Notes
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[1]
P. Schor (2009), Compter et classer. Histoire des recensements américains, Paris, Presses de l’EHESS.
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[2]
M. Anderson, S. Fienberg (eds) (1999), Who Counts ? The Politics of Census-Taking in Contemporary America, New York (N. Y.), Russell Sage Foundation ; M. Nobles (2000), Shades of Citizenship. Race and the Census in Modern Politics, Stanford (Calif.), Stanford University Press ; P. Skerry (2000), Counting on the Census ? Race, Group Identity, and the Evasion of Politics, Washington (D. C.), Brookings Institution ; K. Williams (2006), Mark One or More. Civil Rights in Multiracial America, Ann Arbor (Mich.), University of Michigan Press.
-
[3]
Une exception à cet égard est l’étude remarquable de P. Schor, A. Spire (2005) consacrée au binôme franco-états-unien, « Les statistiques de la population comme construction de la nation », dans R. Kastoryano (dir.), Les Codes de la différence. Race-Origine-Religion. France-Allemagne-États-Unis, Paris, Presses de Sciences Po, p. 91-121.
-
[4]
À ce propos, voir aussi K. Prewitt (2013), What is Your Race ? The Census and Our Flawed Efforts to Classify Americans, Princeton (N. J.), Princeton University Press.
-
[5]
Voir notamment A. S. Orloff (1993), The Politics of Pensions. A Comparative Analysis of Britain, Canada, and the United States, 1880-1940, Madison (Wis.), University of Wisconsin Press ; J. S. O’Connor, A. S. Orloff, S. Shaver (1999), States, Markets, Families. Gender, Liberalism and Social Policy in Australia, Canada, Great Britain, and the United States, Cambridge, Cambridge University Press ; P. Chhibber, K. Kollman (2004), The Formation of National Party Systems. Federalism and Party Competition in Canada, Great Britain, India, and the United States, Princeton (N. J.), Princeton University Press.
-
[6]
Dans une optique similaire, concernant le sous-continent latino-américain, voir également le maître livre de M. Loveman (2014), National Colors. Racial Classification and the State in Latin America, Oxford, Oxford University Press.
-
[7]
T. Skocpol, P. Pierson (2002), « Historical Institutionalism in Contemporary Political Science », in I. Katznelson, H. Milner (eds), Political Science. State of the Discipline, New York (N. Y.), Norton, p. 693-721.
-
[8]
J. Hochschild, B. Marea Powell (2008), « Racial Reorganization and the United States Census 1850-1930 : Mulattoes, Half-Breeds, Mixed Parentage, Hindoos, and the Mexican Race », Studies in American Political Development, 22 (1), p. 59-96.
-
[9]
Constitue une « minorité visible » au Canada toute population non blanche et non amérindienne (Noirs, Latino-Américains, Asiatiques, Arabes…).
-
[10]
F. Dobbin (2002), « Do the Social Sciences Shape Corporate Antidiscrimination Practice ? The United States and France », Comparative Labor Law and Policy Journal, 23 (3), p. 829-863 ; R. Lieberman (2005), Shaping Race Policy. The United States in Comparative Perspective, Princeton (N. J.), Princeton University Press.
-
[11]
E. Todd (1994), Le Destin des immigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, Paris, Seuil, p. 113, 104, 13.
-
[12]
Deux exemples représentatifs, délibérément non traduits afin que le lecteur puisse juger de la chose sans le moindre filtre : « Racial ideas can be animated through practices that are geographic (global, hemispheric, continental, national, regional, local), relational (diasporic, national, cultural, ethnic, communal, familial), and/or ontological (semantic, discursive, symbolic, textual, visual, programmatic, experiential) in nature » (p. 27) ; « Racial ideas […] spill over, seep through, defy, extend, challenge, and negate national boundaries » (p. 31).
-
[13]
P. Schor (2009), op. cit., p. 241.
-
[14]
« Un ensemble puissant d’idées ou de normes relatives à l’identité, à la différence et à l’organisation de la société et de ses composantes » (p. 25).
-
[15]
P. Bourdieu (1980), « L’identité et la représentation », Actes de la recherche en sciences sociales, 35, p. 66.
-
[16]
L. Wacquant (1997), « For an Analytic of Racial Domination », Political Power and Social Theory, 11, p. 221-234 ; M. Loveman (1999), « Is Race Essential ? », American Sociological Review, 64 (6), p. 891-898 ; B. Fields, K. Fields, Racecraft. The Soul of Inequality in American Life, Londres, Verso.
-
[17]
S. Cornell, D. Hartmann (2007), Ethnicity and Race. Making Identities in a Changing World, Thousand Oaks (Calif.), Pine Forge Press.
-
[18]
R. Brubaker (2009), « Ethnicity, Race, and Nationalism », Annual Review of Sociology, 35, p. 21-42.
-
[19]
A. Wimmer (2008), « The Making and Unmaking of Ethnic Boundaries : A Multi-Level Process Theory », American Journal of Sociology, 113 (4), p. 970-1022.
-
[20]
M. Cartier, I. Coutant, O. Masclet (2008), La France des « petits-moyens » : enquête sur la banlieue pavillonnaire, Paris, La Découverte.
-
[21]
E. Dorier-Apprill et al. (2008), « Ensembles résidentiels fermés et recompositions urbaines à Marseille », Pouvoirs locaux, 72, p. 92-98.
-
[22]
D. Lorrain (dir.) (2017), Métropoles en Méditerranée : gouverner par les rentes, Paris, Presses de Sciences Po.
-
[23]
Pour une vision synthétique, qui ne s’intéresse pas à la dimension urbaine mais traite des enjeux de clientélisation des groupes sociaux, voir M. Catusse (2006), « Ordonner, classer, penser la société : les pays arabes au prisme de l’économie politique », dans É. Picard (dir.), La Politique dans le monde arabe, Paris, Armand Colin, p. 215-238.
-
[24]
N. Dot-Pouillard (2018), « Les élections libanaises au prisme des conflits régionaux – “Un peuple qui compte” », Orient XXI, 22 mai 2018, en ligne [https://orientxxi.info/magazine/les-elections-libanaises-au-prisme-des-conflits-regionaux].
-
[25]
Voir par exemple G. Achcar (2013), Le Peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, Arles, Actes Sud.
-
[26]
Voir sur ce point l’introduction de T. Mitchell (2013), Carbon democracy : le pouvoir politique à l’ère du pétrole, traduit par Christophe Jacquet, Paris, La Découverte.
-
[27]
Voir notamment la notion de « mémoire collective de la justice économique » avancée par S. Heydemann (2013), « Après le séisme. Gouvernement économique et politique de masse dans le monde arabe, », Critique internationale, 61, p. 69-84.
-
[28]
Pour analyser la variation des degrés de visibilité des problèmes publics en fonction des acteurs et des instances où ils sont déterminés, l’auteur reprend la notion de « regime of imperceptibility » à Michelle Murphy. M. Murphy (2006), Sick Building Syndrome and the Problem of Uncertainty : Environmental Politics, Technoscience, and Women Workers, Durham (N. C.), Duke University Press.
-
[29]
L’auteur se réfère aux travaux de P. Bachrach et M. Baratz (1962), « Two Faces of Power », The American Political Science Review, 56 (4), p. 947-952.
-
[30]
L’auteur reprend ici l’opposition proposée par Marcel Goldberg, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, qui se distingue d’un « expert militant » tel qu’Henri Pézerat, chercheur au CNRS spécialisé en toxicologie et militant au Parti communiste et à la CGT.
-
[31]
Voir par exemple M. Grossetête (2012), Accidents de la route et inégalités sociales. Les morts, les médias et l’État, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant.
