Couverture de GAP_194

Article de revue

Sortie(s) de guerre et conservation de la nature

Trajectoire d’un parc national au Mozambique

Pages 97 à 118

Notes

  • [1]
    À la veille et suite aux élections présidentielles et législatives de l’automne 2014.
  • [2]
    Groupe rebelle pendant le conflit civil s’opposant au Frelimo, de la fin des années 1970 jusqu’aux accords de paix en 1992. La Renamo est depuis lors un parti politique.
  • [3]
    Le leader de la Renamo est décédé en mai 2018, et Ossufo Momade l’a remplacé.
  • [4]
    Les causes du conflit armé actuel au Mozambique sont cependant plus larges et multi-dimensionnelles. Comme le souligne Morier-Genoud (2017), l’absence de politique officielle de réconciliation ou de justice transitionnelle a accentué l’exclusion de toute une frange de la population ; la Renamo demeure marginalisée politiquement face au Frelimo.
  • [5]
    Entretien avec l’administrateur du parc de Gorongosa, Maputo, août 2014.
  • [6]
    Les chiffres tourneraient autour de quelques centaines à quelques milliers de morts, et des milliers de réfugiés, au Malawi et au Zimbabwe.
  • [7]
    Le Mozambique est organisé en 12 provinces et 128 districts, organes déconcentrés de l’État. Le parc national de Gorongosa se trouve dans la province de Sofala, et est à cheval sur quatre districts.
  • [8]
    Ces enclaves peuvent être territoriales, comme des mines (voir Lickert, 2013), mais aussi ministérielles (voir Roll, 2011 ; Nakanabo Diallo, 2012).
  • [9]
    Même si cela peut être relativisé depuis la découverte en 2016 de dettes secrètes et illégales de la part du gouvernement d’un montant notoire (2,2 milliards de dollars). D’où la suspension de l’aide du FMI et des principaux bailleurs internationaux.
  • [10]
    Régime autoritaire sous la Deuxième République portugaise, de 1933 à 1974.
  • [11]
    Pour une évocation du parc de Gorongosa au temps colonial, sous la forme du récit de vie d’un chasseur professionnel ayant vécu dans la région, voir Serras Pires, Capstick (2001).
  • [12]
    Selon French (2009), il s’agit là essentiellement d’une décision politique et économique. L’augmentation de la surface du parc au début des années 1960 comprenait des terrains habités et cultivés, mais aussi des aires exploitées pour le bois par des concessionnaires privés. Aujourd’hui, le parc représente 4 067 km2.
  • [13]
    Terme portugais désignant des chefs traditionnels à l’échelle locale.
  • [14]
    La famine transforma par ailleurs l’aide humanitaire en arme, que le gouvernement utilisa fortement, en « récupérant » les populations sous contrôle de la Renamo via l’aide distribuée par les ONG.
  • [15]
    Concernant les élections législatives et présidentielle. Les autorités des districts sont quant à elles déconcentrées : elles sont donc l’incarnation de l’État sur le territoire, et plus précisément de l’État-parti Frelimo, dans la mesure où appareil de l’État et appareil du parti se confondent depuis 1975.
  • [16]
    Les logiques de recrutement et les loyautés de corps sont des questions qui n’ont malheureusement pas pu être abordées en entretiens lors de mes dernières enquêtes, du fait de leur nature particulièrement sensible.
  • [17]
    Par exemple, en octobre 2013, l’armée gouvernementale a pris le contrôle de la principale base de la Renamo dans la région de Gorongosa, avant d’investir et de démanteler une deuxième base de la Renamo. Des combats se sont ainsi multipliés, faisant régulièrement des morts et des blessés des deux côtés.
  • [18]
    En partie seulement car d’autres dynamiques sont en jeu, notamment liées à l’histoire ou encore à l’ethnicité.
  • [19]
    Outre la réhabilitation des structures touristiques du campement de Chitengo, il s’agit de créer un sanctuaire de la vie sauvage, visant à la réintroduction progressive de faune sauvage dans le parc.
  • [20]
    Entretien avec l’ancien business manager du parc national de Gorongosa, Maputo, 12 mars 2010.
  • [21]
    L’United States Agency for International Development (USAID) ayant participé au financement du sanctuaire de la vie sauvage.
  • [22]
    L’idée de privatisation de l’État a en particulier été développée par Hibou (1999), au sens d’extension de la logique du marché à l’opérationnalisation de fonctions étatiques. Cependant, l’idée est d’insister ici sur la privatisation de l’action publique, pour mettre l’accent sur ses modes de constitution, qui se nouent dans l’institutionnalisation d’organisations semi autonomes plus ou moins déconnectées de l’appareil étatique – lequel leur délègue une série de responsabilités et de missions qu’il n’est pas à même de mettre en œuvre. Sur cette question, voir Nakanabo Diallo (2011).
  • [23]
    Greg Carr a fait fortune dans les années 1980 dans l’industrie du voice mail, après avoir été diplômé en histoire de l’Université d’Utah, puis en politiques publiques et droits de l’homme à l’Université Harvard. À la fin des années 1990, après voir revendu sa société Boston Technology, il décide de créer et de présider une fondation, dédiée aux arts, aux droits de l’homme et à l’environnement.
  • [24]
    Ce montage institutionnel prévaut jusqu’en 2012, quand un administrateur est finalement nommé à la tête du parc national.
  • [25]
    Entretien avec le directeur de la conservation du parc, Chitengo, 26 mars 2010.
  • [26]
    Entretien avec le directeur des relations communautaires, Chitengo, 24 mars 2010.
  • [27]
    Entretien informel avec un technicien forestier du parc, Serra da Gorongosa, 29 juillet 2010.
  • [28]
    Les moyens dont dispose le PPP sont conséquents si on les compare aux administrations de la province ou des districts. Selon French, au début des années 1990 : « in 1994 only 55 medium and basic level forest and wildlife technical personnel made up the Provincial Services of Forestry and Wildlife and had only three four-wheel drive vehicles to patrol the entire province » (French, 2009, p. 294).
  • [29]
    Une première concession, Explore Gorongosa, gérée par un couple zimbabwéen, a ouvert à la fin des années 2000, et un appel d’offres a été lancé en 2010 pour de nouvelles concessions. Plusieurs nouvelles concessions ont été négociées dans ce cadre.
  • [30]
    Émergent en effet de plus en plus des « éco-barons », c’est-à-dire des individus ayant fait fortune (dans des industries comme le textile ou les nouvelles technologies) et qui décident de vouer une bonne partie de leur fortune à des projets philanthropiques – de plus en plus liés à la protection de l’environnement (Brockington et al., 2008 ; Brockington, 2009).
  • [31]
    Comme le documentaire du National Geographic sorti en 2007 et intitulé Africa’s Lost Eden. Il a raflé plusieurs prix dont meilleur film au Tourism Film Festival (Autriche) en 2010, et le Gold Dolphin Award dans la catégorie environnement et écologie au Cannes Corporate Media and TV Award.
  • [32]
    Selon un rapport de 2010 concernant la période 2008-2009, il y a eu 3 784 touristes en 2008 (1 569 nationaux et 2 215 étrangers), et 4 630 en 2009 (1 531 nationaux et 3 099 étrangers) (Equipa da gestão do PNG, 23 mars 2010, p. 2).
  • [33]
    Communication personnelle, Vunduzi, district de Gorongosa, 25 mars 2010.
  • [34]
    Entretien avec un technicien du département des opérations et infrastructures, Chitengo, 24 mars 2010.
  • [35]
    Communication personnelle, représentant de la direction provinciale du Tourisme, Chitengo, 27 juillet 2010.
  • [36]
    Communication personnelle, Chitengo, 31 mars 2010.
  • [37]
    J. M de Aguiar Macedo (1970), « Serra da Gorongosa : Necessidade e Bases da Sua Protecção », Comunicação, 44, Lourenço Marques, Instituto de investigação agronómica de Moçambique.
  • [38]
    Voir notamment les communications du panel « Protecting an African Eden ? Conservationnists, Communities and Collaboration in Mozambique », organisé en novembre 2010 lors du congrès annuel de l’African Studies Association à San Francisco. Ce panel a été organisé en réponse au vif débat entre ces anthropologogues et Greg Carr sur la liste de discussion H-Africa. Le directeur des relations communautaires, y a présenté une communication d’explicitation du projet du Gorongosa Restoration Project.
  • [39]
    Communication personnelle, Chitengo, 22 juillet 2010. Lors de cette communication personnelle, qui eut lieu lors d’un repas à Chitengo en présence de Greg Carr, celui-ci s’étonna auprès de moi des propos du représentant du ministre, que je lui traduisais : « Mais pourtant, le ministère du Tourisme est là, il participe à la gestion du parc. »
  • [40]
    Pour reprendre les termes du directeur de la conservation du PPP (communication personnelle, Chitengo, 22 juillet 2010).
  • [41]
    Les premiers opérant autour du massif de la Serra, et les seconds manipulant les technologies d’écoute et des armes lourdes contre le « réduit montagnard de Dhlakama » (Morier-Genoud, 2017, p. 171).

