Notes
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[1]
Précisons dès maintenant que l’orthodoxie monétaire consiste en une focalisation exclusive de la banque centrale sur un objectif de stabilité des prix, au détriment de ses autres missions, et d’un degré d’indépendance élevé par rapport aux autorités politiques (Issing et al., 2001). En cela, elle se rapproche des idées ordo-libérales (cf. infra).
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[2]
L’enceinte où se déroule la prise de décision au sein du Système européen des banques centrales (SEBC).
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[3]
De 2004 à 2011.
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[4]
FTSE All-world index.
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[5]
Il faut entendre par là une étude du paramétrage de ses instruments, de leur utilisation et de leurs conséquences (Lascoumes, Le Galès, 2007).
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[6]
Les entretiens des membres du CEF ont été effectués dans le cadre de ma thèse. Les extraits présentés ici sont une réponse aux questions « Il y a dix ans, auriez-vous pu imaginer la BCE développer ses politiques actuelles ? » et « Avez-vous été surpris par la réponse de la BCE à la crise ? ». Le CEF est une arène cruciale dans la gouvernance de la zone euro car il est le comité qui prépare aux réunions des Conseils Ecofin et Européen afférents à la gestion de la crise.
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[7]
Traduction approximative de la notion d’accountability.
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[8]
« Reputation is viewed as a set of symbolic beliefs about an organization, beliefs embedded in multiple audiences […]. Reputation built regulatory power in all of its facets. And power, once possessed, has been used and managed in ways that maintain reputation, and hence power itself » (ma traduction).
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[9]
« Asset ».
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[10]
Sur cette notion, voir Nay (1997, p. 18). Il précise ainsi que les acteurs sont tenus d’apprendre leurs rôles respectifs (qui ne sont pas forcément définis officiellement) au sein d’une institution, définie comme « un ensemble de valeurs, de modèles de conduites et d’usages dominants dans un espace-temps, qui par leur stabilité et leur récurrence, orientent à la fois les pratiques individuelles des acteurs sociaux et la structuration des activités collectives auxquelles ils prennent part ».
-
[11]
Article 130 du TFUE.
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[12]
Article 127 du TFUE.
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[13]
Parmi les auteurs ordo-libéraux principaux, notons l’influence de W. Röpke, A. Rüstow ou W. Eucken.
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[14]
Procédé par lequel la banque centrale finançait de manière détournée le réarmement allemand (Singleton, 2010, p. 76).
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[15]
Précisons pourtant que les phénomènes inflationnistes allemands ont été davantage causés par une volonté gouvernementale d’éviter de payer les réparations financières à la France qu’à une manipulation délibérée de la monnaie ; c’est pourtant l’interprétation ordo-libérale qui a été dominante (Blyth, 2013).
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[16]
La déréglementation des secteurs énergétiques liée à la création du marché unique ne rentre pas dans le cadre de l’ordo-libéralisme par exemple.
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[17]
C’est le processus de création monétaire et la forme moderne de l’expression imagée de « planche à billets ».
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[18]
Articles 127(5) et (6) du TFUE.
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[19]
Selon les ordo-libéraux un accroissement de la base monétaire entraîne celui de la masse monétaire et engendre alors des tensions inflationnistes.
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[20]
Celles-ci sont dues aux opérations de recapitalisation du système bancaire mais aussi à la détention des bons du trésor par les banques commerciales.
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[21]
Une situation d’incertitude peut se définir en reprenant la distinction entre risque et incertitude (Knight 2006). Le risque est un événement dont les possibilités d’existence peuvent être calculées selon une méthode probabiliste tandis que l’incertitude se caractérise par une impossibilité d’établir des scénarios futurs.
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[22]
Parmi celles-ci, on peut citer le rôle de ses caractéristiques institutionnelles originelles, du non-respect des règles du PSC, des problèmes de compétitivité, de la compression des salaires en Allemagne et l’instabilité des marchés.
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[23]
La division entre pays créditeurs et débiteurs reflète l’accumulation de problèmes internes de compétitivité dans un système intégré de gouvernance macro-économique tel que la zone euro.
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[24]
Ce concept signifie que les pays créditeurs ne sont pas sûrs que les pays débiteurs mettent effectivement en place des plans de sauvetage. Il est tiré des travaux de Bagehot sur le prêteur en dernier ressort qui doit adopter un tel comportement pour éviter les risques d’aléa moral.
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[25]
Communiqué de presse de la BCE, « ECB Decides on Measures to Adress Severe Tensions in Financial Markets », Francfort, 10 mai 2010.
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[26]
Communiqué de presse de la BCE « ECB Announces Change in Eligibility of Debt Instruments Issued or Guaranteed by the Greek Government », Francfort, 3 mai 2010.
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[27]
Conférence de presse de J.-C. Trichet, Francfort, 8 avril 2010.
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[28]
Pour ces audiences, ce type de décisions s’apparente à une monétisation de la dette publique.
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[29]
« The Governing Council wil continue to keep inflation expectations firmly anchored in line with its mediumterm objective. In so doing, it supports sustainable growth and employment and contributes to financial stability », Conférence de presse de J.-C. Trichet, Bruxelles, 4 décembre 2008, nous soulignons.
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[30]
« Many euro area governments are faced with high and sharply rising fiscal imbalances. If not addressed by a clear and credible exit strategy, this could seriously risk undermining public confidence in the sustainability of public finances and the economic recovery. The very large government borrowing requirements carry the risk of triggering rapid changes in market sentiment, leading to less favorable medium and long-term interest rates », Conférence de presse de J.-C. Trichet, Venise, 8 octobre 2009.
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[31]
« There is a plan, and we cal for the implementation of the plan ! That’s al to say, ful stop ! », Conférence de presse de J.-C. Trichet, Helsinki, 5 mai 2011.
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[32]
« However, it is clear that – as I have said many times – the responsibility for maintaining financial stability and orderly financial conditions lies first and foremost with national economic policies », Conférence de presse de Mario Draghi, 3 novembre 2011.
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[33]
« The main pilar of this is the national economic policy response, which is made up of two components : first, put your public finance in order and, second, undertake structural reforms », Conférence de presse de Mario Draghi, 3 novembre 2011.
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[34]
« More recently, we have been caling for quasi-automaticity, reinforcing sanctions very substantially. I have been asking for a quantum leap », Conférence de presse de J.-C. Trichet, Francfort, 2 décembre 2010.
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[35]
Précisons que les analystes financiers arrivent à déterminer la provenance des achats, ce qui montre que cette mesure est seulement symbolique.
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[36]
« Quantitative easing », ce phénomène est un facteur d’inflation pour les ordo-libéraux.
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[37]
L’opération de carry-trade équivaut pour une banque commerciale à contracter un prêt à la banque centrale à un taux d’intérêt inférieur à celui lié à la détention de la dette souveraine. La plus-value qu’offre la différence de taux d’intérêt est appelée le carry-trade.
