Notes
Introduction
1Les alliances stratégiques associant des firmes multinationales à des partenaires locaux permettent à ces derniers de combler un déficit de ressources, de renforcer leurs compétences et d’opérer un rattrapage technologique. Du côté des multinationales, ces alliances permettent de stabiliser l’échange de leurs ressources, d’harmoniser leurs opérations mondiales, de gagner plus de pouvoir de marché et de faciliter leur entrée sur un nouveau marché. Ces opérations leur permettent également de maintenir un niveau élevé de flexibilité comparativement à d’autres modes d’entrée, tels que les fusions et acquisitions. En effet, la plupart des alliances stratégiques sont des coopérations à court terme (THOMPSON et STRICKLAND, 2003). Après la concrétisation de leurs objectifs, les partenaires en arrivent au point où ils n’ont plus besoin l’un de l’autre pour réaliser le projet qui leur était commun, et l’alliance prend ainsi fin. La question de la stabilité de ces alliances stratégiques a donné lieu à de nombreuses recherches (PARKHE, 1991 ; INKPEN et BEAMISH, 1997 ; PARK et UNGSON, 1997 ; YAN et ZENG, 1999 ; HENNART et ZENG, 2002, GREVE et al., 2013 ; CHIAMBARETTO, 2015).
2Les chercheurs en sciences de gestion ont développé de nombreuses grilles de lecture des conditions de la stabilité des alliances stratégiques en distinguant, entre autres choses, les conditions initiales de la formation de ces alliances des conditions intervenant à des stades ultérieurs. Parmi les conditions initiales relatives aux caractéristiques des partenaires, le degré de dépendance initial (KUMAR et al., 1995 ; WONG et al., 2005 ; JIANG et al., 2008), la complémentarité organisationnelle (PARK et UNGSON, 1997) et la compatibilité culturelle (HENNART et ZENG, 2002) constituent des atouts certains pour la pérennité de l’alliance. Pour autant, le rôle joué par les caractéristiques de l’environnement de l’alliance et le potentiel de croissance de l’industrie ne doit pas être négligé (KOGUT, 1989 ; BlODGETT, 1992).
3Néanmoins, le développement de l’apprentissage des partenaires au fil du temps est susceptible de perturber cette stabilité, d’après plusieurs auteurs (INKPEN et BEAMISH, 1997 ; PARK et UNGSON, 1997). L’alliance stratégique est appréhendée comme une « course à l’apprentissage » entre les partenaires, chacun étant engagé dans l’apprentissage ainsi que dans l’absorption de l’autre (HAMEL, 1991). D’autres études plus récentes ont mis l’accent sur le rôle de l’apprentissage comme source d’accroissement de la dépendance mutuelle entre les partenaires et de la stabilité de leur alliance stratégique. Il s’agit notamment des études conduites par Fang et Zou (2010), ainsi que par Steensma et Lyles (2000), qui distinguent l’apprentissage conjoint de l’apprentissage unilatéral. Selon ces auteurs, si l’apprentissage unilatéral est un facteur d’instabilité pour l’alliance stratégique, l’apprentissage conjoint des deux partenaires en consolide la stabilité.
4Dans la lignée de ces travaux, nous nous proposons d’analyser ici les facteurs d’instabilité des alliances asymétriques conclues entre des partenaires locaux tunisiens et des multinationales, et ce en croisant les conditions initiales relatives au degré de dépendance entre les partenaires avec le type d’apprentissage qui évolue au cours de la relation. Peu d’études combinant les deux types de conditions ont été menées jusqu’ici par des chercheurs pour examiner l’évolution de la stabilité de l’alliance stratégique (ISIDOR et al., 2015).
5Dans cette perspective, notre choix de nous focaliser sur le contexte particulier des alliances asymétriques est particulièrement intéressant pour l’analyse des effets de l’apprentissage des partenaires sur leur niveau d’asymétrie et d’interdépendance initial, ainsi que sur l’évolution de leurs pouvoirs de négociation respectifs.
6Ainsi, notre problématique de recherche est la suivante : « Dans quelle mesure le développement de l’apprentissage des partenaires impacte-t-il la stabilité de l’alliance asymétrique ? ».
7Pour répondre à cette question, nous structurerons notre développement en trois parties.
8Dans un premier temps, nous définirons l’objet de notre recherche en explicitant les différentes notions d’interdépendance et d’apprentissage et en les articulant avec l’instabilité de l’alliance stratégique asymétrique.
9Dans un second temps, nous expliciterons la méthodologie de notre recherche et le processus de notre recueil des données empiriques.
10Enfin, nous présenterons les résultats de notre recherche et mettrons en exergue les principaux enseignements susceptibles d’en être tirés.
Revue de la littérature
11Après avoir dressé un état de l’art des facteurs d’instabilité des alliances stratégiques, nous analyserons, à la lumière des travaux précédents, les effets de l’apprentissage sur l’interdépendance initiale des partenaires asymétriques et la stabilité de leur relation.
L’importance de l’interdépendance entre les partenaires pour la stabilité de l’alliance stratégique
12« Partenariats », « collaborations fonctionnelles », « joint-ventures », « accords de coopération » sont autant de termes génériques qui désignent les formes organisationnelles que les entreprises peuvent adopter afin de mobiliser les ressources nécessaires à leur compétitivité. Les travaux de Garrette et Dussauge (1995) ont permis aux chercheurs de mieux appréhender les alliances stratégiques au sein des différents rapprochements entre entreprises.
