Couverture de GAP_204

Article de revue

La fabrique des biens programmatiques au parti socialiste

Contribution à une sociologie des entreprises de gouvernement

Pages 77 à 100

Notes

  • [1]
    On distingue classiquement le party in public office (correspondant à l’activité des élus au Parlement ou au gouvernement), le party in central office (les activités de la bureaucratie partisane) et le party on the ground, englobant cette fois militants et électeurs (Katz, Mair, 1993).
  • [2]
    On renvoie à l’introduction de ce numéro pour une analyse des liens entre légitimité partisane et politiques publiques tels qu’ils sont étudiés dans la littérature.
  • [3]
    Cette définition provisoire laisse de côté le fait que la revendication indigène du statut de « parti de gouvernement » constitue en soi l’objet de luttes de classements entre formations partisanes.
  • [4]
    Comptage réalisé à partir des archives Pierre Mauroy déposées à la Fondation Jean Jaurès. Ce fonds contient les « prévisionnels » préparés par les services centraux du parti, qui fixent un calendrier indicatif à partir des informations remontées par les différents secteurs (archives FJJ, 1 FP 04).
  • [5]
    Sous l’impulsion de responsables socialisés aux réformes managériales de l’action publique, la nouvelle direction a parallèlement procédé à un important renouvellement des équipes de permanents, désormais moins marqués par leurs attaches partisanes qu’ils ne sont sélectionnés en vertu de leurs compétences techniques. À l’époque, une trentaine de nouveaux auxiliaires, chargés d’assister les secrétaires nationaux en titre, est enrôlée sur la base d’un concours évaluant leur expertise sur les différents secteurs d’action publique pris en charge par le parti.
  • [6]
    Communiqué du Parti socialiste, 14 novembre 1995, archives FJJ, fonds Pierre Mauroy, 1 FP.
  • [7]
    La population a été constituée à partir des archives privées d’un responsable de la convention contenant les listes des différents groupes de travail. Elle n’est probablement pas exhaustive, mais elle est suffisamment fournie pour stabiliser certains enseignements statistiques (n = 109).
  • [8]
    Carole Bachelot a également souligné la prégnance des savoirs et des expériences de gouvernement au sein du SN et du bureau national – l’instance décisionnelle du parti : entre 1993 et 2003, ils comptent respectivement 35 % et 30 % de diplômés des grandes écoles (17 % et 15 % d’énarques), et 20 et 22 % de titulaires d’un diplôme de 3e cycle (Bachelot, 2008, p. 256).
  • [9]
    Entretien avec Jean-Jacques Urvoas, novembre 2011, Paris.
  • [10]
    Fonds Pierre Moscovici, archives de l’OURS, 98 APO.
  • [11]
    « Rapport moral pour l’année 2003-2004 », archives de l’OURS, 98 APO.
  • [12]
    Entretien avec le vice-président du Laboratoire des idées entre 2010 et 2012, Paris, mai 2014.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Pour les élections présidentielles, la commission des sondages a comptabilisé 111 opérations en 1981, 157 en 1995, et 409 en 2012.
  • [15]
    « Royal, entre stress et audace », Le Monde, 9 avril 2007.
  • [16]
    « M. Sarkozy rêve de retrouver les atouts de sa campagne de 2007 », Le Monde, 16 février 2012.
  • [17]
    « Hollande : “Je ne suis pas un candidat pochette-surprise” », Leparisien.fr, 11 avril 2002.
  • [18]
    [www.luipresident.fr/francois-hollande/sources-des-promesses] (consulté le 25 octobre 2019).
  • [19]
    « De nombreux lobbies se sont fait les porte-parole des électeurs », Le Monde, 24 avril 1995.
  • [20]
    On repère différentes formes de lobbying électoral dès les premières campagnes, dans la seconde moitié du xixe siècle (Courty, Gervais, 2016a).
  • [21]
    « Les lobbies attaquent », Libération, 19 avril 2002.
  • [22]
    Entretien avec Gilles Finchelstein, Paris, janvier 2014 (nous soulignons).
  • [23]
    Adossées à la légitimité que confère l’invocation des « chiffres » dans le débat public, les pratiques de fact-checking progressivement véhiculées par la plupart des rédactions journalistiques ont redoublé l’incorporation, au sein des émissions politiques, de différents dispositifs de décodage statistique. Pour la campagne de 2012, Libération alimente une rubrique « Désintox », qui voisine avec « Les Pinocchios de L’Obs », le « Contrôle technique » de Rue89, le « détecteur de mensonges » du JDD.fr ou le blog « Les décodeurs » du Monde.fr.
  • [24]
    À côté du site internet (chiffrages-déchiffrages2012.fr) publiant des estimations elles-mêmes assorties d’un « indice de précision » des évaluations avancées, l’IM noue un partenariat avec Les Échos et revendique des négociations en temps réel avec les équipes de campagne.
  • [25]
    Entretien avec Michel Yahiel, Paris, avril 2017.
  • [26]
    Guillaume Courty et Julie Gervais ont souligné la nécessité de ne pas durcir la frontière entre groupes d’intérêt et équipes de campagne, unis par des homologies de trajectoires et des parcours croisés (Courty, Gervais, 2016b).
  • [27]
    Après de longues années à militer chez les écologistes, elle n’a rejoint le PS qu’en 2011 et ne dispose alors d’aucun mandat électif.
  • [28]
    Entretien avec un conseiller « environnement » de l’équipe de campagne de François Hollande, Paris, juin 2012.
  • [29]
    Thomas Piketty compte parmi les économistes « proches » du PS. Quoiqu’il n’ait jamais été membre du parti, il a un temps participé à sa commission économique. En 2007 et 2008, il s’est rapproché de Ségolène Royal, dont il a écrit une partie de la motion au congrès de Reims. En janvier 2011, il cosigne l’ouvrage Pour une révolution fiscale, qui polarise rapidement une large part du discours public sur la question des impôts.
  • [30]
    Celui-ci a précocement inscrit la fiscalité parmi les thèmes prioritaires par lesquels il a cherché à singulariser sa candidature. Dans le fascicule qu’il publie en 2010 en prévision des primaires, il appelait à faire de la réforme fiscale « le grand enjeu de la campagne présidentielle » (Parlons de la France avec François Hollande, 2010, p. 46). Il s’est néanmoins employé à se distinguer des propositions de T. Piketty. Voir « Hollande-Piketty : confrontation sur la révolution fiscale », Mediapart, 28 janvier 2011.
  • [31]
    En entretien, l’un des experts participant à l’élaboration des propositions confirme cette structuration du cadrage : « On pilotait un objectif de rendement, très clairement » (entretien, Paris, mai 2017).
  • [32]
    « Comment François Hollande a préparé sa surprise sur l’imposition des plus riches », Le Monde, 1er mars 2012.
  • [33]
    « Le comparateur des sondages de la présidentielle – infographie », nouvelobs.com, 7 février 2012 (consulté le 5 juillet 2015). Quelques jours auparavant, la presse a largement relayé l’information selon laquelle les patrons du CAC 40 ont vu leurs rémunérations augmenter de 34 % en 2010.
  • [34]
    Entretien avec Karine Berger, Paris, mai 2014. La mandataire socialiste estime « avoir rencontré plus de la moitié des détenteurs de la dette française en volume ». « La tournée secrète des socialistes », Paris Match, 25 mai 2012.
  • [35]
    Olivier Ferrand, Louis Schweitzer, « Investir dans l’avenir. Une politique globale de compétitivité pour la France » [http://tnova.fr/system/contents/files/000/000/832/original/Politique_de_competitivite-rapport_Terra_Nova_1.pdf?1436950887] (consulté le 26 mars 2017).
  • [36]
    Entretien avec un haut fonctionnaire, membre du groupe de pilotage, Paris, mars 2017.

1Qu’est-ce qu’un parti de gouvernement ? Quoique d’un usage routinier, le syntagme associant « parti » et « gouvernement » enferme une irréductible ambiguïté : s’agit-il de qualifier la capacité durable d’un parti à remporter les élections, ou de souligner la prétention de celui-ci à gouverner, c’est-à-dire à élaborer des propositions susceptibles d’être transposées en réformes d’action publique ? Autrement dit, « le gouvernement » doit-il être appréhendé depuis la rationalité propre du champ politique – soit comme le trophée pour lequel les partis concourent – ou bien comme l’ensemble des activités décisionnelles régissant les politiques publiques ?

2Au sein de la littérature politologique, cette ambiguïté notionnelle a moins été mise en énigme qu’elle ne s’est traduite par une certaine segmentation des préoccupations de recherche. En France, la notion fait avant tout référence à la position dominante acquise par une organisation au sein du système partisan : il s’agit alors soit d’étudier ce que fait ce statut aux pratiques internes aux partis considérés (Sawicki, 1998 ; Grunberg, Haegel, 2007 ; Bachelot, 2008), soit de l’utiliser comme un analyseur des transformations des rapports de force électoraux (Gougou, Tiberj, 2015 ; Martin, 2018). Dans les deux cas, les enquêtes s’intéressent peu à la manière dont ce qui fait l’objet même du gouvernement, c’est-à-dire les politiques publiques, sont mobilisées par les partis qui aspirent aux positions électives. On trouve dans la littérature internationale un ensemble de considérations qui pointent plus directement le lien entre partis, gouvernement et policy-making – mais pour cette raison évidente qu’elles traitent des partis au gouvernement (Katz, 1987 ; Woldendorp et al., 2000 ; Blondel, Nousiainen, 2000). En ce sens, ces travaux reconduisent les limites que charrie l’opposition entre le party in public office et le party in central office[1], qui encourt toujours le risque de compartimenter trop schématiquement les pratiques des acteurs selon les espaces au sein desquels ils interviennent – au party in public office la mobilisation des militants et la désignation des leaders, au party in central office les activités de policy-making,

3La dualité de la notion de gouvernement (comme objet de luttes partisanes ou comme ensemble de prérogatives en matière d’action publique) innerve davantage les travaux portant sur les liens entre la compétition politique et l’offre thématique des partis (Klingemann et al., 1994 ; Blomqvist, Green-Pedersen, 2004 ; Brouard et al., 2012 ; Persico, 2015) ou entre les programmes des partis et les réalisations des gouvernements (Bouillaud et al., 2017 ; Collectif, 2018). Ces travaux font ainsi fructifier le constat classique selon lequel la légitimité des organisations partisanes dérive de leur prétention à conduire des politiques publiques pour transformer le monde social : pour les entreprises politiques, la perspective du gouvernement existe comme un « toujours-déjà » [2]. Si elles encouragent donc à penser les deux dimensions du gouvernement non pas séparément, mais dialectiquement, ces enquêtes rencontrent néanmoins deux types de limites. D’une part, lorsqu’il est évoqué, le syntagme de « parti de gouvernement » n’est pas tant mobilisé comme une notion à mettre au travail que comme une donnée a priori, préalable à l’analyse. D’autre part, ces travaux prennent pour objet les outputs partisans – le contenu des programmes électoraux – sans s’intéresser à leurs conditions de fabrication : les partis politiques ne sont pas étudiés en tant que tels, c’est-à-dire en tant qu’organisations dont les logiques, les ressources et les contraintes propres encadrent leurs activités programmatiques.

