Couverture de GAP_143

Article de revue

Gouverner par les labels

Une comparaison des politiques de l'obésité et de la consommation durable

Pages 7 à 31

Notes

  • [1]
    Nous remercions Frank den Hond, Marie-Laure Djelic et Kristina Tamm Hallström, d’une part, et Aurélie Delemarle, David Demortain, Jean-Pierre Galland et Allison Loconto, d’autre part, de nous avoir permis de présenter et de discuter des versions antérieures de ce texte, dans le cadre, respectivement, de la conférence annuelle EGOS en 2012 à Helsinki et de la série de séminaires « Normes, standards et leurs cycles de vie » (IFRIS – DIM IS2-IT) en 2013 à Champs-sur-Marne. Nous remercions également Jaana Kettunen, Cornelia Woll et les lecteurs anonymes de la revue pour leurs commentaires sur des versions antérieures de ce texte.
  • [2]
    En mobilisant le vocable « label », nous ne faisons pas ici référence à la théorie de la labélisation, telle qu’elle a pu être conçue par la sociologie interactionniste, nous ne reprenons pas non plus l’approche économique du label comme simple signal sur les marchés. Nous considérons, comme peut le faire la sociologie économique le label comme un équipement marchand ou une institution marchande (Dubuisson-Quellier, François, 2011) qui parvient à s’imposer comme une catégorie dans l’espace marchand à mesure que les acteurs économiques s’en emparent et le mobilisent.
  • [3]
    Il pourrait être intéressant, mais ce n’est pas là le but de l’article, de mettre en lien, plus systématiquement, les conceptions anthropologiques indigènes, relativement élémentaires, et qui supposent, pour certaines, un degré d’agency, qui se logent dans ces instruments de politiques publiques (Bergeron, Castel, 2014), avec celles, savantes, qui n’impliquent guère d’agency comme celle de Pierre Bourdieu (distinction) (1979) ou de DiMaggio et Powell (mimétisme) (1983).
  • [4]
    La distinction acteurs individuels/acteurs collectifs est, en fait, malaisée dans l’étude que nous avons menée, en ce que les opérations de labellisation d’organisations comme les entreprises, les municipalités ou les associations de loi 1901 misent sur les velléités de distinction des individus qui président à la destinée de ces organisations. Dans ces conditions, nous sommes fondés à considérer ce mode de gouvernement qui tente d’orienter l’action d’organisations comme un gouvernement des conduites individuelles.
  • [5]
    Entre 2009 et 2013, ce projet, intitulé « Gouverner les conduits des consommateurs : la politique de consommation durable et la lutte contre l’obésité », a été dirigé par Sophie Dubuisson-Quellier (CSO) et financé par l’Agence nationale pour la recherche (ANR), dans le cadre du programme « Gouverner et administrer ». Une partie des travaux sur lesquels s’appuie la présente analyse ont été aussi financés dans le cadre d’un appel d’offres de l’IReSP (projet « Comment l’idée vint… : Mise sur agenda et routinisation de la lutte contre l’obésité en France », dirigé par Henri Bergeron) et par le programme Epode.
  • [6]
    Il apparaît, par exemple, que le domaine de la consommation durable, par rapport à celui de la lutte contre l’obésité, se caractérise par un recours privilégié à des instruments de marché.
  • [7]
    Epode – désormais « Vivons en forme » (VIF) – a acquis une position-clé dans la détection et la prévention de l’obésité infantile. Plus de 200 communes françaises, dont Paris et Lille, et plusieurs pays ont expérimenté Epode, ce qui a permis aux entrepreneurs du programme d’afficher que plus de 4 millions de personnes étaient concernées. Qui plus est, la Commission européenne l’a financé pour développer des guides de bonne pratique européens pour les politiques locales de prévention de l’obésité. En somme, le programme a acquis une forme de légitimité transnationale.
  • [8]
    Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire.
  • [9]
    Même si cette taxe, portée par Bercy et non par le ministère de la Santé, répond davantage à un objectif de réduction des déficits publics qu’à un objectif de santé publique (Pilmis et al., 2013).
  • [10]
    Arrêté du 9 novembre 2011 fixant les conditions d’utilisation de la marque « Programme national nutrition santé ».
  • [11]
    Ce signataire peut être une entreprise, une marque, une organisation…
  • [12]
    « EU platform on diet, physical activity and health », qualifiée de « the most promising means of non legislative action, […] placed to build trust between key stakeholders » (European Commission, 2005, p. 5).
  • [13]
    Les auteurs distinguent trois types d’activités publiques conventionnelles, se décomposant chacun en deux sous-types : type I « accords informels non publiés » (1. « préliminaires » et 2. « arrangements »), type II « accords informels publiés » (3. « initiatives suggérées » et 4. « accords normatifs ») et type III « accords formels publiés » (5. « actes de droit public non armés » et 6. « actes de droit public armés »). Le type III, décrit comme les « déclarations et chartes de bonne conduite », correspond aux instruments contractuels et chartes d’engagement que nous avons présentés.
  • [14]
    « Start early, start smart » (mettre en place des programmes de prévention pour les populations les plus jeunes), « My plate your place » (distribuer des guides nutritionnels du programme), « Smart servings for children » (concevoir des dispositifs de prévention et d’incitations à une nourriture saine dans les cantines), « Model food service » (concevoir des dispositifs de prévention et d’incitations à une nourriture saine dans les services publics), « Active kids at play » (mettre en place des programmes de développement de l’activité physique pour les enfants).
  • [15]
    [http://www.letsmove.gov/increase-physical-activity-opportunities], dernière consultation 27 novembre 2013.
  • [16]
    Les pouvoirs publics considèrent par exemple qu’il pourrait être contre-productif de faire un écolabel pour des familles de produits jugés mauvais pour l’environnement (tels que les produits jetables), ne souhaitant pas encourager la consommation de ce type de produits.
  • [17]
    On peut trouver de tels exemples de travail de publicisation des efforts des industriels par le programme Let’s Move. Dans l’extrait qui suit, il apparaît évident que ce travail, porté par l’épouse du président des États-Unis elle-même, vise autant la crédibilisation du programme, en soulignant une de ces premières supposées concrétisations, que la récompense symbolique de ce partenaire pour encourager d’autres industriels à s’engager à leur tour : « First Lady Michele Obama said, “Just last week, we launched Let’s Move ! Active Schools, an unprecedented effort to promote physical activity and bring physical education back to our schools. And today, we are beyond thrilled to announce that Reebok is joining this effort with a commitment to get our kids active. Reebok’s commitment is exactly the kind of leadership we need to ensure our kids get the healthy lives they deserve.” “We are extremely proud to be recognized for our work by the first lady and PHA,” said Reebok CMO Matt O’Toole. “At Reebok, we are committed to getting American’s moving. It is the purpose behind everything we do, and our BOKS program is a great example of how we’re putting this into action. We owe a great deal of gratitude to the first lady for bringing this incredibly important issue to the forefront. With her backing, I am confident we can create real change and improve people’s lives.” » Extrait de la conférence de presse : « First Lady Michelle Obama Praises Reebok for $30 Million Commitment to Get Kids Moving », 8 mars 2013 [http://www.businesswire.com/news/home/20130308005842/en/Lady-Michelle-Obama-Praises-Reebok-30-Million].
  • [18]
    [http://www.vivons-en-forme.org/], dernière consultation en décembre 2013.
  • [19]
    On retrouve cette perspective dans l’extrait d’entretien cité supra, avec un autre fondateur d’Epode, qui exprime la nécessité de transmission (et donc d’imitation) et de créativité continue : « Donc laissons un peu de créativité aux acteurs locaux ; ça fait aussi partie de notre modèle dans le sens où ce que l’on veut, c’est récupérer un maximum d’expériences positives de la base pour pouvoir retransmettre aux autres. Donc si on met un carcan trop rigide, trop imposé, on ne laisse aucune place à la créativité et on n’aura aucune remontée non plus ».
  • [20]
  • [21]
  • [22]
    Voir également dans le cas de la santé publique l’excellente analyse de Berlivet (2004).
  • [23]
    Les causes de l’obésité (génétiques, environnementales, sociales, etc.) sont ainsi très débattues, sans qu’un consensus scientifique n’ait encore émergé – bien que la responsabilité individuelle des individus tende jusqu’à présent à être le « cadre » (frame) d’analyse dominant (Saguy, 2013).
  • [24]
    On remarquera que le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, travaillé lui aussi par des politiques de labellisation, se caractérise également par une forte incertitude sur les bonnes façons de « produire » et d’évaluer les résultats de cette « production » (Cohen, March, Olsen, 1972 ; Meyer, Rowan, 1977 ; Musselin, 1990).
  • [25]
    Les velléités récentes de promotion d’un label « Made in France » pour lutter contre les délocalisations semblent bien correspondre à une telle analyse.
  • [26]
    Pour une thèse comparable sur la santé publique, voir Bergeron, Jouzel (2011) et Bergeron, Castel (2014).

1Quand on s’intéresse à la panoplie des instruments de gouvernement des conduites individuelles ou collectives (Bergeron, 2010 ; Dubuisson-Quellier, 2015b), la comparaison de l’action publique en faveur de la consommation durable, d’une part, et de la prévention du surpoids et de l’obésité, d’autre part, se révèle particulièrement heuristique : elle permet la mise en évidence du déploiement privilégié d’un type d’instrument singulier, qu’il est possible de qualifier de « label [2] ». Dans ces champs d’action publique – mais nous parions qu’il en est également ainsi dans d’autres secteurs –, des acteurs publics et privés, intervenant à tous niveaux (international, national, régional ou local) labellisent, en effet, toutes sortes d’entités, des produits de grande consommation, des manifestations publiques, des organisations (entreprises, associations, villes, etc.), pour signaler et récompenser, de manière le plus souvent symbolique, leur contribution à la protection de l’environnement ou à la lutte contre l’obésité.

