Couverture de GAP_164

Article de revue

À qui profite la « concurrence » ?

Modèles de concurrence et régulation de la grande distribution française (1949-1986)

Pages 69 à 91

Notes

  • [1]
    L’auteur remercie Claire Lemercier, Marie-Emmanuelle Chessel, Scott Viallet-Thévenin, Josh Whitford et David Reinecke pour leurs suggestions sur des versions antérieures de cet article. L’auteur remercie également les relecteurs anonymes de la revue Gouvernement et action publique dont les commentaires ont permis d’améliorer et de clarifier encore davantage le manuscrit.
  • [2]
    Outre les travaux des historiens et sociologues, des ouvrages portant sur l’histoire de la grande distribution française ont été écrits par des figures de ce milieu (Leclerc, 1974) ou des journalistes (Carluer-Lossouarn, 2008 ; Thil, 1964).
  • [3]
    Cette capacité des modèles de concurrence à contribuer à une « montée en généralité » tient à leur dimension morale (Amable, 2011).
  • [4]
    Recherche effectuée sur la base de données en ligne Europresse au moyen de plusieurs mots-clés.
  • [5]
    Dossier « commerce intérieur et distribution en France », tomes 1 à 3 (1949-1967). Il regroupe des articles de la presse généraliste et française (quotidiens et hebdomadaires nationaux).
  • [6]
    Entre 1977 et 1978, cette revue s’appelle la Revue de la concurrence, des prix et de la consommation.
  • [7]
    Cette expression est employée publiquement par Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances. Lors du discours d’ouverture prononcé devant les Assises nationales du commerce : Pierre Bernard-Danay, « Le gouvernement veut provoquer le remembrement commercial », Les Échos, 10 juillet 1963.
  • [8]
    Pierre Locardel, « Le grand désordre du commerce français. En France : 1 boutique pour 32 habitants », Témoignage chrétien, 19 septembre 1952.
  • [9]
    José Lestours, « Une réforme un peu délaissée, celle de la distribution », Le Monde, 9 novembre 1954.
  • [10]
    Circulaire du 31 mars 1960 relative à l’interdiction des pratiques restrictives de concurrence, dite « circulaire Fontanet ».
  • [11]
    Décrets no 53-704 du 9 août 1953 et no 58-545 du 24 juin 1958.
  • [12]
    Circulaire du 29 juillet 1969 relative à la place de l’équipement commercial dans le développement urbain.
  • [13]
    Loi no 73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat.
  • [14]
    Pour un exemple des limites du dispositif de contrôle des prix lorsqu’il est appliqué à la distribution, voir « Observation des marges commerciales par la direction générale de la Concurrence et de la Consommation », Revue de la concurrence et de la consommation, 20, 4e trimestre 1982, p. 3-4. À cette époque, sous François Mitterrand, le blocage des prix est réinstauré de manière temporaire, après sa suppression décidée par Raymond Barre en 1978 (voir infra).
  • [15]
    Enseigne É. Leclerc, « Le premier hypermarché É. Leclerc (1969) », Histoire et archives [http://www.e-leclerchistoireetarchives.com/a-la-une/le-premier-hypermarche-eleclerc-1969] (consulté le 7 novembre 2016).
  • [16]
    Cela n’empêche pas des boycotts ponctuels, comme le conflit qui oppose Nivea à Carrefour en 1969 (Paturle, 2005, p. 266-267).
  • [17]
    Michel Génin, délégué général de l’ILEC, « Les cahiers de l’ILEC », Les Cahiers de l’ILEC, 1, mai 1961, p. 2-3.
  • [18]
    « Les rapports de l’industrie des biens de consommation avec les autres secteurs de l’économie », Les Cahiers de l’ILEC, 3, 4e trimestre 1962, p. 14-19.
  • [19]
    Loi de finances no 63-628 du 2 juillet 1963 rectificative pour 1963 portant maintien de la stabilité économique et financière.
  • [20]
    Bernard Suzanne, « Pour le rétablissement d’une véritable concurrence dans la distribution », Les Cahiers de l’ILEC, 15, 4e trimestre 1965, p. 6-11.
  • [21]
    « Les attributions et le rôle de la direction générale de la Concurrence et de la Consommation au regard du droit communautaire de la Concurrence », Revue de la concurrence et de la consommation, 8, octobre 1979, p. 38-40.
  • [22]
    « Afin d’améliorer les règles de la concurrence, certaines concentrations d’entreprises pourraient être soumises au contrôle public », Le Monde, 27 mai 1976.
  • [23]
    « Rôle accru de la commission de la concurrence pour combattre les ententes », Le Monde, 14 janvier 1977.
  • [24]
    « Libération des prix industriels et stratégie des PME », Le Monde, 14 novembre 1978.
  • [25]
    « Commission de la concurrence. Un gardien vigilant et nécessaire », LSA, 11 mars 1983.
  • [26]
    Loi no 78-22 du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs.
  • [27]
    « Création d’une commission des clauses abusives », Revue de la concurrence et de la consommation, 4, mai 1978, p. 24.
  • [28]
    Commerce américain et productivité. Rapport de la mission d’étude des techniques commerciales américaines, Paris, PUF, 1951, p. 9.
  • [29]
    Jean-François Texier, « La distribution des fruits et légumes au stade de détail : évolution des structures et développement de la concurrence », Revue de la concurrence et de la consommation, 11, juillet-août 1980, p. 20-23.
  • [30]
    « Avis de la commission de la concurrence sur les problèmes de prix d’appel », Revue de la concurrence et de la consommation, 11, juillet-août 1980, p. 13-16.
  • [31]
    « L’activité de la direction générale de la Concurrence et de la Consommation en 1981 », Revue de la concurrence et de la consommation, 19, 3e trimestre 1982, p. 13-16.
  • [32]
    Michèle Trestour, « Évolution des résultats des principales sociétés du grand commerce depuis 1975 », Revue de la concurrence et de la consommation, 15, 3e trimestre 1981, p. 19-25.
  • [33]
    « Les professionnels prévoient un ralentissement de longue durée de l’activité commerciale », Le Monde, 7 septembre 1983.
  • [34]
    « L’évolution de la puissance d’achat en France », Revue de la concurrence et de la consommation, 32, 4e trimestre 1985, p. 5-7.
  • [35]
    « Les super-centrales d’achat contestées par les fabricants », Le Monde, 8 janvier 1985.
  • [36]
    Voir « Transparence des conditions de vente. Deuxième accord industrie commerce », LSA, 14 janvier 1983. Cet article rend compte d’un accord distributeurs-fournisseurs négocié en 1983 sous la supervision du CNPF. L’accord ne semble pas vraiment avoir été appliqué, mais il permet de comprendre l’objet concret du conflit entre les deux camps.
  • [37]
    L’ANIA est un autre syndicat patronal qui défend les industries de grande consommation. À la différence de l’ILEC, l’ANIA compte beaucoup de petites et moyennes entreprises.
  • [38]
    « IAA : Pour un retour immédiat à la liberté des prix », LSA, 13 avril 1984.
  • [39]
    Circulaire du 22 mai 1984 relative à la transparence tarifaire dans les relations commerciales entre entreprises.
  • [40]
    Ce principe est également repris dans la circulaire du 10 janvier 1978 relative aux relations commerciales entre entreprises, dite « circulaire Scrivener ».
  • [41]
    Dans son avis du 13 avril 1985, la Commission de la concurrence rapporte les faits suivants : « un très petit nombre de procès-verbaux ont été établis pour constater des infractions […]. Pendant les années qui ont suivi la publication de la circulaire Scrivener [en 1978], l’administration a reçu instruction de n’agir en cette matière que modérément et seulement sur plainte ».
  • [42]
    Cette filiation est rappelée dans l’avis de la Commission de la concurrence : « C’est bien pour contrôler les sollicitations abusives d’avantages discriminatoires qu’a alors été voté l’article 38 de la loi d’orientation du commerce et de l’artisanat du 27 décembre 1973, inspiré du Robinson Patman Act américain. »
  • [43]
    Ross E. Elfond, « The Robinson-Patman Act », 101 Practice Series, site de l’American Bar Association, Young Lawyers Division [http://www.americanbar.org/groups/young_lawyers/publications/the_101_201practice_series/robinson_patman_act.html] (consulté le 7 novembre 2016).
  • [44]
    « Transparence ou strip-tease inconvenant ? », LSA, 3 février 1984. Le commentaire y porte sur le projet de circulaire et non la circulaire définitive (le commentaire porte sur le projet de circulaire et non la circulaire définitive).
  • [45]
    Avis no 100 de la Commission de la concurrence rendu en application de l’article 1er de la loi no 77-806 du 19 juillet 1977 et relatif à la situation des centrales d’achat et de leurs groupements. Avis du 14 mars 1985. Au Bulletin officiel des conventions collectives no 6 du 19 avril 1985.
  • [46]
    Ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.
  • [47]
    Décision no 87-D-15 du 9 juin 1987 relative à la situation de la concurrence dans la distribution en pharmacie de certains produits cosmétiques et d’hygiène corporelle.
  • [48]
    « Un “caddie” nommé désir », Le Monde, 21 février 1987.
  • [49]
    Loi no 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales.
  • [50]
    Loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
  • [51]
    Voir le rapport rédigé par Marie-Dominique Hagelsteen, membre du Conseil de la concurrence. Ce rapport, intitulé « La négociabilité des tarifs et des conditions générales de vente » a été rédigé en 2008 pour le compte du ministère de l’Économie et des Finances.