4Dans ces conditions, on sait encore très peu de choses de la manière dont les partis dits « de gouvernement » (soit, en première analyse, ces organisations dont l’activité des membres s’articule à la perspective de gouverner [3]) anticipent le fait d’avoir à conduire des réformes, et concourent à la fabrique d’enjeux, de propositions, de problèmes ou de recettes susceptibles d’être convertis dans l’action publique. Cet article se donne ainsi pour point de départ les relations entre la position particulière de ces partis toujours-déjà inscrits dans l’espace du gouvernement, et les logiques par lesquelles ils s’équipent d’un ensemble de propositions d’action publique. Quels sont les cadres et les modalités du travail d’élaboration des propositions programmatiques ? Quelle est la place de ce travail au sein d’un parti, et comment s’articule-t‑il aux autres objectifs (désignation des leaders, conduite des campagnes, conquête des suffrages, etc.) poursuivis par l’organisation ? Quelles relations ce travail fait-il exister entre les différents acteurs (hauts fonctionnaires, journalistes, groupes d’intérêt) qui, depuis l’extérieur du parti, agissent sur ces activités ?

5Pour examiner cette série de questions, on propose ici de mettre à l’épreuve la notion d’entreprise de gouvernement. La notion d’entreprise renvoie aux différentes transactions par lesquelles les partis en situation de concurrence échangent des biens symboliques contre des profits politiques (Offerlé, 1987). Parce qu’elle cible l’activité des partis en train de concourir, la notion permet d’enjamber la dualité interne à la notion de gouvernement. En plaçant au cœur de l’analyse le ressort transactionnel des mobilisations politiques, la notion permet, d’une part, d’interroger tant la production que les usages mêmes de ces biens particuliers que sont les propositions programmatiques, élaborés à la croisée des impératifs de légitimation et des logiques propres à la conduite de l’action publique – elle invite, en somme, à mieux comprendre ce que « programmer » veut dire. La notion permet, d’autre part, d’explorer l’enchâssement de différents marchés (luttes internes, compétition électorale, transactions avec les journalistes ou les groupes d’intérêt) qui conditionnent, chacun à leur manière, la fabrique des biens programmatiques. La notion d’entreprise de gouvernement peut ainsi fonctionner comme un analyseur de ce jeu multidimensionnel, tissé de contraintes et de ressources, à l’intérieur duquel opèrent les partis.

6Ce cadre d’analyse est éprouvé à partir du cas du Parti socialiste français, étudié sur une période courant du milieu des années 1990 à la victoire à l’élection présidentielle de 2012. Quoiqu’antérieure à l’accession de François Hollande au pouvoir, cette période donne à voir les activités d’un parti durablement socialisé à l’exercice du gouvernement et qui, en ce sens, interroge sur la manière dont les activités programmatiques se sont articulées avec l’acquisition de cette stature gouvernementale. Pour approcher au plus près la matérialité et les pratiques concrètes des acteurs, l’enquête se fonde sur un matériau croisant plusieurs dizaines d’entretiens tant avec des cadres du parti que des « experts » ayant collaboré avec celui-ci, l’exploitation de différents fonds d’archives – privés et publics (Fondation Jean Jaurès et Office universitaire de recherches socialistes) –, l’usage de données prosopographiques et la mobilisation de la base Europresse.

7L’article montre que la fabrique des propositions programmatiques du PS se détermine à l’intérieur d’une tension fondamentale entre les profits de légitimité que procure l’affichage d’une préoccupation pour l’action publique et le marché multidimensionnel au sein duquel opèrent les membres du parti. La première partie déplie le milieu programmatique du Parti socialiste. Elle montre que différents facteurs concourent à ce que, sur la période analysée, le répertoire de légitimation partisan mobilise d’importantes ressources liées à l’action publique mais que, loin de s’inscrire dans un cadre bureaucratique et formalisé, cette mobilisation des ressources dépend des luttes factionnelles qui charpentent le parti. La seconde partie examine le contexte particulier des campagnes électorales. L’intensification des échanges et l’élargissement des acteurs ayant partie liée à la fabrique des propositions programmatiques socialistes contribuent à accentuer la complexité des circuits d’élaboration des propositions : c’est à l’intérieur de l’écart pratique toujours labile entre le cadrage des réformes et le bricolage imposé par le cadre des interactions de campagne que les membres du Parti socialiste s’ajustent à la perspective de gouverner.

L’encastrement de l’action publique dans l’économie des pratiques partisanes

8Permis à la fois par un ensemble d’intérêts différenciés, et par les ressources associées au statut gouvernemental du parti, le travail sur les enjeux d’action publique compose une dimension à part entière, et toujours plus importante, de l’agenda du Parti socialiste. Les ressorts de ce travail ne tiennent toutefois pas tant à ce qui serait l’ajustement fonctionnel de la bureaucratie partisane à la complexification de l’action publique, mais doivent également beaucoup à ce qu’elles s’encastrent dans les luttes internes à l’entreprise socialiste.

L’action publique comme pièce du répertoire de légitimation partisan

9Depuis l’avènement de la Ve République, la combinaison d’un ensemble de transformations structurales du champ politique et du repositionnement du PS au sein du système partisan ont impacté son fonctionnement interne, intégrant durablement la grammaire de l’action publique aux chaînes de légitimation partisanes. L’unification des marchés politiques, l’intensification de la compétition partisane dans les années 1970 (Gaxie, 2003) et l’expertisation tendancielle des formes légitimes d’exercice du métier politique (Dulong, 1996) ont favorisé l’investissement des partis en ressources programmatiques. Les modalités du « faire campagne » des partis, notamment à gauche, se sont ainsi standardisées autour d’un « genre programmatique » dont la signature, en 1972, du « Programme commun de gouvernement, a accentué la structuration autour de différents items de politiques publiques (Fertikh et al., 2016). Au Parti socialiste, la perspective de l’alternance a imposé dès le début des années 1970 un ensemble de transformations de l’organisation : la mise en place de commissions thématiques, d’un secrétariat national aux « Études » ou encore d’un « groupe des experts » a ainsi contribué à la structuration du discours socialiste sur les réformes d’action publique, et préfiguré les 110 propositions de François Mitterrand (Fulla, 2016).

10Si l’accession des socialistes au pouvoir en 1981 a gommé la centralité de ces différents lieux d’expertise (Sawicki, Mathiot, 1999), elle n’a pas freiné l’institutionnalisation d’espaces partisans où se produisent des énoncés sur différents secteurs d’action publique. Le fonctionnement de la bureaucratie partisane donne ainsi à voir l’incorporation durable d’une préoccupation pour l’action publique : c’est ce que permet de mesurer l’évolution du Secrétariat national (SN) qui, outre la gestion courante de l’organisation, englobe un ensemble de fonctions associées à des domaines objectivés de politiques publiques (économie, justice, international, etc.). Depuis la création du parti d’Épinay, c’est principalement l’élargissement des attributions du SN en matière d’action publique qui explique la croissance organisationnelle de celui-ci : alors qu’en 1971, on ne compte presque aucune fonction thématique au sein du SN (essentiellement consacré à la gestion courante de l’organisation), celui issu du congrès de 2012 enregistre 44 postes calqués sur des domaines institués de politiques publiques (« défense », « commerce extérieur », « réforme et modernisation de l’État », etc.) (graphique 1). Pour la seule année 2004, en s’appuyant sur les archives disponibles [4], on a pu recenser autour de 270 réunions des commissions thématiques liées aux secrétariats nationaux (soit une moyenne d’environ une réunion mensuelle par secteur) : l’activité des secrétariats nationaux thématiques constitue une dimension à part entière de l’agenda partisan.

Graphique 1

Évolution numérique du Secrétariat national et de ses commissions thématiques (1971-2012)

Graphique 1. Évolution numérique du Secrétariat national et de ses commissions thématiques (1971-2012)

Évolution numérique du Secrétariat national et de ses commissions thématiques (1971-2012)

Source : nombre de secrétariats nationaux issus des différents congrès socialistes ; données reconstituées en croisant celles présentées dans Bachelot (2008), et les informations recueillies dans la presse partisane (Vendredi puis L’Hebdo des socialistes).

11Cette tendance de long terme s’est articulée, depuis le début des années 1990, aux différentes initiatives organisationnelles visant à relégitimer le parti tant auprès de ses propres membres que vis-à-vis de l’extérieur. Cette logique ne se cristallise jamais aussi clairement qu’à l’occasion des changements de direction, lorsque le répertoire distinctif de la « rénovation » intègre l’injonction à « remettre le parti au travail » (Lefebvre, 2018). En 1995, en réponse à la crise ouverte par la fin du second septennat mitterrandien, la prise de contrôle de la direction par Lionel Jospin lui permet de présider une « commission de la rénovation » qui engage l’organisation de trois « conventions thématiques ». À partir d’auditions réalisées auprès d’intellectuels, d’experts ou de syndicalistes, les socialistes déroulent tout au long de l’année 1996 un ensemble de propositions en matière économique, diplomatique, sociale et institutionnelle.