2L’objet de cet article est de caractériser les labels et les modes de gouvernement qu’ils autorisent, à partir de l’étude précise d’un programme de labellisation dans chacun des deux domaines d’action publique cités supra, tout en les replaçant dans l’éventail de bien d’autres initiatives existantes. Nous verrons que ce qui caractérise le gouvernement par les labels, c’est essentiellement son mode opératoire : celui-ci mise et joue sur la volonté que manifestent les acteurs pour se positionner et se distinguer les uns par rapport aux autres dans un champ concurrentiel donné (qu’il s’agisse du marché ou de mondes réputationnels), afin de les orienter, de manière souple, vers des options que les acteurs de l’action publique – l’État au premier chef – considèrent comme collectivement bénéfiques.

3Notons pour commencer que le label a ceci de remarquable qu’il est un instrument de gouvernement qui vise à agir non seulement sur les individus dont on souhaite qu’ils modifient leurs comportements ou conduites mais également sur des acteurs collectifs, conçus à l’occasion comme des leviers de l’action publique (ici : les entreprises ou les municipalités), et dont on espère qu’ils contribuent eux aussi à changer les comportements des individus. Ces acteurs collectifs deviennent ainsi des opérateurs de l’action publique. Remarquons également que, réciproquement, il est attendu que les changements de comportements des individus (consommateurs ou citoyens) ainsi obtenus, incitent in fine les individus œuvrant à l’intérieur des organisations à modifier le contenu de l’offre que celles-ci proposent, dans un sens bénéfique à la collectivité. Acceptons ensuite que ce mode de gouvernement sollicite l’implication des acteurs dans la définition de leur propre engagement. En effet, le contenu des pratiques identifiées comme vertueuses n’est pas entièrement défini à l’avance et il est laissé une certaine marge de manœuvre aux acteurs concernés – qu’ils soient cibles ou, plus volontiers, leviers de l’action publique – pour définir eux-mêmes ces pratiques vertueuses (voire pour en suggérer à l’institution en charge des opérations de labellisation). Ce mode de gouvernement entend, en somme, rendre solidaires ou, a minima, interdépendants, des acteurs publics et privés dans la réalisation de biens collectifs (voir également, Bergeron, Castel, Nouguez, 2011). Il est enfin notable qu’un mouvement de relative homogénéisation des conduites s’épanouisse, résultat de l’activité d’acteurs qui cherchent, par l’obtention de labels, à se distinguer au sein du champ considéré. Toutefois, et c’est crucial, ce mouvement d’homogénéisation engagé par les opérations de labellisation est incessant et se maintient toujours incomplet : la logique de ce gouvernement n’est pas celle de la stabilisation d’un standard qui autorise l’uniformisation des entités et pratiques d’un champ, mais la création continue de labels toujours plus exigeants dont seule une partie des membres d’un champ pourra prétendre s’orner [3].

4Nous conclurons que le gouvernement par les labels s’apparente ainsi à un dispositif de sécurité au sens de Foucault, qui s’appuie sur les dynamiques propres d’un milieu pour qu’un phénomène s’annule de lui-même (Foucault, 2004 ; voir aussi Berlivet, 2004) ; un dispositif, finalement, qui joue sur l’autonomie des acteurs pour produire de l’hétéronomie (Bergeron, Castel, 2014). Il nous semble, enfin, que ce mode de gouvernement, observable dans de nombreux autres secteurs, traduit moins un désengagement de l’État que son investissement plus prononcé dans le gouvernement des conduites individuelles (via également, le gouvernement de conduites collectives), par le déploiement de dispositifs liant symboliquement un ensemble hétérogène d’acteurs publics et privés [4] (firmes, associations, collectivités locales, administrations, etc.).

5Nous procéderons en quatre étapes. Dans la première section, nous présenterons notre démarche de recherche. La seconde mettra en lumière le caractère extensif du recours aux labels comme instrument dans les deux domaines d’action publique. La troisième, à partir de l’analyse précise de deux programmes de labellisation, détaillera et analysera les caractéristiques de ce mode de gouvernement et les mécanismes et dynamiques sur lesquels ils reposent. Nous conclurons par des réflexions sur ce que ce mode de gouvernement révèle des transformations de l’action publique contemporaine et, plus particulièrement, de l’État (-providence).

Démarche de recherche

6Ce travail s’insère dans un vaste projet de recherche [5], qui visait à analyser les modes contemporains de gouvernement des conduites de consommateurs, qu’ils se fondent sur des interventions de politiques publiques traditionnelles ou qu’ils s’appuient sur des mécanismes de marché (Dubuisson-Quellier, 2015a). Dans la lignée d’analyses néo-foucaldiennes sur la gouvernementalité (Miller, Rose, 2008), qui ont fait florès dans l’étude des politiques environnementales (Rumpala, 2009) ou de santé publique (Tesh, 1988 ; Bunton, Nettleton, Burrows, 1995 ; Armstrong, 1995 ; Petersen, Bunton, 1997), ce projet se fonde sur le constat que, dans la plupart des pays occidentaux, de nombreuses interventions publiques visent à renforcer, voire à restaurer l’autonomie (sous contrôle) des individus et à les responsabiliser, afin de gouverner leurs conduites et leurs choix (Borraz, Guiraudon, 2010 ; Bergeron, 2010). Ces interventions et les formes privilégiées qu’elles semblent adopter trouvent leur justification dans la volonté de réduire les conséquences négatives que peuvent manifester pour la collectivité ces comportements individuels et dans la nécessité de respecter un principe désormais légitime d’autonomie des individus. Pour étudier ces transformations, nous avons pris comme objets d’étude les politiques contre l’obésité et en faveur de la consommation durable. D’un point de vue théorique, notre démarche combine une perspective de sociologie économique et de sociologie des organisations, mais s’appuie également sur une approche par les instruments de politique publique (Hood, 1986 ; Lascoumes, Le Galès, 2005). Nous sommes, dans ces conditions, attentifs aux formes de coopération et de compétition existant entre acteurs, publics et privés (à but lucratif ou associatif). Mais nous accordons également une attention privilégiée à la diversité des instruments (de marché, de communication et d’éducation, etc.), qui sont développés par tous ces acteurs, et aux conséquences, parfois non voulues, que leur mobilisation contribuent à produire. Nous faisons l’hypothèse que ces deux domaines de l’action publique présentent des différences (notamment en termes de trajectoires et de tempo historiques, d’implication de l’État, des entreprises, des associations et des experts ; en termes de populations-cibles ; en termes d’interventions apparemment privilégiées [6]) susceptibles de rendre la comparaison fructueuse (Dubuisson-Quellier, 2015a). Mais nous identifions également quelques points communs saisissants : outre la confirmation de la pertinence générale d’une approche en termes de gouvernement des conduites pour étudier ces deux domaines, nous sommes frappés par le recours privilégié, dans les deux domaines, à des instruments d’action publique que nous avons choisis de regrouper sous l’appellation de « labels ». Pour la consommation durable comme contre l’obésité, en effet, des acteurs de l’action publique, qu’il s’agisse de grandes organisations internationales ou d’entrepreneurs privés (de politique publique), de la Commission européenne, de l’État français ou de collectivités territoriales, autorisent d’autres acteurs à se prévaloir de leur soutien (souvent symbolique) en échange de leurs engagements à mener des actions de formes et de contenus divers, réputées contribuer à la réalisation des objectifs de ces deux politiques.

7Parmi le large spectre des actions et des acteurs impliqués dans ces politiques, nous nous sommes intéressés de manière privilégiée à deux dispositifs de labellisation particuliers, tout en recueillant des données de première ou seconde main sur les autres dispositifs. L’un est piloté par le ministère de l’Environnement et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et est destiné aux entreprises, dans le domaine de la consommation durable : l’écolabel. L’autre est piloté par une association et une agence de communication et de marketing et s’adresse aux villes et aux associations, dans le domaine de l’obésité : le programme « Ensemble prévenons l’obésité des enfants » (Epode). Ces labels utilisés dans deux domaines d’action publique différents fondent leur efficace sociale sur des modes opératoires relativement similaires : ils sont tous deux censés permettre de distinguer, légitimer et valoriser publiquement des activités, pratiques et démarches, entreprises de manière autonome par des acteurs de l’action publique, et leur permettre de se différencier dans des espaces de concurrence. Le label Epode permet, en effet, aux municipalités s’engageant dans des démarches de lutte contre l’obésité de bénéficier d’une forte visibilité politique, et l’écolabel permet aux entreprises ayant développé des produits plus favorables à l’environnement de se différencier stratégiquement sur les marchés. Dans les deux cas, ces labels viennent valider et encourager des actions portées par des acteurs publics et privés qui visent des modifications des conduites individuelles : des individus face à la santé publique dans le cas d’Epode et des consommateurs dans le cas de l’écolabel. De ce point de vue, le label est bien un instrument du gouvernement des conduites qui entend agir à la fois sur les cibles finales de l’action publique (les individus comme sujets de l’action publique dont les comportements doivent changer) et sur des acteurs collectifs conçus comme pouvant médiatiser l’action publique sur ces cibles finales (ici entreprises et municipalités) (Dubuisson-Quellier, 2015a).

8Mais les différences entre ces deux labels nous paraissent également intéressantes à analyser. En effet, le label Epode a été développé par un acteur privé, dans un champ d’action publique, celui de la santé, où l’intervention de l’État est déjà fort ancienne et prend de multiples formes, et s’adresse à des collectivités publiques territoriales qui peuvent en bénéficier si elles mettent en place des actions qui visent à changer les comportements des individus en matière d’alimentation, de pratiques sportives et de santé. L’écolabel est un instrument d’une politique beaucoup plus récente, celle de la lutte contre le changement climatique, où les formes et les moyens d’intervention de l’État restent limités. Il a été mis en place par l’État, même s’il est aujourd’hui cogéré par l’État et un acteur privé, pour aider les entreprises à valoriser sur les marchés les efforts qu’elles consentent à faire en matière d’amélioration des performances environnementales de leurs produits, afin de proposer aux consommateurs une offre de produits écologiques et changer ainsi les pratiques de consommation.