1Entre la fin des années 1950 et les années 1980, la distribution alimentaire française a connu une évolution radicale [1]. Les petites épiceries ont été progressivement supplantées par des grandes surfaces pratiquant le discount et le libre-service. Entre 1962 et 1985, la part de marché des grandes surfaces (c’est-à-dire supérieures à 400 m2) dans le commerce alimentaire de détail est passée de 0,7 % à 24,8 % (Bury, 1987, p. 12). Certains facteurs qui expliquent l’émergence de la grande distribution française ont déjà été documentés par la littérature en sciences sociales [2]. Des historiens ont décrit l’importation des États-Unis de certaines innovations, telles que le supermarché ou le libre-service (Daumas, 2006a, p. 65). D’autres historiens ont souligné l’impulsion donnée par Édouard Leclerc, qui crée à partir de 1949 un réseau d’épiceries indépendantes. Il est le premier, en France, à ignorer les prix minimaux imposés par les fournisseurs et à pratiquer des prix discount (Jacques, ce numéro). Outre ces travaux historiques, des sociologues ont montré que l’émergence de la grande distribution suppose une rationalisation et une standardisation des relations entre le commerçant et le client. Pour séduire ce dernier, les enseignes effectuent un travail de merchandising (Barrey et al., 2000) et l’équipent d’outils techniques, comme le chariot, qui lui permettent de s’orienter dans ces nouvelles « usines à vendre » (Grandclément, Cochoy, 2006).

2Le but de cet article est de comprendre le rôle joué par les pouvoirs publics dans le développement de la grande distribution. Peu étudiée dans la littérature, la réglementation est pourtant cruciale pour comprendre l’architecture du commerce alimentaire français. L’État a mis en place des règles pour organiser les relations entre la grande distribution et les fournisseurs (voir encadré 1 pour une chronologie des principales mesures). Dès les années 1950, ces règles ont cherché à favoriser le développement du « discount », en brisant les prix minimaux imposés par les fournisseurs. Visant la concurrence verticale (entre fournisseurs et distributeurs), ces règles ont eu un impact sur la concurrence horizontale, permettant aux grandes enseignes de tirer parti de leur taille et de faire progressivement disparaître les épiceries traditionnelles. À partir des années 1980, les règles organisant la concurrence verticale ont commencé à changer. L’action de l’État a pris en compte les intérêts des fournisseurs, qui dénonçaient le poids croissant des grandes enseignes dans la négociation commerciale.

Encadré 1. Les principaux textes encadrant la grande distribution

1953 : Le décret Faure instaure l’interdiction du refus de vente, mais cette interdiction n’est pas appliquée. L’interdiction du refus de vente devait permettre aux commerçants comme É. Leclerc de mieux négocier les tarifs des fournisseurs et ainsi de concurrencer le petit commerce.
1958 : Nouveau décret qui interdit le refus de vente.
1960 : Suite aux pressions exercées par É. Leclerc au cours de la « bataille de Grenoble », la circulaire Fontanet rend l’interdiction du refus de vente effective.
1963 : Interdiction de la revente à perte afin de limiter le recours des chaînes de supermarché à la technique du « prix d’appel ».
1973 : La loi Royer restreint l’implantation de nouvelles grandes surfaces en créant un régime d’autorisations par des commissions locales. Elle introduit également le principe de non-discrimination tarifaire, censé limiter la faculté des distributeurs de faire pression sur les fournisseurs.
Années 1980 : La Commission de la concurrence multiplie les décisions favorables à la grande distribution, au détriment des fournisseurs et du petit commerce.
1984 : La circulaire du 22 mai 1984 réaffirme le principe de non-discrimination introduit par la loi Royer. Elle doit permettre de protéger les fournisseurs contre une distribution de plus en plus concentrée.
1986 : L’ordonnance du 1er décembre 1986, dite « ordonnance Balladur », acte la scission du droit de la concurrence français en deux modèles distincts. Le titre III traite du droit de la concurrence « collectif » (ententes et concentrations) : il est pris en charge par le Conseil de la concurrence, nouvellement créé. Le Conseil de la concurrence est l’ancêtre de l’Autorité de la concurrence, créée en 2009. Son titre IV traite du droit de la concurrence « individuel » et s’applique notamment aux relations entre la grande distribution et ses fournisseurs.

3Les règles de concurrence participent de l’encadrement des marchés par l’État en définissant qui sont les acteurs légitimes et les moyens qu’ils peuvent utiliser pour faire du profit. Cet ensemble de normes et de discours constituent des « modèles de concurrence » (Viallet-Thévenin, 2015). Comme l’a montré Marie-France Garcia à propos de la création d’un marché fondé sur la « concurrence pure et parfaite » (1986), ces modèles trouvent parfois leur origine dans la discipline économique. Dans la littérature, il est courant d’évoquer la diffusion d’un modèle de concurrence fondé sur la doctrine néo-libérale. Selon François Denord et Antoine Schwartz, le néo-libéralisme est « cette conception de l’économie politique, née dans les années 1930 au croisement de l’université, du patronat et de la haute fonction publique récusant le “laissez-faire, laissez-passer” assimilé au xixe siècle, pour promouvoir un interventionnisme juridique des États » (2010, p. 36). Loin de se manifester par un retrait de l’État, il s’agit bien d’une intervention de celui-ci pour construire et maintenir l’ordre marchand (Amable, 2011). Selon Louis Pinto, au cours des années 1970, la diffusion du néo-libéralisme a mené à l’émergence d’une politique de concurrence « comme fin en soi » (2013, p. 9). Décrivant les mesures prises pour protéger les consommateurs, Pinto évoque une redéfinition de la concurrence comme ordre public, c’est-à-dire comme un dispositif servant l’intérêt général. Ces auteurs dépeignent une rupture nette entre ces nouvelles politiques de concurrence, centrées sur la figure abstraite du consommateur, et les politiques anciennes centrées sur la loyauté des pratiques commerciales. Dans son livre sur les règles de sécurité alimentaire, Alessandro Stanziani (2005) décrit les origines de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications. Dans ce système ancien, l’ordre concurrentiel souhaitable est celui qui permet aux commerçants loyaux de prospérer. À l’inverse de la politique d’inspiration néo-libérale, où les marchés doivent être contestables, le système décrit par Stanziani tend à protéger les parts de marché des acteurs en place.

4Nous allons montrer que la conception néo-libérale d’une concurrence centrée sur la figure abstraite du consommateur n’a pas été le seul modèle mobilisé dans l’encadrement du marché de la grande distribution. A précédé ce modèle, qui a dominé la régulation de la distribution au cours des années 1970, un registre de justification de l’expansion de la grande distribution fondé sur la modernisation des structures de l’économie française et la lutte contre l’inflation. À partir du début des années 1980 coexiste avec le modèle néo-libéral un modèle concurrent fondé sur la loyauté, très proche de celui décrit par Stanziani à propos de la lutte anti-fraude du début du vingtième siècle.

5Nous prenons le parti d’étudier les modèles de concurrence à l’échelle d’un marché particulier, celui de la grande distribution. À l’instar de Bernard Jullien et Andy Smith, nous entendons « analyser dans le même mouvement la vie d’une industrie et de son gouvernement » (2012, p. 105). Le cas de la grande distribution est conforme au cadre analytique élaboré par Neil Fligstein, dans lequel les modèles normatifs reflètent les rapports de force entre les principaux acteurs du marché (1996). Les modèles de concurrence sont utilisés pour défendre les intérêts économiques de certains acteurs. En même temps, pour être reconnus comme légitimes, ces acteurs doivent réaliser une montée en généralité (Boltanski et al., 1984) en mobilisant le thème de l’intérêt général [3]. Comme nous allons le montrer, ces prises de position surviennent principalement à l’occasion de crises du marché, qui menacent les intérêts de certains acteurs.

6Comme le montre Scott Viallet-Thévenin à propos des marchés de l’énergie (2015), les modèles de concurrence dominants dans le marché de la grande distribution sont portés par l’administration. Dans notre cas, il s’agit de la direction des Prix et des administrations qui ont pris sa succession (voir encadré 2). Les modèles mobilisés sont influencés par la trajectoire de cette administration. Au cours de la période étudiée, elle joue en effet un rôle-clé dans la rédaction des textes réglementant la grande distribution. Administration du ministère des Finances, la direction des Prix est créée le 20 mai 1940 pour contrôler l’application des mesures relatives au ravitaillement en temps de guerre. Sous l’impulsion de Louis Franck, directeur général de cette administration de 1947 à 1962, elle acquiert un rôle structurant dans les politiques macroéconomiques françaises. Ses moyens de contrôle sont mis au service de la lutte contre l’inflation. Au cours des années 1970, ce rôle de lutte contre l’inflation s’atténue. L’administration recentre alors ses activités autour de la concurrence et de la protection du consommateur. La création, en 1977, de la Commission de la concurrence a des effets ambivalents. Rattachée fonctionnellement à l’ex-direction des Prix, mais disposant d’une marge d’autonomie, elle défend avec acharnement des politiques pro-distribution, au nom d’une conception néo-libérale de la concurrence. Au début des années 1980, à la suite de la crise des supercentrales d’achat, la position de la Commission de la concurrence commence à diverger de celle de l’administration. Celle-ci défend les fournisseurs au nom de la loyauté et la « transparence » dans les négociations commerciales. À l’inverse, la Commission de la concurrence continue de défendre la grande distribution.

Encadré 2. Historique de la direction des Prix et de ses successeurs

1940 : Création de la direction des Prix par le gouvernement Daladier.
1952 : La direction des Prix prend le nom de direction générale des Prix et des Enquêtes économiques (DGPEE).
1965 : En fusionnant avec le service du commerce intérieur, la DGPEE devient la direction générale du Commerce intérieur et des Prix (DGCIP).
1974 : La DGCIP devient la direction générale de la Concurrence et des Prix (DGCP).
1977 : La Commission technique des ententes, commission interne à la direction des Prix créée en 1953, devient la Commission de la concurrence et voit ses pouvoirs renforcés. Elle conserve son rattachement à la direction générale.
1978 : La DGCP devient la direction générale de la Concurrence et de la Consommation (DGCC)
1985 : La DGCC fusionne avec la direction générale de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCRF) pour devenir la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF).
1986 : Avec l’ordonnance « Balladur », la Commission de la concurrence devient le Conseil de la concurrence et accroît son autonomie par rapport à la direction générale.
Sources : « Historique des directions et des services du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie », brochure du Centre des archives économiques et financières, août 2004 et Grenard (2010).