12On retrouve ce même type de séquence proto-programmatique et la rhétorique rénovatrice qui la justifie à partir de 2008, après que Martine Aubry a succédé à François Hollande à la tête du parti : invoquées pour gommer le stigmate d’un parti inapte à contrer l’offensive idéologique de Nicolas Sarkozy en 2007, trois conventions thématiques ont à nouveau été organisées – auxquelles s’est ajoutée une série de « forums idées » au périmètre plus serré, associant chaque fois des élus et des professionnels du secteur (encadré 1). La mise en scène d’un « parti au travail [5] » et la convocation de procédures programmatiques émergent d’autant plus comme des routines instituées qu’elles peuvent constituer des ressources disciplinaires pour la direction. En impliquant directement les différentes factions du parti (chaque événement échoit généralement à un représentant d’un courant du parti), le déploiement des initiatives programmatiques vise à mobiliser le parti tout entier, et fonctionne ainsi comme un dispositif de contention des concurrences internes. Se distinguer des équipes antérieures, se créditer auprès des militants, de la presse ou de l’électorat virtuel, discipliner le factionnalisme interne : avant d’obéir à une pure logique fonctionnelle (il faut « programmer » les réformes à venir), le travail sur les enjeux d’action publique existe d’abord comme une technologie de légitimation pour les directions partisanes.

Encadré 1 : L’événementiel programmatique sous le mandat Aubry (2010-2012)

Convention thématique (CT) « Nouveau modèle de développement », Paris, 29 mai 2010
Forum Idées (FI) « Agriculture », Cluny, 14 juin 2010
CT « Nouvelle donne internationale et européenne », La Défense, 9 octobre 2010
FI « Ville », Lille, 6 novembre 2010
CT « Égalité réelle », Paris, 11 décembre 2010
FI « Sécurité », Créteil, 17 novembre 2010
FI « Institutions », Paris, 2 février 2011
FI « Justice », Paris, 14 mars 2011
Validation en bureau national du projet socialiste, 5 avril 2011
FI « Outre-mer », Paris, 13 avril 2011
FI « Biens communs, services essentiels », Paris, 4 mai 2011
FI « Enseignement supérieur et recherche », Toulouse, 18 mai 2011

13Composante du dispositif de gouvernement partisan, le maniement d’une préoccupation pour les politiques publiques articule également l’activité individuelle de certains entrepreneurs. La spécialisation thématique sur une dimension particulière de l’action publique fonctionne le plus souvent selon un double mécanisme de conversion de ressources antérieurement accumulées, ou d’appropriation d’une thématique ou de compétences nouvelles.

14Le premier ressort décalque au niveau partisan, et sur un mode homologique, la bascule de ressources scolaires et professionnelles qui s’observe ordinairement entre l’ENA et les cabinets ministériels. Pour ne prendre que quelques exemples parmi les plus emblématiques : Lionel Jospin est au Quai d’Orsay lorsqu’il intègre le secrétariat national aux Affaires étrangères ; Dominique Strauss-Kahn devient secrétaire national « aux études et au programme » puis à « l’économie et aux finances » alors qu’il est commissaire général adjoint au Plan ; Pierre Moscovici est chargé de la rédaction des notes économiques à l’attention du Premier secrétaire, avant d’assurer la coordination du « groupe des experts » alors qu’il est en poste à la Cour des comptes ; etc.

15Au-delà des mécanismes de conversion des ressources attachées à la haute fonction publique, l’investissement intensif d’un secteur, ou le cumul dans le temps de positions liées à ce secteur peuvent être perçus par certains élus (jeunes en particulier) comme une voie d’ascension au sein du parti – qu’il s’agisse de maximiser ultérieurement les ressources accumulées (devenir à terme le ministre en exercice), ou d’exister dans l’espace de concurrence intra-partisan. À partir de 2000, la création et le développement du secrétariat national à la sécurité doivent par exemple beaucoup aux investissements d’une série d’élus qui, soit parce qu’ils étaient tenus à l’écart des arènes centrales (Julien Dray), soit parce que leur capital politique était encore embryonnaire (Delphine Batho puis Jean-Jacques Urvoas), ont mobilisé « la sécurité » comme un outil de captation d’une part du capital collectif de l’organisation (Cos, 2019).

16Ce faisceau d’intérêts individuels et collectifs s’objective dans un ensemble de dispositifs fonctionnant comme autant de forums sectoriels mobilisant des savoirs extérieurs au parti. Au niveau le plus routinier, les secrétaires nationaux et leurs auxiliaires (les « permanents » du parti) peuvent coordonner des commissions procédant à des auditions de spécialistes ou de représentants de groupes d’intérêt, analysant les projets de loi en discussion au Parlement, ou élaborant des textes de facture plus programmatique. Ces commissions associent régulièrement des « experts » issus notamment des universités ou de directions ministérielles, et liés au parti selon des modalités variables (participation passée à des cabinets ministériels, sympathie politique pour l’organisation, intérêt à se « positionner » en vue des échéances futures, etc.). C’est par exemple le cas de la commission économique du parti, installée dans les années 1970 dans un contexte où le PS cherchait à neutraliser l’absence de compétence qui lui était imputée sur cet enjeu (Fulla, 2016). Après la conquête de la direction par Lionel Jospin, en 1995, celui-ci avait ainsi explicité devant les membres de la commission le rôle et la place de celle-ci dans le processus de rénovation du parti :

17

La commission économique jouera un rôle important à trois niveaux : l’analyse et le suivi de l’actualité et de la conjoncture ; la préparation des débats internes du parti (en 1996, conventions thématiques sur la mondialisation et sur la redistribution) ; l’élaboration du programme du parti socialiste pour 1998. Cette commission, qui regroupe aujourd’hui 107 personnalités (universitaires, chercheurs, hauts fonctionnaires, hommes d’entreprise, parlementaires, syndicalistes…) du monde économique sera organisée, afin d’affiner les thèmes de l’emploi, de la politique monétaire et macro-économique, de la fiscalité et des prélèvements, de la mondialisation, en autant de groupes susceptibles de produire des notes ou des textes, supports aux débats internes, mais aussi en mesure d’alimenter le débat public à travers des publications [6].

18Outre des membres du parti, la commission associe des économistes, dont la participation doit beaucoup au fait qu’ils sont issus de laboratoires situés à l’intersection du champ académique et des administrations (OFCE, CEPREMAP), ou des hauts fonctionnaires issus des différentes administrations traitant des questions économiques (Cour des comptes, Banque de France, direction du Trésor…). La commission constitue ainsi un espace plurisectoriel de production d’analyses chargé de nourrir l’expression routinière du parti (sur les réformes gouvernementales en matière fiscale, les lois de finance, les privatisations…) et d’alimenter les moments d’élaboration de ses propositions programmatiques.

19À mesure que ces échéances programmatiques se cristallisent, la mobilisation de savoirs extérieurs au parti tend à s’intensifier. Les conventions thématiques, l’élaboration du projet du parti puis celle du programme d’un candidat sont l’occasion de drainer des acteurs issus des différents champs professionnels traités. S’il est impossible de reconstituer les frontières et la composition d’un réseau virtuellement peuplé de plusieurs milliers de personnes, le matériau prosopographique composé à partir de la liste des participants à une convention thématique organisée par le PS en 2010 [7] permet de photographier un agencement particulier de ces différentes ressources. Intitulée « Pour un nouveau modèle de développement », elle regroupait à part quasi-égale deux types de profils : les politiques (professionnels et auxiliaires), chargés à différents titres de la supervision des travaux, et des spécialistes davantage mobilisés pour leur connaissance d’un secteur particulier. Ce second groupe est notamment vertébré par deux filières dominantes : la haute fonction publique, et les métiers de la recherche, qui composent ensemble un quart des conventionnels (tableau 1). Souvent issus des principales écoles de pouvoir (32 % d’entre eux sont passés par Polytechnique, l’ENA, l’ENS ou HEC), les conventionnels ont également, pour un quart d’entre eux (30 individus), au moins une expérience ministérielle – en tant que ministre ou comme membre d’un cabinet : le parti peut ainsi mobiliser, en son sein et à ses marges, des acteurs dépositaires de savoirs de gouvernement ou d’une expérience de praticien [8].

Tableau 1 : L’ancrage professionnel des « conventionnels »

Milieu professionnelEffectifsPourcentage
Profession politique (élus et cadres partisans)4541,5
Auxiliaires politiques (collaborateurs et permanents)98,5
Hauts fonctionnaires (ministères, Cour des comptes, Conseil d’État)1514
Enseignement et recherche1312
Professions juridiques (avocats, magistrats)76,5
Cadres et chefs d’entreprise65
Secteur du conseil (« consulting »)65
Autres87,5
Total109100

Tableau 1 : L’ancrage professionnel des « conventionnels »

Source : l’essentiel des données sociographiques a été récolté à partir des sites LinkedIn et Viadeo ; le tableau saisit l’activité au moment de la convention pour 109 des 116 acteurs identifiés.

20C’est donc ce maillage d’interfaces organisationnelles, de compétences professionnelles et de relations sociales qui définit le cadre des ressources disponibles comme un milieu programmatique – soit un espace particulier de « relations consolidées entre des groupes » (Sawicki, 1997, p. 24), et dont le point commun est de concourir à l’élaboration d’éléments programmatiques (portage d’enjeux saillants, développement de diagnostics sectoriels, propositions de réformes, etc.).