-
[32]
F. Buton, F. Pierru (2012), « Les dépolitisations de la santé », Les Tribunes de la santé, 34 (1), p. 51-70.
-
[33]
Sur cette question, voir aussi C. Omnès, L. Pitti (dir.) (2009), Cultures du risque au travail et pratiques de prévention au xxe siècle. La France au regard des pays voisins, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
-
[34]
Voir par exemple P. Favre (dir.) (1992), Sida et politique : les premiers affrontements (1981-1987), Paris, L’Harmattan ; P. Pinell (2002), Une épidémie politique. La lutte contre le sida en France, 1981-1996, Paris, PUF.
-
[35]
Y. Barthe (2006), Le Pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Economica.
-
[36]
Voir par exemple S. Laurens (2015), Les Courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles, Marseille, Agone.
-
[37]
Voir par exemple D. Rosner, G. Markowitz (2009), « L’histoire au prétoire. Deux historiens dans les procès des maladies professionnelles et environnementales », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56 (1), p. 227-253.
-
[38]
F. Denord, P. Lagneau-Ymonet (2016), Le Concert des puissants, Paris, Raisons d’agir, p. 7.
-
[39]
Voir aussi par exemple D. Carricaburu, E. Henry (2010), « Méconnaissances de la santé au travail », Sciences sociales et santé, vol. 28, p. 5-9.
-
[40]
J. Petaux (1994), « L’école des maires. Les associations d’élus locaux », Politix, 28, p. 49-63.
Debra Thompson (2016), The Schematic State. Race, Transnationalism, and the Politics of the Census, Cambridge, Cambridge University Press
1Si la construction statistique de l’identité raciale par le recensement aux États-Unis a déjà fait l’objet d’assez nombreux travaux – d’ordre historique [1] ou politologique [2] pour la plupart et le plus souvent dénués de dimension comparative [3] –, l’ouvrage de Debra Thompson, professeure associée de science politique à l’Université de l’Oregon, se distingue d’emblée par sa focale relativement large. En effet, il porte sur les déterminants, modalités et évolutions de la catégorisation raciale à l’œuvre dans les recensements états-uniens, canadiens et britanniques sur une période de plus de deux siècles, le recensement étant envisagé comme le lieu institutionnel de l’articulation problématique entre des logiques de redistribution sectorielle, d’une part, et de représentation identitaire, d’autre part [4]. Le choix des termes de la comparaison, dépourvu d’originalité particulière [5], est justifié par l’étendue des similitudes entre les trois cas étudiés – linguistiques, culturelles, économiques, politiques et juridiques – (p. 3), similitudes censées favoriser l’identification des variables déterminant les différences observées dans le cadre d’une analyse causaliste. Entre deux chapitres d’orientation théorique (chapitres 2 et 7), l’auteure examine successivement quatre séquences historiques caractérisées par une norme dominante à l’échelle transnationale et opératoire au sein des appareils statistiques nationaux pour lesquels elle constitue un point de convergence tendancielle : l’âge d’or du racialisme pseudo-scientifique et plus spécifiquement biologisant, associé à l’esclavage, à la ségrégation et à l’entreprise impériale (chapitre 3) ; son déclin dans les trois décennies suivant la fin de la Seconde Guerre mondiale, conséquence de la Shoah et de la décolonisation notamment (chapitre 4) ; l’avènement du multiculturalisme dans les années 1980 et 1990 (chapitre 5) ; la valorisation contemporaine de la mixité raciale – et non plus seulement de la diversité culturelle (chapitre 6). À l’ampleur singulière de la perspective adoptée sur le plan tant chronologique que géographique correspond donc une extension du domaine d’investigation au-delà de la sphère étatique, l’État apparaissant ici comme le vecteur principal de la traduction et de l’opérationnalisation de ces normes transnationales dans l’ordre politique interne plutôt que comme l’alpha et l’oméga du processus d’institutionnalisation de la « race » [6].
2Explicitement inscrit dans le cadre du « néo-institutionnalisme historique [7] », et dans le prolongement de travaux antérieurs de cette obédience centrés sur le cas étatsunien [8], l’ouvrage de D. Thompson fait la part belle aux phénomènes de path dependency. Ainsi, la décision singulière du gouvernement canadien en 1996 de simultanément réintroduire une « question raciale » dans le recensement – celle sur l’appartenance à une « minorité visible [9] » – et d’autoriser les recensés à faire état de leur multiracialité en cochant plus d’une des cases proposées est-elle rapportée à la pratique antérieure consistant (depuis 1981) à admettre une pluralité de réponses à la question sur l’« origine ethnique », tout écart entre les deux protocoles quant au nombre de réponses admises étant voué à apparaître comme une discrimination injustifiable. Plus généralement, à l’instar de certains de ses prédécesseurs [10], l’auteure explique le changement de politique publique dans le secteur considéré par l’interaction entre les deux variables institutionnelles – pourtant vraisemblablement corrélées – que sont la centralisation de l’autorité gouvernementale, d’une part, et l’autonomie du segment de l’appareil bureaucratique principalement chargé de la collecte des statistiques ethno-raciales par rapport aux pressions de toutes sortes, d’autre part (toutes deux maximales au Canada et minimales aux États-Unis, le Royaume-Uni occupant ici une position intermédiaire). Là serait notamment la cause structurelle de la divergence constatée entre les modalités de prise en compte de la multiracialité dans l’appareil statistique aux États-Unis (à partir de 2000) et au Royaume-Uni (un an plus tard). En effet, ce n’est que dans le premier cas que les adversaires de l’introduction d’une catégorie « multiraciale » à vocation englobante au nom de l’unité et de la solidarité des « Noirs », tirant parti de la plus grande transparence du processus décisionnel, de sa fragmentation et de sa relative ouverture aux demandes émanant de la société civile, ont pu faire entendre leur voix en amont, obligeant le gouvernement à se rabattre sur l’option consistant à laisser les recensés déclarer plusieurs identités raciales au sein d’une nomenclature à peu près inchangée. Ainsi voit-on apparaître les linéaments d’un schéma explicatif binaire principalement fondé sur la distinction canonique entre des « idées » productrices de convergence et des « institutions » génératrices des différences résiduelles observées (p. 219-220).
3Au-delà de cette thèse principale, un peu attendue, la valeur ajoutée de l’ouvrage réside pour partie dans la déconstruction incidente du conglomérat « anglo-saxon », inépuisable anti-modèle de l’universalisme républicain associé à la conception française de la citoyenneté et terreau présumé d’un « différentialisme » d’ordre « anthropologique » ancré dans l’« inconscient collectif » [11]. En effet, la comparaison trilatérale met en évidence les réticences persistantes des gouvernements canadiens et britanniques à l’égard de la prise en compte du facteur racial dans la statistique publique, réticences largement déterminées par l’appréhension de ses effets négatifs potentiels sur la cohésion nationale et les craintes d’une dérive ayant pour point d’aboutissement une polarisation de la société dont les États-Unis offriraient une illustration emblématique. En témoignent, dans le cas canadien, l’élimination du terme « race » du formulaire du recensement en 1951 et sa non-réapparition dans le cadre de la question sur l’appartenance à une « minorité visible ». En témoigne aussi, dans le cas britannique, le fait que la « ethnic question » – dont le libellé même indique l’euphémisation requise – n’ait été introduite dans le recensement qu’en 1991, après plusieurs tentatives infructueuses, échecs dus notamment à l’opposition d’associations antillaises soucieuses de la possible instrumentalisation des statistiques ethnoraciales par les forces politiques favorables à un durcissement de la politique migratoire. Sur ce point important – du moins du point de vue d’un lecteur français –, la démonstration de D. Thompson emporte aisément la conviction.