1Au centre du Mozambique, autour du parc national de Gorongosa – fleuron des politiques de conservation de la nature dans le pays – l’ordinaire, depuis la période coloniale, c’est l’état de guerre. D’abord du fait des situations conflictuelles qui opposent populations locales et autorités du parc : comme ailleurs en Afrique (Anderson, Grove, 1987 ; Beinart, McGregor, 2003), les politiques de conservation ont en effet été presque systématiquement synonymes de relocation d’habitants, et d’impositions de réglementations relativement à l’usage de la terre, d’où une forte défiance, ancienne, des populations vis-à-vis de l’entité parc, mais aussi des autorités gouvernementales d’une manière plus générale. Ensuite, en raison des vives tensions entre 2013 et 2016 [1] entre Frelimo (Frente de libertação de Moçambique), au pouvoir depuis l’indépendance en 1975, et Renamo (Resistência nacional moçambicana) [2], liées à la demande du leader historique de la Renamo, Afonso Dhlakama [3], d’une nouvelle loi électorale et d’une renégociation des accords de paix de 1992 [4]. Les populations du centre et du nord, rurales et historiquement pro Renamo, sont par ailleurs celles qui ont le moins bénéficié de la croissance économique de ces dernières années. Les confrontations armées récentes seraient ainsi, selon Michel Cahen, l’expression militaire de problèmes sociaux et politiques (Guilengue, 2016). Enfin, en lien avec la façon dont les autorités gouvernementales labellisent, même pendant des périodes a priori apaisées (par exemple pendant les années 2000) la situation dans la région, définie comme une « zone de guerre » – discours accompagné d’une présence sécuritaire plus ou moins intense selon les périodes. De quelques camions militaires sur les routes aux alentours du parc dans les années 2000, en 2015-2016 des centaines, voire des milliers de soldats sont concentrés autour de la Serra, massif montagneux situé en bordure du parc, où se cachait Dhlakama depuis 2013 (Morier-Genoud, 2017). Ainsi que le relatait en août 2014 l’administrateur du parc :

2

Depuis un an et demi, il y a eu une grosse baisse de la fréquentation touristique. On est passé en 2013 de 3 000 touristes à 120 en 2014, pour le premier semestre. La situation est très difficile avec la Renamo : il y a des braconniers qui faisaient de la pêche illégale dans le lac Urema pour nourrir les troupes de la Renamo. Elles étaient parfois près d’une centaine à traverser le parc, à intimider les gardes du parc. Du coup on a fermé le poste de contrôle à Casa Banana. Moi, je dormais toujours tout habillé, avec mes chaussures, le GPS, au cas où… C’était comme ça avant, il fallait aussi être prêt à partir à n’importe quel moment. Mais Chitengo (le campement principal du parc) n’a jamais été attaqué, ils ne sont jamais entrés [5].

3N’étant pas revenue sur le terrain mozambicain depuis trois ans, j’ai ainsi été frappée par la résurgence des tensions politiques (régulièrement meurtrières) [6] entre Frelimo et Renamo, dont une bonne part se localise précisément autour de Gorongosa, et plus précisément dans la Serra (dont le sommet fait partie du périmètre du parc national depuis 2010). Cet affrontement politico-guerrier y prend littéralement chair, mais il alimente aussi un vieil imaginaire collectif autour de la symbolique d’un espace naturel dont le contrôle (ou du moins la prévention des attaques) est synonyme de victoire militaire et de domination politique à l’échelle nationale. Au-delà de cet imaginaire, cette région est un lieu de luttes entre le pouvoir et son opposition, dans deux configurations successives : Gorongosa et la montagne de la Serra sont un lieu de refuge efficace pour des opposants ou des rebelles – le Frelimo pendant la lutte de libération nationale contre les Portugais, puis la Renamo depuis la fin des années 1970.

4Sur la longue durée, cet espace échappe donc en partie à l’État. D’abord parce qu’il n’est jamais complètement maîtrisé par aucune force politique ou militaire. Ensuite et plus récemment, parce que depuis 2008 débute un projet de restauration du parc national), appelé le Gorongosa Restoration Project, financé par une fondation philanthropique américaine, la Fondation Carr, dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), avec l’État mozambicain, dont l’ambition est de redonner vie à la « perle du Mozambique », en conjuguant reprise du tourisme et développement des populations locales. Ce projet représente l’investissement d’une quarantaine de millions de dollars sur vingt ans de la part de la Fondation, ainsi qu’une nouvelle temporalité des politiques de conservation : alors que l’État central était jusque-là aux manettes de la gestion du parc, ce sont désormais pour l’essentiel des acteurs privés qui gèrent le parc (dont des Mozambicains censés représenter l’État dans le PPP, mais directement rémunérés par la Fondation), d’où une dynamique de privatisation de l’action publique, où État central (via le ministère du Tourisme à Maputo, la capitale, en charge des aires de conservation) et local (via les antennes déconcentrées du ministère à l’échelle de la province et des districts [7]) ne semblent guère avoir de prise. Le PPP acte à ce titre une déconnexion partielle du parc d’avec l’État – en écho avec les phénomènes d’enclaves semi-autonomes irriguées par de l’aide ou des investissements internationaux [8].

5Alors même que le pays est officiellement dans une situation de post-conflit, que le mandat de maintien de la paix des troupes des Nations unies au Mozambique (ONUMOZ) a pris fin en janvier 1995, que le Mozambique est depuis lors considéré comme un « chouchou des bailleurs [9] », c’est bien le conflit, ou la possibilité du conflit, qui innerve le quotidien en général, et l’action publique de la conservation en particulier. L’ensemble des acteurs qui y prennent part – membres de l’équipe de gestion du PPP, représentants de l’État central et local, ONG, populations locales – réactivent, au gré de leurs interactions, la tension que représente le parc national : lieu de refuge pour l’opposition et vitrine nationale à contrôler pour le pouvoir en place. Avec le PPP, l’action publique de la conservation modifie les pratiques bureaucratiques et reconfigure le rapport au territoire – mais cela n’empêche pas des résistances à ces transformations du fait de la politisation préalable du territoire. Ainsi, grâce à un travail d’archives et à une série d’entretiens menés entre 2009 et 2014, essentiellement avec les membres de l’équipe du PPP et des représentants des organes déconcentrés de l’État, cet article interroge sur la longue durée, le caractère profondément indéterminé de la notion de « sortie de guerre » – les logiques conflictuelles se multipliant et se superposant à la faveur des différentes guerres : la guerre de libération nationale, le conflit civil et la résurgence récente des tensions entre Frelimo et Renamo. Or, ces confrontations armées se nouent autour des politiques publiques de conservation. À ce titre, c’est bien la relation élastique entre ces politiques et la permanence de la guerre qui pose question.

Un parc en « état de guerre » depuis la fin de la période coloniale

6Les dynamiques conflictuelles entre populations locales et l’aire protégée sont fort anciennes, et n’ont de cesse d’être réactivées. Elles se superposent à des périodes de conflit armé (guerre de libération nationale contre les Portugais, puis conflit civil Frelimo vs Renamo) et à des périodes de ni guerre ni paix entre le Frelimo et la Renamo depuis les accords de paix de 1992.

7Avant la mise en place d’une administration directe par les Portugais, des compagnies privées gèrent sous forme de concession les régions au nord et au centre du pays. Ainsi, en 1892, la Compagnie du Mozambique (Companhia de Moçambique) commence à prendre en charge l’administration des territoires de Manica et de Sofala, au centre du pays (French, 2009), et crée notamment la réserve de faune de Gorongosa en 1920. Jusque-là, la Compagnie profitait de la faune sauvage par la vente d’ivoire et de licences de chasse dans le cadre de la chasse sportive. Mais en 1920, l’objectif est de réserver les activités liées à la faune aux seuls membres de la Compagnie. L’ambition n’est pas la conservation de la vie sauvage ou de la biodiversité en général, mais plutôt la création d’une zone où la Compagnie puisse monopoliser l’exploitation de la faune pour la viande et l’ivoire (Rosinho, 1968), tout en interdisant la pratique de la chasse aux populations locales. Dans la dynamique de la Convention de Londres de 1933, qui encourage la création et le développement de parcs nationaux, la réserve passe de 1 000 km2 à 3 200 km2. L’augmentation de ce périmètre implique davantage de restrictions pour les populations, qui se voient privées de chasser et de pêcher, mais aussi de pratiquer l’agriculture sur ces terres arables.

Parc national de Gorongosa

figure im1

Parc national de Gorongosa

8La présence de la réserve se fait plus forte lorsque le gouvernement colonial prend en charge son administration au début des années 1940 – dans le contexte plus large où le Portugal de l’Estado Novo [10] entend gérer les colonies avec une administration unique et une seule économie (Newitt, 1995). C’est l’époque où les politiques de conservation en Afrique se détournent du modèle de conservation pour l’usage (conservation for use model) pour se tourner vers des modèles dits scientifiques et préservationnistes, où l’objectif premier est d’attirer le plus de touristes possible, en mettant en avant la préservation de la faune sauvage : transformer les aires protégées en destinations touristiques et de chasse sportive est de plus en plus considéré comme particulièrement lucratif. Cette nouvelle vision des choses est reprise au Mozambique. Elle implique la mise à l’écart des populations, conformément à ce que l’on appelle la conservation forteresse (fortress conservation) (Brockington, 2002 ; Carruthers, 1997). Ainsi, en 1948, le gouvernement colonial entreprend la relocalisation de populations situées sur le versant de la Vallée du Rift pour les déplacer au sud et à l’est de la Serra de Gorongosa, situé au nord-ouest du parc – sans offrir ni compensation, ni assistance. Selon les estimations de Galli (2003) et de French (2009), la population du district de Gorongosa représentait à l’époque environ 25 000 personnes. Un quart de cette population était concerné par la politique de relocalisation et a dû quitter la réserve, soit 6 000 habitants.