Encadré 1 : Dispositif d’enquête

Pour analyser le dispositif d’écolabel français, nous avons mené une enquête de terrain, en collectant trois types de données. Le premier rassemble tous les documents et discours publics produits par les deux principaux acteurs de cette politique : le Commissariat général du développement durable au ministère de l’Environnement, la Direction de la consommation durable et des déchets à l’Ademe. Toutes deux produisent une documentation abondante, des enquêtes et des rapports destinés à promouvoir et à évaluer les principaux dispositifs de la politique, à diffuser des données sur les changements de pratiques de consommation et sur les conséquences environnementales de ces pratiques. Le deuxième type de données consiste en 28 interviews qualitatives auprès des acteurs publics en charge de cette politique, complétées par 20 entretiens auprès des autres acteurs qui ont été impliqués lors des phases de consultation, de promotion ou de conception des instruments, tels que les entreprises, les associations, et les cabinets de conseil. Le troisième type de données est composé des articles de presse et des débats parlementaires relatifs à la consommation durable. Pour l’étude du programme Epode, dont nous avons présenté dans d’autres articles la genèse et les conditions de diffusion dans les communes [7] (Bergeron, Castel, Nouguez, 2011, 2013), nous avons étudié les documents de prévention produits et disséminés par le programme pour participer à la prévention et les documents par lesquels le programme se présentait aux autres acteurs du champ de la santé publique. Mais nous avons également mené des entretiens (qualitatifs) au niveau national et au niveau local, dans 4 villes (environ 125 interviews au total). Nous avons ainsi interrogé les professionnels de la nutrition et les spécialistes du management et de marketing qui conçoivent et dirigent le programme au niveau national, au sein de l’agence de communication et de marketing en santé et de l’association qui la missionne. Nous avons aussi interviewé des représentants des institutions sanitaires, impliqués dans la lutte contre l’obésité au niveau national et régional. Nous avons enfin rencontré des représentants d’entreprises partenaires, qui contribuent significativement au financement du programme, à côté des cotisations des communes adhérentes. Au niveau local, nous avons interrogé les acteurs directement ou indirectement impliqués dans le programme : maire ou adjoint, référent du programme, chef de projet municipal, comité de pilotage, professionnels de santé, associations participant régulièrement ou ponctuellement à des actions labellisées Epode, enseignants et personnels soignants des écoles (dans lesquelles se déroulent de nombreuses actions de prévention).

Les labels comme instruments privilégiés d’action publique

Brève présentation des deux domaines d’action publique : mise sur agenda et instruments

9Dans les différents sommets mondiaux, la notion de consommation durable s’est imposée comme un des enjeux-clés du développement durable. Dès la conférence de Rio de 1992, la consommation durable fut définie comme un objectif crucial pour réduire l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. Le sommet de Johannesburg de 2002 s’est conclu par plusieurs recommandations en matière de politiques nationales pour la production et la consommation durables. En 2003, la France, comme d’autres pays occidentaux, a élaboré une politique nationale sur le développement durable, qui identifiait explicitement la consommation durable parmi ses priorités. Toutefois, dans les faits, une véritable politique en faveur du développement durable ne s’est développée qu’en 2007, lors de l’élection présidentielle, dans un contexte où beaucoup de mouvements sociaux étaient très critiques sur le rôle de la consommation dans le développement économique (Dubuisson-Quellier, Lamine, Le Velly, 2011 ; Dubuisson-Quellier, 2013a). La campagne présidentielle fut identifiée par plusieurs associations environnementales comme un moment particulièrement favorable pour contraindre les candidats à inclure des propositions autour des enjeux environnementaux dans leur programme électoral. Le nouveau président élu, Nicolas Sarkozy, dont les propositions avaient été évaluées négativement par les associations, décida de reprendre à son compte plusieurs recommandations formulées par ces associations, convaincu que la grande notoriété des questions environnementales dans l’opinion publique lui ouvrirait une clientèle politique élargie (Halpern, 2012). Il accorda à Alain Juppé, puis à Jean-Louis Borloo, nommés à l’environnement, le rang de ministres d’État, dans une volonté d’affichage symbolique forte [8], et ouvrit une large consultation, le Grenelle de l’environnement, sur les questions environnementales. Ce Grenelle, malgré le jeu de cadrage et de filtrage des enjeux et l’exclusion de certaines associations (Boy et al., 2012), a offert des opportunités politiques à certaines associations environnementales pour diffuser leurs idées et propositions à destination de l’action gouvernementale. Deux des principaux instruments en matière de consommation durable, l’un fiscal et l’autre marchand, ont émergé à l’occasion de ce processus de concertation. Le premier d’entre eux, connu du grand public sous l’appellation de « bonus-malus écologique », créait des incitations économiques pour que les consommateurs achètent des automobiles à faible émission de carbone. Le second projet inscrivit dans la loi que tout consommateur avait le droit d’avoir à disposition les informations sur l’impact environnemental des produits de grande consommation et prévoyait un affichage à cet effet. Ces informations devaient être fondées sur une approche multicritère de l’évaluation de l’impact (l’émission de carbone ne pouvant pas être le seul impact mentionné) et sur une analyse en cycle de vie (ACV) (l’étude d’impact devait aussi prendre en compte la phase de consommation et pas seulement celle de la production). La loi préconisait d’inclure au maximum les parties prenantes (entreprises, associations professionnelles, État, société civile, experts) pour établir les référentiels servant de fondement à l’affichage (voir infra). Ces deux instruments sont associés à d’autres instruments déjà existants, qu’ils ont ainsi généralisés et soulignés : la politique d’écolabel, sur laquelle nous reviendrons plus précisément, et le recours aux instruments contractuels dans les relations entre l’État et les acteurs économiques (Dubuisson-Quellier, 2015b). Ils interviennent dans un domaine où l’intervention publique vis-à-vis des acteurs privés et des individus reste mesurée et très récente.

10De ce point de vue, le cas de la lutte contre l’obésité et le surpoids fournit une situation contrastée. Ces questions font en effet l’objet depuis une quinzaine d’années d’une attention de plus en plus importante de la part des pouvoirs publics dans les pays occidentaux et des organisations internationales, dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en premier lieu (Saguy, 2013). Thibault Bossy décrit comment, en France, la mobilisation d’entrepreneurs de santé publique, dont Joël Ménard, nommé directeur général de la Santé en 1998, a permis de mettre l’obésité sur l’agenda à la fin des années 1990 et a résulté dans la mise en place d’un programme de santé publique axé sur la nutrition, le Programme national nutrition santé (PNNS1 2001-2006) (Bossy, 2010). Ce programme, démarré fin janvier 2001, obéit à une logique institutionnelle innovante : en effet, pour la première fois en France, un programme sur l’alimentation n’est pas porté et géré par le ministère de l’Agriculture mais par celui de la Santé. D’abord mise en œuvre dans le cadre du PNNS, renouvelé à deux reprises (PNNS2 2006-2010 ; PNNS3, depuis 2011), la politique de lutte contre l’obésité a été « autonomisée » dans un programme spécifique en 2010-2011. Depuis sa création, le PNNS a mis en place un ensemble d’instruments afin de promouvoir les bons comportements nutritionnels. Si l’on excepte l’interdiction des distributeurs automatiques dans les écoles, la politique de la lutte contre l’obésité en France vise principalement à inciter à la transformation des comportements individuels (Bergeron, 2010 ; Bergeron, Castel, 2014). Une des actions les plus importantes mises en œuvre par le PNNS fut la publication de guides alimentaires, qui entendaient mettre à la disposition de la population des informations pratiques, simples et scientifiquement validées. Le PNNS a consisté en de nombreuses autres actions d’information et de communication pour répondre aux interrogations du public et promouvoir des comportements sains (par exemple, le site Internet d’information [http://www.mangerbouger.fr/], la mise en place d’un étiquetage nutritionnel, les messages publicitaires insérés dans les publicités radiotélévisées des produits alimentaires). Ici, la taxation, contrairement à la politique du développement durable, n’est pas adoptée comme instrument de la lutte contre l’obésité, jusqu’à la « taxe soda » en 2012 [9]. En revanche, dans ce domaine aussi, comme nous allons le détailler à présent, la labellisation occupe une place de choix parmi l’éventail des instruments d’action publique.