4Son livre présente toutefois des faiblesses qui ne peuvent être passées sous silence. Sur le plan formel, tout d’abord, outre un nombre élevé de propositions creuses, tautologiques (p. 45, 221…) ou irrémédiablement obscures (p. 224, 225…), l’écriture de l’auteure, qui procède systématiquement par accumulation de termes juxtaposés apparemment destinés à couvrir l’ensemble des configurations sémantiques envisageables, n’a pour effet que d’étourdir le lecteur attentif, en mettant sa patience à rude épreuve [12]. Ce travers stylistique omniprésent obstrue grandement la lecture des deux chapitres théoriques en particulier.
5Sur le fond, l’ouvrage n’est pas exempt d’inexactitudes ou d’intuitions douteuses, concernant le cas états-unien en particulier. Ainsi la formule condensée « White + Indian = Indian » (p. 83) est-elle démentie par le fait que les instructions du recensement de 1930 prescrivaient explicitement de classer comme « Blanc » un individu métis d’ascendance partiellement amérindienne qui serait « considéré[e] comme […] blanc[he] dans la communauté où [il] vit [13] ». Par ailleurs, l’insistance de l’auteure quant à l’efficacité rhétorique de la référence au précédent-repoussoir qu’aurait constitué l’apartheid comme instrument de délégitimation de l’introduction d’une catégorie « multiraciale » dans le recensement de l’an 2000 (p. 194-195) est peu convaincante, puisque celle-ci, en l’absence d’une remise en cause du principe de l’auto-déclaration par les recensés, n’aurait nullement « donné à l’État le pouvoir de déterminer qui est blanc, noir ou multiracial », comme dans le cas sud-africain (p. 195 ; souligné par nous).
6Enfin, et de manière plus générale, la conceptualisation de la race sur laquelle repose toute la trame argumentative n’est pas à l’abri de la critique. Le problème n’est pas seulement que la définition qui en est proposée est étonnamment vague [14] et le statut de fait transnational, sinon universel de ce « principe de vision et de division [15] » du monde social simplement postulé (p. 9, 16, 28), malgré de nombreuses mises en garde absentes de l’appareil bibliographique [16]. De ce postulat découle aussi un défaut de problématisation du rapport entre race et ethnicité, l’auteure adoptant sur ce point une position quelque peu incohérente. D’un côté, elle semble reprendre à son compte la distinction entre les deux concepts proposée par Stephen Cornell et Douglas Hartmann [17], qui mettent l’accent sur l’assignation plus ou moins directement coercitive inhérente à la catégorisation raciale et dont l’identification ethnique pourrait être dépourvue (p. 6, note 6). De l’autre, à l’inverse d’auteurs d’inspiration weberienne comme Rogers Brubaker [18] et Andreas Wimmer [19] – dont elle qualifie pourtant les travaux de « persuasifs » (p. 236), D. Thompson voit apparemment dans la race la catégorie englobante dont l’ethnicité constituerait l’une des variantes, comme le suggère son assimilation constante de la « ethnic question » du recensement britannique à une question « raciale », les deux termes étant alors tenus pour interchangeables (p. 212). Ce faisant, l’auteure s’interdit de comparer les modalités d’articulation entre race et ethnicité dans les trois pays en question – pourtant nettement différenciées. À la logique de substitution de la seconde à la première perceptible au Royaume-Uni et, un temps, au Canada s’oppose en effet une disjonction institutionnalisée dans la nomenclature du recensement et dans le champ des sciences sociales aux États-Unis, où les deux termes renvoient le plus souvent à des groupes distincts : les minorités noires, amérindiennes et asiatiques ainsi que le groupe de référence que constitue la majorité blanche, d’une part, les immigrés européens d’origine autre qu’anglo-saxonne et leurs descendants, d’autre part (les Hispaniques occupant une position intermédiaire). A fortiori, l’identification des déterminants de cette différence notable demeure évidemment hors de portée. Cet angle mort de la démarche comparative ici engagée mériterait pourtant examen.
7Daniel Sabbagh
8Sciences Po, Centre de recherches internationales (CERI)
Cesare Mattina (2016), Clientélismes urbains. Gouvernement et hégémonie politique à Marseille, Paris, Presses de Sciences Po
10Le livre de Cesare Mattina aborde, à partir de l’exemple de Marseille, la question de la régulation clientélaire, expression préférée par l’auteur à celle de clientélisme dont il critique l’imprécision par rapport à la somme des diverses pratiques concernées. Il souhaite ainsi étudier le gouvernement de la ville, ce qui renvoie aux « logiques d’ordonnancement, de hiérarchisation sociale au travers de la distribution différentielle et inégalitaire des ressources aux différents individus, familles, groupes et classes sociales qui forment la société urbaine » (p. 18). Dans cette perspective, le vote « constitue une ressource très importante pour la construction de l’hégémonie politique » (p. 19). Ce faisant, l’auteur affirme son originalité par rapport à tout un ensemble de travaux portant plutôt sur la gouvernance urbaine. Celle-ci fait référence à une pluralisation des acteurs, privés ou publics, contrôlant d’autres échelles et échappant parfois au contrôle démocratique, ainsi qu’à la montée de nouvelles formes d’action publique, telles que des pratiques managériales et de projet.
11L’auteur défend deux grandes thèses : la première est que la régulation clientélaire implique non pas seulement les segments populaires et défavorisés de la population mais surtout les classes moyennes et « petites moyennes » (p. 86) en expansion et en situation d’ascension sociale. Si l’auteur n’y fait pas référence, cette qualification paraît proche de la catégorie utilisée par les auteurs de La France des petitsmoyens [20]. Dans le cas marseillais, le corollaire de la focalisation sur les classes moyennes est la production d’une véritable mise à l’écart sociale et spatiale d’une grande partie des catégories populaires, en particulier celles qui résident dans les « quartiers nord ». Inversement, la régulation clientélaire favorise un « bloc social hégémonique », plutôt regroupé à l’est et au sud de la ville.
12L’analyse, très riche, est produite à partir d’entretiens et de l’étude des dossiers personnels du cabinet du maire, ce qui permet de documenter très concrètement les formes et les objectifs du clientélisme, en l’occurrence l’accès à l’emploi (privé et public) et l’accès au logement social « de qualité » (c’est-à-dire bien situé et peu mélangé avec les catégories populaires et étrangères). S’y ajoutent les subventions aux associations, elles-mêmes vectrices d’embauche. Outre les liens matériels « divisibles », la régulation clientélaire redistribue aussi des gratifications symboliques, en particulier en direction d’associations qui s’adressent à des publics spécifiques (par exemple certains groupes d’origines étrangères mais aussi des associations de quartier). Les dirigeants ainsi gratifiés de ces associations constituent des relais essentiels du pouvoir local. L’analyse de la cooptation différenciée des leaders des communautés ethniques et migrantes est très éclairante et vient redoubler l’analyse en termes de groupes sociaux.
13Le second grand résultat de la recherche concerne le maintien dans le temps de ces pratiques politiques malgré les transformations sociales et les changements politiques que connaît la ville. De fait, le passage du defferrisme au gaudinisme s’effectue largement en privilégiant les mêmes groupes sociaux et les mêmes territoires, et dans une continuation notoire des pratiques clientélaires et des alliances. Ici, l’argumentation repose sur l’examen de l’évolution de la disponibilité de ressources, qui vient compléter l’analyse de la demande exprimée. L’auteur distingue plusieurs phases historiques : le premier defferrisme est assis sur la distribution d’emplois privés grâce à des entrepreneurs liés aux socialistes : Defferre lui-même, en tant que propriétaire du groupe de presse Le Provençal, offre de nombreux emplois ; autre exemple : la SOCOMA, société d’aconage portuaire, recrute des ouvriers sur le port et vient ainsi concurrencer l’hégémonie de la CGT et du Parti communiste au sein de cette base sociale. Par la suite, l’augmentation graduelle des emplois municipaux et paramunicipaux, des logements sociaux dans les années 1960, puis la décentralisation qui se traduit par la croissance de l’emploi public non seulement municipal mais aussi départemental et régional, prennent le relais et permettent la diversification et la continuation des politiques clientélistes, même si c’est alors sous des formes évolutives et dont l’efficacité électorale est potentiellement moins puissante (subventions aux associations, emplois temporaires/précaires). Le syndicat Force ouvrière, concurrent historique de la CGT, est un puissant soutien au sein de ces institutions.