13Ces alliances désignent le lien entre deux ou plusieurs firmes indépendantes qui décident de la formation et du pilotage d’un projet en mettant en commun une combinaison d’actifs spécifiques et de ressources complémentaires, tels que des actifs physiques, des moyens humains, des compétences technologiques, des savoir-faire, etc.
14Le cycle de vie d’une alliance stratégique se compose de trois étapes clefs, à savoir : la formation, l’opérationnalisation et le résultat (DAS et TENG, 2002).
15Plusieurs auteurs ont examiné les conditions de stabilité des alliances stratégiques en distinguant les conditions initiales de la formation de la relation des conditions intervenant au cours de son opérationnalisation. En se concentrant sur les conditions initiales, Kale et Singh (2009) notent que la complémentarité, la compatibilité et l’engagement entre les partenaires conditionnent la stabilité de leur alliance. Si la complémentarité concerne les contributions des partenaires et leur interdépendance, la compatibilité fait référence à la cohérence culturelle entre ceux-ci. Enfin, l’engagement désigne la volonté des alliés de consacrer des ressources coûteuses à leur relation et de s’engager à travailler ensemble en dépit des incertitudes existantes.
16C’est ainsi qu’une forte interdépendance entre les partenaires permet de renforcer leur engagement et la conformité de leurs réponses stratégiques aux mutations de l’environnement, consolidant, de ce fait, la longévité de l’alliance (WONG et al., 2005 ; JIANG et al., 2008). L’interdépendance désigne le niveau correspondant au besoin que chacun des partenaires a de l’autre afin d’atteindre ses propres objectifs, un degré d’interdépendance qui est la résultante des capacités et ressources allouées par chacun à l’alliance.
17Selon Blanchot (2006), l’interdépendance tient à la nécessité pour une entreprise de maintenir une relation avec son partenaire en vue d’atteindre ses objectifs. Elle se mesure à l’aune des investissements consentis pour le bon déroulement de la relation, de la spécificité du bien ou du service échangé, des apports dans les ventes et les profits réalisés, ainsi que de la possibilité de remplacer le partenaire.
18Une forte dépendance mutuelle autorise les alliés à agir de façon fiable et de bénéficier d’une attitude d’abstention et de réciprocité de la part de leurs partenaires. Aucun des partenaires ne doit avoir le sentiment que ses contributions pourraient être négligées ou sous-évaluées. Ces derniers sont alors incités à investir davantage dans les activités futures de l’alliance, à s’inter-échanger leurs rôles et responsabilités et à travailler ensemble afin de réduire les coûts globaux.
19Toutefois, cette interdépendance peut décroître au cours du temps et perturber la stabilité de l’alliance, notamment si l’un ou les deux partenaires adoptent un comportement opportuniste (KWON et SUH, 2005), s’ils s’opposent au partage des tâches, des objectifs et des récompenses de leur interdépendance ou encore s’ils réduisent leurs efforts de communication et d’engagement dans l’alliance (WONG et al., 2005), etc.
20Dans la même perspective, Casciaro et Piskorski (2005) soulignent que la dépendance mutuelle entre les partenaires conjuguée au déséquilibre de leur pouvoir respectif peut produire des asymétries d’interdépendance. Dans la suite de cet article, nous concentrerons notre attention sur les autres facteurs provoquant l’instabilité des alliances stratégiques, notamment les effets de l’apprentissage.
Les effets de l’apprentissage et les autres facteurs d’instabilité des alliances stratégiques
21Traditionnellement, l’instabilité des alliances stratégiques est liée à deux types de facteurs : la non-performance de l’alliance et l’adoption d’un comportement opportuniste par l’un des partenaires.
22En nous appuyant sur les travaux de Cheriet (2009), qui propose de dresser un panorama des motifs d’instabilité des alliances stratégiques, nous pouvons retenir que l’instabilité est définie comme un changement organisationnel ou un changement dans la répartition du capital n’ayant pas été programmé ou n’étant pas prématuré, dans la prospective d’au moins l’un des partenaires.
23L’instabilité peut être davantage liée à une modification de l’équilibre au niveau du pouvoir de négociation et à l’évaluation réciproque de leurs apports par les partenaires, qu’à la performance intrinsèque.
24D’autres facteurs de fonctionnement interne ou tenant au contexte externe peuvent impacter la stabilité de l’alliance stratégique. Parmi les facteurs internes, on retrouve l’atteinte des objectifs fixés et la fin de la relation qui rendent l’accord initial obsolète (DAS et TENG, 2000), les conflits entre les partenaires (PARK et UNGSON, 1997), les conflits interculturels et l’impossibilité de la création d’une culture organisationnelle qui soit propre à la relation commune (HENNART et ZENG, 2002) ou encore la réalisation de gains de compétitivité par l’un des partenaires au détriment de l’autre (HARRIGAN, 1988).
25De leur côté, les facteurs externes englobent la dynamique du secteur d’activité et le degré de concentration industrielle dans celui-ci (KOGUT, 1989), ainsi que l’instabilité politique et économique du pays d’accueil (BLODGETT, 1992 ; YAN, 1998), etc.