7L’historiographie sur les relations entre producteurs et distributeurs étant limitée (Chatriot, Chessel, 2006, p. 80), notre article s’appuie principalement sur des périodiques. Une revue de presse a été effectuée à partir du Monde sur la période 1953-1987 [4]. Ces articles ont servi à repérer les grands changements qui ont affecté le marché de la grande consommation. Cette revue de presse a été complétée par la consultation d’un dossier de presse numérisé de la FNSP [5]. D’autres sources ont servi à saisir les modèles de concurrence mobilisés par les acteurs. Les plus gros industriels parmi les fournisseurs de la grande distribution fondent en 1959 l’Institut de liaisons et d’études des industries de la consommation (ILEC). À mi-chemin entre syndicat patronal et think tank, cet « institut » créé en 1961 publie entre 1961 et 1967 une revue intitulée les Cahiers de l’ILEC qui relaie les positions de la direction de l’ILEC mais compte aussi des articles savants, rédigés par des économistes, des juristes ou des hauts fonctionnaires. Une autre source concernant les entreprises est constituée des articles publiés dans le magazine Libre-service actualités (LSA) entre janvier 1983 et juin 1985, au plus fort de la crise des « supercentrales ». Créé en 1958, LSA est un magazine hebdomadaire lu à la fois par les distributeurs et les fournisseurs. Cette « neutralité » dans le conflit entre distributeurs et fournisseurs est due à son origine : LSA a été créé par l’Institut français du libre-service, qui réunit fournisseurs et distributeurs. La majeure partie de ce magazine est consacrée aux innovations en matière de produits et de techniques de vente. Destiné aux « opérationnels » (chefs de produit, chefs de rayon…), il contient néanmoins des courts articles relatifs à la politique menée dans le secteur de la grande consommation. Du côté de l’administration, nous avons dépouillé la Revue de la concurrence et de la consommation[6], une publication officielle de l’ex-direction des Prix, créée en 1977 et de parution trimestrielle. Elle comporte des comptes rendus de l’action de la direction générale de la Concurrence et de la Consommation (DGCC) ainsi que des analyses économiques ou juridiques plus approfondies écrites par des fonctionnaires ou des experts externes.

La concurrence au nom de la modernisation (1949-1976)

8Dans l’après-guerre, la priorité de l’administration est de moderniser l’économie française. Cela vaut aussi pour la distribution : parce qu’elle est morcelée, la distribution d’alors est considérée comme inefficace et archaïque. La direction des Prix s’engage dans ce que Valéry Giscard d’Estaing a qualifié en 1963 de « remembrement commercial » de la France [7]. La grande distribution et ses fournisseurs, les industriels de la grande distribution, partagent cet objectif. Il suscite en revanche l’hostilité des mouvements de petits commerçants, menacés par la montée en puissance des supermarchés. Les promoteurs de ce modèle de concurrence s’appuient sur l’exemple américain, où le discount, le libre-service et les grandes surfaces se sont développés dès le début du xxe siècle (Strasser, 1989).

La direction des Prix, une administration au cœur du « remembrement commercial »

9Jusqu’à la fin des années 1950, il n’existe pas à proprement parler de grande distribution en France. Créés au xixe siècle, les « grands magasins » vendent toutes sortes de produits aux classes supérieures, dont des produits alimentaires haut de gamme. Dès les années 1930, des chaînes telles que Monoprix ou Prisunic créent des « magasins populaires », qui vendent des produits de la vie courante à bas prix. Au xixe siècle apparaissent également le succursalisme et des coopératives de consommation. Ces chaînes rationalisent les approvisionnements en créant des entrepôts centraux et appliquent des prix communs d’un magasin à l’autre. Cependant, même en y ajoutant les chaînes volontaires de détaillants, le chiffre d’affaires cumulé de ces circuits commerciaux ne dépasse pas 14 % du chiffre d’affaires total de la distribution alimentaire française en 1960 (Daumas, 2006a, p. 64).

10À cette époque, les journalistes économiques des grands titres de la presse nationale française ne cessent de critiquer la distribution française pour sa fragmentation. Un article de Témoignage chrétien, publié en 1952, est titré : « En France, une boutique pour 32 habitants [8] ». L’auteur compare ce chiffre à celui de la Grande-Bretagne, où il existe une boutique pour 68 habitants.

11Les observateurs mettent également en cause les conditions d’approvisionnement des distributeurs. Un article du Monde de 1954 évoque des prix imposés [9] : les fournisseurs auraient pour habitude d’obliger leurs distributeurs à vendre leurs produits à un prix unique. La pratique du prix unique signifie l’absence de concurrence par les prix entre les petits distributeurs. Selon un fonctionnaire de la direction des Prix écrivant un article rétrospectif sur sa carrière, les petits distributeurs pratiqueraient dans les années 1950 une marge standard de 25 % sur tous les produits (Jolly, 1983). Un accord tacite existerait entre eux pour ne pas se faire concurrence.

12L’arrivée des centres É. Leclerc bouleverse les relations entre fournisseurs et distributeurs. En 1949, à 23 ans, Édouard Leclerc ouvre une épicerie à Landerneau. Il rompt progressivement avec les pratiques dominantes du commerce alimentaire. Dès l’ouverture de son magasin, il se distingue en pratiquant une marge de 11 % (Thil, 1964, p. 24). Dès 1955, Édouard Leclerc crée une enseigne à son nom. Désormais, d’autres détaillants alimentaires peuvent s’allier et mutualiser leurs achats. En 1959, rien qu’en Bretagne, le « mouvement É. Leclerc » compte 24 membres (Carluer-Lossouarn, 2008). Cette nouvelle stratégie commerciale remet en cause l’unité tarifaire des produits. Les commerçants alliés autour d’É. Leclerc entendent utiliser leur pouvoir de marché pour faire baisser les prix des marchandises. Ces nouvelles pratiques suscitent l’opposition des petits commerçants. L’Union de défense des commerçants et des artisans (UDCA) créé par Pierre Poujade en 1953, relaie cette opposition dans l’espace politique (Souillac, 2007). Les mouvements de petits commerçants parviennent à faire pression sur les industriels des produits de la grande consommation pour qu’ils refusent de livrer la nouvelle chaîne. En 1959, à l’occasion de la « bataille de Grenoble », les fournisseurs imposent un boycott dur à É. Leclerc (voir Jacques, ce numéro).

13Pour empêcher le boycott des nouvelles chaînes de distribution discount par les grands fournisseurs, la direction des Prix a réagi. Selon Tristan Jacques (voir ce numéro), c’est cette administration qui est à l’origine de la circulaire Fontanet du 13 mars 1960 [10]. La circulaire précise les modalités d’application de l’interdiction du refus de vente des décrets rédigés en 1953 et 1958 [11]. Elle rend effective l’interdiction faite aux fournisseurs de fixer des prix minimaux et de refuser de vendre leurs marchandises. Ainsi, les distributeurs deviennent libres de commander les marchandises qu’ils souhaitent et de les revendre au prix qu’ils souhaitent.

14L’État prend néanmoins des mesures restrictives au début des années 1970. Les mouvements de petits commerçants font de nouveau entendre leur opposition face au développement des enseignes de supermarché et d’hypermarché. En janvier 1969, Gérard Nicoud, gérant d’un bar-restaurant en Isère, fait circuler une pétition auprès de commerçants de son département pour dénoncer un projet de réforme de l’assurance-maladie. En quelques mois, il parvient à rassembler de nombreux commerçants et fonde une nouvelle organisation, le comité d’information et de défense, qui devient plus tard le CIDUNATI (Comité d’information et de défense et d’union nationale des travailleurs indépendants). Le 9 avril, Gérard Nicoud acquiert une notoriété médiatique en attaquant une perception située à La-Tour-du-Pin. Inquiet de voir se propager un mécontentement parmi les indépendants et les agriculteurs, le gouvernement Chaban-Delmas décide de limiter la création de supermarchés ou d’hypermarchés (Vigny, 1978, p. 110). Après une première circulaire en juillet 1969 [12], la loi Royer, votée en 1973, crée un régime d’autorisations pour les nouvelles grandes surfaces [13]. Au-delà d’un certain seuil (1 500 m2 dans les grandes villes), toute nouvelle implantation doit être autorisée par une commission départementale d’urbanisme commercial. Ces commissions de vingt personnes comprennent neuf élus locaux, neuf représentants du commerce local et deux représentants des associations de consommateurs. Cependant, ces commissions n’ont pas agi dans le sens que souhaitait le gouvernement. En effet, désireux d’augmenter leurs ressources fiscales, les élus locaux se sont montrés le plus souvent favorables à de nouvelles implantations (Allé, 2012, p. 38).

La lutte contre l’inflation comme priorité

15Les mesures prises à l’initiative de la direction des Prix créent les conditions d’une concurrence par les prix entre les distributeurs. Pourtant, loin d’être le fruit d’une doctrine néo-libérale, elles se situent plutôt dans la continuité des politiques modernisatrices menées dans l’après-guerre pour restructurer l’économie française.