14La transformation de la SFIO puis du PS en parti de classe moyenne, qui s’est graduellement éloigné des classes populaires, trouve ici une illustration saisissante, quand bien même elle garde des traits spécifiques. Dans l’exemple marseillais, cette coupure s’inscrit dans la longue durée. Au nom de son anticommunisme historique, la SFIO marseillaise puis le PS se montrent incapables de satisfaire la demande sociale des habitants des quartiers populaires, ouvriers puis immigrés et leurs descendants, et surtout de s’y intéresser. C’est ce qui explique ensuite l’implantation durable du FN dans cette ville, comme l’analyse l’auteur (p. 374).
15Un des grands intérêts du livre est le souci permanent de relier la réflexion à une analyse territorialisée, en montrant comment les politiques de la régulation clientélaire confortent la construction de territoires socialement homogènes autour des classes moyennes et de la demande en matière d’habitat ou d’aménagement des espaces publics (en appui sur les comités d’intérêt de quartiers). On aimerait savoir si les pratiques de clôture des quartiers qui se sont développées depuis une quinzaine d’années à Marseille, autre manifestation de l’approfondissement de la ségrégation socio-spatiale à Marseille, constituent aussi un résultat de cette régulation [21].
16Cesare Mattina critique les auteurs qui tendent à percevoir le clientélisme comme un résidu prémoderne, et comme un obstacle à la démocratie « idéale ». Il considère « la redistribution des ressources en vue d’une clientélisation des électeurs » comme « consubstantiel[le] aux processus de démocratisation » (p. 353). À l’inverse, il explique l’échec politique de Robert Vigouroux, le successeur de Defferre, par son approche technocratique, centrée sur des projets d’aménagement modernisateurs comme Euroméditerranée, avec une centralisation de la décision aux mains du cabinet du maire laissant de côté les adjoints, et une hostilité marquée aux pratiques clientélistes. L’auteur attribue l’échec de Vigouroux à se faire réélire (il renonce en réalité à se représenter en raison de son impopularité) à ces pratiques solitaires et coupées de la demande sociale (qui n’est pas entendue, et à laquelle il n’est pas proposé de réponse). Cesare Mattina les qualifie même « de type autocratique », « inverses d’une démarche de démocratisation » (p. 353) d’une manière rapide et qui aurait sans doute mérité de s’appuyer sur une définition plus précise de la démocratie.
17Cette analyse s’inscrit plus largement dans une perspective systématiquement comparative, en particulier avec les villes de « l’occident industriel ». La comparaison avec les travaux nord-américains, où le rôle des machines politiques a été largement exploré, lui permet justement d’élargir la portée de son argument au-delà d’un espace de référence méditerranéen (le livre est tiré d’une thèse consacrée à la régulation clientélaire à Naples et Marseille). Cette posture comparative donne plus de force à sa volonté explicite de se démarquer des analyses sur le clientélisme comme une caractéristique des sociétés rurales, prémodernes, voire méditerranéennes au sens culturaliste de sociétés structurées par les liens familiaux.
18Justement parce qu’elle est heuristique et convaincante, cette démarche ne doit pourtant pas empêcher de saisir ce que le livre apporte à la compréhension des transformations politiques et le gouvernement des grandes villes de cette région. Je souhaite ici faire un lien avec l’ouvrage récent dirigé par D. Lorrain (2017), dans la même collection, auquel j’ai contribué [22]. Celui-ci met en avant l’importance des rentes foncières et immobilières, ainsi que des rentes secondaires (contrôle des filières d’importation en Algérie par exemple) comme enjeu central du gouvernement urbain, et le rôle de la violence politique comme mécanisme de régulation. Dans cette perspective, la notion de « bloc social hégémonique » proposée par Mattina constitue sans doute une variable analytique complémentaire qui aurait pu être mobilisée. Elle conduit à insister sur la centralité des classes moyennes, des fonctionnaires et des groupes dépendant des ressources étatiques dans l’équation politique et l’importance de la régulation clientélaire visant à les conforter et à les stabiliser. Soutiens essentiels des régimes étatiques, nombreux dans les grandes villes dont la stabilité politique est stratégique, ces groupes sociaux ont longtemps été les bénéficiaires principaux d’une redistribution d’emplois (publics mais aussi privés via les entrepreneurs proches des régimes, par exemple les banques au Liban), ou de logements publics (Syrie, Égypte) mais aussi des crédits (par exemple le crédit immobilier au Liban ces dix dernières années) [23]. Les ressources à redistribuer concernent également l’accès à la santé, à l’éducation (surtout lorsque celle-ci est payante), ou la tolérance, voire la régularisation de situations foncières ou immobilières illégales à divers titres, ou encore l’accès aux services de base (eau, électricité, etc.), sachant que ces secteurs urbains correspondent souvent à des « petites classes moyennes » en expansion et non uniquement aux groupes les plus désavantagés (dans un contexte où les divisions ethniques et religieuses constituent aussi de puissantes lignes de clivage). Le travail de Mattina suggère que le gouvernement de la ville passe aussi par la régulation clientélaire, liant échanges de ressources et légitimation politique, que ce soit par le vote (Liban) ou par d’autres formes de soutien politique, tels que la non-participation aux mouvements de contestation (comme en Jordanie), et ne se limite pas à la lutte, souvent violente, pour les rentes économiques.
19L’idée que la régulation clientélaire est un ensemble de pratiques politiques normales et non pas régressives ou traditionnelles, peut aussi faire réfléchir sur les difficultés éprouvées par les mouvements d’opposition se revendiquant d’une approche moderne de la politique à s’imposer. Au Liban, la contestation politique s’est récemment traduite par une entrée de groupes indépendants dans la compétition politique. On peut se demander si leur échec [24] ne tient pas, pour une part, à leur difficulté à se situer sur le terrain d’une réponse à la demande sociale de distribution de ressources. Alors qu’ils ont conceptualisé leur offre politique sous la forme d’une « rationalisation » du gouvernement urbain, insistant sur la lutte contre la corruption et une définition plus transparente de l’action publique, ces approches laisseraient peu de place à des relations de nature plus individuelle, fondées sur l’écoute et la connaissance des électeurs, et la réponse concrète et souvent matérielle à leur demande. À l’inverse, le contrôle par les acteurs politiques en place des ressources redistribuables constitue toujours un atout essentiel dans la joute électorale.
20Certes, les politistes travaillant sur cette région du monde nous mettent en garde contre tout réductionnisme économiciste dans l’explication des soulèvements dans le monde arabe et méditerranéen ces dix dernières années. Le cadre d’analyse déployé par Mattina permet néanmoins d’interpréter les vacillements de ces pays et de leurs grandes villes comme la conséquence d’une réorganisation des flux de ressources disponibles pour la redistribution clientélaire. Les régimes en place se sont alliés à des acteurs aux puissants intérêts financiers et immobiliers dans le cadre de politiques libérales visant à favoriser les investissements étrangers via la modernisation des espaces métropolitains. Les bénéfices engrangés par ces nouveaux alliés obèrent les ressources disponibles pour la redistribution en direction du bloc social hégémonique [25]. Ceci peut se combiner avec les explications plus classiques relatives aux variations de la rente pétrolière [26] pour rendre compte d’un sentiment d’injustice et d’un pacte social ébréché [27] qui détournent une partie des soutiens des régimes en place, au moins temporairement.
