Notes
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[1]
Source : www.lesechos.fr, article du 15/04/2018 consulté le 30/06/2018.
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[2]
Site du cabinet de conseil Bain et Company (www.bain.fr), article du 12/02/2018 consulté le 30/06/2018.
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[3]
Site www.bankobserver, article du 12/07/2017 consulté le 30/06/2018.
Introduction
1Dans un contexte économique fragile, complexe et en perpétuelle mutation, les entreprises doivent constamment s’adapter et faire évoluer leurs pratiques organisationnelles (Vandangeon-Derumez, 1998). Le secteur bancaire ne fait pas exception à la règle, et plusieurs facteurs amènent les entreprises à réfléchir à des modifications plus ou moins importantes pour continuer à être rentables. Le premier facteur concerne l’accroissement de la concurrence, avec l’apparition de nouveaux acteurs (comme les banques en ligne ou les néo-banques) qui ont accentué la pression sur les prix et les offres commerciales. Dans cette configuration, les banques traditionnelles ont choisi pour la plupart d’intégrer une forte dimension digitale dans leurs agences, pour rendre leurs offres plus transparentes, plus attractives et complémentaires. Cette adaptation technologique ne semble pas suffire, car un troisième facteur a ravivé et modifié la concurrence : il concerne le comportement des clients. Sollicités de toute part, et trouvant à leur disposition sur Internet des informations simples, complètes et comparatives sur les offres bancaires, ils ont progressivement déserté les agences et modifié leurs comportements, devenant plus exigeants et versatiles. Une projection économique réalisée par le cabinet Sea Partners suggère une fermeture de 12,6 % des points de vente des banques françaises d’ici 2020 [1]. Devant ce constat, les banques traditionnelles doivent réagir. Certaines ont décidé de fermer des agences (c’est le cas notamment de la Société Générale ou de LCL), d’autres ont repensé la place de l’agence traditionnelle dans leur modèle organisationnel pour ne pas perdre en compétitivité et sauvegarder leurs implantations géographiques. La relation client semble évoluer, et la différenciation pourrait se faire sur le conseiller bancaire qui reste « le pivot de la relation », mais qui doit aller vers de « nouvelles compétences techniques et comportementales centrées sur la qualité de service et adaptées aux nouveaux modes d’interaction avec les clients » [2]. Des banques traditionnelles ont développé de nouveaux modèles d’agences, très digitalisés, avec des conseillers plus disponibles pour des tâches complexes [3], en préservant le maillage géographique des points de vente. C’est le cas de la grande banque mutualiste française que nous avons pu étudier. Celle-ci propose une nouvelle organisation commerciale, basée sur une spécialisation accrue des collaborateurs et un travail en équipe, dans un environnement fortement digitalisé. Cette modification est progressive, mais les conséquences sont fortes pour les collaborateurs comme pour les clients, et des doutes et résistances sont apparus. L’objectif pour la banque étudiée est de légitimer ce changement, en interne auprès de ses salariés, et en externe auprès des institutionnels, mais également auprès des concurrents et des clients. La légitimité est le moyen pour une organisation de renforcer son image, sa stabilité, ainsi que l’engagement des salariés (Oliver, 1991). Dans le prolongement des travaux de Suchman (1995) qui considère la légitimation comme une finalité, nous verrons quelles sont les actions à entreprendre pour minimiser les résistances et entraîner l’adhésion des collaborateurs autour du nouveau projet organisationnel. Un des moyens pour y parvenir serait d’utiliser différents outils de communication, qui, s’ils sont appropriés, peuvent garantir le succès de la diffusion du changement (Russ, 2012), notamment en impliquant les employés.
2Cette recherche présente l’intérêt de lier la littérature sur les résistances inhérentes à un changement organisationnel à la littérature sur la recherche de légitimité. Nous mettrons d’abord en évidence le lien existant entre un changement organisationnel et les différents facteurs de résistance (Soparnot, 2013). Il s’agira alors de montrer comment la légitimité, au travers de ses trois dimensions − pragmatique, cognitive et morale − (Suchman, 1995), peut être un moyen efficace de réduire ces résistances. Nous présenterons ensuite le contexte de l’étude qualitative que nous avons menée au sein d’une grande banque mutualiste française qui a amorcé un changement organisationnel majeur. Nous exposerons les résultats, en identifiant notamment les facteurs de résistance existant chez les collaborateurs, avant d’évaluer la pertinence des actions de légitimité mises en place pour lever ces résistances et entraîner l’adhésion des collaborateurs. Enfin, nous pointerons les apports, les limites et perspectives de recherche.
Changement organisationnel radical, résistances et processus de légitimation
Différents types de changements et de résistances
3Le changement fait partie de la vie des organisations et a généré une abondante littérature. De nombreuses définitions existent et celle de Giroux (1991), qui a reçu une validation académique, décompose le changement selon son étendue (globale versus partielle), sa profondeur (majeure versus marginale) et son rythme (lent versus rapide). Des changements de différentes ampleurs sont possibles pour une organisation, afin d’intégrer des évolutions technologiques (Allaire et Firsirotu, 1989), ou en réponse à une situation de crise réelle ou anticipée (Soparnot, 2004). La présente recherche étudie le cas d’une banque française qui a choisi de réagir face à des évolutions contextuelles majeures que sont l’accentuation de la pression concurrentielle (apparition de nouveaux concurrents) et le développement des outils digitaux (consommateurs plus connectés). La combinaison de ces deux facteurs a entraîné une modification significative des comportements des clients et la nécessité d’adapter les offres bancaires. C’est un changement global, pouvant être qualifié de radical (Allaire et Firsirotu, 1989) pour plusieurs raisons : il est soudain, il touche toutes les activités de l’organisation, il a des répercussions internes et externes, et il marque une rupture avec les pratiques antérieures. Ce changement radical se fonde sur deux aspects-clés : une nouvelle approche clients, basée sur une gestion collective du portefeuille clients, et une expertise sectorielle (« Épargne », « Assurances », « Habitat ») des collaborateurs.