-
[38]
Les bons du trésor sont considérés comme des actifs plus sûrs que les autres titres financiers.
-
[39]
Entretien 1 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.
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[40]
Entretien 2 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.
-
[41]
L’enquêté fait ici référence à la visite de J.-C. Trichet au Bundestag en amont de l’accord sur l’aide destinée à la Grèce le 3 mai 2010.
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[42]
Entretien 1 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.
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[43]
Entretien 3 avec un membre du CEF, Bruxelles, octobre 2010.
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[44]
Entretien 2 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.
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[45]
Entretien 3 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.
1Francfort, 10 mai 2010. Il est trois heures et quart du matin quand les traders de la Banque centrale européenne (BCE) engagent le rachat des bons du trésor grecs sur les marchés secondaires. Pour la première fois depuis ses 10 ans d’existence opérationnelle, la BCE franchit son Rubicon en implémentant le Securities Market Program (SMP), une mesure s’éloignant des principes orthodoxes incarnés par la Bundesbank [1]. Le Conseil des gouverneurs [2] précise « avoir pris note » des déclarations de consolidation fiscale, faites quelques jours auparavant par les dirigeants de la zone euro, lors de la mise en œuvre du SMP.
2Berlin, 11 février 2011. Axel Weber, alors président de la Bundesbank [3] mais aussi favori dans la course à la succession de J.-C. Trichet, annonce qu’il démissionne de son poste et ne brigue plus la candidature à la présidence de la BCE. Il explique deux jours plus tard que les réactions gouvernementales à son opposition ferme et orthodoxe au SMP ont motivé sa décision. Le départ d’Axel Weber du Système européen des banques centrales (SEBC) est suivi de la démission de Jürgen Stark, un membre du directoire de la BCE aux positions monétaires orthodoxes. À l’instar d’Axel Weber, son départ est motivé par l’éloignement de la Banque des principes orthodoxes devant guider sa politique monétaire. À la suite de l’annonce de sa décision, le 9 septembre 2011, l’euro atteint sa plus basse valeur depuis six mois et l’index couvrant 90 % de la capitalisation boursière mondiale [4] chute de 3,07 %. La perte des deux représentants les plus importants de l’orthodoxie au sein du Conseil des gouverneurs, à la suite de la mise en œuvre du SMP, a ainsi augmenté l’incertitude des participants aux marchés financiers sur la capacité d’action de la Banque et sur sa cohésion avec les instances dirigeantes de la zone euro.
3Ces deux éléments montrent la tension subie par la BCE dans sa réponse à la crise. D’une part, elle a dû s’éloigner des principes orthodoxes de politique monétaire afin de limiter les risques systémiques et préserver la stabilité de la zone euro. D’autre part, elle devait s’assurer que cet éloignement n’ait pas un impact trop accentué sur sa cohésion interne et sur sa réputation originelle basée sur le modèle de la Bundesbank. La BCE n’a cependant pas été prisonnière de ce dilemme et elle a su développer un jeu politique inventif en interprétant de manière flexible les idées ayant contribué à sa fondation, tout en s’assurant que le cadrage de la crise ne les remettent pas en cause. Il reste alors à expliquer les ressorts et les mécanismes de ce grand écart : pourquoi la BCE a-t-elle continué à diffuser et à promouvoir des idées économiques dont ses instruments monétaires s’en sont éloignés, et comment a-t-elle pu le faire ?
4Afin de répondre à ces questions, cet article est structuré de la manière suivante. D’abord, je critique les études issues du courant du choix rationnel, qui forment le cadre d’analyse principal de la BCE dans la science politique, afin de prendre en compte le rôle des idées économiques et des perceptions des acteurs politiques dans la construction de la politique monétaire européenne pendant la crise. Par conséquent, je reviens ensuite sur les racines du modèle idéel ayant permis la création de la BCE et sur la manière dont la crise a mis celles-ci en tension. Enfin, je me focalise sur la manière dont la BCE a fait face aux dilemmes provoqués par la crise en analysant de manière empirique son grand écart.
5D’un point de vue méthodologique, cette étude empirique est composée de trois éléments. D’abord, les conférences de presses mensuelles des présidents successifs de la BCE de janvier 2007 à janvier 2012 sont analysées systématiquement, ainsi que les communications publiques des membres du directoire. Puis, l’instrumentation de la politique monétaire de la BCE [5] est étudiée. Enfin, des entretiens semi-dirigés ont été effectués avec trois membres du Comité économique et financier (CEF) en novembre 2010 afin de restituer les évolutions de leurs perceptions sur le rôle joué par la BCE pendant la crise [6]. Précisons que seuls les éléments liés à la défense et l’adaptation de sa réputation par la BCE sont analysés, son utilisation de la crise comme une fenêtre d’opportunité pour étendre son influence et ses compétences formelles au sein de la zone euro est l’objet d’autres travaux (Fontan, 2014).
Pour une approche constructiviste de l’action politique de la BCE
6Il existe peu de travaux de sciences politiques consacrés à l’étude de la BCE et la plupart sont situés dans le courant du choix rationnel. Or, la focalisation de ceux-ci sur les termes légaux du contrat de délégation et sur le mécanisme des incitations éclipse le rôle joué par les idées économiques et les perceptions des décideurs politiques. Pourtant, comme toute organisation régulatrice, le pouvoir de la BCE dépend de sa réputation entretenue après des décideurs politiques de la zone euro, surtout en temps de crise quand le niveau d’incertitude est élevé.
Les approches liées au choix rationnel
7Rappelons d’abord que ce sont les États de la zone euro qui ont décidé de déléguer leurs politiques monétaires à la BCE à la suite d’un long processus politique entamé dans les années 1960. Celui-ci a abouti à la création de la première banque centrale supranationale au monde disposant par ailleurs d’un haut niveau d’indépendance et de missions focalisées essentiellement sur la stabilité des prix (Dyson, Featherstone, 1999). La plupart des travaux portant sur la BCE adoptent un cadre d’analyse inspiré de l’approche Principal-Agent et étudient ainsi les motivations des principals (ici les États de la zone euro) lors de la délégation de leurs compétences à un agent (ici la BCE) et les tentatives de l’agent d’étendre son autonomie une fois la délégation actée (Elgie, 2002). Sur le comportement de l’agent après la délégation, ces études parviennent à deux conclusions principales et opposées : soit la BCE est un acteur puissant qui risque de créer un déficit démocratique en Europe (Howarth, Loedel, 2003), soit elle ne dispose pas des incitations suffisantes pour vouloir étendre ses compétences et renforcer l’intégration européenne (Heisenberg, Richmond, 2002 ; Hodson, 2011). Les facteurs explicatifs de ces études sont semblables : les incitations de la BCE à maximiser son autonomie sont pensées en rapport aux termes légaux du contrat de délégation (inscrits ici dans le traité de Maastricht) et aux mécanismes de contrôle dont disposent les principals pour que la BCE respecte leurs préférences initiales.