21En conclusion, le travail de Cesare Mattina constitue une contribution stimulante pour penser les relations entre élites urbaines et groupes sociaux non seulement dans le cadre des villes françaises ou plus largement occidentales mais aussi de manière élargie vers d’autres contextes d’où elles ne doivent pas être écartées.
22Éric Verdeil
23Sciences Po, Centre de recherches internationales (CERI)
Emmanuel Henry (2017), Ignorance scientifique et inaction publique. Les politiques de santé au travail, Paris, Presses de Sciences Po
25Dans cet ouvrage tiré de son habilitation à diriger des recherches, Emmanuel Henry entre dans les politiques de santé au travail en France par deux dispositifs d’action publique datant du début et de la fin du xxe siècle : l’indemnisation des maladies professionnelles (basée sur un principe de réparation) ; la fixation de valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) pour les travailleurs au contact de produits toxiques (basée sur un principe de précaution). Pour « résoudre l’énigme [du] désintérêt et de [la] méconnaissance » publics des questions de santé au travail (p. 6), l’auteur étudie le rôle de la science et de l’expertise dans la stabilité d’un système structurellement inégalitaire. Ces deux instruments d’action publique sont en effet, selon lui, révélateurs du pouvoir des industriels et de leur capacité à limiter les connaissances scientifiques face aux faibles ressources des représentants des travailleurs et face à l’inertie des pouvoirs publics en matière de santé au travail.
26L’entrée par ces deux dispositifs emblématiques d’un petit « monde de commissions » lui permet d’analyser les liens entre action publique, publicité [28], science et pouvoir (p. 5-27). Renouant avec la question du pouvoir « largement délaissée par la science politique depuis les débats autour des travaux sur la non-décision [29] », cet ouvrage s’inscrit dans une sociologie des sciences et de l’action publique. E. Henry s’inscrit explicitement dans une sociologie des formes de gouvernement de tradition foucaldienne. L’ouvrage permet ainsi de mettre en perspective les transformations contemporaines de l’État et les manières dont des logiques néo-libérales s’y diffusent. Le pouvoir des acteurs économiques est d’autant plus fort qu’il ne suppose pas nécessairement une forte mobilisation de leur part. L’auteur observe ainsi « une configuration sociale où le fait de laisser se développer les logiques scientifiques conduit au fait de privilégier les industriels aux dépens des intérêts des travailleurs. […] les industriels n’ont pas besoin de manipuler des experts […]. Il leur suffit de laisser les interactions sociales se dérouler selon leurs propres règles » (p. 175).
27Pour appuyer sa démonstration, E. Henry se base sur un matériau empirique recueilli au cours de différentes enquêtes depuis sa thèse (p. 23). Il mobilise des extraits d’une vingtaine d’entretiens réalisés à la fin des années 1990 et au tournant des années 2000-2010 avec des experts (épidémiologistes et toxicologues) intervenant dans des institutions publiques, des représentants syndicaux intervenant au sein du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels (CSPRP), des responsables administratifs (de la direction générale du Travail notamment) et un hygiéniste industriel ayant participé à des commissions européennes sur les VLEP. Il mobilise aussi archives et documents (rapports des institutions publiques et comptes rendus de réunions de commissions d’experts liées au ministère du Travail, celles du CSPRP notamment) et évoque enfin (p. 116) des observations au sein de deux comités d’experts.
28Dans la première partie de son ouvrage, l’auteur analyse la mise en place en France d’un système assurantiel des maladies professionnelles par un « compromis négocié » entre pouvoirs publics, syndicats, patrons et médecins au début du xxe siècle. Basé sur une définition restrictive des maladies professionnelles liées à une cause unique, ce système de négociation entre partenaires sociaux minimise le problème. Cette invisibilité est renforcée par l’absence de statistiques globales sur les effets du travail sur la santé, celles de l’Assurance maladie qui servent au « pilotage » de l’action publique ne comptabilisant qu’une partie des maladies professionnelles indemnisées. Malgré la mise en avant de « facteurs multiples » par l’épidémiologie depuis les années 1990 et malgré la création d’agences publiques d’expertise dans les années 2000, ce système perdure, les représentants syndicaux ayant peur de perdre leurs acquis et les agents administratifs ayant intérêt à l’inertie. Il n’a été remis en cause ni par les mouvements sociaux, ni par les experts divisés entre expertise « institutionnelle » et expertise « militante », plus distante des négociations [30]. L’auteur démontre ici comment la « science non faite » (undone science), ou du moins la « limitation de la production scientifique » par les industriels, participe également à la stabilité du système.
29Dans la seconde partie de son ouvrage, E. Henry se penche sur la régulation par la science comme « verrouillage supplémentaire » du système (p. 123). Alors que les seuils sont régulièrement abaissés au fil du temps sous l’effet de l’avancée des recherches, les VLEP ont été progressivement présentées comme protectrices des travailleurs ; les règles du jeu scientifique valorisent ici l’administration de la preuve de la toxicité des produits au détriment des conséquences sanitaires. Les avantages de ce mode de régulation pour les industriels se situent ensuite aux phases de concertation, décision et application : les délais entre la preuve de la toxicité d’un produit, la fixation d’un seuil réglementaire (dans des espaces où les industriels dominent face à des syndicats et des administrations démunis) et sa mise en application laissent aux industriels une dizaine d’années pour utiliser le produit et mettre en place des stratégies de contournement. Pour l’auteur, l’étape de la mise en œuvre de la réglementation (ou plutôt son absence, les valeurs limites étant peu contrôlées par les pouvoirs publics) est elle aussi cruciale. Le système aboutit à la reproduction des rapports de la domination du patronat sur les travailleurs, et de l’espace économique sur l’espace administratif.
30Dans la lignée des travaux antérieurs de l’auteur sur l’amiante, cet ouvrage contribue ainsi à la (re)connaissance du problème de la santé au travail et des inégalités sociales de santé. À l’image d’autres politiques [31], c’est ici la dimension inégalitaire du problème qui explique son invisibilisation : ce sont majoritairement des ouvriers et des employés qui sont touchés par les maladies et risques professionnels. Le désintérêt pour la santé au travail apparaît dès lors lié aux différences de prévalence de ces maladies selon les classes sociales. L’auteur cite d’ailleurs deux exceptions : les risques psychosociaux qui touchent les différentes CSP, dont les cadres ; la « crise » de l’amiante qui a bénéficié d’une médiatisation très forte parce que la question était considérée comme relevant de la santé des populations, et non des seuls ouvriers qui s’étaient mobilisés, sans succès, dès les années 1970. L’amiante fonctionne comme un contre-exemple permettant de voir l’invisible en matière de santé au travail, largement exclue de la santé publique avec l’argument qu’elle ne concerne pas la population dans son ensemble. Si la santé est en large partie « un non-enjeu politique » en France [32], cet ouvrage rappelle que la santé au travail l’est tout particulièrement.
31Il fournit également une contribution originale à la sociologie de l’action publique. E. Henry met au jour la construction d’une sorte de non-problème social puisqu’il y a un système de réparation et des politiques de prévention [33]. Tandis que le rôle des mobilisations collectives et des associations d’usagers dans la reconnaissance des problèmes publics a été analysé [34], l’auteur montre une logique inverse : la manière dont a été construit le problème de la santé au travail et sa résolution apparente ont participé à cadrer (et éviter) les mobilisations collectives – on retrouve ici un processus de dépolitisation par la technicisation du problème [35]. Mais le travail d’E. Henry montre aussi et surtout un mode de gouvernement par la discrétion : le pouvoir des dominants est d’autant plus fort qu’il est discret. Cette discrétion semble ici passer par l’organisation de groupes informels, à l’échelle nationale et européenne, qui se formalisent ensuite. Plus encore, en insistant sur l’inertie des politiques publiques et la non mise en œuvre des décisions, l’auteur participe à analyser la lenteur et l’inefficacité (plus que l’« inaction ») comme mode de gouvernement : les réformes apparentes, la multiplication des commissions, des institutions et des dispositifs dans les années 2000 provoquent des brouillages, une sorte d’inefficacité organisée qui sert les intérêts des industriels.