26Les recherches les plus récentes mettent de plus en plus l’accent sur des stratégies visant intentionnellement l’instabilité des alliances stratégiques (MAKINO et al., 2007). Dans cette perspective, Xia (2011) fait valoir que la substituabilité d’un partenaire par un autre possédant des ressources comparables au premier augmente le déséquilibre des pouvoirs et réduit la probabilité de survie de l’alliance. Une entreprise peut ainsi réduire sa dépendance vis-à-vis d’un partenaire donné en formant des alliances avec des concurrents ou avec les membres du réseau de celui-ci (MESCHI et WASSMER, 2013). Les alliances supplémentaires formées dans le même secteur ont donc un impact négatif sur la stabilité de l’alliance initiale (GREVE et al., 2013).
27D’autres stratégies fondées sur la redéfinition des frontières du marché ont été examinées par Chiambaretto (2015), qui montre qu’une entreprise peut concevoir proactivement les limites de son marché, ce qui lui permet de chercher de nouveaux substituts et de réduire sa dépendance vis-à-vis de son partenaire dominant.
28Lorsque l’alliance est asymétrique, toute variable d’asymétrie (taille, niveaux de ressources et de compétences, niveau de développement de l’origine géographique) peut devenir une source de pouvoir de négociation au profit du partenaire dominant (TINLOT et MOTHE, 2005). De ce fait, le partenaire en situation de dépendance asymétrique défavorable est particulièrement vulnérable aux risques d’opportunisme du partenaire le plus puissant, ce qui peut amener le premier à abandonner son engagement dans l’alliance (GEYSKENS et al., 1996).
29S’agissant de la variable apprentissage, deux points de vue s’affrontent autour de ses effets sur la stabilité de l’alliance asymétrique. Ainsi, Yan (1998) stipule que l’apprentissage asymétrique bouleverse le pouvoir de négociation des partenaires, transformant une relation de dépendance mutuelle en une situation de dépendance unilatérale.
30Plus critique encore pour la stabilité de l’alliance, l’apprentissage peut se faire au détriment de l’autre partie, dans le cadre d’une course à l’apprentissage et/ou d’un hold-up de ses compétences distinctives (HAMEL, 1991 ; INKPEN et BEAMISH, 1997). L’apprentissage est une variable plus importante dans les alliances évoluant dans les secteurs de la haute technologie (électronique, pharmacie et biotechnologie, High-Tech) que dans d’autres types de secteurs (comme l’agroalimentaire ou l’automobile) [1] (HAGEDOORN, 2002). L’apprentissage dépend également de la forme organisationnelle de l’alliance, qu’elle soit purement contractuelle ou bien capitalistique, faisant de ce fait l’objet de nombreuses controverses théoriques (MOWERY et al., 1996 ; HAGEDOORN, 2002 ; etc.).
31En revanche, Fang et Zou (2010) distinguent deux types d’apprentissage au sein des alliances stratégiques asymétriques conclues entre des partenaires locaux de pays émergents et des multinationales, à savoir l’apprentissage unilatéral et l’apprentissage conjoint. Selon ces auteurs, l’apprentissage unilatéral par l’un des partenaires des compétences et connaissances détenues par l’autre partie bouleverse le pouvoir de négociation au sein de l’alliance et donc la stabilité de celle-ci. De son côté, un apprentissage conjoint est réalisé conjointement par les deux partenaires au fur et à mesure du déroulement de leur alliance, ce qui en favorise la continuité. Résultant d’une interdépendance et d’un engagement élevés de la part de toutes les parties, il s’appuie donc sur des échanges et des interactions à la fois nombreux et intensifs.
32En examinant les effets de l’apprentissage pour le partenaire local, Shan et Jolly (2011) ainsi que Cheriet et Cherbib (2014) soulignent que ce dernier peut tirer avantage des fruits de l’alliance asymétrique. Grâce à l’apprentissage des connaissances et des compétences technologiques de la multinationale, le partenaire local réussit à pallier ses lacunes opérationnelles et à développer une certaine autonomie stratégique, qui, jumelée à son accès à des connaissances clés sur le marché local, augmentent son pouvoir de négociation dans l’alliance.
33Cependant, Alvarez et Barney (2001) montrent que la grande majorité des dirigeants des petites entreprises se sentent exploités par la grande firme partenaire qui, très souvent, décide de mettre fin à l’alliance une fois qu’elle a réussi à maîtriser les compétences nécessaires au développement de nouvelles technologies. L’étude menée par Yang et al., (2014) met en évidence le fait que les partenaires locaux sont incapables de tirer avantage des alliances d’exploration, comparativement aux alliances d’exploitation, en raison de leur incapacité à gouverner des activités complexes et incertaines. De même, Vandaie et Zaheer (2014) montrent que l’engagement des petites entreprises dans plusieurs alliances stratégiques avec des partenaires de plus grande taille ne peut pas toujours générer pour elles croissance et performance en raison de l’asymétrie dans les pouvoirs de négociation entre les deux parties.
34Un examen de la littérature fait ressortir le fait que les facteurs remettant en cause la stabilité des alliances stratégiques sont multiples. En particulier, l’apprentissage a fait l’objet de nombreuses controverses quant à ses effets sur la stabilité des alliances asymétriques. La plupart des études soulignent son rôle déstabilisateur découlant du renforcement du portefeuille de connaissances et de compétences, ainsi que du pouvoir de négociation du partenaire local, qui réduit ainsi sa dépendance vis-à-vis de la multinationale. D’autres recherches mettent en évidence son importance dans la réduction de l’asymétrie initiale entre les partenaires et dans le maintien de leur interdépendance.