Une profusion de labels dans l’action publique

11En matière de lutte contre l’obésité, le programme Let’s Move, présidé par Michelle Obama, a eu un retentissement médiatique au-delà des frontières des États-Unis. Outre la conception et la distribution de guides nutritionnels, le programme propose à toutes les écoles qui le veulent d’être reconnues et d’obtenir le label d’« écoles actives » et aux collectivités locales (« Cities, Towns & Counties ») d’obtenir le label « Let’s Move ». Mais, avant même cette initiative, en France, les différents ministres de la Santé, qui se sont succédés depuis le premier Programme national nutrition santé (PNNS) en 2001 et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) avaient commencé à promouvoir les labels « villes santé de l’OMS » et « villes PNNS » (Honta, Haschar-Noé, 2011). Plus généralement, le « PNNS » est devenu un label, utilisé pour valoriser ce qui est considéré comme une « bonne action » en matière de nutrition et de lutte contre l’obésité. Un logo a été créé et présenté officiellement à la presse le 29 octobre 2001. L’arrêté du 27 avril 2004 du ministre de la Santé crée les conditions d’utilisation de ce logo et instaure une commission d’évaluation chargée de traiter les dossiers soumis auprès de l’INPES [10]. Accordé à titre gratuit pour un an renouvelable, il peut être consenti à toute association publique ou privée, fondation, entreprise et organisme public qui en fait la demande. Il doit permettre de reconnaître facilement les actions siglées et parrainées par le programme, c’est-à-dire répondant à ses objectifs. De plus, le ministère de la Santé français mais aussi le ministère de l’Agriculture accordent chacun aux entreprises ou aux syndicats de branche qu’ils affichent leur soutien symbolique, en échange d’engagements volontaires et spécifiques à améliorer l’offre alimentaire ou à participer à l’effort collectif d’amélioration de la santé des consommateurs. Dans le cadre des chartes d’engagement de progrès nutritionnel du ministère de la Santé, l’entreprise est autorisée, sous certaines conditions strictes, à utiliser, dans ses documents de communication la formulation « [Signataire] [11] engagé dans une démarche nutritionnelle encouragée par l’État (PNNS) ». Celle-ci « peut être apposée sur un produit concerné par un engagement à condition d’être accompagnée d’un étiquetage nutritionnel » (Bergeron et al., 2012 ; Pilmis et al., 2013). La DG SanCo s’inscrit dans une démarche similaire. Elle a créé sa propre « plate-forme pour la nutrition, l’activité physique et la santé » [12] en 2005, qui réunit à intervalles réguliers et sur la base du volontariat des associations de consommateurs et de patients, des représentants d’autres services de la Commission européenne, ainsi que des industriels qui veulent participer à la prévention de l’obésité. Ces derniers s’engagent de manière volontaire à mener des actions et à améliorer leurs produits afin de contribuer à une réduction du surpoids et de l’obésité. En contrepartie, les entreprises qui prennent des engagements peuvent utiliser, sous certaines conditions, le label de la DG SanCo dans leurs communications et leurs stratégies de promotion. Quant au programme Epode (désormais dénommé : « Vivons en forme – VIF »), les villes qui y adhèrent deviennent des « villes Epode ». Dans ces villes, des actions de prévention ou événements sont régulièrement organisés, parfois directement par le comité de pilotage local, parfois par des associations, avec l’accord du comité de pilotage (Bergeron, Castel, Nouguez, 2011). Ces actions ou événements affichent dans leurs documents de communication leur appartenance au programme Epode.

12Nous l’avons dit, le développement durable fournit un autre exemple de domaine de politique publique à l’intérieur duquel les activités de labellisation se multiplient. Des labels nationaux comme l’« Ange bleu » en Allemagne, régionaux comme « le Cygne nordique » dans les pays du même nom ou encore internationaux comme l’Ecolabel européen, ou « La clé verte » pour le tourisme ont vu le jour depuis les années 1980 et surtout 1990 pour signaler des produits ou services proposés par des organisations qui s’engagent dans des démarches favorables à l’environnement. En France l’écolabel « NF-Environnement » créé dans les années 1980, et aujourd’hui marque privée gérée conjointement par l’Ademe et l’Association française de normalisation (AFNOR), a aussi pour objectif d’encourager les entreprises à proposer des produits bénéficiant d’un label public. Mais l’écolabellisation de produits n’épuise pas les nombreuses démarches par lesquelles l’action publique s’attache à singulariser, sur le marché ou dans l’espace public, les différentes initiatives visant à améliorer la performance environnementale de produits, services ou organisations. Ainsi, par exemple, le ministère de l’Environnement organise la semaine du développement durable, au cours de laquelle des villes ou des associations peuvent proposer des événements, qui seront éventuellement retenus et pourront bénéficier ainsi de la publicité de l’événement et de la possibilité d’apposer le logo du ministère dans leurs actions de communication. Ce ministère décerne également le prix « entreprises et environnement » aux firmes qui auront fait la preuve de pratiques dites « remarquables » en matière d’environnement. Les résultats du concours sont présentés publiquement, en général par le ministre lui-même et à l’occasion d’un salon professionnel et d’un communiqué de presse. De son côté, l’Ademe a créé un programme à destination des entreprises, permettant à ces dernières de valoriser leurs actions en faveur de l’environnement (comme la réduction des déchets, l’accroissement du recyclage, le développement de pratiques d’éco-conception), dans des documents de communication institutionnelle, pouvant, sous certaines conditions, utiliser le logo de l’agence.

13Le développement d’une politique d’écolabel a débuté en France à la fin des années 1980. Son but principal était d’encourager les entreprises à mener des efforts pour baisser l’impact environnemental de leurs produits. Son fonctionnement consiste à permettre, par la formation de groupes de travail associant toutes les parties prenantes, à produire un cahier des charges définissant les spécifications des produits ou services d’une catégorie donnée (par exemple la catégorie cafetière ou sac poubelle) qui pourront bénéficier de l’écolabel. Seuls les produits répondant à ces spécifications pourront utiliser la communication et le logo officiel du label. L’idée était d’utiliser le marché comme une arène dans laquelle les entreprises pouvaient rendre visibles leurs efforts et en tirer, en retour, des bénéfices économiques, grâce à la différenciation stratégique que ce signal est supposé produire. Le ministère de l’Environnement, appuyé sur l’expertise technique de l’Ademe, pilote le programme pour définir les critères d’attribution du label et assure la politique de communication autour de l’écolabel. Celle-ci se décline sous deux angles, d’une part une information à destination des consommateurs, dans des campagnes de communication ciblées pour certaines occasions, mais aussi nationales, comme ce fut le cas en 2010 avec la diffusion d’un spot publicitaire ; d’autre part une information à destination des entreprises, visant à les inciter à s’inscrire dans la démarche. Depuis le développement d’un écolabel européen, l’Ademe travaille en outre à faire en sorte que les intérêts des démarches françaises soient au mieux défendus dans la construction des écolabels européens dont elle est partie prenante.

14Les autres types d’instruments de labellisation relèvent des « accords informels publiés » en tant que type particulier d’« activité publique conventionnelle » (APC) et tels que décrits par Lascoumes et Valluy (1996) [13] : les acteurs économiques – entreprises ou associations patronales – qui s’engagent dans des démarches de réduction de l’impact environnemental de leurs activités (déchets, transport, énergie, bâtiment, etc.) sont soutenus symboliquement par l’État.

Caractéristiques des labels

15Qu’il vise des associations, des entreprises ou des collectivités territoriales et qu’il concerne la santé publique ou l’environnement, ce mode de gouvernement présente plusieurs caractéristiques remarquables.

Liberté et implication des cibles de l’action publique

16D’abord, ce mode d’action publique affiche le respect du principe de liberté des acteurs, quels qu’ils soient. L’obtention du label PNNS ou Epode, la signature d’une charte d’engagement de progrès nutritionnel par une entreprise, la définition et l’obtention d’un écolabel ou encore la signature d’un contrat entre une firme et l’État, dans laquelle la première s’engage à contribuer à la préservation de l’environnement, se font sur la base du volontariat et n’entraînent pas de sanction directe en cas de non obtention du label ou même d’absence d’implication dans la démarche.

17Ensuite, l’État ou un entrepreneur de politique publique fixe les grandes lignes d’amélioration des conduites que viendront récompenser les labels. Il est certes possible de repérer, et nous allons les souligner, des différences dans le degré de formalisation de ce cahier des charges initial et dans le degré de contrainte qu’il exerce, ainsi que dans les procédures et le degré de sélectivité pour l’attribution des différents labels. Toutefois, nous insistons sur le fait que, dans tous les cas, les cibles de l’action publique sont fortement impliquées dans la définition et le calibrage de leur engagement en faveur de ces politiques et même dans la formalisation des bonnes pratiques pour tout le secteur. Ils disposent de surcroît d’une marge de manœuvre importante pour le faire.

18Dans le cas d’Epode et, plus généralement, des différents labels attribués aux villes en échange de leur engagement dans la prévention du surpoids et de l’obésité, si les conditions d’obtention des labels ne sont pas négligeables, elles sont moins formalisées et moins sélectives que les dispositifs de labellisation à destination des entreprises. Les conditions pour être labellisées « ville Epode » impliquent certes l’allocation de quelques ressources, mais restent faiblement exigeantes : recruter, sur leur budget, un « chef de projet Epode » ou protéger une partie (le plus souvent la moitié) du temps de travail d’un employé municipal pour qu’il se consacre à cette mission ; mise en place d’un « comité de pilotage » (composé d’au moins un médecin, un diététicien, un médecin scolaire et un infirmier scolaire). En outre, le spectre d’interventions auquel ces villes peuvent procéder est vaste : « lutte contre la sédentarité à travers la promotion de l’activité physique sous toutes ses formes ; initiation à l’équilibre alimentaire, à la diversité et au plaisir d’être à table » (extrait de la Charte d’engagement des partenaires locaux). À l’intérieur de ce spectre, toutes les initiatives ou presque sont bienvenues à condition qu’elles n’aboutissent pas à « stigmatiser » des personnes souffrant de surpoids ou d’obésité.