16La direction des Prix adopte un cadrage de la question de la distribution centré sur la modernisation des structures commerciales françaises. Comme l’explique Louis Franck, directeur général de cette administration entre 1947 et 1962, son but principal est d’empêcher la hausse des prix au nom de la stabilité macroéconomique (Franck, 1979). À cette époque, le principal moyen d’action de cette direction générale est le contrôle des prix. Pour limiter la hausse des prix, la direction des Prix dispose de pouvoirs importants. Elle peut se rendre dans les points de vente sans mandat judiciaire. Elle peut décider elle-même de la fermeture administrative d’un établissement commercial et utilise ce moyen de pression pour obtenir des contrevenants des transactions avec reconnaissance de culpabilité par écrit (Dumez, Jeunemaître, 1989, chap. 5). Ce mode de contrôle est efficace pour les échanges entre industriels, comme par exemple la livraison d’acier au secteur automobile. Il s’agit de secteurs où le nombre d’acteurs est peu élevé et où ces derniers sont bien organisés en syndicats professionnels. Selon Hervé Dumez et Alain Jeunemaître, ce sont en effet les représentants des syndicats professionnels de chaque secteur qui se rendent tous les ans dans les bureaux de la direction des Prix pour négocier les hausses tarifaires autorisées pour l’année suivante.

17La situation dans le commerce de détail et chez les fournisseurs de produits de grande consommation est différente. Face aux tendances inflationnistes de la distribution française, la direction des Prix ne peut pas appliquer son dispositif habituel. S’il existe un tarif nominal pour toutes les marchandises, chaque fournisseur négocie des remises particulières avec le distributeur. Celles-ci sont variables et ne permettent pas aux fonctionnaires de la direction des Prix d’effectuer un véritable contrôle [14]. Les fonctionnaires de la Direction ont donc dû se tourner vers un autre mode d’action, à savoir une action sur les structures de la distribution française (Dumez, Jeunemaître, 1989, chap. 5). Ainsi, comme l’a écrit Louis Franck, directeur des Prix de 1947 à 1962, la cible principale est le caractère pléthorique du commerce français, synonyme de marges élevées :

18

« Un excès de points de vente est évidemment peu favorable à l’abaissement des prix. Plus il y a d’établissements commerciaux, moins le chiffre d’affaires de chacun d’eux est élevé et plus la marge unitaire prélevée à la vente est forte, pour permettre à l’entreprise de subsister ».
(Franck, 1979, p. 102)

19La priorité de l’administration est donc de généraliser le discount et d’accroître la taille des enseignes.

Le ralliement des fournisseurs à la position de l’administration

20Ce n’est qu’à partir du début des années 1960 que les grandes surfaces en France se développent véritablement. Pour permettre l’écoulement en masse des produits de grande consommation, de nouvelles enseignes créent des grandes surfaces situées en bordure de ville et dotées de parkings. Tel est le cas de l’enseigne Carrefour, crée à Annecy en 1959 (Thil, 1964, p. 135). Le 15 juin 1963, cette enseigne va plus loin et ouvre le premier hypermarché en région parisienne, dont la surface atteint 2 500 m2. D’autres enseignes suivent l’exemple de Carrefour : Auchan ouvre son premier hypermarché en 1967 (Daumas, 2006a, p. 78), suivi par É. Leclerc, le pionnier du « discount », dont l’enseigne ouvre un hypermarché en 1969 [15].

21L’exemple américain a joué un rôle déterminant. Un grand nombre d’innovations mises en place dans les grandes surfaces françaises ont été empruntées au marché étatsunien. Cela va de la disposition générale de ces « usines à distribuer » (Thil, 1964, p. 131), à des outils techniques comme le chariot de supermarché (Grandclément, Cochoy, 2006). Bernardo Trujillo, un consultant étatsunien, a joué un rôle crucial dans la diffusion de ces innovations auprès des acteurs français de la distribution. Entre 1957 et 1965, 2 347 Français se sont rendus à Dayton, aux États-Unis, pour recevoir son enseignement (Daumas, 2006b, p. 59). Outre ces nouveaux dispositifs marchands, les grandes surfaces reprennent à É. Leclerc le principe de vente de produits à bas prix. En interdisant la discrimination, la circulaire Fontanet permet à ces nouvelles enseignes de poursuivre cette politique sans craindre le boycott des fournisseurs.

22Lors de la discussion puis la publication de la circulaire, les grands fournisseurs semblent se rallier au projet de modernisation de la distribution française et cessent leur boycott généralisé contre les nouvelles enseignes [16]. En 1959, en pleine « bataille de Grenoble », ils créent l’Institut de liaison et d’études des industries de la consommation (ILEC). Dans le préambule du premier numéro des Cahiers de l’ILEC, Michel Génin, le délégué général de l’organisation, affirme que la vocation de celle-ci est de collaborer avec la grande distribution naissante :

23

« C’est en prenant une meilleure conscience du caractère essentiellement complémentaire des fonctions de l’industrie et du commerce, et de la coopération qu’il est souhaitable de voir s’établir entre elles, qu’un certain nombre de fabricants de produits de grande consommation ont décidé de créer, à l’automne de 1959, l’Institut de liaisons et d’études des industries de la consommation (Ilec) [17]. »

24En 1962, dans une conférence de presse, Michel Génin déclare que la montée en puissance d’une distribution de masse est souhaitable. Elle est, selon lui, le complément nécessaire de l’industrialisation de la production des produits de grande consommation :

25

« Le commerce à son tour s’oriente vers la distribution rationnelle sans laquelle les gains de productivité réalisés au stade de l’usine seraient inévitablement dispersés tout au long du circuit commercial [18]. »

26Plus loin dans son discours, il appelle les membres de l’ILEC à « adopt[er] [le] principe de non-discrimination », tel qu’il est affirmé dans la circulaire Fontanet de 1960. Le principe de non-discrimination signifie que les fournisseurs doivent livrer leurs produits à tous les distributeurs, quelle que soit leur taille. Les fournisseurs voient donc d’un bon œil l’émergence d’acteurs qui, à l’instar des centres É. Leclerc, diminuent leurs marges et baissent les prix de revente au consommateur. Selon l’ILEC, il ne peut y avoir de modernisation dans l’industrie sans modernisation en aval, dans la distribution.

27L’adhésion des fournisseurs au discours prônant la modernisation du marché de la grande distribution est facilitée par la prise en compte de leurs intérêts économiques par les pouvoirs publics. En juillet 1963, le Parlement vote l’interdiction de la revente à perte [19]. Il s’agit d’empêcher les distributeurs d’abuser de la technique du « prix d’appel ». Cette technique, qui consiste à baisser les prix sur des produits de grande notoriété pour attirer les consommateurs vers leurs enseignes, était connue aux États-Unis dès les années 1910 sous le nom de « loss leaders » (Strasser, 1989, p. 124-146). Bernardo Trujillo tente de diffuser cette technique en appelant à créer « des îlots de pertes dans un océan de profits » (Daumas, 2006b, p. 59). Les fournisseurs sont globalement hostiles à cette pratique, craignant de voir s’effondrer les prix de leurs produits les plus populaires. Un article publié en 1964 dans Les Cahiers de l’ILEC critique les prix d’appel qui, selon l’auteur, représentent un obstacle à une « véritable concurrence [20] ».

28Cet argumentaire est révélateur de la plasticité de la notion de « concurrence » comme registre de justification. Dans ce cas précis, une « véritable concurrence » signifie que l’on respecte le travail effectué par le fournisseur pour concevoir des produits innovants et faire connaître son produit auprès du grand public. En d’autres termes, les industriels doivent être récompensés pour leur contribution à la modernisation des structures économiques françaises.

La concurrence au nom du consommateur (1976-1983)

29Au cours des années 1970, le modèle de concurrence fondé sur la modernisation se transforme peu à peu en un modèle fondé sur la concurrence comme ordre public. La concurrence est désormais réputée servir l’intérêt général, en augmentant l’utilité du consommateur (Pinto, 2013). Ce nouveau modèle est porté par l’ex-direction des Prix mais aussi par la Commission de la concurrence, nouvel organe administratif qui lui est rattaché. Cette redéfinition des objectifs de l’administration permet de justifier la poursuite de l’expansion du marché de la grande consommation.

Une administration au service de la concurrence

30La direction des Prix change deux fois de nom au cours des années 1970. En 1974, elle devient la direction générale de la Concurrence et des Prix (DGCP), puis en 1978, la direction générale de la Concurrence et de la Consommation (DGCC). Ces changements reflètent une transformation dans la manière dont cette administration définit son rôle. La direction générale se conçoit désormais comme le régulateur français en matière de concurrence. Un article de la Revue de la concurrence et de la consommation illustre cette aspiration. Publié en 1979, ce texte s’intéresse à l’articulation entre le dispositif mis en place en France pour faire appliquer les règles de concurrence et le cadre réglementaire de la Communauté européenne [21]. Dès ses premières lignes, l’article définit la DGCC comme l’autorité française qui fait appliquer sur le territoire français les règles européennes de concurrence :

31

« Les autorités communautaires élaborent et appliquent les règles de concurrence pour le Marché commun en collaboration avec les autorités compétentes des États membres. En ce qui concerne la France cette autorité est généralement la direction générale de la Concurrence et de la Consommation. »

32Ce propos est avant tout rhétorique et ne reflète pas une européanisation de la politique française. À la fin des années 1970, les attributions de la Commission européenne en matière de concurrence sont encore faibles. Il faut attendre 1989, et le règlement du Conseil européen sur les concentrations, pour que la Commission acquière un véritable rôle (Warlouzet, 2016). Jusqu’en 2003, date où l’Union européenne crée le « réseau européen de la concurrence » qui délègue à des autorités nationales l’application du droit européen de la concurrence (Smith, 2013), le droit de la concurrence française est presque exclusivement un droit national.