35Dans cet article, nous nous proposons d’analyser ces assertions théoriques en nous focalisant sur le contexte particulier des alliances asymétriques conclues entre des entreprises tunisiennes et des multinationales, que nous présentons ci-après.
Contexte d’étude et protocole de notre recherche
36Le questionnement de notre recherche portant sur l’exploration des effets de l’apprentissage sur la stabilité des alliances asymétriques, notre étude empirique n’avait donc pas pour finalité de réaliser des tests statistiques. Celle-ci visait plutôt à illustrer les conceptions théoriques mobilisées par nos soins, à évaluer leur cohérence avec la réalité et à les enrichir.
37Notre choix du terrain des alliances conclues entre des entreprises tunisiennes et des multinationales s’explique par le paradoxe existant entre la croissance notable de ces coopérations suite à l’adhésion du gouvernement tunisien au GATT-OMC [2] en 1990, d’une part, et leur fréquente instabilité, notamment après la Révolution tunisienne dite de « Jasmin » (17 décembre 2010 14 janvier 2011), d’autre part.
38En effet, l’avènement du « Printemps arabe », conjugué à la crise économique européenne, a freiné les investissements directs étrangers en Tunisie. Ces derniers ont enregistré en 2013 une baisse de 13,9 %, par rapport à 2010.
39Face à cette nouvelle situation, la Tunisie a adopté de nouvelles mesures permettant de maintenir le volume des investissements directs étrangers (IDE), de stabiliser sa situation économique et de renforcer la dynamique de la coopération des industries tunisiennes avec des firmes étrangères (voir le rapport établi par le ministère tunisien de l’Industrie, de l’Énergie et des Mines et par l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation, 2014) [3].
40Les critères d’asymétrie entre partenaires et d’instabilité des alliances stratégiques que nous avons retenus pour sélectionner nos cas s’expliquent par notre volonté d’analyser les effets de l’apprentissage des partenaires sur leur degré d’interdépendance initiale, sur leur pouvoir de négociation et sur la stabilité de leur alliance asymétrique. Ainsi, notre échantillon a été constitué progressivement selon une démarche itérative, chaque cas ayant été sélectionné par choix raisonné et par convenance (ROYER et ZARLOWSKI, 2007).
41Quant au choix des secteurs d’activité, notre problématique de recherche nous a conduite à privilégier deux secteurs se caractérisant par un rythme différencié de l’apprentissage susceptible d’impacter la stabilité des alliances asymétriques, à savoir le secteur agroalimentaire et le secteur pharmaceutique. En outre, ces deux secteurs sont parmi les secteurs phares de l’industrie tunisienne (ils sont constitués, en grande majorité, de PME). Depuis quelques années, ces secteurs connaissent une vraie dynamique se caractérisant par leur croissance, l’amélioration de la qualité et la diversification de leur production.
« La Tunisie a adopté de nouvelles mesures permettant de maintenir le volume des investissements directs étrangers (IDE), de stabiliser sa situation économique et de renforcer la dynamique de la coopération des industries tunisiennes avec des firmes étrangères. »
42Ces spécificités relatives au terrain d’étude, ajoutées aux caractéristiques des secteurs agroalimentaire et pharmaceutique et des cas d’étude sélectionnés, renforcent la validité externe de notre recherche (EINSENHARDT, 1989).
43Nous présentons dans le Tableau 1 de la page suivante les caractéristiques des huit cas étudiés (nos répondants ayant exigé la préservation de leur anonymat ainsi que celui de leurs entreprises, les alliances sont désignées par des chiffres allant de 1 à 8).
Présentation des cas étudiés
Présentation des cas étudiés
44Nous avons réalisé 50 entretiens semi-directifs auprès des deux partenaires de chacune des alliances stratégiques étudiées afin de confronter ou tout au moins de comparer leurs discours et d’éviter ainsi des conclusions biaisées résultant de l’exploitation d’une seule source d’informations. Cela rejoint les préconisations suggérées par Baumard et al., (2014), qui stipulent que le chercheur peut recourir à la double-source, c’est-à-dire recouper une information fournie par une source avec une information émanant d’une seconde source. Le nombre total d’heures des entretiens s’élève à 66. Nous avons procédé à un enregistrement des entretiens afin d’éviter la prise de notes et d’obtenir des données collectées à la fois plus exhaustives et plus fiables. Dans une optique de triangulation des sources de données (YIN, 1994), il a été mobilisé pour les huit cas étudiés des données secondaires à la fois internes (documents d’entreprise, rapports d’activités) et externes (Internet, extraits de presse).
45Le Tableau 2 de la page suivante reprend quelques éléments méthodologiques, les profils des répondants, la durée et la période des entretiens et les principales thématiques à avoir été abordées.
