Notes
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[1]
Les données collectées et analysées par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) confirment que les TMS des agents en abattoir sont un phénomène significatif. Les chiffres de la DARES font état d’un taux de fréquence (soit le rapport entre le nombre de TMS constatés au cours d’une année et le nombre d’heures de travail des inspecteurs qui révèle la durée d’exposition au risque de TMS) de 136,9 dans les industries agricoles et alimentaires comprenant les activités des abattoirs. Dans le cas des inspecteurs en abattoir, le taux de fréquence de TMS reconnus est de 164. Dans ce calcul, on considère les 39 agents pour lesquels un TMS a été reconnu parmi les 1 428 répondants et une durée de travail de trente-deux heures. Sources : « Le risque de TMS reconnu par secteur d’activité en 2007 », données CNAM-TS pour le nombre de TMS, de TMS avec incapacité partielle permanente (IPP), et la somme des taux d’IPP, calculs DARES.
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[2]
Est considérée comme maladie professionnelle toute maladie qui satisfait les conditions figurant dans un tableau qui détaille pour chacune des caractéristiques cliniques.
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[3]
Encéphalite spongiforme bovine, plus communément appelée « vache folle ».
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[4]
Décret no 95-680 du 9 mai 1995 modifiant le décret du 28 mai 1982.
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[5]
Tous les noms cités ont été anonymisés.
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[6]
Décret du 20 février 1992, note de service DGAL/SDHA/N2002-8012 du 22 janvier 2002 relative au protocole abattoirs. De fait, les abattoirs offrent des conditions de travail très variées aux agents des services vétérinaires, ce que rappellent en particulier les ACMO présents en CHS.
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[7]
Article 4121-1 du Code du travail.
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[8]
Le non-respect de cette obligation expose les employeurs à des sanctions sous forme de mise en demeure de l’inspection du travail, de peines de police assorties d’amendes et plus récemment de sanctions pénales.
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[9]
L’obligation d’évaluer a priori et régulièrement les risques professionnels est ainsi définie comme un principe fondamental de toute démarche de prévention. Cela passe notamment par l’obligation de transcrire dans un « document unique » les résultats de l’évaluation des risques professionnels et de le mettre à jour chaque année ou lors de toute décision modifiant les conditions de travail. Le document unique n’est pas normalisé et rien n’est dit de ce qu’il doit contenir précisément. Chaque entreprise l’établit en fonction de ses caractéristiques et des analyses des risques réalisées par l’employeur, le CHSCT, le médecin du travail.
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[10]
Archives de la DDPP.
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[11]
Carnet de terrain, CHSCTM.
1Pour garantir la sécurité sanitaire de la viande, environ 1 500 agents de l’État sont chargés de l’inspection des viandes dans les 263 abattoirs de boucherie français, auxquels s’ajoutent environ 400 vétérinaires. Ils travaillent en permanence dans les abattoirs, présents à l’arrivée des animaux et sur la chaîne d’abattage, où ils examinent carcasses et abats en procédant à des incisions pour la recherche de signes inflammatoires ou de maladies spécifiques. Le travail des inspecteurs en abattoir se caractérise par l’importance du travail sur chaîne. Les caractéristiques du travail d’inspection en abattoir se sont profondément modifiées consécutivement à l’industrialisation du secteur agroalimentaire, mais aussi suite aux réformes menées dans la fonction publique (RGPP, prolongation de la vie active) ainsi qu’à la rénovation de l’inspection sanitaire en abattoir (mise en place du paquet hygiène et de l’assurance qualité à partir de 2006). Ceci a notamment conduit à rendre plus rigide l’organisation du travail (tension sur les effectifs), à fragiliser le métier (rétrécissement des tâches, remise en cause régulière de l’inspection effectuée par l’État au profit d’une responsabilisation de l’entreprise privée) et à précariser les emplois (les équipes sont constituées jusqu’à 50 % de personnes non titulaires). Malgré cette diversité de statuts et donc de formation, tous concourent à l’objectif de la sécurité sanitaire des aliments. Leur mandat correspond à une mission régalienne de l’État (Gautier, à paraître).
2Le groupe des agents publics en abattoir bat en brèche à la fois la présomption de qualité au travail dans le secteur public – la pénibilité corporelle persiste au cœur du secteur public contrairement à de nombreux préjugés (Volkoff, 2008) – et la forte étanchéité du secteur public. Les agents en abattoir font plus que côtoyer le secteur privé ; ce dernier leur impose leurs conditions de travail. De plus, ces agents de l’État développent des maladies professionnelles semblables à leurs voisins de chaîne, en particulier des troubles musculo-squelettiques (TMS) qui sont des affections périarticulaires. Si cette inspection est effectuée par des agents parfois peu formés et dont le statut est souvent précaire, les normes sanitaires n’ont cessé de se sophistiquer et l’acteur privé, c’est-à-dire l’établissement d’abattage, occupe une part croissante dans le contrôle sanitaire (Bonnaud, Coppalle, 2011, 2008). Paradoxalement, la sophistication des normes sanitaires n’a pas conduit à valoriser le travail des agents en abattoir ; l’inspection par les services de l’État est au contraire régulièrement mise en cause.
3Il s’agit de s’interroger ici sur l’enjeu de la mise sur l’agenda (Hassenteufel, 2010) de la « santé au travail » des agents en abattoir dans ce contexte d’entreprise de discrédit symbolique des missions de l’État. Le maintien, voire le renforcement de l’État dans la gestion des risques a été documenté dans la littérature portant sur les risques (Benamouzig, Besançon, 2007) et sur les crises (Lascoumes, Le Galès, 2005 ; Dobry, 2009). Mais d’un autre côté, le retrait de l’État du domaine de la santé alimentaire est décrit. Le cas présenté éclaire ces questions sur le rôle de l’État, la conception de ce qui relève ou non de ses missions, des espaces qu’il doit occuper ou des positions qu’il peut déléguer, dans le cadre d’une mise sous pression budgétaire, d’une managérialisation de ses fonctions et d’une tendance à la privatisation tous azimuts.
4En focalisant l’analyse sur la gestion des TMS des agents en abattoir, cet article éclaire comment l’objet « santé au travail » est enchâssé dans la dynamique du rétrécissement de l’État, d’une manière qui éclaire particulièrement les transformations à l’œuvre au cœur du secteur public. À travers la santé au travail se trouve en effet et paradoxalement constamment discuté le projet institutionnel, le devenir de la profession, ce qui constitue une originalité forte offerte par notre terrain. Les régulations (Reynaud, 1989) liées à la santé, au travail des agents en abattoir constituent le thème central de cet article, dans lequel une proposition est défendue : la mise sur agenda de la santé au travail de ces agents est inséparable de la mise en discussion du contrôle en abattoir et du devenir du groupe qui en a la charge. Le débat sur les TMS des agents inspecteurs a été, pour celles et ceux qui l’ont porté, une manière de mettre en lumière et de dénoncer le rétrécissement du périmètre d’intervention de l’État. Plus généralement, pour comprendre la manière dont les différentes parties en présence ont traité de la question des TMS, il faut rapporter leurs pratiques et leurs discours à leur position sur la question du périmètre d’intervention de l’État en matière sanitaire dans les abattoirs. La vérité du débat sur les TMS est à rechercher dans ce deuxième débat, sous-jacent, sur le rôle de l’État.