4Il existe plusieurs manières de diffuser un changement radical, plus ou moins pilotées par la hiérarchie (voir Soparnot, 2004 pour une revue complète). La banque étudiée a opté pour une diffusion concertée qui se rapproche d’une stratégie politique, prônant une convergence des intérêts des différents acteurs pour légitimer le changement aux yeux de tous (Soparnot, 2013). Néanmoins, les conséquences pourront être positives (acceptation, adhésion) ou négatives (résistances, conflits). La notion de résistance, initialement abordée dans les travaux de Coch et French (1948) et Lewin (1951), concerne la capacité des individus à entraver les projets de réforme d’une entreprise, en adoptant des attitudes aussi diverses que le déni, l’indifférence ou le rejet. Les résistances sont protéiformes et peuvent remettre en cause tant les pratiques organisationnelles que les relations interpersonnelles (tableau 1).
Les différents types de résistances et leurs caractéristiques
Facteurs de résistance au changement | Caractéristiques |
---|---|
Anxiété (résistance psychologique) | Le changement est un puissant « stresseur » qui provoque un état de déséquilibre psychologique. |
Relation à l’entreprise (résistance identitaire) | Le changement provoque une remise en cause de l’identité de la personne en modifiant la nature de la relation qui la lie à l’organisation. |
Jeux de pouvoir (résistance politique) | Le changement est une menace lorsqu’il met en cause les conditions des jeux de pouvoir des acteurs et leur liberté d’action. |
Influence du groupe (résistance collective) | Le changement peut briser l’équilibre créé par les normes de groupes. |
Culture d’entreprise (résistance culturelle) | Le changement peut véhiculer des valeurs qui divergent avec celles de l’organisation. |
Connaissances et compétences des individus (résistance cognitive) | Le changement impose l’apprentissage de techniques et de méthodes nouvelles. |
Les différents types de résistances et leurs caractéristiques
« La banque a opté pour une diffusion concertée qui se rapproche d’une stratégie politique, prônant une convergence des intérêts des différents acteurs pour légitimer le changement aux yeux de tous. »
5Ces différents types de résistances coexistent selon les contextes de changement et les stratégies de diffusion choisies par l’organisation. Cette dernière devra mettre en place des actions pour légitimer le changement et réduire ces résistances.
La recherche de légitimité pour réduire les résistances
6Les travaux de Suchman (1995) s’inscrivent dans une perspective institutionnaliste du changement qui prend en compte son caractère collectif et complexe de par la diversité des acteurs concernés. Dans cette optique, l’organisation doit adapter ses actions à la diversité de ses publics pour leur faire accepter le changement. C’est une vision volontariste du processus de légitimation d’un changement qui suppose que les intérêts de chaque acteur, tant externe qu’interne, sont pris en compte. La construction de cette légitimité peut se faire au travers de ses trois dimensions: la légitimité cognitive, morale et pragmatique (Suchman, 1995).
7• La légitimité pragmatique : pour Suchman (1995), chaque partenaire est partie prenante dans la stratégie mise en place par l’entreprise. Cette interdépendance suppose que chaque action de l’entreprise aura des répercussions sur les acteurs concernés. Soumis à un changement, ces derniers chercheront à « l’orienter dans un sens qui leur est plus favorable » (Soparnot, 2013, p. 28), sinon ils pourront le percevoir comme une menace et opposer des résistances politiques. La légitimité pragmatique devra convaincre chaque acteur que le projet proposé répond à ses attentes et satisfait son intérêt, en montrant notamment les implications concrètes du nouveau projet. Chaque acteur doit être impliqué dans la pérennisation de ce projet. Nous pouvons donc formuler une première proposition :
8Proposition 1 : Les actions de légitimité pragmatique mises en place par l’entreprise pour diffuser le changement organisationnel réduiront les résistances politiques.
9• La légitimité cognitive : cette dimension de la légitimité doit aider l’entreprise à faire connaître son nouveau projet et à lui donner une place claire dans son environnement (Suchman, 1995). Pour cela, il faut que les acteurs concernés en comprennent le cadre général et les caractéristiques concrètes. L’objectif est de rendre le projet visible et incontournable dans l’environnement concurrentiel. Il s’agira pour les salariés de trouver leur place dans ce nouveau projet. Pour cela, l’organisation devra leur fournir les cadres et procédures leur permettant d’effectuer leur travail et de prendre des décisions au quotidien. Cette appropriation pourra être délicate pour certains collaborateurs, qui se sentiront parfois déstabilisés, voire stressés. En effet, le changement bouleverse les repères organisationnels, entraînant ainsi des résistances psychologiques (Soparnot, 2013). De la même façon, le changement pourra remettre en cause les connaissances et compétences des salariés ; certains pourront avoir plus de mal à s’approprier les nouveaux outils et procédures, ce qui génèrera des résistances cognitives (Soparnot, 2013). D’un point de vue collectif, les relations interpersonnelles pourront être modifiées, voire perturbées par le nouveau projet. Les groupes au sein de l’organisation ont « une vie propre et développent des stratégies spécifiques que le changement peut remettre en cause » (Soparnot, 2013, p. 28), ce qui pourra entraîner des résistances collectives. Notre seconde proposition est la suivante :
10Proposition 2 : Les actions de légitimité cognitive mises en place par l’entreprise pour diffuser le changement organisationnel réduiront les résistances cognitives, collectives et psychologiques.
11• La légitimité morale : l’organisation se porte garante de valeurs et de normes envers ses différents partenaires (Suchman, 1995). En interne, les salariés adhèrent à ces valeurs, qui constituent pour eux un cadre fédérateur dans lequel ils se reconnaissent. Ce cadre pourra être remis en question par le changement proposé, créant ainsi des résistances culturelles. Pour les réduire, l’organisation devra montrer que son nouveau projet est conforme à la culture d’entreprise, et qu’il préserve le bien-être collectif. Dans le cas contraire, les collaborateurs pourront être déstabilisés et des résistances psychologiques se développeront. En externe, il s’agira de montrer que le nouveau projet s’inscrit dans la culture de l’organisation, qu’il exprime ses valeurs fortes, qu’il est en cohérence (et non pas en confrontation) avec les attentes des partenaires. En effet, il faut que le nouveau projet préserve les liens entre l’organisation et les autres acteurs (Soparnot, 2013), notamment les clients qui ont choisi l’entreprise par rapport à ce qu’elle représente, à son identité, sinon des résistances identitaires apparaîtront. Notre troisième proposition est la suivante :
12Proposition 3 : Les actions de légitimité morale mises en place par l’entreprise pour diffuser le changement organisationnel réduiront les résistances culturelles, identitaires et psychologiques.
