Notes
-
[1]
CXP Informations, février 1994.
-
[2]
Systeme, Anwendungen, Produkte in der Datenverarbeitung ou Systems, Applications & Products in Data Processing.
-
[3]
Le premier âge de l’intégration informatique a correspondu dans les années 1950 à l’alimentation par différents programmes de bases de données centrales et uniques dans l’entreprise. Le deuxième âge est lié dans les années 1980 et 1990 à la vague d’équipement de la plupart des services et des fonctions en applications informatiques censées fonctionner dans un système modulaire.
-
[4]
De manière générale, l’implémentation des progiciels est cadrée dans les cahiers des charges sur un calendrier de un à deux ans, mais cette étape s’avère plus longue dans la plupart des cas (Doan-Grall, 2014). Dans notre cas d’étude cette phase de déploiement s’allonge dans la mesure où les progiciels sont bien souvent expérimentés sur quelques unités territoriales test ou encore par dispositifs d’intervention.
-
[5]
Autonomisé à l’hôpital – où « les techniciennes de l’information médicale et les médecins DIM œuvrent constamment à influer sur l’écriture des médecins » (Juven, 2013, p. 822) –, ce travail d’intéressement n’est pas rationalisé dans les DGAS. Les développeurs ou référents informatiques n’assument que très partiellement l’enrôlement des agents des services et s’en tiennent aux fonctions techniques « d’intégrateurs » assurant le paramétrage des machines (Thine, 2008).
-
[6]
Sur les 28 DGAS équipées en systèmes intégrés complets, GFI arrive nettement en tête des équipementiers avec douze départements, suivi d’INFO-DB (9 cas), puis par SIRUS-BULL (5). Les marchés de mise en œuvre durent en moyenne 1,5 an et les contrats de maintenance 3 ans. Le marché est stable et le remplacement de l’offre d’un concurrent est rare.
- [7]
-
[8]
Entretien, référent informatique du pôle qualité et système d’information de la DGAS du département B, octobre 2013.
-
[9]
Entretien avec le directeur d’une société d’édition, 12 juillet 2012.
-
[10]
Entretien, référent informatique, département B, octobre 2013.
-
[11]
Madeleine Akrich distingue en sus des usages prescrits par les concepteurs des dispositifs sociotechniques quatre formes d’interventions possibles : l’adaptation, l’extension, le déplacement et le détournement.
-
[12]
« Le déplacement consiste à modifier le spectre des usages prévus d’un dispositif sans annihiler ce en vue de quoi il a été conçu, et sans introduire des modifications majeures dans le dispositif. Il s’agit d’exploiter la flexibilité relative des dispositifs : cette flexibilité est liée au fait que le concepteur produit en même temps que son dispositif un scénario de ses usages possibles » (Akrich, 2006, 2552556).
-
[13]
Entretien, DGAS, département A, octobre 2010.
-
[14]
Madeleine Akrich évoque le détournement « pour un propos qui n’a rien avoir avec le scénario prévu au départ par le concepteur et même annihile du coup toute possibilité de retour à l’usage précédent » (Akrich, 2006, p. 260).
-
[15]
Entretien, référent informatique, département B, octobre 2013.
-
[16]
La liaison consiste simplement à enregistrer le message, l’IP ne sera alors pas saisie dans le logiciel GENESIS.
-
[17]
Par quels canaux a-t-elle été adressée ? Dans quel délais la cellule de veille interne aux UT a-t-elle reçu et contrôlé l’IP ? Quel contrôle a-t-elle effectué sur la nature de l’IP ?
-
[18]
Ajoutons que cette autonomisation institutionnelle ne se traduit pas seulement au niveau des unités territoriales. Dans le cas du département B, le service de l’insertion s’est doté de son propre progiciel « maison », le SRS, ce qui a permis à la directrice et ses agents de s’autonomiser de l’emprise du DGAS. La présence de ce logiciel « maison » de l’insertion amputant le DGAS du contrôle des données sur le SAP issu de l’insertion.
-
[19]
Observation de terrain, réunion n° 1, Groupe expert PEEF, département A, 30 mai 2012.
-
[20]
Ibid., allocution introductive du DGA.
-
[21]
Cette surreprésentation s’explique en partie par le secteur observé. L’ASE est l’un des secteurs où traditionnellement on retrouve le plus de travailleurs sociaux en mobilité ascendante dans des postes de direction. De la même manière, les postes des 21 UT sont dans leur très grande majorité occupés par des anciens travailleurs sociaux sur le département B. La surreprésentation s’explique également par les choix parfois contraints d’accès au terrain.
-
[22]
Ce tableau n’a pas pour objectif de quantifier au sens statistique du terme les sens attribués aux PGI par les directeurs interviewés en fonction de leurs parcours professionnels dans les configurations étudiées. Il permet néanmoins de préciser certaines tendances observables au sein de la population enquêtée.
-
[23]
Entretien avec la responsable de la cellule Coordination-Prospective, département B, 20 juin 2012.
-
[24]
Ce pragmatisme affiché des carrières administratives exclusives doit néanmoins être pris avec précaution dans la mesure où, dans notre échantillon, nous n’avons pas eu l’occasion d’interroger, ni d’observer les usages de directeurs plus jeunes formés à l’INET, dont la proportion au sein de la population nationale, est non négligeable. Les usages des PGI pourraient sans doute dans ces cas relever davantage de la croyance et épouser la rhétorique de la performance organisationnelle.
-
[25]
Entretien, responsable pôle qualité et système d’information, département B, septembre 2012.
-
[26]
Ibid.
-
[27]
Extrait de nos carnets de terrain, formation au module CMD dans une UT du département B, octobre 2012.
-
[28]
Entretien, directrice d’une UT, octobre 2012.
1Le néologisme « progiciel » inventé en 1978 par le cabinet CXP, spécialisé dans « le conseil et l’analyse en solutions logicielles pour l’entreprise et ses métiers » est usuellement utilisé pour qualifier une solution informatique émanant d’un concepteur unique, garantissant à l’utilisateur l’unicité d’information au moyen d’une base de données desservant l’ensemble des modules, en y répercutant en temps réel les modifications d’information et, in fine, capable d’assurer la traçabilité des opérations de gestion pour permettre l’audit [1]. L’essor des progiciels de gestion intégrée (PGI ou ERP : Enterprise Resource Planning) est initialement lié, dans l’industrie, au développement dans les années 1960 et 1970 de la planification des besoins en composants ou en objets (Material/Manufacturing Requirements Planning) et à l’intégration des différentes fonctions de gestion et de suivi du processus de coordination et de fabrication, des stocks et approvisionnements, de la sous-traitance, de la maintenance et de la qualité dans les entreprises. Le succès du « Système R », mis au point par la société allemande de SAP [2] en 1972, conduit dans les années 1980 à la diffusion mondiale des ERP. Le « Système R/3 » et ses concurrents rééquipent alors la plupart des grandes entreprises mondiales à partir d’un « package » standard intégrant tous les secteurs et toutes les fonctions, mais paramétrable. Les PGI disponibles aujourd’hui correspondent ainsi au « troisième âge » de l’intégration informatique atteint à la fin des années 1990, celui de l’interfaçage des différentes applications d’une même organisation et du partage des bases de données (Gilbert, Gonzalez, 2000) [3]. Dans le secteur des services, les ERP ont été précédés par les outils de gestion de la relation client (GRC ou CRM : Customer Relationship Management) et se développent le plus souvent comme des « solutions ESA » (Enterprise Service Automation), articulant les fonctions de gestion administrative de l’entreprise, des commandes et des offres commerciales (Campbell-Kelly, 2003). Le PGI se confond donc le plus souvent avec le système d’information et de gestion (Management Information System) et le BPR (Business Process Reengineering), dont l’objectif est de fournir aux acteurs de l’entreprise une image unique, intègre, cohérente et homogène de l’ensemble de l’information, dans le but d’optimiser la productivité (Thine, 2008).
2Dans sa conception idéale-typique, le PGI s’impose ainsi comme une architecture informatique qui englobe toutes les dimensions fonctionnelles, structurelles et processuelles d’un « outil de gestion » et vise à ce titre la performance organisationnelle (Chiapello, Gilbert, 2013). Dans sa dimension fonctionnelle, il doit permettre de prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler. Il constitue une « traduction moderne de l’outillage administratif fayollien » (Peaucelle, 2003). Sa structure modulaire permet d’articuler des informations de différentes natures sur les personnes, les ressources, les actions et les résultats d’activités. Sa dimension processuelle se traduit par des opérations de quantification et de classement qui supposent une standardisation des données. Le PGI s’apparente ainsi théoriquement à ce que l’on pourrait appeler un « dispositif total de gestion ». Pour autant, au même titre que les autres outils de gestion, il s’actualise dans des formes locales, contextuelles et spécifiques (Chiapello, Gilbert, 2013, p. 248-249), comme c’est le cas ici dans l’aide et l’action sociales départementales (AAS) française au début des années 2010.
3L’informatisation de ce secteur d’action publique s’est d’abord traduite par l’équipement logiciel de dispositifs d’action singuliers et spécifiques, mesure par mesure, prestation par prestation. Le niveau d’équipements des 21 dispositifs d’intervention sociale, testés dans une enquête réalisée en 2013 dans 72 départements de France métropolitaine, s’élève à 76 %, attestant que la grande majorité des offres de services des directions générales adjointes à la Solidarité (DGAS) est aujourd’hui informatisée (Marrel et al., 2014). Ce niveau d’équipement moyen ne varie que sensiblement d’un grand secteur d’intervention sociale à l’autre : la PA-PH (Personnes âgées-Personnes handicapées) apparaît comme le secteur le mieux équipé (80 %), avant l’ASE-PMI (aide sociale à l’enfance et protection maternelle et infantile) (76,3 %), puis l’Insertion (74,6 %). Les DGAS déclarant disposer en 2013 d’un système d’information unique représentent 28 des 72 collectivités observées, soit 39 %. Il existe ainsi un mouvement significatif d’intégration des outils informatisés de gestion au sein de l’action sociale départementale. Cet équipement de l’AAS en PGI traduit-il pour autant la standardisation gestionnaire de ce secteur d’action publique telle qu’elle est prévue par les concepteurs et les éditeurs spécialisés dans la production de ces outils informatisés ?
4En règle générale, les fonctionnalités des PGI ne sont jamais optimales. Comme le constate Denis Segrestin dans le secteur privé, « les ERP ne marchent pas bien » (Segrestin, 2004, p. 8). De nombreux travaux soulignent même que les projets progiciels CRM pâtissent d’un taux d’échec important (47% en 2009 selon le Forrester Research) (Doan-Grall, 2014, p. 298). Ce qui est parfois présenté comme l’échec des programmes d’équipement en PGI tient d’abord aux défaillances techniques et aux difficultés d’implémentation des architectures informatiques modulaires et intégrées. Le paramétrage du « package standard » reste étroitement contingent des conditions de sa mise en œuvre. L’observation du déploiement des PGI dans les DGAS le confirme. Les solutions vendues par les éditeurs et développées localement n’aboutissent pas, le plus souvent, à une réelle intégration des systèmes et à une rationalisation de l’information : le principe d’unité de conception technique, d’unicité d’information et de mise à jour en temps réel demeurent la plupart du temps lettres mortes (Marrel et al., 2014). Les architectures informatiques PGI sont ainsi dans leurs dimensions techniques largement inabouties.