32S’il traite une question classique (les usages des savoirs scientifiques par l’action publique), E. Henry en inverse la focale habituelle. Plutôt que de s’intéresser aux affaires et scandales liant experts et industriels, il met au centre de son propos « la science non faite » (plus que « l’ignorance scientifique », notion envers laquelle l’auteur est assez critique malgré le titre de l’ouvrage). Là où plusieurs travaux en sciences sociales ont montré le poids du lobbying [36] et le cynisme des industriels, il insiste sur le fait que ces derniers n’ont « pas besoin de déployer beaucoup d’énergie pour obtenir que les arbitrages s’effectuent en leur faveur » (p. 84). Pourtant, en présentant une série de stratégies actives de la part des industriels (en amont avec la « limitation » des recherches scientifiques et en aval avec la délocalisation en fonction des réglementations nationales ou le recours à des produits dont la toxicité n’a pas été encore démontrée par exemple), l’auteur donne des éléments qui viennent nuancer sa thèse d’un simple laisser-faire de leur part. Cette sociologie de l’« in- » (invisibilité, inaction publique, etc.) soulève ici une question méthodologique : comment saisir et enquêter sur des pouvoirs discrets ? Les difficultés d’accès aux sources sont d’ailleurs soulignées par l’auteur (p. 82), le cas français se distinguant des cas anglo-saxons où l’accès aux archives industrielles a été possible [37]. L’analyse des industriels comme laissant faire un système qui leur est favorable n’est-elle pas, au moins en partie, liée au fait que leurs actions pour verrouiller ce système et mettre la science et l’expertise de leur côté face à des travailleurs et des mouvements sociaux peu dotés en ressources, laissent des traces difficilement accessibles ? De ce point de vue, il serait intéressant d’entrer dans les différenciations internes à chaque groupe d’acteurs et d’analyser les rapports de force en leur sein : les industriels (plus ou moins internationalisés), les scientifiques et les experts (souvent associés dans le propos), les hauts fonctionnaires du ministère du Travail, les syndicalistes, etc. L’ouvrage appelle aussi à développer l’ethnographie des commissions d’experts aux échelles nationale, européenne et internationale, des logiques de sélection de leurs membres et de leurs effets.
33Au-delà des questions qu’il soulève et des pistes qu’il ouvre, le travail d’E. Henry contribue à rendre des questions techniques accessibles à des non-spécialistes. Le développement de connaissances (y compris en sciences sociales) n’est évidemment pas le seul élément qui joue dans la remise en cause des inégalités sociales qui structurent les questions de santé au travail. L’auteur signale d’ailleurs sa propre désillusion face à la stabilité du système après la « crise » de l’amiante au milieu des années 1990 : « nous avons longtemps pensé que [le recours à une expertise publique indépendante pour la prise de décision publique et la publicisation des rapports] conduiraient à une transformation » des politiques de santé au travail (p. 93). Son analyse fait écho à un autre ouvrage sur le « pouvoir » des « puissants » : « Le pouvoir consiste moins en une affaire de personnes qu’en un ensemble de rapports de force entre ordres institutionnels et au sein de chacun d’eux. [La transformation des rapports de pouvoir ne peut donc] qu’être une entreprise collective [38]. » Sans en être à cette étape en matière de santé au travail, les travaux sociologiques qui, à l’image de ce livre, croisent travail et santé [39] contribuent au moins à rendre plus visible ce problème.
34Audrey Mariette
35Université Paris 8-Saint-Denis, CRESPPA, CSU
Marie-Ange Grégory (2017), Les Départements, une controverse française, Paris, Berger-Levrault
37Avec la publication de son livre Les Départements, une controverse française, Marie-Ange Grégory rend sa recherche doctorale en science politique accessible au plus grand nombre. Son titre demeure quelque peu énigmatique tant les analogies avec la sociologie des controverses scientifiques paraissent d’une utilité relativement limitée pour saisir la controverse, ce sur quoi elle porte, ainsi qu’appréhender les registres de mise en cause du département eux-mêmes. Ces derniers n’apparaîtront qu’au fil de chapitres dont la succession obéit à une trame chronologique. Cette entreprise livresque est incontestablement bienvenue car, comme l’auteur le souligne et le revendique, son apport est d’« éclairer un objet délaissé par la science politique » (p. 40). Le « département » que l’auteur se propose d’étudier renvoie principalement au registre de la décentralisation, quand le département comme format administratif de l’État – moins sujet aux controverses – est plus secondairement traité. Cet ouvrage est d’autant plus salutaire qu’il raisonne puissamment avec l’actualité de la réforme territoriale : le département s’y voit fustigé comme l’échelon de trop, celui qu’il faudrait au choix dissoudre (dans les conseils territoriaux), supprimer (discours de politique générale de Manuel Valls) ou évider de ses compétences (projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit NOTRe). Bien que la rhétorique anti-départementale (davantage le fait d’élites que de dispositions populaires) n’ait évidemment rien de nouveau, le département est toujours là, résilient comme le titre Marie-Ange Grégory.
38L’opportunité nous est ainsi offerte de revisiter l’institutionnalisation du département, à la fois sous l’angle incontournable du droit, mais aussi celui d’une sociologie politique susceptible d’embrasser le département comme structure de gouvernement (polity), instance de décision où s’élaborent des décisions (policy) et espace investi par la politique (politics). Davantage, les « heureux » débordements auxquels se livre l’auteur permettent de traiter plus généralement de la décentralisation. Ainsi la question régionale, avec laquelle la cause départementale entretient un lien à la fois intime et concurrentiel, est-elle fréquemment mobilisée. Marie-Ange Grégory inscrit son analyse dans une démarche principalement socio-historique, consistant dans l’exploitation d’un matériau extrêmement riche et diversifié : débats parlementaires et ouvrages de l’époque en tête, littérature grise, prises de position publiques (communiqués, motions), articles de presse… Elle la complète par une approche plus ethnographique – suivi d’élus départementaux dans le contexte des élections cantonales de 2011 – dont l’exploitation occupe une place plus résiduelle.
39Dans cette histoire longue du département, le parti pris de l’auteur d’évacuer assez rapidement, en introduction, la genèse et les soixante-dix premières années d’existence du département, peut être regretté. C’est donc principalement à partir des années 1860 que le livre explore et analyse les débats, projets et réformes entourant le département. Pour ce faire, l’auteur structure ses quatre parties, toutes subdivisées en deux chapitres, autour d’une trame chronologique qui fonctionne délibérément par éclipses (certaines périodes étant passées sous silence). Leurs bornes temporelles peuvent déborder, le cas échéant, celles annoncées en titre de chapitre. Il s’agit d’abord de saisir des configurations historiques, interrogeant la problématique départementale sous un jour particulier et mobilisant de manière très précise les principaux protagonistes pro ou anti-départementalistes.
40La première partie questionne le débat sur la décentralisation, relancé dans les années 1860 et qui voit resurgir la question des provinces. Mais c’est finalement à travers le département, avec la loi du 10 août 1871, que la décentralisation se relance. Dans cette période, où il s’agit d’examiner les positions respectives et les enchaînements contextualisés de la réforme, la défense comme la critique du département apparaissent transpartisanes.