Encadré 1. Le travail de terrain
L’analyse des données quantitatives en tant que données brutes néglige des aspects décisifs de la santé au travail : d’une part, elle consacre des catégories (« maladie professionnelle déclarée », « maladie professionnelle reconnue », etc.), d’autre part, elle tend à faire fi de l’entreprise et des fonctionnements organisationnels, de ses ajustements qui échappent à l’objectivation par les chiffres (Mias, 2010) mais aussi de la culture professionnelle, du rapport au risque, etc. D’une réflexion en termes de causalité, cette recherche a ainsi progressivement tenté de faire converger vers une réflexion en termes de compréhension, nourrie en premier lieu, par l’observation du travail des inspecteurs.
L’enquête ethnographique a eu lieu entre l’automne 2012 et l’été 2015 auprès de cinq abattoirs de bovins, ovins, caprins et porcs. Au cours de cette période, nous avons passé cinq mois en immersion dans ces entreprises, nous entretenant avec l’ensemble des agents de l’État et certains acteurs du côté de l’abatteur. Les unités observées sont de tailles diverses, allant de 5 à 18 agents, pour des cadences d’abattage comprises entre 38 bovins à l’heure à 900 porcs à l’heure. Onze autres abattoirs ont été visités durant une ou plusieurs journées afin de multiplier les contextes géographiques, d’organisation et de production (volaille comprise).
Au-delà de l’approche organisationnelle liée à chaque équipe d’inspecteurs, une vingtaine d’inspecteurs ayant eu recours aux dispositifs de déclaration et de reclassement pour cause de maladie professionnelle ont fait l’objet d’entretiens approfondis, afin de comprendre ce qui avait entraîné ces déclarations, la manière dont cela affectait leur activité, mais aussi la place occupée par ces TMS dans leurs trajectoires sociale et professionnelle. Ont également fait l’objet d’une analyse documentaire les registres hygiène et sécurité dans lesquels les agents en abattoir sont supposés reporter les problèmes d’hygiène et de sécurité, les comptes rendus des comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), ex-direction des services vétérinaires, mais aussi des établissements d’abattage et d’enquête, les assistants et conseillers de prévention dans les CHSCT, les médecins de prévention.
Au fil de la recherche, il s’est trouvé que la question de la santé au travail des agents en abattoir était au cœur d’enjeux liés à la politique qu’ils mettent en œuvre. Aussi avons-nous entrepris de faire une histoire de l’inspection en abattoir et réalisé de multiples observations et une quinzaine d’entretiens au niveau central du ministère, en particulier au sein de la direction générale de l’Alimentation (DGAl). Au total, cette recherche se fonde sur ces multiples sources (archives privées, observations et 130 entretiens). Nous avons également pu observer, en tant que participante, là où ces questions sont portées, voire construites, au niveau des abattoirs, des DD(CS)PP, du ministère chargé de l’Agriculture, du CHSCT du ministère.
5Pour rendre compte de la manière dont la santé au travail des agents chargés de l’inspection offre une nouvelle opportunité de questionner le devenir des missions de contrôle en abattoir, nous suivrons le problème des TMS des agents en abattoir et ses différentes formulations. Pour appréhender cette construction, nous proposons d’analyser les conditions du développement des maladies professionnelles des agents de l’État en abattoir, puis d’observer les régulations de l’emploi des inspecteurs et du travail d’inspection à partir de la gestion des TMS, enfin d’analyser la manière dont la politique de gestion de la santé au travail est inséparable de la mise en faillite de la politique publique du contrôle étatique dans les abattoirs.
La mise sur agenda de la santé au travail des agents de l’État en abattoir
6Alors qu’on connaît le faible intérêt pour la santé au travail (Henry, 2017 ; Gollac, Volkoff, 2006), le sort des agents en abattoir bénéficie d’un nouvel intérêt, au point qu’il a suscité le financement de la recherche dont les résultats sont ici présentés. Pour comprendre les logiques au principe de ce nouvel intérêt, il faut d’abord comprendre comment les agents de l’État sont devenus des travailleurs sous cadence et faire un détour par la préoccupation montante pour la santé au travail.
Les causes des TMS des agents en abattoir : la pénibilité du travail dans le contexte du compromis sanitaire passé par l’État
7Avant tout, le problème de la santé des agents en abattoir est le résultat des conditions réelles de leur activité. Consécutivement au regroupement des tueries dans un seul lieu à la fin du xixe siècle et tout au long de la première partie du xxe siècle – l’abattoir – un service de l’État est non sans heurts, installé à l’intérieur de chaque abattoir (Gautier, 2017 ; Muller, 2008), devenant ainsi un lieu pivot permettant un regard sur les filières, depuis l’élevage à la production de viande. La surveillance de l’abattage revient aujourd’hui aux DD(CS)PP, ex-directions des services vétérinaires, via des équipes d’agents publics présents en permanence dans les abattoirs.
8L’évolution historique de la politique du contrôle en abattoir atteste de différentes facettes du « compromis sanitaire » réalisé par l’État en abattoir dans les années 1980. Ce compromis prend en particulier la forme d’un compromis de type fordiste quand il consiste à échanger de la sécurité sanitaire contre une forme d’allégeance de l’État aux entreprises qui s’industrialisent. Son expression est celle du travail des agents publics postés sur une chaîne de production, soumis à des cadences imposées par l’entreprise, et réalisant pourtant une mission régalienne de l’État qui, quoique régulièrement discutée, résiste à ses détracteurs publics (administration de l’Agriculture) comme privés (directions des abattoirs). Aujourd’hui, les agents publics passent plus de 80 % de leur temps sur la chaîne d’abattage, ils sont soumis aux cadences et à l’environnement de l’abattoir, s’adaptent au contexte de la production et aux rapports de force qu’ils vivent comme étant souvent défavorables à l’État (Gautier, à paraître). Précisons que ce compromis sanitaire n’est pas la règle dans tous les pays européens : l’État, au Danemark, a par exemple laissé les abattoirs augmenter leur cadence tout en imposant de dédoubler les chaînes pour assurer l’inspection.
Encadré 2. Qui sont les agents de l’État en abattoir ?