33Le fait que l’ex-direction des Prix devienne l’administration de référence en matière de concurrence est à mettre en relation avec la mise en place de la Commission de la concurrence en 1977. Cette Commission succède à la Commission technique des ententes, créée en 1953. Cette dernière était cantonnée à un rôle d’expertise au sein de la direction des Prix. Son champ de compétences était restreint aux « ententes et coalitions » (voir Marty et Didry, ce numéro). La Commission de la concurrence dispose de compétences plus larges : elle peut désormais rendre des avis sur toutes les concentrations, qu’elles soient horizontales ou verticales. Si elle rend des « avis », elle ne dispose pas encore de pouvoir de sanction, qui demeure une prérogative du ministre de l’Économie [22]. Contrairement à la Commission technique des ententes, le directeur général de la Commission de la concurrence, nommé pour cinq ans, exerce ses fonctions à plein temps, nomme lui-même son rapporteur et peut donner des ordres directs aux fonctionnaires [23].

34La mise en place de la Commission de la concurrence intervient au même moment où Raymond Barre décrète la fin du contrôle des prix [24]. Depuis sa création en 1940, la direction des Prix s’était construite sur ce dispositif. La réorientation vers les questions de concurrence illustre la capacité d’adaptation de cette administration (Dumez, Jeunemaître, 1989). Ces auteurs notent que contrairement à d’autres directions générales qui sont investies dans la régulation économique, la DGCC n’entretient pas de relations privilégiées avec un secteur particulier. Ce positionnement est un atout que la DGCC a su faire valoir auprès de ses ministres de tutelle :

35

« La Direction est, pour le gouvernement, la meilleure contre-expertise qui soit dans les décisions à prendre concernant les secteurs face aux ministères techniques. Ces derniers défendent le maintien d’une offre française, parfois en faisant peu de cas des sains principes de la concurrence. La Direction assume alors le deuxième volet de sa fonction, qui consiste à se battre pour que les réglementations d’origine étatique permettent le maintien d’un minimum de concurrence entre les producteurs nationaux ».
(Dumez, Jeunemaître, 1989, p. 145)

36La défense de la concurrence est justifiée au nom des intérêts du consommateur, ce qui conduit la DGCC à prendre la défense de la grande distribution.

37La Commission de la concurrence est ainsi devenue un soutien actif de la fin du contrôle des prix, même lorsque cela la conduit à s’opposer à la DGCC, son administration de tutelle. En 1982, à la demande de François Mitterrand, la DGCC rétablit brièvement le contrôle des prix. Dans son rapport annuel, repris par un journaliste de LSA, la Commission de la concurrence réagit violemment :

38

« La Commission n’a pas eu son mot à dire concernant le blocage des prix pendant quatre mois et demi de l’année 1982, puis la mise en place par voie contractuelle d’un mécanisme de régulation des prix. Elle considère cependant cette mise en place avec une certaine appréhension, souhaitant que “les accords de régulation des prix, actuellement mis en œuvre, n’incitent pas les organisations professionnelles à des comportements directifs, en particulier sous la forme de diffusion de barèmes” [25]. »
[citation tirée du rapport annuel]

39Cette citation illustre la rupture entre les politiques de concurrence menées dans les années 1950 et 1960, où le blocage des prix était la norme, et celles mises en place à partir des années 1970. La Commission de la concurrence craint que le blocage des prix ne décourage l’émulation concurrentielle car il pourrait, selon elle, conduire les syndicats patronaux à fixer des prix à l’échelle d’un secteur. Après la fin du blocage des prix, la lutte contre l’inflation demeure une priorité pour le gouvernement mais ses causes sont réinterprétées. À l’époque du contrôle des prix, l’inflation est perçue en partie comme le résultat de comportements opportunistes d’acteurs économiques (Franck, 1979). Désormais, l’inflation est vue comme le symptôme d’un manque de « compétitivité » de l’économie (Bezbakh, 2011, p. 20-21). Pour rétablir cette compétitivité, la mise en concurrence apparaît comme un outil plus efficace qu’un contrôle des prix imposé par l’administration.

Le consommateur : une figure devenue centrale

40Plutôt que de représenter un secteur particulier, la DGCC choisit de défendre une figure abstraite, celle du consommateur. Celui-ci devient la justification ultime des politiques favorisant la concurrence : « le consommateur était […] un bon candidat pour le statut de fin ultime d’une concurrence qui, grâce à l’allocation optimale de ressources, devait favoriser, en matière de prix comme en matière de qualité, le consommateur et donc, le citoyen » (Pinto, 2013, p. 9). La préoccupation pour le consommateur se traduit notamment par l’émergence du droit de la consommation. Le 12 janvier 1976, Christiane Scrivener devient la première « secrétaire d’État à la consommation ». Votée en janvier 1978, la loi dite « Scrivener » [26] vise à améliorer l’information des clients lorsqu’ils achètent des produits financiers, tels que des crédits. Cette information doit aider le consommateur à exercer son rôle d’arbitre rationnel entre offres concurrentes. La loi met en place une « commission des clauses abusives », composée de personnalités du monde administratif et de juristes, chargée « [d’éliminer] les clauses abusives dans les contrats d’adhésion et les contrats types ». La DGCC est au cœur de ce dispositif : c’est elle qui assure le secrétariat de la commission [27].

41Le potentiel de justification de ce modèle de concurrence tient au poids croissant des organisations représentant les intérêts des consommateurs. Des mouvements de petits commerçants s’opposent au développement de la grande distribution et sont parvenus, au travers de la loi Royer de 1973, à obtenir des mesures restrictives. Au contraire, les mouvements consuméristes sont des alliés de l’expansion de la grande distribution. Dans les commissions locales d’urbanisme commercial, elles se prononcent généralement pour la création de nouveaux points de vente. Gunnar Trumbull rapporte le cas d’une branche locale d’une association de consommateurs qui est allée jusqu’à organiser une manifestation pour faire pression sur la commission qui devait statuer sur l’ouverture d’un nouveau centre É. Leclerc (2006, p. 54-57). Il s’agit d’une alliance de longue date. Parmi les quelque 500 missions de productivité qui ont visité les États-Unis dans le cadre du Plan Marshall, quelques-unes ont porté sur l’organisation des circuits de distribution. L’une d’entre elles, est menée en 1952 par André Romieu, le fondateur de l’Union fédérale des consommateurs, future UFC-Que Choisir (Boulat, 2004, p. 105). Dans un compte rendu rédigé par A. Romieu, la mission se montre enthousiaste devant le développement de la grande distribution aux États-Unis [28].

42La grande distribution a elle-même contribué à façonner la figure du consommateur. Avec la diffusion du libre-service et des grandes surfaces, les relations entre le consommateur et le commerçant se dépersonnalisent. Une à une, les enseignes cessent de proposer des services tels que le crédit ou la livraison à domicile (Daumas, 2006a). Une « normalisation » du client a lieu au moyen de dispositifs marchands comme le merchandising ou la notion de « client roi » (Cochoy, 2002). Une figure du client standard émerge, à l’affût de prix bas mais aussi « d’animation commerciale », avec des offres promotionnelles présentées sous la forme de têtes de gondole.

43La figure du consommateur sert à la DGCC à justifier la poursuite d’une politique favorable au développement de la grande distribution. Dans un article de la Revue de la concurrence et de la consommation publié en 1980 [29], Jean-François Texier, un fonctionnaire de la DGCC, décrit le marché français des fruits et légumes. L’article dont est tirée cette citation provient de la rubrique « Études économiques » de la revue. Il est intéressant de noter que c’est un fonctionnaire de la direction générale et non un économiste de formation qui rédige cet article. Comparant les différents circuits de distribution, il conclut que « le petit commerce » est « contraint à une lente régression ». Il décrit ce mouvement comme étant « irrésistible ». De ce fait, une intervention étatique pour empêcher ce déclin ne serait pas indiquée. Ce qui provoque ce déclin, c’est le choix du consommateur, dont les besoins ne sont pas pleinement satisfaits par le petit commerce. Il y trouve des « prix élevés », et en vient « à les considérer comme des lieux d’achats occasionnels, d’appoint ou de “dépannage” ». Dans les grandes surfaces, en revanche, le consommateur voit ses « besoins » satisfaits grâce à des prix moins élevés et la « diversité de leurs rayons ».

Une réinterprétation du droit existant

44Au nom du modèle de concurrence centré sur le consommateur, la DGCC maintient les règles qui encouragent le développement de la grande distribution. Elle va même jusqu’à proposer une interprétation souple des règles qui posaient des limites à la libre négociabilité des produits, comme celle interdisant les prix d’appel.

45Un avis consultatif rendu par la Commission de la concurrence en 1980 l’illustre bien [30]. Cet avis fait suite à une saisine par le ministre de l’Économie concernant des pratiques abusives de prix d’appel. Dans son avis, la Commission ne conteste pas la légitimité des prix d’appel, dans la mesure où ils créent les conditions d’une concurrence par les prix entre les distributeurs. Toutefois, elle émet des propositions visant à s’assurer que le consommateur bénéficie bien de cette concurrence. La commission propose de garantir que les produits qui font l’objet de prix d’appel soient présents en nombre suffisant pour tous les consommateurs, que les consommateurs soient bien informés des conditions dans lesquelles les produits sont vendus et enfin, qu’en cas d’abus, les organisations de consommateurs soient en mesure d’exercer des actions auprès des tribunaux civils.

46La forme de l’avis est révélatrice de l’aspiration de la Commission de la concurrence à une plus grande autonomie. Long de quatre pages, il est rédigé sous forme de « considérants ». Ce mode de rédaction des décisions consiste à n’écrire qu’une phrase (longue de plusieurs pages) composée d’arguments introduits par la formule « considérant… » et se terminant par une liste de propositions, sous forme de tirets. Or, il s’agit du mode de rédaction des décisions utilisé traditionnellement par les tribunaux administratifs et le Conseil d’État. L’imitation des pratiques des juridictions administratives de plein droit est liée à la trajectoire de son président. Pierre Ordonneau, président de la Commission de la concurrence entre 1977 et 1980, a été auparavant membre du Conseil d’État.