19

« On a toujours laissé une grande liberté [aux villes]. Ça a toujours été un des principes d’Epode et c’est quelque chose qui est assez difficile à comprendre pour des scientifiques qui veulent mettre en place un protocole où on doit être sûr que A doit être fait avant B. Là, le principe c’était de dire : de toute façon on ne peut pas tout contrôler, on n’a aucun droit de le faire, c’est complètement illégitime et moi je serais chef de projet ou maire, je ne supporterais pas qu’un Parisien vienne me dire : “Tu dois faire ceci ou cela” sans connaître ma ville, sans connaître ma vitesse, mes ressources, etc., là d’où je viens et là où je veux aller. Donc on s’est dit : si vraiment on veut être super contrôlant, on aura faux parce qu’on va toujours tomber à côté de la plaque dans un sens ou dans l’autre, on va devenir une bureaucratie qui va paralyser les initiatives locales. Donc laissons un peu de créativité aux acteurs locaux ; ça fait aussi partie de notre modèle dans le sens où ce que l’on veut, c’est récupérer un maximum d’expériences positives de la base pour pouvoir retransmettre aux autres. Donc, si on met un carcan trop rigide, trop imposé, on ne laisse aucune place à la créativité et on n’aura aucune remontée non plus. Nous, l’idée c’était quand même de laisser de la créativité quelque part, en imposant juste comme cadre une méthode, un principe philosophique de non-stigmatisation des gens, des comportements, des produits pour le chef de projet, de non-intrusion dans les écoles pour les marques, donc les grands principes des chartes, on était assez inflexibles là-dessus ».
(membre fondateur d’Epode)

20De fait, nous avons observé que les villes tiraient largement parti de cette souplesse pour proposer des activités très diversifiées, impliquant de manière privilégiée des écologies très différentes de l’administration municipale. La coordination du programme dans les villes est par exemple assurée par des chefs de projet aux profils variés (diététicien, infirmier, assistante sociale, éducateur…) et localisée dans des services municipaux dédiés tantôt à la santé, à la jeunesse, à la petite enfance, au secteur social, etc. (Bergeron, Castel, Nouguez, 2013). Il se concrétise par des actions aussi diverses que la mise en place ou le développement de jardins solidaires, d’ateliers d’éducation alimentaire, d’interventions de diététiciennes dans les écoles, des modifications de l’offre des cantines scolaires, le développement de la baby gym, l’organisation d’une quinzaine sportive ou d’une « semaine du ballon prisonnier », le réaménagement de cours d’écoles pour privilégier l’activité physique des enfants…

21Cette faible contrainte initiale et cet appel à la créativité locale ne sont pas spécifiques à Epode. Le PNNS, également, accorde son label à des villes à condition de respecter 6 principes d’ordre assez général, tels que « promouv[oir] et souten[ir] toute action qui contribue à l’atteinte des objectifs du PNNS » (Honta, Haschar-Noé, 2011). Le programme américain Let’s Move oriente pareillement les collectivités locales vers 5 objectifs généraux [14], parmi lesquels ces dernières peuvent faire des choix et vis-à-vis desquels elles n’ont pas la nécessité de s’engager avec la même intensité (cf. infra). Par rapport à ces grands objectifs, le programme se contente d’indiquer quelques idées d’action pour répondre à ces objectifs et insiste sur la nécessité d’une appropriation locale et d’un respect des différences d’approches des collectivités, qui tiennent compte de leurs spécificités : « Mayors and municipal officials are encouraged to adopt a long-term, sustainable, and holistic approach to fighting childhood obesity. Let’s Move ! recognizes that every city is different, and every town will require its own distinct approach to the issue » (souligné par nous) [15].

22Dans les deux domaines d’action publique, les conditions pour que les entreprises bénéficient d’un label sont un peu plus restrictives que pour les villes, mais l’on retrouve les mêmes principes de volontariat et de forte implication des acteurs-cibles dans la définition des bonnes pratiques. Pour les écolabels, toute entreprise qui le souhaite peut présenter devant le Comité Français des Écolabels un projet de référentiel pour une catégorie donnée de produits, qu’ils soient destinés au grand public ou aux professionnels (shampooing, machine à café, sacs poubelle, peintures…). Ce comité rassemble trois types de parties prenantes : producteurs et distributeurs, associations de consommateurs et les deux Agences concernées, à savoir l’Ademe et l’AFNOR. Tout dossier doit comprendre une étude de marché qui démontre le potentiel marchand de l’écolabel, c’est-à-dire qui montre que les produits potentiellement écolabellisés visés vont rencontrer une demande. Doivent également figurer une description de la stratégie environnementale de l’entreprise, une démonstration de la capacité du référentiel à permettre une forte différenciation entre les produits sur le marché, notamment en démontrant que l’écolabel ne pourra être attribué qu’à une partie restreinte du marché (cf. infra) et des propositions de critères de performance environnementale qui pourront être utilisés dans les spécifications du référentiel (par exemple pour les filtres à café on trouve parmi les critères retenus l’usage de fibres naturelles et le recours à un certain pourcentage de fibres recyclées). L’écolabel exige également que les « impacts environnementaux » d’un produit soient calculés à partir de plusieurs (en général, trois) types d’effets – et pas seulement de son empreinte carbone. Enfin, il doit être fondé sur une analyse de cycle de vie (ACV), c’est-à-dire une méthodologie qui permet de prendre en compte les impacts environnementaux aux différentes étapes de la vie d’un produit, de l’extraction de la matière première nécessaire à sa confection jusqu’à son (éventuel) recyclage. Le comité des Écolabels évalue ensuite la proposition soumise par l’entreprise afin de s’assurer de l’intérêt public de faire un écolabel, notamment en veillant à ce qu’il porte sur des familles de produits dont il peut être utile d’améliorer les performances environnementales (en raison des effets d’entraînement que cela produira sur un secteur ou des effets d’affichage sur le marché [16]). Puis l’AFNOR et l’Ademe, en charge de l’évaluation de sa faisabilité technique, définissent les critères du référentiel et coordonnent un groupe de travail auquel l’association professionnelle correspondante peut participer. Une fois que le référentiel est publié, une entreprise de certification indépendante vérifie l’utilisation des écolabels par les entreprises qui prétendent se conformer au cahier des charges. Dans le cas de l’obésité, les chartes d’engagement que nous avons étudiées par ailleurs (Bergeron et al., 2012 ; Pilmis et al., 2013) se placent dans une situation intermédiaire. La nature des engagements éligibles est plus vague que dans le cas des écolabels, puisqu’elle peut concerner la réduction d’un certain niveau de sel, de sucre ou de graisse, etc., pour ses produits, sans que ce niveau soit fixé a priori mais au contraire en prévoyant que l’engagement puisse être apprécié au cas par cas et, même, de manière rétrospective. Néanmoins, le comité qui a évalué les dossiers a opéré une forme de sélection parmi les demandes qui lui sont parvenues, alors qu’aucune ville ne s’est vu refuser jusqu’à présent le label Epode.

Mettre en scène les labellisés et communiquer sur le label

23Une autre caractéristique du mode de gouvernement par les labels est d’accorder une grande importance à la communication vis-à-vis du label et au travail de mise en visibilité des acteurs qui obtiennent ce label par le labellisateur lui-même.

24L’écolabel n’est pas un dispositif marchand comme les autres (Callon, Millo, Muniesa, 2007), puisque l’une de ses spécificités est d’être soutenu et légitimé (entre autres forces) par l’État, qui va à la fois organiser les conditions de la singularisation des produits qui vont pouvoir en bénéficier (en animant le travail de conception des cahiers des charges) et les conditions de l’usage du label au sein de l’offre. C’est précisément, à ces conditions fortes d’un engagement de l’État que les entreprises peuvent trouver un intérêt à avoir recours à l’écolabellisation. En effet, celles-ci restent encore réticentes à l’égard d’un instrument qu’elles jugent coûteux et insuffisamment connu ou valorisé par les consommateurs, estimant précisément que le rôle de l’État n’est pas suffisamment visible derrière un label qui tend à se fondre parmi la grande diversité des dispositifs présents sur le marché. Or, pour les entreprises, l’intérêt d’un tel label est justement de bénéficier, par transitivité, de la légitimité de l’action publique et des objectifs de bien commun qu’elle est supposée viser. C’est pour répondre aux attentes des entreprises, en matière de construction de la légitimité publique de l’écolabel que le ministère de l’Environnement a financé, pour la première fois en 2010, une campagne de publicité télévisuelle pour les écolabels. Une telle campagne, dont les moyens financiers restent sans commune mesure avec les ressources que les entreprises de biens de consommation consacrent à la publicité, reste par conséquent par essence d’une efficacité limitée pour orienter massivement des choix des consommateurs largement soumis aux multiples messages de la communication marchande. Malgré tout, l’État avait d’importants enjeux dans cette communication, puisqu’il cherchait avant tout à rassurer les entreprises sur les engagements de l’État en matière de promotion de l’outil : l’un des fondements de la légitimité du label demeure son origine étatique. Dans ce même objectif, le ministère propose aux entreprises, en particulier aux distributeurs, des outils de communication permettant de valoriser les produits éco-labellisés sur des prospectus ou directement en rayon. À cet égard, la politique de communication autour des produits à écolabel est étroitement articulée avec d’autres actions de communication organisées par l’État pour valoriser des initiatives prises par des entreprises ou des associations professionnelles en matière environnementale : qu’il s’agisse de la remise des prix « entreprise et environnement » du ministère de l’Écologie ou de la communication organisée à l’occasion des signatures de conventions. Lors de ces différentes démarches de communication, les logos publics (ministère, Ademe, Grenelle de l’environnement) peuvent côtoyer les logos de marques, de produits ou d’entreprises. Comme nous le verrons dans la section suivante, cette légitimité procède d’une forme de certification symbolique par l’État venant appuyer une stratégie de différenciation d’entreprise. Pareille mise en scène a été orchestrée lors des signatures des chartes d’engagement volontaire de progrès nutritionnels, pour lesquelles Xavier Bertrand en personne animait des conférences de presse dédiées à cette occasion [17].