9En 1955, le département des services vétérinaires prend en charge l’administration de la réserve – autrefois gérée par la Commission pour la faune. La réserve devient parc national en 1960 et son périmètre augmente jusqu’à 5 300 km2[11]. L’objectif du nouvel administrateur est de développer une industrie touristique et de safari. De fait, dans les années 1950 le nombre de visiteurs augmente considérablement : 1 361 en 1952, 6 096 en 1960 et 8 203 en 1965 (Rosinho, 1968). Le développement du parc s’accompagne du renforcement de la présence de gardes, qui ont pour tâche d’empêcher le braconnage, en forte expansion, notamment du fait de la croissance de la population nouvellement installée, attirée par la fertilité et la productivité agricole de la région. Pour le district de Gorongosa, Galli (2003) dénombre 52 000 personnes à la fin des années 1960. D’où une plus grande pression sur la terre. Or, la plupart de ces nouveaux venus se sont pour la plupart installés sur des terrains situés toujours plus hauts sur la Serra da Gorongosa. En 1966, le périmètre du parc est réduit et atteint 3 770 km2[12]. La fin des années 1960 est également l’époque où le siège du parc est installé à Chitengo, avec un vétérinaire venu de Lisbonne comme administrateur.

10Les années suivant la création du parc national de Gorongosa ont ainsi été synonymes de présence et de contrôle de l’État vis-à-vis des populations locales et de leurs pratiques et usages des ressources naturelles. Ce contrôle se manifestait par la présence paramilitaire, mais aussi par le développement d’un discours préservationniste stigmatisant lesdites pratiques locales, en vertu de la défense d’une nature intouchable, caractéristique de ce type de narration – qualifiée par certains auteurs de mythe de l’Afrique sauvage (Adams, McShane, 1992). D’où le développement précoce chez les populations locales de réactions de forte défiance vis-à-vis de l’entité parc, et plus généralement du pouvoir central. Comme le rapporte Schuetze (2015), l’époque coloniale a été synonyme pour les habitants d’épisodes violents de dépossession des terres – qui relevaient jusque-là de la juridiction des « Régulos », chefs traditionnels [13]. Le Régulo de Khanda (situé sur les pentes de la Serra) dit ainsi : « Ici, tout appartenait aux Régulos. Chaque Régulo avait sa population. Et quand les Portugais sont venus, les gens vivaient ici […]. Quand ils sont arrivés, ils ont trouvé des animaux de toutes sortes. Et ils ont exclu les gens… Cette zone qu’ils appellent “parc” – ici dans le parc ils ont jeté dehors le Régulo Chikale, le Régulo Nyanguwo, le Régulo Tambara : “Allez vousen ! Allez vous-en !” » (Schuetze, 2015, p. 146.)

11Or, cette présence et ce contrôle de l’État colonial sont remis en cause à la fin des années 1960, avec l’expansion de la guerre de libération nationale menée par le Frelimo. L’État colonial entend dans un premier temps maintenir le parc en état de fonctionnement, en tant qu’expression de la souveraineté coloniale et de son prestige. En parallèle, les autorités mettent en place une politique de villagisation consistant à concentrer les populations afin de mieux les contrôler. Ce projet a pour conséquence un nouveau fort mécontentement des populations locales, la poursuite des installations et donc des cultures sur les flancs de la Serra. Ce lieu n’est pas neutre : dès cette époque, il a la réputation d’être un espace de refuge pour ceux qui échappent au contrôle colonial. Et c’est précisément dans ce massif montagneux que le Frelimo choisit à cette époque d’installer des bases pour mener ses opérations dans les provinces de Manica et de Sofala. Pourtant, l’exaspération des populations locales vis-à-vis du pouvoir colonial, conjuguée à l’avancée de la guerre d’indépendance, n’empêche pas la poursuite des activités touristiques dans le parc national. Des troupes portugaises s’installent à Chitengo, d’où elles mènent des actions de défense de la région. Le parc enregistre même une fréquentation record de touristes – en majorité européens – en 1973, avec 20 000 visiteurs.

12À l’indépendance en 1975, le gouvernement du Frelimo confirme que les aires protégées sont des atouts nationaux, symboles de la souveraineté de l’État. Gorongosa demeure un emblème national : il est l’un des premiers parcs à être (ré)investi par l’administration postcoloniale, dès 1977, via la direction nationale de la Faune sauvage et des Forêts. Parallèlement, dans le cadre de sa politique de socialisme rural, le Frelimo met en œuvre un programme de villagisation à l’échelle nationale – qui rappelle dans ses modalités l’entreprise coloniale (Paulo Borges Coelho, 2018). Les débuts du conflit armé avec la Renamo, dès la fin des années 1970, fournissent au Frelimo une justification supplémentaire pour amener les populations dans ces villages. Or, les réactions à la villagisation sont négatives, comme dans le reste du pays (Geffray, 1990). La majeure partie de la population refuse d’y participer et accepte de collaborer avec la Renamo, du moins dans un premier temps. L’adhésion d’une bonne partie de la population locale à la Renamo était avant tout matérielle, avant que d’être idéologique : soutenir la Renamo (en nourrissant ses troupes notamment), c’était pouvoir revenir sur leurs terres ancestrales (une dimension spirituelle étant donc présente) et échapper aux villages communaux (Pereira, 2006). De nombreux chefs locaux ont par ailleurs été séduits par la valorisation de leur statut et de leur rôle, qui avaient été bafoués par le Frelimo. C’est dans la montagne de la Serra que la Renamo installe ses bases, comme l’avait fait le Frelimo pendant la guerre de libération. Une attaque de la Renamo, en décembre 1981, vise Chitengo, dont elle détruit les infrastructures – la plupart du personnel parvient à s’enfuir (Hatton et al., 2001). Les troupes du Frelimo (les Forces armées du Mozambique – FAM) restent basées à Vila Gorongosa, capitale du district de Gorongosa, en bordure du parc. Elles parviennent à reprendre temporairement le contrôle de Chitengo au milieu des années 1980, mais la Renamo attaque de nouveau et établit à Chitengo l’une de ses bases.

13Si la politique de villagisation du Frelimo n’emportait pas les faveurs de la population, et si les troupes gouvernementales (tout comme celles de la Renamo) ont pu pratiquer la terreur, la plupart des habitants vivant dans des zones contrôlées par la Renamo finissent par rejoindre les villages protégés par le Frelimo à la fin des années 1980. Le mécontentement des populations à l’égard de la Renamo va en effet croissant : le mieux-être matériel promis ne se concrétise pas, les impôts à payer sont importants, et les épisodes répétés de sécheresse sont de plus en plus interprétés par les chefs locaux comme une punition des ancêtres contre les abus de la Renamo (Pereira, 2006 ; Bornstein, 2008). La sécheresse, outre qu’elle participe à une érosion de la légitimité de la Renamo dans les zones qu’elle contrôle [14], a aussi pour conséquence une augmentation de la chasse au sein du parc – déjà largement pratiquée par les troupes des deux camps, à la fois pour se nourrir et pour trouver des fonds avec la vente d’ivoire et de cornes de rhinocéros (Schuetze, 2015). Pourtant, même si le contrôle politique et social de la Renamo est fortement atteint lors de la signature des accords de paix en 1992, la Serra en est restée jusqu’à ce jour un bastion. On peut d’ailleurs supposer qu’un certain nombre d’ex-combattants a choisi d’y demeurer, à l’image des constats de Wiegink (2015) relativement à Maringue, autre bastion important de la Renamo dans la province de Sofala. De là la formation de réseaux extrêmement étroits entre anciens combattants, mêlant relations économiques, politiques et sociales. Ce faisant, conformément aux observations de Wiegink à Maringue, et comme le confirment les bons résultats électoraux de la Renamo [15] depuis 1994, la frontière entre civils et combattants en temps de guerre comme en temps de paix est a priori fort ténue : la population se considère comme étant « avec la Renamo » (Wiegink, 2015). L’emprise partisane persistante de la Renamo pendant et suite au conflit civil s’explique aussi par la perpétuation d’un sentiment de relégation (Cunguara, Hanlon, 2012) : des populations déjà marginalisées pendant les temps coloniaux ont eu tendance à soutenir la Renamo à l’ère de l’État post-colonial (Morier-Genoud et al., 2018).