21Qu’elles relèvent d’un souci de soi du parti vis-à-vis de l’extérieur, qu’elles mettent au prise la direction avec le reste du parti, ou qu’elles orientent l’activité de certains acteurs individuels, les mobilisations partisanes pour l’action publique existent ainsi comme une ressource dans les jeux de légitimation croisés de l’entreprise socialiste. Les expressions organisationnelles d’une préoccupation partisane pour l’action publique manifestent un double effet. D’une part, elles enregistrent les logiques sociales de production de la compétence et de la légitimité politiques : le parti convertit en son sein les dispositions et les ressources d’acteurs dont l’inscription professionnelle les positionne aux frontières du champ politique. D’autre part, le statut gouvernemental du parti le place à l’interface de différents pôles professionnels au sein desquels s’élaborent des contenus relatifs aux politiques publiques, et dont les acteurs peuvent avoir intérêt à investir les espaces partisans. Les ressources de l’entreprise de gouvernement proviennent ainsi de ce que son expérience passée lui a permis de stabiliser un réseau et que sa position dominante intéresse d’autres professionnels des activités de gouvernement.

Le polycentrisme du travail d’élaboration programmatique

22Est-ce à dire que le circuit programmatique socialiste peut se décrire en suivant l’analogie bureaucratique ? En pratique, les écarts sont multiples entre les fonctions et le fonctionnement de l’organigramme socialiste. Les postes de secrétaires nationaux abritent des investissements très variables, fonction à la fois des dispositions de leurs titulaires, et des intérêts qu’ils ont à les faire vivre. En 2004, les membres du SN « institution, justice, sécurité » se sont par exemple retrouvés deux fois par mois en moyenne, quand la SN chargée du périmètre « Réforme de l’État, fonctions publiques, actions publiques » n’a réuni sa commission qu’à trois reprises. Beaucoup de responsables privilégient leur mandat de député, et ne sont présents au siège qu’un seul jour par semaine : les grands élus ne sont ainsi secrétaires nationaux que « par surcroît » (Bachelot, 2008, p. 627).

23La contribution routinière des secrétariats nationaux à la réflexion collective du parti apparaît d’autant moins évidente qu’elle ne s’organise pas non plus sur un mode cumulatif. Les titulaires successifs d’un même poste n’éprouvent pas spontanément l’intérêt de collectiviser les ressources que leur fonction leur a parfois permis de faire fructifier. C’est ce dont témoigne Jean-Jacques Urvoas, qui hérite en 2009 du secrétariat national à la « sécurité » – domaine dont il n’est à l’époque aucunement familier :

24

Quand j’accepte d’être secrétaire national, je suis allé à Solférino pour voir la permanente du secteur… je ne sais d’ailleurs pas comment s’appelle le secteur – enfin la permanente est là. Je dis : « Voilà, qu’est-ce qu’il y a quoi, c’est quoi les… ? » [Elle me répond :] « Il y a ce que t’as ! » C’est un parti qui n’a pas de mémoire. Pas d’archives. Je dis : « On a un fichier quand même, de contacts dans la police, dans la gendarmerie, une espèce de pérennité ? » « Heu… Ah ben non. » Il n’y a rien, il n’y a rien du tout. En fait c’est le PS ; donc au-delà du constat, passons à l’analyse : c’est une TPE [très petite entreprise]. C’est-à-dire que chacun se met à son compte. […] Solférino n’a rien. Ni trace, ni… le seul truc que j’ai eu par le PS c’est un document de Mitterrand en 1981 sur la police [9].

25Parce que les postes émargeant à ce type de travail politique ne constituent que des trophées secondaires à l’intérieur des jeux partisans, ces activités ne sont pas articulées par un canal fonctionnel permettant, sur un mode cumulatif, d’organiser ses prises de position en matière de politiques publiques. Il n’est en outre jamais garanti que les travaux hébergés par les secteurs les plus dynamiques bénéficient d’une réelle audience au sein du parti, y compris à l’occasion des séquences d’élaboration programmatique. Lors des entretiens, certains enquêtés déplorent le règne de « l’intuitu personae », et le fait que leur légitimité officielle puisse être contournée par des « visiteurs du soir » habilités par une stature politique plus conséquente. Au fond, ces différentes contraintes se résument sous la forme d’une contradiction : pour compter, un secrétariat national doit être animé par un élu important ; mais les élus importants éprouvent peu d’intérêt à animer un secrétariat national.

26Ce phénomène doit aussi beaucoup aux logiques de concurrence internes entre les différentes factions présidentielles, qui se sont ensuite répercutées sur la manière dont s’est agencé le milieu programmatique socialiste. Le caractère biface de la concurrence politique – qui met toujours aux prises les différents partis entre eux, mais oppose aussi souvent les entrepreneurs d’un même parti – constitue ainsi l’un des ressorts principaux du travail programmatique socialiste.

27Sur la période étudiée, cette logique s’est d’abord traduite par l’emprise des écuries sur la fabrique des programmes – en particulier après la fin de la configuration de leadership qui, entre 1995 et 2002, avait permis à Lionel Jospin de mobiliser les différents secteurs du parti. Parallèlement aux instances supposément légitimes du parti, on assiste ainsi, dans le courant des années 2000, à la démultiplication de cercles para-partisans, souvent à statut associatif, présentant la double caractéristique de s’afficher comme des espaces de production intellectuelle et de se superposer au fractionnement entre courants (tableau 2). Si toutes ces structures (le plus souvent éphémères) n’ont pas couvert le même degré d’investissement, elles constituent toutefois un indice de la manière dont la compétition interne, accélérée par l’institutionnalisation de la procédure des primaires, produit des mouvements centrifuges qui tendent à déporter le travail d’expertise aux marges du parti.

Tableau 2 : Le fractionnement factionnel de l’expertise socialiste

Nom de la structureLeaderAnnée de création
RéformerMartine Aubry2000
Convention pour une VIe RépubliqueArnaud Montebourg2002
FraternitéLaurent Fabius2002
À gauche, en EuropeDominique Strauss-Kahn2003
SémaphoreJean-Yves Le Drian2006
Émergence(s)Ségolène Royal2007
Institut Édouard QuinetVincent Peillon2007
La ForgeBenoît Hamon2007
Cercle 21. Gauche et modernitéManuel Valls2008
Gauche avenirMarie-Noëlle Lienemann2008
Le Pôle idéesJean-Louis Bianco2009
Inventer à gaucheMichel Destot2009

Tableau 2 : Le fractionnement factionnel de l’expertise socialiste

28Le cas du réseau strauss-kahnien permet de prendre la mesure de ces mouvements. En 2003, les lieutenants de l’ancien ministre de l’Économie créent une structure associative (À gauche en Europe, AG2E) parallèle à son courant. Olivier Ferrand, administrateur civil au ministère des Finances et ancien membre du cabinet de Pierre Moscovici aux Affaires européennes, coalise rapidement une équipe d’experts chargés de couvrir un large éventail de domaines d’action publique. Les échanges mails colligés dans les archives [10] indiquent qu’en 2004, plus d’une douzaine de « groupes de travail » sont ainsi « déjà en chantier », portant sur « l’urbanisme », « la santé », « la politique industrielle » ou « les NTIC » [11]. À mesure que s’affirme l’échéance de la primaire interne, deux groupes (« international » et « économie ») se dégagent par leur activité. Leur composition dénote la familiarité de leurs membres au travail gouvernemental. Sur un total d’un peu plus de 70 personnes, on compte une vingtaine d’énarques et une quinzaine de polytechniciens. Une quarantaine d’entre eux a exercé des responsabilités au sein des directions centrales du Quai d’Orsay et de Bercy, et un peu moins de la moitié a déjà officié au moins une fois au sein de cabinets ministériels socialistes. À ces professionnels du travail gouvernemental s’ajoutent un certain nombre d’universitaires souvent positionnés au sein d’organismes convertissant la recherche en aide à la décision (type Conseil d’analyse économique). C’est dans le cadre de ces deux groupes que se préparent une trentaine de notes souvent très générales (« Europe », « croissance et dette »), parfois plus spécifiques (« aide au développement », « fusion GDF/Suez », etc.) supposées alimenter l’offre politique du candidat. Au moment où Dominique Strauss-Kahn participe à la « commission du projet » censée confectionner le texte du parti, ses équipes sont ainsi mobilisées pour élaborer un programme parallèle.

29La structuration du réseau strauss-kahnien informe sur le processus de banalisation de mobilisations programmatiques concurrentes et relativement autonomes des procédures collégiales par lesquelles s’élaborent les projets du parti. Les ressorts affinitaires et le caractère socialement sédimenté (notamment par les précédentes expériences gouvernementales) des logiques d’affiliation des membres d’un réseau à leur leader organisent ainsi une forme de privatisation des ressources programmatiques du parti. Les frontières et la topographie du milieu programmatique socialiste apparaissent particulièrement lâches et distendues : ce milieu existe non comme un pur vivier de ressources, mais comme un espace concurrentiel, polycentrique et marqué par des logiques centrifuges.

30Cette redistribution s’opère dans un double sens : vers les marches partisanes, et vers les marchés médiatiques. C’est ce que renseigne l’émergence de deux forums contemporains l’un de l’autre – Terra Nova (TN) d’une part, le Laboratoire des idées (LAB) d’autre part. Les deux structures sont créées respectivement en 2008 et 2009, dans la foulée de la troisième défaite consécutive du PS à l’élection présidentielle. Le LAB peut être assimilé à une forme de think tank associant les deux formes d’expertise classiques (issues des universités ou de la haute fonction publique) – mais un think tank organique, car directement rattaché à la direction du parti. TN correspond pour sa part au prolongement de la mobilisation d’AG2E : sous l’impulsion d’Olivier Ferrand, la fondation réactive les réseaux d’expertise coalisés dans le giron strauss-kahnien.