Caractéristiques des entretiens réalisés
Caractéristiques des entretiens réalisés
46Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique informatisée à l’aide du logiciel NVivo10. L’utilisation de ce logiciel facilite considérablement le traitement d’un matériau volumineux de données et offre une grande flexibilité au codage. La grille de codage a été largement déterminée par la littérature et elle a été enrichie par des thèmes qui ont émergé des résultats. Les thèmes et sous-thèmes transversaux à l’ensemble des interviews effectuées ont été organisés autour d’un arbre hiérarchique des codes, à partir duquel nous avons classé les verbatim. Nous avons ainsi pu comparer le sens des verbatim et interpréter les facteurs d’instabilité des alliances étudiées, ainsi que les effets de l’apprentissage tels qu’ils sont perçus par les personnes enquêtées, avant d’identifier les similitudes et les divergences entre tous les cas étudiés. Notre codage a par la suite été soumis à un autre chercheur afin de vérifier sa fiabilité. Un taux de concordance inter-codeurs très satisfaisant de 81% a été obtenu (MILES et HUBERMAN, 2003).
Résultats
47En nous appuyant sur une démarche longitudinale, nous détaillerons les résultats des huit cas d’alliance asymétrique étudiés en distinguant les trois phases (a) de formation, (b) de développement de l’apprentissage et (c) de résultat. Nous expliciterons les conditions initiales dans lesquelles l’alliance a démarré, les effets du développement de l’apprentissage sur la stabilité de l’alliance et tout autre facteur conduisant à l’instabilité de la relation inter-partenariale.
La formation des alliances
48La formation des alliances 1, 2, 3 et 4 répond, notamment pour le partenaire tunisien, à une nécessité, celle d’acquérir de nouvelles compétences dans l’industrie agroalimentaire. Pour concrétiser son dessein, ce dernier a sollicité la multinationale afin de bénéficier de son assistance technologique, d’optimiser son outil de production, de consolider sa position stratégique et de renforcer sa compétitivité sur le marché tunisien. De son côté, la multinationale s’est alliée à l’entreprise tunisienne afin de conquérir de nouvelles parts de marché et de répondre à son objectif d’extension géographique, notamment dans les pays du Maghreb. Le partenaire tunisien fait ainsi preuve de dépendance asymétrique vis-à-vis de la multinationale.
49Notons également que l’engagement des partenaires dans le capital de la filiale commune est important. Ainsi, le cas n°1 a pris la forme d’une joint-venture, dont le capital est détenu équitablement par les alliés. Les cas n°2 et 3 ont pris initialement la forme d’un contrat d’assistance technologique, avant d’évoluer vers la création d’une joint-venture, dont le capital est détenu majoritairement par l’entreprise tunisienne. Enfin, le cas n°4 s’est traduit par la création d’un accord de licence impliquant la fabrication et la commercialisation de produits laitiers par le partenaire tunisien sous le nom de marque de la multinationale, moyennant le paiement de royalties sur le chiffre d’affaires réalisé.
50Pour les alliances conclues dans le secteur pharmaceutique (5, 6, 7 et 8), nous avons constaté une faible interdépendance entre les partenaires, laquelle est due à la divergence dans leurs objectifs, d’une part, et aux spécificités de l’industrie pharmaceutique locale, d’autre part. En effet, le système de corrélation tunisien vise à contribuer au développement de l’industrie pharmaceutique locale en encadrant et en protégeant les industriels locaux contre leurs concurrents étrangers. Promulguée en 1991, la loi tunisienne de corrélation stipule que tout fabricant local peut demander la cessation des importations d’un produit concurrent du sien. Ce système constitue donc une barrière à l’entrée non tarifaire permettant aux laboratoires locaux de s’imposer sur le marché national et d’asseoir leur notoriété internationale et leur capacité d’innovation. De ce fait, les multinationales ont été dans l’obligation de s’allier à des entreprises locales en réponse à une urgence stratégique, celle d’une adaptation à la réglementation en vigueur et avoir ainsi accès au marché pharmaceutique tunisien.
« On était dans l’obligation de s’allier à un partenaire tunisien local pour nous adapter à la loi de corrélation ».
52De son côté, le partenaire tunisien a exploité l’option de l’alliance stratégique pour acquérir des compétences et des technologies innovantes et développer sa compétitivité sur le marché local et sur le marché international. Dans cette optique, il a mis à disposition un local de production et un laboratoire de contrôle qualité entièrement équipé, ainsi qu’une main-d’œuvre compétente afin d’assurer la fabrication et le contrôle qualité des médicaments de la multinationale partenaire. Toutefois, son pouvoir de négociation était d’autant plus faible que son engagement capitalistique dans des alliances prenant la forme d’une joint-venture était minoritaire.
53La juxtaposition entre ces éléments accentue la dépendance asymétrique entre le partenaire tunisien, en quête de nouvelles ressources, et la multinationale, qui impose sa politique et joue de sa position stratégique pour gouverner l’alliance.
Les conséquences du développement de l’apprentissage
54L’examen de cette phase nous a permis de mettre l’accent sur l’importance de l’engagement stratégique et opérationnel des partenaires qui s’impliquent conjointement dans la recherche et développement, la production, le marketing et la commercialisation de produits alimentaires sur le marché tunisien local (cas 1, 2 et 3). Après quelques années, les deux partenaires des cas 1 et 2 sont parvenus à élargir leurs gammes de produits et à combattre la concurrence grâce à des prix très compétitifs. Dans le cas n°3, les deux partenaires ont décidé de l’extension de leur activité à la région du Maghreb à travers la création d’une unité industrielle et commerciale en Algérie. La réalisation de cette unité s’est accompagnée d’une augmentation de la participation de la multinationale dans le capital de la filiale commune, qui est passée de 20 % à 49 % en 2005. En effet, le succès du partenariat sur le marché tunisien local et le développement de la confiance entre les deux entreprises partenaires sont les atouts majeurs de l’adoption de cette nouvelle forme organisationnelle.
