommation (dimension protestataire), celle de retrouver le plaisir de l’échange (dimension récréationnelle) et celle de prolonger la vie des objets (dimension générative).
8La vente de produits d’occasion peut se faire à travers deux voies principales : la vente physique (petites annonces, vide-greniers…) et la vente virtuelle, via différents canaux en ligne, parmi lesquels les sites dédiés à la vente de produits d’occasion. Notre étude se focalisera uniquement sur la seconde voie, qui connaît un fort développement au cours de ces dernières années. Internet offre, pour la vente de produits d’occasion, plusieurs avantages au regard des canaux traditionnels, liés à des aspects pratiques et économiques : rapidité de réalisation et de diffusion de l’offre, qualité de présentation de l’annonce, étendue de la diffusion en nombre de prospects, comparaison aisée à des produits similaires, possibilité de poster une offre gratuitement, etc.
9Afin d’atteindre ses objectifs de vente sur un site de produits d’occasion, un vendeur doit mettre en œuvre différentes actions pour réussir à promouvoir son produit et finaliser sa vente. Il est amené à avoir une réflexion sur différentes facettes selon les étapes de son processus de vente : choix de la plateforme, rédaction d’un texte valorisant le produit, réalisation de photographies, fixation du prix, interactions avec les acheteurs potentiels… Il est à noter que les plateformes d’intermédiation peuvent soit jouer un rôle actif dans l’échange entre individus (comme, par exemple, la plateforme Vestiaire Collective qui accompagne les internautes en vérifiant l’authenticité des produits et assure l’acheminement de ces derniers), soit se limiter à un rôle de mise en contact (comme, par exemple, la plateforme Leboncoin). La palette d’actions réalisées par le vendeur non professionnel sur le site est plus importante pour cette dernière catégorie de plate-formes dont le rôle est essentiellement de faciliter la rencontre de l’offre et de la demande.
Un consommateur plus alerte à l’ère du digital
10Ces dernières années, avec l’avènement du digital, les comportements des consommateurs ont considérablement évolué. Ils sont plus alertes : plus connectés, informés, connaisseurs, critiques, disposant d’un plus vaste choix de produits et de vendeurs (avec une concurrence à un clic, un accès facilité à des marchands à l’étranger…). De plus, les consommateurs sont davantage impliqués dans les processus décisionnels des entreprises (Rouquet, Reniou et Goudarzy, 2013) en devenant des « protagoniste[s] de la constitution de l’offre et du mix de l’entreprise » (Cova, 2008, p. 26). Les recherches s’appuyant sur le concept de coopération du consommateur avec les entreprises soulignent ainsi l’essor du marketing collaboratif (Cova et Cova, 2009) ou du marketing participatif (Bonnemaizon et al., 2012). Dans ce contexte, Bonnemaizon et al. (2012) identifient quatre types de participation du « consom’acteur » : auxiliaire (client relais ou sous-traitant qui peut effectuer des actions de parrainage, d’affiliation ou d’assemblage complexe des produits), experte (client pourvoyeur de solutions pouvant participer à de la co-innovation, de la co-promotion ou un forum d’entraide), auto-dirigé logistique (client-exécutant qui réalise un assemblage simple, du self-scanning, ou qui effectue des achats sur des bornes, par exemple) et auto-dirigé marketing (client assistant marketing opérationnel pouvant réaliser des tests produits, des relevés de prix, de la personnalisation ou participer à des actions de RSE). Toutefois, ces travaux portant sur la création d’une relation spécifique entre les entreprises et les consommateurs ne correspondent pas aux échanges en CtoC, notamment lorsque la plateforme d’intermédiation n’intervient pas au-delà de la mise en contact des parties prenantes (par exemple, Leboncoin ou Airbnb). Il existe donc un besoin clair de mieux comprendre les actions que les vendeurs déploient dans ce contexte.
11Dans le cas de la vente entre particuliers, sans intervention active de la plateforme, le vendeur doit assurer différents rôles : assemblage ou désassemblage du produit à vendre, promotion du produit, négociation du prix, organisation logistique, tests du produit, etc. Dans ce contexte, Lemaitre et De Barnier (2015) qualifient le vendeur non professionnel de « consommerçant » (contraction des termes « consommateur » et « commerçant »). En outre, la répétition des transactions effectuées par un vendeur non spécialiste va lui permettre de développer une expertise croissante (Prieto et Dutertre, 2014), s’approchant de la démarche du vendeur professionnel (Bauhain-Roux et Guiot, 2001). Dans cette perspective, nous souhaitons étudier les stratégies des vendeurs non spécialistes en nous intéressant à la palette d’actions qu’ils mettent en place sur un site de vente de produits d’occasion entre particuliers.