13Les trois propositions sont résumées dans le tableau 2 ci-dessous.
Les actions de légitimation du changement pour réduire les résistances
Légitimité pragmatique | Légitimité cognitive | Légitimité morale | |
---|---|---|---|
Résistances psychologiques | X | X | |
Résistances identitaires | X | ||
Résistances politiques | X | ||
Résistances collectives | X | ||
Résistances culturelles | X | ||
Résistances cognitives | X |
Les actions de légitimation du changement pour réduire les résistances
14Notre recherche va donc s’articuler autour de deux questions principales :
- Quelles sont les résistances émergeant du changement organisationnel proposé ?
- Quelles sont les actions de communication mises en place pour réduire ces résistances et rendre ce changement légitime d’un point de vue cognitif, moral et pragmatique ?
Contexte de l’étude et méthodologie
15Confrontée aux mêmes turbulences que ses concurrents, une grande banque mutualiste française a choisi de réagir. Elle a mis en place, dès fin 2012, des modifications substantielles dans ses agences, en se concentrant à la fois sur l’aspect des locaux et sur l’approche clientèle. Ce changement organisation-nel s’est amorcé en douceur, sur une seule agence pilote, puis s’est progressivement diffusé à l’ensemble du réseau d’agences de la région concernée, avec un objectif d’aboutissement pour la fin 2018.
Présentation du changement organisationnel proposé
16Le changement organisationnel étudié peut être considéré comme radical car il va remettre en cause le référentiel organisationnel de l’entreprise, et modifier fondamentalement les habitudes de travail, les rôles de chacun ainsi que l’approche client. Il a été décidé par la Direction Générale de la zone géographique concernée et se fonde sur deux points essentiels : les locaux et l’organisation commerciale. L’agence physique est au cœur du projet. C’est un lieu de rencontre qui s’appuie sur la compétence des collaborateurs et l’utilisation des nouvelles technologies (figure 1 ci-dessous).
Les caractéristiques du changement organisationnel étudié
Les caractéristiques du changement organisationnel étudié
17L’objectif est de favoriser l’autonomie du client à la fois dans son parcours dans l’agence mais également dans sa recherche d’informations. L’agence est découpée en univers de besoins et le client peut être reçu en rendez-vous dans des salons privés, plus confidentiels et confortables (assis côte à côte avec le collaborateur). L’autre pilier du projet concerne un travail en équipe, basé sur la spécialisation des salariés par compétences métiers et sur une gestion collective du fonds de commerce (il n’y a plus de clients attitrés, toute l’équipe gère l’ensemble des clients selon leurs besoins). Les collaborateurs, y compris le manager, n’ont plus de bureau ni de portefeuille clients et se retrouvent dans un espace partagé, dit collaboratif. Cet espace doit permettre un échange d’informations en direct (puisque les collaborateurs sont en open space) donc une plus grande réactivité. Deux nouveaux métiers apparaissent : le responsable clientèle (référent privilégié du client) et le spécialiste (expert dans un domaine). Le responsable clientèle fait un diagnostic client puis oriente ce dernier vers le spécialiste adéquat. Les directeurs d’agence sont considérés comme des managers. Ils gardent les fonctions d’orientations commerciales, d’évaluation et de management, mais ils doivent également animer les équipes de collaborateurs.
Méthodologie de la recherche
18Nous nous sommes immergés pendant plusieurs mois dans des agences concernées par la nouvelle organisation commerciale (appartenant toutes à la Caisse Régionale pilote du projet). Au moment de l’étude, certaines agences expérimentent le changement depuis un à six mois (la plus ancienne depuis huit mois), d’autres depuis moins d’un mois, et certaines vont l’expérimenter dans les semaines qui suivent.
Méthodologie
19L’échantillon se répartit ainsi : 36 membres de l’équipe commerciale, ainsi que 14 directeurs d’agence et 2 directeurs d’agence adjoints. Il s’agit d’entretiens semi-directifs (voir le tableau 3 ci-dessous). Le contexte des différentes agences est le suivant :
20• Agences 1 (3 agences étudiées) : aucune modification au moment de l’immersion. Le changement est prévu quelques semaines plus tard.
21• Agences 2 (5 agences étudiées) : le changement date de moins d’un mois au moment de l’immersion. Une agence expérimente le nouveau projet depuis une semaine seulement au moment de l’immersion.
22• Agences 3 (5 agences étudiées) : les agences étudiées expérimentent le changement depuis plus d’un mois, d’autres même depuis six mois, la plus ancienne depuis 8 mois.
Le contexte de l’immersion dans les agences bancaires
Agences 1 | Agences 2 | Agences 3 | Total | |
---|---|---|---|---|
Conseillers | 5 | 6 | 8 | 19 |
Chargés de clientèle/Spécialistes | 5 | 5 | 7 | 17 |
Directeurs d’agence/Managers | 4 | 5 | 5 | 14 |
Total | 14 | 16 | 20 | 50 |
Le contexte de l’immersion dans les agences bancaires
23Les interviews ont duré entre 45 minutes et 1h15, elles ont été intégralement retranscrites puis ensuite analysées de manière indépendante sous forme d’analyse de contenu. Nous avons ainsi identifié les grands thèmes récurrents, en comptabilisant les occurrences. Nous avons ensuite cherché à relier les résultats à la théorie mobilisée, à savoir les facteurs de résistance, nous inscrivant ainsi dans une démarche déductive, qui confronte un modèle théorique aux données de l’échantillon interrogé (Hlady-Rispal, 2000). Dans cette approche déductive, nous avons utilisé les facteurs de résistance identifiées par Soparnot (2013) comme catégories prédéfinies pour réaliser le codage (codage top-down, Point et Voynnet-Fourboul, 2006), obtenant ainsi 6 catégories. Pour chacune d’entre elles, nous avons fait apparaître les codes émergents, puis nous avons compté les occurrences (voir le tableau 4 ci-dessous). Certains entretiens ont fait l’objet d’un double codage (environ un entretien pour chaque situation différente d’agence et pour chaque profil de collaborateurs) afin d’éviter les biais d’interprétation.