8Cependant, plusieurs problèmes se posent dans l’analyse de la BCE dans la crise au prisme de ce cadre théorique. D’abord, le rendu de compte de la BCE aux autorités élues [7] ne contraint pas la définition de ses politiques monétaires car les auditions du président de la BCE au Parlement européen tiennent plus de l’arrangement stratégique entre les deux institutions qu’à un réel contrôle démocratique sur les activités des banquiers centraux (Jabko, 2009). Ensuite, et de manière plus cruciale, les objectifs de politique monétaire de la BCE se comprennent davantage en terme idéels qu’en termes légaux. Ainsi, aucune description chiffrée de la notion de « stabilité des prix », le principal objectif monétaire de la BCE, n’est inscrite dans le contrat de délégation, ce qui a laissé à la BCE la marge de manœuvre de la définir par elle-même, en 2003, autour et légèrement en dessous de 2 %. De plus, les éléments à inclure dans le calcul de la stabilité des prix sont toujours sujets à débat entre plusieurs écoles économiques : faut-il inclure les actifs financiers et les prix de l’immobilier ? Derrière la définition légale de la stabilité des prix s’affrontent des conceptions idéelles différentes de l’inflation et par-là, du rôle que doivent jouer les banques centrales dans l’économie. Enfin, en temps de crise, les possibilités de redéfinition de ce concept sont accentuées (cf. infra), ce qui atténue le rôle d’incitations que devraient jouer les termes légaux du contrat de délégation et les calculs rationnels des décideurs.
9In fine, les déterminants et les contraintes de la politique monétaire menée par la BCE ne se trouvent pas tant dans ses statuts officiels et les mécanismes de contrôle exercés par les autorités élues que dans les conditions idéelles de sa création et les perceptions des décideurs politiques.
Pour une approche constructiviste de la BCE
10La notion de réputation permet de combler les angles morts de l’approche Principal-Agent et de comprendre la place centrale des idées économiques dans le jeu de pouvoir entre les acteurs de la zone euro pendant la crise. La réputation d’une organisation a été définie par Carpenter (2010) lors de son étude sur la Food and Drugs Administration comme :
« Un ensemble de croyances symboliques sur une organisation qui sont partagées par une multiplicité d’audiences […] cette réputation construit le pouvoir régulateur dans toutes ses facettes. Et ce pouvoir, une fois détenu, a été utilisé et géré pour maintenir cette réputation et donc le pouvoir lui-même [8] ».
12Les audiences de la BCE sont ici les chefs d’États des pays de la zone euro réunis au sein du Conseil européen, leurs ministres des Finances se retrouvant lors des rencontres du Conseil Ecofin ainsi que leurs plus proches collaborateurs préparant ces réunions dans des comités préparatoires comme le Comité économique et financier (CEF).
13La réputation d’une organisation est un enjeu essentiel pour celle-ci car elle est la source principale de son pouvoir régulateur. Ainsi, à l’inverse des postulats de l’approche Principal-Agent, ce ne sont pas tant les termes du contrat de délégation et les pouvoirs effectifs dont l’organisation dispose qui importent, mais les perceptions entretenues par ses différentes audiences qui fondent son pouvoir régulateur et sa capacité d’action. En effet, les perceptions des acteurs participant à une négociation sont un facteur explicatif crucial de son déroulement (Jervis, 1976), surtout en temps de crise, quand le niveau d’incertitude est élevé et que les situations routinières sont déstabilisées (Dobry, 1992).
14La réputation se rapproche de la notion de capital [9], qui doit être protégée et maintenue (Carpenter, 2010, p. 66-70). Une fois sa réputation cristallisée et reconnue après les premières années d’existence de l’organisation, ses agents vont essayer de la protéger, de la maintenir et de l’améliorer. L’organisation doit aussi faire face à une multiplicité des images renvoyées sur ses différentes audiences qui vont la percevoir de manière variée en fonction de leurs propres préférences, de leurs positions dans le jeu politique, de leurs croyances, etc. L’action de l’organisation devient plus complexe car un gain de réputation auprès d’une audience peut entraîner une perte auprès d’une autre. Par conséquent, l’ambiguïté ressort souvent des annonces ou des décisions prises par les organisations du fait de leur obligation de jongler entre différentes audiences.
15Deux conclusions essentielles pour l’analyse du grand écart effectué par la BCE pendant la crise de la zone euro sont à tirer de la notion de réputation en la liant aux aspects idéels de la création de cette organisation.
16D’abord, à l’instar de toute autre agence régulatrice, la BCE peut cesser d’exister, ou voir sa forme radicalement altérée par une remise en cause de son indépendance, si les dirigeants étatiques ne lui font plus confiance. Ce constat permet de comprendre pourquoi la BCE cherche à adapter sa réputation originelle et à cadrer les causes et les solutions à apporter à la crise selon les idées ayant permis sa création. Le cadrage est défini comme « une volonté de décrire un enjeu en des termes qui le relient à d’autres ensembles d’idées, de manière spécifique (Hall, 2007, p. 134) ». En effet, si les causes et les solutions de la crise avaient été cadrées selon un autre paradigme, les positions passées de la BCE l’auraient plutôt affaiblie que renforcée et les fondements de son indépendance auraient été remis en cause (cf. infra).
17Ensuite, la notion de réputation permet de comprendre la tension au cœur de l’action politique de la BCE.
18D’une part, la réputation contraint l’action de la Banque qui risque de perdre son capital auprès de ses audiences orthodoxes (Allemagne, Pays-Bas, Finlande, Bundesbank) en cas d’écart trop important entre les nouveaux instruments qu’elle développe (comme le SMP) et sa réputation originelle. Cette perspective sur la réticence au changement rejoint ici un concept néo-institutionnaliste classique, celui de la dépendance au sentier (Pierson, 1996) : une organisation est souvent prisonnière de ses choix passés ou de ses conditions de création. On peut aussi soulever que les idées économiques stratégiquement utilisées par les acteurs lors de la construction de l’UEM (Dyson, Featherstone, 1999 ; Jabko, 2006) ont été cristallisées lors des dix premières années d’existence de la zone euro et deviennent alors contraignantes (Parsons, 2003). En effet, les interactions répétées entre la BCE et les autorités politiques de la zone euro ont conduit à une institutionnalisation des rôles entre ces acteurs [10], où les banquiers centraux ont comme fonction d’incarner l’orthodoxie économique.
19D’autre part, la BCE doit réagir aux difficultés financières rencontrées par les États de manière suffisamment flexible par rapport aux principes orthodoxes pour ne pas perdre la confiance des décideurs de ces pays et éviter un risque d’écroulement de la zone euro. Elle doit alors concilier les attentes de ces deux publics, ce qu’elle effectue en interprétant de manière flexible les idées ayant permis sa création et en utilisant l’ambiguïté dans son paramétrage des instruments monétaires et dans sa communication institutionnelle.