La méthodologie de la recherche
12Notre démarche méthodologique est basée sur une étude qualitative menée auprès d’utilisateurs du site Leboncoin. L’approche qualitative a été privilégiée car elle permet une analyse en profondeur des expériences des répondants dans les transactions en CtoC qu’ils ont pu réaliser. Le premier critère de sélection des répondants est l’existence préalable d’au moins une première expérience en tant qu’acheteur et/ou vendeur par le biais du site Leboncoin. Ce dernier est choisi comme terrain d’application dans la mesure où ce site est un des leaders du CtoC en France. Créé en 2006 en se reposant sur le modèle suédois Blocket.se, leboncoin.fr est depuis 2012 un des sites préférés des français selon le classement Médiamétrie. Les biens vendus sont majoritairement des produits d’occasion qui sont des « objets banals et usagés » et non des « objets précieux et de collection » (Roux, 2004, p. 9). Les produits vendus sur ce site subissent généralement une décote importante. Ce site joue le rôle de plateforme d’intermédiation en diffusant directement les offres sans superviser le déroulement des transactions (Roux, 2004). Les petites annonces sont gratuites avec des options payantes (par exemple, pour ajouter de photographies supplémentaires, remonter l’annonce en tête de liste pendant une période donnée, mettre l’annonce « à la une » et optimiser la visibilité, etc.) ; le modèle de rémunération est donc basé sur une logique de prix freemium [1]. Une fois une annonce passée et validée par un service de sécurité interne au site Leboncoin, le vendeur est contacté par les prospects par email, par téléphone ou sur la messagerie interne accessible depuis le site ou l’application. Ce système a valorisé la vente et l’achat de proximité entre les consommateurs. Leboncoin a un chiffre d’affaires 2017 en forte croissance qui s’élève à 257,4 millions d’euros. Il est aujourd’hui le cinquième site en temps passé en France – environ 21 minutes par visite (Médiamétrie, 2018), avec 7 milliards de pages vues par mois (XiTi, 2018) et 800 000 annonces déposées en moyenne chaque jour.
13Le recrutement des répondants a été réalisé via Facebook. Ce mode de recrutement a été privilégié car il permet de s’assurer en amont de l’affinité des participants avec l’usage d’Internet. Nous avons diffusé notre proposition de participation sur des groupes Facebook qui traitent de sujets divers et présentent un nombre élevé de membres avec des profils variés. Notre post de départ indiquait notre objectif de recrutement pour une étude académique de personnes ayant déjà une expérience sur Leboncoin en tant que vendeurs. Afin de conserver la motivation première des personnes disposées à participer à notre collecte de données et pour lever les contraintes géographiques et organisationnelles des études en face à face, les entretiens ont été réalisés en utilisant un logiciel d’appels téléphoniques avec vidéo via Internet. Ils ont duré entre 30 minutes et une heure. Cette méthode a contribué fortement à préserver les atouts d’un échange en face à face dans la mesure où le répondant et l’enquêteur pouvaient se voir. Le recrutement via des groupes Facebook nous a permis de faire varier les critères d’âge, de sexe et de profession des participants, afin d’obtenir une vision élargie du sujet étudié. Un guide d’entretien semi-directif a été réalisé au préalable, les trois grands thèmes abordés étant : ➀ le recours à la vente entre particuliers, ➁ les motivations à utiliser Leboncoin et ➂ les expériences en tant que vendeur (de la prise de décision à la conclusion de la vente).
14Afin de déterminer le nombre de personnes à interroger, nous avons retenu le critère de saturation théorique, c’est-à-dire que la collecte de données s’arrête lorsque les informations convergent et n’apportent plus d’éléments supplémentaires. Le profil des vingt répondants ayant participé à l’étude est présenté dans le tableau 1 de la page suivante. Soulignons que, même si trois répondants n’ont pas eu d’expérience de vente effective sur le site, nous avons souhaité les interroger et conserver leur entretien dans l’analyse, dans la mesure où ces personnes ont envisagé de vendre sur le site, sans toutefois concrétiser leur démarche par un passage à l’acte. Leurs propos nous ont semblé enrichissants pour notre étude car ils montrent leurs projections en tant que vendeurs, tout en pointant les démarches mises en place par les vendeurs avec lesquels ils ont été en contact sur le site lorsqu’ils étaient acheteurs. Les entretiens ont été retranscrits et soumis à une analyse de contenu thématique, dont les principaux résultats sont présentés dans la partie suivante.
Profil des répondants
Profil des répondants
Résultats
15Notre étude permet une analyse approfondie du comportement des vendeurs de produits d’occasion en CtoC. Nous abordons ci-dessous cinq aspects qui ont émergé des entretiens : ➀ les raisons du choix du site Leboncoin par le vendeur ➁ le choix des produits à vendre ➂ la fixation du prix ➃ la construction de l’annonce ➄ les interactions avec les acheteurs. Ce développement se conclut sur une synthèse des actions mises en place par les vendeurs, qui peuvent être classifiées selon les quatre dimensions du marketing mix.