5Mais la littérature critique sur les ERP s’attarde également sur la variable tout aussi déterminante des conditions d’appropriation et des configurations d’usage de ces architectures informatiques modulaires. Le progiciel reste de fait un dispositif sociotechnique ambigu, alternativement considéré comme très contraignant (Dechow, Mouritsen, 2005 ; Gilbert, Leclair, 2004) ou très flexible (Quattrone, Hopper, 2005). D’une part, « l’instrument véhicule et induit des manières de faire », et sa technique, son ergonomie ou encore le paramétrage de ses fonctionnalités déterminent les usages et les comportements des utilisateurs contraints de s’y adapter (Muniesa, Callon, 2009, p. 299). D’autre part, « les fonctions officielles de l’outil n’épuisent pas toutes ses fonctions possibles et ne permettent qu’imparfaitement d’anticiper ses effets réels » (Chiapello, Gilbert, 2013, p. 33). Comme sur d’autres dispositifs, les conventions déposées dans l’outil peuvent être réinterprétées et ainsi servir des objectifs différents de ceux prévus par les concepteurs (Bezes, 2004).
6Pour en restituer les sens et les finalités, le PGI doit être saisi dans les formes « inscrites et situées » (Chiapello, Gilbert, 2013, p. 248) de son appropriation et de ses usages au sein des services de l’AAS. En se focalisant ici sur l’étape et le temps élastique de l’implémentation des progiciels dans les DGAS [4], l’étude cible les usages du déploiement de ces outils au niveau des équipes de direction, avant leur mise en production routinisée et les possibles déplacements ultérieurs liés à leurs appropriations par les utilisateurs de terrain (agents de saisie, accompagnateurs ou contrôleurs d’insertion, travailleurs sociaux, puéricultrices, médecins, secrétariats). Plus précisément, cet article s’intéresse au processus de traduction engagé par les directeurs des services d’AAS. Toute innovation technique nécessite en effet ce travail de traduction qui se décline en quatre phases : problématisation, intéressement, enrôlement et mobilisation des alliés (Callon, 1986). Dans ce secteur comme ailleurs, la formulation des problèmes auxquels les PGI sont censés répondre entraîne des controverses, notamment autour des finalités de contrôle et de standardisation gestionnaire du travail social. C’est l’intéressement et l’enrôlement des agents qui doivent faire céder ces controverses et déterminer les usages des progiciels (Doan-Grall, 2014). Faute d’une véritable autonomisation de ces fonctions de mobilisation et d’accompagnement dans les DGAS au moment du développement, ce sont les directeurs des services, leurs adjoints et les développeurs qui les assument [5]. Ils investissent et traduisent alors différemment ces architectures multifonctionnelles et ambiguës. Aussi, en étudiant les opérations d’intéressement, il s’agit bien de réinvestir le progiciel comme un dispositif de pouvoir incertain dans le cadre d’une sociologie de l’action publique qui s’appuie sur une « conception processuelle et relationnelle de l’instrument d’action publique » (Baudot, 2014). Réinscrire ces processus de traduction dans la sociologie des enrôleurs, c’est aussi interroger le poids des socialisations professionnelles et la manière dont elles peuvent délimiter l’espace des appropriations de ces outils informatisés de gestion sur le secteur spécifique de l’AAS. Cette recherche invite ainsi à poursuivre l’étude des « appropriations socialement modulées » (Belorgey, 2010) des réformes managériales en les ré-encastrant dans les représentations singulières et équivoques que les encadrants du social prêtent au management (Alcaras et al., 2014). Si les défaillances techniques tout comme les propriétés d’ambiguïté et de flexibilité structurelles (Jones, Dugdale, 2002) à ce dispositif sociotechnique peuvent expliquer la variété des usages, nous montrerons que l’extrême diversité des profils et des expériences des « élites locales du welfare » est tout aussi clivante.
7L’étude porte spécifiquement sur deux projets progiciels développés dans deux DGAS du sud de la France : le progiciel GENESIS sur le secteur de l’ASE-PMI et le progiciel SAP (social, accueil, position) autodéveloppé par une direction des services informatiques (DSI) pour équiper les unités territoriales (UT). Elle souligne que, même inabouties, ces architectures informatiques produisent sur le secteur de l’AAS des effets attendus, mais aussi non nécessairement prescrits par les concepteurs des PGI. Dans le processus de traduction, la flexibilité de l’outil et les ambiguïtés des sens et des finalités engagés par les équipes de direction de l’AAS autorisent des usages variés, dont nous proposons une typologie. Puis nous montrerons combien cette variété des appropriations dépend largement des propriétés sociales et des trajectoires professionnelles des enrôleurs, en particulier des directeurs.
Encadré 1. Méthode d’enquête et matériaux mobilisés
Sur le département A, c’est le déploiement du progiciel GENESIS vendu par l’éditeur SIRUS-BULL sur le secteur de l’ASE-PMI qui a fait l’objet d’investigation. Le directeur général adjoint à la Solidarité (DGAS) avait engagé dès 2005 via les procédures d’appels d’offre publics un programme d’équipement PGI dont l’objectif visait à l’horizon 2015 la mise en place d’une solution informatique unique sur l’ensemble des services de l’AAS. En 2012, lorsque nous débutons l’enquête, ce projet est encore contrarié d’une part par la coexistence de GENESIS avec d’autres logiciels de gestion et, d’autre part, par le retard pris notamment sur l’ASE. En 2006, une grève générale de plusieurs mois, en partie portée par l’hostilité des travailleurs sociaux au projet de refonte du schéma d’équipement informatique, a en effet bloqué puis ralenti le déploiement complet de GENESIS. Sur ce département, notre équipe a également eu l’opportunité d’étudier sur une année, via une observation participante au sein du service Petite-Enfance, Enfance-Famille (PEEF) et des entretiens, la création d’un outil de mesure informatisée de placement des enfants dans les établissements d’accueil qui devait permettre le paramétrage futur du module GENESIS (Pinon, 2013).
Sur le département B, c’est le déploiement d’un progiciel autodéveloppé en interne par la DSI qui est étudié. Ce progiciel installé dès 2003 par la DSI va outiller le projet de réorganisation du nouveau DGAS arrivé en 2007. Il n’équipe pas à proprement parler l’ensemble des dispositifs sociaux dont le département a la charge, mais est conçu comme le progiciel d’accueil des UT et plus précisément comme le « logiciel métier » de la direction de l’Action sociale et de la Coordination territoriale (DASAC). On dispose sur ce département, d’entretiens, d’une analyse des documents produits par le comité de pilotage de la réorganisation et d’observations des formations aux PGI à destination des directeurs des UT et de leurs agents.
Au total, dans les deux configurations d’enquête, une population de 20 membres des équipes d’encadrement engagées dans les projets PGI (DGAS, directeurs adjoints, directeurs de service ou d’UT et référents informatiques du social) a été interviewée dans le cadre d’entretiens semi-directifs, parfois à plusieurs reprises.
Pour cerner la spécificité des configurations étudiées du point de vue des processus d’équipement en PGI comme des profils et des représentations managériales des directeurs, les données ont été enrichies des résultats de deux enquêtes nationales par questionnaire. La première (QDSI) a été administrée par téléphone entre le 15 juin et le 30 novembre 2013 auprès des responsables de l’équipement informatique de l’AAS des 96 conseils généraux métropolitains, dans les DSI (taux de retour : 75 %). Construit à partir d’entretiens avec des développeurs privés et des gestionnaires de services, le questionnaire comportait 21 questions sur l’organisation, le niveau, la nature, l’ancienneté et l’opérationnalisation de l’équipement informatique en PGI des DGAS, puis de l’outillage spécifique de chacun des secteurs de l’Insertion, de la PA-PH, de l’ASE et de la PMI, et des fonctions transversales (Marrel et al., 2014). La seconde enquête par questionnaire (QDAS) a été menée en 2011 auprès de la population des directeurs des services d’Action sociale (DAS). Le questionnaire a été auto-administré en ligne, de manière anonyme. Avec 247 réponses, 85 des 96 départements étaient représentés dans les résultats par au moins un directeur. Ce questionnaire articulait deux dimensions analytiques. Une série de questions abordait la notion de « performance sociale », pour saisir les rapports discursifs des DAS à la « managérialisation ». Les autres thèmes abordés relevaient d’une sociologie des acteurs à proprement parler (fonctions, métier et pratiques de direction, formation, trajectoire, expériences professionnelles et militantes, profil sociobiographique).
Des usages prescrits aux usages inattendus : les investissements pluriels des enrôleurs dans les PGI
8Dans la traduction des dispositifs sociotechniques, la phase de problématisation est capitale dans la mesure où elle détermine les problèmes censés être solutionnés. C’est aussi le moment où sont « définis les acteurs concernés et les alliances à sceller » (Doan-Grall, 2014, p. 139) pour favoriser la diffusion de l’outil (Callon, 1986, p. 184-186). Dans le déploiement des progiciels SAP et GENESIS, les directeurs des services d’AAS sont supposés travailler à l’intéressement, convaincre de l’usage des PGI dans leur organisation. Ils sont à ce titre les principaux enrôleurs. Or, les sens qu’ils attribuent aux PGI sont extrêmement variés. Conçus et structurés à des fins gestionnaires explicites par les éditeurs, les PGI épousent largement les projets de réformes managériales conduits par les encadrants sur les territoires enquêtés et sont, à ce titre, utilisés de manière conforme aux usages prescrits. Pourtant, les finalités et les usages inattendus rappellent l’ambivalence et la singularité des représentations et des pratiques de management de cette population encadrante (Alcaras et al., 2014).