25La mise en visibilité du label Epode et des acteurs qui y participent est également perçue comme un élément fondamental de la dynamique du programme. Nous avons étudié ailleurs comment Epode avait réussi à se crédibiliser en tant que label et, ce faisant, à limiter la portée des critiques concernant son origine privée et lucrative, en s’assurant le soutien d’autres labels légitimes dans le champ de la santé publique : associations de médecins, ministère de la Santé, PNNS, Union européenne (Bergeron, Castel, Nouguez, 2011)… Cette démarche de création d’une solidarité symbolique entre Epode et des labels légitimes dans le champ de la santé publique a connu son paroxysme quand Roselyne Bachelot décida en 2009 que le ministère de la Santé et des Sports garantisse l’équivalence entre le label des villes PNNS et le label des villes Epode. Cette mise en visibilité et ce travail de crédibilisation du label vont de pair avec une mise en visibilité de ceux qui l’obtiennent. Cette mise en visibilité des acteurs qui obtiennent le label Epode est perçue par les entrepreneurs d’Epode comme nécessaire au maintien de leur motivation mais cette mise en visibilité contribue aussi à la légitimité du label en représentant l’espace social qu’il est censé couvrir. C’est ainsi que, sur les sites Internet d’Epode, puis désormais de Vivons en forme, une carte de France des villes adhérentes est visible dès la page d’accueil [18]. La mise en visibilité se traduit aussi par la publicisation des actions conduites par les villes, sur le site Internet et dans la presse, par l’organisation de conférences de presse, la publication de communiqués de presse et l’entretien de relations serrées avec les services de presse. En retour, les associations trouvent un intérêt à ce que leurs manifestations, y compris celles qui existaient avant Epode, soient labellisées Epode, car elles estiment qu’elles en tirent une plus grande crédibilité et une plus grande visibilité, comme nous l’avons documenté par ailleurs (Bergeron, Castel, Nouguez, 2011).

26

« S’il n’y a pas de communication, il n’y a pas de partenaires, il n’y a pas de dynamique locale, il n’y a pas de programme… […] toute cette communication, c’est fondamental. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le programme est très “homme-dépendant”. Il faut que le chef de projet se considère un peu comme un héros. Et pour le motiver durablement, il ne faut pas s’appuyer uniquement sur sa passion pour la cause (comme le fait d’être parent d’un enfant obèse par exemple). Si le chef de projet voit un reportage à la télé sur sa ville ou une autre ville Epode, il peut dire autour de lui : “c’est moi qui fais ça” et il est super motivé. C’est pour ça que c’est vital, les budgets-presse ».
(dirigeant de l’Agence de communication et de marketing en santé)

27Sur ce plan aussi, notons que le programme Let’s Move présente des similitudes frappantes avec Epode. Non seulement la carte des communes est immédiatement disponible sur le site Internet du programme, mais les photos et les noms des maires ou des conseillers municipaux en charge du programme, ainsi que le nom des villes dans lesquelles ils sont élus, défilent en première page [http://www.healthycommunitieshealthyfuture.org/].

Stimuler l’imitation et entretenir la compétition

28Une dernière caractéristique, essentielle, du gouvernement par les labels est de chercher à entretenir une dynamique de renouvellement et d’amélioration continue des engagements des acteurs. Non seulement il est recherché que le nombre d’acteurs, qui s’engagent dans l’amélioration de leurs conduites pour la consommation durable ou contre l’obésité, augmente, mais surtout on joue sur des mécanismes, de façon à ce que les acteurs proposent des engagements et des interventions toujours nouveaux, voire toujours plus exigeants (quoique d’une exigence relative comme nous l’avons vu). En somme, le gouvernement par les labels se caractérise par la poursuite d’une double dynamique : stimuler l’imitation et entretenir la compétition par la différenciation.

29Cette double dynamique est évidente dans le cas de l’écolabel, qui a été conçu comme une solution pour permettre aux acteurs économiques de valoriser leurs pratiques environnementales ; par cette forme de « certification étatique » récompensant leurs efforts pour améliorer la performance environnementale de leurs produits, les acteurs économiques devaient pouvoir générer de la valeur. L’État organise les conditions pour que les entreprises bénéficient d’une telle différenciation stratégique, en ne permettant qu’une partie seulement des produits d’une même industrie bénéficie de l’éco-label. En effet, tout écolabel doit représenter un facteur de forte différenciation entre les entreprises d’un marché : le niveau d’exigences pour en obtenir un doit être fixé de manière à ce qu’une grande sélection s’opère parmi les producteurs. L’objectif visé est de construire les exigences de recevabilité d’une manière telle que 20 % seulement des produits d’une catégorie donnée (par exemple la catégorie « filtres à café » mentionnée supra) puissent y satisfaire. Si cette proportion est plus élevée, le Comité français des écolabels considère que le référentiel proposé par l’industriel n’est pas suffisamment sélectif. L’écolabel doit venir consacrer des efforts environnementaux conséquents, mais il doit aussi permettre que les entreprises qui y consentent se différencient très fortement sur le marché. En somme, au principe du développement de cet instrument est la récompense, par le marché, des plus grands efforts en matière de performance environnementale.

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« Oh oui, je me suis battu comme un chien pour ça. L’écolabel doit être sélectif. Mais ça n’a pas été facile. Les fédérations professionnelles, ça les rendait folles. Elles étaient habituées aux normes, aux consultations de l’AFNOR, qui en général débouchent sur des normes qui peuvent être adoptées par tout le monde. Nous, on voulait être sélectifs… élitistes ».
(ministère de l’Environnement, personne en charge de la promotion des écolabels)

31De plus, un référentiel donné ne dure qu’un temps limité, il est réévalué tous les trois ans. En effet, au cours des années, de plus en plus de produits vont satisfaire aux exigences, augmentant la part de marché des produits éco-labellisés dans la catégorie considérée. Le Comité Français des Eco-labels est alors amené à accroître les exigences du référentiel pour le maintenir sélectif et inciter ainsi les entreprises à augmenter leur effort environnemental. Malgré tout, la spécificité de l’éco-label, comme de l’instrument label en général que nous étudions dans cet article, est de maintenir un niveau de contrainte élevé tout en restant relativement ouvert dans le contenu même de la contrainte qui reste largement de la prérogative des acteurs à gouverner : ici les exigences de l’écolabel doivent s’élever dans le temps, mais les entreprises restent libres de définir si elles choisissent dans le nouveau référentiel de faire évoluer les efforts en matière de consommation d’eau, de recyclabilité ou d’émission de gaz à effets de serre de leurs produits. La politique d’écolabellisation mêle donc clairement des mécanismes d’isomorphisme mimétique (DiMaggio, Powell, 1983 ; voir aussi Fligstein, 2001) – puisqu’il est attendu que les entreprises qui n’ont pas encore l’écolabel cherchent à imiter celles qui l’ont déjà – et les mécanismes de concurrence, puisqu’il est attendu que les entreprises cherchent à proposer des labels pour se différencier et obtenir ainsi un avantage concurrentiel. L’action publique est fondée sur le double présupposé d’une part, que toute entreprise qui investit dans la construction d’un référentiel a un grand intérêt à ce qu’il soit fortement différenciant pour ses produits et d’autre part que les entreprises concurrentes vont quant à elles, chercher à adopter ce label pour capter le marché de ces produits.

32

« Oui, le référentiel doit être régulièrement réévalué, pour prendre en compte les innovations technologiques, le développement de nouveaux matériaux sur le marché, comme les bioplastiques, les polymères compostables, etc. Mais aussi pour rester… il faut garder en tête qu’on cherche à être sélectif ! L’éco-label ne peut pas être donné à plus de 20 % des produits du marché. Tout le monde ne peut pas être éco-labellisé. Pour ça, il nous faut réviser les critères à la hausse, sinon ça devient trop facile. Notre objectif est de tirer le marché vers le haut ».
(Ademe, personne en charge des écolabels)

33Cette idée de jouer le marché, et plus spécifiquement de jouer sur la propension des entreprises à se différencier et à s’imiter les unes les autres tout à la fois (Dubuisson-Quellier, 2013b), est également au cœur des instruments de contractualisation de la politique de consommation durable. Comme indiqué précédemment, plusieurs contrats ont été signés entre l’État et des entreprises ou des associations professionnelles, qui s’engagent dans des efforts environnementaux sur certains aspects précis de leurs processus de production. Par exemple, un distributeur a accepté de diminuer la quantité de déchets et de développer des processus de développement écologiques pour les produits vendus sous sa marque, une association sportive nationale a proposé d’organiser des solutions pour que ses pratiquants ramènent aux clubs les matériels usagés, un autre distributeur a remplacé tous les emplacements de surgelés autrefois sans vitrine par des emplacements avec isolation. De tels contrats sont très nombreux mais sont conclus de préférence avec les entreprises ou associations dont on présume qu’elles ont la capacité d’avoir un effet d’entraînement sur toute l’industrie ou la profession.

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« Qu’est-ce qu’on cherche ? On veut que tout le secteur progresse. Quand on a signé la convention avec X, on a considéré que X avait la capacité de jouer un effet de levier sur le secteur. Si vous regardez cette convention, on les a aidés à développer leur propre outil de diagnostic, on a aussi participé au jury de leur concours du meilleur fournisseur. Ça a eu des répercussions larges. Pour leurs fournisseurs, pour l’entreprise, mais aussi dans les médias, les journaux professionnels ont parlé de leurs initiatives, nous aussi on a communiqué sur cette opération, et même les fournisseurs qui ont reçu un prix pour leurs efforts ont bénéficié de cette communication, ce n’est pas seulement ce secteur qui s’est trouvé concerné, mais tout le secteur des biens de consommation de masse ».
(Ademe, personne en charge des partenariats avec les entreprises)

35De telles stratégies ont pu être repérées également dans le cas des chartes d’engagement volontaire de progrès nutritionnel, où les membres du Comité d’évaluation, lorsqu’ils étudient un dossier, anticipent et prennent en considération le signal que la signature de telle entreprise enverra aux autres acteurs du secteur et l’effet d’entraînement qu’elle est susceptible d’avoir (Pilmis et al., 2013).