14C’est dans ce contexte que le parc national de Gorongosa commence à être réinvesti et restauré par l’État, grâce à des fonds internationaux. En 1994, un programme financé par l’Union européenne et la Banque africaine de développement est d’abord mis en place, en collaboration avec les techniciens du département de faune sauvage du ministère de l’Agriculture à Maputo et des spécialistes de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). L’idée est d’impliquer les populations locales dans les décisions et les activités – rompant donc avec les mots d’ordre des périodes précédentes excluant toute participation des populations. Mais c’est bien le principe d’une séparation nette homme/nature qui est mise en avant, avec des discours restrictifs en termes d’usage des ressources. D’où une nouvelle vague de mécontentement des populations locales, d’autant plus que réapparaît un discours relatif à un projet de relocation des communautés résidant dans le périmètre du parc (soit plusieurs milliers de personnes). Le programme consiste en un plan d’urgence de dix-huit mois, visant à rétablir une administration dans le parc, un contrôle anti-braconnage, une reconstruction des infrastructures (bâtiments administratifs, pistes) ainsi qu’un début de déminage de la zone. Le plan envisage aussi d’inclure dans le périmètre du parc les parties de la Serra situées au-dessus de 700 mètres, ce qui représente une reprise des recommandations de l’époque coloniale, qui mettaient déjà l’accent sur le rôle-clé de la Serra dans l’écosystème du parc en tant que réservoir d’eau. Enfin, le plan commence la mise en œuvre d’un zonage, distinguant des zones de protection et des zones d’usage communautaire, dans la zone tampon du parc. Dans ces dernières zones, la chasse et les cultures sont réduites à la chasse et l’agriculture de subsistance.

15L’important ici n’est pas tant l’effectivité de ces interdictions/restrictions, puisque le parc n’a pas été en mesure de les mettre en pratique. C’est surtout le retour et le développement d’un discours normatif sur la conservation de la nature qui est à souligner, c’est-à-dire d’une politique publique spécifique avec un discours sur la zone accompagné de l’affichage d’intentions. En 1995, Chitengo commence ainsi à être réoccupé par une administration. L’équipe de gardes du parc est constituée pour moitié d’ex-combattants du Frelimo et d’ex-combattants de la Renamo – ce qui est toujours le cas aujourd’hui [16]. La composition sociale du corps des gardes est symboliquement forte en termes de dynamique de construction de la paix, mais elle confirme aussi la persistance de la Renamo dans le paysage partisan local, quand bien même le parti n’a aucune assise officielle (par exemple, une cellule du Frelimo est autorisée à Chitengo, ce qui n’est pas le cas pour la Renamo). Cependant, les tensions Frelimo/Renamo demeurent, et continuent de se cristalliser autour du parc national. C’est en effet dans la région de Gorongosa que la Renamo a enregistré parmi ses meilleurs résultats lors des élections législatives et présidentielle de 1994, 1999 et 2004. Or, cela ne s’est jamais converti en accession au pouvoir du parti sur la scène nationale, du fait du maintien au pouvoir du parti-État Frelimo depuis l’indépendance. Cette absence d’alternance et la multiplication d’élections contestées ont abouti à plusieurs appels au boycott des élections de la part de la Renamo, et surtout à une radicalisation des relations entre Renamo et Frelimo, en particulier dans le contexte pré-électoral des élections législatives et présidentielle de l’automne 2014. La presse et des représentants du Frelimo (mais aussi des hauts fonctionnaires lors de nos entretiens de l’été 2014) ont pu ainsi évoquer un véritable retour à la guerre : de tensions plus ou moins latentes, on est en effet passé à une situation de confrontations armées régulières, en particulier à partir d’avril 2013, lorsque la police lance une attaque contre les bureaux de la Renamo près de Gorongosa, ce à quoi la Renamo décide de répondre systématiquement et militairement le jour suivant (Morier-Genoud, 2017).

16Selon les termes des accords de paix de 1992, les troupes de la Renamo devaient être démobilisées et intégrées à l’armée régulière – objectif jamais pleinement atteint à ce jour, la Renamo étant à la fois un parti d’opposition parlementaire et un mouvement de guérilla potentiellement actif, avec des capacités de remobilisation. Cela explique en partie la tournure particulièrement violente qu’ont prise les relations entre les deux partis entre début 2013 et fin 2016 : la Renamo a repris les armes contre le Frelimo, donnant lieu à des échauffourées régulières (et souvent meurtrières) avec l’armée gouvernementale [17]. L’absence de complète démobilisation, mais aussi la forte prégnance de la Renamo au niveau local, permettent d’expliquer la rapidité de la mobilisation de cette dernière lors de la reprise des hostilités avec le Frelimo en 2013 : non seulement Dhlakama a pu continuer à se cacher dans le massif de la Serra sans y être retrouvé, mais des combattants ont été rapidement remobilisés pour mener des attaques et contre-attaques contre le Frelimo dans la région – tout comme ailleurs dans le pays (Morier-Gonoud, 2017). À ce titre, la reprise de la clandestinité de Dhlakama, dans la Serra de Gorongosa, jusqu’à sa venue éphémère à Maputo en septembre 2014 pour signer des accords de cessez-le-feu avec le président Armando Guebuza, puis pour sécuriser lesdits accords en février 2015 avec le nouveau président Felipe Nyusi, est le signe d’un contexte extrêmement fébrile et précaire. Cela est confirmé par le fait que Ossufo Momade, nouveau leader par intérim de la Renamo suite au décès de Dhlakama en mai 2018, se cache lui aussi dans la Serra, même si les tensions sont moins vives qu’en 2014-2015, et que l’activité touristique dans le parc national reprend peu à peu.

17Au début des années 2000, le parc national de Gorongosa n’est donc pas une terre neutre : les politiques publiques de conservation y ont un lourd passé, en termes de représentations et de pratiques articulées autour d’une nature présentée comme intouchable. D’où des mesures de relocation d’habitants en dehors du périmètre du parc, de contrôle des pratiques d’usage de la terre et des ressources des populations voisines du parc, ou encore de priorité donnée à des élites venues d’ailleurs pour l’accès à la faune. Autrement dit, les politiques publiques sont en partie marquées par un antagonisme entre administration du parc et populations locales, antagonisme qui marque les mémoires locales et alimente une défiance des populations vis-à-vis des politiques de conservation, et de l’État-Frelimo d’une manière générale. Or, ces logiques conflictuelles ont été nourries par le conflit entre Frelimo et Renamo au sortir de l’indépendance. La Renamo a pu en effet bénéficier jusqu’à aujourd’hui de la défiance vis-à-vis de l’État-Frelimo en termes de soutiens partisans. Surtout, l’action publique telle qu’elle prend forme depuis la signature du PPP entre la Fondation Carr et l’État mozambicain n’a de cesse d’être interprétée et vécue, par l’ensemble des parties prenantes, à l’aune de cette dynamique conflictuelle entre Frelimo et Renamo. En ce sens, politiques de conservation et permanence de l’état de guerre s’entremêlent : c’est en partie parce que les populations locales cultivent une défiance contre l’entité parc, et par ricochet contre le pouvoir central (le pouvoir colonial puis le pouvoir Frelimo), que la Renamo est à même de demeurer implantée et soutenue sur les pentes de la Serra [18], et que les programmes du PPP ne peuvent qu’être étroitement mêlés à des enjeux de domination politique, militaire et partisane sur la scène locale, malgré des affichages apolitiques. Le PPP est en effet directement associé à l’État-parti dans la conduite des politiques de conservation liées au parc national.

Conservation philanthrocapitaliste et privatisation de l’action publique

18La Fondation Carr développe des premiers projets à Gorongosa entre 2004 et 2007, dans le cadre d’un Memorandum of Understanding avec l’État mozambicain [19]. La formulation du PPP prend trois années de négociation, comme le raconte le business manager du parc de l’époque :

19

J’ai participé aux presque quatre années de négociation de l’accord. […] Ça a duré, car c’est une aire très marquée politiquement. Avec la Renamo et tout… et puis un Américain que personne ne connaissait, ça aussi ça a fait un peu peur. Mais il a commencé à investir de l’argent, avant même la signature de l’accord. C’est comme ça qu’il a gagné la confiance. Il fallait l’accord tacite de tous les ministres, pour que ça passe au Conseil des ministres [20].

20L’investissement pour « gagner la confiance » a été conséquent, aux environs d’une dizaine de millions de dollars [21]. La durée de la négociation de l’accord est remarquable, et cet extrait d’entretien souligne combien la délégation de gestion de cet espace-clé de l’histoire nationale à une entité étrangère est un enjeu délicat pour le sommet de l’État – quand bien même cette entité est censée être pour partie composée de Mozambicains dans le cadre d’un PPP temporaire et encadré. La dynamique de privatisation de l’action publique [22] qu’implique le déploiement d’un PPP ne cesse en effet de se heurter à un imaginaire national considérant Gorongosa à la fois comme la clé de voûte de la domination politique et comme le bastion de la résistance au pouvoir central.