Des solutions informatisées conçues comme des outils de standardisation gestionnaire
9Pour les éditeurs privés qui les vendent, les PGI se caractérisent par des propriétés techniques communes. Ils doivent d’abord standardiser les pratiques, les organisations et les produits, et développer de « bonnes pratiques ». Le progiciel doit également conduire à décloisonner et à produire de la transversalité dans l’organisation. Il permet dans le même temps de renforcer le contrôle central. Il est enfin destiné à optimiser les ressources humaines et matérielles en facilitant le pilotage par les indicateurs et la réduction des coûts. Le déploiement des PGI dans les services d’AAS suit a priori ce schéma. C’est tout du moins ce que souligne l’enquête par questionnaire réalisée auprès des DSI dans les départements français en 2013 (Marrel et al., 2014). Dans le cadre d’appels d’offre publics, les DGAS optent le plus souvent pour les solutions commerciales proposées sur un marché restreint et oligopolistique où ne subsistent que trois sociétés privées : INFO-DB, SIRUS-BULL et GFI Software [6]. Elles peuvent également faire le choix plus rare de l’auto-développement. Mais développeurs privés et DSI en charge de cet auto-développement travaillent in fine à la même offre de fonctionnalités standardisatrices et gestionnaires destinées au pilotage par la mesure. Ainsi, les éditeurs comme les développeurs n’hésitent pas à mettre en scène leur progiciel comme « la » solution aux défis posés aujourd’hui aux services départementaux de l’AAS : « être efficient et efficace dans un contexte de restriction budgétaire tout en garantissant une meilleure satisfaction des usagers » [7] ou encore « pouvoir piloter les services dans un environnement où il est urgent de réduire la complexité et de gérer les incertitudes » [8]. Ils vendent un outil standard capable de s’adapter « au social et à la diversité des organisations, des prestations et des utilisateurs [9] ».
10Dans les scenari des concepteurs, les PGI proposent une très grande richesse de fonctionnalités. La première renvoie à des outils de bureautique classiques. Il s’agit de gérer les procédures, les courriers, les budgets et les échéanciers de l’aide sociale. Aussi, c’est bien la gestion de l’activité des secrétariats des unités territoriales et/ou thématiques que visent les éditeurs. Le module « Accueil-intervention » que la société SIRUS-BULL propose dans le cadre du progiciel GENESIS dans le département A correspond bien à cet enjeu. Développée à partir d’une application CRM du privé, cette offre logicielle permet de gérer la messagerie et les sollicitations multi-canaux des bénéficiaires (courrier, mails, téléphone), ainsi que les rendez-vous à partir d’un cahier dématérialisé des messages. Le PGI permet ainsi de couvrir la gestion de la relation usagers, des contacts, les carnets d’adresses, le catalogue de prestations, la gestion de dossiers usagers et le centre d’appels.
11La deuxième innovation portée par le PGI et labellisée ici « dossier unique » tient dans sa capacité à proposer aux DGAS d’assurer la traçabilité de l’information et de disposer en temps réel d’une « vision globale » de toutes les modifications des données relatives aux bénéficiaires quel que soit le secteur d’intervention sociale. Il s’agit ainsi pour SIRUS-BULL de proposer dans le département A un « point d’entrée unique », ou « dossier foyer unique », c’est-à-dire la mise en place d’une seule base de données pour toutes les familles à laquelle tous les modules sectoriels se connectent et qui permet de proposer une vision générale des aides par foyer.
12Enfin, le passage au PGI est le plus souvent l’occasion d’introduire le « contrôle qualité » dans la gestion de prestations de l’aide sociale. Ainsi, dans le même département, sur le versement de l’aide financière Fonds solidarité logement (FSL-Charges) destinée au financement de l’électricité, du gaz et de l’eau, la « brique » GENESIS développée prévoit la saisie d’une fiche qualité pour 10 % des dossiers instruits tirés de manière aléatoire par le progiciel. Le « référentiel qualité » liste 29 indicateurs concernant les délais de traitement, les pièces justificatives et la qualité des saisies. Les indicateurs font l’objet d’une compilation statistique anonyme, automatisée et partagée entre le pilotage central et les UT. L’informatisation des données des bénéficiaires et des opérations comptables est ainsi associée à des outils permettant de produire des « indicateurs de performance pour le pilotage des organisations ».
13Dans la configuration du département B, le progiciel SAP autodéveloppé par la DSI n’en poursuit pas moins les mêmes objectifs. Dans son processus de déploiement, ce progiciel a d’abord été conçu en 2003 pour faciliter la gestion dématérialisée des demandes des usagers. En 2008, le développement du SAP est accompagné d’une nouvelle procédure obligatoire de recueil des données pour simplifier et moderniser la collecte (suppression des erreurs, économie de temps, d’énergie, de papier, de navettes). Il s’agit également de moderniser les pratiques professionnelles. Les secrétaires doivent alors non seulement saisir l’ensemble des éléments permettant de suivre la situation administrative des bénéficiaires (SAP/fichier de position), mais également les prestations versées aux ménages, le traitement des demandes et des enquêtes ou évaluations sociales. Si l’objectif d’amélioration de la qualité du travail des agents des UT (visualisation des échéanciers, édition des bordereaux) est toujours prégnant, cette fonctionnalité permet aussi de comptabiliser les « événements » par des requêtes statistiques. Il devient alors possible de compter des ménages et les événements, de disposer de listings classés par ordre alphabétique, et triés par territoires. Aussi, les fonctionnalités introduites après 2009 accompagnent-elles un objectif de « performance organisationnelle ». Le SAP prévoit par exemple le relevé des indicateurs téléphoniques et accueil sur sites à partir du module gestion de rendez-vous (SAP/GDR). En 2010, le nouveau module le « cahier de messagerie dématérialisé » (SAP/CMD) assure une gestion automatisée des messages et un contrôle systématique. Chaque semaine, le logiciel permet d’observer plusieurs milliers de messages et de dresser un indicateur de performance qualité standardisé, le nombre de messages renseignés, ainsi qu’un objectif à atteindre pour la semaine suivante. Alors qu’en 2011, seulement six UT étaient équipées de ce module, l’ensemble des maisons départementales en sont pourvues au moment de l’enquête. Comme le souligne le référent informatique de la DGAS du département B, « le SAP va devenir à terme la synthèse de tout ce qui peut se passer en UT. Si une personne se présente à l’UT, je suis capable de savoir en temps réel de mon poste si c’est pour de l’ASE ou de l’Insertion ». Notre objectif, poursuit-il, c’est « d’inciter les professionnels de la DGAS à rentrer par le SAP et, via le SAP, avoir les autres ramifications vers les autres progiciels [10] ».
14Les « PGI du social » sont donc vendus comme des systèmes uniques de traitement de l’information dont l’organisation, les finalités et les fonctionnalités sont explicitement orientées vers la production de chiffres prescriptifs, le contrôle de gestion et le pilotage par le chiffre. Le PGI est conçu comme un outil de découverte des « gisements de performance » en appliquant le même raisonnement à toutes les fonctions de l’entreprise, en limitant les niveaux hiérarchiques et en reconsidérant « à l’économie » les tâches à réaliser (Thine, 2008). Dans l’esprit des concepteurs et des éditeurs, les finalités des PGI correspondent au « logos gestionnaire » qui définit théoriquement le fonctionnement des organisations selon trois principes : la maîtrise ou le contrôle, la performance comme objectif, la rationalité comme moyen (Boussard, 2008).
Les équipes de direction et le paradigme de la performance organisationnelle
15Lorsque le nouveau DGA « chassé » par un cabinet de recrutement privé à la demande du DGS arrive en 2007 à la tête de la DGAS dans le département B, il s’agit avant tout pour lui de « faire de la solidarité quelque chose de durable, […] de sortir du coup par coup et de dépenser le mieux possible. Il était nécessaire, précise-t-il, de « dépasser la sectorisation des champs d’intervention et des problèmes sociaux liés pour une prise en charge globale et davantage de prévention, [de] casser l’organisation du travail par filière professionnelle pour privilégier les partenariats locaux, [de] passer d’une organisation très cloisonnée en filières multipliant les tutelles sur le territoire à une gestion plus territoriale ». Aussi le projet de réorganisation qu’il engage dès 2009 s’appuie-t-il sur un renforcement du contrôle direct exercé sur les territoires, ce qu’il nomme lui-même le principe de « déconcentration vers les UT ». La carte des services de la solidarité est redécoupée : suppression d’un niveau intermédiaire (celui des « secteurs ») et réduction du nombre d’UT de 26 à 21 en 2010. Le DGAS impose un nouveau schéma organisationnel dans lequel les UT se voient dotées d’un directeur et d’un secrétaire-adjoint recrutés par lui-même et placés directement sous sa responsabilité. Cette restructuration réduit largement la tutelle exercée auparavant par les services thématiques sur les responsables enfance-famille, cohésion sociale et santé des UT. Pour renforcer son contrôle, le DGAS fait également de l’accueil des usagers une priorité de la réorganisation. Ainsi, il engage en 2010 les UT dans une démarche de « certification de l’accueil ». Arrivé dans un contexte particulièrement tendu au niveau syndical dans les unités territoriales (39 préavis de grève pour l’année 2007), le DGAS souligne que la reprise en main de ces unités territoriales ne peut « s’effectuer uniquement par le haut » mais nécessite aussi un contrôle de l’activité de ses agents par un « processus de rationalisation de la gestion de la relation au guichet » et de « monter en compétence des secrétaires dans les UT ». L’évolution des finalités et les modifications apportées au progiciel « maison » entre 2007 et 2013 accompagnent et outillent la réorganisation. Le DGAS fait même du projet de refonte massif du schéma d’équipement informatique l’un des cinq chantiers de la réforme engagée en 2009. Cette reprise en main se traduit en 2010 par la création sous sa hiérarchie directe d’un pôle exclusivement dédié à la gestion et au développement du système d’information du social, dont la mission consiste à assurer le suivi du progiciel auto-développé, les interfaces avec la DSI, la gestion et l’édition des requêtes statistiques et tableaux de bord ainsi que les formations des agents aux différents modules du SAP.
16En première analyse, le récit porté par le DGAS du département B souligne combien les formulations des problèmes à résoudre sur le secteur de l’AAS et les réponses apportées par les PGI du marché ou auto-développés épousent largement le paradigme d’optimisation des ressources financières, matérielles et humaines promu par les éditeurs privés et des développeurs, comme en témoigne le tableau 1 synthétique.
Usages observés conformes aux conceptions des éditeurs et développeurs de PGI
Usages observés conformes aux conceptions des éditeurs et développeurs de PGI
17Conformément aux projets défendus par les éditeurs et les développeurs, le PGI est ainsi tout d’abord défini et utilisé par les directeurs comme un outil de pilotage par les indicateurs. On rappelle par exemple que le module du « cahier de messagerie dématérialisé » (CDM) du SAP a été conçu dès son origine par le DGAS comme un instrument capable de produire un « indicateur de performance qualité » des UT dans le département B. Alors que l’inscription des messages sur un cahier papier rendait impossible la fiabilité de l’information et surtout l’automaticité de son contrôle, le module CMD autorise les requêtes hebdomadaires et aléatoires sur la qualité de réponses aux usagers (dans les 3 jours ouvrables) et permet de comparer les UT entre elles. De la même manière, la « grille accueil du public » expérimentée en 2013, doit permettre à terme de redéployer les ressources humaines, en ayant connaissance des flux d’usagers par UT. Ajoutons que l’architecture informatique du progiciel SAP a été conçue pour faciliter une visualisation complète des activités des UT mais aussi pour agir à distance. À la demande du DGAS, les requêtes statistiques ont ainsi été entièrement centralisées dans le paramétrage du PGI. Les directeurs des UT sont par conséquent obligés de prendre rendez-vous avec les responsables de la cellule informatique, de justifier leurs demandes pour formuler de nouvelles requêtes statistiques qui doivent toutes être validées par le DGAS. Cette perspective permet aux encadrants de la direction adjointe à l’Action territoriale d’envisager les PGI comme des dispositifs accroissant leur capacité d’action à distance. Ils partagent à ce titre les finalités exprimées par les directeurs commerciaux dans le secteur privé (Dechow, Mouritsen, 2005).