31Au déplacement centrifuge d’une partie du réseau strauss-kahnien a donc répondu une tentative de ré-internalisation de la réflexion programmatique, mais dont les dynamiques d’institutionnalisation ont très largement divergé. En entretien, les responsables les plus actifs du LAB déplorent la faible implication des membres du parti au moment de l’élaboration ou de la présentation de leurs travaux. Ils témoignent également de ce que le LAB n’a jamais été investi d’une légitimité sui generis, mais a dépendu de son inscription complexe dans les jeux écuriaux. L’un d’entre eux constate ainsi : « On n’était pas le Parti socialiste. Aubry elle-même n’était pas le Parti socialiste à ce moment-là, c’était quand même compliqué [12]. » Ce confinement de l’instance partisane contraste avec les activités plus intensives qu’abrite Terra Nova. Le LAB aura produit 23 rapports, ainsi qu’un livre-programme réunissant les contributions d’une série d’intellectuels. Terra Nova aura pour sa part publié plusieurs centaines de notes (plus d’une tous les trois jours entre son lancement en février 2008 et le premier tour de l’élection présidentielle de 2012), auxquelles sont venus s’ajouter 32 « essais » de facture plus étoffée (Argibay, 2016).

32Ce différentiel procède en partie de la diversité des intérêts et des usages qu’est susceptible d’accueillir un espace plus autonome des jeux internes, et dont la rapide consécration médiatique garantit la circulation des prises de position. Cette logique est valable pour les « experts » extérieurs au parti (universitaires ou hauts fonctionnaires), qui trouvent dans la fondation un canal d’expression mieux exposé et moins dépendant des logiques propres au champ politique. Mais elle vaut aussi pour les acteurs socialistes eux-mêmes : TN permet ainsi les braconnages de certains francs-tireurs, qui mobilisent l’estampille de la fondation pour mettre en avant des propositions plus difficiles à énoncer au nom du parti. En entretien, Jean-Jacques Urvoas explique ainsi avoir réservé ses publications les plus « potentiellement provocatrices » pour le think tank, et ses textes « moins dérangeants » [13] pour la Fondation Jean Jaurès – plus immédiatement liée au parti. C’est ainsi l’érosion de la valeur du capital proprement partisan (c’est-à-dire le crédit que procure le fait de parler au nom du parti) qui autorise ces déplacements stratèges au sein de l’entreprise socialiste. Durant la primaire de 2011, les cadres de Terra Nova ont aussi fait fond de cette érosion en officiant comme prestataires des différentes écuries. D’après l’un de ses principaux dirigeants, le think tank a été mobilisé par la plupart des équipes des candidats à la primaire pour obtenir des éléments de synthèse relatifs à différents enjeux d’action publique. L’emprise des écuries sur la fabrique programmatique apparaît ainsi solidaire d’un processus d’autonomisation des marges du milieu socialiste, qui conduit à retrouver le paradoxe entrepreneurial – celui d’un parti dont les membres encouragent sa propre mise en concurrence.

33Au total, les mobilisations partisanes autour de la « programmation » de l’action publique constituent bien une dimension à part entière de l’agenda de l’entreprise socialiste. Elles peuvent notamment s’appuyer sur un ensemble de ressources plus ou moins institutionnalisées, qui dérivent de la sociologie de ses membres, des expériences de gouvernement passées, ou de l’hypothèse de remporter les prochaines élections. La première logique de drainage et de constitution des ressources ne correspond toutefois pas à une logique de rationalisation bureaucratique (l’ajustement de l’organisation à la perspective de conduire bientôt l’action publique), mais à l’entrecroisement frictionnel des stratégies de légitimation individuelles (monétiser son investissement entrepreneurial), factionnelles (attiser/canaliser les concurrences internes) ou collectives (entretenir la façade institutionnelle du parti).

34Les séquences de campagne – en particulier les campagnes présidentielles – catalysent et déplacent la mobilisation partisane par et pour l’action publique : elles la catalysent, au sens où elles renforcent la nécessité pour l’entreprise partisane de produire des biens politiques objectivés sous la forme d’une offre de politiques publiques. Elles la déplacent, en ce sens que les campagnes font intervenir une multiplicité d’opérateurs extérieurs au parti dont les activités contraignent fortement le travail partisan de fabrication de l’offre programmatique. Les campagnes électorales appuient donc ce paradoxe apparent, qui veut que ce soit selon des logiques pour partie endogènes au champ politique stricto sensu que le parti se mobilise par et pour l’action publique.

Une entreprise de gouvernement à l’épreuve des transactions de campagne

35Contrairement aux représentations simplifiées de la compétition électorale, les campagnes sont loin de constituer un simple « sas » électoral entre les propositions programmatiques du parti et l’accès aux positions gouvernementales. Co-produites par l’intervention d’une multitude d’acteurs ayant tous partie liée à la fabrique de l’action publique, ces campagnes contribuent puissamment à moduler l’offre du parti, qu’il s’agisse de l’étendue des thèmes qu’elle couvre, du contenu des propositions qu’elle déroule ou des formes dans lesquelles ces propositions sont formulées. La fabrique des biens programmatiques socialistes consiste ainsi dans le bricolage toujours incertain qu’imposent les différents marchés symboliques qui se cristallisent en campagne.

L’enchâssement des marchés programmatiques

36L’éventail des propositions programmatiques constitue l’un des éléments les plus centraux des répertoires de campagne investis par les équipes partisanes. Sur la période analysée, la publication de programmes est systématique pour l’ensemble des principales forces politiques (PCF-Front de gauche, PS, UDF-MODEM, droite, FN). Mais les campagnes ne consistent qu’en partie seulement à « dérouler » son programme. Le jeu électoral est médié par les interventions d’une multiplicité d’acteurs qui complexifient d’autant les ressorts de la transaction programmatique.

37Sur fond d’intensification des évaluations sondagières [14], la concurrence inter-partisane contraint tout d’abord à toujours devoir « programmer » au-delà le programme. En 2007, Jean-Louis Bianco, co-directeur de la campagne de Ségolène Royal, avait formulé un constat désabusé, déplorant qu’« aucun candidat n’[était] parvenu à imposer un thème plus de 48 heures » [15]. En 2012, Brice Hortefeux, conseiller du candidat Sarkozy, indiquait en sens inverse qu’« il ne faut jamais laisser à François Hollande plus de 48 heures après qu’il a énoncé une proposition, de façon à ce qu’elle ne s’installe pas dans l’esprit des Français » [16]. Parce que les échanges de coups entre partis supposent de toujours être en mesure d’occuper l’espace discursif, de multiples propositions sont formulées après la publication des textes. En 2002, Lionel Jospin égraine par exemple une série de « contrats » sectoriels, avec les médecins, les jeunes ou en matière environnementale ; il propose dans les derniers jours de la campagne d’abaisser l’âge d’obtention du droit de vote à 17 ans, ainsi que la suspension conditionnelle de la « double peine ». En 2007, Ségolène Royal a été amenée à signer le « Pacte » écologique élaboré par Nicolas Hulot, mais aussi celui proposé par l’association AC Le Feu, qui rassemblait 105 propositions relatives à la situation des quartiers populaires. Le 18 mars, plus d’un mois après l’officialisation de son programme, la candidate a proposé un référendum pour la mise en place d’une « VIe République ». Durant l’entre-deux-tours, c’est une taxe sur les revenus boursiers destinée à abonder le financement des retraites qui avait suscité la « surprise » d’une partie de la presse. En 2012, face à la stratégie de Nicolas Sarkozy consistant à « effeuiller » son programme, et alors que des journalistes lui demandaient s’il comptait annoncer « chaque jour une nouvelle proposition », François Hollande avait dû se justifier de ne pas être un « candidat pochette-surprise » [17]. Le comptage systématique des propositions de campagne réalisé par certains journalistes établit pourtant à plus d’une centaine le nombre de « propositions nouvelles » ultérieures à la publication du programme [18].

38Si la force relationnelle de l’économie programmatique apparaît si puissante, c’est qu’elle ne se réduit pas au marché politique stricto sensu : elle place aussi les équipes partisanes aux prises avec un ensemble d’acteurs-tiers dont les routines sont également mises en jeu par les campagnes – ainsi, en particulier, des groupes d’intérêt. En 1995, un journaliste diagnostique : « des ligues d’automobilistes aux associations d’accidentés de la route, des ostéopathes aux écologistes, des associations de lutte contre le sida aux mouvements familiaux, […] les lobbies qui interviennent auprès des candidats sont légion [19] ». Quoique cette logique ne soit pas nouvelle en soi [20], tout se passe comme si ces formes de mobilisation s’intensifiaient sur la période. 154 groupes d’intérêt auraient ainsi été reçus par le candidat socialiste en 2002, « trois fois plus que lors de la campagne de 1995 », indique alors le responsable des relations extérieures du candidat Jospin [21]. En entretien, l’un des coordinateurs du programme de ce dernier évoque la réception de quatre cents questionnaires. En entretien également, Alexis Dalem, qui pilotait en 2012 un groupe chargé de répondre aux différentes adresses, fait référence à « plusieurs milliers de courriers ». Dans leur enquête sur les groupes d’intérêt en campagne sur cette même élection, Guillaume Courty et Julie Gervais ont répertorié l’intervention de 1 500 groupes environ, pour un inventaire de 1646 documents. « Dîners », « colloques », « forums »… à partir de février 2012, quatre événements en moyenne sont organisés quotidiennement (Courty, Gervais, 2016a). Le témoignage de l’un des deux responsables du programme de Lionel Jospin, en 2002, illustre la manière dont la contrainte de rôle qui pèse sur les équipes conduit à « prendre toute une série d’engagements sur des sujets qui ne relèvent en rien du président de la République ».

39

Vous êtes soumis à la question par toute une série de groupes de presse spécialisée, d’ONG, d’associations, de syndicats, de… qui vous envoient des questionnaires qu’ils publient, et le principe d’une campagne c’est qu’on répond à tout. Et quand on répond à tout, on est obligé de répondre à une question précise et donc de prendre toute une série d’engagements sur des sujets qui ne relèvent en rien du président de la République en réalité. […] [C’était] un truc de dingue ! Et donc… On est pris dans un engrenage, et parfois – parfois c’est sur des sujets totalement anecdotiques, mais parfois c’est sur des sujets qui sont explosifs, pour lesquels d’ailleurs il faut qu’il y ait des arbitrages politiques et qui après surgissent dans la campagne, alors que c’est pas vous qui les mettez réellement à l’agenda [22].