20Cet ensemble de contraintes explique ce que nous appelons dans cet article « l’art du grand écart » ou comment la BCE adapte sa réputation orthodoxe pour la protéger tout en s’en éloignant par la mise en œuvre de mesures monétaires hétérodoxes depuis le début de la crise de la zone euro.
L’orthodoxie de la BCE à l’épreuve de la crise
21La crise de la zone euro aurait pu fragiliser les fondations idéelles de la BCE et de son haut niveau d’indépendance. Les idées appartenant à la nouvelle économie macro-classique et à l’ordo-libéralisme sont d’abord analysées afin de montrer comment elles ont influencé les caractéristiques institutionnelles de la BCE et de l’UEM. Puis, j’expose les tensions provoquées par la crise sur ces modèles idéels, et par-là les risques pesant sur la réputation originelle de la BCE.
Les idées économiques à l’origine de la création et du rôle joué par la BCE
22Le phénomène de délégation des compétences monétaires à des banques centrales indépendantes à travers le monde a été fortement accolée à la diffusion coercitive et normative des idées appartenant à la nouvelle économie macro-classique (McNamara, 2002). Une des composantes centrales de ce bloc d’idées est le concept d’« inconstance temporelle » qui affirme que l’isolation de la politique monétaire des pressions politiques permet de renforcer la « crédibilité » des banques centrales car les banquiers centraux n’ont pas d’incitations, telles que celle de remporter des élections, qui provoqueraient des surprises inflationnistes (Kydland, Prescott, 1977). Cette crédibilité permet alors la stabilité des prix, et selon cet enchaînement quasi-prophétique, la croissance et le plein emploi à moyen et long termes, car les agents économiques font confiance aux annonces des banquiers centraux et ne vont pas anticiper une hausse des prix et mettre en place des comportements inflationnistes (tels que des augmentations de salaires). Dans ce modèle, les banquiers centraux tiennent le rôle d’acteurs conservateurs, aux préférences en matière de fiscalité plus strictes que les dirigeants politiques (Rogoff, 1985). Notons la place centrale accordée aux anticipations rationnelles des opérateurs de marché qui fragilise et rend contestable les mécanismes théoriques de ce modèle (Le Heron, Carré, 2006). La diffusion de ces idées s’explique alors principalement par le rôle des agents politiques et économiques y ayant eu intérêt, tels que les banques centrales, les organisations internationales (McNamara, 2002).
23Ensuite, le modèle d’organisation économique et monétaire allemand a joué un rôle prépondérant dans la construction de l’UEM et dans la définition du modèle de banque centrale sur lequel s’est construit la BCE (McNamara, 1998). Ce modèle a été construit sur une version particulière du néo-libéralisme, l’ordo-libéralisme, qui se caractérise par une rupture avec les illusions du laisser-faire en définissant un interventionnisme libéral (Audier, 2012).
24Cette rupture se retrouve dans les critiques émises par les économistes américains lors de la création de l’euro qui portaient sur la fragilité d’un système économique basé sur les règles et le droit (Jonung, Drea, 2010). Cette singularité se retrouve aussi dans le niveau plus élevé d’indépendance de la BCE [11] que celui de la Fed, et d’autre part, dans la priorité de l’objectif de stabilité des prix dans ses missions [12] alors que la Fed doit aussi composer avec un objectif de soutien à la croissance.
25L’ordo-libéralisme [13] s’est construit en Allemagne lors de l’après-guerre en réaction aux épisodes de l’hyper-inflation pendant les années 1920 et des Mefo Bunds [14], considérés comme les facteurs de l’émergence du pouvoir nazi [15]. Ces épisodes ont permis aux ordo-libéraux de construire leur champ d’adversité : les interventions de l’État dans l’économie amènent à la croissance de l’État et, par-là, au nazisme (Foucault, 2004, p. 119). Pour les ordo-libéraux, le rôle de l’État se résume alors à accompagner de bout en bout l’économie de marché, sans fausser ses mécanismes, par des actions régulatrices et par des actions ordonnatrices.
26Les actions régulatrices consistent à intervenir sur les conditions du marché, et non sur les mécanismes des marchés, et doivent avoir comme objectif principal la stabilité des prix, tous les autres objectifs ne pouvant venir qu’en second plan (Foucault, 2004, p. 144). Le lien avec l’objectif prioritaire de la BCE est évident et les règles du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) peuvent aussi se comprendre à travers l’objectif de stabilité des prix, les déficits fiscaux pouvant mener à des tensions inflationnistes.
27Les actions ordonnatrices ont pour fonction d’intervenir sur les conditions du marché de manière plus structurelle : l’État intervient sur le cadre des politiques publiques (et non pas sur le prix des biens), soit les éléments non économiques de l’économie. Ces objectifs sont visibles à travers l’attention accordée par les dirigeants européens sur les réformes structurelles depuis le début des années 2000.
28Les auteurs ordo-libéraux n’ont pas écrit de manière précise sur le statut et les missions à accorder aux banques centrales, mais leur conception du rôle de la monnaie montre pourquoi la création de la BCE a été influencée par ces principes (Dehay, 1995). Ainsi, la volonté d’assurer la stabilité des prix pour permettre la mise en place d’un système concurrentiel ne peut se faire qu’en séparant dans le droit les responsabilités des politiques monétaires et économiques. Bien que la banque centrale doive être également en possibilité de limiter l’utilisation du crédit par les banques de second rang, c’est davantage l’utilisation de la monnaie par l’État qui est redoutée par les auteurs ordo-libéraux, pour qui elle est la source principale de l’inflation.
29L’ordo-libéralisme se distingue alors des autres composantes du néo-libéralisme dans la mesure où les interventions étatiques peuvent être aussi intenses dans le cadre des politiques ordo-libérales que dans celui des politiques keynesiennes classiques, mais avec des objectifs différenciés, tandis que les autres néo-libéraux en appellent à la diminution du rôle de l’État. Bien que les principes ordo-libéraux ne touchent pas toutes les composantes de l’UEM [16], ces principes se sont cristallisés dans les règles principales de gouvernance de ce système économique. La division stricte des responsabilités entre politiques monétaires et économiques et la limitation des possibilités d’endettement étatique sont autant d’exemples de la méfiance de la pensée ordo-libérale envers l’exécutif, contrepartie d’une confiance plus élevée envers les pouvoirs des agences indépendantes, judiciaires et économiques.