18Le module Gestion de la relation aux usagers (GRU) traduit dans les discours des directeurs enquêtés les mêmes objectifs d’amélioration de l’accueil, miroir de la satisfaction du client. Néanmoins, dans les cas observés, l’amélioration de la gestion de la relation aux usagers vise davantage le contrôle des professionnels du social que celui de la fraude et in fine des usagers. Aussi les PGI étudiés sont présentés par les « enrôleurs » comme des outils de catégorisation de l’activité sociale et de contrôle de l’activité des travailleurs sociaux. Aux enjeux de catégorisation, sont associés et verbalisés deux objectifs distincts mais largement complémentaires dans les discours des directeurs : il s’agit à la fois de décloisonner l’activité des travailleurs sociaux en privilégiant la transversalité, mais aussi de standardiser, c’est-à-dire de mettre en procédure leurs différentes missions pour rationaliser le suivi des bénéficiaires. Dans les deux départements enquêtés, le déploiement du progiciel SAP ou GENESIS a été étroitement accompagné de groupes de travail de référentiels métiers de l’intervention sociale, de redéfinition des référentiels emplois (Marrel et al., 2014). À bien des égards, ces PGI équipent les acteurs administratifs et les tutelles dans leur action et dans leur capacité à gouverner l’action sociale. Ils soutiennent dans le discours et les usages des directeurs enquêtés des « formes de gouvernementalité gestionnaire » (Juven, 2013, p. 19).
19Néanmoins, il est important de souligner que ce soutien au paradigme de la performance gestionnaire n’engage pas nécessairement chez tous les directeurs interviewés des usages parfaitement conformes aux prescriptions. Les entretiens et les observations des configurations suggèrent en effet que près des trois quarts des encadrants délimitent très fortement les finalités attribuées aux PGI pour n’en privilégier que certaines dans leurs discours, et ne recourent que très partiellement à l’ensemble des fonctionnalités paramétrées. Bénédicte Grall l’observe également à propos d’un progiciel CRM et invite à enrichir la typologie des usages des dispositifs sociotechiques de Madeleine Akrich [11] (2006) d’un nouveau type d’intervention : la « réduction », miroir de l’« extension » qu’elle définit comme « la suppression ou la non-utilisation d’une ou plusieurs fonctionnalités du dispositif » (Doan-Grall 2014, p. 275). L’ambiguïté des finalités consubstantielles à la technique PGI, la très grande richesse des fonctionnalités prescrites mais également leurs défaillances techniques, expliquent en partie selon l’auteur ce type d’usage. Aussi, la majorité des finalités attribuées aux PGI et des usages observés demeurent dans les cas étudiés largement circonscrits aux dimensions fonctionnelles : outil de reporting, outils de catégorisation de l’activité sociale et de contrôle des travaileurs sociaux. Le principe de standardisation gestionnaire promu par les concepteurs des PGI se trouve ainsi largement amputé et limité aux enjeux de facilitation des saisies administratives des dossiers et du contrôle de l’activité. Ajoutons enfin que l’analyse des attentes exprimées par les directeurs laisse également entrevoir des logiques de déplacement des usages des PGI dans le secteur de l’AAS [12]. On pense ici en particulier à la manière dont certains directeurs, dans un usage d’ailleurs exclusivement discursif, vont se servir des PGI comme outil d’évangélisation et d’ennoblissement du social. Parler ici de déplacement semble opportun dans la mesure où dans ces cas précis, les finalités de performance ne sont aucunement annihilées mais ne servent pas uniquement l’organisation. Il s’agit en évoquant l’équipement en PGI d’invoquer la figure de l’innovation, de la modernité et de dénoncer l’image trop souvent archaïque du social. C’est bien le secteur dans son ensemble « qu’il s’agit de redorer ». Comme dans le club des acteurs de la « modernisation » de l’État, le PGI est perçu comme un instrument de conversion capable « d’ouvrir les esprits » (Gervais, 2012). L’enjeu de performance organisationnelle se double dans ce cas d’une volonté de promouvoir un « social de compétition » (Donzelot, 2008 ; Marrel, Nonjon, 2012) ou encore comme l’affirme l’un des directeurs enquêtés de « rendre le social signifiant [13] ».
Processus de traduction et reformulations des finalités attribuées aux PGI
20Si les sens attribués aux PGI tout comme les usages observés dans leur phase de déploiement dans les services d’AAS accompagnent globalement les réformes managériales et cadrent largement avec les projets définis par les éditeurs, les processus de traduction engagés par certains directeurs peuvent à l’inverse s’en éloigner. Dans les entretiens, ces « enrôleurs » formalisent en effet parfois des problèmes et s’autorisent des usages non nécessairement intégrés dans les scenari paramétrés de ces outils de gestion informatisés. Plus largement, nos observations soulignent combien les PGI sont dans leurs prescriptions techniques loin d’être totalement contraignants. Des détournements [14] des usages prescrits ont ainsi été observés dans les deux cas d’études (tableau 2).
Usages observés non prescrits ou inattendus
Usages observés non prescrits ou inattendus
21Deux projets informatiques précis sont examinés ici pour illustrer ces dynamiques de détournement : l’usage du SAP dans le suivi des informations préoccupantes (IP) dans le département B et la préfiguration d’un outil informatisé de mesure du placement des enfants en structure d’accueil dans le département A. L’architecture informatique du SAP repose, nous l’avons déjà signalé, sur le principe de la centralisation des requêtes statistiques. Néanmoins, ce paramétrage du progiciel a produit très rapidement des usages directs et indirects du PGI dans les unités territoriales, que ni les développeurs maisons, ni le DGAS n’avaient anticipés. Tout d’abord, comme le souligne le référent informatique lui-même, en imposant aux directeurs des UT de passer obligatoirement par le pôle qualité pour les requêtes, le déploiement du SAP a fortement incité « les UT à fonctionner avec leurs tableaux de bord en interne pour avoir leurs propres informations d’évaluation et même à renforcer cet usage [15] ». Dépendants de l’information centralisée tout en étant fortement incités à contrôler l’activité de leurs agents en interne (travailleurs sociaux comme agents administratifs), les directeurs des unités territoriales ont ainsi été contraints de développer des tableaux de bord « faits main » édités sous Excel. Dans le cas précis de la remontée des IP, certains directeurs d’UT, soumis à la pression d’un étalonnage comparatif mensuel, ont saisi l’importance et surtout la possibilité qu’ils pouvaient avoir d’agir sur les résultats de ce taux en développant en interne, sur leurs propres tableaux de bord, des moyens de déqualifier « artisanalement » les IP reçues en simple liaison [16] au sein des cellules de veille. Ainsi, si le développement du SAP a contribué à généraliser le contrôle de l’activité des travailleurs sociaux et des secrétaires en imposant notamment de retracer et rationaliser tout l’amont de la réception des IP avant sa saisie sur GENESIS [17], il a également ouvert des espaces de contrôle des données sociales réservés aux directeurs des UT. Aussi, au moment de nos observations, les usages de l’étalonnage comparatif des UT par le taux d’IP dans le cadre des réunions mensuelles pilotées par le DGAS s’apparentaient avant tout à un jeu de dupes dans lesquels les directeurs d’UT savaient très bien que les comparaisons ne signifiaient pas grand-chose, dans la mesure où le taux le plus stratégique était celui de la déqualification des IP par unité. Construit manuellement, ce taux concurrent demeurant très dépendant des politiques menées en interne par chacun des directeurs de UT réunis autour de la table disqualifiait toute velléité de pilotage fiable par le central et finit par être abandonné dans les réunions mensuelles. Le développement du progiciel « maison » ne s’est donc pas traduit par l’éradication des tableurs Excel mais davantage par la coexistence de ces outils informatisés et dans une certaine mesure une mise en concurrence des données disponibles. À ce titre, si l’équipement en progiciel dans le cas du département B a bien servi des logiques d’action à distance du central sur le territorial, il a également permis des logiques d’autonomisation institutionnelle des unités territoriales [18].
22D’autres usages des PGI non nécessairement prescrits par les concepteurs comme la dimension de légitimation professionnelle, d’autopromotion personnelle ou encore de portée relationnelle ont été identifiés. L’observation sur une année de la création d’un outil informatisé de mesure des placements dans le service de la PEEF du département A illustre ces détournements (Marrel et al., 2014 ; Pinon, 2013).
Encadré 2. Un outil informatisé de mesure des placements : de l’impératif gestionnaire aux relations de pouvoir
La direction cherche à davantage contrôler l’occupation des établissements partenaires dans lesquels elle finance les placements, et le récent départ à la retraite de la directrice de la PEEF, ancienne assistante sociale en poste depuis plus de vingt ans semble avoir levé les plus importantes réticences. En 2012, sa remplaçante et le DGAS souhaitent ainsi anticiper l’équipement en PGI de ce service par la création d’un tableur informatique auto-développé de mesure du taux de placement dans les établissements d’accueil des enfants. Son élaboration est confiée à un étudiant stagiaire, placé sous l’autorité de la directrice. Cette dernière comprend assez vite la vertu pédagogique de l’instrument. Elle engage dès septembre 2012 une démarche qu’elle qualifie de « diagnostic partagé » auprès des membres de son service et des directeurs des foyers et des MECS (maison d’enfants à caractère social) pour mieux saisir et délimiter les différentes missions des métiers du social qui composent ces institutions et construire les indicateurs de l’outil de mesure.