47Ainsi, les dispositions héritées des années 1960, telles que l’interdiction du refus de vente ou bien l’interdiction de la revente à perte sont toujours en vigueur, mais ne jouent plus un rôle structurant dans l’action de la DGCC. Désormais, dans la Revue de la concurrence et consommation, les fonctionnaires catégorisent ces dispositions au sein d’un droit de la concurrence « individuel », par opposition au droit de la concurrence « collectif », réprimant les concentrations illicites ou l’abus de position dominante. La citation suivante, tirée d’un article dont l’auteur n’est pas mentionné, suggère que les contrôles fondés sur la circulaire Fontanet ne sont plus aussi légitimes et doivent être justifiés au nom de la défense de l’ordre concurrentiel : « Moins spectaculaire que le contrôle des ententes et des positions dominantes, l’action contre les pratiques anticoncurrentielles individuelles est également indispensable au bon fonctionnement du marché [31]. » La trajectoire institutionnelle de la DGCC a ainsi contribué à l’émergence d’un nouveau modèle qui sert à justifier le maintien de politiques favorables à la grande distribution. Parmi les trois modèles décrits dans notre article, c’est le plus proche de la doctrine néo-libérale.

La concurrence au nom de la loyauté ? (1983-1986)

48Au cours des années 1980, DGCC cesse de défendre un modèle de concurrence unique. Des divergences au sein de cette administration apparaissent à l’occasion de la crise des « supercentrales ». Cette crise, qui met au jour des conflits entre fournisseurs et distributeurs, mène à l’émergence d’un troisième modèle de concurrence, fondé sur la « transparence » de la négociation commerciale et sur la « loyauté » des acteurs. Ce modèle, porté par la DGCC, est défendu par les fournisseurs, qui y voient un moyen de sauvegarder leurs intérêts. La Commission de la concurrence, en revanche, continue de défendre les intérêts de la grande distribution : elle maintient son adhésion à un modèle de concurrence fondé sur la maximisation de l’utilité du consommateur rationnel.

Une crise du marché de la grande consommation

49Entre 1950 et 1980, la grande distribution a profité de trois décennies de croissance ininterrompue. Mais le marché est demeuré relativement fragmenté. En 1981, un article publié dans la revue de la DGCC fait état de 22 chaînes de supermarché différentes [32]. Le marché de la grande consommation connaît alors une crise sans précédent. Ces difficultés sont liées au contexte macroéconomique. La relance de 1981 provoque une augmentation des salaires et crée un contexte porteur pour la grande consommation. Mais avec le « tournant de la rigueur » de 1983, la situation s’inverse. Les salaires sont bloqués, ce qui freine brutalement l’augmentation de la consommation. Un article du Monde publié en septembre 1983 rapporte qu’au cours du deuxième trimestre de 1983, les achats des ménages ont diminué de 1 % en volume [33]. L’auteur prévoit que la distribution connaîtra des « difficultés […] longues » qui entraîneront des « conséquences structurelles ».

50Ces conséquences structurelles ne se font pas attendre. Pour faire face à une conjoncture morose, les distributeurs s’engagent dans une politique de regroupement. L’objectif est de peser davantage dans les négociations avec leurs fournisseurs. Une plus grande puissance d’achat permet en effet d’obtenir davantage de remises sur le tarif des produits proposés par les fournisseurs. Certains rapprochements prennent la forme d’opérations classiques de fusion ou d’acquisition. Mais le phénomène le plus spectaculaire est celui des « supercentrales d’achat ». Ces nouvelles entités mutualisent les achats de plusieurs distributeurs autonomes. À la suite de ces opérations de concentration, il ne reste, en 1985, plus que sept « centres de décisions d’achat », contre treize en 1982. Ces sept « centrales ou supercentrales » réalisent alors, selon la Revue de la concurrence et de la consommation[34], 40 % du chiffre d’affaires du commerce de détail, et 80 % pour les produits alimentaires.

51Cette concentration soudaine suscite des réactions vives des grands fournisseurs. Comme dans le modèle élaboré par Fligstein (1996), c’est une crise qui remet en cause les grands équilibres du marché. L’ILEC, l’association patronale qui représente les industriels de la grande consommation, fait entendre son mécontentement dans la presse [35]. Le délégué général de l’ILEC utilise le vocabulaire de la concurrence pour défendre l’intérêt économique des fournisseurs : « on dépasse le niveau [de concentration] à partir duquel la véritable concurrence n’existe plus ». Les fournisseurs reprochent aux distributeurs de ne pas respecter le tarif qu’ils inscrivent dans leurs conditions générales de vente. Les fournisseurs souhaiteraient que les conditions tarifaires soient les mêmes pour tous les distributeurs, de manière à limiter la pression concurrentielle. À l’inverse, les distributeurs souhaiteraient pouvoir obtenir des remises et ristournes qui ne sont pas prévues par les conditions générales de vente du fournisseur [36].

52Face au lobbying exercé par les fournisseurs, les pouvoirs publics finissent par plier et tentent de limiter la puissance d’achat des distributeurs.

L’introduction de la notion de « transparence »

53En 1984, Michel Rocard, qui est alors ministre de l’Agriculture, se rend au Congrès de l’Association nationale des industries agro-alimentaires (ANIA) [37] et promet que l’État prendra des mesures en faveur des fournisseurs [38]. Le 22 mai 1984, la DGCC fait paraître une circulaire pour mieux encadrer les relations entre les distributeurs et les fournisseurs [39]. Ce texte est porteur d’un modèle de concurrence fondé sur la loyauté, en rupture avec le modèle fondé principalement sur l’utilité du consommateur.

54La circulaire s’ouvre en dénonçant les « pratiques discriminatoires injustifiées, de plus en plus nombreuses et variées, dans les relations entre entreprises », c’est-à-dire les avantages tarifaires consentis par les fournisseurs à certains distributeurs en raison de leur poids économique. Le principe de non-discrimination suppose ainsi que les conditions tarifaires d’un fournisseur s’appliquent à tous ses clients (les distributeurs) de manière uniforme. Ce principe provient de l’article 38 de la loi Royer (1973) [40], mais n’avait pas fait l’objet d’une application stricte par l’administration [41]. Il est inspiré d’une loi fédérale américaine de 1936, le Robinson-Patman Act[42]. Cette loi a été votée pour limiter l’extension des chaînes à succursales multiples, qui menaçait le petit commerce et encadre les réductions obtenues auprès d’un fournisseur [43].

55Selon la circulaire, la DGCC entend faire appliquer le principe de non-discrimination en imposant la « transparence » dans les négociations entre les fournisseurs et les distributeurs. La circulaire appelle les fournisseurs à rédiger des « conditions générales de vente » dans lesquelles ils devront préciser leurs tarifs et les critères pour que les distributeurs obtiennent des remises, rabais ou ristournes. Elle établit le principe selon lequel « tout avantage financier, sur facture ou différé, doit être rattaché à des dispositions précises figurant dans les conditions générales de vente ». Est considéré comme un manquement à la « transparence », l’obtention d’un avantage qui ne serait pas « porté à la connaissance de ses concurrents ». La circulaire réglemente également la « coopération commerciale », un des moyens utilisés par les distributeurs pour contourner les conditions générales de vente du fournisseur. La « coopération commerciale » consiste pour le distributeur à vendre une prestation à un fournisseur censée faciliter la vente de son produit, comme le placement en « tête de gondole ». En réalité, les services rendus sont souvent fictifs et servent à faire baisser le prix d’achat. Afin que la « coopération commerciale » rende un véritable service au fournisseur, la circulaire en précise la définition : elle « porte sur la fourniture par un distributeur à son fournisseur de services spécifiques ne relevant pas des obligations résultant des actes d’achat et de vente ».

56Il est intéressant de s’attarder sur la manière dont la circulaire justifie ces nouvelles dispositions. La transparence serait nécessaire afin de garantir « une concurrence réelle et loyale entre les agents économiques ». La réglementation doit permettre d’éviter « des écarts injustifiés dans les conditions d’approvisionnement entre catégories d’acheteurs selon leur puissance économique ». De tels écarts « constitu[ent] une prime excessive à la puissance d’achat, et non à la meilleure gestion ». Ici la politique de concurrence ne consiste pas à favoriser l’allocation des ressources optimale pour le consommateur. Elle consiste plutôt à empêcher les pratiques déloyales susceptibles de nuire aux commerçants qui pratiquent « une meilleure gestion ». Cette conception de la concurrence n’est pas éloignée de celle qui a présidé à l’émergence du droit antifraude au début du xxe siècle (Stanziani, 2005). D’ailleurs, la circulaire ne fait aucune mention du consommateur. Il n’est pas convoqué comme figure abstraite justifiant l’intervention de l’État.

57Les représentants de la grande distribution réagissent à cette circulaire de manière hostile. Ils justifient leur position en convoquant le modèle d’un marché débarrassé de ses « rigidités ». Dans une lettre ouverte adressée à Claude Jouven, le directeur général de la DGCC, Jacques Dermagne, président du Conseil national du commerce (CNC), manifeste son opposition [44] : « Ce projet de circulaire crée de nouvelles rigidités et de nouvelles contraintes incompatibles avec les intérêts fondamentaux du commerce, et en contradiction avec les déclarations du gouvernement qui n’hésite pas à condamner les excès de la réglementation. » À la réglementation, il préfère que l’industrie et le commerce parviennent à un accord interprofessionnel, sur le modèle des accords CNPF de 1983.