30Au-delà des statuts légaux, ces influences idéelles ont aussi mené la BCE à jouer un rôle spécifique lors des dix premières années d’existence de la zone euro. Depuis sa création, la BCE a toujours cherché à diffuser le modèle ordo-libéral auprès de ses partenaires et à faire respecter les règles du PSC auprès des États de la zone euro (Howarth, 2004). En effet, la légitimité de la BCE est principalement basée sur ses outputs, c’est-à-dire les résultats de ses politiques publiques (Scharpf, 1997), car son indépendance du pouvoir politique et les faibles contraintes de reddition de compte aux autorités démocratiques élues ne permettent pas une légitimation de son action par les inputs (De Haan, Eijffinger, 2000). Or, sa mission principale (la stabilité des prix) ne dépend pas seulement de ses politiques monétaires mais d’autres facteurs plus larges comme les systèmes de fixation de salaires (Hall, Franzese, 1998). Il est donc crucial pour la BCE que les autres acteurs de la zone euro partagent sa culture de stabilité des prix afin qu’elle puisse atteindre ses objectifs inscrits dans le traité de Maastricht qui fondent sa légitimé (et qui ont un impact sur sa réputation). Par ailleurs, dès lors que l’on accepte de considérer qu’une banque centrale est une institution politique ayant des intérêts propres qui se distinguent de la recherche de l’intérêt général, l’objectif politique central de la BCE est de conserver son niveau d’indépendance par rapport aux autorités élues (Forder, 2002). Or, celui-ci est lié de manière étroite aux conditions idéelles ayant permis sa création. La Banque a donc intérêt à ce que ces idées soient défendues et renforcées au sein des acteurs de la zone euro.
31La crise a cependant mis à mal cette défense monolithique du paradigme ordo-libéral par la BCE car certains de ses instruments, qu’elle a dû mettre en œuvre, déviaient de ses principes de manière significative. Elle a alors interprété le paradigme de manière suffisamment flexible afin d’adapter sa réputation originelle à ces nouvelles conditions économiques. Avant d’aborder cette dimension de son action politique, il faut préciser quelles ont été les tensions provoquées par la crise.
Les tensions provoquées par la crise
32La crise de la zone euro a engendré des tensions pour la BCE car elle a dû mettre en place des opérations monétaires hétérodoxes au vu de la pensée ordo-libérale tout en s’assurant que ce système de pensée ne soit pas remis en cause par les dilemmes provoqués par la déstabilisation des systèmes financiers.
33Les crises financières sont des événements récurrents dans les cycles économiques qui sont principalement dus à l’instabilité inhérente du mode de fonctionnement des marchés financiers et à la dérégulation financière (Kindleberger, Aliber, 2005). Les conséquences de ces événements pouvant être dramatiques pour l’organisation socio-économique des pays affectés, les autorités publiques ont alors mis en place des systèmes de stabilisation en cas de déclenchement d’une crise. Du fait de leur monopole sur la liquidité, les banques centrales occupent une place de premier plan au sein de ces systèmes : elles exercent un rôle de prêteur en dernier ressort (Schooner, Taylor, 2009). Le principe consiste à fournir aux banques la liquidité dont elles peuvent avoir besoin dans les situations de stress sur les marchés quand aucun autre prêteur ne veut ou ne peut le faire (Bagehot, 2011). Cette fonction est associée à la potentialité théorique pour la banque centrale d’étendre son bilan comptable de manière illimitée [17]. Cette potentialité théorique connaît néanmoins des limites pratiques car la création monétaire peut entraîner des tensions inflationnistes. De plus, la présence d’un prêteur en dernier ressort fait courir des risques d’aléa moral et peut contribuer à l’instabilité financière : si les banques commerciales savent qu’elles seront assistées par la banque centrale en cas de difficultés, celles-ci vont adopter un comportement plus risqué.
34Malgré l’importance des fonctions de prêteur en dernier ressort pour les banques centrales, le statut de la BCE sur ce sujet n’est pas explicite, le traité ne lui octroyant qu’un rôle d’assistance envers les autorités compétentes assurant la stabilité du système financier [18]. Ceci peut s’expliquer par l’influence de la Bundesbank sur l’architecture de la BCE, et par une volonté de réduire le risque d’aléa moral et les tensions inflationnistes en ne mentionnant pas ce rôle. Pourtant, lors de la première phase de la crise suivant la banqueroute de Lehman Brothers, la BCE n’a pas hésité à assumer ce rôle en offrant aux banques commerciales des liquidités tout en provoquant un accroissement de la base monétaire dans la zone euro [19] (Trichet, 2010).
35La deuxième phase de la crise est celle des dettes souveraines des pays de la zone euro qui commence par l’abaissement de la notation grecque par Fitch en décembre 2009. Malgré les interconnexions entre crises bancaires et souveraines [20] (Reinhart, Rogoff, 2009), la BCE va se concentrer dans un premier temps sur l’assistance au système bancaire et ne va pas engager des instruments spécifiques pour stabiliser les cours des dettes souveraines avant le SMP. En effet, pour les ordo-libéraux, la monétisation de la dette est un interdit au cœur du paradigme, et les décisions monétaires ne doivent pas se prendre en fonction de la situation fiscale d’un pays : la Bundesbank n’a d’ailleurs jamais racheté de bons du trésor. Encore une fois, la spécificité de l’influence ordo-libérale peut être remarquée ici, les autres banques centrales ne considérant pas le rachat des dettes souveraines comme un interdit comme le montre la mise en place de telles opérations par la Fed et la Banque d’Angleterre à un stade plus précoce de la crise.
36On peut alors comprendre les tensions provoquées par la crise pour la BCE : la contagion des difficultés de refinancement grecques a progressivement augmenté les possibilités de faillites étatiques et a menacé la stabilité entière de la zone. Étant donné que les dirigeants étatiques ne sont pas arrivés à s’accorder suffisamment rapidement sur des solutions pouvant diminuer ces risques de contagion, la Banque à dû mettre en place des instruments déviant des principes orthodoxes (comme le SMP). Les démissions de Jürgen Stark et d’Axel Weber montrent que cette déviation représente une tension aussi bien interne qu’externe pour la BCE qui peut menacer durablement sa réputation, voire son existence.
37Le deuxième risque auquel la BCE a été confrontée pendant la crise est celui de la remise en cause des idées ayant permis sa création. Selon Blyth (2002), les crises sont des moments particuliers qui permettent le changement. Du fait des situations d’incertitude élevée [21], ce qui constitue une crise économique n’est pas un phénomène évident, il a besoin d’être narré et expliqué aux agents qui sont impliqués. Les idées jouent alors un rôle décisif lors d’une crise économique car elles permettent aux agents de reconstruire une stabilité en temps de crise, elles aident les individus à comprendre leur rôle dans la division des tâches et elles offrent un plan directeur pour la transformation de l’environnement préexistant en expliquant aux acteurs comment adapter les anciens projets aux nouvelles circonstances (Blyth, 2002).