La grille de codage utilisée
Facteurs de résistance et codes émergents | Dénombrement des occurrences |
---|---|
Résistances politiques : Jeux de pouvoir entre la Direction, les syndicats, les sociétaires et les collaborateurs | Changement dans les pesées salariales (30 citations sur 50) Changement dans les affectations géographiques (28 citations sur 50) Changement dans l’évaluation de la performance (20 citations sur 50) |
Résistances identitaires : Nouvelle définition des postes | Différence entre le cadrage théorique et la pratique (30 citations sur 50) |
Résistances culturelles : Modification du paradigme organisationnel | Spécialisation des métiers (45 citations sur 50) Une nouvelle approche client (42 citations sur 50) |
Résistances cognitives : Modification des méthodes de travail | Travail en équipe (38 citations sur 50) |
Résistances collectives : Modification des relations interpersonnelles | Apparition de nouveaux postes (35 citations sur 50) Manque de lisibilité dans les évolutions professionnelles (25 citations sur 50) |
Résistances psychologiques : Modification de la perspective temporelle | Pas de gestion du temps (32 citations sur 50) |
La grille de codage utilisée
24Les six types de résistances sont apparus au travers des entretiens réalisés. Cela peut s’expliquer par le fait que les agences étudiées ne se trouvent pas au même niveau du processus de diffusion du changement : certaines ne l’ont pas encore expérimenté, d’autres sont au début du processus et d’autres ont déjà plusieurs mois de recul. Nous allons détailler les résistances émergeant, puis nous verrons les stratégies mises en place pour les gérer, notamment les actions de communication déployées pour rendre le changement légitime aux yeux des différents acteurs.
Résultats : des résistances fortes et durables
25Nous allons présenter les résistances rencontrées par ordre d’apparition. Ainsi, les résistantes politiques et identitaires ont émergé en début de diffusion, suivies par les autres types de résistances une fois le changement amorcé. Les résistances culturelles, collectives, cognitives et psychologiques seront présentées ensuite par ordre d’importance de citations et illustrées par quelques verbatims significatifs.
Des résistances politiques et identitaires en début de diffusion du changement organisationnel
26Le changement étudié est à l’initiative de la Direction Générale, et sa diffusion a généré rapidement des résistances politiques et identitaires chez les acteurs concernés, tant externes qu’internes. En externe, les élus et les sociétaires ont eu quelques doutes quant à l’impact du nouveau modèle sur le territoire et la performance de l’entreprise. En interne, les syndicats ont émis de fortes réserves concernant l’impact du nouveau modèle sur les salaires et sur le maintien de l’emploi notamment. Nous n’avons pas pu interroger ces partenaires, mais la Direction nous a confié avoir pris beaucoup de temps pour échanger avec eux pour les convaincre et les faire adhérer au nouveau modèle. Ainsi, les membres des caisses locales ont été associés à la conception du modèle et ils ont pu donner leur avis et proposer quelques changements : « On expose le concept, car on fait venir tous les présidents de caisses locales pour visiter l’agence en avant-première, avant l’ouverture de l’agence, pour voir leur réaction. On a eu beaucoup de critiques qui nous ont fait progresser » (Directeur général adjoint). Les syndicats ont également été consultés et la Direction a cherché à réduire leurs craintes pour obtenir leur soutien : « Les syndicats ont été très clairs. Ils ont exigé des garanties comme quoi il n’y aurait pas de suppression de postes. Ils ont également émis des exigences sur le fait que les nouveaux métiers devaient avoir des pesées salariales identiques aux anciens postes. On s’est engagé là-dessus » (Responsable du développement logistique du projet). La négociation a cependant été ferme et la Direction leur a laissé un champ d’action restreint : « On leur a dit que c’était ça (le nouveau modèle) ou on fermait des agences. Il faut une réponse à la baisse de fréquentation. On ne pouvait pas rester sans rien faire » (Directeur général adjoint). La démarche a été consultative, et des adaptations ont été concédées (aménagement des espaces, adaptation des équipements technologiques). La direction a accepté d’être ouverte sur certains critères pour en imposer d’autres, installant le changement de manière politique (Soparnot, 2004). Cette phase a été âprement négociée, et a duré quelques mois.
27En interne, les résistances politiques ont porté sur trois aspects : la rémunération, la réorganisation géographique et l’évaluation de la performance (voir le tableau 5 ci-dessous).