21La signature d’un Long Term Agreement (LTA) en 2008 donne naissance au PPP, le Gorongosa Restoration Project, qui entend lier philanthropie et conservation : il représente l’investissement sur vingt ans de plusieurs dizaines de millions de dollars d’une fortune personnelle dans le but de réhabiliter le parc national de Gorongosa tout en y promouvant des programmes de développement par le tourisme dans la zone tampon. La gestion du parc, de même que la réduction de la pauvreté sont pensées selon des formules entrepreneuriales qui ont fait leurs preuves dans le succès économique du président de la Fondation Carr [23]. Ainsi, si en tant que parc national, Gorongosa dépend du ministère du Tourisme (et plus précisément de la direction nationale des Aires de conservation), le PPP est supervisé par un comité de supervision (oversight comittee) composé de Greg Carr et d’un représentant de l’État mozambicain, et il est organisé en départements, chacun étant dirigé par un directeur [24]. Cette organisation tranche avec l’usage au Mozambique, qui implique l’existence d’un administrateur du parc – ce qui était le cas jusqu’à la signature du LTA. Autrement dit, le PPP représente l’introduction de modalités originales de gestion, calquées sur un modèle de type managérial, et qui souligne une distanciation des modèles étatiques classiques, et de la présence de l’État en général. Ainsi, selon le LTA, la moitié des directeurs était censée être nommée par la Fondation, et l’autre moitié par le ministère du Tourisme. Dans les faits, c’est la Fondation qui a recruté puis nommé l’ensemble des directeurs et qui les rémunère, choix avalisé par le ministre du Tourisme – le directeur de la conservation et celui des relations communautaires étant mozambicains. Cette privatisation de l’entité parc national est d’emblée ressentie sur la scène locale où, selon l’administration du parc, le PPP n’est guère considéré comme partie intégrante de l’État. Au contraire, il serait le plus souvent vu comme une entité à part, et même privée. Selon, le directeur de la conservation :

22

Les attitudes qu’ont les gens autour du parc sont influencées par le fait que le parc est financé par un étranger dominant. D’où la perception que le parc a été vendu, ou loué. Donc l’attitude des personnes, dont les administrateurs des districts, c’est de croire que c’est une entreprise qui est là, et que donc elle n’a aucune autorité par rapport à eux [25].

23Ce point de vue est partagé par le directeur des relations communautaires :

24

Il y a des gens qui croient que le parc a été vendu aux Américains, qu’il n’appartient plus à l’État. On considère le parc comme une entité privée [26].

25Cela rejoint les propos d’un technicien forestier du parc :

26

Le terme « parc » fait peur aux gens, ils ne l’aiment pas. Ils l’associent à la conservation, pour eux ça veut dire interdiction de mener leurs activités et introduction de faune sauvage. Non, ils ne l’associent pas au gouvernement, à l’État [27].

27Ces conceptions émanent de membres du PPP : il n’a malheureusement pas été possible d’obtenir des entretiens avec les administrateurs de districts ou des membres des gouvernements de districts. Si l’on peut supposer que les représentants de l’État local considèrent le PPP non comme une incarnation de l’État, mais comme une entité privée, les perceptions sont vraisemblablement plus complexes concernant les populations locales. Le parc est en effet classiquement associé au pouvoir central, soit au Frelimo. Schuetze (2015) souligne ainsi combien l’arrivée de la Fondation Carr a rapidement été interprétée très négativement par les populations locales – en particulier les habitants de la Serra, directement concernés par la réactivation du vieux projet d’inclusion du sommet du massif montagneux dans le périmètre du parc national. Autrement dit, plus que comme une entité privée, le PPP est surtout perçu comme une nouvelle phase des politiques répressives du pouvoir central.

28Pour autant, les propos des membres de l’administration du parc permettent d’appréhender les relations entre le PPP et l’État local sur le registre de la privatisation de l’action publique, au sens où le PPP est à la fois autonome et déconnecté de l’appareil de l’État – phénomène classique de l’aide internationale irriguant certains pans de l’administration (Blundo, 2011). Ainsi, le PPP se place sur la scène locale non pas comme un organe de l’État, mais comme un appareil transnational de conservation et de développement en quête de reconnaissance des populations et du pouvoir local. Cette quête passe par ses programmes de développement, menés en lien avec les districts. Elle passe aussi par la mise en place de forums d’échanges plus ou moins réguliers avec l’État local, plus ou moins couronnés de succès en termes de compréhension mutuelle. Quant aux échanges avec les populations locales, ils sont selon Schuetze (2015) non seulement peu réguliers mais surtout avant tout informatifs de type top-down, malgré un affichage inclusif, dit de participation des populations aux politiques de conservation et au projet de développement.

29Par exemple, une réunion a été organisée en juillet 2010 à Chitengo afin de discuter le plan de gestion du parc, qui se focalisait alors sur l’objectif d’inclure le sommet de la Serra de Gorongosa au sein des limites du parc, afin de préserver son équilibre écosystémique. Une trentaine de personnes ont été invitées à participer par l’administration du PPP : des consultants internationaux, la plupart américains et experts en reforestation et agriculture durable, ainsi que quelques représentants des directions provinciales du tourisme et de l’agriculture. Au bout d’un certain temps, il est apparu évident que lesdits représentants ne pouvaient pas prendre part à la réunion : menée en anglais, les propos tenus leur étaient incompréhensibles. Le directeur des relations communautaires a donc commencé un exercice de traduction simultanée. Cet épisode illustre un fossé remarquable entre administration du parc, très technicienne et anglophone, et l’État local : en termes linguistiques d’abord, en termes de compétences techniques, de rémunération et de modes de vie d’autre part [28]. D’où une déconnexion entre l’appareil philanthropique et le pouvoir local, même s’il existe des invitations formelles à prendre part à la fabrique de l’action publique. De la même façon, le PPP n’est pas convié à siéger au gouvernement provincial, et cela n’est pas non plus le cas au niveau des districts – même si cela peut occasionnellement arriver, ici encore de manière ad hoc. Le manque de moyens matériels et financiers explique que les administrateurs des districts laissent le champ libre au PPP lorsqu’il s’agit de questions strictement liées à la conservation (i. e. programmes de reforestation, remise en l’état de pistes du parc, développement touristique), mais ferment la porte lorsqu’il s’agit d’une présence institutionnalisée des membres du PPP dans les forums politiques locaux. Cet État local peut par ailleurs se faire particulièrement incontournable quand les activités du PPP touchent au contrôle des populations et du territoire dans une « zone de guerre ». C’est le cas des projets sociaux mis en œuvre par le PPP, comme la construction d’écoles, de postes de santé – financés par la Fondation et remis aux populations par les administrateurs des districts (Nakanabo Diallo, 2015). Il existe en quelque sorte une répartition tacite des tâches : au PPP le gouvernement de la nature, à l’État local le contrôle des populations.

30Ce gouvernement de la nature repose sur une conception très pragmatique de la conservation, cela d’une double façon. D’abord, l’objectif sous-jacent est d’inciter les populations à demeurer hors du parc et à ne pas interférer avec les activités de protection de la biodiversité dans le parc intra muros. Il s’agit également d’attirer les populations résidant au sein du parc (environ 5 000 personnes) vers la zone tampon, en développant cette dernière par la création d’emplois. Similairement à d’autres projets de conservation contemporains, l’ambition est en effet de convertir une partie des communautés locales en travailleurs salariés, dans le cadre d’une « modern » cash economy (Neumann, 1997). À long terme, le PPP compte sur la création de plusieurs concessions touristiques au sein du parc pour offrir de nouveaux emplois [29]. Ensuite, la démarche du PPP peut être qualifiée de pragmatique en ce que la réalisation de l’ensemble de ses objectifs intègre une dimension délibérément commerciale de la conservation, elle-même intrinsèquement liée au cadre de conservation philanthropique du PPP. Ainsi, dans plusieurs articles de presse ainsi que lors d’entretiens avec le président de la Fondation Carr est mise en avant l’idée selon laquelle le parc national de Gorongosa a le potentiel pour devenir le moteur économique de la région centre du Mozambique. Le développement d’une telle industrie touristique se base sur une vision entrepreneuriale de la conservation. Carr explique dans une interview en 2006 :

31

Les objectifs que j’avais auparavant sont les mêmes qu’aujourd’hui – mettre en place une organisation, travailler avec les gens. Gérer un parc comme celui-ci est un business. Je pense souvent, d’ailleurs, à combien il est comparable à ceux que j’ai eus.
(Placido Junior, novembre 2006, p. 130)

32Selon cette approche, la clé du succès du PPP passe par l’efficacité économique. Là encore, cela correspond à des dynamiques globales dans le secteur de la conservation, où on observe une synergie de plus en plus grande entre conservation et durabilité d’un côté, et croissance économique basée sur l’investissement de l’autre (Igoe, Brockington, 2007). Plus précisément, la stratégie du PPP se rattache à la philosophie « philanthrocapitaliste » (Bishop, Green, 2008) du projet, basée sur des techniques ayant fait leur preuve dans le monde de l’économie capitaliste [30]. Il s’agit aussi, plus profondément, de convoquer une rhétorique pro-marché pour conférer une légitimité morale aux projets philanthropiques, en présentant comme socialement bénéfique le recours à des solutions de marché en réponse à des problèmes humains (McGoey et al., 2018). L’une des stratégies principales de Carr est ainsi de jouer sur l’image du parc, afin de susciter une certaine émotion et de l’enthousiasme pour « the hottest conservation story in Africa. » Les interviews avec Greg Carr se multiplient, de même que les documentaires, dont certains obtiennent plusieurs prix [31]. La biodiversité en danger est « emballée » (repacked) en images et en symboles (Holmes, 2012), et la conservation devient par certains côtés un spectacle – pour la bonne cause (Brockington et al., 2008), celle d’attirer de plus en plus de touristes [32] et de contribuer ainsi au développement local. Concrètement, le contrat prévoit de délivrer au terme du LTA un parc autosuffisant à l’État mozambicain, grâce aux entrées touristiques du parc ainsi qu’aux taxes demandées aux concessions privées.