9Au quotidien, les inspecteurs sont les voisins des salariés de l’abattoir. Cette proximité est un ferment de l’identité du groupe. Les inspecteurs fournissent un important travail relationnel et une forte activité de différenciation (Muller, 2008). La proximité avec le contrôlé, dans le contexte d’une forte interconnaissance en milieu rural, fait privilégier aux inspecteurs une distance et une retenue, indispensables à la préservation de la cohésion de l’ensemble social que constitue le hall d’abattage mais aussi à la bonne mise en œuvre des pratiques dictées par les règles sanitaires (Bonnaud, Coppalle, 2011). La solidarité entre les membres du hall d’abattage demeure la norme dominante (Vialles, 1987 ; Rémy, 2005) ; les inspecteurs s’en réfèrent peu à leur hiérarchie propre. La division du travail au sein du hall d’abattage est l’objet de normes internes relativement souples mais omniprésentes : l’impératif de coopération et d’exemplarité dans le hall d’abattage, le respect, la courtoisie et la distance avec les salariés de l’abattoir. Conséquence de la mission de surveillance et de la nécessaire coopération, une division du travail s’est institutionnalisée avec les personnels de l’abattoir : les inspecteurs prennent leur part du « sale boulot » et donnent des coups de main à leurs voisins de chaîne pour la production, faisant des découpes de saisie ou des parages en quantité par exemple. Les problèmes de santé développés par les inspecteurs, en particulier sous la forme de TMS dans les années 2000, apparaissent donc comme le résultat des modalités de gestion de la politique du contrôle sanitaire en abattoir.
La promotion du débat sur les TMS des agents en abattoir par les acteurs de la santé au travail
10À partir de 2000, les TMS des agents en abattoir sont évoqués au sein du Comité d’hygiène et de sécurité du ministère. Touchant jusque-là des ouvriers et des employés du secteur privé, ils concernent dorénavant aussi des agents du secteur public. Le champ d’intervention de la santé au travail et ses acteurs souffre d’un défaut de reconnaissance. Les problèmes de santé des agents en abattoir représentent une véritable opportunité. Or, traiter des TMS amène à questionner le travail et, ce faisant, la mission remplie par l’inspection en abattoir. En l’absence de scènes pour discuter du travail au ministère de l’Agriculture, le CHSM devient progressivement un lieu d’expression des organisations syndicales.
Encadré 3. Le secteur public en retard sur la santé au travail
Les TMS – comme toute maladie professionnelle [2] – sont des réalités négociées (Devinck, Rosental, 2009), à mi-chemin entre le médical et le social. Les catégories d’inaptitude, de déclaration, de reconnaissance en maladie professionnelle (Hatzfeld, 2009) et en général de maladies professionnelles sont le reflet de l’état des controverses à un moment donné (Déplaude, 2003). Depuis la naissance de la catégorie des TMS en 1973, leur croissance est de 20 à 25 % par an, malgré le phénomène de sous-déclaration des maladies professionnelles (Hatzfeld, 2006). Outre les difficultés liées à la reconnaissance des TMS, le processus de déclaration de maladie professionnelle relativise en effet encore les données chiffrées (Poitevin, 1988 ; Thébaud-Mony, 1990) ; le risque de stigmatisation, voire d’éviction, pousse chacun au silence et à la dissimulation. Or, dans le cas des agents publics, la sous-déclaration est un risque largement négligé, au motif que les agents de l’État bénéficieraient de la protection nécessaire et n’auraient donc pas de raison de ne pas déclarer un trouble.
11Ce sont les diverses crises sanitaires des années 1990, en particulier celle de l’ESB [3], qui fournissent une première occasion pour les acteurs nouvellement dédiés à l’hygiène et la sécurité d’exister au sein du ministère : les tâches évoluent (en particulier les euthanasies en abattoir) et la quantité de travail augmente, le CHSM est régulièrement interpellé. Puis l’augmentation des cadences dans les abattoirs et la réforme des trente-cinq heures contribuent à mettre sur l’agenda du ministère de l’Agriculture les TMS des agents. Dès 2000, les agents présentant des douleurs physiques se multiplient et se font connaître. Plusieurs agents, surtout en Bretagne, doivent quitter leur poste en abattoir. Or, la pression sur les effectifs dans les services rend très visible ces absences. La mission de contrôle en abattoir est prioritaire – l’inspection post mortem est obligatoire – et les directions des abattoirs comprennent difficilement l’absence d’agents sur la chaîne. Comme dans d’autres secteurs (Cattla et al., 2008), ce sont les organisations syndicales qui portent la question des TMS des agents en abattoir, au niveau central à partir de 2011.
12Les acteurs de l’hygiène et de la sécurité, en particulier les inspecteurs de l’hygiène et de la sécurité (IHS), disposent de moyens de contrainte très faibles. Ils vont pourtant déployer un travail de conviction à destination du niveau local, en particulier des agents chargés de la mise en œuvre des règles d’hygiène et de sécurité (ACMO) mis en place en 1998 [4] et eux-mêmes issus des DDPP. Mais la prise en charge de la santé et de la sécurité au travail des agents ne figure sous aucune forme parmi les critères d’évaluation des cadres de la fonction publique, au contraire de la situation prévalant dans le secteur privé, comme le souligne David Siméant [5], inspecteur de l’hygiène et de la sécurité au ministère de l’Agriculture au tout début des années 2000 :
Le chef d’établissement, il dit : « C’est pas moi ! C’est le ministère qui ne me donne pas les moyens ! » Ça remonte au ministre qui dit : « C’est pas moi ! »
14S’appuyant sur l’évolution du droit du travail en matière de prise en compte de la santé et de la sécurité au travail, les acteurs de l’hygiène et de la sécurité, comprenant les IHS, les ACMO mais aussi une partie des élus syndicaux se retrouvent autour de la reconnaissance du problème de la santé au travail des agents publics en abattoir et de sa traduction dans les termes de la pénibilité. Pour ce faire, à partir de 2009, les acteurs du CHSCTM – dont la nouvelle présidente, inspectrice générale, compte bien faire de ce poste un poste à plus haute valeur stratégique – produisent des données, asseyant par là même leur légitimité ainsi que celle du problème de la santé au travail. En tant que chargée de recherche, j’ai moi-même participé à la construction de ce problème de la santé au travail des agents en abattoir, suggérant quantification (en 2011 et en 2013), analyse de l’activité de travail, mais aussi mobilisation des DDPP et des équipes d’inspecteurs. En dépit de ces éléments, le problème peine à faire l’objet d’une prise au sérieux, du fait de la présomption de la qualité au travail dans le secteur public et de la faible contrainte opposée en France au secteur public en matière de santé et sécurité au travail.