Les résistances émergeant en interne
Résistances | Exemples de verbatims |
---|---|
Résistances politiques : Jeux de pouvoir entre la Direction, les syndicats, les sociétaires et les collaborateurs | Changement dans les pesées salariales : « Après tous ces changements, il faut qu’on soit sûr de ne pas être perdant au niveau du salaire » (M. R., conseiller clientèle) « Moi je veux bien changer de métier, mais pas pour gagner moins » (Mme C., conseillère clientèle) Changement dans les affectations géographiques : « Je ne sais où je serai demain et ça m’angoisse » (Mme R., conseiller) « Peut-être qu’avec le regroupement des grappes, je vais devoir bouger mais je n’en sais rien pour l’instant » (M. D., directeur d’agence) Changement dans l’évaluation de la performance : « La culture de l’entreprise avant, c’était la performance individuelle, maintenant c’est la performance collective » (Directeur Général adjoint) « Il faut expliquer aux collègues que chacun travaille ensemble et plus chacun pour soi » (M. R., responsable clientèle) |
Résistances identitaires : Nouvelle définition des postes | Différence entre le cadrage théorique et la pratique : « On ne sait pas où mettre le curseur, on n’a pas de référence » (Mme C., responsable clientèle) « On nous présente des postes, mais on ne sait pas trop ce qu’il y a derrière » (Mme F., conseillère clientèle). |
Les résistances émergeant en interne
28Les collaborateurs ont tenu à avoir des engagements quant à la pesée des postes et l’affectation géographique dans le nouveau projet, aidés en cela par les syndicats. La direction a consulté tous les collaborateurs, qui ont pu émettre des vœux sur les nouveaux postes qu’ils aimeraient occuper, ainsi que sur la situation géographique de l’agence dans laquelle ils souhaiteraient travailler. La Direction s’est engagée à respecter ces vœux dans la mesure du possible et à faire des regroupements géographiques acceptables en termes de distance kilométrique. Pour les agences qui n’ont pas encore expérimenté le nouveau modèle, ces résistances sont fortes.
29La dernière résistance politique concerne l’évaluation de la performance dans le nouveau modèle organisationnel proposé. Traditionnellement, la banque est un secteur dans lequel la performance est plutôt mesurée de manière individuelle. Dans le nouveau projet, l’évaluation se fera de manière plus collective, au niveau de chaque agence. Certains collaborateurs peuvent y voir une remise en cause de leur métier-même. D’autres ont mis en évidence le manque d’indicateurs adéquats pour évaluer une performance collective, et la nécessité d’enrichir le système d’évaluation existant. Les collaborateurs n’ont pas tous l’habitude de travailler en équipe, et certains ont du mal à accepter le fait que leurs performances individuelles puissent être lissées au bénéfice de la performance collective.
30Les résistances identitaires concernent les modifications éventuelles dans la relation que l’individu construit avec son entreprise. Dans notre cas, ces résistances se sont exprimées au travers de la délimitation des rôles de chacun dans le cadre théorique qui a été proposé par la Direction lorsqu’elle a présenté le nouveau modèle. Il semble exister un écart important entre ce qui est spécifié au départ, et qui est écrit dans le book de présentation réalisé par la Direction (que chaque collaborateur a reçu), et ce que chacun va expérimenter au quotidien. Le reproche principal semble être le manque de détail dans les fiches de postes, certaines étant très générales, d’autres quasiment inexistantes, surtout pour les nouveaux postes (spécialiste et responsable clientèle). Les collaborateurs sont perdus et doivent constamment improviser. Ce point rejoint les résultats de Guilmot (2016) qui montrent que les salariés soumis à des tensions de gestion dans leur quotidien doivent très souvent moduler leurs tâches en fonction des situations rencontrées.
31Ces résistances sont apparues dès le début de la diffusion du changement organisationnel et ont entraîné des phases de discussion et de négociation parfois longues et difficiles, mais le changement a été installé de manière politique (Soparnot, 2004). Cette stratégie a permis de poursuivre la diffusion sur un rythme plus soutenu, pour aller vers une diffusion massive à l’ensemble des agences de la région concernée. D’autres résistances ont alors émergé.
Une diffusion massive du changement porteuse de nombreuses résistances
32Au fur et à mesure de la diffusion massive du changement, les résistances culturelles, collectives, cognitives et psychologiques sont apparues. Elles sont présentées par ordre d’importance (voir le tableau 6 ci-dessous) et illustrées par des verbatims.
Les résistances liées à la diffusion massive du changement
Résistances | Exemples de verbatims |
---|---|
Résistances culturelles : Modification du paradigme organisationnel | Spécialisation : « Spécialiste, c’est marqué sur mon badge, cela met la pression par rapport au client » (M. L., spécialiste) Nouvelle approche client : « Il va falloir s’habituer à ne plus avoir nos clients habituels » (Mme C., spécialiste) « Ce ne sont plus nos clients, mais ceux de l’agence et parfois certains collègues ne l’acceptent pas » (Mme C., spécialiste) |
Résistances collectives : Modification des relations interpersonnelles | Apparition de nouveaux postes : « Je ne sais pas ce que je dois garder pour moi et ce que je dois donner aux autres » (M. L., responsable clientèle) « Si je ne fais que ma spécialité, il y a des moments où je ne fais rien » (Mme R., spécialiste) « Le responsable clientèle, ce n’est pas mon supérieur, il n’a pas à me dire ce que je dois faire » (Mme G., spécialiste) Manque de lisibilité dans les évolutions professionnelles : « On sait bien qu’il n’y aura pas de la place pour tout le monde en termes d’évolution professionnelle » (Mme G., spécialiste) |
Résistances cognitives : Modification des méthodes de travail | Travail en équipe : « Ce n’est pas du tout la même façon de travailler, on ne sait plus comment faire » (Mme T., spécialiste) |
Résistances psychologiques : Modification de la perspective temporelle | Gestion du temps : « On travaille dans l’urgence, on gère au coup par coup, on n’anticipe rien » (M. B., spécialiste) « Pour l’instant, je navigue à vue et ça m’angoisse » (M. D., responsable clientèle) |
Les résistances liées à la diffusion massive du changement
33Les résistances culturelles se concentrent sur les nouvelles valeurs véhiculées par le changement organisationnel et elles se sont exprimées au travers de la spécialisation et de l’approche clients. Le nouveau modèle suppose que les conseillers n’ont plus de portefeuille clients et que chaque agence gère dorénavant un fonds de commerce. Il s’agit pour les collaborateurs de travailler en équipe pour augmenter la performance de l’agence, chacun se reposant sur les compétences des autres collègues pour proposer au client un service global à forte valeur ajoutée.