38Cette « construction sociale stratégique » de la réalité (Blyth et al., 2007, p. 748) est propice à la contestation du sens de concepts-clés et à leur redéfinition par des acteurs stratégiques cherchant à persuader leurs partenaires. En d’autres mots, la crise a provoqué des « dilemmes » (Bevir, 2002) pouvant provoquer le remplacement d’anciens réseaux de croyances par de nouveaux, suite à l’interprétation de nouveaux événements. Ce constat ne veut pas forcément dire qu’un changement paradigmatique se produira car les acteurs dominants dans un système politique essayent de contrôler le changement et les contestations en expliquant la crise avec des grilles de lecture idéelles renforçant les paradigmes déjà dominants. Le défi de la BCE a alors été de participer au cadrage des causes de la crise en ne donnant pas l’impression de s’éloigner des principes ordo-libéraux, afin d’éviter leur remise en cause et de préconiser une application plus stricte des solutions inspirées de ce paradigme (comme les réformes structurelles sur le marché du travail par exemple). L’adaptation de cette branche du néo-libéralisme a été facilitée par la structure même de ces idées, dont la flexibilité a été une des explications majeures de leur résilience pendant la crise (Schmidt, Thatcher, 2013).
39Lors de la crise de la zone euro, plusieurs narrations de la crise [22] se sont affrontées afin de définir la réponse que devaient apporter les dirigeants à celle-ci (Copeland, Scott, 2011 ; Matthijs, 2011). Ce sont les interprétations liées à la crise fiscale, budgétaire et de compétitivité qui ont dominé le processus de résolution de crise européen, bien que les activités du secteur privé bancaire et financier aient été à l’origine des déstabilisations (Blyth, 2013). Bien sûr, ceci est une simplification de la réalité car le cadrage de la crise n’a pas été uniforme et a évolué dans le temps. Ainsi, les questions liées à la croissance économique ont été réintroduites dans le débat européen, notamment au sommet du G20 tenu à Cannes en novembre 2011 (Beattie, 2011). De même, la réforme du système de régulation financière européenne en décembre 2009 peut être considérée comme les suites logiques d’une interprétation de la crise associée à l’instabilité des marchés.
40Cependant, dans aucun de ces cas, ces narrations ont été au cœur des conclusions des sommets intergouvernementaux qui ont rythmé le processus de résolution de crise car elles consistaient davantage en des concessions en parallèle de l’argumentation principale. Ainsi, les contreparties à l’assistance financière des pays n’arrivant plus à se refinancer sont inspirées de principes ordo-libéraux, le mécanisme européen de stabilité (MES) mène à davantage d’automaticité dans les sanctions en cas de dépassement fiscal et aucune conclusion des sommets intergouvernementaux n’a été actée sans un rappel aux principes de retour à l’ordre budgétaire et à la mise en œuvre des réformes structurelles.
41Une raison pouvant expliquer ce cadrage ordo-libéral tient dans les rapports de forces économiques entre les différents acteurs de l’UEM. Grâce à une analyse historique sur les rapports entre pays créditeurs et débiteurs, Dyson (2010) montre qu’en temps de crise, les premiers arrivent systématiquement à réécrire les règles de gouvernance d’un système politique donné en leur faveur et au détriment des seconds [23]. Son hypothèse est que les pays créditeurs, tels que la Finlande, les Pays-Bas et l’Allemagne, auront plutôt tendance à s’allier et à peser davantage dans le cadrage de la crise tandis que les autres pays débiteurs, comme la Grèce et le Portugal, forment un groupe distinct ayant une faible capacité de mise à l’agenda. Précisons que les croyances économiques dominantes dans les différents pays distinguent les acteurs de la même manière. En effet, le premier groupe des pays « vertueux » regroupent des élites économiques ayant une préférence marquée pour des politiques orthodoxes tandis que le deuxième groupe rassemble des acteurs aux positions davantage hétérodoxes.
42Le résultat de cette division est le pouvoir asymétrique des pays créditeurs lors de la gestion de la crise, processus qui a été marqué par le concept d’ambiguïté constructive [24] envers les pays débiteurs. Cette distinction analytique est la plus adéquate pour analyser les rapports de force et les stratégies d’alliances entre les acteurs de la zone euro pendant la crise et permet d’expliquer le cadrage spécifique de celle-ci selon des principes ordo-libéraux. Cette division explique aussi le défi que rencontre la BCE qui doit garder un niveau élevé de réputation auprès de ces deux groupes aux préférences opposées.
43Pour conclure, on peut constater que l’analyse du rôle des idées ne peut pas s’effectuer sans celle du rapport de force entre les acteurs. Celui-ci s’inscrit dans un cadre institutionnel spécifique marqué par la présence d’une organisation supranationale puissante et unifiée (la BCE) dans un système de gouvernance intergouvernemental morcelé, dominé par les pays créditeurs. La BCE s’est inscrite dans ce jeu de pouvoir en participant au cadrage de la crise selon une grille de lecture ordo-libérale (Fontan, à venir). La manière dont elle a géré ces tensions par son art du grand écart est analysée maintenant.
« L’art du grand écart » de la BCE : gérer les tensions liées à l’éloignement de l’orthodoxie monétaire
44Le jeu politique de la BCE pendant la crise a consisté à protéger et à adapter sa réputation originelle basée sur le modèle orthodoxe de la Bundesbank tout en mettant en œuvre ses instruments hétérodoxes de politique monétaire. Ce grand écart lui a alors permis de conserver un niveau de réputation élevé auprès des décideurs politiques de l’UEM.
Gérer les tensions auprès des audiences orthodoxes
45La crise a forcé la Banque à mettre en œuvre des instruments de politique monétaire destinés à stabiliser les cours des dettes souveraines des pays de la zone euro (comme le SMP). Le décalage entre ces instruments et les positions orthodoxes de politique monétaire (symbolisées par les décisions passées de la Bundesbank) a provoqué des tensions internes et externes importantes (cf. supra). Nous montrons ici que la BCE a pu gérer ces tensions par sa communication officielle et par l’instrumentation de sa politique monétaire.
46La BCE a d’abord cherché à défendre et adapter sa réputation ordo-libérale par sa communication en technicisant les enjeux de sa politique monétaire, en adaptant la notion de stabilité des prix à un environnement changeant, et en niant l’extension de ses responsabilités.
47Elle a d’abord voulu dépolitiser ses décisions hétérodoxes en technicisant leurs objectifs et leurs enjeux. Ainsi, le communiqué de presse faisant suite à la mise en œuvre du SMP [25] indique que le conseil des gouverneurs a pris une mesure technique afin de faire face aux dysfonctionnements apparus sur certains segments du marché interbancaire pouvant nuire à la transmission de sa politique monétaire. Pourtant, le SMP était clairement destiné à faciliter les conditions de refinancement des États en difficulté. De même quand la BCE choisit le 3 mai 2010 de ne plus prendre en compte la notation des bons du trésor grecs par les trois agences majeures dans ses opérations de refinancement [26], elle prend une décision politique car elle empêche une faillite du système bancaire grec et une exclusion de fait de la Grèce de la zone euro. Or, J.-C. Trichet précise que cette décision est seulement liée à l’analyse des conditions d’activation du mécanisme d’aide financière mis en place de manière simultanée par les pays de la zone euro [27]. Dans les deux cas, la BCE décide de justifier ses choix par des arguments techniques afin d’atténuer les tensions avec ses audiences ordo-libérales réfractaires à toute prise de décision monétaire ayant pour but de stabiliser les cours souverains [28].