40Les pratiques de lobbying électoral s’entrecroisent avec les intérêts journalistiques. Parce que l’exégèse du discours partisan s’inscrit dans le double idéal d’objectivité et de garant de l’intérêt public constitutifs de l’ethos journalistique (Kaciaf, 2013), le décodage des offres partisanes relève d’une pratique rédactionnelle routinière (tableau 3). Sur notre période, le traitement médiatique des campagnes électorales a plus singulièrement fait place à un registre « expert » : outre la grammaire du chiffre [23], les journalistes empruntent régulièrement la formule du « questionnaire » thématique adressé aux candidats, lorsqu’ils estiment que ceux-ci sont trop peu diserts sur un secteur particulier. C’est par exemple le cas du Monde.fr, qui, en 2012, mobilise le travail réalisé par l’Association française de science économique pour « infographier » les programmes économiques des candidats – l’équipe de François Hollande étant amenée à produire une réponse traitant de pas moins de 25 items de politique économique. On assiste ainsi à une forme d’hybridation des modalités d’intervention journalistiques qui empruntent aux répertoires d’action des groupes d’intérêt, tout en s’adossant à différents types d’expertise extérieure.

Tableau 3 : Les évocations médiatiques des « programmes » socialistes

19951997200220072012
Nombre de jours de campagne post-publication62363685103
Le Monde183171187257269
Libération13711489175234
Le Figaro127162290274
Moyenne simplifiée par jour (pour le total des titres)[5,2]11,412,18,57,5

Tableau 3 : Les évocations médiatiques des « programmes » socialistes

Source : Recherche dans la base Europresse pour les versions papier des titres sélectionnés, à partir des entrées [« candidat(e) socialiste » + programme] et [(nom du candidat) + programme] projetées sur la période courant du jour de l’officialisation du programme jusqu’au second tour (à l’exception de 2002, où la borne est refermée au 21 avril). Données non disponibles pour Le Figaro en 1995.

41En parallèle, la convention du « chiffrage » des programmes s’est progressivement imposée comme un étalon des offres partisanes, consolidant les liens entre rédactions et think tanks. Quasi-absente des élections de 1995 et de 2002, invoquée par le seul Institut de l’entreprise en 2007 (Lemoine, 2008), la technologie du chiffrage est mobilisée par Terra Nova, l’Ifrap, et surtout l’Institut Montaigne en 2012 [24]. Alors que les premières grandeurs, au milieu des années 1990, demeuraient très générales (la somme totale des dépenses et des recettes affichées dans le programme), en 2012 les recettes « manquantes » d’un programme en déséquilibre sont rapportées en pourcentage (« x % du texte n’est pas financé »). Alors que les estimations des campagnes de 1995, 2002 et 2007 s’appliquaient au programme stricto sensu, le degré de précision du chiffrage s’affine jusqu’à s’ajuster aux différentes mesures produites dans le cours des campagnes. Alors, enfin, que seuls l’hypothèse du taux de croissance et l’objectif de réduction du déficit cadraient les premiers chiffrages, l’offre programmatique des partis est désormais soumise à des recalibrages multiples, soumis à l’évolution quotidienne du prix des matières premières. L’émergence des think tanks s’est ainsi objectivée dans la constitution d’un espace arbitral dont les différents opérateurs, certes en situation de concurrence pour l’accès à la reconnaissance médiatique, sont réunis par une communauté d’objectifs et d’instruments.

42En somme, la montée en charge des mobilisations sectorielles, l’intensification des sollicitations médiatiques, ou la fixation des catégorisations expertes du jeu politique constituent autant d’évolutions qui impactent la manière dont se fabriquent les propositions de politiques publiques : l’offre programmatique « s’offre » moins qu’elle ne se produit et se réajuste en permanence.

43À la fois parce qu’il faut garantir davantage le ciblage sectoriel, assurer différents sauts techniques, et moduler l’offre programmatique selon des agendas devenus plus volatils, les équipes de campagne ont été conduites à étoffer leur appareillage de campagne. Les organigrammes traduisent cette nécessité contemporaine de doubler le texte programmatique d’une arborescence thématique qui permette d’afficher vis-à-vis de l’extérieur la capacité à traiter d’une vaste surface sectorielle. En 1981, aucun segment de l’organigramme de François Mitterrand – pourtant très étoffé – ne cherchait à décalquer les différents enjeux d’action publique. En 1995 et en 2002, les équipes de campagne de Lionel Jospin campent respectivement 15 et 14 postes découpés autour de secteurs de politiques publiques. Pour la campagne présidentielle de 2012, les 22 pôles de l’organigramme se ramifient en 150 référents thématiques. Michel Yahiel a participé, en tant que conseiller sur les affaires sociales et sanitaires, à l’ensemble des campagnes présidentielles du PS depuis 1988. Il évoque ici la nécessité croissante d’étoffer la composition des équipes de campagne en fonction de la « technicisation des sujets » :

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Avant vous disiez : « Qui est-ce qui connaît les retraites ? » Bon, donc on trouvait le mec ou la fille qui pouvait prendre le relais sur les retraites. […] Aujourd’hui, c’est rare d’avoir quelqu’un qui ait une connaissance universelle des retraites ; et donc on va se dire : « Qui est-ce qui connaît les régimes spéciaux des fonctionnaires, qui est-ce qui connaît les systèmes étrangers, qui est-ce qui connaît l’assurance ? » Bon, dans la santé c’est pareil : on va découper, on va dire : « Il y a la médecine, il y a l’hôpital, il y a le médicament, les aspects purement scientifiques. » […] Là où en 1995 ou en 2002, avec [Claude] Pigement qui s’occupait de santé avec moi, tous les deux on faisait tout, en 2007 c’était plus possible, voilà. On avait mobilisé d’autres gens, sous le double effet – parce qu’encore une fois les phénomènes s’additionnent, ou se multiplient – de la montée des demandes, des sollicitations de toute part, et de la technicisation des sujets, etc. [25].

45Mais, précisément du fait de la multiplicité d’intérêts dont ce type de travail politique peut être investi, les mobilisations programmatiques socialistes existent autant comme la rencontre entre l’équipe d’un candidat et les autres acteurs de la campagne que comme une période où se catalysent les luttes internes à l’entreprise partisane. La perspective gouvernementale exacerbe des oppositions qui se jouent des postes tels qu’ils sont fixés par les organigrammes : les logiques de désectorisation qui encadrent les interactions de campagne épousent la différenciation des intérêts au sein même des équipes. En 2012, après que Jean-Jacques Urvoas a été dessaisi des questions de sécurité au profit d’un proche de François Hollande (François Rebsamen), le secrétaire national a mis souterrainement ses réseaux au sein des syndicats policiers au service d’un autre candidat virtuel à la Place Beauvau – Manuel Valls : la campagne a moins consisté à dérouler les propositions élaborées durant plusieurs années au sein du parti qu’elle n’a exprimé les luttes de place entre socialistes (Cos, 2016).

46Ces concurrences n’opposent pas uniquement les acteurs en mesure de postuler à une fonction ministérielle, ou même ceux qui, chez certains experts ou hauts fonctionnaires, aspirent à peupler les cabinets (Zittoun, 2001 ; Béroud, Taiclet, 2016). Elles mettent également aux prises différents porteurs d’intérêts qui, en fonction de leurs ressources (habilitation officielle à parler au nom du parti, expertise technique, monopole corporatiste), cherchent à faire prévaloir leurs orientations en matière de (non-)réforme de l’action publique [26]. En 2012, les questions « environnement, développement durable et énergie » sont officiellement confiées à Marie-Hélène Aubert. Faiblement pourvue en ressources partisanes [27], ses prises de position sur la filière Mox ou la fermeture de Flamanville ont été régulièrement contournées à la fois par certains acteurs supposés être sous sa responsabilité (François Brottes), ou d’autres positionnés dans l’entourage direct du candidat (Bernard Cazeneuve) et plus ou moins directement liés au lobby nucléaire. En entretien, un conseiller technique souligne « l’opacité » du dispositif :

47

C’était assez opaque. On ne savait pas du tout comment ça fonctionnait pour le niveau Hollande. En gros, c’était envoyé officiellement à Hollande mais traité par son équipe proche de dix ou d’une quinzaine de personnes, qu’on ne pouvait pas trop identifier. […] D’un seul coup on a eu une vague de gens d’Areva, d’EDF, et de RTE qui sont arrivés dans les groupes d’experts, et même parfois qui ont fait leurs propres études, qui [nous] ont court-circuité en les envoyant directement à Hollande. Ça, on l’a vu, ça a été massif, très rapide et très efficace. […] La direction du pôle a envisagé de démissionner de manière collective, un peu plus tard dans la campagne, sur des problèmes comme ça de court-circuitage récurrent où le canal nucléaire classique grillait tout systématiquement, où les travaux du pôle disparaissaient, n’avaient plus aucun écho. Et c’étaient d’autres qui s’imposaient en disant « voici les travaux du pôle », alors qu’il y avait aucun consensus sur ce qu’ils envoyaient [28].

48Au total, les campagnes consistent moins à « dérouler » des propositions qu’elles ne forment un espace en soi, à l’intérieur duquel les biens programmatiques qui s’y fabriquent obéissent à des rationalités qui, pour une part substantielle, lui sont endogènes. La production des biens programmatiques condense les transactions entre trois marchés enchâssés : celui, d’abord, qui met aux prises les partis entre eux pour la conquête des suffrages ; celui, ensuite, reliant les équipes partisanes à l’espace arbitral qui, en même temps qu’il évalue les propositions, contribue à en faire évoluer le contenu ou à en générer de nouvelles ; celui, enfin, qui oppose les entrepreneurs socialistes entre eux. En campagne, la valeur d’usage des politiques publiques existe ainsi d’emblée en tant que valeur d’échange entre les opérateurs de ces trois marchés.

« Programmer » l’action publique ?