34Les résistances collectives ont été fortes dans notre cas et portent essentiellement sur les nouvelles conditions de travail. Le manque de repères et la rupture avec les pratiques antérieures ont entraîné des bouleversements chez ceux qui expérimentent le nouveau modèle (les collaborateurs ne savent plus comment travailler), mais également des appréhensions fortes chez ceux qui sont encore dans les agences classiques. Parfois même, le simple bouche à oreille suffit à relayer les angoisses et les interrogations, notamment envers l’espace collaboratif, considéré comme bruyant et perturbant. Les collaborateurs peinent à trouver leur place dans cet espace ouvert, ne serait-ce que pour poser leurs affaires. Il s’agit également pour eux d’accepter que tout le monde peut entendre ce qui est dit. Cette perte d’intimité s’est également manifestée parfois chez les directeurs d’agences qui ont dû renoncer à leur bureau. Si certains apprécient de se retrouver dans le même espace que les autres collaborateurs (plus de proximité, d’échanges et de confiance mutuelle selon eux), d’autres ont eu plus de réticences à aller vers des tâches d’animation commerciale et non plus seulement de management. Ces résistances collectives sont très fortes pour les agences qui commencent à expérimenter le changement, et tendent à s’estomper au bout de 3 à 6 mois environ.
35Les résistances cognitives surviennent entre les groupes homogènes d’individus mais distincts les uns des autres. Le changement peut modifier l’appartenance à l’un de ces groupes, voire créer de nouveaux groupes, et générer des conflits. Les nouveaux métiers, tout comme la nécessité de travailler en équipe, ont modifié les relations interpersonnelles. Les collaborateurs doivent partager les informations sur les clients, puisqu’ils n’ont plus de portefeuille attitré. Cela suppose une concertation et des échanges réguliers pour faire le point sur la situation d’un client, pour trouver la proposition la plus adaptée et surtout pour que chacun de ses besoins soit couvert par un spécialiste. La frontière entre le périmètre d’action de chaque spécialiste est encore floue. Pour que la valeur ajoutée pour le client soit optimale, il faut que chaque spécialiste connaisse parfaitement son champ d’intervention et qu’il communique régulièrement et de manière transparente à la fois auprès des autres spécialistes, mais également auprès du responsable clientèle, qui reste le pilote général du fonds de commerce. C’est ce dernier qui oriente le client vers le spécialiste adéquat. Ce nouveau poste n’est pas encore reconnu, notamment par les spécialistes : le responsable clientèle est-il un collaborateur ou un responsable hiérarchique ? Cette absence de positionnement clair a généré des résistances cognitives fortes en modifiant les relations entre les collègues.
36Les résistances psychologiques trouvent leur origine dans l’incapacité des collaborateurs à gérer leur temps. Ils semblent avoir du mal à gérer les priorités et les tâches sont effectuées souvent dans l’urgence, ce qui peut entraîner des dysfonctionnements. Cette résistance est particulièrement forte pour les agences qui viennent d’expérimenter le changement. Un temps d’adaptation semble nécessaire, que les 5 agences transformées estiment à environ 3-4 mois.
37Le nouveau projet organisationnel proposé a suscité de nombreuses résistances, que nous avons pu relier à la typologie proposée par Soparnot (2013). Nous pouvons supposer que, compte tenu de l’avancement du processus de diffusion du changement, ces résistances vont continuer à se développer, mais certaines vont progressivement se réduire notamment pour les agences qui parviennent à la fin du processus. L’entreprise va chercher à les réduire en mettant en place des stratégies précises, notamment en termes de communication.
Quelles actions de légitimité pour réduire les résistances ?
38Les résultats de l’analyse qualitative ont montré l’existence de résistances fortes tout au long du processus de diffusion du changement organisationnel : les résistances politiques et identitaires apparaissent dès le début du processus, suivies − par ordre d’importance − par les résistances culturelles, collectives, cognitives et psychologiques. Soparnot (2013) avait émis l’hypothèse selon laquelle une stratégie politique de gestion du changement pourrait atténuer les résistances psychologiques, identitaires et collectives et amplifier les autres. Nos résultats vont partiellement dans ce sens, les résistances politiques et identitaires arrivant en premier et ayant été réduites par la négociation. Par contre, les résistances collectives sont fortes dans notre cas, sans doute parce que les agences étudiées ne sont pas au même stade d’avancement dans la mise en œuvre du changement. Pour réduire ces résistances, Suchman (1995) propose qu’une organisation puisse légitimer le changement en mettant l’accent sur ses dimensions pragmatique, cognitive et morale. En reprenant nos propositions de recherche initiales, nous allons présenter les actions de communication mises en œuvre en interne et en externe.
La légitimité pragmatique pour réduire les résistances politiques
39La première proposition postule que les actions de légitimité pragmatique réduiront les résistances politiques. En effet, cette forme de légitimité va aider l’organisation à montrer que le nouveau projet correspond aux attentes des différentes parties prenantes, externes et internes, en tenant compte des intérêts de chacun, notamment en les impliquant dans l’achèvement du projet (voir le tableau 7 ci-dessus).
Les actions de légitimité pragmatique pour réduire les résistances
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Les actions de légitimité pragmatique pour réduire les résistances
40En interne, il s’agit de permettre aux collaborateurs d’assumer leur rôle de spécialiste en étant régulièrement formés pour monter en compétence, et d’être reconnus comme tels par les clients. Pour cela, les collaborateurs ont également besoin d’être rassurés en échangeant sur leurs pratiques et en confrontant leurs connaissances techniques et/ou commerciales. Cette demande de concertation transversale est également ressortie dans nos entretiens, de la part des responsables clientèle qui sont positionnés sur un nouveau métier, avec un degré d’incertitude plus grand quant à la manière d’appréhender leur(s) rôle(s). Des visites d’agences utilisant depuis plus d’un an le nouveau modèle ont été organisées pour favoriser l’échange d’informations, mais ces initiatives devront se répéter pour harmoniser les pratiques. Ces développements rejoignent les outils que Frahm (2005) considère comme appartenant à la communication dialogique qui permet une compréhension mutuelle du changement et une acceptation collective. Nos premiers résultats rejoignent également ceux de Whelan-Berry et Somerville (2010), qui montrent que la communication permet de stimuler les employés afin d’obtenir leur adhésion et de les motiver pour devenir des parties prenantes du changement.