Facteurs favorisant le choix du site Leboncoin par les vendeurs
16Notre analyse met en évidence la diversité des raisons qui poussent les vendeurs de produits de seconde main à utiliser le site Leboncoin. La quasi-majorité des répondants évoquent la facilité d’utilisation et l’efficacité du site comme facteurs déterminants de leur choix : « Leboncoin est facile à utiliser, intuitif, interactif et réactif » (Répondant 16, Femme, 57 ans), « Je n’utilise pas d’autres moyens, c’est très simple et rapide quand on veut se débarrasser de choses » (Répondant 3, Femme, 35 ans). La simplicité et la facilité apparaissent comme des atouts importants, justifiant une préférence pour Leboncoin par rapport à Ebay, par exemple. Ainsi, les répondants expliquent : « Leboncoin est plus simple d’utilisation qu’Ebay […] c’est facile de déposer une annonce » (Répondant 17, Femme, 55 ans), « Je n’ai jamais utilisé E-bay, le principe d’enchère me semble plus contraignant que pratique. Le principe du Boncoin est plus simple » (Répondant 11, Femme, 32 ans). Le Répondant 9 (Femme, 20 ans) aborde également ce sujet, en mettant l’accent sur la « proximité relationnelle » : « Leboncoin semble plus proche des acheteurs. Ebay fait plus grosse industrie alors qu’avec Leboncoin on a beaucoup plus l’impression d’acheter à des particuliers : je trouve qu’il y a plus de proximité ». Des comparaisons avec la presse et l’affichage apparaissent également, bien que dans une moindre mesure : « Le fait que ça passe par le Net est plus facile d’utilisation que la presse ou l’affichage dans le commerce physique » (Répondant 18, Femme, 33 ans).
17La « gratuité » du service proposé par le site apparaît également comme un facteur déterminant de son choix par les vendeurs. Ainsi, le Répondant 4 (Homme, 33 ans) explique : « J’ai choisi Leboncoin en comparaison d’autres sites de vente en ligne pour sa simplicité et la rapidité de validation des annonces, soyons francs le dépôt des annonces est aussi gratuit ». Le Répondant 14 (Homme, 33 ans) développe une réflexion plus approfondie sur la sélection du site par rapport à des aspects financiers, en expliquant sa réticence à souscrire à des options payantes et sa stratégie qui consiste à supprimer l’annonce et à la recréer afin d’éviter des frais sur le site : « Contrairement à certaines petites annonces dans la presse, Leboncoin est gratuit. Sauf pour certains professionnels ou si le vendeur souhaite que son annonce soit affichée en haut et sur le côté de manière permanente… Je ne souscris pas aux options payantes sur Leboncoin. Par exemple, pour modifier une annonce déjà en ligne, le service est payant. Pour ma part, je n’hésite pas à supprimer complètement l’annonce et à la remettre gratuitement en ligne avec les modifications apportées ».
18Les répondants évoquent également d’autres aspects qui motivent leur choix du site, comme la possibilité de rester anonyme, ou la possibilité d’un paiement en face à face qui est sécurisant car il ne nécessite pas de fournir des coordonnées bancaires en ligne. Ces aspects sont à mettre en lien avec un autre point essentiel souligné par les répondants, à savoir celui de la « proximité géographique » qui offre par la suite la possibilité de remise en mains propres du produit. Le Répondant 19 (Homme, 19 ans) évoque cette idée dans ses propos : « Il y a une réelle idée de proximité dès que l’on arrive sur la page d’accueil où l’on doit sélectionner sa région. […] La possibilité de rencontrer la personne est vraiment un point fort ».
La sélection des articles à vendre
19Les raisons de la mise en vente des produits sur le site Leboncoin par les vendeurs sont multiples, sans être exclusives. On peut ainsi noter le désir de donner une seconde vie aux objets, de s’en débarrasser et/ou de gagner une somme d’argent. Ainsi, le Répondant 3 (Femme, 35 ans) explique : « Je voulais m’en débarrasser, soit parce que je me n’en sers plus, ou parce que je dois les remplacer rapidement ». Le Répondant 5 (Femme, 33 ans) évoque l’utilisation du site Leboncoin comme une alternative au fait de jeter le produit : « [Je] récupère de l’argent pour un objet que j’aurais sans doute jeté ». On retrouve ici principalement deux des motivations des vendeurs de produits d’occasion mises en évidence par Lemaitre et De Barnier (2015), à savoir les dimensions financière et générative. Les dimensions protestataire et récréationnelle émergent moins au cours des entretiens. Aussi, il semble que l’aspect économique et le désir de permettre la réutilisation d’un produit par un tiers après son propre usage sont au cœur des raisons qui guident le choix des produits à vendre. En outre, les verbatims mettent en avant une idée forte de désencombrement qui renforce l’aspect génératif à l’instar du Répondant 7 (Femme, 62 ans), qui déclare « J’étais contente de vendre, de ramasser un peu d’argent et surtout de faire le vide », tandis que le Répondant 10 (Femme, 19 ans) souligne « La satisfaction de m’être débarrassée d’un objet qui m’encombrait depuis longtemps et en me faisant un peu d’argent ». Les catégories de produits vendus par les répondants sont variées et permettent de couvrir un spectre large reflétant les articles mis en vente sur le site Leboncoin : loisirs (e.g. billet d’entrée au parc d’attraction Disneyland), produits technologiques (e.g. appareil photo, smartphone), automobile, articles de puériculture, consoles de jeux, vêtements, articles divers (e.g. radio réveil), de sport (e.g. haltères), petits électroménagers (e.g. fer à repasser), immobilier… Par ailleurs, deux profils de vendeurs non-professionnels émergent : ➀ Les vendeurs spécialisés dans certaines catégories de produits, à l’instar du Répondant 8 (Femme, 19 ans) qui se concentre sur la vente de ses supports mobiles smartphones et tablettes, et du Répondant 19 (Homme, 19 ans) qui ne vend que des produits automobiles, voitures et pièces détachées notamment ; ➁ Les vendeurs généralistes qui mettent à disposition des acheteurs une palette diversifiée de produits, comme le Répondant 6 (Homme, 25 ans) avec la vente d’une moto, d’un GPS, d’un jeu vidéo et d’outils de bricolage.