55Comme le précise le directeur contrôle de gestion tunisien du cas n°3 : « Au bout de 3 ou 4 ans, s’est instaurée une bonne entente avec le partenaire qui a exprimé son souhait de consolider la relation. À partir de décembre 2011, notre partenariat a évolué, [passant] d’une relation d’assistance technique vers une relation d’alliance capitalistique dans laquelle on est fortement engagés ».
56Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce développement. Ce sont, tout d’abord, des facteurs externes liés à la dynamique de l’industrie agroalimentaire sur le marché tunisien. Le gouvernement tunisien a introduit depuis 1999 une stratégie spécifique de développement visant à accélérer la croissance de l’industrie agroalimentaire. Cette stratégie est fondée sur l’encouragement de la production et de l’exportation, sur la promotion de partenariats avec l’international, le développement technologique et des mises en réseau. Ensuite, des facteurs de fonctionnement interne basés sur le transfert réussi des compétences et des technologies de la multinationale vers le partenaire tunisien, qui, à son tour, disposait d’une capacité d’absorption importante grâce à la qualification et au professionnalisme de ses ressources humaines.
57Comme le met en avant l’extrait suivant : « L’entreprise tunisienne est gérée par des personnes très professionnelles et très compétentes. Leur formation universitaire est de haut niveau, [elle est] comparable à celle du modèle européen » (le directeur général espagnol, cas n°2).
58En revanche, l’analyse des cas 5, 7 et 8 fait ressortir le fait que l’alliance constitue une source d’acquisition de nouveaux savoir-faire et de nouvelles compétences, notamment pour le partenaire tunisien. Grâce à sa capacité d’absorption et à la dynamique d’apprentissage qui lui est associée, celui-ci internalise les connaissances acquises auprès de la multinationale au profit de la conception et du développement de son propre produit sur le marché local. Ainsi, il procède à la multiplication du nombre des produits testés et s’engage dans des programmes intensifs de R&D afin de perfectionner son potentiel d’innovation. En outre, sa bonne réputation, son image de marque et son avantage-coût constituent un atout pour la création de valeur et d’avantages concurrentiels. En conséquence, l’activité d’innovation est une aubaine pour le partenaire tunisien local : en effet, elle lui permet de générer une marge bénéficiaire importante, qui est nettement supérieure à celle de la fabrication et de la commercialisation des produits de son partenaire étranger.
59Le propos suivant en est un exemple illustratif : « L’alliance nous a permis d’élargir notre gamme de produits grâce au développement de nouvelles molécules, en faisant bénéficier nos usines des acquisitions technologiques les plus récentes » (le directeur R&D du partenaire tunisien, cas n°5).
60À cela, vient s’ajouter le rôle joué par le gouvernement tunisien dans la mise en place de mesures incitatives à l’innovation, à l’instar de l’encouragement apporté par une défiscalisation importante, la création d’unités de production offshore et d’unités de R&D au sein des laboratoires, la mise en œuvre de mesures financières pour promouvoir la recherche et développement, l’exonération de taxes douanières pour les achats de matières premières et d’articles de conditionnement importés, etc.
61De son côté, la multinationale cantonne le rôle de son interface tunisienne à celui du façonnage de ses produits, tout en évitant de lui transférer ses connaissances et ses compétences clés. Seule l’assistance technologique nécessaire à la fabrication de ses produits est assurée, ce qui favorise des conflits et des comportements opportunistes des deux côtés.
62Comme le souligne l’extrait suivant : « La mentalité du partenaire tunisien est trop opportuniste et orientée vers le court terme, consistant à maximiser le profit aujourd’hui, sans tenir compte du futur (…). Même dans le choix du personnel, nous n’avons pas du tout la même vision… » (le directeur R&D étranger du cas n°8).
63Du cas n°7, il ressort que la multinationale procède à la création de nouvelles alliances stratégiques avec d’autres fabricants tunisiens locaux afin de minimiser les comportements opportunistes de son partenaire et de réduire sa dépendance envers lui : « Le partenaire ne respecte pas, le plus souvent, ses engagements définis dans le contrat d’alliance. Il ne respecte pas, par exemple, les délais de livraison convenus, ni la qualité attendue pour un lot donné. Toutefois, nos délégués médicaux nous informent que ses propres produits sont disponibles sur le marché. Pour éviter tout problème sur le marché, nous avons sollicité d’autres fabricants locaux » (le directeur de production étranger du cas n°7).
Résultat pour l’alliance : stabilité ou instabilité ?
64L’analyse des résultats permet d’enregistrer l’atteinte d’une performance importante (notamment pour chacun des partenaires des cas n°1, 2 et 3) fondée sur la croissance de la part de marché et du chiffre d’affaires, ainsi que sur l’élargissement du portefeuille produits. Les deux extraits de verbatim suivants illustrent respectivement la performance des alliances 1 et 3 : « Actuellement, notre groupe est le leader du marché laitier, avec 65 % de part de marché, grâce à l’alliance avec notre partenaire X [4] » (le directeur général tunisien du cas n°1) ; « De 1997 à 2016, nos objectifs ont été réalisés et nous pouvons véritablement parler d’un modèle de succès. L’évolution la plus remarquable est le développement du chiffre d’affaires et de la part de marché. C’est une évolution positive…, extrêmement positive, pour les deux parties ! » (le directeur général adjoint étranger du cas n°3).