41En externe, l’organisation doit montrer que son projet répond aux nouvelles attentes des clients. Ces derniers recherchent des solutions sur mesure (c’est le rôle du spécialiste), rapides, et une disponibilité étendue de la part de leurs interlocuteurs bancaires (les outils digitaux intégrés dans les nouvelles agences doivent aller dans ce sens). Lors de notre immersion, nous avons pu écouter les réactions « à chaud » de quelques clients. Si certains se sentent perdus sans leur conseiller attitré, et dépossédés d’une relation privilégiée et exclusive, d’autres reconnaissent l’intérêt d’avoir accès à des spécialistes capables de trouver des solutions rapides à leur projet. Il semble impératif de leur expliquer, et ce, dès l’entrée en relation, leur prise en charge par une équipe commerciale, plus experte et plus réactive. Enfin, Il est important de valoriser les nouvelles agences dans leur environnement. Les locaux sont parfois utilisés pour organiser les assemblées des sociétaires et favoriser un échange constructif. L’élu pourra témoigner de l’importance du projet dans le développement du tissu local, le sociétaire de l’amélioration des conditions de travail et les syndicats de la préservation de l’emploi local et des salaires. Les lieux sont utilisés pour la promotion d’artistes locaux, ce qui valorise et dynamise le territoire.
La légitimité cognitive pour réduire les résistances cognitives, collectives et psychologiques
42Notre seconde proposition postule que la légitimité cognitive pourra réduire les résistances cognitives, collectives et psychologiques. Il s’agit en effet d’aider les collaborateurs à s’approprier le nouveau modèle en l’explicitant, en le rendant plus concret et en le formalisant (voir le tableau 8 page suivante).
Les actions de légitimité cognitive pour réduire les résistances
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Les actions de légitimité cognitive pour réduire les résistances
43En interne, les collaborateurs doivent avoir un nouveau cadre sur lequel s’appuyer pour comprendre le périmètre de leur nouveau métier ainsi que les principales tâches à accomplir. Pour cela, la banque étudiée a édité plusieurs books de synthèse sur le nouveau modèle, à destination des managers et des collaborateurs. Ces livrets de présentation définissent les métiers, ainsi que les rôles de chacun dans la nouvelle organisation commerciale. Ces actions, qui sont intervenues au tout début du processus de changement, font partie de la communication monologique, qui est à sens unique, mais qui a l’avantage d’être rapide (Russ, 2012). Elle n’est cependant pas suffisante et d’autres actions de communication ont été entreprises. Des corrections ont été apportées sur les brochures internes, notamment des témoignages concrets de collaborateurs et des conseils pratiques pour mieux appréhender les nouveaux postes. Il s’agit de trouver des actions susceptibles d’ancrer les nouvelles pratiques dans les références internes de l’entreprise, en précisant notamment les procédures d’évaluation et de motivation des collaborateurs. Jusqu’à maintenant, la performance était plutôt individuelle et basée sur des critères commerciaux. Qu’en sera-t-il avec le nouveau modèle ? Il semblerait que les premiers échanges entre les acteurs aboutissent à l’idée d’intégrer la performance commerciale globale de l’agence tout en tenant compte de la contribution de chaque collaborateur. Des propositions vont être faites pour intégrer des critères plus qualitatifs, comme la capacité des responsables clientèle à animer le lieu de vente pour générer des opportunités commerciales. L’enjeu est primordial pour les collaborateurs car cela concerne non seulement leur évaluation, mais également leur évolution au sein de l’entreprise. Les documents internes doivent promouvoir les opportunités de carrière liées au nouveau modèle. Les collaborateurs que nous avons pu interroger considèrent que le nouveau modèle leur donne la possibilité d’évoluer de manière hiérarchique, mais également transversale, vers des métiers requérant d’autres compétences (passer d’une spécialisation à une autre). Ces résultats rejoignent ceux de Whelan-Berry et Somerville (2010), qui montrent que par ses choix de communication, l’organisation se montre consciente des questions soulevées par le changement et apporte des réponses.
44En externe, il s’agit de proposer des actions concrètes pour aider le client à adopter les comportements préconisés dans le nouveau modèle, notamment dans l’utilisation des nouvelles technologies. Pour cela, les collaborateurs doivent aller au-devant du client, le guider dans les différents espaces thématiques, voire même lui proposer des démonstrations dans l’utilisation des tablettes et autres écrans tactiles. Les espaces thématiques sont pour l’instant sous-utilisés et beaucoup de collaborateurs les trouvent vides et sans âme. Il est primordial de les animer pour redonner une atmosphère chaleureuse au point de vente. Des réflexions sont en cours pour trouver des actions à mettre en place pour utiliser ces espaces (boîtes à idées, conférence débat autour d’un thème, animations ponctuelles, jeux, etc.).
La légitimité morale pour réduire les résistances culturelles, identitaires et psychologiques
45La troisième proposition postule que les actions de légitimité morale mises en place par l’entreprise pour diffuser le changement organisationnel réduiront les résistances culturelles, identitaires et psychologiques. En effet, la légitimité morale consiste à inscrire le nouveau modèle comme nouvelle référence ou standard dans son secteur. Pour cela, l’entreprise doit maintenant communiquer pour augmenter la visibilité et la reconnaissance du modèle (tableau 9). Il s’agit d’en montrer les premiers résultats, pour convaincre de sa pérennité. En interne, les outils de communication traditionnels sont mobilisés, comme des communiqués sur l’intranet de la banque, avec notamment des publications de photos et de témoignages. Les échanges permanents entre la direction et les collaborateurs, via le site intranet et/ou des réunions régulières sont importants car cela génère un sens de responsabilité partagé par tous les membres de l’organisation, comme l’ont montré précédemment Todnem et Dale (2008).