15À l’industrialisation des abattoirs a correspondu un rétrécissement du périmètre d’intervention de l’État en matière d’inspection sanitaire. Ce rétrécissement – associé à une délégation de tâches régaliennes à l’entreprise – s’illustre par le fait que les agents de l’État sont désormais soumis aux cadences et plus généralement à l’organisation du travail des salariés des abattoirs. C’est un cas exemplaire où l’inspecteur se plie à l’inspecté, où les conditions de travail de l’agent public sont déterminées par celles des salariés privés qu’il côtoie. Poursuivons cette analyse des usages des TMS faits par les différents acteurs impliqués et les effets sur l’action publique (inspection des abattoirs) considérée.
Des régulations de la santé au travail à celles de l’inspection
16Le cas des agents en abattoir montre comment, au cœur de l’État, la gestion de la santé au travail est au centre de trois dynamiques : la négociation des conditions de travail, celle du contenu du travail, enfin celle de la politique publique elle-même (le contrôle étatique en abattoir).
Le cadrage des TMS en termes d’effectifs
17La question des TMS monte en puissance dans le contexte de la pression des effectifs. Les TMS sont en effet d’abord exploités dans cette lutte pour les effectifs, dont ils ne sont évidemment pas étrangers dans la survenue des causes. Les cadres et les acteurs syndicaux sont en premier lieu d’accord pour problématiser la question des TMS en termes de manque d’effectifs.
18Face aux TMS, le reclassement pour cause de maladie professionnelle, le plus souvent au siège de la direction, a constitué une solution appliquée de manière quasi systématique. Au point qu’aujourd’hui, dans certaines DDPP, la majorité des techniciens installés au siège travaillaient auparavant en abattoir et ont bénéficié d’un reclassement (par une procédure officielle ou non) pour cause de maladie professionnelle. Mais le reclassement apparaît, dès le début des années 2010, comme une solution épuisée. Les DDPP ne doivent plus proposer un reclassement à moins qu’un poste soit ouvert. Or, les postes se raréfient et les cadres intermédiaires (chefs de service SSA et responsable RH) cherchent de nouvelles solutions pour éviter les reclassements, notamment en liant des relations nouvelles avec les médecins de prévention. La question des effectifs vient alors requalifier celle des TMS, ainsi que le montre ce discours d’Élisabeth Renoud, médecin du travail à la MSA :
On nous le dit, on sait bien qu’avec la RGPP… Il y a deux-trois ans, j’ai dû écrire que maladie professionnelle voulait pas dire reclassement, en CHS. À un moment, c’était maladie professionnelle égale reclassement. Parce que nous, peut-être, on avait demandé un reclassement sur une maladie professionnelle, sans voir plus loin que le bout de notre nez, qu’on allait se heurter à un mur après. Moi, j’essaie de dire aux syndicats qu’on n’est pas là pour faire ce qu’ils nous disent. Ni l’administration, ni le salarié. On essaie de faire ça avec notre conscience et des données médicales. Si on sent que la personne n’en peut plus, qu’elle craque, on va plutôt essayer de l’en sortir. C’est plus sur des choses comme ça qu’on peut se laisser influencer. Dans le privé, il y a la rupture conventionnelle qui aide de temps en temps. Dans le public, il y a moins de leviers, on est un peu bloqué.
20L’obligation de reclassement professionnel dans la fonction publique s’est assouplie, au point d’autoriser le licenciement quand les possibilités sont épuisées. Cette nouvelle configuration fait jouer un rôle central au médecin du travail à qui l’on demande de favoriser d’autres solutions que le reclassement. Afin de contrôler les reclassements, les cadres intermédiaires tentent également d’agir au niveau de la décision prise par le médecin agréé qui décide du reclassement en fonction des conditions de travail décrites par le patient et de fiches décrivant les conditions de travail. Certains chefs de service ont révisé ces fiches afin de juguler les reclassements. Élisabeth Renoud poursuit :
Les descriptifs pour les médecins-experts qui passaient en comité médical des postes en abattoir, c’était trente-deux heures semaine sur chaîne. Faisant croire aux médecins qu’ils passaient trente-deux heures à une cadence de 850 porcs à l’heure ! Je l’ai signé trop longtemps ce truc-là sans faire gaffe. Et un jour, je le relis, mais ce n’est pas possible ! Il faut qu’on dise la vérité, là ! Trente-deux heures, moins deux heures de vestiaire, moins les heures de pause, les rotations, les tâches administratives, ils en ont quand même tous un peu. Je pense qu’on arrive à pas plus de la moitié d’heures réellement sur chaîne. Sachant que tous les postes sur chaîne ne sont pas des postes cadencés. Il y a aussi la consigne là-dedans. Il faut quand même relativiser le temps passé cadencé.
22Le critère de la santé prend également une place grandissante dans le recrutement et la gestion des carrières des inspecteurs en abattoir. Le recrutement des vacataires et le renouvellement des contrats temporaires constituent des opportunités pour l’encadrement intermédiaire qui prend en compte les aptitudes physiques et relationnelles des candidats. Ceci sous-entend clairement que les agents sont responsables de leur TMS (Neveu, 2015). De leur côté, les agents en abattoir savent qu’il est désormais compliqué de bénéficier d’un reclassement et qu’ils seront soumis à une procédure de mobilité nationale en cas de reconnaissance d’une maladie professionnelle. Aussi de nombreux inspecteurs en abattoir s’abstiennent-ils désormais de déclarer un trouble comme maladie professionnelle, par crainte d’une mobilité nationale.
23Face aux mutations en matière d’emploi, les cadres des DDPP tentent de confiner la question des TMS dans les arènes et les outils dédiés à la santé et la sécurité au travail. Ils tentent d’orienter les comportements des inspecteurs au travail afin de prévenir les éventuels problèmes de santé : par la mise en place de formations « gestes et postures » et en s’assurant que les équipements de protection individuelle (EPI) sont portés par les agents en abattoir. Pour les élus de l’Ouest du syndicat FSU au contraire, la question ne peut être traitée isolément ; elle est immergée dans d’autres enjeux. Ainsi commente Daniel Blanchet, élu FSU :
Je pense que c’est [les échauffements avant la prise de poste] plus du gadget. À X [nom de l’abattoir], quand la chaîne avance, il y a une sirène ! C’est insupportable ! Quand on arrive dans le hall, les gens ne l’entendent même plus. Vous pouvez faire des échauffements… s’il y a la sirène toutes les trente secondes…
25On constate deux façons différentes d’envisager la question des effectifs. Les syndicats formulent la question des TMS sous le cadrage des conditions de travail et du manque d’effectif. Les cadres, eux, mettent l’accent sur la restriction des possibilités de reclassement en cas de TMS. La gestion des TMS s’effectue alors à partir d’un certain nombre d’« outils de gestion » (Chiapello, Gilbert, 2013), au premier rang desquels des outils ayant pour but de garantir les effectifs. Les routines de gestion, essentiellement préoccupées par le retrait de l’État, précèdent et marquent de leur empreinte les réponses apportées à l’actualité des TMS des inspecteurs en abattoir.