48Ensuite, la Banque a cherché à adapter le concept de stabilité des prix afin de lier ses nouvelles actions avec ses missions inscrites dans le traité. À partir de l’intensification d’offres de liquidités en octobre 2008, elle va mettre en relation sa mission de stabilité des prix à la stabilité financière ; elle ne le faisait pas au préalable car les principes ordo-libéraux soutiennent que tout autre objectif que la stabilité des prix n’est pas désirable. Ainsi, dans la même phrase introductive de l’allocution du président de la BCE, la notion de stabilité financière a remplacé celle de pouvoir d’achat qui prévalait comme objectif de la stabilité des prix avant septembre 2008 [29].
49Dès novembre 2009, un autre enjeu va prendre une place de plus en plus importante dans la prise en compte des risques pesant sur la stabilité des prix, celui de la soutenabilité des finances publiques. La BCE fait un lien sans équivoque entre la réussite de la reprise de la zone euro et celle-ci, alors que les difficultés budgétaires des pays de la zone euro n’étaient pas encore une priorité politique [30]. La BCE revient ainsi à des thèmes classiques de sa communication et remémore qu’elle a été la seule institution à défendre le PSC en 2005.
50En assimilant l’avenir de la zone euro à celui des politiques des États membres (et non à ses politiques monétaires ou aux erreurs de jugement des marchés), elle définit le champ de la responsabilité de ses politiques monétaires de manière restrictive, conformément aux positions ordo-libérales bien que ses nouveaux instruments visent d’autres objectifs que la seule stabilité des prix. Ainsi, quand des questions se portent sur les programmes de rigueur mis en place dans les pays en difficulté, le président de la BCE fait systématiquement reposer tous les enjeux sur leur mise en œuvre plutôt que le contenu de ceux-ci [31]. De même, la stabilité financière, qui fait pourtant partie de ses missions, n’est pas considérée comme dépendante des politiques de la BCE [32].
51Pour la BCE, la réponse aux problèmes de stabilité financière est nationale et européenne. Sur le plan national, elle consiste à rétablir l’équilibre budgétaire et à implémenter des réformes structurelles [33]. Sur le plan européen, la Banque réclame l’automaticité des sanctions en cas de dépassement de la limite du déficit budgétaire [34] et l’absence de défauts « non-volontaires » sur dettes des pays en difficulté. Elle participe ainsi au cadrage ordo-libéral de la crise et nie toute responsabilité dans les tensions pesant sur la zone euro.
52La deuxième manière dont la BCE a protégé sa réputation auprès de ses audiences ordo-libérales s’est effectuée par l’instrumentation de sa politique monétaire.
53Ceci est d’abord visible à travers trois aspects du SMP : l’absence de publicité des titres achetés, l’envergure modeste du programme et sa stérilisation.
54Tout d’abord, la seule précision sur le SMP actualisée régulièrement par la BCE concerne le montant hebdomadaire des titres achetés, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’annonce officielle montrant quels sont les segments des marchés de dettes souveraines sur lesquels elle intervient alors que ses achats concernent d’abord les dettes des pays en difficulté (Milne, 2011) [35]. En effet, la publicisation de la composition des achats serait une reconnaissance officielle de la mise en place du programme pour supporter les pays en difficulté de la zone euro alors qu’il a été présenté comme une mesure technique.
55Ensuite, le total des achats effectués par l’instrument du SMP est modeste, comme le montre la comparaison avec ceux des autres banques centrales.
Total des achats de bons du trésor par les banques centrales pendant la crise en % du PIB
Total des achats de bons du trésor par les banques centrales pendant la crise en % du PIB
56Pourtant, la volonté de la BCE de minimiser l’utilisation du SMP peut mener à une efficience économique réduite pour le SMP. En effet, l’efficacité d’un programme de rachat de titres par une banque centrale tient à deux facteurs : il faut que sa taille soit suffisante pour entraîner les participants aux marchés financiers à s’aligner sur sa position et il faut qu’ils soient convaincus que la banque centrale continuera ses achats jusqu’à ce que les taux soient stabilisés. L’utilisation prudente du SMP, caractérisée par un faible montant des achats et une discontinuité des interventions, qui sont plus réactives que proactives, nuit alors à son efficience mais permet à la BCE de protéger sa réputation auprès des audiences ordo-libérales.
57La dernière caractéristique montrant la volonté de la Banque de protéger sa réputation lors de l’utilisation du SMP est sa stérilisation. Cette opération consiste à retirer un montant de liquidités sur le marché monétaire équivalent au total des achats sur les marchés secondaires afin d’éviter les accusations possibles d’assouplissement quantitatif [36] associées à l’utilisation de cet instrument. Cependant, la stérilisation du SMP est essentiellement une mesure symbolique destinée aux audiences orthodoxes de la banque plutôt qu’une condition de la réussite du programme, comme le montre la réussite des autres programmes de rachat anglais et américains qui n’étaient pas stérilisés (Alloway, 2010). La controverse principale est liée à l’inutilité in fine de ces opérations quand elles sont conduites de manière parallèle avec les autres opérations de refinancement de la BCE envers les banques commerciales à plafond illimité. En clair, ce que la Banque retire comme liquidité d’une main, elle le fournit de l’autre par d’autres instruments de politique monétaire.
58Les tensions provoquées par le SMP sur ses audiences ordo-libérales sont visibles à travers les actes de démission des deux banquiers centraux allemands du Conseil des gouverneurs et du directoire de la BCE (cf. supra), les critiques du président allemand qui a comparé le programme d’achat aux Mefo bunds (Sauga, 2010), et à la lecture des journaux orthodoxes allemands qui évoquent une américanisation de la politique monétaire (Atkins, 2010a).
59Afin de diminuer ces tensions, la BCE a préféré répondre à l’aggravation de la crise des dettes souveraines, lors de l’été 2011, en élargissant l’offre de liquidités aux banques par la mise en place de deux opérations de refinancement à long terme de trois ans (LTRO) plutôt que par une extension des achats par le SMP. Les deux opérations de LTRO mobilisent respectivement des montants de 489 et de 529,5 milliards d’euros, soit près de 9 % du PIB de la zone euro. L’accès facilité à la liquidité permet alors aux banques commerciales de réduire les tensions sur les marchés de dettes souveraines en achetant des bons du trésor grâce aux opérations de carry-trade [37].