Un schisme durable dans le droit de la concurrence français

58Toujours dans l’optique de défendre les fournisseurs, le ministre de l’Économie saisit en 1984 la Commission de la concurrence pour qu’elle se prononce sur la conformité des « supercentrales » au regard du droit des concentrations horizontales. La Commission rend son avis le 14 mars 1985 [45]. Contrairement à la circulaire du 22 mai 1984, l’avis de la Commission est favorable à la grande distribution. Dans son préambule, elle salue d’ailleurs le rôle positif qu’a joué la grande distribution dans l’économie française : « Les entreprises commerciales qui, rompant avec la politique habituelle des prix conseillés, se sont attachées, à partir d’un meilleur contrôle de leurs coûts, à déterminer librement de moindres marges et des prix concurrentiels. »

59Son raisonnement prend le contrepied de celui de la DGCC. La circulaire du 22 mai 1984 prend comme point de départ des abus commis par des distributeurs individuels. Au contraire, la Commission de la concurrence évalue la structure du marché : « Plus qu’à l’objet, c’est donc à l’examen des effets que le fonctionnement d’une centrale d’achat ou d’une “supercentrale” a, ou peut avoir sur la concurrence qu’il faut s’attacher. »

60Reste à déterminer de quel marché on parle. La Commission estime que, du point de vue des consommateurs, il n’existe pas de marché global des produits alimentaires. Il existe des marchés séparés produit par produit. Pour caractériser une entente, il faudrait ainsi analyser une multitude de marchés différents. L’avis final de la Commission est donc mitigé. Elle reconnaît que dans certains cas, les « supercentrales » peuvent être un obstacle à la concurrence. Mais il faudrait analyser les situations marché par marché, centrale d’achat par centrale d’achat.

61La Commission de la concurrence se permet par ailleurs de critiquer ouvertement la règle de non-discrimination, sur laquelle la DGCC s’appuie dans la circulaire du 22 mai 1984 : « La règle de la non-discrimination est dans son application insuffisamment ordonnée à la sauvegarde de la concurrence en raison, notamment, de la différence des procédures respectivement applicables aux pratiques dites individuelles et collectives de restriction de la concurrence. Il y aurait donc avantage à ce que cette règle fût, comme dans les autres grands pays ou ensembles économiques, mieux intégrée au dispositif général de protection de la concurrence. »

62La Commission de la concurrence souhaiterait que la réglementation des pratiques « individuelles » soit soumise aux mêmes principes que celle des pratiques « collectives ». Il s’agit pour elle de faire primer dans le droit français un modèle de concurrence fondé sur l’utilité du consommateur. L’ordonnance du 1er décembre 1986 dite « Balladur » donne partiellement raison à la Commission [46]. L’objectif affiché de cette ordonnance est d’inscrire le principe de liberté des prix dans la législation et de mieux organiser la réglementation française en faveur de la concurrence. L’ordonnance comprend plusieurs titres. Le premier titre, relatif à la liberté des prix, affirme que les prix « sont librement déterminés par la concurrence ». Le titre II transforme la Commission de la concurrence en Conseil de la concurrence. Il lui procure des pouvoirs élargis. Désormais, il peut prononcer des sanctions (amendes) de manière autonome. Il reste toutefois adossé à la DGCCRF, qui lui procure des moyens d’enquête. Le titre III réunit les dispositions relatives aux pratiques anti-concurrentielles « collectives ». Dans ce titre, les pratiques « anti-concurrentielles » sont définies en termes larges. Elles visent autant les ententes sur les prix que l’abus de position dominante. L’exécution de ces règles de portée générale revient au Conseil de la concurrence.

63Cependant, une partie du droit de la concurrence échappe encore à la tutelle de la Commission. En effet, le titre IV de l’ordonnance, intitulé « des pratiques restrictives de concurrence », contient des dispositions relatives aux pratiques « individuelles ». Il reprend notamment les dispositions de la circulaire Fontanet de 1960 et de la circulaire du 22 mai 1984. C’est l’administration et non la Commission qui est chargée de faire appliquer le titre IV. Ses dispositions sont plus précises que celles des titres II et III : elles portent spécifiquement les relations entre fournisseurs et distributeurs.

64Depuis 1986, les deux droits de la concurrence vivent des existences séparées. Le Conseil de la concurrence continue de rendre des décisions favorables à la grande distribution. Très vite, il intervient dans la bataille juridique qui oppose les centres É. Leclerc aux pharmaciens. La chaîne É. Leclerc souhaite vendre dans ses magasins des produits de parapharmacie, ce que contestent les pharmaciens. En juin 1987, le Conseil de la concurrence enjoint les fournisseurs de produits de parapharmacie à « cesser de subordonner l’agrément de leurs distributeurs à la détention de la qualité de pharmacien d’officine » [47]. Mentionnant le terme « consommateur » à sept reprises, la décision rejette l’argument selon laquelle la distribution exclusive en pharmacie protège la sécurité des consommateurs. En outre, le Conseil condamne la fédération des syndicats pharmaceutiques à une amende de 200 000 francs pour avoir fait pression sur leurs fournisseurs de produits parapharmaceutiques pour qu’ils ne livrent pas leurs produits aux grandes surfaces.

65Quant au titre IV, il continue d’être utilisé par la DGCCRF pour protéger les fournisseurs dans leurs relations commerciales avec la grande distribution. Entre 1985 et 1987, les supercentrales de la grande distribution se dissolvent d’elles-mêmes, sans que l’administration n’ait eu à intervenir [48]. Mais les tensions entre la grande distribution et ses fournisseurs demeurent. Il faudra une loi, en 1996 (loi dite « Galland » [49]) pour que l’interdiction de la discrimination et l’interdiction de la revente à perte deviennent effectives.

66Pendant deux décennies, le Conseil de la concurrence s’abstient d’intervenir dans les relations entre distributeurs et fournisseurs. En revanche, la DGCCRF, héritière de la direction des Prix, se montre interventionniste. Elle contribue à bâtir un droit fondé sur la « loyauté » et la « transparence » des pratiques commerciales. Pas moins de six lois sur le sujet sont votées entre 1996 et 2008. En 2008 toutefois, le Conseil de la concurrence revient sur le devant de la scène. Ses membres sont au cœur des initiatives qui, au travers de la loi LME [50], ont cherché à « libéraliser » la négociation commerciale (Billows, 2016, p. 25). En rendant la négociation commerciale plus rigide, la loi Galland (1996) a indirectement favorisé l’accroissement des « marges arrière ». La négociation a cessé de porter sur le prix du produit (les « marges avant ») pour porter sur les montants de « coopération commerciale » vendue par les distributeurs aux fournisseurs. Cet accroissement des « marges arrière » a mené à une inflation des prix de revente au consommateur dans la grande distribution (Borsenberger, Doisy, 2006). Le Conseil de la concurrence a invoqué la figure du consommateur, lésé par les « marges arrière », pour critiquer les règles mises en place par la DGCCRF pour protéger les fournisseurs [51].

Conclusion

67L’émergence de la grande distribution française est tributaire des politiques de concurrence. La circulaire Fontanet de 1960 a poussé les fournisseurs à collaborer avec la grande distribution naissante pour écouler les produits fabriqués de manière industrielle. Elle a également refusé au « petit commerce » les protections que celui-ci réclamait contre les enseignes de grande taille. Par la suite, les politiques de concurrence ont été mobilisées pour atténuer le caractère oligopolistique du marché et permettre aux fournisseurs de mieux peser dans la définition de leurs tarifs.

68La « concurrence » constitue un registre de justification souple, mobilisé au service d’intérêts parfois divergents. Ainsi, trois modèles de concurrence successifs ont été mobilisés au cours de la période. Un premier modèle, centré sur la modernisation du tissu commercial français, justifie l’expansion des grandes surfaces au nom de la lutte contre l’inflation. Un second modèle, proche de la doctrine néo-libérale, justifie les politiques pro-distribution au nom de l’intérêt de la figure du consommateur. Un troisième modèle justifie l’intervention de l’État en faveur des fournisseurs au nom de la nécessité de transparence et de loyauté dans les relations commerciales. Ces modèles ne constituent pas d’institutions a priori qui façonnent les politiques publiques par le haut (Dobbin, 1994). Au contraire, ces politiques enregistrent les rapports de force des principaux acteurs du secteur, qui mobilisent et réinterprètent des modèles de concurrence disponibles pour transformer leurs revendications en défense de l’intérêt général. Comme le montre la crise des supercentrales, deux modèles de concurrence peuvent cohabiter. À l’instar des conceptions de contrôle décrites par Neil Fligstein (1996), les modèles de concurrence structurent alors les conflits entre acteurs économiques pour redéfinir les normes du marché à la suite d’une crise.

69La question du passage d’un modèle de concurrence à l’autre demeure ouverte. Une première explication possible du changement est l’adoption de doctrines politico-économiques plus générales. Dans le modèle de concurrence centré sur la figure du consommateur, l’inspiration du néo-libéralisme est évidente. Mais au regard de la littérature, la temporalité est surprenante. Il est courant de voir dans la négociation du traité de Rome (Denord, Schwartz, 2010) et sa mise en application par la Commission européenne (Warlouzet, 2008) un moment charnière dans l’influence exercée par le néo-libéralisme. Comment expliquer la temporalité différente décrite dans le présent article ? Pour répondre à cette question, il faudrait étudier les politiques économiques françaises menées dans les années 1970 et les raisons qui ont poussé les gouvernements de centre-droit de cette époque à abandonner le contrôle des prix et à se tourner vers une concurrence centrée sur le consommateur (Pinto, 2013).

70Une autre explication possible des changements dans les modèles de concurrence est la politisation. Une véritable politisation de la question ne semble intervenir qu’au milieu des années 1950 avec le mouvement créé par Pierre Poujade, et au début des années 1970 par les « nicoudistes ». Dans les deux cas, la politisation est l’arme mobilisée par des petits acteurs, mal représentés dans les sphères administratives. Or, dans les conflits qui ont opposé la grande distribution et les commerçants, puis la grande distribution à ses fournisseurs, la capacité d’enrôler des segments de l’administration a constitué une ressource décisive.