36

« Question : La validation d’un engagement est-elle affaire de “seuil” ?
Réponse : Dans un premier cas, exclure tout minimum risquerait de mettre à mal un instrument susceptible d’être décerné à quiconque, quels que soient les progrès nutritionnels envisagés, c’est-à-dire y compris s’ils sont faibles ou symboliques. Dans le cas contraire, le risque est de saper l’assise d’un outil dont, au contraire, seraient exclues de nombreuses firmes, et notamment les plus vertueuses sur le plan nutritionnel : l’outil, visant à promouvoir une amélioration des aliments, serait difficilement accessible aux acteurs ayant déjà procédé à des améliorations nutritionnelles importantes.
Question : Certains acteurs économiques doivent-ils être écartés par principe du dispositif des chartes ?
Réponse : L’accès de toutes les firmes aux chartes peut sembler une condition préalable à leur réussite en tant qu’outil d’amélioration nutritionnelle des produits alimentaires – exclure d’emblée certains producteurs interdit de parvenir à une pleine réalisation de l’objectif des chartes. Mais le risque existe que les chartes elles-mêmes soient discréditées par la présence, parmi les signataires, d’entreprises agro-alimentaires ayant, sur le plan nutritionnel, une mauvaise réputation ou une mauvaise image : les chartes pourraient alors être perçues comme un “label” décerné aux entreprises les moins exemplaires ».
(membre du Comité d’évaluation des chartes d’engagement volontaire)

37On retrouve pareil jeu sur la dynamique duale d’imitation et de distinction dans le cas d’Epode. Les engagements des acteurs municipaux et en particulier ceux des maires, pour obtenir le label Epode, ne découlent pas de leur souhait de se conformer à des normes institutionnelles « adéquates » (appropriate) au sens des néo-institutionnalistes sociologiques (Scott, 1995) mais de signaler à leur environnement qu’ils sont différents, « plus modernes et plus rationnels » pourrait-on dire. Les entrepreneurs d’Epode jouent sur ce désir, tout en stimulant l’imitation. En effet, d’un côté, ils mettent en place des dispositifs de partage des « bonnes pratiques », dont l’organisation d’un séminaire entre chefs de projets deux fois par an et l’organisation d’un congrès annuel où tous les acteurs sont invités à présenter leurs actions ; de l’autre, ils insistent sur les incontournables diversités et spécificités locales et mettent en avant, dans les communiqués de presse et sur le site Internet, toute initiative innovante pour stimuler cette différenciation.

38

« C’est une espèce d’émulation. Ce qu’on a essayé de recréer dans Epode, c’était : comment allons-nous réussir à créer cette émulation, et surtout à ne pas trop institutionnaliser la démarche qui viendrait d’une expertise, mais de bien donner des lignes directrices pour que chacun au niveau local apporte sa créativité. Si on sort de ça, on tue un peu le système. Ce qui fait qu’il y a un effet boule de neige et un effet participatif fort, c’est que les gens peuvent exprimer leur créativité. Et ce mot que je n’arrive jamais à traduire : l’empowerment ».
(souligné par nous) (membre fondateur d’Epode) [19]

39Encore une fois, l’exemple de Let’s Move fait apparaître une logique similaire. Au-delà du partage d’expériences, sur le site Internet, le programme propose un concours des écoles les plus saines (« US Healthier Schools Chalenge ») et un système de médailles pour les collectivités locales en fonction de leur progression dans l’atteinte des 5 objectifs et d’un système de benchmarking[20]. Dans l’extrait suivant, on retrouve cette recherche d’une dynamique de distinction et d’imitation :

40

« LMCTC goals were identified because they are achievable and measurable and because they leverage existing federal initiatives. In addition, widespread adoption of these goals will highlight local action, enable city, town and county leaders to track their progress and that of their peers in communities across the nation, and accelerate momentum around the development of concrete, sustainable strategies to promote healthy eating and active living. Local elected officials have the opportunity to earn gold, silver, and bronze medals, as they proceed in accomplishing the five goals. Those medals wil be highlighted here ».
(souligné par nous) [21]

41Les acteurs publics ne sont pas dupes, ils n’attendent pas de cet instrument qu’il soit aussi immédiatement efficace que d’autres instruments de régulation plus coercitifs. Mais ils font le pari que ces labels vont créer des dynamiques concurrentielles temporaires, qui peuvent d’un côté motiver les innovateurs du milieu à intensifier leurs efforts pour accroître leur performance environnementale ou lutter contre l’obésité et, de l’autre, conduire les autres acteurs à tenter de les imiter. En somme, via ce mode de gouvernement, contrairement à Fligstein et McAdam pour lesquels la dynamique de changement est le plus souvent impulsée par les « challengers » plutôt que par les « dominants » (Fligstein, 2001 ; Fligstein, McAdam, 2012), l’action publique entend ici aussi bien stimuler les capacités d’innovation des « dominants » que des « challengers » d’un champ donné.

Conclusion

42Qu’il s’agisse du niveau municipal, national ou européen, la logique d’un gouvernement par les labels reste la même : pour transformer les pratiques des acteurs, il s’agit de jouer sur, et d’instrumentaliser, à la fois le désir des acteurs de se distinguer et celui d’autres collectifs d’imiter ceux qui tentent de se distinguer dans la compétition – politique, symbolique, sociale ou économique – qu’ils se mènent. L’expression « montrer l’exemple » à laquelle il est fait fréquemment recours dans les discours sur les labels renvoie précisément à ces deux dimensions : montrer l’exemple, c’est se distinguer, se mettre en avant, mais c’est aussi montrer l’exemple pour que d’autres le suivent. Le but et l’issue de ce mode de gouvernement ne sont pas l’uniformité d’un champ mais la création continue de labels toujours nouveaux et toujours plus exigeants, de façon à ce que seuls certains participants puissent les obtenir.

43La caractéristique d’un gouvernement par les labels réside donc dans sa capacité à jouer sur les dynamiques sociales propres à certains phénomènes ou environnements pour orienter les acteurs vers des options que les acteurs publics – et l’État au premier chef – considèrent comme bénéfiques pour la collectivité. Ces caractéristiques les rapprochent des « dispositifs de sécurité » que Michel Foucault a analysés : fondamentalement « lié(s) au principe général de ce qu’on appelle le libéralisme » (Foucault, 2004, p. 49) [22], la logique des dispositifs de sécurité est de « prendre appui sur la réalité, ne pas essayer de l’empêcher, mais au contraire de faire jouer par rapport à lui d’autres éléments du réel, de manière à ce que le phénomène s’annule de lui-même » (Ibid., p. 61). Les opérations ainsi menées sont réputées réaliser un processus de normalisation (par opposition aux processus de « normation »), qui consiste « à faire jouer les unes par rapport aux autres ces différentes distributions de normalité et à faire en sorte que les plus défavorables soient ramenées à celles qui sont les plus favorables » (Ibid., p. 65) ; le normal « est premier » et la norme s’en « déduit » (Ibid., p. 65). Une telle définition nous paraît bien s’appliquer au gouvernement par les labels, qui, finalement, comme les dispositifs de sécurité, visent à produire de l’hétéronomie en jouant sur l’autonomie des acteurs.

44Il serait intéressant que de futurs travaux aident à saisir dans quelle mesure les labels se distinguent – ou consistent en des déclinaisons spécifiques – d’autres instruments que la littérature a mis en évidence, tels que les standards et les normes (Brunsson, Jacobsson, 2000 ; Borraz, 2007 ; Demortain, 2008 ; Timmermans, Epstein, 2010) ou les activités publiques conventionnelles (Lascoumes, 1993 ; Lascoumes, Valluy, 1996). En effet, les labels présentent certains points communs avec ces derniers, comme, par exemple, la faible contrainte directe qu’ils prétendent exercer sur les activités des acteurs d’un secteur qu’ils entendent néanmoins réguler. Toutefois, nous faisons l’hypothèse qu’il serait heuristique de chercher si ce mode de gouvernement ne présente pas également quelques singularités. Par exemple, la littérature a certes montré les effets non anticipés des processus de standardisation, qui, paradoxalement, peuvent être un moteur de diversification des pratiques et des organisations (Segrestin, 1997 ; Brunsson, 2000). Dans le cas des labels, ce qui nous paraît particulièrement important de noter, c’est que ce mode de gouvernement joue précisément et sciemment sur le paradoxe d’une demande simultanée de standardisation et de différenciation. On pourrait même avancer que, si le modèle cognitif de référence des standards est l’organisation (incomplète) (Ahrne, Brunsson, 2010), celui des labels est le marché (incomplet) et ses mécanismes sans cesse renouvelés – et attisés – de concurrence.

45L’environnement et la santé publique ne paraissent pas les seuls domaines concernés par ce mode de gouvernement. Que l’on pense à la promotion du label « Made in France » pour les produits manufacturés, à la labellisation des scènes de spectacles d’art vivant comme élément majeur de la politique culturelle, aux créations des IDEX, Labex et autres labels dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche (Aust, Crespy, 2009) ou à la labellisation intensive de sites de recherche en cancérologie par l’Institut National du Cancer (Vézian, 2013), les exemples de politiques de labellisation ne manquent pas (même si elles sont parfois couplées, comme dans les derniers exemples cités, à des allocations substantielles de financement public). Certes, cette façon de saturer les champs de labels est peut-être un indicateur, dans certains cas, que des changements majeurs sont en cours et qu’il est difficile a priori d’évaluer la qualité des (nouveaux) acteurs et de leurs produits ou actions. Nous pouvons ainsi estimer que les domaines de l’environnement et de la santé publique, caractérisés par une forte indétermination des connaissances [23] et des difficultés à identifier les bonnes pratiques, se prêtent particulièrement bien à ce mode de gouvernement [24]. Mais aussi, comme cela a été souligné dans le cas des APC (Lascoumes, 1993) [25], le gouvernement par les labels signe, à certains égards, des rapports de pouvoir défavorables à l’État dans ses relations avec les autres acteurs et particulièrement les industriels, qui évoquent fréquemment la menace de perte de compétitivité et d’emplois en cas de politiques agressives de régulation [26].