La fixation du prix de vente
20Concernant la fixation du prix, notre étude révèle que plusieurs aspects sont pris en compte de manière complémentaire par les vendeurs. Tout d’abord, notre analyse met en évidence des réflexions intuitives relatives à ce qu’on souhaite retirer comme contrepartie financière pour le produit. Ainsi, pour le Répondant 16 (Femme, 57 ans) « Le prix de vente est déterminé par le feeling ». Le consommateur-vendeur peut aussi avoir une réflexion en termes de décote par rapport au prix initial de l’objet, en fonction de son état et de son ancienneté. Le Répondant 14 (Homme, 33 ans) présente sa démarche de la manière suivante : « J’essaie de l’estimer en tenant compte du prix d’achat, de la durée d’utilisation et de l’état du produit au moment de la revente ». Un autre aspect qui peut être pris en compte dans l’étape de fixation du prix de vente est le prix observé pour des produits similaires. Le Répondant 11 (Femme, 32 ans) indique : « Je fais une estimation, ce que j’ai envie d’en tirer puis je regarde les prix des produits équivalents ». Cette étape peut prendre la forme d’un benchmark des produits concurrents vendus sur le site, comme souligné par le Répondant 4 (Homme, 33 ans) : « J’ai fixé mes prix en fonction des prix fixés par les autres internautes, afin d’être compétitif et cohérent ». Cette notion de compétitivité mise en avant dans ce dernier verbatim amène le vendeur à choisir un prix sensiblement en dessous de la concurrence ou à aligner son prix sur cette dernière, une démarche en accord avec l’existence de prix de référence pour les acheteurs (L’Haridon et Paraschiv, 2009 ; Paraschiv et Chenavaz, 2009). Par exemple, le Répondant 6 (Homme, 25 ans) explique : « J’essaye d’adapter mon prix en fonction des autres vendeurs. Je le mets un peu moins cher ou au même prix pour être sûr d’attirer un maximum d’acheteurs ». La comparaison avec des produits vendus se fait essentiellement sur le site où l’objet d’occasion est destiné à être mis en vente. Néanmoins, certains consommateurs vont aussi visiter d’autres sites marchands qui vendent le produit neuf ou d’occasion pour affiner le prix, comme expliqué par le Répondant 19 (Homme, 19 ans) : « Cependant, je ne me base pas que sur les prix proposés par les autres vendeurs. Je consulte le prix neuf et les prix sur d’autres sites Internet ». Le prix pourra faire l’objet d’une négociation dont l’acheteur sera généralement à l’origine, ce qui a d’ailleurs lieu assez fréquemment : « Dans 99 % des cas, les gens discutent le prix » (Répondant 6, Homme, 19 ans), à l’exception des produits dont le prix de départ est estimé comme très faible : « Je ne négocie pas le prix puisque je fixe un prix très bas dès le départ » (Répondant 3, Femme, 35 ans).
La construction de l’annonce : l’importance des images et du choix des mots
21L’analyse du discours des entretiens montre une vraie réflexion des répondants autour de la construction de leur annonce, en particulier sur les photographies, la rédaction du texte et du titre de l’annonce.
22Le consommateur vendeur va prendre des photographies visant à valoriser le produit. Les personnes interrogées expliquent à ce sujet que les « photos [doivent être] claires et avantageuses » (Répondant 4, Homme, 33 ans), « jolies » (Répondant 2, Femme, 34 ans) et « simples aussi mais sur lesquelles on voit bien le produit sous différents angles » (Répondant 11, Femme, 32 ans). La photographie doit avoir un aspect épuré permettant une mise en valeur du produit : « sans surcharger la photo d’accessoires inutiles » (Répondant 12, Femme, 30 ans). Une réflexion sur la luminosité est également fréquemment présente : « Nous avons essayé de prendre des photos pour attirer l’œil, au printemps par une journée ensoleillée » (Répondant 17, Femme, 55 ans). Le vendeur a bien conscience du poids de l’image sur ses clients potentiels : « Je rajoute la plupart du temps une image car cela fait plus réaliste et le prospect clique plus souvent sur une annonce où on voit le produit » (Répondant 8, Femme, 19 ans). D’ailleurs, cela va aussi rassurer le prospect sur l’authenticité de l’annonce : « Afin d’augmenter les visites sur mon offre, j’essaye de mettre un maximum de photos, afin de rassurer l’acheteur » (Répondant 19, Homme, 19 ans).