Négocier avec l’abattoir ou déléguer les TMS ?
26Dans le cadre de la coactivité [6], la question du travail des agents publics affectés dans les abattoirs est fortement dépendante de l’établissement d’abattage dans laquelle les agents publics travaillent quotidiennement. L’État délègue en partie à l’entreprise la question des conditions de travail de ses propres agents. La mise sur agenda des TMS suggère que l’État, via ses agents, négocie avec les abattoirs une reprise en main de la question des conditions de travail.
27Le droit français enregistre certes la responsabilité des entreprises en matière de prévention des risques professionnels, les enjoint à garantir la santé et la sécurité de leurs employés [7] et exige des employeurs qu’ils prennent « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs [8] ». Mais d’une part, le droit dit peu de la façon concrète de s’acquitter de cette obligation, d’autre part l’on connaît l’apathie des entreprises et leurs mauvais résultats en matière de santé de leurs salariés. Parmi ces entreprises, le secteur des établissements de transformation de viande, caractéristique d’une situation de monopole, est marqué par une initiative patronale bien mince (Amossé, Célérier, 2013). Nos observations confirment le rapport compliqué à la loi s’agissant de la prévention des risques professionnels en abattoir : le document unique [9] n’est souvent pas fait, en dépit de son obligation depuis 2001. Des dispositifs de prévention, seuls les EPI (gants métal ou kevlar, manchettes, tabliers, les protections auditives qui sont moins systématiquement portées) sont généralisés à l’ensemble des établissements, même si leur mise à disposition ne garantit pas qu’ils soient portés. De même et s’agissant de la prévention des accidents, il faut noter la diffusion des harnais sur les postes, y compris ceux tenus par les agents publics. Plutôt que réduire la cadence, les entreprises ont adopté le principe de formations régulières aux couteaux qui coupent particulièrement (Amossé et al., 2011), auxquelles sont parfois invités à participer les agents publics.
28Tout comme les établissements d’abattage, les DDPP enregistrent désormais de manière systématique les atteintes à la santé des agents publics ce qui peut constituer des éléments pour négocier les conditions de travail avec l’abattoir. Pour que les conseillers en prévention rédigent le document unique, des fiches d’évaluation des risques sont proposées afin d’analyser la criticité du risque repéré, d’apprécier l’efficacité de la maîtrise des risques et de proposer des actions de prévention. La documentation atteste de la prévalence des problématiques de santé au travail des agents de l’État.
29Dans une DDPP de l’Ouest par exemple, qui, dès 1999, a enregistré et analysé les accidents du travail, 39 accidents de service sont survenus entre 1999 et 2002, dont 16 ont eu lieu en travail posté sur une chaîne d’abattage, 18 sont des coupures en abattoir, 5 accidents du trajet, 4 accidents ayant entraîné des lombalgies. En 2002 sont détaillés les lésions ainsi que le nombre de jours d’arrêt entraîné. Par exemple, en 2002, une « vive altercation entre deux agents titulaires, dont l’un assène un coup de tête au visage de l’autre [10] » dans un abattoir industriel de porcs, a pour conséquence une fracture du nez, la perte de connaissance de l’individu. Dans le même abattoir, un agent a reçu « un pied d’ovin dans l’œil ». Dans un abattoir de bovins voisin, un « agent a glissé sur un morceau de gras et a chuté à plat » entraînant un traumatisme du genou. Dans un autre abattoir de bovin industriel, la projection de bile dans l’œil droit d’un inspecteur a eu pour conséquence l’inflammation de l’œil de l’agent concerné. Un autre agent souffre de douleurs au genou gauche car il a été renversé par un bélier dans un couloir de contention.
30Pour autant, les transformations de leurs conditions de travail sont rares pour plusieurs raisons. Le partage et la circulation de l’information des abattoirs vers les DDPP sont des plus compliqués. En outre, la comparaison entre le sort des agents publics et celui des salariés de l’entreprise est incontournable et n’incite pas à la prise en compte des conditions de travail des agents publics.
31Les cadres intermédiaires entreprennent pourtant de négocier avec les établissements d’abattage afin d’améliorer les conditions de travail des inspecteurs. Du côté de la hiérarchie directe, les vétérinaires, souvent vacataires, ne sont pas toujours capables de prendre en charge la question. Ces négociations constituent pour les services de l’État un territoire nouveau : les directions se sont surtout attachées à assurer un bon niveau de sécurité sanitaire des installations. Porter attention à la prévention des risques professionnels des agents publics en abattoir demande donc de réécrire au moins partiellement les relations avec les abattoirs. Quand les négociations de l’équipe d’inspecteurs avec l’abattoir concernent strictement le domaine des risques au travail, les résultats sont souvent nuls. Les directeurs des abattoirs rechignent à investir et à aménager, en particulier les zones occupées par les services vétérinaires. Les contraintes budgétaires (la situation économique et financière de ce secteur est très contrastée) ralentissent l’amélioration des conditions de travail, ce qu’intègrent les cadres intermédiaires dans la formulation de leurs demandes auprès des abattoirs, à l’instar de cette cheffe du service de la sécurité sanitaire des aliments d’une direction du Grand Ouest : « Mais on va pas demander n’importe quoi ! »
32Les négociations révèlent les rapports de force entre le secteur public et le secteur privé, bien au-delà de la dimension économique. En outre, entamer la négociation revient souvent à se mettre en défaut face à l’abattoir en admettant que l’inspection n’est pas réalisée telle qu’elle devrait l’être. Se plaindre de la buée et du défaut de visibilité revient à reconnaître qu’on ne voit pas les lésions par exemple. La négociation fragilise la situation des concernés sommés ce faisant d’admettre la faillibilité de leur inspection.
33Les cas de réfection de la chaîne sont des cas édifiants de non-coopération, non seulement entre l’administration et l’entreprise, mais également au sein de l’administration elle-même. Certaines directions d’abattoirs parviennent à déstabiliser les cadres intermédiaires en faisant des oppositions entre l’ensemble des acteurs du côté du secteur public une opportunité pour définir les règles sans l’État. Le terme de négociation est à relativiser au vu de ce qui apparaît comme les limites des échanges dans le contexte d’une impossible définition des intérêts des agents publics dans l’abattoir.
34De façon plus surprenante, les cadres intermédiaires arguent de l’impossibilité de transformer les conditions de travail des agents pour transformer le travail d’inspection lui-même. Certaines tâches, qui n’incombent pas aux inspecteurs, en particulier pousser les carcasses, effectuer des parages et procéder à la découpe des saisies, ont été identifiées par les DDPP et la DGAl, comme les principaux facteurs de risques dans le cadre de la prévention des TMS. Le parage consiste à retirer sur chaîne ce qui n’est pas consommable, la découpe de saisies à retirer les morceaux impropres à la consommation. Ces tâches qui relèvent de la coopération avec les personnels de l’abattoir sont fustigées par les cadres intermédiaires qui relaient la mise à l’index de ces pratiques au niveau national.