33L’avènement du PPP correspond à ce que Peluso et Lund (2011) appellent « the new frontiers of land control », synonymes de nouvelles territorialisations, de nouveaux rapports au travail, de nouveaux acteurs (ici essentiellement américains) et sujets, de nouveaux instruments pour accéder à la terre. L’action publique de la conservation peut ce faisant se lire à l’aune de l’enchevêtrement de deux dynamiques : celle d’une entreprise de conservation philanthrocapitaliste qui privatise l’action publique, et celle d’un contexte politique qui demeure fort sensible, qui implique pour les dirigeants du PPP d’enclencher un processus de transformation des perceptions locales vis-à-vis du parc et de la conservation en général. Autrement dit, pour remplir ses objectifs dans un contexte d’« état de guerre », l’enjeu pour le PPP est double : faire en sorte que les populations locales adhèrent aux politiques publiques de conservation d’une part, parvenir à ce que l’État local et central deviennent des alliés d’autre part, c’est-à-dire qu’ils appuient ses projets – et en particulier son objectif d’inclure dans le périmètre du parc national le sommet de la Serra, soit l’un des espaces les moins neutres politiquement et militairement du pays.

Discours écologiques vs prégnance du (post-)conflit

34Une lecture cognitive de l’action publique de la conservation à Gorongosa met à jour combien le poids des représentations quant à ce que sont le parc national et le massif montagneux de la Serra est déterminant dans la configuration des relations entre PPP, représentants de l’État central et local, et populations locales. Ces représentations sont liées à des visions du monde apparues dès l’époque coloniale, et elles sont réalimentées par le contexte d’état de guerre. Ainsi, selon le directeur des relations communautaires du parc – et membre du Frelimo :

35

Le parc est un enjeu très politique. Quand il y a eu la signature de l’accord, la Renamo a répandu l’idée selon laquelle le parc avait été vendu à un Américain […]. Comme cette région a été un centre de la Renamo, le Frelimo est très présent, et il fait très attention avec elle [33].

36Dans le même ordre d’idées, un technicien du département des opérations et infrastructures affirme que :

37

La Serra appartient traditionnellement à la Renamo. Or, Carr est vu comme un proche du Frelimo. Donc la Renamo a incité les populations à refuser le parc [34].

38Quelques régulos sont ainsi perçus par l’administration du parc, tout comme par l’État local (i. e. les représentants de la province et des districts), comme des supporters de la Renamo, dans la zone tampon et sur les pentes de la Serra. Lors d’un entretien informel, un représentant de la direction provinciale du Tourisme raconte :

39

De 2006 à 2009 il y a eu un large processus de consultation mené auprès des communautés qui vivent autour du parc. On les consultait sur deux sujets : la délimitation de la zone tampon et l’ajout de la montagne au parc. Ça a été organisé par la province, les gouvernements de districts et le parc. Ça a pris beaucoup de temps. Deux communautés ont refusé de signer le document final, dont la communauté de Khanda. Lors de la réunion, qui a duré plusieurs heures, le régulo disait : « Vous voulez vendre nos terres ! » Mais lui il est de la Renamo (à ces mots, le représentant s’excuse auprès de moi, comme si c’était une insulte que de prononcer le nom de la Renamo). Donc ça explique aussi pourquoi il était contre le projet. Quand vous avez des régulos qui sont pro-Frelimo, alors c’est plus facile de faire passer les messages auprès des populations. Mais là, c’est plus compliqué [35].

40Cette suspicion à l’égard de la Renamo explique la présence remarquable du Frelimo – militaire donc, mais aussi explicitement partisane, avec la cellule du parti directement implantée au cœur de Chitengo. Le bras droit du directeur de la conservation précise :

41

Au niveau de la province, ils m’ont demandé d’être le secrétaire de la cellule du parti à Chitengo. Mais j’ai refusé, c’est trop compliqué vis-à-vis du service, et notamment des autres gardes du parc. Oui, la plupart sont de la Renamo, mais ils ne sont entrés à la Renamo que parce qu’ils n’avaient pas d’autre option [36].

42Ce contexte explique sans doute pour une large part les réticences de l’État central à entériner l’ajout du sommet (et plus précisément des zones au-dessus de 700 mètres) de la Serra au sein du périmètre du parc – géré par une administration sur laquelle il n’a pas entièrement prise. L’argumentaire écologique qui, depuis l’époque coloniale, promeut cette inclusion du sommet du massif afin d’en préserver l’équilibre hydrologique et écologique, a été repris par l’administration du PPP.

43Ainsi, dès les années 1960, apparaît dans l’administration du parc un discours stigmatisant la responsabilité des populations locales dans le fragile équilibre écologique du parc, qui se focalise particulièrement sur la question de la Serra et sur son rôle écologique, et non sur son rôle stratégique d’un point de vue politique et militaire, contrairement aux dirigeants politiques. Lors de l’expulsion de la population voisine de la réserve de chasse de Gorongosa dans les années 1940, la plupart de ces habitants s’est installée sur les flancs est et sud de la Serra da Gorongosa. C’est à la fin des années 1960 que s’établit une appréhension du parc non seulement en termes d’attraction touristique, mais aussi d’intérêt et de valeur scientifique : des conceptions de type écologique s’installent dans le discours colonial. L’idée est que le parc national n’a pas été pensé selon son équilibre écologique, en particulier en ce qui concerne son étroite connexion avec la Serra da Gorongosa. L’administrateur du parc national parle d’une « attaque » des paysans sur les montagnes, par leur pratique de l’agriculture à des altitudes toujours plus élevées (French, 2009). Cette « attaque » avait en réalité des origines multiples. Les différentes vagues d’immigration qu’a connues la région, surtout dans les années 1960, ont entraîné l’installation de nombreuses familles sur les pentes de la montagne, du fait de l’absence de terres disponibles autre part. Puis, suite à l’abolition de la culture forcée du coton en 1961, est mis en place l’Institut mozambicain du coton, dont le but est d’inciter l’installation de colons cultivateurs de coton. Dans cette optique, l’institut s’est approprié les terres les plus fertiles, en particulier le long des rivières au sud et à l’ouest de la montagne. D’où la recherche par de nombreux paysans de terres cultivables, en général sur les pentes de la Serra.

44On craint à l’époque que la diminution des forêts n’affecte le climat de la région, car on considérait que les forêts étaient à l’origine de la pluie au niveau du massif montagneux, qui bénéficiait ensuite à l’ensemble de la région – y compris au parc. C’est ainsi que naissent les premières interdictions de coupe de bois sur les flancs de la montagne. Malgré ces mesures, l’administration coloniale parle au milieu des années 1960 d’« immense danger de destruction totale » (French, 2009). Selon French, c’est l’agronome portugais Macedo qui fonde la narration de destruction environnementale en 1964 [37] : l’idée est celle d’une catastrophe imminente, du fait d’une agriculture intensive, de la pratique de feux de forêt ou encore de manque de pratiques de conservation. La prescription est, partant, un étroit contrôle des pratiques des populations locales, à l’aide de méthodes scientifiques et rationnelles – pas seulement pour l’équilibre écologique de la région, mais plus spécifiquement pour celui du parc national de Gorongosa, dont on établit que son hydrologie dépend des rivières provenant de la montagne. Cette représentation s’enracine avec les travaux de l’écologiste sud-africain, Tinley, qui réalise son étude à la fin des années 1960. Dans la lignée de Macedo, Tinley soutient que les cultures incontrôlées sur les flancs de la Serra représentent le plus grand danger pour l’écosystème de Gorongosa. Il propose une extension de l’aire du parc et une relocation des populations installées sur le massif, afin de le protéger. Pourtant, même si ses propositions semblaient bien accueillies d’un point de vue scientifique, le pouvoir colonial n’entérine pas ce projet : la guerre de libération menée par le Frelimo commence à prendre de l’ampleur à cette époque, et les autorités sont déterminées à éviter des frictions inutiles avec la population délogée.

45On peut souligner une véritable continuité avec l’époque postcoloniale, puisqu’un plan similaire réapparaît à la suite du conflit armé de 1992, d’abord avec le premier plan de restauration du parc sur fonds de l’Union européenne et de la Banque africaine de développement. Même si ce premier projet n’est guère abouti, la persistance du discours d’unité écologique viable est remarquable – et elle est reprise par le PPP quelques années plus tard. Le poids des cultures au sein de la Serra est indiqué comme altérant l’équilibre écologique du parc national :

46

Scientists for Carr’s project estimate that unless something is done, within five years the mountain’s ecosystem will degrade to a point from which it cannot recover.
(Hanes, mai 2007)

47Le discours est alarmiste, et l’horizon temporel correspond à celui des années 1960 et 1970. La continuité du discours écologique relatif aux pratiques néfastes des populations locales souligne combien il n’est pas lié au conflit, mais bien à la diffusion de représentations alarmistes, sans cesse actualisées par des configurations d’acteurs changeantes. Ce discours a d’ailleurs entraîné de nombreuses critiques dans le monde académique, principalement de la part d’anthropologues américains ayant passé quelques années auprès des populations locales anciennement déplacées [38]. Du côté de la Fondation Carr, ce discours est allé de pair avec la mise en place d’activités de reforestation de la Serra – qui emploient 62 personnes et qui ont planté 16 000 arbres (Equipa de gestão do PNG, 23 mars 2010) – mais aussi de lobbying auprès du pouvoir central afin de finalement inclure la Serra, ou du moins son sommet, au sein des limites du parc.