41La seconde partie débute avec la charnière du xixe et du xxe siècle, dans un contexte de renouvellement social du personnel parlementaire. Son premier chapitre ne traite pas tant du département que de l’effervescence autour du mouvement et des projets régionalistes (portées dans différents univers sociaux, intellectuels, politiques), et de leur faible portée. Le second est consacré à l’émergence d’une première forme de lobby départementaliste avec la Revue départementale. Lieu d’innovation,
42de sociabilité et d’information, elle contribue à une mobilisation d’autant plus décisive qu’il n’existe pas encore d’association départementale d’élus en bonne et due forme. La fonction doctrinale de la revue fait l’objet d’importants développements.
43La troisième partie débute avec un chapitre entièrement consacré au régime de Vichy et au traitement de la question territoriale. Il y est autant question de département que de nouvel échelon régional. Dans une ive République relativement vierge pour ce qui a trait aux évolutions départementales, le choix est ensuite fait d’étudier finement – tout un chapitre y est consacré – l’Association des présidents de conseils généraux créée en 1946. Loin de confiner son analyse à la seule ive République, l’auteur aborde en réalité son évolution jusqu’au début du xxie siècle. En tout état de cause, le livre permet très utilement d’enrichir une littérature française trop peu prolixe sur le sujet des associations d’élus comme le relevait Jean Petaux en 1994 [40], comparativement aux études britanniques qui se sont multipliées sous l’impulsion de l’Economic and Social Research Council. Un vide que la recherche doctorale de Patrick Le Lidec sur l’Association des maires de France avait depuis permis de combler partiellement.
44Contrairement aux deux précédentes parties, vierges de toute transformation d’ordre institutionnel majeure, la quatrième et dernière partie traite d’une période contemporaine marquée par le changement. Bien qu’elle reparte des débuts de la ve République, l’essentiel se joue à partir du début des années 1980 et de la survenue de l’Acte I de la décentralisation, véritable renaissance départementale marquée par le transfert du pouvoir exécutif du préfet au président de conseil général. L’analyse, qui court ensuite jusqu’à la dernière loi NOTRe du 7 août 2015, fait curieusement l’impasse sur certains épisodes : rien n’est écrit sur l’Acte II de la décentralisation, qui avait pourtant refermé la parenthèse déstabilisatrice pour les départements comme l’avait rappelé Patrick Le Lidec ; de même, la loi Réforme des collectivités territoriales (RCT) du 16 décembre 2010 établissant les conseils territoriaux, soit la fusion des mandats départementaux et régionaux, est ici ignorée (son absence de mise en œuvre effective n’enlève rien à l’intérêt de son étude).
45Au final, l’exploration, l’assemblage et l’analyse d’un matériau extrêmement riche rendent la lecture de cet ouvrage indispensable pour tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’objet départemental. Nous formulerons néanmoins des regrets concernant la période contemporaine. Les places respectives données aux configurations et à leur traitement interrogent en effet. Le choix de consacrer 70 pages à une période – 1900-1930 – où aucune transformation institutionnelle majeure n’est à noter, et seulement 20 pages supplémentaires à une période – la ve République – pourtant riche de changements, semble désajusté. Par ailleurs, l’auteur a pu remettre en perspective les mises en cause les plus récentes du département par rapport à la réforme territoriale inaugurée sous la mandature Sarkozy. Affranchi d’une logique décentralisatrice stricto sensu et centrée sur la rationalisation du mille-feuille territorial, la réforme territoriale déploie des registres de réforme qui affectent très directement la collectivité départementale : supprimer l’échelon de trop ; renforcer le couple intercommunalités-régions ; mettre de l’ordre dans une nature jugée proliférante des compétences. Seule la réforme par les cartes paraît globalement épargner le département, contrairement au redécoupage des intercommunalités et des régions. Plus secondairement, une ouverture européenne, avec la convocation en particulier des Provinces italiennes, aurait permis d’interroger l’hypothèse d’une fragilisation des échelons intermédiaires sur le vieux continent.
46Si l’auteur évoque une résilience départementale, et en montre finalement les mécanismes à partir du travail classique de lobbying et de défense, il eût aussi été utile d’explorer plus avant la manière dont le département se (re)légitime par une intensification/réinvention de sa double vocation solidaire (nécessité faisant vertu). Au-delà des chiffres avancés sur le social, supposés objectiver la montée en puissance du département providence, il aurait été intéressant de faire un détour par une sociologie de l’action publique départementale. Elle aurait permis d’étudier des trajectoires sectorielles de politiques publiques et de comprendre comment le leadership départemental s’était imposé dans des secteurs où se posait la question de la gouvernance institutionnelle (dépendance, exclusion). De même, l’évocation rapide par l’auteur de l’aide tutélaire apportée aux communes est loin d’épuiser la manière dont la vocation de solidarité territoriale emprunte de nouveaux habits contractuels (des contrats de territoire en lieu et place d’aides ponctuelles et individualisées) et s’intensifie du côté de l’ingénierie technique (dans un contexte de retrait de l’État). De manière générale, le choix de privilégier une focale nationale éclipse quelque peu l’approche par le bas et tout le travail de légitimation déployé par les départements sur le terrain et en relation avec les autres acteurs (et notamment le tissu communal rural).
47Ces absences n’empêchent pas l’ouvrage de briller par son érudition, mise au service d’un récit – sur le temps long – et de minutieuses chroniques de séquences plus courtes et choisies, et qui forment un ouvrage consistant de presque 400 pages. Avec un tel assemblage, le livre aurait gagné à ce que l’auteur engage plus avant une analyse personnelle, même si la construction et le découpage de l’objet y participent en soi. Inscrit dans une perspective de science sociale plus descriptive et narrative, que théorique et modélisatrice, cet ouvrage brille par sa dimension empirique quitte à négliger quelque peu l’ambition théorique une fois passé le cadrage introductif autour de la sociologie des institutions et des controverses. La question centrale du (non) changement, des rôles respectifs des idées, des intérêts et tout particulièrement ici des institutions, aurait pu être plus présente. Le parti pris a aussi ses avantages pour qui souhaite d’abord se replonger dans la généalogie de l’institution, identifier ses protagonistes, repérer les débats et controverses d’hier et d’aujourd’hui. Même si la cartographie contemporaine des positions pro- et antidépartementales ressort trop peu. Dans la supposée querelle des Anciens et des Modernes, il est évident que les forces « périphériques » des deux Fronts (de gauche, et national) défendent avec vigueur le département, quand il divise en interne les forces plus centrales (un peu à la manière des questions européennes).
48Thomas Frinault
49Université Rennes-2, ARENES
Notes
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[1]
P. Schor (2009), Compter et classer. Histoire des recensements américains, Paris, Presses de l’EHESS.
-
[2]
M. Anderson, S. Fienberg (eds) (1999), Who Counts ? The Politics of Census-Taking in Contemporary America, New York (N. Y.), Russell Sage Foundation ; M. Nobles (2000), Shades of Citizenship. Race and the Census in Modern Politics, Stanford (Calif.), Stanford University Press ; P. Skerry (2000), Counting on the Census ? Race, Group Identity, and the Evasion of Politics, Washington (D. C.), Brookings Institution ; K. Williams (2006), Mark One or More. Civil Rights in Multiracial America, Ann Arbor (Mich.), University of Michigan Press.
-
[3]
Une exception à cet égard est l’étude remarquable de P. Schor, A. Spire (2005) consacrée au binôme franco-états-unien, « Les statistiques de la population comme construction de la nation », dans R. Kastoryano (dir.), Les Codes de la différence. Race-Origine-Religion. France-Allemagne-États-Unis, Paris, Presses de Sciences Po, p. 91-121.
-
[4]
À ce propos, voir aussi K. Prewitt (2013), What is Your Race ? The Census and Our Flawed Efforts to Classify Americans, Princeton (N. J.), Princeton University Press.