35Tandis qu’il est reconnu que les TMS sont des maladies plurifactorielles, les nouvelles stratégies de l’encadrement visent à structurer en amont les comportements professionnels. Si les relations de travail sont propres à chaque équipe et qu’elles varient selon l’histoire des organisations, ces nouvelles stratégies tendent à rendre explicites les règles du partage du travail avec le personnel de l’abattoir et à diminuer le travail manuel des inspecteurs. Il s’agit là d’un cas original de délégation du « sale boulot », lequel est délégué non pas par le groupe lui-même, mais par sa hiérarchie qui entend le délester de ce qu’elle définit comme le sale boulot. La sociologie interactionniste du travail et des métiers a largement traité de la question du « sale boulot » dans le sillage de Hughes (Hughes, 1962). En l’espèce, les tâches ingrates sont les tâches pensées comme néfastes pour la santé, dites inutiles et qui relèvent de la coopération. Cette délégation, définie par le haut afin notamment, d’éviter les TMS, revient bien à déléguer certaines tâches à partir de la définition de la noblesse du métier d’agent public en abattoir qui ne doit pas s’apparenter à un ouvrier sur la chaîne d’abattage.
36Aux tâches issues de la coopération désignées comme des causes du développement des TMS s’est ajouté l’estampillage des carcasses. L’estampillage est le geste réalisé par les inspecteurs qui s’apparente le plus à une gestuelle ouvrière. Il consiste à apposer plusieurs tampons sur la carcasse pour certifier qu’elle est propre à la consommation et qu’elle a fait l’objet d’un contrôle de la part de l’État. Cette délégation de l’estampille résulte en l’occurrence d’un travail des encadrants intermédiaires pour faire de l’estampille, initialement pensée comme la marque de fabrique des services de l’État, une tâche répétitive, inutile, voire dégradante. C’est la délégation non pas de l’estampillage mais du travail mécanique qu’implique l’estampillage sur lequel se sont accordés les cadres intermédiaires, les vétérinaires, les conseillers en prévention consultés, ainsi que, plus tard, les acteurs du CHSCTM comme Michel Douaglin, élu FSU Grand Ouest :
On trouve que c’est idiot de mettre des tampons à 700 à l’heure. Je me rappelle très bien des discussions quand Laëtitia [la cheffe de service] était là. Sur la délégation de l’estampillage, je lui dis : « On est bien d’accord, vous confiez l’estampille mais nous, on considère que la deuxième personne fait aussi de l’inspection. Donc, on veut maintenir la personne. » Et je me rappelle qu’elle avait dit : « Mais Michel, pour qui vous nous prenez ? C’est sous notre contrôle ! » Or, aujourd’hui, elle est prête à brader ça. Elle a peut-être cru ce qu’elle disait, mais nous, on a l’expérience. On sait bien où on allait.
38Pour les élus syndicaux, la délégation de l’estampillage qui conditionne l’abaissement de la taxe sanitaire d’abattage est « un cadeau » fait à l’abattoir, une occasion ratée de négocier les conditions de travail des inspecteurs et une menace pour l’emploi. En outre, déléguer à une personne employée par l’abattoir ne constitue pas une solution – les acteurs syndicaux préféreraient que l’estampillage soit partout mécanisé. Car les effets contradictoires de cette négociation portent enfin sur les inspecteurs eux-mêmes. La question est déplacée de la thématique de l’amélioration des conditions de travail à celle de la mise en cause de l’inspection, à la fois de ses emplois : les effectifs en abattoir peuvent-ils être constants si l’on délègue une partie du travail à l’abattoir ? et de sa légitimité : s’agit-il d’une première étape vers la délégation totale de l’inspection ? La question de la délégation de l’estampille cristallise les inquiétudes sur l’avenir du métier. Pour les agents, l’estampillage constitue une seconde inspection, une dernière vérification de la carcasse. Or, considérer l’estampillage uniquement comme un geste mécanique séparé du geste d’inspection participe du sentiment de déni par l’encadrement de l’activité d’inspection en abattoir.
39Les TMS constituent alors l’objet de négociations dont l’enjeu déborde largement les limites des cadres de la santé au travail mais touche plus profondément aux questions des régulations du et au travail.
La santé au travail des agents en abattoir au cœur de la crise de légitimité du contrôle étatique en abattoir
40C’est un usage stratégique des TMS, en partie semblable, qui peut être observé au niveau national du ministère. En parlant des TMS, les acteurs parties prenantes peuvent remettre en cause les modalités de la présence de l’État en abattoir. Les acteurs en présence s’en saisissent pour énoncer le « vrai travail » (Bidet, 2011) d’inspection dans les abattoirs de boucherie. Au-delà des régulations en matière de management, des négociations sur les conditions de travail et des ajustements du contenu du travail, il est aujourd’hui clairement envisagé de modifier la mission d’inspection en abattoir elle-même. Cet horizon pour la politique du contrôle sanitaire en abattoir n’est certes pas nouveau, mais il se pare aujourd’hui des nouveaux arguments que sont le problème des TMS et des conditions de travail pour les agents publics.
Dire le vrai travail
41Certains acteurs du ministère de l’Agriculture, face au problème des TMS, opèrent un déplacement de nature à répondre aux nouvelles injonctions (vécues ou ressenties comme telles) de conduite de la politique du contrôle en abattoir. Ils sont également tentés de définir le « vrai travail ». Il s’agit de la même volonté de la part de l’encadrement central de réduire les collaborations des inspecteurs avec les salariés de l’abattoir ; alors qu’elles peuvent être une part du métier à laquelle sont attachés les inspecteurs – faisant partie du « vrai travail » lié à la coopération dans une inspection de contact (Gautier, 2017) –, ces collaborations deviennent, sous l’effet des maladies professionnelles, un « gâchis de compétences » aux yeux d’une bonne partie de l’encadrement.