48L’appareil de conservation philanthrocapitaliste qu’est le PPP reprend donc à son compte et actualise les discours et représentations écologiques de l’époque coloniale – qui s’opposent aux visions du monde du pouvoir en place, pour qui la Serra est avant tout un bastion politique et militaire. Ainsi, l’objectif d’inclusion du sommet de la Serra fait l’objet de nombreuses réunions, avec les populations locales comme l’évoque l’extrait supra, et avec l’État central – plus précisément avec le Conseil des ministres, ayant seul le pouvoir de modifier les limites des parcs nationaux. Le représentant du ministre du tourisme au sein du comité de supervision du PPP, un ancien colonel à la retraite et proche de l’ancien président Guebuza, explique :

49

La montagne est un enjeu stratégique, c’est un endroit stratégique au Mozambique. On disait : « Qui a la montagne a le pays entre ses mains ! » Pendant la guerre coloniale, puis la guerre civile, ça a été le Frelimo qui la tenait, et ensuite ça a été la Renamo. L’avoir, ça permet de gagner. Donc aujourd’hui, si le gouvernement a accepté qu’elle soit ajoutée au parc, c’est à la condition qu’il y ait une coordination du parc avec le gouvernement. Il faut que le gouvernement soit sur le devant, à travers le MAE (le ministère de l’Administration étatique), donc par les administrateurs de districts [39].

50De fait, on peut lire dans un article du magazine mozambicain Tempo en 1985 : « Les militaires portugais avaient coutume de dire que qui dominait la Serra de Gorongosa dominait le Mozambique » (Magaia, 1985). Cet extrait d’entretien confirme d’abord que les membres du Frelimo considèrent la Serra comme dominée par la Renamo, et il souligne ensuite que l’extension de la compétence du PPP au sommet du massif montagneux était conditionnée à une plus grande visibilité du rôle du gouvernement, via les administrateurs de districts. La décision est finalement entérinée par le Conseil des ministres par un décret de l’été 2010. C’est bien l’État, à savoir les instances du Frelimo, et le pouvoir politique centralisé autour de la présidence avec le Conseil des ministres, qui détient ce que Igoe et Brockington (2007) appellent la commodity of sovereignty, à savoir dans ce cas d’étude la capacité de publier un décret au Bulletin de la République. La privatisation de l’action publique est ainsi à relativiser : la ressource de l’authentification des choix est bien la prérogative de l’État(-parti). Si l’aide internationale implique une « liberté sous contrainte » (Enguéléguélé, 2008) de l’État mozambicain, une des clés de ses marges de manœuvre se situe ainsi dans le pouvoir de la norme – malgré une « dépendance » en termes de ressources économiques, humaines et organisationnelles (Darbon, 2009).

51Dans les faits, c’est bien l’administration du PPP qui sera chargée de veiller au respect des règles de préservation des ressources naturelles sur cette zone et qui y développera des infrastructures touristiques. Mais même si c’est à un « étranger [40] » qu’est confiée cette tâche, est mise en avant la nécessaire « coordination du parc avec le gouvernement » – coordination dont les modalités restent toutefois peu claires. Concernant les populations habitant le massif, cette décision, tout comme les campagnes d’information l’ayant précédé, constitue la poursuite des logiques conflictuelles avec l’entité parc – et le pouvoir central. L’opposition demeure vive, et des pratiques inédites de protestation par déforestation (soit l’objet même contre lequel l’inclusion du sommet de la Serra est censée lutter) se développeraient sur les pentes du sommet, selon certains observateurs (Schuetze, 2015). On peut ce faisant interpréter le refus a priori massif desdits habitants d’entériner les projets du PPP sur la Serra comme un indicateur des relais partisans de la Renamo sur ces questions – ou plutôt comme un entremêlement entre politisation des populations et opposition aux politiques venant du pouvoir central, fruit d’une histoire longue de conflits.

Permanence de la guerre, contrôle de la terre et action publique en accordéon

52Les différentes temporalités de la guerre ont placé Gorongosa au cœur des sorties et reprises. Comme cela avait été le cas pour l’État colonial, défié par le Frelimo dès les années 1960, les seize années du conflit armé n’ont pas permis à l’État postcolonial de véritablement s’implanter dans la région de Gorongosa. Durant les années post-accords de paix, le parc est resté essentiellement de papier jusqu’à l’arrivée de la Fondation Carr. Or, l’enjeu est de taille pour l’État-parti : il s’agit de fait de (r)établir une présence et une légitimité sur l’ensemble du territoire, et de contrer la Renamo, parti politique assez faible, mais qui demeure très populaire dans la région. C’est donc la conclusion du PPP en 2008 qui donne une nouvelle impulsion à l’action publique de la conservation, tout en la reconfigurant profondément, et tout en demeurant sous-tendue par les tensions entre Frelimo et Renamo, toujours très actuelles, puisque le chef de la Renamo est toujours caché quelque part dans la Serra de Gorongosa.

53Les transformations socio-économiques et les dynamiques de la violence ont des rapports variables. D’une part, la reprise du tourisme et l’augmentation (certes relative) des possibilités d’emploi dans l’industrie touristique liée au parc sont allées de pair avec la perpétuation (et l’accentuation entre 2013 et 2016) d’un contexte de guerre. D’ailleurs, la présence militaire demeure importante, au moins jusqu’en 2017 – appuyée par des soldats zimbabwéens et chinois, portant l’uniforme du gouvernement [41] (Morier-Genoud, 2017). D’autre part, les régions du nord et du centre du Mozambique n’ayant que peu profité de la croissance économique des dernières années, la frustration sociale est à Gorongosa exacerbée par et focalisée sur les politiques de conservation portées par le PPP – vu comme un relais direct du pouvoir central – et héritières d’une histoire faite de répression pour l’usage des ressources naturelles. L’action publique de la conservation, telle qu’elle prend forme à la faveur du PPP, ajoute une dimension à ces logiques conflictuelles : en tant que « nouvelle frontière » (Peluso, Lund, 2011) non consensuelle, le PPP comprend l’instauration de nouvelles clôtures territoriales, de nouveaux régimes d’accès à la terre, de nouveaux acteurs, et de nouveaux instruments légaux pour (dé)posséder.

54Il y a donc bien une relation étroite entre permanence de la guerre et action publique de la conservation. D’une part, l’état de guerre de la région, et plus précisément les rapports au territoire et à l’usage des ressources naturelles (rapports qui se matérialisent par un espace conçu comme un produit marchand au service de la conservation – mais aussi par la négociation et la concrétisation d’un nouveau périmètre du parc), la mobilisation partisane, et l’affrontement guerrier Frelimo/Renamo vont de pair avec un redéploiement des politiques de conservation. D’autre part, les logiques conflictuelles pluri-dimensionnelles (entre Frelimo et Renamo, entre populations locales et l’entité parc) demeurent, mais sous des habits nouveaux. Elles se superposent, ou plutôt elles se redéfinissent à l’aune du PPP, qui alimente à ce titre un nouveau cycle du conflit. La rhétorique néo-libérale au fondement du PPP, enclave censée devenir viable financièrement et donc échapper à la gestion étatique, est en effet au cœur d’une tension ancienne entre lieu refuge presque autonome et emblème national à dominer.

55À cet égard, le prisme du post-conflit permet de contribuer à la sociologie de l’action publique dans des contextes de faibles capacités de l’État. En effet, quand l’appareil bureaucratique se caractérise par sa légèreté, c’est-à-dire par ses moyens limités en termes de personnel formé et compétent, et en termes de moyens financiers mobilisables, notamment en dehors de la capitale, la domination se déploie par intermittence, par petites touches – par tâtonnements aussi, l’action publique pouvant être appréhendée tel un accordéon. À Gorongosa, la règle du jeu de l’action publique en accordéon signifie que l’État reste à même de bloquer la machine de l’aide internationale et à demeurer central, puisque seul le sommet de l’État est en mesure de débloquer les situations – par exemple en entérinant l’inclusion du sommet de la Serra dans le périmètre du parc national, c’est-à-dire de délimiter un territoire qu’il ne contrôle pas totalement. En cela, l’État-Frelimo parvient à demeurer incontournable – et il démontre qu’il n’est pas dépourvu de capacités, et même de ce que Meijer (2015) appelle la « capacité d’État », notamment au sens d’imposer des régulations à des acteurs tiers internationaux. Les politiques de conservation sous l’emblème du Gorongosa Restoration Project représentent donc une opportunité pour l’État de demeurer présent sur la scène locale – mais cela continue d’alimenter dans le même temps des logiques conflictuelles avec des populations qui demeurent pro-Renamo.