Les actions de légitimité morale pour réduire les résistances
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Les actions de légitimité morale pour réduire les résistances
46En externe, la programmation de visites de journalistes est envisagée (une première a eu lieu fin 2015 et concerne le magazine Les Échos, avec un article paru juste après) pour cette fois développer la légitimité morale auprès d’influenceurs potentiels. Il est primordial de présenter les résultats du nouveau modèle en termes de performance et d’approche commerciale, pour montrer son bien-fondé aux autres Caisses Régionales et devenir ainsi attractif pour d’autres salariés. Il faut donc que la banque mette en avant la satisfaction des collaborateurs et des clients, en les faisant témoigner via les médias sociaux ou le site Internet (voir le tableau 9 page suivante).
47Ces résultats confirment les propositions de Russ (2012) quant à l’utilisation de certains outils, comme le site Internet (avec des vidéos par exemple), ou encore la presse, pour diffuser rapidement des informations sur le changement et pour présenter la vision souhaitée du changement par l’entreprise auprès de ses différentes cibles.
Conclusion
48Ce travail présente des limites qu’il convient de souligner, mais qui sont autant de pistes de recherche intéressantes. La principale limite tient à l’échantillon interrogé, qui ne concerne que des collaborateurs. Il conviendrait de se tourner vers les clients pour évaluer leur ressenti face à ce nouveau modèle, et mesurer par une approche quantitative, par exemple, leur niveau de satisfaction et leur fidélité, notamment attitudinale (bouche à oreille). Il serait intéressant de comparer le projet présenté avec les projets organisationnels d’autres caisses régionales ou d’autres établissements bancaires, afin de voir dans quel cas les résistances sont les plus fortes, et si les actions de légitimation sont les mêmes. La seconde limite concerne la temporalité de l’étude, qui pourrait être encore étendue pour saisir toute l’ampleur des implications du changement. Nos résultats proposent néanmoins des pistes concrètes pour diffuser un changement en réduisant les résistances qui peuvent apparaître. Les actions de légitimité pragmatique diminueront les résistances politiques et identitaires en favorisant les échanges entre les parties prenantes pour une acceptation collective du nouveau projet (Frahm, 2005 ; Whelan-Berry et Somerville, 2010). L’objectif est de le pérenniser en montrant que ses bons résultats sont favorables à chacun des acteurs concernés. Les partenaires institutionnels mettront l’accent sur l’importance du modèle pour la préserva- tion des emplois et du territoire. L’organisation valorisera une nouvelle approche client plus performante. Pour la banque étudiée, les premiers résultats semblent encourageants, les niveaux d’IRC s’étant améliorés (d’après des sources internes à la banque), et elle réfléchit actuellement à enrichir son modèle d’une dimension humaine encore plus forte, pour tendre vers la notion d’excellence relationnelle. La volonté est d’encourager davantage l’autonomie du client et la réactivité des équipes commerciales, dont les décisions doivent, souvent encore, être validées par le Siège. Le nouveau modèle tente d’améliorer la situation en octroyant plus de délégation aux agences pour augmenter la conquête de nouveaux clients (notamment pour les octrois de crédits), et en réduisant le délai de réponse garanti aux clients ou aux prospects. Pour optimiser le projet, les collaborateurs doivent en devenir pleinement acteurs et le faire évoluer. Il faudrait les interroger à nouveau, la quasi-totalité des agences ayant adopté le nouveau modèle, afin de vérifier si les résistances se sont estompées et si l’implication des salariés s’est améliorée. Les premières réactions montrent que les collaborateurs ne veulent pas d’un retour en arrière. Le modèle possède trois avantages évidents à leurs yeux : il contribue à améliorer la communication interne (échanges plus nombreux au sein des agences), facilite la montée en compétence (grâce à l’espace collaboratif et aux réunions régulières) et promeut la performance collective. Les autres types de résistances émergent tout au long du processus de diffusion et seront réduites par les actions de légitimité cognitive et morale. Il s’agit de communiquer en interne et en externe pour responsabiliser les collaborateurs (Todnem et Dale, 2008 ; Russ, 2012), et inscrire le nouveau modèle organisationnel dans le paysage concurrentiel. La légitimité cognitive permet de rendre un nouveau projet explicite et concret aux yeux des différents acteurs. Les outils et procédures doivent être précis et adaptés au nouveau projet et diffusés rapidement à tous les collaborateurs. Les brochures explicatives doivent être complétées et enrichies de conseils pratiques et de procédures précises à suivre. Des formations régulières doivent être proposées pour permettre aux collaborateurs de monter en compétence et de diminuer les résistances psychologiques encore présentes. L’organisation doit être à l’écoute des remontées des salariés, et laisser une relative souplesse au modèle, afin d’intégrer et de répondre le plus efficacement possible à des réalités de terrain hétérogènes et complexes (notamment les spécificités géographiques, ou celles de la clientèle). La légitimité morale va permettre de montrer la viabilité du nouveau projet, au travers de ses premiers résultats concrets qui doivent être mis en avant, par le biais d’outils de communication directs, utilisant des témoignages de différents acteurs. En interne, l’organisation doit être capable de prouver que le nouveau projet valorise mieux les salariés, soit au travers de la politique de rémunération, soit au travers des évolutions professionnelles possibles. Elle devra ainsi vérifier l’impact de son nouveau modèle sur l’engagement des collaborateurs et sur leur volonté de rester dans l’entreprise (réduction du turn-over, par exemple, qui reste important en banque). Il s’agira de mettre en avant, via des articles de presse ou via l’intranet, les témoignages de collaborateurs, de personnalités extérieures et de clients. La légitimité morale est primordiale pour cautionner les objectifs recherchés par l’organisation, pour éviter ainsi la suspicion des consommateurs et attirer éventuellement de futurs clients. Une fois le nouveau modèle ancré dans le paysage concurrentiel, il serait intéressant de creuser le lien avec l’attractivité perçue de l’organisation aux yeux des salariés, mais aussi des futurs embauchés.
Bibliographie
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Notes
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[1]
Source : www.lesechos.fr, article du 15/04/2018 consulté le 30/06/2018.
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[2]
Site du cabinet de conseil Bain et Company (www.bain.fr), article du 12/02/2018 consulté le 30/06/2018.
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[3]
Site www.bankobserver, article du 12/07/2017 consulté le 30/06/2018.