42Faisant le constat de la faiblesse du ministère sur la protection animale, les cadres de la DGAl œuvrent également à la valorisation de l’inspection ante mortem et du contrôle de la bientraitance animale, les présentant comme centrales. La DGAl entend faire prendre de la valeur à l’inspection ante mortem que l’œil aguerri du technicien peut réaliser, au contraire de l’inspection post mortem – principale responsable des TMS – qui consisterait simplement à réaliser un tri comme le fait remarquer ce chef du bureau des abattoirs à la DGAl : « Quand on est sur une carcasse, le normal et l’anormal, ça se voit. »
43L’argument principal en faveur de la délégation de l’inspection dans les abattoirs se fonde sur l’analyse des risques sanitaires. Les dangers microbiens ou chimiques peuvent ne pas être décelés par le contrôle effectué par les agents publics en abattoir. Au-delà de ces ressorts de l’abandon de l’inspection, cette forme de dédain pour l’inspection post mortem montre en quoi cette redéfinition des priorités engage également une certaine vision des tâches qui seraient dignes du répertoire de l’État, et d’autres, comme l’inspection post mortem sur la chaîne d’abattage, qui le seraient moins. Au-delà, La suppression du couteau et de la part manuelle de l’inspection procède de la même logique. Les inspecteurs sont incités à se délester du couteau aux postes d’inspection des carcasses et des abats, et à réaliser une inspection exclusivement visuelle. Dans les abattoirs de porcs, la nouvelle règle doit s’appliquer depuis 2014 : les inspecteurs doivent lâcher leur couteau. Pour la DGAl, l’inspection visuelle correspond au vrai travail d’inspection et a le mérite d’apporter une réponse capitale aux TMS.
44La dynamique de spécialisation des agents chargés de l’inspection s’incarne désormais dans ce nouveau modèle de l’inspection visuelle sans couteau qui parachève le mouvement de séparation entre l’inspection et la production et conforte par là même la différenciation entre le personnel de l’abattoir et les agents chargés de l’inspection. L’inspection visuelle modifie les comportements du corps des inspecteurs sur la chaîne. Elle renforce la dissociation entre la pensée et l’exécution du travail. Elle réaffirme paradoxalement la condition de l’agent public dans l’abattoir qui est posté sur chaîne, soumis aux cadences et à l’ambiance de la chaîne. Cette transformation s’inscrit dans l’histoire du compromis sanitaire passé et est en fait largement née des pratiques déjà en place dans les abattoirs industriels de porcs bretons. Bien qu’elle soit le résultat d’une adaptation à l’évolution des techniques de production, cette modification de l’inspection n’en comporte pas moins un enjeu idéologique et qui a partie liée avec ce que les cadres considèrent comme dignes de l’activité d’un agent public et du répertoire d’État. L’agent public ne doit plus entretenir un rapport immédiat à la matière. Il ne doit plus être considéré comme un ouvrier.
45En creux de l’inspection visuelle est donc posée la question de la délégation de l’inspection au secteur privé ou, au moins, le rétrécissement du périmètre d’intervention de l’État dans les abattoirs. La mission évolue pour que la demande en effectifs diminue. Les inspecteurs identifient les liens entre les modifications de leur travail, présentées comme des solutions aux TMS, et cet impératif gestionnaire. Ils craignent pour leur emploi et leur mission dans l’abattoir.
L’occultation de la santé au travail dans un État recentré. Vers la délégation de la mission d’inspection ?
46Dans le contexte de l’affaiblissement de la fonction de contrôle de l’État (Tiano, 2003) et de la délégation de fonctions régaliennes vers des acteurs privés, une autre lecture du problème de la santé au travail convertit ce problème non pas dans les termes de la pénibilité mais dans ceux de la mise en cause de la politique du contrôle étatique en abattoir. La question de la santé au travail, devenant un enjeu et un objet politiques, rejoint progressivement la dynamique institutionnelle de la politique du contrôle en abattoir.
47La réglementation européenne ne permet pas aujourd’hui de déléguer l’inspection à des organismes tiers, et les expérimentations, en volaille, ont lieu dans le cadre de programmes pilotes. Les cadres de la DGAl luttent plutôt pour préserver leurs effectifs dans le cadre des compétitions entre les ministères et les services. Mais dans le même temps, ils sont aussi porteurs d’une logique de redéfinition du périmètre de l’État. Cette position réapparaît, non pas dans les discussions officielles sur la reconfiguration de l’inspection en abattoir, mais dans les échanges informels et en marge des réunions. L’évocation des TMS des agents en abattoir y provoque de manière systématique la mise en question de l’inspection réalisée par l’État dans les abattoirs. En induisant un examen précis des différents éléments du travail d’inspection (lequel révèle souvent que l’inspection est réalisée de manière incomplète), les TMS offrent l’opportunité de questionner l’utilité de la mission.
CHSCTM, présentation de l’activité des agents en abattoir, en particulier des arbitrages réalisés par les inspecteurs qui les éloignent de la prescription. Un cadre gestionnaire du ministère chuchote : « Et si, en plus, ça servait à rien [11] ! »
49Il s’agit là d’une des illustrations de la réappropriation et de la réinterprétation des données produites dans le cadre du CHSCTM. L’action entamée par le CHSCTM vient fournir de nouveaux arguments en faveur de la révision de la politique du contrôle sanitaire en abattoir. Les TMS jettent la lumière sur le travail d’inspection en abattoir et aboutissent à questionner l’orientation de la politique sanitaire, en particulier l’utilité et l’efficacité des missions poursuivies par l’État en lieu des entreprises.
50Ces discussions informelles montrent en outre que face à l’évocation des maladies professionnelles et des conditions de travail difficiles des agents en abattoir, une partie des cadres du ministère est tentée d’offrir un récit de teneur souvent psychologique, mais aussi politique. Les douleurs sont l’expression d’un mal-être : « C’est parce qu’ils sont mal dans leur boulot », entend-on. Par ce mouvement, l’inspection en abattoir se fait, dans le contexte du ministère de l’Agriculture, le témoin de la mauvaise marche de l’État et de la fonction publique. Elle permettrait les arrangements et ne serait pas neutre. Ou encore, elle serait inutile.
51Dans les équipes, ces régulations professionnelles et institutionnelles, nouvelles ou envisagées, qui visent à déléguer une partie de l’inspection déstabilisent les agents en abattoir qui voient leur travail remis en cause. Les agents sont bousculés et la situation aboutit finalement à un flou partagé au sein des équipes et même de la DGAl à propos des prescriptions ainsi qu’en parle ce technicien des services vétérinaires en abattoir : « Pour nous, c’est tout remis en cause. Comme si ce qu’on faisait avant, ça servait à rien. »
52C’est dans les abattoirs de volaille que les modalités d’inspection sanitaire ont le plus fortement évolué, du fait de facteurs techniques et sanitaires, associés à la nécessité d’optimiser les ressources des services de l’État. La politique publique ancienne et traditionnellement assurée par l’État s’y est transformée au profit d’une corégulation approfondie. Plutôt que d’améliorer les conditions de travail des agents publics soumis à des cadences intenables dans les abattoirs de volaille (dont la mécanisation est la plus aboutie), l’État a choisi d’y retirer largement ses agents. La rhétorique de la délégation de l’inspection en abattoir de boucherie intègre le souhait de « sortir les agents de la chaîne », le travail sur chaîne ne présentant pas d’intérêt ou ne permettant pas l’épanouissement des agents, en plus de provoquer chez eux des maladies professionnelles de type TMS. Or, cette délégation ne participe manifestement pas à revaloriser les agents en abattoir et leur travail.