46Il nous semble toutefois infondé de conclure sans nuance que le développement de ce mode de gouvernement traduirait un retrait de l’État. Certes, dans certains cas, comme dans celui de l’obésité, il s’accompagne d’un renoncement de l’État, du moins jusque-là, à contraindre plus fortement les producteurs alimentaires, par le recours à certains instruments comme la fiscalité (Etilé, 2013) ou l’interdiction de publicités alimentaires pendant les programmes pour enfants (Boubal, 2011), par exemple. Mais, d’une part, le cas de la consommation durable montre que le recours au label peut s’articuler avec le recours à d’autres instruments de type fiscal (voir supra) et, d’autre part, et surtout, nous inspirant des analyses de Foucault et d’autres travaux plus récents qui s’y réfèrent (Miller, Rose, 2008), nous pouvons y voir une extension des modalités d’investissement de l’État et de l’action publique jusque dans le gouvernement des comportements individuels. Un gouvernement des comportements individuels qui se réalise dans une action par les signes sur les signes (Padioleau, 1977 ; Bergeron, 2010), qui certes manifeste un rapport de force tendanciellement défavorable vis-à-vis du marché ainsi que des capacités d’action autonome limitées, mais signe, également, le maintien et l’approfondissement d’un pouvoir régulateur (Hassenteufel, 2008).

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Mots-clés éditeurs : instruments, consommation durable, labels, concurrence, standard, gouvernementalité, imitation, obésité

Mise en ligne 20/10/2014

https://doi.org/10.3917/gap.143.0007

Notes

  • [1]
    Nous remercions Frank den Hond, Marie-Laure Djelic et Kristina Tamm Hallström, d’une part, et Aurélie Delemarle, David Demortain, Jean-Pierre Galland et Allison Loconto, d’autre part, de nous avoir permis de présenter et de discuter des versions antérieures de ce texte, dans le cadre, respectivement, de la conférence annuelle EGOS en 2012 à Helsinki et de la série de séminaires « Normes, standards et leurs cycles de vie » (IFRIS – DIM IS2-IT) en 2013 à Champs-sur-Marne. Nous remercions également Jaana Kettunen, Cornelia Woll et les lecteurs anonymes de la revue pour leurs commentaires sur des versions antérieures de ce texte.
  • [2]
    En mobilisant le vocable « label », nous ne faisons pas ici référence à la théorie de la labélisation, telle qu’elle a pu être conçue par la sociologie interactionniste, nous ne reprenons pas non plus l’approche économique du label comme simple signal sur les marchés. Nous considérons, comme peut le faire la sociologie économique le label comme un équipement marchand ou une institution marchande (Dubuisson-Quellier, François, 2011) qui parvient à s’imposer comme une catégorie dans l’espace marchand à mesure que les acteurs économiques s’en emparent et le mobilisent.
  • [3]
    Il pourrait être intéressant, mais ce n’est pas là le but de l’article, de mettre en lien, plus systématiquement, les conceptions anthropologiques indigènes, relativement élémentaires, et qui supposent, pour certaines, un degré d’agency, qui se logent dans ces instruments de politiques publiques (Bergeron, Castel, 2014), avec celles, savantes, qui n’impliquent guère d’agency comme celle de Pierre Bourdieu (distinction) (1979) ou de DiMaggio et Powell (mimétisme) (1983).
  • [4]
    La distinction acteurs individuels/acteurs collectifs est, en fait, malaisée dans l’étude que nous avons menée, en ce que les opérations de labellisation d’organisations comme les entreprises, les municipalités ou les associations de loi 1901 misent sur les velléités de distinction des individus qui président à la destinée de ces organisations. Dans ces conditions, nous sommes fondés à considérer ce mode de gouvernement qui tente d’orienter l’action d’organisations comme un gouvernement des conduites individuelles.
  • [5]
    Entre 2009 et 2013, ce projet, intitulé « Gouverner les conduits des consommateurs : la politique de consommation durable et la lutte contre l’obésité », a été dirigé par Sophie Dubuisson-Quellier (CSO) et financé par l’Agence nationale pour la recherche (ANR), dans le cadre du programme « Gouverner et administrer ». Une partie des travaux sur lesquels s’appuie la présente analyse ont été aussi financés dans le cadre d’un appel d’offres de l’IReSP (projet « Comment l’idée vint… : Mise sur agenda et routinisation de la lutte contre l’obésité en France », dirigé par Henri Bergeron) et par le programme Epode.
  • [6]
    Il apparaît, par exemple, que le domaine de la consommation durable, par rapport à celui de la lutte contre l’obésité, se caractérise par un recours privilégié à des instruments de marché.
  • [7]
    Epode – désormais « Vivons en forme » (VIF) – a acquis une position-clé dans la détection et la prévention de l’obésité infantile. Plus de 200 communes françaises, dont Paris et Lille, et plusieurs pays ont expérimenté Epode, ce qui a permis aux entrepreneurs du programme d’afficher que plus de 4 millions de personnes étaient concernées. Qui plus est, la Commission européenne l’a financé pour développer des guides de bonne pratique européens pour les politiques locales de prévention de l’obésité. En somme, le programme a acquis une forme de légitimité transnationale.
  • [8]
    Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire.
  • [9]
    Même si cette taxe, portée par Bercy et non par le ministère de la Santé, répond davantage à un objectif de réduction des déficits publics qu’à un objectif de santé publique (Pilmis et al., 2013).
  • [10]
    Arrêté du 9 novembre 2011 fixant les conditions d’utilisation de la marque « Programme national nutrition santé ».
  • [11]
    Ce signataire peut être une entreprise, une marque, une organisation…
  • [12]
    « EU platform on diet, physical activity and health », qualifiée de « the most promising means of non legislative action, […] placed to build trust between key stakeholders » (European Commission, 2005, p. 5).
  • [13]
    Les auteurs distinguent trois types d’activités publiques conventionnelles, se décomposant chacun en deux sous-types : type I « accords informels non publiés » (1. « préliminaires » et 2. « arrangements »), type II « accords informels publiés » (3. « initiatives suggérées » et 4. « accords normatifs ») et type III « accords formels publiés » (5. « actes de droit public non armés » et 6. « actes de droit public armés »). Le type III, décrit comme les « déclarations et chartes de bonne conduite », correspond aux instruments contractuels et chartes d’engagement que nous avons présentés.
  • [14]
    « Start early, start smart » (mettre en place des programmes de prévention pour les populations les plus jeunes), « My plate your place » (distribuer des guides nutritionnels du programme), « Smart servings for children » (concevoir des dispositifs de prévention et d’incitations à une nourriture saine dans les cantines), « Model food service » (concevoir des dispositifs de prévention et d’incitations à une nourriture saine dans les services publics), « Active kids at play » (mettre en place des programmes de développement de l’activité physique pour les enfants).
  • [15]
    [http://www.letsmove.gov/increase-physical-activity-opportunities], dernière consultation 27 novembre 2013.
  • [16]
    Les pouvoirs publics considèrent par exemple qu’il pourrait être contre-productif de faire un écolabel pour des familles de produits jugés mauvais pour l’environnement (tels que les produits jetables), ne souhaitant pas encourager la consommation de ce type de produits.
  • [17]
    On peut trouver de tels exemples de travail de publicisation des efforts des industriels par le programme Let’s Move. Dans l’extrait qui suit, il apparaît évident que ce travail, porté par l’épouse du président des États-Unis elle-même, vise autant la crédibilisation du programme, en soulignant une de ces premières supposées concrétisations, que la récompense symbolique de ce partenaire pour encourager d’autres industriels à s’engager à leur tour : « First Lady Michele Obama said, “Just last week, we launched Let’s Move ! Active Schools, an unprecedented effort to promote physical activity and bring physical education back to our schools. And today, we are beyond thrilled to announce that Reebok is joining this effort with a commitment to get our kids active. Reebok’s commitment is exactly the kind of leadership we need to ensure our kids get the healthy lives they deserve.” “We are extremely proud to be recognized for our work by the first lady and PHA,” said Reebok CMO Matt O’Toole. “At Reebok, we are committed to getting American’s moving. It is the purpose behind everything we do, and our BOKS program is a great example of how we’re putting this into action. We owe a great deal of gratitude to the first lady for bringing this incredibly important issue to the forefront. With her backing, I am confident we can create real change and improve people’s lives.” » Extrait de la conférence de presse : « First Lady Michelle Obama Praises Reebok for $30 Million Commitment to Get Kids Moving », 8 mars 2013 [http://www.businesswire.com/news/home/20130308005842/en/Lady-Michelle-Obama-Praises-Reebok-30-Million].
  • [18]
    [http://www.vivons-en-forme.org/], dernière consultation en décembre 2013.
  • [19]
    On retrouve cette perspective dans l’extrait d’entretien cité supra, avec un autre fondateur d’Epode, qui exprime la nécessité de transmission (et donc d’imitation) et de créativité continue : « Donc laissons un peu de créativité aux acteurs locaux ; ça fait aussi partie de notre modèle dans le sens où ce que l’on veut, c’est récupérer un maximum d’expériences positives de la base pour pouvoir retransmettre aux autres. Donc si on met un carcan trop rigide, trop imposé, on ne laisse aucune place à la créativité et on n’aura aucune remontée non plus ».
  • [20]
  • [21]
  • [22]
    Voir également dans le cas de la santé publique l’excellente analyse de Berlivet (2004).
  • [23]
    Les causes de l’obésité (génétiques, environnementales, sociales, etc.) sont ainsi très débattues, sans qu’un consensus scientifique n’ait encore émergé – bien que la responsabilité individuelle des individus tende jusqu’à présent à être le « cadre » (frame) d’analyse dominant (Saguy, 2013).
  • [24]
    On remarquera que le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, travaillé lui aussi par des politiques de labellisation, se caractérise également par une forte incertitude sur les bonnes façons de « produire » et d’évaluer les résultats de cette « production » (Cohen, March, Olsen, 1972 ; Meyer, Rowan, 1977 ; Musselin, 1990).
  • [25]
    Les velléités récentes de promotion d’un label « Made in France » pour lutter contre les délocalisations semblent bien correspondre à une telle analyse.
  • [26]
    Pour une thèse comparable sur la santé publique, voir Bergeron, Jouzel (2011) et Bergeron, Castel (2014).
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