23Le texte d’accompagnement joue également un rôle non négligeable et les vendeurs estiment qu’il doit présenter des caractéristiques objectives du produit, être le plus clair possible et ne pas être trop long : « Quand je rédige une annonce, je précise toujours si je possède les accessoires, la qualité de mes objets, le nombre d’années d’utilisation. Je fais des phrases courtes afin que le prospect n’ait pas à lire trop longtemps l’annonce car je pense que ça le lasserait » (Répondant 8, Femme, 19 ans). Le Répondant 11 (Femme, 32 ans) indique à ce sujet : « Pour rédiger les annonces, j’essaie de faire simple et court, avec des mots très clairs, pas de fioritures. Et puis j’essaie de penser à toutes les infos importantes sur le produit que je vends (taille, références…) ». Le consommateur vendeur porte aussi une réflexion stratégique sur les mots-clés, dans une logique de référencement naturel : « Pour rédiger une annonce, je réfléchis aux mots que l’acheteur potentiel tapera dans la barre de recherche. Je mets les mots les plus importants, tels que la marque, le modèle et son état » (Répondant 19, Homme, 19 ans). En effet, le vendeur a finalement des préoccupations quasi-entrepreneuriales en matière de marketing digital : « Une des difficultés que je rencontre quand j’utilise Leboncoin, c’est d’arriver à figurer parmi les premières pages de résultats pour le produit que je vends. Le site est souvent débordé d’annonces, la concurrence est de plus en plus forte » (Répondant 19, Homme, 19 ans). En poursuivant cette même démarche, le vendeur peut mettre aussi à jour son annonce afin de rester en bonne position dans la rubrique concernée : « Afin d’augmenter mes chances de vente, j’efface mon annonce quand elle trop ancienne et je la rediffuse dans la foulée ; ce qui permet qu’elle soit remontée en tête de consultation » (Répondant 4, Homme, 33 ans). Le contenu peut même être ajusté afin d’accroître ses chances de vente : « Pour mettre la demande à jour, j’annule et préfère la recréer avec quelques modifications dans le texte » (Répondant 16, Femme, 57 ans).
24La description de l’objet d’occasion est cohérente avec les caractéristiques du produit acheté à l’état neuf. Les vendeurs ne cherchent donc pas à réinventer le produit d’occasion, mais préfèrent respecter le positionnement défini initialement par la marque. Les propos du Répondant 6 (Homme, 25 ans) illustrent cet aspect : « Je prends l’objet tel qu’il est. C’est-à-dire que pour moi, c’est quelque chose de déjà utilisé mais je vais prendre en compte ce qu’un acheteur potentiel peut déjà savoir sur le produit. Je ne peux pas lui vendre un produit simple pour un objet hyper cher ou lui dire que c’est une marque incroyable alors que ça ne l’est pas. Ce n’est pas possible. En plus, on sait tout à la base, maintenant, avec Internet ».
Les interactions entre le vendeur et les acheteurs potentiels
25L’analyse des discours des répondants met en évidence que, lorsqu’il choisit de déposer des articles en vente sur Leboncoin, le vendeur ne définit pas a priori de critères de sélection et cherche à toucher le plus grand nombre possible d’acheteurs potentiels, comme l’indiquent le Répondant 18 (Femme, 33 ans) : « en mettant en vente sur Leboncoin, je vise vraiment large », ainsi que le Répondant 1 (Femme, 35 ans) : « Lorsque je mets un objet en vente sur ce site, je ne cherche pas à savoir quel type de personne pourra l’acheter. Jeune, retraité ou autre, l’essentiel, c’est que je le vende ».
26Le vendeur définit généralement un cadre préétabli et clair dans lequel auront lieu les échanges (informationnels et physiques) avec les acheteurs potentiels : « Afin de me contacter, je propose aux acheteurs intéressés de me joindre sur mon téléphone portable, en précisant des créneaux de préférence (en semaine après 18h, et en weekend toute la journée) » (Répondant 14, homme, 33 ans). Les acheteurs qui diffusent directement leur numéro de téléphone dans l’annonce y voient un moyen d’accélérer le processus de vente : « Il m’arrive parfois de mettre mon numéro de téléphone si je souhaite vendre rapidement » (Répondant 19, Homme, 19 ans). Toutefois, la communication privilégiée est celle par email car elle facilite la sélection des acheteurs potentiels.