53La division du travail entre contrôleurs et contrôlés est en partie bouleversée mais les questions posées sur le métier d’inspecteur et le rôle de l’État demeurent. La transformation de l’inspection dans les abattoirs de volaille revêt en ce sens une forme d’intérêt prophétique aux transformations de l’inspection. Le réel problème y perdure : celui de la légitimité du contrôle sanitaire. Dans les abattoirs de volaille, les salariés de l’entreprise sont mal formés et le contrôle sanitaire de l’entreprise, tout comme les agents des services vétérinaires, ont de la peine à faire appliquer les règles.
Conclusion
54Le traitement politique et social de la question des TMS des agents de l’État en abattoir met en lumière la manière dont le domaine de la santé au travail est intriqué dans des logiques qui ne lui permettent pas de bénéficier d’un domaine d’action publique clairement délimité. La santé au travail des agents en abattoir est d’abord traitée en mobilisant la rhétorique et les leviers de l’emploi. Mais, dès lors que s’opère un changement dans la politique de l’emploi au ministère, dès lors que la tension sur les effectifs devient majeure, la question de la délégation de la mission prend le pas sur la gestion de la santé au travail. La problématique de la santé au travail est en partie absorbée par le questionnement à propos de l’efficacité de l’organisation de l’inspection dans les abattoirs. C’est donc bien le fait que cette question est au cœur d’un ensemble d’enjeux enchevêtrés qui produit l’invisibilité ou la visibilité de la question de la santé des agents en abattoir. En définitive, la gestion publique des TMS des agents de l’État en abattoir permet de mettre en évidence l’économie des priorités en matière d’action publique. La santé au travail vient questionner cet ordre des priorités au point d’ébranler la mission de l’État en matière de sécurité sanitaire des viandes. La politique du contrôle sanitaire en abattoir, qui renvoie désormais à un domaine de compétences disputé, se situe à un tournant mais un nouveau travail de légitimation est réalisé. Ce travail met au jour les ambivalences d’un État en retrait dont les responsabilités grandissent, les bases d’un État à recomposer (Le Galès, Vézinat, 2014) ou plutôt d’un État hésitant. L’État hésite en effet à piloter à distance une mission régalienne par la délégation d’un service public, tandis que la mission se trouve relégitimée, comme à l’occasion des crises sanitaires dans les années 2000, par le contexte actuel de dénonciations des conditions d’abattage par l’association L214 notamment.
55De leur côté, les inspecteurs voient les bornes de leur mission évoluer, leur légitimité à intervenir discutée. La confirmation de la segmentation de l’inspection en abattoir fournit, dans le même temps, un certain nombre d’indices de professionnalisation (qui s’accompagne de la dépréciation de certaines pratiques : l’estampillage, le travail répétitif). Le cas des agents en abattoir propose ainsi, in fine, une contribution à la réflexion sur la souffrance au travail dans le contexte particulier de la mise en œuvre des politiques publiques et de la disparition ou, au moins, de la mutation des métiers du secteur public. La volonté affichée de réformer l’État et ses services pose la question du devenir des groupes professionnels inscrits dans les services publics (Bezes et al., 2011). La réflexion sur les coûts et la responsabilité de l’État providence d’un côté, la responsabilisation de l’acteur privé de l’autre, semblent inexorablement pousser vers la fin des services vétérinaires en abattoir. Après les crises sanitaires, l’européanisation des politiques publiques, la nouvelle gestion des risques, au tour des réformes internes de l’administration de bousculer l’identité et les frontières du groupe des agents publics en abattoir.
56Les régulations liées à la santé au travail des agents en abattoir s’inscrivent ainsi dans la rhétorique sur le rétrécissement de l’État et apparaissent comme autant d’usages renouvelés de la politique du contrôle en abattoir et de sa « modernisation ». Elles consistent à redéfinir l’activité des inspecteurs, voire à argumenter en faveur de leur disparition. La question de la santé au travail est mise en concurrence avec celle de la permanence de la politique du contrôle étatique en abattoir elle-même.
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Notes
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[1]
Les données collectées et analysées par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) confirment que les TMS des agents en abattoir sont un phénomène significatif. Les chiffres de la DARES font état d’un taux de fréquence (soit le rapport entre le nombre de TMS constatés au cours d’une année et le nombre d’heures de travail des inspecteurs qui révèle la durée d’exposition au risque de TMS) de 136,9 dans les industries agricoles et alimentaires comprenant les activités des abattoirs. Dans le cas des inspecteurs en abattoir, le taux de fréquence de TMS reconnus est de 164. Dans ce calcul, on considère les 39 agents pour lesquels un TMS a été reconnu parmi les 1 428 répondants et une durée de travail de trente-deux heures. Sources : « Le risque de TMS reconnu par secteur d’activité en 2007 », données CNAM-TS pour le nombre de TMS, de TMS avec incapacité partielle permanente (IPP), et la somme des taux d’IPP, calculs DARES.
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[2]
Est considérée comme maladie professionnelle toute maladie qui satisfait les conditions figurant dans un tableau qui détaille pour chacune des caractéristiques cliniques.
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[3]
Encéphalite spongiforme bovine, plus communément appelée « vache folle ».
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[4]
Décret no 95-680 du 9 mai 1995 modifiant le décret du 28 mai 1982.
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[5]
Tous les noms cités ont été anonymisés.
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[6]
Décret du 20 février 1992, note de service DGAL/SDHA/N2002-8012 du 22 janvier 2002 relative au protocole abattoirs. De fait, les abattoirs offrent des conditions de travail très variées aux agents des services vétérinaires, ce que rappellent en particulier les ACMO présents en CHS.
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[7]
Article 4121-1 du Code du travail.
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[8]
Le non-respect de cette obligation expose les employeurs à des sanctions sous forme de mise en demeure de l’inspection du travail, de peines de police assorties d’amendes et plus récemment de sanctions pénales.
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[9]
L’obligation d’évaluer a priori et régulièrement les risques professionnels est ainsi définie comme un principe fondamental de toute démarche de prévention. Cela passe notamment par l’obligation de transcrire dans un « document unique » les résultats de l’évaluation des risques professionnels et de le mettre à jour chaque année ou lors de toute décision modifiant les conditions de travail. Le document unique n’est pas normalisé et rien n’est dit de ce qu’il doit contenir précisément. Chaque entreprise l’établit en fonction de ses caractéristiques et des analyses des risques réalisées par l’employeur, le CHSCT, le médecin du travail.
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[10]
Archives de la DDPP.
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[11]
Carnet de terrain, CHSCTM.