La production de cet outil cristallise rapidement diverses tensions entre les acteurs du secteur. L’instrument devient en particulier le pivot des relations conflictuelles entre la nouvelle directrice et le chef de service de l’Action sociale et de la Protection de l’enfance. Ancien éducateur au Foyer de l’enfance, en charge des Centres sociaux au conseil général depuis 2001, cette forte personnalité très expérimentée convoitait sans doute la direction de la PEEF et n’est de fait pas placée sous la tutelle de la directrice de la PEEF, mais directement sous les ordres du DGAS. Sans profiter du titre, il occupe effectivement dans l’organigramme une place de directeur de service. La directrice doit ainsi partager le pilotage du groupe de travail avec ce fin connaisseur des partenaires de la PEEF. L’ambiguïté de ces relations hiérarchiques perturbe immédiatement les réunions du groupe de travail et la conception de l’outil de mesure. Le chef de service critique rapidement les effets pervers du tableur en termes de « contrôle ». Il ignore ainsi dans un premier temps le processus de développement. Néanmoins, une fois l’expérimentation lancée, il fait part d’une volonté de reprendre en main cet outil désormais opérationnel. En avril 2013, il transfère discrètement la saisie des données des structures d’accueil, dont il est l’interlocuteur, du stagiaire à sa propre secrétaire. Celle-ci a pour consigne de ne communiquer qu’à lui seul les résultats chiffrés. Et c’est à l’occasion d’un congé du chef de service que la directrice découvre avec le stagiaire la fiabilité nouvelle des données. Elle demande des retours plus systématiques. Le chef de service retarde au maximum ces remontées, prétextant que les établissements ne communiquent pas les données, qu’elles sont incomplètes ou encore « que le serveur a planté », etc. Il tente de conserver ainsi le monopole d’un outil qu’il continue de critiquer, mais dont le contrôle lui semble désormais nécessaire pour maintenir sa place dans l’organisation et entretenir ses relations privilégiées avec les MECS et les travailleurs sociaux. Mais la directrice est moins intéressée par la fiabilité des chiffres que par les effets collatéraux du développement de l’instrument. Le projet d’intégration de cet outil de mesure dans le GENESIS n’est plus d’actualité, ne serait-ce que du fait des retards de développement de ce PGI. Au moment où nous arrêtons l’observation, la directrice ne vise plus tant l’introduction d’une réelle culture du résultat dans son service, ou l’accès régulier à « un tableau de bord fiable pour le pilotage », que la remobilisation des agents parfois désabusés et des partenaires historiques de la PEEF et indirectement la refondation des relations de travail et de partenariat.
23Cette observation souligne en effet que, dans la politique d’accompagnement au développement des PGI, les processus de traduction des sens et des finalités proposés par les directeurs peuvent dans leur variété s’éloigner temporairement des usages prescrits. Si les réunions du groupe de travail mis en place par la nouvelle directrice autour de la création de cet outil de mesure informatisé du placement des enfants sont clairement utilisées pour contrôler l’occupation en temps réel des lits des MECS, repenser l’organisation des fiches de postes et l’introduction de compétences plus techniques et gestionnaires au sein de l’ASE, elles offrent également à cette nouvelle recrue l’opportunité d’établir un contact avec les directeurs des établissements et de construire une forme de légitimité auprès d’un réseau structuré par l’ancienne responsable et dont les acteurs sont issus pour la plupart du travail social. C’est bien sa légitimité professionnelle dans sa direction qu’elle tente de construire dans ses usages d’ailleurs principalement discursifs de l’outil informatisé de gestion. Dépendante des réseaux et de l’influence d’un chef de service plus ancien et légitime sur le secteur, la directrice cède entre mai 2012 et avril 2013 le contrôle de l’outil de mesure en renonçant du moins provisoirement à sa réelle exploitation. L’outil semble ainsi neutralisé par la directrice et le DGAS, parce que ceux-ci ne parviennent pas à en maîtriser les sorties statistiques. La fiabilité des chiffres devient alors pour eux un aspect secondaire au point que cet instrument détourné ressemble au final davantage à un « gadget bricolé » qu’à un véritable outil informatique d’aide à la décision. Aux termes de l’enquête, il n’a en effet pas réussi à chiffrer l’activité des établissements, encore moins à instaurer une véritable gestion par la performance de l’accueil des placements. En revanche, son développement a servi à « mettre autour de la table » les acteurs de la PEEF. Il a aussi cristallisé l’essentiel des enjeux de pouvoir liés à l’installation de la nouvelle directrice. Les logiciels de gestion et de suivi des bénéficiaires peuvent ainsi être analysés comme le reflet des concurrences que se livrent les directeurs pour la défense de leur statut et de leurs prérogatives (Porter, 1995), mais aussi comme un espace de possibles reconfigurations de ces jeux de concurrence entre directeurs des services d’AAS.
24Ajoutons enfin que l’observation des tensions créées par l’introduction de cet outil de mesure informatisé de placements des enfants dans le secteur de l’ASE, tout comme la phase de déploiement du SAP dans les UT, suggèrent également que des cas de non-usage des PGI peuvent être observés au sein même de la population encadrante. L’architecture informatique PGI vendue par les éditeurs peut ainsi tout simplement être ignorée et parfois même boycottée par les acteurs mêmes qui sont censés travailler à l’intéressement de l’outil. Si les cas de boycott identifiés demeurent minoritaires, les réactions du chef de service de la PEEF dans le département A qui dans un premier temps refuse l’utilisation de l’outil de mesure, ou encore la grève des services de l’Intervention sociale déclenchée en 2006 au moment même du passage du logiciel « maison » à GENESIS, invitent à ne pas sous-estimer cette forme d’intervention. Le rejet des PGI s’appuie sur des prises de position dans lesquelles se confondent souvent arguments politiques (dénonciation du néo-libéralisme), arguments déontologiques (secret médical) et arguments de défense d’intérêt catégoriel. Enfin, il faut rappeler que ces non-usages des PGI peuvent également relever de formes de mise à distance justifiée par une méconnaissance de la technique « on ne sait pas s’en servir » et un certain désintérêt.
25Si les PGI accompagnent en définitive indéniablement les projets de réformes managériales dans le secteur de l’AAS, l’attention particulière accordée aux processus de traduction engagés par les directeurs souligne combien ces derniers investissent ces outils de manière très disparate. L’extrême variété des usages des PGI a été analysée dans certains travaux de sciences de gestion comme le résultat de la flexibilité originelle de ces outils (Briers, Chua, 2001 ; Jones, Dugdale, 2002 ; Quattrone, Hopper, 2005). Autrement dit, la diversité des usages tient largement à la richesse des fonctionnalités prévues par les concepteurs et les développeurs. De la même manière, l’importance des défaillances techniques des PGI (absence de saisies uniformes, problèmes de paramétrage, absence d’interopérabilité des données) identifiées sur le secteur de l’AAS (Marrel et al., 2014) pourraient dans une large mesure expliquer la sous-utilisation chronique des fonctionnalités et le processus de « réduction » de l’outil informatisé. Néanmoins, s’en tenir aux seules propriétés techniques de l’outil ne saurait épuiser la diversité de ces usages. La pluralité des parcours professionnels des équipes de direction enquêtées nous invite à prendre au sérieux cette hypothèse.
Des « appropriations socialement modulées » : trajectoires professionnelles et rapports différenciés aux PGI
26Globalement bienveillants, les équipes de direction et les acteurs du développement impliqués dans le « management du déploiement progiciel » donnent toutefois davantage l’impression de subir le déploiement des PGI que d’en accompagner l’optimisation. Les vingt encadrants rencontrés affichent ainsi des usages majoritairement réductionnistes. De façon attendue, la place occupée dans la hiérarchie des fonctions de direction au moment de l’enquête semble jouer un rôle déterminant dans la traduction des sens et des usages des PGI dans l’AAS. Plus les enquêtés se situent à proximité du sommet de la hiérarchie des fonctions de direction (DGAS, direction de pilotage), plus ils épousent les sens et les finalités des PGI prescrites par les concepteurs. À l’inverse, plus on descend dans cette hiérarchie, plus les usages inattendus, voire les non-usages sont fréquents. Néanmoins, la pluralité des usages à une même fonction hiérarchique invite à prendre la mesure d’autres variables, notamment celle du parcours et de la spécialisation professionnelle des directeurs enquêtés, a priori déterminantes sur le secteur de l’AAS.
27Une première enquête nous a permis de souligner en 2011 l’hétérogénéité de la population nationale des équipes de direction des DGAS, sa singularité par rapport à d’autres élites de la fonction publique territoriale (Bachelet, 2006 ; Biland, 2012) et d’identifier quatre parcours professionnels types (Alcaras et al., 2011)
Un encadrement marqué par des parcours professionnels diversifiés
Un encadrement marqué par des parcours professionnels diversifiés
28Près de la moitié des encadrants relève de carrières « administratives exclusives », c’est-à-dire d’une socialisation professionnelle uniquement liée au secteur public, dans toute sa diversité sectorielle et territoriale. Un petit tiers des responsables dispose ensuite d’un parcours professionnel marqué par une expérience, courte, moyenne ou longue de travailleur social (assistant social ou éducateur spécialisé). Une minorité de 4 % est issue du secteur médical et médico-social. Le reste de ces élites intermédiaires présente des profils divers marqués par des expériences parfois cumulées principalement dans l’entreprise privée, plus rarement dans le monde politique et associatif : près de 15 %. On retrouve cette diversité sociologique dans les deux DGAS observées, avec cependant une surreprésentation des trajectoires de type « social », médical et divers [21]. Le tableau 4 synthétise les types d’usages des PGI en fonction des trajectoires professionnelles des enquêtés [22].
Usages des PGI et trajectoires professionnelles
Usages des PGI et trajectoires professionnelles
20 acteurs rencontrés dans deux DGAS (DGA, DA, D, Chef de service, Référents informatiques), 116 usages repérésUne même personne peut concevoir le PGI de plusieurs manières, parfois ambivalent ou changeant sur la durée de l’enquête, et donc apparaître à plusieurs reprises dans différentes cases. Certaines conceptions du PGI en impliquent d’autres : tous les acteurs envisageant un usage conforme de pilotage par les indicateurs, y inclut toutes les autres modalités conformes, sauf celle correspondant au « déplacement ».
Les conversions plurielles des directeurs issus du privé ou marqués par une expérience administrative exclusive
29Dans les deux configurations d’enquête, les encadrants issus d’une carrière administrative exclusive, et davantage encore ceux marqués par une expérience professionnelle dans le secteur privé, sont ceux chez lesquels les usages conformes aux conceptions des éditeurs sont les plus visibles. Néanmoins, si la majorité de ces profils enquêtés peuvent à ce titre se ranger derrière la figure des « convertis aux outils de gestion informatisé », ils n’y engagent pas nécessairement les même sens et surtout le même degré de croyance dans l’importance et l’efficacité gestionnaires.
30L’expérience du privé facilite l’adhésion aux conceptions gestionnaires des PGI, mais aussi l’occupation de fonctions d’enrôlement déterminantes. Le cas de la responsable de la Cellule coordination-prospective du département A en témoigne : porteuse de la conception sans doute la plus gestionnaire du PGI au sein de la DGAS, elle est recrutée par le DGAS en 2006 pour préparer le cahier des charges de la réorganisation des services. Elle travaillait alors à la DRH depuis 2004 après avoir réussi le concours d’attaché territorial, suite à une reprise d’étude amorcée en 2001, alors qu’elle était chargée de clientèle chez Canon. Formée à la conduite de projet, elle accompagne la restructuration et se voit confier à 35 ans la direction de la Cellule en 2009. Elle la qualifie de « secrétariat général du DGAS, […] une coquille vide, un placard pour certains [23] », mais elle la pilote comme le dispositif central d’accompagnement au développement du système d’information et de communication, en récupérant manuellement les informations nécessaires à la GPEC, la gestion des locaux, l’hygiène et la sécurité, et en attendant que le progiciel les produisent automatiquement dans les tableaux de bord qu’elle appelle de ses vœux.