27Le vendeur trie généralement les personnes qui lui répondent en essayant de distinguer les personnes sérieuses de celles qui ne le sont pas. Le Répondant 4 (Homme, 33 ans) indique la possibilité d’obtenir des réponses multiples « assez rapidement » et de choisir lui-même ses « propres critères » de sélection. Tout d’abord, le vendeur cherche à déceler si chaque acheteur est fiable ou s’il s’agit d’une démarche qui s’apparente à une arnaque : « Souvent quand je veux vendre un produit, je reçois des mails ou des textos de personnes soi-disant intéressées mais ce sont des mails d’arnaques. Par exemple : ‟Bonjour, étant en déplacement, pouvez-vous m’envoyer le produit par un transporteur ?” » (Répondant 8, Femme, 19 ans). « L’une des principales difficultés sur Leboncoin est de pouvoir distinguer les bons acheteurs des mal intentionnés. Certains ‟acheteurs” n’hésitent pas à proposer de leur envoyer le produit sans le voir contre un paiement ‟paypal”. […] Toutefois, et à force d’utiliser le site, on arrive facilement à déceler ce type d’acheteur, car on se rend compte qu’ils ont les mêmes techniques de contact et de négociation » (Répondant 14, Homme, 33 ans). Ce dernier verbatim met d’ailleurs en évidence un effet d’expérience dans le tri des contacts. La fiabilité de l’acheteur apparaît comme un critère très important pour le vendeur : « J’ai eu l’occasion […] d’attendre quelqu’un désespérément un après-midi et voulant le contacter, je tombais toujours sur son répondeur. Quand 2 ou 3 jours plus tard, il m’a rappelée, feignant une méprise sur l’heure et le jour du rendez-vous, je lui ai dit que c’était vendu » (Répondant 7, Femme, 62 ans). Le moindre élément peut constituer un facteur de détection du sérieux de chaque prospect comme « les fautes d’orthographe dans les messages échangés » (Répondant 15, Femme, 32 ans). D’ailleurs, les vendeurs ont bien conscience du risque de fiabilité dû au mode de fonctionnement inhérent au site Leboncoin. Par exemple, au sujet de la vente de produits immobiliers, la Répondante 10 (Femme, 19 ans) explique qu’« il existe beaucoup de sites de mise en relation fiables comme PAP. Cependant, Leboncoin, étant trop fréquenté et ayant très peu de régulation, comporte des risques beaucoup plus élevés ».
28Quant à l’aspect de communication interpersonnelle qui touche dans ce cas la partie négociation, elle apparaît comme un nouveau rôle à endosser pour les vendeurs lors des échanges : « La difficulté que j’ai pu rencontrer est la négociation du prix entre l’acheteur et le vendeur » (Répondant 5, Femme, 33 ans). Le vendeur va devoir faire preuve d’une certaine assurance dans le déroulement des échanges avec les clients : « Je procède à un entretien détaillé accompagné d’une découverte de l’acheteur en mettant d’entrée mes conditions » (Répondant 4, Homme, 33 ans). Afin de conclure sa vente, le produit doit pouvoir être testé par l’acheteur lors de leur rencontre : « Je fais attention à ce que je vends puisse être vérifié ou essayé par l’acheteur » (Répondant 7, Femme, 62 ans).
29Le choix du lieu de rencontre entre acheteur et vendeur est souvent réalisé, quand cela est possible, dans un lieu public ou à proximité de son domicile, pour éviter les dangers d’une mauvaise rencontre : « La prise de contact s’est faite très facilement et nous avons fixé un point de rendez-vous à la station de métro République » (Répondant 9, Femme, 20 ans), « La personne a sonné chez moi, je suis descendue avec la valise et en 5 minutes c’était réglé » (Répondant 11, Femme, 32 ans). Mais parfois, le choix de la rencontre au domicile du vendeur peut être lié à la taille encombrante du produit ou à des motifs stratégiques : « Concernant les échanges avec les acheteurs, le rendez-vous est toujours fixé à mon domicile pour voir le ou les produits en question. […] Il arrive qu’un acheteur vienne pour un produit et reparte avec deux ou trois produits. Par exemple, un acheteur était venu pour un canapé, en arrivant chez moi, il était tenté par la table basse et le tapis. Il a donc embarqué les trois produits » (Répondant 14, Homme, 32 ans).
Le marketing en acte
30Notre étude a permis de mettre en évidence les principales raisons du choix du site Leboncoin ainsi que les actions réalisées par les vendeurs de produits d’occasion. Les éléments qui ont émané de l’analyse du discours des répondants peuvent être regroupés en cinq axes qui rejoignent les pratiques marketing des entreprises. Le premier concerne les démarches de segmentation, ciblage et positionnement. Selon les répondants, la méthode de ciblage est basée essentiellement sur un critère de segmentation géographique, en accord avec la logique de « proximité » mise en évidence par les répondants. On peut noter à cet égard que si un produit ne se vend pas, certains vendeurs envisagent comme cause un défaut de ciblage. Cependant, les vendeurs n’essaient pas pour autant d’y remédier : « Il y a un côté jeu là-dedans : je joue et je gagne facilement… Sauf que pour les rollers, j’ai perdu la dernière fois ! Avec du recul, peut-être que les gens qui cherchent des rollers ne vont pas sur Leboncoin. Alors que moi, j’étais sûre qu’il y aurait toujours au moins une personne intéressée pour chaque objet que je mets en vente. Je vais réessayer cet été, peut-être que les gens chercheront plus à acheter des rollers à cette période-là » (Répondant 11, Femme, 32 ans). Soulignons qu’aucune autre variable sociodémographique (e.g. âge, sexe), socioéconomique (e.g. PCS, revenu), psychographique (e.g. style de vie, valeur) ou comportementale (e.g. fidélité à une marque, bénéfice recherché) n’est apparue dans les discours des personnes interrogées.