-
[5]
Voir notamment A. S. Orloff (1993), The Politics of Pensions. A Comparative Analysis of Britain, Canada, and the United States, 1880-1940, Madison (Wis.), University of Wisconsin Press ; J. S. O’Connor, A. S. Orloff, S. Shaver (1999), States, Markets, Families. Gender, Liberalism and Social Policy in Australia, Canada, Great Britain, and the United States, Cambridge, Cambridge University Press ; P. Chhibber, K. Kollman (2004), The Formation of National Party Systems. Federalism and Party Competition in Canada, Great Britain, India, and the United States, Princeton (N. J.), Princeton University Press.
-
[6]
Dans une optique similaire, concernant le sous-continent latino-américain, voir également le maître livre de M. Loveman (2014), National Colors. Racial Classification and the State in Latin America, Oxford, Oxford University Press.
-
[7]
T. Skocpol, P. Pierson (2002), « Historical Institutionalism in Contemporary Political Science », in I. Katznelson, H. Milner (eds), Political Science. State of the Discipline, New York (N. Y.), Norton, p. 693-721.
-
[8]
J. Hochschild, B. Marea Powell (2008), « Racial Reorganization and the United States Census 1850-1930 : Mulattoes, Half-Breeds, Mixed Parentage, Hindoos, and the Mexican Race », Studies in American Political Development, 22 (1), p. 59-96.
-
[9]
Constitue une « minorité visible » au Canada toute population non blanche et non amérindienne (Noirs, Latino-Américains, Asiatiques, Arabes…).
-
[10]
F. Dobbin (2002), « Do the Social Sciences Shape Corporate Antidiscrimination Practice ? The United States and France », Comparative Labor Law and Policy Journal, 23 (3), p. 829-863 ; R. Lieberman (2005), Shaping Race Policy. The United States in Comparative Perspective, Princeton (N. J.), Princeton University Press.
-
[11]
E. Todd (1994), Le Destin des immigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, Paris, Seuil, p. 113, 104, 13.
-
[12]
Deux exemples représentatifs, délibérément non traduits afin que le lecteur puisse juger de la chose sans le moindre filtre : « Racial ideas can be animated through practices that are geographic (global, hemispheric, continental, national, regional, local), relational (diasporic, national, cultural, ethnic, communal, familial), and/or ontological (semantic, discursive, symbolic, textual, visual, programmatic, experiential) in nature » (p. 27) ; « Racial ideas […] spill over, seep through, defy, extend, challenge, and negate national boundaries » (p. 31).
-
[13]
P. Schor (2009), op. cit., p. 241.
-
[14]
« Un ensemble puissant d’idées ou de normes relatives à l’identité, à la différence et à l’organisation de la société et de ses composantes » (p. 25).
-
[15]
P. Bourdieu (1980), « L’identité et la représentation », Actes de la recherche en sciences sociales, 35, p. 66.
-
[16]
L. Wacquant (1997), « For an Analytic of Racial Domination », Political Power and Social Theory, 11, p. 221-234 ; M. Loveman (1999), « Is Race Essential ? », American Sociological Review, 64 (6), p. 891-898 ; B. Fields, K. Fields, Racecraft. The Soul of Inequality in American Life, Londres, Verso.
-
[17]
S. Cornell, D. Hartmann (2007), Ethnicity and Race. Making Identities in a Changing World, Thousand Oaks (Calif.), Pine Forge Press.
-
[18]
R. Brubaker (2009), « Ethnicity, Race, and Nationalism », Annual Review of Sociology, 35, p. 21-42.
-
[19]
A. Wimmer (2008), « The Making and Unmaking of Ethnic Boundaries : A Multi-Level Process Theory », American Journal of Sociology, 113 (4), p. 970-1022.
-
[20]
M. Cartier, I. Coutant, O. Masclet (2008), La France des « petits-moyens » : enquête sur la banlieue pavillonnaire, Paris, La Découverte.
-
[21]
E. Dorier-Apprill et al. (2008), « Ensembles résidentiels fermés et recompositions urbaines à Marseille », Pouvoirs locaux, 72, p. 92-98.
-
[22]
D. Lorrain (dir.) (2017), Métropoles en Méditerranée : gouverner par les rentes, Paris, Presses de Sciences Po.
-
[23]
Pour une vision synthétique, qui ne s’intéresse pas à la dimension urbaine mais traite des enjeux de clientélisation des groupes sociaux, voir M. Catusse (2006), « Ordonner, classer, penser la société : les pays arabes au prisme de l’économie politique », dans É. Picard (dir.), La Politique dans le monde arabe, Paris, Armand Colin, p. 215-238.
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[24]
N. Dot-Pouillard (2018), « Les élections libanaises au prisme des conflits régionaux – “Un peuple qui compte” », Orient XXI, 22 mai 2018, en ligne [https://orientxxi.info/magazine/les-elections-libanaises-au-prisme-des-conflits-regionaux].
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[25]
Voir par exemple G. Achcar (2013), Le Peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, Arles, Actes Sud.
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[26]
Voir sur ce point l’introduction de T. Mitchell (2013), Carbon democracy : le pouvoir politique à l’ère du pétrole, traduit par Christophe Jacquet, Paris, La Découverte.
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[27]
Voir notamment la notion de « mémoire collective de la justice économique » avancée par S. Heydemann (2013), « Après le séisme. Gouvernement économique et politique de masse dans le monde arabe, », Critique internationale, 61, p. 69-84.
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[28]
Pour analyser la variation des degrés de visibilité des problèmes publics en fonction des acteurs et des instances où ils sont déterminés, l’auteur reprend la notion de « regime of imperceptibility » à Michelle Murphy. M. Murphy (2006), Sick Building Syndrome and the Problem of Uncertainty : Environmental Politics, Technoscience, and Women Workers, Durham (N. C.), Duke University Press.
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[29]
L’auteur se réfère aux travaux de P. Bachrach et M. Baratz (1962), « Two Faces of Power », The American Political Science Review, 56 (4), p. 947-952.
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[30]
L’auteur reprend ici l’opposition proposée par Marcel Goldberg, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, qui se distingue d’un « expert militant » tel qu’Henri Pézerat, chercheur au CNRS spécialisé en toxicologie et militant au Parti communiste et à la CGT.
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[31]
Voir par exemple M. Grossetête (2012), Accidents de la route et inégalités sociales. Les morts, les médias et l’État, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant.
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[32]
F. Buton, F. Pierru (2012), « Les dépolitisations de la santé », Les Tribunes de la santé, 34 (1), p. 51-70.
-
[33]
Sur cette question, voir aussi C. Omnès, L. Pitti (dir.) (2009), Cultures du risque au travail et pratiques de prévention au xxe siècle. La France au regard des pays voisins, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
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[34]
Voir par exemple P. Favre (dir.) (1992), Sida et politique : les premiers affrontements (1981-1987), Paris, L’Harmattan ; P. Pinell (2002), Une épidémie politique. La lutte contre le sida en France, 1981-1996, Paris, PUF.
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[35]
Y. Barthe (2006), Le Pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Economica.
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[36]
Voir par exemple S. Laurens (2015), Les Courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles, Marseille, Agone.
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[37]
Voir par exemple D. Rosner, G. Markowitz (2009), « L’histoire au prétoire. Deux historiens dans les procès des maladies professionnelles et environnementales », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56 (1), p. 227-253.
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[38]
F. Denord, P. Lagneau-Ymonet (2016), Le Concert des puissants, Paris, Raisons d’agir, p. 7.
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[39]
Voir aussi par exemple D. Carricaburu, E. Henry (2010), « Méconnaissances de la santé au travail », Sciences sociales et santé, vol. 28, p. 5-9.
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[40]
J. Petaux (1994), « L’école des maires. Les associations d’élus locaux », Politix, 28, p. 49-63.