31Le profil des deux DGAS A et B confirme l’importance des compétences gestionnaires acquises en dehors du secteur de l’AAS dans les processus de traduction que ces derniers engagent. Occupant les mêmes fonctions, caractérisés tous les deux par une carrière non exclusivement administrative, les deux DGAS endossent a priori dans les entretiens la même posture de conversion. Ils assument d’ailleurs tous les deux des usages largement conformes aux prescriptions techniques. Néanmoins, si le DGAS B engage clairement une croyance dans l’efficacité managériale de l’outil PGI, celle du DGAS A est beaucoup plus ambivalente. Marqué par une expérience gestionnaire, comme administrateur d’État formé à l’IRA en 1972, chargé de mission à la direction des Affaires sociales du ministère, inspecteur DASS en 1979, membre de plusieurs cabinets ministériels entre 1981 et 1986, directeur régional de l’UGAP en 1986, puis de l’INSERM en 1996, et recruté en 2007 par le DGS, le DGAS du département B intègre les usages du PGI dans la poursuite logique de son cursus et de ses expériences. Il en fait même un outil de distinction. Le DGAS A est quant à lui formé en droit social, diplômé de l’École nationale de santé publique (parcours « administration générale ») en 1980, puis inspecteur des affaires sanitaires et sociales, il passe lui aussi par les cabinets ministériels entre 1981 et 1986 et prend la direction des Personnes âgées et du Handicap en 1991, dans le département, puis celle de la culture et des sports en 1999, avant d’être appelé par le DGS et le président à la DGAS, trois ans plus tard. Politisé et syndiqué à la CFDT, il suit en 2004 un cycle de formation continue au management à l’INET. Les rapports aux PGI qu’il entretient épousent largement les formulations des problèmes posés au social par l’éditeur du progiciel GENESIS, mais s’en éloignent également sensiblement. Sa spécialisation par le social dans son cursus universitaire comme dans sa trajectoire professionnelle l’invite à engager d’autres sens que l’efficacité managériale et le principe de performance organisationnelle. Le PGI n’est pas pour lui un outil de distinction qui permet de signifier « qu’il ne vient pas du secteur ». Il est un outil par lequel il s’évertue à « évangéliser » le social pour lui redonner ses lettres de noblesse et in fine gagner en légitimité vis-à-vis d’autres DGAS rompus et formés au management. Le combat pour lui ne se situe pas tant sur le volet de la performance organisationnelle que dans sa capacité à « rendre le social signifiant ». Aussi, tout en adoptant dans ses usages discursifs une posture largement conforme dans la traduction qu’il opère de l’outil PGI et de ses finalités auprès de ses agents, il n’en demeure pas moins distant et sceptique sur sa réelle plus-value gestionnaire. Les performances techniques du PGI ne semblent d’ailleurs que très peu l’intéresser, comme en témoigne la manière dont il désinvestit la question du management de sa propre Cellule de coordination-prospective. Conçu comme centrale dans le travail d’intéressement à la diffusion du PGI par l’éditeur privé, elle est au moment de l’enquête pensée comme un « placard » administratif dans lequel le DGAS peut replacer les personnels considérés comme « indésirables » dans la restructuration.
32Sur nos deux terrains, la proportion particulièrement réduite des encadrants enquêtés issus d’une carrière exclusivement administrative nous permet difficilement de questionner la spécificité des sens qu’ils y engagent ; tout du moins peut-on observer qu’ils sont les moins enclins à développer des usages non attendus. Les trois responsables rencontrés donnent davantage l’impression de se mettre aux outils de pilotage et de gestion parce qu’ils y sont contraints soit de manière légale, soit par leurs hiérarchies internes. Aussi ne croient-ils pas nécessairement à l’efficacité de ces outils de gestion mais les utilisent sans résistance. Leurs rapports aux PGI rappellent ainsi les formes de résignation identifiées par Fabien Gelledan chez les fonctionnaires d’État confrontés au lean management (Geledan, 2013). Qualifiés de résignés, ils interprètent ces outils comme une contrainte imposée par le centre et font preuve d’une certaine forme de pragmatisme. On retrouve également dans ces rapports aux PGI « une distance affichée à l’égard de toute considération morale susceptible de perturber leur pratique professionnelle » déjà dégagée par Alexis Spire dans la figure des pragmatiques du guichet dans les opérations de traitement des demandes d’asile en préfecture (Spire, 2007). Ils peuvent en effet y voir également de manière très pragmatique la simple traduction des expertises qu’ils maîtrisent, c’est le cas du responsable de la Mission de formation aux systèmes informatiques du département A [24].
La singularité des directeurs issus du médico-social : entre conversion aux impératifs gestionnaires et résistance au contrôle
33La filière médicale laisse apparaître dans nos configurations deux profils contrastés dans le département A, entre conversion au pilotage par le PGI et résistance ou mise à distance en vertu du secret médical. La toute nouvelle directrice de la PEEF est âgée de 51 ans à sa nomination en février 2012. Elle est médecin territorial du département depuis 1999, diplômée en management de l’École nationale d’application des cadres territoriaux en 2001 et détentrice d’un diplôme universitaire en santé publique et communautaire en 2003. Sans ressource militante particulière, elle incarne une catégorie singulière des élites administratives départementales issues du corps médical. Au moment de sa promotion, elle est responsable des Missions de Santé publique à la direction de l’Autonomie du département, où elle pilote le schéma médico-social en faveur des personnes âgées et handicapées. Formée au management, rompue à l’évaluation quantitative épidémiologique, elle a notamment pour mission de compléter la carte applicative de la DGAS en assurant le développement des briques ASE et PMI de GENESIS totalement interrompues en 2006. Dans son discours, l’intégration informatique est explicitement conçue comme un outil de connaissance, de gestion, de contrôle et de pilotage par les indicateurs. Mais ses toutes nouvelles responsabilités de directrice, en remplacement d’une figure historique et charismatique la conduisent également à développer un usage inattendu et détourné du déploiement des tableaux de bord informatisés, comme instrument de mise en relation des différents acteurs de son service et de légitimation personnelle.
34L’autre médecin rencontrée est chef de service prévention santé et petite enfance (PSPE) et médecin-chef de PMI, sous l’autorité de la précédente. Praticien généraliste engagée au centre de planification, elle s’intéresse à la prévention médico-sociale et est titularisée médecin territorial de PMI en 2003, formée à l’INET et à l’ESP Rennes avant d’être promue chef de service au pôle prévention puis à la PSPE en 2011. Elle gère plusieurs applications dans l’attente de la finalisation de la brique GENESIS. Elle incarne cependant la posture ambivalente, prudente et critique des médecins à l’égard de l’intégration progiciel : nécessaires pour le pilotage, ces outils doivent davantage être paramétrés pour gérer le secret médical et les exigences déontologiques entraînant des conflits et des blocages dans le développement. En tant que telles, les bases de stockage de données personnelles médicales de GENESIS représentent un risque en termes de piratage. En découle un rapport ambigu, entre boycott du module intégré au profit des vieux tableurs Excel et usage inattendu et détourné de légitimation professionnelle du corps médical dans la DGAS.
35Cette mise à distance ou ce rejet des outils de gestion informatisés par les médecins PMI conforte certaines observations de terrain. Ainsi, l’appellation même du progiciel du département B porte-t-il les traces de ces résistances. À l’origine, il devait s’appeler Solidarité Accueil Position, conformément au projet d’en faire la solution unique des UT. Il a été rebaptisé Social Accueil Position suite au refus des médecins PMI de passer par l’interface du SAP pour la gestion de la solidarité médico-sociale. Nicolas Belorgey et Pierre-Yves Baudot observent de semblables comportements dans leurs recherches consacrées aux modalités de conversion au management du secteur hospitalier (Belorgey, 2011) et dans le cadre des MDPH (Baudot, 2013). C’est en partie la socialisation professionnelle des médecins qui leur permet d’opposer la garantie du « secret médical » à toute volonté de mettre en place des outils de contrôle de leurs activités et ainsi de maintenir à distance de leur quotidien les instruments de management du médico-social. Si des formes de résistance peuvent être observées, leurs analyses suggèrent ainsi qu’elles ne se situent pas nécessairement sur le registre d’une critique massive et exclusive de la quantophrénie et du gouvernement gestionnaire. Bien au contraire, la culture du chiffre et de l’évaluation est familière aux médecins PMI, familiers des référentiels de santé publique. Les arguments de la mise à distance des PGI articulent et confondent davantage défense des intérêts catégoriels et déontologie.
Avoir une expérience de « travailleur social » : une variable déterminante dans la quête de sens des PGI ?
36Dans le cas des deux projets progiciels étudiés, les agents marqués par une ancienne expérience dans le travail social sont ceux qui affichent la plus grande variété de rapports aux PGI (voir tableau 3). Si la majorité d’entre eux se les approprient de manière conforme, c’est également chez eux que les formes d’interventions sont les plus sujettes à la « réduction » des fonctionnalités de série aux fonctions de reporting, de contrôle et de catégorisation de l’activité sociale. Proportionnellement, ces profils d’encadrants sont aussi les plus marqués par des usages inattendus, voire du non-usage (boycott et mise à distance ou ignorance). La variété de sens investis dans les PGI est à l’image de la complexité de ces types de parcours. On y retrouve les encadrants les plus âgés. S’ils ont exercé à un moment de leur carrière, comme travailleur social, c’est au sein de corps variés, assistants sociaux, éducateurs spécialisés. Ils se caractérisent par une expérience de terrain assez longue (plus d’une dizaine d’années). Chez ces anciens travailleurs sociaux en mobilité ascendante, la place occupée dans la hiérarchie au moment de l’enquête demeure clivante. Néanmoins, nos observations suggèrent qu’est tout aussi déterminante la manière dont ces directeurs vivent leurs expériences passées de travailleur social, en rupture ou en continuité avec leurs responsabilités, soit comme un handicap, soit comme une ressource dans leurs relations à leur hiérarchie et à leurs équipes. Les comportements de deux anciens travailleurs sociaux occupant des fonctions comparables dans les deux DGAS observées illustrent la variété des modes d’actualisation de cette expérience professionnelle initiale. Suzanne est responsable du pôle qualité et système d’information du département B. Elle entretient à première vue un rapport conforme au pilotage par les indicateurs et à la GPEC. Dans notre échantillon, elle est d’ailleurs l’encadrante issue directement du travail social qui épouse le plus largement le discours d’efficacité des PGI. Le travail d’intéressement au progiciel est une des missions stratégiques du poste qu’elle occupe en central dans un pôle directement rattaché au DGAS. Michel est quant à lui chef du service Action sociale et Protection de l’enfance dans le département A et exerce à ce titre des responsabilités de directeur sans en avoir véritablement le statut. Il est celui qui a témoigné la plus grande réticence au processus d’informatisation de l’AAS. Il fait d’ailleurs partie des rares encadrants ayant volontairement boycotté l’usage de l’outil informatisé de mesure des placements des enfants dans le service de la PEEF observé. Ces deux responsables investissent ainsi à première vue les outils PGI de manière contrastée. Pourtant ils illustrent aussi un trait commun chez les encadrants issus du social : l’importance des mécanismes d’auto-promotion et de légitimation professionnelle que ces derniers engagent dans ces outils informatisés de gestion.