31Les quatre autres axes font référence aux quatre dimensions du marketing mix : la sélection des produits à vendre, le choix de la tarification, la mise en place d’une stratégie de communication et la distribution du produit lors de l’échange avec l’acheteur. Le tableau 2 ci-dessous présente ces cinq leviers d’actions et les principaux aspects des résultats qui s’y rapportent.
Actions mises en place par les vendeurs de produits d’occasion sur un site dédié
Leviers | Actions mises en place par le vendeur en CtoC en ligne |
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Segmentation, ciblage et positionnement |
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Stratégie produit : valorisation de l’article à vendre |
|
Stratégie prix : prise en compte de différents facteurs |
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Stratégie de communication : mise en mots, en images et gestion de la relation client |
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Stratégie de distribution du produit : mise en place de l’échange transactionnel |
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Actions mises en place par les vendeurs de produits d’occasion sur un site dédié
Discussion et conclusion
Contributions théoriques
32Cette recherche avait pour ambition de mieux comprendre les stratégies mises en place par les vendeurs non professionnels sur le marché de l’occasion. Les résultats de l’étude qualitative révèlent une logique géographique pour la segmentation et le ciblage. Cela s’explique probablement en partie par le fait que la page d’accueil du site Leboncoin permet au consommateur d’effectuer par défaut une sélection sur des zones géographiques étendues à partir de la carte de la France. La stratégie de positionnement qui émerge de notre étude correspond à un positionnement du produit en tant qu’article de seconde main, se basant sur les caractéristiques initiales du produit vendu à l’état neuf. Les vendeurs ne cherchent donc pas à réinventer le concept-produit.
33Nos analyses montrent également qu’à l’instar des marketeurs, les consommateurs-vendeurs mobilisent les quatre dimensions du marketing mix en menant une réflexion approfondie sur des aspects tels que les produits à vendre, le prix de mise en vente, les images à utiliser, les mots-clés à choisir, les modalités de mise à disposition du produit, etc. Par ailleurs, les résultats soulignent la place importante des échanges interpersonnels entre le vendeur et ses acheteurs potentiels, le premier ayant une démarche orientée pour convaincre ces derniers et les seconds pouvant être méfiants sur la qualité d’un produit vendu par un non-professionnel.
34La principale contribution théorique de notre papier est d’enrichir les recherches concernant les échanges entre particuliers, en mettant en évidence l’endossement d’un rôle de professionnel de la vente par les consommateurs vendeurs de produits d’occasion. En effet, les travaux préexistants sur ce marché, pour lequel l’intérêt s’accroît depuis ces dernières années, portent essentiellement sur les acheteurs. Notre article, focalisé sur les stratégies des vendeurs non professionnels, permettent de compléter cette littérature en tenant compte de la réalité du marché du CtoC en ligne. Les démarches marketing synthétisées dans le Tableau 2 font écho à la classification de Bonnemaizon et al. (2012) qui met en évidence la capacité du consommateur à déployer des leviers d’action dans ce domaine, renforçant la légitimité du néologisme « consommerçant » de Lemaitre et De Barnier (2015).
Implications managériales
35De ce travail découlent des implications managériales pour les plateformes de vente entre particuliers. Il apparaît de fait que la plateforme Leboncoin est particulièrement choisie par les vendeurs pour la quasi-absence de contraintes qu’elle leur offre. Néanmoins, l’individu-vendeur doit mener de front différentes actions dont il n’a pas forcément l’habitude, notamment dans un contexte d’incertitude concernant à la fois la stratégie qu’il va mettre en place, et les personnes avec lesquelles il va être en contact.