49La consistance pratique des mobilisations programmatiques tient à ce qu’elle s’ajuste à l’agencement multisectoriel des interactions de campagne, à ce qu’elle supporte donc une grande diversité d’usages – réactivité au décodage journalistique, courtage d’intérêts sectoriels, luttes pour la préfiguration des positions de pouvoir, etc. Il s’ensuit que les produits programmatiques que fabrique l’entreprise socialiste n’obéissent à aucun modèle standardisé – a fortiori celui du projet de loi prêt à l’emploi. Dans ces conditions, comment la virtualité de l’exercice du gouvernement (en tant qu’activité de production des réformes) existe-t‑elle dans les pratiques de campagne ?

50Il n’y aurait guère de sens à vouloir dégager une « loi » intangible qui ramasserait la façon dont cette rationalité gouvernementale opère ex ante : en dernière analyse, chaque enjeu est redevable d’une analyse spécifique lors de chaque campagne. L’exploration des enjeux économiques durant la campagne de 2012 invite néanmoins à resserrer l’identification des liens entre la mobilisation des équipes de campagne et l’anticipation des réformes à conduire. Elle permet d’esquisser le double plan, diachronique et synchronique, au sein duquel opèrent ces équipes. Le premier correspond à la tension entre les luttes internes pour le cadrage des propositions programmatiques, et le bricolage imposé par le jeu relationnel de la campagne. Le second renvoie aux écarts entre la mobilisation publique des propositions programmatiques et les transactions feutrées qui, en parallèle, visent à aménager le cadre des négociations futures avec les acteurs sectoriels concernés.

51Entre 2010 et 2012, la montée d’une préoccupation pour le creusement de la dette publique et la politique fiscale imputée à Nicolas Sarkozy ont fixé une partie des évaluations critiques du gouvernement sortant. C’est dans ce contexte que les débats internes au PS accordent une place importante aux enjeux fiscaux, qui se structurent progressivement autour de deux pôles principaux. Le premier s’articule autour des travaux parlementaires de certains députés socialistes (Didier Migaud puis Jérôme Cahuzac) et de leurs équipes : depuis plusieurs années, ils ont ferraillé contre la politique d’allègement fiscal du gouvernement Fillon et plaident pour une révision des taux d’imposition qui permette de réduire le déficit public. Le second pôle correspond aux relais internes de l’entreprise intellectuelle de Thomas Piketty [29], qui s’articule d’une part à la dénonciation du caractère régressif du système d’imposition français, et d’autre part à la proposition de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG dans un « nouvel impôt sur le revenu », qui combinerait le haut rendement de la CSG à la vocation progressive de l’IR.

52Au terme de la victoire de François Hollande à la primaire [30], c’est le premier de ces deux cadrages – budgétariste et redistributif – qui s’impose. C’est en effet en vue de récupérer 30 milliards d’euros qu’ont été pensées les différentes mesures du programme : le plafonnement des niches fiscales à 10 000 euros par an, l’annulation des différents allègements de l’imposition du patrimoine, et l’introduction d’une nouvelle tranche marginale à 45 % (au lieu des 41 % antérieurs). Le cadrage de l’offre fiscale du candidat se définit ainsi dans un double écart aux propositions de Piketty. D’une part, la proposition de fusionner IR et CSG, pourtant validée quelques mois plus tôt dans le projet socialiste, est formulée de façon délibérément ambiguë, évoquant une « fusion à terme » des deux impôts. D’après le témoignage de certains participants aux derniers arbitrages validant le programme du candidat, une réforme de structure aussi lourde que la fusion de l’IR et de la CSG est apparue plus coûteuse qu’elle ne garantissait à court terme le surplus de recettes attendu pour satisfaire les objectifs – drastiques – de réduction des déficits [31]. D’autre part, le barème proposé par Piketty, qui fixait la tranche marginale à 60 %, est écarté au motif qu’il risquerait d’encourager l’exil fiscal, au profit d’un taux situé dans l’étiage des propositions de certaines formations concurrentes (François Bayrou proposant ainsi un taux maximal à 50 %).

53En somme, la fabrique du programme fiscal n’a pas simplement consisté à se distinguer du président sortant, mais a mis en jeu d’importantes luttes de cadrage sur la nature des réformes à conduire. Le 27 février – soit un mois après l’officialisation de son programme – François Hollande annonce pourtant vouloir instaurer une tranche supplémentaire à hauteur de 75 % pour les revenus supérieurs à un million d’euros mensuels. L’idée d’une surtaxe est validée à l’occasion d’une réunion confidentielle réunissant François Hollande et quelques-uns de ses proches conseillers [32]. « L’improvisation » des 75 % est réglée par la dynamique de campagne : dans le courant du mois de février, plusieurs instituts font état à la fois d’une tendance à la baisse des intentions de votes prêtées au candidat Hollande, et d’une augmentation continue de celles de Nicolas Sarkozy et de Jean-Luc Mélenchon, susceptible de s’attirer une partie de la clientèle électorale de Hollande [33]. La proposition ne concerne que quelques milliers de contribuables (moins de 3 000 foyers), et ne rapporte virtuellement qu’un surplus de recettes assez modique (200 à 250 millions d’euros) : sur le plan financier, elle ne s’écarte que modérément du cadrage initial. Mais elle constitue un bricolage tactique permettant d’entretenir le stigmate du « président des riches », tout en entamant l’espace symbolique de Jean-Luc Mélenchon.

54Le plan des interactions de campagne ne suit pas simplement des modulations diachroniques, mais s’étire aussi selon différents espaces dont les niveaux de publicité apparaissent très contrastés. En 2012, dans un contexte où l’arrivée possible de la gauche au pouvoir aiguise l’hypothèse d’une attaque spéculative sur la dette française, les mobilisations pour aligner les intérêts des différentes parties prenantes de la campagne ont notamment mis aux prises certains membres de l’équipe de campagne et de hauts représentants du secteur financier. En entretien, Karine Berger, qui a joué informellement ce rôle de courtière en crédibilité socialiste, rend compte du road show programmatique que certains acteurs financiers lui ont imposé.

55

Dès janvier on a des demandes d’investisseurs, de banques, qui disent : « Est-ce que quelqu’un peut venir défendre le programme de Hollande devant nos investisseurs ? » […]. Donc je rencontre des tas de gens, des investisseurs, des salles pleines et tout. Et j’arrive à un déjeuner, il y avait vingt mecs autour de la table, et en face de moi j’avais le patron de la branche dette de BlackRock qui est le principal hedge fund [détenteur de titres de la dette française]. Le type commence le déjeuner, très désagréable ; il sort son portable, il dit : « Bon, écoutez, vous avez une demi-heure, et en fonction de ce que vous me dites, je passe un coup de fil et puis on vend ou on achète la dette française d’ici dimanche. » Je vous assure que ce jour-là… parce que si BlackRock vendait, c’était terminé… La France partait en attaque spéculative […]. Mon job, c’était […] d’expliquer ce qu’on voulait faire et qu’on avait bel et bien l’intention de réduire le déficit, de continuer à payer nos intérêts de dette. Je disais : « Mais regardez le fascicule ! » Il y avait tout, tous les chiffres, tout, c’était transparence totale, et c’était exactement ce qui a été mis en place : en termes d’annonce de ce qu’on allait faire en termes d’impôts et de dépenses, tout y était, les cinquante milliards [de réduction des dépenses publiques], ils y étaient brut de décoffrage [34] !

56Entre la mi-février et la fin du mois de mars – soit en parallèle de ces négociations avec les investisseurs, et au moment où l’équipe Hollande remarque son discours sur la question redistributive – l’équipe de Terra Nova prépare un rapport confidentiel portant sur une « politique globale de compétitivité pour la France ». Le texte, cosigné par Olivier Ferrand et Louis Schweitzer (président d’honneur de Renault), résulte d’une série de 27 « entretiens individuels » avec les dirigeants de certaines des plus grandes entreprises françaises (BNP Paribas, Axa, Vinci, Orange, Casino, etc.) [35]. Sa confection s’est également adossée à deux séminaires rassemblant 22 autres hauts dirigeants patronaux, le premier associant Michel Sapin (responsable du programme du candidat) le 12 février, et le second Laurent Fabius (chargé du calendrier des réformes) le 28 mars. D’après le témoignage de l’un des rédacteurs du rapport, les deux dirigeants socialistes s’étaient alors livrés à « une écoute bienveillante » des doléances patronales, dans le cadre d’une « discussion entre grandes personnes [ayant] l’habitude de se parler », et dont la portée s’était mutuellement interprétée comme un « geste de pacification [36] ». De ce point de vue, l’assemblage du rapport valait sans doute autant pour ce qu’il fixait d’un programme de réformes potentiel attentif aux préoccupations patronales (stabilité des règles fiscales, pérennité du crédit Impôt recherche, baisse du coût du travail par le transfert des « charges » sociales vers des ressources fiscales, etc.) que pour le canal de discussion qu’il a permis d’ouvrir avec les milieux économiques.

57À côté des projets de réforme stricto sensu, l’un des enjeux fondamentaux des transactions programmatiques consiste ainsi dans la constitution, l’entretien ou l’actualisation, avec certains des acteurs les mieux équipés en ressources, d’un intérêt collusif – celui de préparer les termes des négociations futures. Les biens programmatiques produits par l’entreprise socialiste résultent ainsi de l’issue – toujours précaire – des concurrences internes, des contraintes imposées par le temps court de la campagne, et des différents types de transactions qui préfigurent la conduite des réformes à venir.

Conclusion

58En interrogeant la manière dont les politiques publiques s’articulent aux objectifs, contraintes et ressources d’une entreprise de gouvernement, l’article montre d’une part que les politiques publiques existent à la fois comme un horizon légitimateur encastré dans l’ordinaire des pratiques partisanes, et comme une échéance virtuelle orientant la mobilisation des ressources en campagne. Il souligne d’autre part combien ce double ressort se réfracte selon les multiples valeurs d’usage (récolte des suffrages, compétitions intra- puis inter-partisanes, mise en jeu de sa crédibilité gestionnaire, fixation de coalitions réformatrices, préparation technique de l’échéance gouvernementale, etc.) dont sont investies les mobilisations programmatiques de l’entreprise socialiste. Partant, ce déplacement de la question classique de « l’influence » que l’on peut prêter aux partis sur l’action publique permet deux contributions principales.