37Suzanne, ancienne assistante sociale est âgée d’une cinquantaine d’années. La conformité à l’ethos gestionnaire constitue pour elle l’instrument d’affirmation de sa position de direction. Elle n’hésite d’ailleurs pas à l’affirmer en entretien, aujourd’hui elle « a viré sa cuti [25] ». L’appropriation conforme des usages du progiciel auto-développé est ainsi centrale dans sa quête de légitimité professionnelle. Si Suzanne surinvestit cet outil de gestion, qu’elle définit comme son « bébé », c’est parce qu’elle veut montrer qu’elle est aujourd’hui passée de l’autre côté de la barrière, qu’elle n’est plus une assistante sociale. Elle insiste ainsi en entretien sur sa montée en compétence, les formations qu’elle a suivies à la CNIL notamment et au sein de la DSI. Le logiciel est intégré à sa routine professionnelle. Elle l’affirme, « son job maintenant, c’est de convaincre les AS (assistantes sociales) de “SAPer” toutes les informations [26] ». Aujourd’hui, le SAP lui permet même de contrôler l’activité des travailleurs sociaux. Comme elle l’explique en entretien, « avec les AS c’est compliqué… on est dans du relationnel, dans la dualité de l’entretien, on croit que le travail avec l’usager suffit, qu’on n’a pas à faire connaître qu’on a eu dix coups de fil. Elles se disent qu’elles n’ont rien à tracer ». Suzanne se félicite ainsi de l’efficacité des modules CMD prévus dans le SAP qui doit permettre selon elle de transformer ces « pratiques archaïques ». « Avec l’automatisation, plus personne ne peut contester. Alors qu’avant… c’était facile d’antidater ». Sa position d’ancienne assistante sociale renvoie à la place d’outsider qu’elle occupe dans la direction et il lui semble ainsi capital de la mettre à distance. Dans le même temps, en situation d’animatrice de formation aux modules du SAP dans les UT, elle endosse une posture beaucoup plus ambivalente. Elle sait bien que si on l’a choisie pour former un binôme avec le référent informatique dans ces formations, c’est parce qu’elle est elle-même issue « du sérail ». Là où le référent informatique est chargé d’expliquer les détails techniques des implications des différents modules du SAP via des saisies d’écran du logiciel projeté sur le mur, elle a pour mission de convaincre les travailleurs sociaux que cet outil n’est pas qu’un instrument de contrôle de l’activité : « c’est juste un instrument de traçabilité de l’information [27] ». Dans ces espaces, il est plus difficile de masquer ses origines. Elle insiste alors sur les enjeux pédagogiques du SAP, sa capacité à reconnaître la vraie valeur des travailleurs sociaux, sa force d’ennoblissement du secteur de l’AAS. En contribuant à relégitimer la profession des travailleurs sociaux, c’est également elle-même qu’elle souhaite ennoblir. Les sens engagés dans les PGI semblent ainsi dépendre étroitement de cette volonté de rupture avec le passé de travailleur social.
38Michel, âgé d’une cinquantaine d’années lui aussi, est un ancien éducateur scolaire en Institut médico-pédagogique devenu en 1986, directeur du foyer de l’enfance du département. Après une reprise d’étude en maîtrise d’AES, il réussit le concours de chef de service de la fonction publique hospitalière, puis bascule dans la fonction publique territoriale en 2001 au conseil général, où il est chargé des centres sociaux. Contrairement à Suzanne, Michel a construit son autorité et sa place dans le service dans la continuité de son expérience de travailleur social. Cette ancienne expérience est même capitale car c’est elle qui lui donne du pouvoir : un pouvoir renforcé par l’arrivée de la nouvelle directrice qui a une connaissance plus sectorielle de la PEEF et aucun réseau consolidé auprès des travailleurs sociaux ; un pouvoir également fragilisé par l’introduction de l’outil de mesure qui pourrait à terme assurer à la direction un contrôle à distance des travailleurs sociaux. À partir du moment où l’ambiguïté est levée sur le « sens » de l’outil informatisé de mesure de placement des enfants au sein de la PEEF – catégoriser et contrôler les activités du social – il s’engage dans des formes de résistance à cet outil de gestion comme le boycott. S’opposer à l’outil n’est pas seulement rejeter l’impératif gestionnaire. Le boycott s’inscrit également dans des enjeux de reconnaissance catégorielle et de défense des branches métiers de l’intervention sociale. Pour lui, cet outil revient au final à s’engager dans un retour à une forme de contrôle bureaucratique, c’est « un nouveau moyen de pister et contrôler l’activité » dont il « ne veut pas entendre parler » (Pinon, 2013). Dans le dévoiement progressif de son métier, c’est bien son rôle d’intermédiaire avec les partenaires historiques du département qui est remis en cause. Aussi, paradoxalement, c’est en détournant l’outil pour renforcer sa position d’intermédiaire incontournable que ce chef de service va finir par investir les sens usuellement prescrits par les outils de gestion informatisés : contrôle de l’activité des travailleurs sociaux, outil de reporting. S’il continue de critiquer l’outil au moment où nous quittons le terrain, il comprend que son contrôle est désormais nécessaire pour maintenir sa place dans l’organisation et entretenir ses relations privilégiées avec les MECS et les travailleurs sociaux. Avoir les données, en contrôler la fiabilité et la diffusion constitue un avantage certain sur la directrice.
39Dans des formes beaucoup moins stratégiques et volontaires, les sens accordés aux PGI par l’ancienne assistante sociale devenue directrice d’une UT dans le département B dépendent également de la continuité avec l’expérience de travailleur social qu’elle exprime dans son rapport aux fonctions de direction. Cet équipement est un « non-sens » et constitue un frein au travail des membres de son équipe sur le terrain qui « perdent du temps en saisie et en formation alors que des personnes en situation difficile les attendent [28] ». Les défaillances techniques de l’outil appuient sa mise à distance, elle-même confesse-t-elle n’utiliser que la messagerie électronique. La volonté de rupture ou au contraire de continuité avec leurs expériences professionnelles antérieures dans le travail social semble ainsi déterminante dans les rapports qu’entretiennent ces dirigeants aux PGI ouvrant la voie à des formes de conversion où de résistance, différenciées selon les contextes, ou bien encore à des formes de « double conscience » (Belorgey, 2010).
40* * *
41En définitive, notre enquête conforte à la fois le poids des inscriptions techniques des PGI mais également leur flexibilité et leur ambiguïté constitutive. Ces solutions informatiques intégrées ne se différencient pas à ce titre des autres outils de gestion. Leurs usages tout comme les sens qui leur sont attribués ne peuvent être analysés que dans leurs formes inscrites et situées. Ils accompagnent indéniablement les réformes managériales engagées sur le secteur de l’AAS et servent bien d’instruments de gouvernement de l’activité des professionnels du welfare départemental mais pas uniquement. Plus largement, notre enquête conduit à montrer d’une part que même inabouties, ces architectures informatiques peuvent participer à la « mise en gestion » des services dans lesquels elles « dysfonctionnent ». D’autre part, tout en étant investis par les enrôleurs de finalités non nécessairement liées au paradigme de l’optimisation des ressources matérielles, humaines et financières, ces dispositifs sociotechniques peuvent contribuer à diffuser l’esprit gestionnaire (Ogien, 1995). Le déploiement du progiciel SAP dans les UT du département B souligne ainsi à quel point c’est aussi dans ses usages inattendus, non prescrits par les éditeurs et les développeurs, que se jouent et se construisent les dynamiques d’acculturation aux recettes managériales des anciens travailleurs sociaux devenus responsables d’unités territoriales. Si les détournements des PGI visent clairement pour les directeurs des UT visitées avant tout des enjeux de légitimité professionnelle, d’autopromotion personnelle ou encore d’autonomisation institutionnelle, entendue au sens de contournement du pilotage à distance de la DGAS, ils n’en facilitent pas moins la diffusion des pratiques d’évaluation, le contrôle de l’activité des travailleurs sociaux, la standardisation de bonnes pratiques ou encore la production d’indicateurs de performance. La production du taux de déqualification des IP en constitue ici un bon exemple. Les effets de la technique PGI dépassent largement le cadre de sa simple matérialité architecturale. Bien que les PGI soient envisagés par les encadrants de l’AAS comme des dispositifs de pouvoir, ils n’en demeurent pas moins incertains et ne peuvent être appréhendés qu’au seul regard des effets prescrits par les éditeurs en termes de performance organisationnelle. Leur compréhension suppose de réinscrire les appropriations de ces outils de gestion dans la complexité des trajectoires professionnelles de ceux qui doivent les traduire et enrôler les services. Les PGI sont alors à concevoir comme « une source d’incertitude », à la fois en tant qu’ils peuvent révéler l’incertitude et en tant qu’ils peuvent la produire (Juven, 2013, p. 4). À ce titre, leur présence sur le secteur de l’AAS ne traduit que très imparfaitement les dynamiques de conversion de ce secteur au gouvernement gestionnaire.
Bibliographie
Bibliographie
- Akrich, M. (1998), Les Utilisateurs, acteurs de l’innovation. Éducation permanente, Paris, La Documentation française, p. 79-90.
- Alcaras, J.-R., Marchand, C., Marrel, G., Nonjon, M. (2011), « La “performance sociale” comme horizon ? Les directeurs départementaux de l’aide et de l’action sociales et leurs perceptions de la managérialisation », Revue française d’administration publique, 140 (4), p. 757-771.
- Alcaras, J.-R., Marchand, C., Marrel, G., Nonjon, M. (2014), « Quand les directeurs des services sociaux départementaux se saisissent du management : des représentations et des pratiques singulières et équivoques », Revue politique et management public, 31 (3), p. 337-356.
- Bachelet, F. (2006), « Sociologie, formation et carrière des hauts fonctionnaires territoriaux ». Annuaire des colectivités locales, CNRS éditions, 26 (1), p. 99-113.
- Baudot, P.-Y. (2013), Les MDPH : un guichet unique à entrées multiples, Rapport de recherche, Paris, Mire/DREES-CNSA.
- Baudot, P.-Y. (2014), « Le temps des instruments : pour une socio-histoire des instruments d’action publique », dans Halpern, C., Lascoumes, P., Le Galès, P., L’instrumentation de l’action publique, Controverses, résistance, effets, Paris, Presses de Sciences Po, p. 193-236.
- Belorgey, N. (2010), L’Hôpital sous pression : enquête sur le « nouveau management public », Paris, La Découverte.