65Comme le soulignent l’ensemble des interviewés, le développement du niveau d’interdépendance et de complémentarité entre les deux partenaires est à l’origine de cette performance. En internalisant les connaissances de la multinationale, l’entreprise tunisienne réussit à mettre à niveau ses ressources et compétences et à convertir sa dépendance asymétrique initiale en dépendance mutuelle. Le niveau de réceptivité et d’absorption rapide des connaissances clés de la multinationale a considérablement réduit le niveau initial de l’asymétrie caractérisant la relation et augmenté le potentiel de synergies collaboratives.
66À titre d’illustration, dans le cas n°2 : « Notre partenaire ne nous ramène pas seulement le profit, mais aussi la valeur de la participation et l’image de marque », confirme le directeur marketing étranger.
67« On a une forte valeur de marque, qui nous permet de prendre des risques et des décisions stratégiques pour développer de nouveaux produits et [de] faire ensemble de l’innovation », ajoute le directeur général tunisien (cas n°2).
68Si les cas d’alliances dans l’agroalimentaire montrent un apprentissage à la fois unilatéral et conjoint au profit des deux partenaires, qui consolident ainsi leur interdépendance et la stabilité de leur relation, les cas d’alliances dans le secteur pharmaceutique mettent, quant à eux, en évidence un apprentissage unilatéral en faveur du partenaire tunisien local, qui lui permet ainsi d’acquérir une certaine autonomie. Grâce à ses compétences acquises et à son expertise technologique, le partenaire tunisien réduit sa dépendance vis-à-vis de la multinationale en termes de savoir-faire et de connaissances scientifiques et techniques nécessaires au développement de nouvelles molécules. Ainsi, les changements affectant les pouvoirs de négociation des partenaires sont susceptibles d’augmenter la probabilité de la résiliation de l’alliance, comme le met en avant l’extrait suivant : « L’activité de façonnage ne représente que 3 % de notre chiffre d’affaires. Depuis six ans, on ne sous-traite qu’un seul produit à notre partenaire. Ce dernier a négocié pour sous-traiter d’autres produits, mais nous avons refusé, car notre choix stratégique est de devenir un génériqueur sur le marché pharmaceutique [tunisien] », (le directeur marketing tunisien, cas n°8).
Synthèse des résultats
Synthèse des résultats
69Dans un souci de synthèse, nous proposons de regrouper les résultats de notre étude empirique dans le Tableau n°3 ci-dessus.
Discussion
70L’analyse des résultats met en évidence deux types d’apprentissage qui s’articulent de différentes manières avec la nature de la dépendance des partenaires et la stabilité de leur alliance stratégique asymétrique.
Apprentissage unilatéral et instabilité des alliances dans le secteur pharmaceutique
71Les cas d’alliances asymétriques évoluant dans le secteur pharmaceutique illustrent un apprentissage de type unilatéral au profit du partenaire tunisien local lui permettant de réduire son niveau de dépendance vis-à-vis de la multinationale et contribuant, de facto, à la réévaluation de son pouvoir de négociation. Ce dernier tire profit de l’alliance et valorise sa recherche et son potentiel d’innovation grâce notamment à la capacité de ses ressources humaines à assimiler et à maîtriser les nouvelles technologies, contredisant ainsi les constats faits par Alvarez et Barney (2001). L’apprentissage unilatéral est indispensable à la réussite des entreprises tunisiennes locales évoluant dans un secteur pharmaceutique qui connaît des mutations rapides suite à la mondialisation de la production et de la recherche, doublée d’incitations gouvernementales à l’innovation. Par ailleurs, il peut être à l’origine de la création d’un climat de méfiance et de tensions entre partenaires, ce qui rend difficile toute coopération et entrave le bon déroulement des activités de l’alliance stratégique (FANG et ZOU, 2010 ; MUTHUSAMY et WHITE, 2005).
72Notre étude empirique a permis de confirmer l’impact d’autres facteurs d’instabilité des alliances stratégiques asymétriques. Tout d’abord, la divergence des intérêts stratégiques des partenaires vient amoindrir leur interdépendance et leur complémentarité (YAN et ZENG, 1999). Ensuite, l’adoption de comportements opportunistes par les deux alliés accentue les situations conflictuelles, et ce d’autant plus lorsque la multinationale procède à la recherche de nouveaux partenaires locaux pour remplacer les prestations assurées par l’interface tunisienne (XIA, 2011).
73Par ailleurs, l’analyse des résultats met clairement en lumière les intentions cachées de certaines entreprises locales de se désengager progressivement de l’alliance. Pour autant, certaines alliances, notamment le cas n°6, se caractérisent par une certaine « inertie » et une certaine stagnation de la relation due notamment aux contraintes légales et institutionnelles pesant sur les investisseurs étrangers évoluant dans le domaine pharmaceutique (effet de la loi de corrélation en Tunisie) (YAN, 1998).