59Premièrement, il invite à mieux qualifier ces derniers en tant qu’acteurs singuliers de l’espace des politiques publiques, et à souligner les insuffisances des catégorisations dont ils font ordinairement l’objet. D’un côté, leur activité programmatique échappe assez largement au présupposé séquentiel qui articule la mythologie démocratique (les partis portent des intérêts, qu’ils traduisent en propositions programmatiques, avant de les mettre en œuvre au pouvoir), et se trouve contrainte en permanence par les opérations des autres acteurs du champ du pouvoir. De l’autre, ils ne sont pas réductibles à de simples « forums de la communication politique » : leurs frontières avec les autres sites de production des politiques publiques sont particulièrement poreuses, et leur activité de « communication » est d’emblée inscrite dans des activités transactionnelles avec les acteurs (hauts fonctionnaires, groupes d’intérêt, organisations sectorielles) intervenant depuis ces autres sites.

60Deuxièmement, l’analyse permet de dégager un cadre interprétatif plus réaliste des « effets » des mobilisations partisanes sur la fabrique de l’action publique. Pour saisir la manière dont elles peuvent exercer une éventuelle « influence », il faut en particulier renoncer aux approches monolithiques des partis, et retrouver les plaidoyers (Mulè, 1997 ; Cos, 2019b) qui soulignent la difficulté à déterminer à quelle aune il est possible de mesurer cette influence. D’une part, les partis sont en permanence tiraillés par un factionnalisme qui rend difficile l’identification de leurs préférences « véritables », unanimement partagées par les membres de l’organisation. D’autre part, il faut également saisir la multiplicité des scènes qui s’ouvrent et se referment pendant les campagnes électorales, qui mettent en jeu l’activité des acteurs partisans, de leur personnel de renfort et des représentants mobilisés des différents secteurs d’action publique.

61Cette contribution plaide donc pour une analyse extensive et dynamique des mobilisations programmatiques, qui rapporte la pluralité des usages des propositions d’action publique à la diversité des marchés pour lesquels ils sont produits et au sein desquels ils circulent. Ce cadre d’analyse permettrait d’affiner la compréhension de la manière dont les gouvernements traduisent, ou ne traduisent pas dans l’action publique les préférences politiques discutées dans les arènes démocratiques.

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Notes

  • [1]
    On distingue classiquement le party in public office (correspondant à l’activité des élus au Parlement ou au gouvernement), le party in central office (les activités de la bureaucratie partisane) et le party on the ground, englobant cette fois militants et électeurs (Katz, Mair, 1993).
  • [2]
    On renvoie à l’introduction de ce numéro pour une analyse des liens entre légitimité partisane et politiques publiques tels qu’ils sont étudiés dans la littérature.
  • [3]
    Cette définition provisoire laisse de côté le fait que la revendication indigène du statut de « parti de gouvernement » constitue en soi l’objet de luttes de classements entre formations partisanes.
  • [4]
    Comptage réalisé à partir des archives Pierre Mauroy déposées à la Fondation Jean Jaurès. Ce fonds contient les « prévisionnels » préparés par les services centraux du parti, qui fixent un calendrier indicatif à partir des informations remontées par les différents secteurs (archives FJJ, 1 FP 04).
  • [5]
    Sous l’impulsion de responsables socialisés aux réformes managériales de l’action publique, la nouvelle direction a parallèlement procédé à un important renouvellement des équipes de permanents, désormais moins marqués par leurs attaches partisanes qu’ils ne sont sélectionnés en vertu de leurs compétences techniques. À l’époque, une trentaine de nouveaux auxiliaires, chargés d’assister les secrétaires nationaux en titre, est enrôlée sur la base d’un concours évaluant leur expertise sur les différents secteurs d’action publique pris en charge par le parti.
  • [6]
    Communiqué du Parti socialiste, 14 novembre 1995, archives FJJ, fonds Pierre Mauroy, 1 FP.
  • [7]
    La population a été constituée à partir des archives privées d’un responsable de la convention contenant les listes des différents groupes de travail. Elle n’est probablement pas exhaustive, mais elle est suffisamment fournie pour stabiliser certains enseignements statistiques (n = 109).
  • [8]
    Carole Bachelot a également souligné la prégnance des savoirs et des expériences de gouvernement au sein du SN et du bureau national – l’instance décisionnelle du parti : entre 1993 et 2003, ils comptent respectivement 35 % et 30 % de diplômés des grandes écoles (17 % et 15 % d’énarques), et 20 et 22 % de titulaires d’un diplôme de 3e cycle (Bachelot, 2008, p. 256).
  • [9]
    Entretien avec Jean-Jacques Urvoas, novembre 2011, Paris.
  • [10]
    Fonds Pierre Moscovici, archives de l’OURS, 98 APO.
  • [11]
    « Rapport moral pour l’année 2003-2004 », archives de l’OURS, 98 APO.
  • [12]
    Entretien avec le vice-président du Laboratoire des idées entre 2010 et 2012, Paris, mai 2014.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Pour les élections présidentielles, la commission des sondages a comptabilisé 111 opérations en 1981, 157 en 1995, et 409 en 2012.
  • [15]
    « Royal, entre stress et audace », Le Monde, 9 avril 2007.
  • [16]
    « M. Sarkozy rêve de retrouver les atouts de sa campagne de 2007 », Le Monde, 16 février 2012.
  • [17]
    « Hollande : “Je ne suis pas un candidat pochette-surprise” », Leparisien.fr, 11 avril 2002.
  • [18]
    [www.luipresident.fr/francois-hollande/sources-des-promesses] (consulté le 25 octobre 2019).
  • [19]
    « De nombreux lobbies se sont fait les porte-parole des électeurs », Le Monde, 24 avril 1995.
  • [20]
    On repère différentes formes de lobbying électoral dès les premières campagnes, dans la seconde moitié du xixe siècle (Courty, Gervais, 2016a).
  • [21]
    « Les lobbies attaquent », Libération, 19 avril 2002.
  • [22]
    Entretien avec Gilles Finchelstein, Paris, janvier 2014 (nous soulignons).
  • [23]
    Adossées à la légitimité que confère l’invocation des « chiffres » dans le débat public, les pratiques de fact-checking progressivement véhiculées par la plupart des rédactions journalistiques ont redoublé l’incorporation, au sein des émissions politiques, de différents dispositifs de décodage statistique. Pour la campagne de 2012, Libération alimente une rubrique « Désintox », qui voisine avec « Les Pinocchios de L’Obs », le « Contrôle technique » de Rue89, le « détecteur de mensonges » du JDD.fr ou le blog « Les décodeurs » du Monde.fr.
  • [24]
    À côté du site internet (chiffrages-déchiffrages2012.fr) publiant des estimations elles-mêmes assorties d’un « indice de précision » des évaluations avancées, l’IM noue un partenariat avec Les Échos et revendique des négociations en temps réel avec les équipes de campagne.
  • [25]
    Entretien avec Michel Yahiel, Paris, avril 2017.
  • [26]
    Guillaume Courty et Julie Gervais ont souligné la nécessité de ne pas durcir la frontière entre groupes d’intérêt et équipes de campagne, unis par des homologies de trajectoires et des parcours croisés (Courty, Gervais, 2016b).
  • [27]
    Après de longues années à militer chez les écologistes, elle n’a rejoint le PS qu’en 2011 et ne dispose alors d’aucun mandat électif.
  • [28]
    Entretien avec un conseiller « environnement » de l’équipe de campagne de François Hollande, Paris, juin 2012.
  • [29]
    Thomas Piketty compte parmi les économistes « proches » du PS. Quoiqu’il n’ait jamais été membre du parti, il a un temps participé à sa commission économique. En 2007 et 2008, il s’est rapproché de Ségolène Royal, dont il a écrit une partie de la motion au congrès de Reims. En janvier 2011, il cosigne l’ouvrage Pour une révolution fiscale, qui polarise rapidement une large part du discours public sur la question des impôts.
  • [30]
    Celui-ci a précocement inscrit la fiscalité parmi les thèmes prioritaires par lesquels il a cherché à singulariser sa candidature. Dans le fascicule qu’il publie en 2010 en prévision des primaires, il appelait à faire de la réforme fiscale « le grand enjeu de la campagne présidentielle » (Parlons de la France avec François Hollande, 2010, p. 46). Il s’est néanmoins employé à se distinguer des propositions de T. Piketty. Voir « Hollande-Piketty : confrontation sur la révolution fiscale », Mediapart, 28 janvier 2011.
  • [31]
    En entretien, l’un des experts participant à l’élaboration des propositions confirme cette structuration du cadrage : « On pilotait un objectif de rendement, très clairement » (entretien, Paris, mai 2017).
  • [32]
    « Comment François Hollande a préparé sa surprise sur l’imposition des plus riches », Le Monde, 1er mars 2012.
  • [33]
    « Le comparateur des sondages de la présidentielle – infographie », nouvelobs.com, 7 février 2012 (consulté le 5 juillet 2015). Quelques jours auparavant, la presse a largement relayé l’information selon laquelle les patrons du CAC 40 ont vu leurs rémunérations augmenter de 34 % en 2010.
  • [34]
    Entretien avec Karine Berger, Paris, mai 2014. La mandataire socialiste estime « avoir rencontré plus de la moitié des détenteurs de la dette française en volume ». « La tournée secrète des socialistes », Paris Match, 25 mai 2012.
  • [35]
    Olivier Ferrand, Louis Schweitzer, « Investir dans l’avenir. Une politique globale de compétitivité pour la France » [http://tnova.fr/system/contents/files/000/000/832/original/Politique_de_competitivite-rapport_Terra_Nova_1.pdf?1436950887] (consulté le 26 mars 2017).
  • [36]
    Entretien avec un haut fonctionnaire, membre du groupe de pilotage, Paris, mars 2017.
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