36Une plateforme d’intermédiation d’échanges transactionnels de produits d’occasion sera d’autant plus attractive pour un vendeur qu’elle l’accompagnera dans ses choix stratégiques de façon non intrusive, en proposant subtilement une possibilité d’accompagnement. Par exemple, notre étude a mis en évidence que le vendeur de produits d’occasion mène une démarche de réflexion sur le prix et procède à un benchmark. Les plateformes d’intermédiation pourraient l’accompagner à ce niveau en proposant des zones de recherche d’historiques des produits similaires vendus sur la plateforme et de leurs prix. De façon analogue, un vendeur s’interrogeant sur la pertinence de mettre en vente un produit qui peut paraître original ou inhabituel pourrait avoir accès à des statistiques sur les ventes de produits de cette catégorie. Nous avons également vu que les répondants pouvaient initier une démarche relevant d’une logique de référencement et mener une réflexion sur la meilleure manière de construire leur annonce. Quelques conseils d’ordre général, non intrusifs, offriraient donc la possibilité de trouver plus facilement des idées pour valoriser un article à vendre (mots-clés à utiliser, astuces pour améliorer la qualité des images…). En outre, il est également apparu dans les résultats que la communication avec des prospects pouvait s’avérer délicate. Des conseils sur les aspects relationnels peuvent être prodigués par la plateforme pour accompagner le tri des contacts clients, fixer en toute sécurité les règles de l’échange, éviter de tomber dans une arnaque… L’entreprise pourrait aussi donner des informations juridiques, comme le transfert d’une garantie encore valable d’un consommateur à un autre, le recours légal d’un potentiel acheteur en cas de dol pour des produits d’occasion… Des agents virtuels intelligents (Paraschiv, 2002, 2004) pourraient faciliter l’accès à ce type d’information (nombre de produits vendus, prix de vente de départ, produits en cours de vente dans cette catégorie…) en « humanisant » la plateforme et, ainsi, renforcer la confiance envers le site (Deveaux et Paraschiv, 2004 ; Lemoine et Notebaert, 2011). Enfin, notre étude a montré que le moment de l’échange physique pouvait être appréhendé dans la mesure où les répondants ne connaissent pas la personne qu’ils vont rencontrer. Aussi, afin d’accompagner la remise en main propre des produits (notamment pour les produits qui ne sont pas encombrants), les plateformes pourraient envisager de nouer des partenariats avec des commerçants de proximité, à l’instar de ce qui est pratiqué dans les relais colis pour les circuits de vente de produits neufs traditionnels. Les protagonistes vendeurs et acheteurs pourraient ainsi s’y rencontrer en toute sécurité. Pour les entreprises de proximité qui accepteraient de jouer le rôle de lieu d’échanges, cela permettrait de générer du trafic en point de vente et d’attirer de nouveaux prospects. En définitive, la plateforme d’intermédiation doit mettre en place des stratégies de facilitation pour le vendeur non professionnel de produits d’occasion, sans être intrusive afin de ne pas entraver sa propre vocation de départ, tout en proposant une grille de lecture pouvant être librement utilisée. Ainsi, le vendeur trouvera une certaine autosatisfaction à avoir réussi à vendre un produit qu’il a déjà utilisé, grâce à ses propres actions et à une présence discrète de la plateforme.
Hermès, vue partielle de la façade du Rockefeller Center de New York (constr. 1932-1940)
Hermès, vue partielle de la façade du Rockefeller Center de New York (constr. 1932-1940)
« L’individu-vendeur doit mener de front différentes actions dont il n’a pas forcément l’habitude, notamment dans un contexte d’incertitude concernant à la fois la stratégie qu’il va mettre en place, et les personnes avec lesquelles il va être en contact. »Pistes de recherches futures
37Plusieurs voies futures de recherche sont envisageables pour compléter cette étude. Tout d’abord, notre travail s’est concentré sur l’expérience de consommateurs sur la plateforme Leboncoin. Des recherches futures pourraient porter sur la stratégie mise en place par les vendeurs non professionnels de produits d’occasion utilisant d’autres plateformes en ligne comme Paruvendu, Vinted ou encore des plateformes ayant un rôle plus actif dans l’échange transactionnel, telles que Vestiaire Collective ou Micromania. Une analyse comparative des stratégies des vendeurs sur ces plateformes permettrait de mettre en évidence les conséquences du niveau d’implication du site dans la transaction et l’impact de la spécialisation dans un secteur donné. Une recherche future pourrait également se concentrer sur des populations spécifiques comme les séniors, qui manquent d’engouement pour ce type de vente de produits. En effet, selon Delhing (2014), les personnes âgées peuvent percevoir un effet miroir vis-à-vis des objets d’occasion au regard de leur état (usagé, plus à la mode) ou du traitement de ces produits (revendu à bas prix). Les objets d’occasion peuvent donc être un rappel de leur propre vieillissement. Des études futures adoptant des démarches d’observation des usages des vendeurs ainsi que des collectes de données quantitatives permettraient également d’étayer les différents aspects de chaque dimension du marketing mix mise en évidence dans ce travail. Il serait par exemple enrichissant de détailler toutes les facettes de la dimension interpersonnelle pour mieux en saisir les enjeux. Enfin, une approche par type de produit (ameublement, automobile, vestimentaire…) permettrait de déterminer si la nature des produits influence le processus de vente et, le cas échéant, de quelle manière.
Bibliographie
Bibliographie
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Notes
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Le terme freemium vient de l’association des mots free et premium. Il s’agit de mettre à disposition des internautes une offre gratuite, tout en proposant des options et outils complémentaires payants.