Apprentissage unilatéral/apprentissage conjoint et stabilité des alliances dans le secteur agroalimentaire
74L’analyse des résultats met clairement en évidence la performance des alliances conclues dans le secteur agroalimentaire. Le renforcement de l’interdépendance entre les partenaires de l’alliance asymétrique est à l’origine de cette stabilité, qui résulte de nombre de facteurs.
75D’une part, la complémentarité des ressources, l’engagement et la bonne volonté des partenaires dans la poursuite d’intérêts mutuellement compatibles impactent positivement la performance de leur alliance en augmentant ses chances de longévité. Ce résultat rejoint les conclusions de Wong et al. (2005), ainsi que celles de Jiang et al. (2008).
76D’autre part, le croisement entre apprentissage unilatéral, au profit du partenaire local, et apprentissage conjoint, au profit des deux partenaires, de connaissances clés renforce les interdépendances et donne naissance à un climat de complémentarité et de synergies. De ce fait, l’apprentissage unilatéral est indispensable pour la compréhension, l’assimilation et l’application des connaissances et technologies acquises par le partenaire tunisien auprès de la multinationale. Cet apprentissage permet la réduction du gap initial caractérisant la situation respective des partenaires d’une alliance asymétrique, mais affecte également la stabilité de leur relation, contrairement aux constats de Hamel (1991) ou encore de Muthusamy et White (2005).
77Toutefois, l’apprentissage unilatéral doit être combiné avec un apprentissage conjoint, au profit des deux partenaires, pour consolider leur dépendance mutuelle, notamment dans un contexte dépourvu de restrictions ou de barrières à l’entrée, tel que celui du marché de l’agroalimentaire tunisien.
Conclusion
78La question de l’instabilité des alliances asymétriques ne cesse d’alimenter des débats et controverses entre les chercheurs en sciences de gestion.
79Si l’examen de la littérature fait clairement ressortir que l’instabilité d’une alliance asymétrique est souvent le résultat d’un apprentissage unilatéral en faveur de l’un des partenaires, l’état des lieux des alliances asymétriques formées entre des entreprises tunisiennes et des multinationales met en lumière son rôle indispensable dans le renforcement de l’interdépendance des partenaires et la stabilité de leur relation.
80En effet, notre étude empirique a permis de mettre en avant deux approches distinctes pour les deux secteurs d’activité que nous avons analysés.
81Pour le secteur agroalimentaire, il ressort que le développement du niveau d’interdépendance et de complémentarité entre les deux partenaires, grâce à un croisement entre apprentissage unilatéral et apprentissage conjoint, conduit à la réduction de leur asymétrie initiale et à la performance de leur relation.
82En revanche, les résultats émergeant de l’analyse des alliances conclues dans le secteur pharmaceutique permettent de relier l’apprentissage unilatéral du partenaire tunisien local aux opérations de réduction de la dépendance et aux stratégies d’instabilité des alliances asymétriques.
83Face à un partenaire puissant, tel qu’une multinationale en raison de ses atouts technologiques et de son effet de taille, le partenaire local peut mettre en œuvre des stratégies différentes pour augmenter son pouvoir de négociation et réduire sa dépendance vis-à-vis de la multinationale. Ces stratégies sont fondées sur le renforcement de son portefeuille de connaissances et l’amélioration de sa capacité d’innovation et de R&D, qui réduisent considérablement sa dépendance vis-à-vis de la multinationale et offrent de nouvelles options stratégiques plus rentables que le partenariat lui-même.
84De nombreuses préconisations managériales peuvent être tirées de cette recherche.
85En effet, nos résultats permettent une lecture sectorielle des facteurs d’instabilité des alliances asymétriques. En s’appuyant sur le regard croisé des deux partenaires, ils permettent d’éclairer les managers de l’alliance asymétrique sur le type d’apprentissage devant leur permettre de développer leur interdépendance au cours du temps et de s’inscrire dans une démarche « gagnant-gagnant ». En outre, notre travail permet d’orienter chacun des partenaires vers les mesures permettant de déceler chez son homologue des comportements opportunistes susceptibles de nuire au bon déroulement de l’alliance.
86En dépit de ses apports, notre recherche se heurte à certaines limites qu’il convient de souligner.
87La première limite est d’ordre conceptuel : elle est relative à la non mobilisation de certaines approches théoriques, comme celle de la dépendance des ressources (PFEFFER et SALANCIK, 1978).
88La seconde limite est méthodologique : quoique ce type d’étude s’avère être le mieux adapté à notre objet de recherche, la généralisation des résultats de notre travail reste limitée par le positionnement épistémologique adopté et le faible nombre des cas étudiés pour chaque secteur d’activité.
89Quant à la troisième limite de notre recherche, celleci a trait aux caractéristiques de notre terrain, qui est marqué par le contexte particulier que connaît la Tunisie depuis le déclenchement de la Révolution de Jasmin, qui a coïncidé avec la période de collecte des données. Par voie de conséquence, cette recherche pourrait être prolongée en l’élargissant à d’autres alliances issues de contextes plus stables ou évoluant dans d’autres secteurs d’activité.
90Une autre piste de recherche pourrait consister à prolonger cette dernière en intégrant les variables culturelles de chaque partenaire afin de tirer une analyse plus fine du management des différences culturelles et de leurs impacts sur la stabilité de l’alliance asymétrique (TRABELSI, 2015).
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