- Belorgey, N. (2011), « Réduire le temps d’attente et de passage aux urgences “Une entreprise de ‘réforme’ d’un service public et ses effets sociaux” », Actes de la recherche en sciences sociales, 4 (189), p. 16-33.
- Bezes, P. (2004), « Rationalisation salariale dans l’administration française », dans Lascoumes, P., Le Galès, P. (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, p. 71-122.
- Biland, É. (2012), La Fonction publique territoriale, Paris, La Découverte.
- Boussard, V. (2008), Sociologie de la gestion. Les faiseurs de performance, Paris, Belin.
- Briers, M., Chua, W.F. (2001), « The Role of Actornetworks and Boundary Objects in Management Accounting Change : A Field Study of an Implementation of Activity-based Costing », Accounting, Organizations and Society, 26 (3), p. 237-269.
- Callon, M. (1986), « Éléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’année sociologique 36 (janvier), p. 169-208.
- Campbell-Kelly, M. (2003), Une histoire de l’ustrie du logiciel : des réservations aériennes à Sonic le Hérisson, Paris, Vuibert informatique.
- Chiapello, È., Gilbert, P. (dir.) (2013), Sociologie des outils de gestion : introduction à l’analyse sociale de l’instrumentation de gestion, Paris, LaDécouverte.
- Dechow, N., Mouritsen, J. (2005), « Enterprise Resource Planning Systems, Management Control and the Quest for Integration », Accounting, Organizations and Society, 30 (7), p. 691-733.
- Doan-Grall, B. (2014), Le rôle de la technologie dans la construction des représentations et des pratiques de la relation client : le cas des progiciels CRM, thèse de doctorat, Jouy-en-Josas, École des hautes études commerciales.
- Donzelot, J. (2008), « Le social de compétition », Esprit, novembre, p. 51-79.
- Geledan, F. (2013), « Un detour par la fonction publique d’État : comment le lean management est arrivé dans les tribunaux et les préfectures », présenté à la journée d’études PIMS, Les élites administratives territoriales et la managérialisation de l’action publique, Université d’Avignon, 13 mai.
- Gervais, J. (2012), « Les sommets très privés de l’État. Le “Club des acteurs de la modernisation” et l’hybridation des élites », Actes de la recherche en sciences sociales, 4 (194), p. 4-21.
- Gilbert, P., Gonzalez, D. (2000), « Les progiciels de gestion intégrés et la GRH. Quand l’ambiguïté des enjeux est fonctionnelle », Gérer et comprendre, 59, p. 26-33.
- Gilbert, P., Leclair, P. (2004), « Les systèmes de gestion intégrés. Une modernité en trompe-l’œil ? », Sciences de la société, 61, p. 16-30.
- Jones, T. C., Dugdale, D. (2002), « The ABC Bandwagon and the Juggernaut of Modernity », Accounting, Organizations and Society, 27 (1), p. 121-163.
- Juven, P.-A. (2013), « Produire l’information hospitalière. Du codage des dossiers au gouvernement de l’activité », Revue d’anthropologie des connaissances, 7 (4), p. 815-835 [doi :10.3917/rac.021.0815].
- Marrel, G., Nonjon, M. (2012), « Innovation technologique ou innovation sociale ? Usages et valorisation d’un outil informatisé de gestion dans l’IAE », Innovations, 2, p. 151-166.
- Marrel, G., Nonjon, M., Gardon, S., Marchand, C., Alcaras, J.-R., Pinon, A. (2014), Les politiques sociales décentralisées et la « performance sociale ». Pratiques de management et outils de gestion dans les services d’aide et d’action sociales des conseils généraux en France métropolitaine, Rapport de recherche, Paris, DREES-MiRe.
- Muniesa, F., Callon, M. (2009), « La performativité des sciences économiques », dans Steiner, P., Vatin, F. Traité de sociologie économique, Paris, PUF, p. 289-324.
- Ogien, A. (1995), L’Esprit gestionnaire : une analyse de l’air du temps, Paris, Éditions de l’EHESS.
- Peaucelle, J.-L. (2003), « L’outillage administratif de Fayol », dans Peaucelle, J.-L., Henri Fayol, inventeur des outils de gestion, Paris, Economica, p. 207-235.
- Pinon, A. (2013), La mise en gestion de l’aide de de l’action sociale à l’enfance : entre inertie sectorielle et management local social, mémoire de recherche M2 sous la direction de Guillaume Marrel, Université d’Avignon.
- Porter, T. M. (1995), Trust in Numbers : The Pursuit of Objectivity in Science and Public Life, Princeton (N. J.), Princeton University Press.
- Quattrone, P., Hopper, T. (2005), « A “Time–space Odyssey” : Management Control Systems in Two Multinational Organisations », Accounting, Organizations and Society, 30 (7), p. 735-764.
- Segrestin, D. (2004), « Les ERP entre le retour à l’ordre et l’invention du possible », Sciences de la société, 61, février, p. 3-15.
- Spire, A. (2007), « “L’asile au guichet” La dépolitisation du droit des étrangers par le travail bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, 169 (4), p. 4-21.
- Thine, S. (2008),Les consultants et les systèmes d’information : l a déformation de l’espace du conseil français sous l’effet des nouvelles technologies (1990-2005), thèse de doctorat, École doctorale de l’EHESS.
Notes
-
[1]
CXP Informations, février 1994.
-
[2]
Systeme, Anwendungen, Produkte in der Datenverarbeitung ou Systems, Applications & Products in Data Processing.
-
[3]
Le premier âge de l’intégration informatique a correspondu dans les années 1950 à l’alimentation par différents programmes de bases de données centrales et uniques dans l’entreprise. Le deuxième âge est lié dans les années 1980 et 1990 à la vague d’équipement de la plupart des services et des fonctions en applications informatiques censées fonctionner dans un système modulaire.
-
[4]
De manière générale, l’implémentation des progiciels est cadrée dans les cahiers des charges sur un calendrier de un à deux ans, mais cette étape s’avère plus longue dans la plupart des cas (Doan-Grall, 2014). Dans notre cas d’étude cette phase de déploiement s’allonge dans la mesure où les progiciels sont bien souvent expérimentés sur quelques unités territoriales test ou encore par dispositifs d’intervention.
-
[5]
Autonomisé à l’hôpital – où « les techniciennes de l’information médicale et les médecins DIM œuvrent constamment à influer sur l’écriture des médecins » (Juven, 2013, p. 822) –, ce travail d’intéressement n’est pas rationalisé dans les DGAS. Les développeurs ou référents informatiques n’assument que très partiellement l’enrôlement des agents des services et s’en tiennent aux fonctions techniques « d’intégrateurs » assurant le paramétrage des machines (Thine, 2008).
-
[6]
Sur les 28 DGAS équipées en systèmes intégrés complets, GFI arrive nettement en tête des équipementiers avec douze départements, suivi d’INFO-DB (9 cas), puis par SIRUS-BULL (5). Les marchés de mise en œuvre durent en moyenne 1,5 an et les contrats de maintenance 3 ans. Le marché est stable et le remplacement de l’offre d’un concurrent est rare.
- [7]
-
[8]
Entretien, référent informatique du pôle qualité et système d’information de la DGAS du département B, octobre 2013.
-
[9]
Entretien avec le directeur d’une société d’édition, 12 juillet 2012.
-
[10]
Entretien, référent informatique, département B, octobre 2013.
-
[11]
Madeleine Akrich distingue en sus des usages prescrits par les concepteurs des dispositifs sociotechniques quatre formes d’interventions possibles : l’adaptation, l’extension, le déplacement et le détournement.
-
[12]
« Le déplacement consiste à modifier le spectre des usages prévus d’un dispositif sans annihiler ce en vue de quoi il a été conçu, et sans introduire des modifications majeures dans le dispositif. Il s’agit d’exploiter la flexibilité relative des dispositifs : cette flexibilité est liée au fait que le concepteur produit en même temps que son dispositif un scénario de ses usages possibles » (Akrich, 2006, 2552556).
-
[13]
Entretien, DGAS, département A, octobre 2010.
-
[14]
Madeleine Akrich évoque le détournement « pour un propos qui n’a rien avoir avec le scénario prévu au départ par le concepteur et même annihile du coup toute possibilité de retour à l’usage précédent » (Akrich, 2006, p. 260).
-
[15]
Entretien, référent informatique, département B, octobre 2013.
-
[16]
La liaison consiste simplement à enregistrer le message, l’IP ne sera alors pas saisie dans le logiciel GENESIS.
-
[17]
Par quels canaux a-t-elle été adressée ? Dans quel délais la cellule de veille interne aux UT a-t-elle reçu et contrôlé l’IP ? Quel contrôle a-t-elle effectué sur la nature de l’IP ?
-
[18]
Ajoutons que cette autonomisation institutionnelle ne se traduit pas seulement au niveau des unités territoriales. Dans le cas du département B, le service de l’insertion s’est doté de son propre progiciel « maison », le SRS, ce qui a permis à la directrice et ses agents de s’autonomiser de l’emprise du DGAS. La présence de ce logiciel « maison » de l’insertion amputant le DGAS du contrôle des données sur le SAP issu de l’insertion.
-
[19]
Observation de terrain, réunion n° 1, Groupe expert PEEF, département A, 30 mai 2012.
-
[20]
Ibid., allocution introductive du DGA.
-
[21]
Cette surreprésentation s’explique en partie par le secteur observé. L’ASE est l’un des secteurs où traditionnellement on retrouve le plus de travailleurs sociaux en mobilité ascendante dans des postes de direction. De la même manière, les postes des 21 UT sont dans leur très grande majorité occupés par des anciens travailleurs sociaux sur le département B. La surreprésentation s’explique également par les choix parfois contraints d’accès au terrain.
-
[22]
Ce tableau n’a pas pour objectif de quantifier au sens statistique du terme les sens attribués aux PGI par les directeurs interviewés en fonction de leurs parcours professionnels dans les configurations étudiées. Il permet néanmoins de préciser certaines tendances observables au sein de la population enquêtée.
-
[23]
Entretien avec la responsable de la cellule Coordination-Prospective, département B, 20 juin 2012.
-
[24]
Ce pragmatisme affiché des carrières administratives exclusives doit néanmoins être pris avec précaution dans la mesure où, dans notre échantillon, nous n’avons pas eu l’occasion d’interroger, ni d’observer les usages de directeurs plus jeunes formés à l’INET, dont la proportion au sein de la population nationale, est non négligeable. Les usages des PGI pourraient sans doute dans ces cas relever davantage de la croyance et épouser la rhétorique de la performance organisationnelle.
-
[25]
Entretien, responsable pôle qualité et système d’information, département B, septembre 2012.
-
[26]
Ibid.
-
[27]
Extrait de nos carnets de terrain, formation au module CMD dans une UT du département B, octobre 2012.
-
[28]
Entretien, directrice d’une UT, octobre 2012.