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Mots-clés éditeurs : Mozambique, conservation, philanthrocapitalisme, parc national de Gorongosa, post-conflit

Date de mise en ligne : 18/02/2020.

https://doi.org/10.3917/gap.194.0097

Notes

  • [1]
    À la veille et suite aux élections présidentielles et législatives de l’automne 2014.
  • [2]
    Groupe rebelle pendant le conflit civil s’opposant au Frelimo, de la fin des années 1970 jusqu’aux accords de paix en 1992. La Renamo est depuis lors un parti politique.
  • [3]
    Le leader de la Renamo est décédé en mai 2018, et Ossufo Momade l’a remplacé.
  • [4]
    Les causes du conflit armé actuel au Mozambique sont cependant plus larges et multi-dimensionnelles. Comme le souligne Morier-Genoud (2017), l’absence de politique officielle de réconciliation ou de justice transitionnelle a accentué l’exclusion de toute une frange de la population ; la Renamo demeure marginalisée politiquement face au Frelimo.
  • [5]
    Entretien avec l’administrateur du parc de Gorongosa, Maputo, août 2014.
  • [6]
    Les chiffres tourneraient autour de quelques centaines à quelques milliers de morts, et des milliers de réfugiés, au Malawi et au Zimbabwe.
  • [7]
    Le Mozambique est organisé en 12 provinces et 128 districts, organes déconcentrés de l’État. Le parc national de Gorongosa se trouve dans la province de Sofala, et est à cheval sur quatre districts.
  • [8]
    Ces enclaves peuvent être territoriales, comme des mines (voir Lickert, 2013), mais aussi ministérielles (voir Roll, 2011 ; Nakanabo Diallo, 2012).
  • [9]
    Même si cela peut être relativisé depuis la découverte en 2016 de dettes secrètes et illégales de la part du gouvernement d’un montant notoire (2,2 milliards de dollars). D’où la suspension de l’aide du FMI et des principaux bailleurs internationaux.
  • [10]
    Régime autoritaire sous la Deuxième République portugaise, de 1933 à 1974.
  • [11]
    Pour une évocation du parc de Gorongosa au temps colonial, sous la forme du récit de vie d’un chasseur professionnel ayant vécu dans la région, voir Serras Pires, Capstick (2001).
  • [12]
    Selon French (2009), il s’agit là essentiellement d’une décision politique et économique. L’augmentation de la surface du parc au début des années 1960 comprenait des terrains habités et cultivés, mais aussi des aires exploitées pour le bois par des concessionnaires privés. Aujourd’hui, le parc représente 4 067 km2.
  • [13]
    Terme portugais désignant des chefs traditionnels à l’échelle locale.
  • [14]
    La famine transforma par ailleurs l’aide humanitaire en arme, que le gouvernement utilisa fortement, en « récupérant » les populations sous contrôle de la Renamo via l’aide distribuée par les ONG.
  • [15]
    Concernant les élections législatives et présidentielle. Les autorités des districts sont quant à elles déconcentrées : elles sont donc l’incarnation de l’État sur le territoire, et plus précisément de l’État-parti Frelimo, dans la mesure où appareil de l’État et appareil du parti se confondent depuis 1975.
  • [16]
    Les logiques de recrutement et les loyautés de corps sont des questions qui n’ont malheureusement pas pu être abordées en entretiens lors de mes dernières enquêtes, du fait de leur nature particulièrement sensible.
  • [17]
    Par exemple, en octobre 2013, l’armée gouvernementale a pris le contrôle de la principale base de la Renamo dans la région de Gorongosa, avant d’investir et de démanteler une deuxième base de la Renamo. Des combats se sont ainsi multipliés, faisant régulièrement des morts et des blessés des deux côtés.
  • [18]
    En partie seulement car d’autres dynamiques sont en jeu, notamment liées à l’histoire ou encore à l’ethnicité.
  • [19]
    Outre la réhabilitation des structures touristiques du campement de Chitengo, il s’agit de créer un sanctuaire de la vie sauvage, visant à la réintroduction progressive de faune sauvage dans le parc.
  • [20]
    Entretien avec l’ancien business manager du parc national de Gorongosa, Maputo, 12 mars 2010.
  • [21]
    L’United States Agency for International Development (USAID) ayant participé au financement du sanctuaire de la vie sauvage.
  • [22]
    L’idée de privatisation de l’État a en particulier été développée par Hibou (1999), au sens d’extension de la logique du marché à l’opérationnalisation de fonctions étatiques. Cependant, l’idée est d’insister ici sur la privatisation de l’action publique, pour mettre l’accent sur ses modes de constitution, qui se nouent dans l’institutionnalisation d’organisations semi autonomes plus ou moins déconnectées de l’appareil étatique – lequel leur délègue une série de responsabilités et de missions qu’il n’est pas à même de mettre en œuvre. Sur cette question, voir Nakanabo Diallo (2011).
  • [23]
    Greg Carr a fait fortune dans les années 1980 dans l’industrie du voice mail, après avoir été diplômé en histoire de l’Université d’Utah, puis en politiques publiques et droits de l’homme à l’Université Harvard. À la fin des années 1990, après voir revendu sa société Boston Technology, il décide de créer et de présider une fondation, dédiée aux arts, aux droits de l’homme et à l’environnement.
  • [24]
    Ce montage institutionnel prévaut jusqu’en 2012, quand un administrateur est finalement nommé à la tête du parc national.
  • [25]
    Entretien avec le directeur de la conservation du parc, Chitengo, 26 mars 2010.
  • [26]
    Entretien avec le directeur des relations communautaires, Chitengo, 24 mars 2010.
  • [27]
    Entretien informel avec un technicien forestier du parc, Serra da Gorongosa, 29 juillet 2010.
  • [28]
    Les moyens dont dispose le PPP sont conséquents si on les compare aux administrations de la province ou des districts. Selon French, au début des années 1990 : « in 1994 only 55 medium and basic level forest and wildlife technical personnel made up the Provincial Services of Forestry and Wildlife and had only three four-wheel drive vehicles to patrol the entire province » (French, 2009, p. 294).
  • [29]
    Une première concession, Explore Gorongosa, gérée par un couple zimbabwéen, a ouvert à la fin des années 2000, et un appel d’offres a été lancé en 2010 pour de nouvelles concessions. Plusieurs nouvelles concessions ont été négociées dans ce cadre.
  • [30]
    Émergent en effet de plus en plus des « éco-barons », c’est-à-dire des individus ayant fait fortune (dans des industries comme le textile ou les nouvelles technologies) et qui décident de vouer une bonne partie de leur fortune à des projets philanthropiques – de plus en plus liés à la protection de l’environnement (Brockington et al., 2008 ; Brockington, 2009).
  • [31]
    Comme le documentaire du National Geographic sorti en 2007 et intitulé Africa’s Lost Eden. Il a raflé plusieurs prix dont meilleur film au Tourism Film Festival (Autriche) en 2010, et le Gold Dolphin Award dans la catégorie environnement et écologie au Cannes Corporate Media and TV Award.
  • [32]
    Selon un rapport de 2010 concernant la période 2008-2009, il y a eu 3 784 touristes en 2008 (1 569 nationaux et 2 215 étrangers), et 4 630 en 2009 (1 531 nationaux et 3 099 étrangers) (Equipa da gestão do PNG, 23 mars 2010, p. 2).
  • [33]
    Communication personnelle, Vunduzi, district de Gorongosa, 25 mars 2010.
  • [34]
    Entretien avec un technicien du département des opérations et infrastructures, Chitengo, 24 mars 2010.
  • [35]
    Communication personnelle, représentant de la direction provinciale du Tourisme, Chitengo, 27 juillet 2010.
  • [36]
    Communication personnelle, Chitengo, 31 mars 2010.
  • [37]
    J. M de Aguiar Macedo (1970), « Serra da Gorongosa : Necessidade e Bases da Sua Protecção », Comunicação, 44, Lourenço Marques, Instituto de investigação agronómica de Moçambique.
  • [38]
    Voir notamment les communications du panel « Protecting an African Eden ? Conservationnists, Communities and Collaboration in Mozambique », organisé en novembre 2010 lors du congrès annuel de l’African Studies Association à San Francisco. Ce panel a été organisé en réponse au vif débat entre ces anthropologogues et Greg Carr sur la liste de discussion H-Africa. Le directeur des relations communautaires, y a présenté une communication d’explicitation du projet du Gorongosa Restoration Project.
  • [39]
    Communication personnelle, Chitengo, 22 juillet 2010. Lors de cette communication personnelle, qui eut lieu lors d’un repas à Chitengo en présence de Greg Carr, celui-ci s’étonna auprès de moi des propos du représentant du ministre, que je lui traduisais : « Mais pourtant, le ministère du Tourisme est là, il participe à la gestion du parc. »
  • [40]
    Pour reprendre les termes du directeur de la conservation du PPP (communication personnelle, Chitengo, 22 juillet 2010).
  • [41]
    Les premiers opérant autour du massif de la Serra, et les seconds manipulant les technologies d’écoute et des armes lourdes contre le « réduit montagnard de Dhlakama » (Morier-Genoud, 2017, p. 171).
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