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Mots-clés éditeurs : politique économique, néo-libéralisme, direction des prix, concurrence, grande distribution

Mise en ligne 18/01/2017

https://doi.org/10.3917/gap.164.0069

Notes

  • [1]
    L’auteur remercie Claire Lemercier, Marie-Emmanuelle Chessel, Scott Viallet-Thévenin, Josh Whitford et David Reinecke pour leurs suggestions sur des versions antérieures de cet article. L’auteur remercie également les relecteurs anonymes de la revue Gouvernement et action publique dont les commentaires ont permis d’améliorer et de clarifier encore davantage le manuscrit.
  • [2]
    Outre les travaux des historiens et sociologues, des ouvrages portant sur l’histoire de la grande distribution française ont été écrits par des figures de ce milieu (Leclerc, 1974) ou des journalistes (Carluer-Lossouarn, 2008 ; Thil, 1964).
  • [3]
    Cette capacité des modèles de concurrence à contribuer à une « montée en généralité » tient à leur dimension morale (Amable, 2011).
  • [4]
    Recherche effectuée sur la base de données en ligne Europresse au moyen de plusieurs mots-clés.
  • [5]
    Dossier « commerce intérieur et distribution en France », tomes 1 à 3 (1949-1967). Il regroupe des articles de la presse généraliste et française (quotidiens et hebdomadaires nationaux).
  • [6]
    Entre 1977 et 1978, cette revue s’appelle la Revue de la concurrence, des prix et de la consommation.
  • [7]
    Cette expression est employée publiquement par Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances. Lors du discours d’ouverture prononcé devant les Assises nationales du commerce : Pierre Bernard-Danay, « Le gouvernement veut provoquer le remembrement commercial », Les Échos, 10 juillet 1963.
  • [8]
    Pierre Locardel, « Le grand désordre du commerce français. En France : 1 boutique pour 32 habitants », Témoignage chrétien, 19 septembre 1952.
  • [9]
    José Lestours, « Une réforme un peu délaissée, celle de la distribution », Le Monde, 9 novembre 1954.
  • [10]
    Circulaire du 31 mars 1960 relative à l’interdiction des pratiques restrictives de concurrence, dite « circulaire Fontanet ».
  • [11]
    Décrets no 53-704 du 9 août 1953 et no 58-545 du 24 juin 1958.
  • [12]
    Circulaire du 29 juillet 1969 relative à la place de l’équipement commercial dans le développement urbain.
  • [13]
    Loi no 73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat.
  • [14]
    Pour un exemple des limites du dispositif de contrôle des prix lorsqu’il est appliqué à la distribution, voir « Observation des marges commerciales par la direction générale de la Concurrence et de la Consommation », Revue de la concurrence et de la consommation, 20, 4e trimestre 1982, p. 3-4. À cette époque, sous François Mitterrand, le blocage des prix est réinstauré de manière temporaire, après sa suppression décidée par Raymond Barre en 1978 (voir infra).
  • [15]
    Enseigne É. Leclerc, « Le premier hypermarché É. Leclerc (1969) », Histoire et archives [http://www.e-leclerchistoireetarchives.com/a-la-une/le-premier-hypermarche-eleclerc-1969] (consulté le 7 novembre 2016).
  • [16]
    Cela n’empêche pas des boycotts ponctuels, comme le conflit qui oppose Nivea à Carrefour en 1969 (Paturle, 2005, p. 266-267).
  • [17]
    Michel Génin, délégué général de l’ILEC, « Les cahiers de l’ILEC », Les Cahiers de l’ILEC, 1, mai 1961, p. 2-3.
  • [18]
    « Les rapports de l’industrie des biens de consommation avec les autres secteurs de l’économie », Les Cahiers de l’ILEC, 3, 4e trimestre 1962, p. 14-19.
  • [19]
    Loi de finances no 63-628 du 2 juillet 1963 rectificative pour 1963 portant maintien de la stabilité économique et financière.
  • [20]
    Bernard Suzanne, « Pour le rétablissement d’une véritable concurrence dans la distribution », Les Cahiers de l’ILEC, 15, 4e trimestre 1965, p. 6-11.
  • [21]
    « Les attributions et le rôle de la direction générale de la Concurrence et de la Consommation au regard du droit communautaire de la Concurrence », Revue de la concurrence et de la consommation, 8, octobre 1979, p. 38-40.
  • [22]
    « Afin d’améliorer les règles de la concurrence, certaines concentrations d’entreprises pourraient être soumises au contrôle public », Le Monde, 27 mai 1976.
  • [23]
    « Rôle accru de la commission de la concurrence pour combattre les ententes », Le Monde, 14 janvier 1977.
  • [24]
    « Libération des prix industriels et stratégie des PME », Le Monde, 14 novembre 1978.
  • [25]
    « Commission de la concurrence. Un gardien vigilant et nécessaire », LSA, 11 mars 1983.
  • [26]
    Loi no 78-22 du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs.
  • [27]
    « Création d’une commission des clauses abusives », Revue de la concurrence et de la consommation, 4, mai 1978, p. 24.
  • [28]
    Commerce américain et productivité. Rapport de la mission d’étude des techniques commerciales américaines, Paris, PUF, 1951, p. 9.
  • [29]
    Jean-François Texier, « La distribution des fruits et légumes au stade de détail : évolution des structures et développement de la concurrence », Revue de la concurrence et de la consommation, 11, juillet-août 1980, p. 20-23.
  • [30]
    « Avis de la commission de la concurrence sur les problèmes de prix d’appel », Revue de la concurrence et de la consommation, 11, juillet-août 1980, p. 13-16.
  • [31]
    « L’activité de la direction générale de la Concurrence et de la Consommation en 1981 », Revue de la concurrence et de la consommation, 19, 3e trimestre 1982, p. 13-16.
  • [32]
    Michèle Trestour, « Évolution des résultats des principales sociétés du grand commerce depuis 1975 », Revue de la concurrence et de la consommation, 15, 3e trimestre 1981, p. 19-25.
  • [33]
    « Les professionnels prévoient un ralentissement de longue durée de l’activité commerciale », Le Monde, 7 septembre 1983.
  • [34]
    « L’évolution de la puissance d’achat en France », Revue de la concurrence et de la consommation, 32, 4e trimestre 1985, p. 5-7.
  • [35]
    « Les super-centrales d’achat contestées par les fabricants », Le Monde, 8 janvier 1985.
  • [36]
    Voir « Transparence des conditions de vente. Deuxième accord industrie commerce », LSA, 14 janvier 1983. Cet article rend compte d’un accord distributeurs-fournisseurs négocié en 1983 sous la supervision du CNPF. L’accord ne semble pas vraiment avoir été appliqué, mais il permet de comprendre l’objet concret du conflit entre les deux camps.
  • [37]
    L’ANIA est un autre syndicat patronal qui défend les industries de grande consommation. À la différence de l’ILEC, l’ANIA compte beaucoup de petites et moyennes entreprises.
  • [38]
    « IAA : Pour un retour immédiat à la liberté des prix », LSA, 13 avril 1984.
  • [39]
    Circulaire du 22 mai 1984 relative à la transparence tarifaire dans les relations commerciales entre entreprises.
  • [40]
    Ce principe est également repris dans la circulaire du 10 janvier 1978 relative aux relations commerciales entre entreprises, dite « circulaire Scrivener ».
  • [41]
    Dans son avis du 13 avril 1985, la Commission de la concurrence rapporte les faits suivants : « un très petit nombre de procès-verbaux ont été établis pour constater des infractions […]. Pendant les années qui ont suivi la publication de la circulaire Scrivener [en 1978], l’administration a reçu instruction de n’agir en cette matière que modérément et seulement sur plainte ».
  • [42]
    Cette filiation est rappelée dans l’avis de la Commission de la concurrence : « C’est bien pour contrôler les sollicitations abusives d’avantages discriminatoires qu’a alors été voté l’article 38 de la loi d’orientation du commerce et de l’artisanat du 27 décembre 1973, inspiré du Robinson Patman Act américain. »
  • [43]
    Ross E. Elfond, « The Robinson-Patman Act », 101 Practice Series, site de l’American Bar Association, Young Lawyers Division [http://www.americanbar.org/groups/young_lawyers/publications/the_101_201practice_series/robinson_patman_act.html] (consulté le 7 novembre 2016).
  • [44]
    « Transparence ou strip-tease inconvenant ? », LSA, 3 février 1984. Le commentaire y porte sur le projet de circulaire et non la circulaire définitive (le commentaire porte sur le projet de circulaire et non la circulaire définitive).
  • [45]
    Avis no 100 de la Commission de la concurrence rendu en application de l’article 1er de la loi no 77-806 du 19 juillet 1977 et relatif à la situation des centrales d’achat et de leurs groupements. Avis du 14 mars 1985. Au Bulletin officiel des conventions collectives no 6 du 19 avril 1985.
  • [46]
    Ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.
  • [47]
    Décision no 87-D-15 du 9 juin 1987 relative à la situation de la concurrence dans la distribution en pharmacie de certains produits cosmétiques et d’hygiène corporelle.
  • [48]
    « Un “caddie” nommé désir », Le Monde, 21 février 1987.
  • [49]
    Loi no 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales.
  • [50]
    Loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
  • [51]
    Voir le rapport rédigé par Marie-Dominique Hagelsteen, membre du Conseil de la concurrence. Ce rapport, intitulé « La négociabilité des tarifs et des conditions générales de vente » a été rédigé en 2008 pour le compte du ministère de l’Économie et des Finances.
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