60L’extension de cette politique comprend aussi des risques sur la réputation de la BCE mais ceux-ci sont atténués par rapport à ceux pouvant être engendrés par une augmentation des achats par le SMP. L’intermédiation des banques commerciales entre l’offre de liquidités par la BCE et la stabilisation des marchés de dette souveraine, atténue les risques de perception de monétisation de la dette publique par les audiences orthodoxes de la Banque. Pourtant, les montants engagés dans les opérations de LTRO et la qualité des actifs détenus suite à celles-ci montrent que ces instruments comportent plus de risques comptables que le SMP [38]. Ce sont donc les risques pesant sur la réputation de la BCE auprès de ses audiences ordo-libérales qui déterminent ce choix. On peut aussi constater un traitement différencié des risques de déstabilisation lors de l’accès facilité aux liquidités des banques de second rang, en comparaison avec les opérations de rachat des titres souveraines. En effet, quand celles-ci sont limitées et accompagnées de l’imposition de plans d’austérité, il n’existe pas de contreparties contraignantes dans les opérations menées avec le secteur bancaire. Ce phénomène correspond aux idées ordo-libérales qui estiment que le financement de la dette étatique provoque un risque inflationniste plus élevé qu’une abondance de liquidités pour le secteur bancaire (cf. supra).
61Finalement, il est difficile de décrire quelle aurait pu être une réponse correspondant aux principes ordo-libéraux à une crise de cette ampleur car la Bundesbank n’a jamais eu à faire face à une telle situation et les auteurs ordo-libéraux n’ont pas écrit sur le processus de résolution de crise. L’enjeu pour la BCE était plutôt de faire en sorte que ses instruments monétaires puissent à la fois stabiliser la zone euro tout en minimisant les tensions avec ses audiences ordo-libérales. D’un point de vue interne, malgré la démission des deux représentants de l’orthodoxie et des frictions récurrentes avec la Bundesbank, le directoire est arrivé à garder le contrôle du Conseil des gouverneurs et de la prise de décision monétaire. Il reste maintenant à analyser l’évolution des perceptions des dirigeants politiques de la zone euro sur la BCE grâce aux entretiens menés au sein du CEF.
L’évolution des perceptions sur la BCE au sein du CEF
62L’évolution des perceptions des membres du Comité économique et financier (CEF) sur la BCE montre que sa réputation a été renforcée pendant la crise grâce à une combinaison paradoxale de ses positions passées et de l’implémentation de mesures hétérodoxes.
63D’abord, les positions passées de la Banque lui ont permis de renforcer sa réputation auprès des représentants des pays créditeurs. En effet, ces acteurs considèrent que la BCE est la seule institution ne pouvant souffrir d’aucun reproche en matière d’orthodoxie économique comme le montre un extrait d’entretien avec un membre du CEF :
« Qui a la crédibilité ? La BCE, car ils ont eu des gens qui étaient très impopulaires comme Jürgen Stark. Stark se mettra toujours en face de vous quand vous avez des déficits budgétaires et vous dira “ceci est une catastrophe totale, regardez, vous avez tout mis sens dessus-dessous”. La Commission balbutiera. Dans deux ans, la BCE peut s’asseoir, regarder en arrière et dire : ça a été une très bonne crise [39]. »
65Le cadrage ordo-libéral de la crise et le caractère récurrent des fraudes fiscales grecques ont accentué la saillance des positions passées de la Banque, telles que la défense stricte des règles du PSC. En effet, les réactions des électorats des pays créditeurs et la volonté de réélection de leurs dirigeants amènent à donner des gages à ceux-ci par l’imposition de conditions d’austérité strictes comme l’a montré l’exemple des élections régionales allemandes lors du week-end du 9 mai 2010 (Wittrock, 2010). Dans ce contexte, la position inflexible et intemporelle de la BCE a renforcé les perceptions positives des dirigeants déstabilisés par l’incertitude entourant les possibilités de contagion de la crise budgétaire. Précisons que ce constat est paradoxal dans la mesure où les politiques monétaires de la BCE ont été le principal facteur de formation des bulles immobilières pendant la crise (Ahrend et al., 2008). Ce phénomène révèle que les erreurs de perceptions jouent un rôle crucial dans la construction de la réputation d’une organisation.
66La réputation orthodoxe de la BCE lui a aussi permis d’enrôler l’opposition des pays créditeurs dans les solutions de résolution de crise et ainsi de renforcer sa réputation auprès du groupe de pays débiteurs. En effet, la mise en place de structures pour répondre à la crise comme le Fonds européen de stabilité financière (FESF) a longtemps été bloquée par la réticence des pays créditeurs, et de l’Allemagne en particulier, à y participer (Peel, 2010). Or, du fait de sa réputation orthodoxe, la BCE a été le seul acteur de l’UEM à pouvoir convaincre les représentants allemands d’offrir des solutions financières aux pays en difficulté. Afin de ne pas se retrouver seule à combattre les risques de propagation de la crise au reste de la zone euro, la BCE avait ainsi intérêt, à partir du moment où elle reconnaissait la gravité de la crise, à ce que les autres acteurs de l’UEM mettent des solutions d’ordre fiscal en place comme en témoigne cet extrait d’entretien avec un agent du CEF :
« Q : Quelle était la position de la BCE sur le FESF ?
A : Ils ont été très enthousiastes sur la création du FESF, ils ont eu un rôle important à pousser les gouvernements, notamment l’Allemagne. Vous avez vraiment besoin d’une institution qui est suffisamment crédible par rapport aux autres pour dire que c’est maintenant que nous avons besoin de faire ceci.
Q : Vous voulez dire, suffisamment crédible pour amener les Allemands dans le projet ?
A : Oui, vous avez besoin d’une institution stable sur laquelle vous reposer, un îlot de stabilité [40]. »
68Cette information est confirmée par deux autres entretiens avec des membres du CEF :
« La BCE a changé son approche plus tôt [que l’Allemagne], Trichet est allé à Berlin pour les convaincre [41]. Les membres allemands du comité [du CEF] disaient qu’il n’y avait qu’une seule personne que Merkel écouterait et que c’est Trichet, personne d’autre. Pas Sarkozy, et surtout pas Barroso. S’ils avaient dit “surtout ne faites rien”, peut-être qu’ils l’auraient fait ! À la fin, c’est Trichet qui a dit, “on y est, il faut le faire maintenant” [42]. »
« La BCE a eu un rôle c’est certain, les Allemands sont toujours en train d’écouter la BCE même si leurs positions divergent de plus en plus. […] En mai quand nous nous sommes éloignés de l’orthodoxie traditionnelle, durant ce week-end, l’Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas ont été ramenés à bord par la BCE, mais celle-ci avait besoin d’une bonne raison de le faire [43]. »
71Enfin, les positions passées de la BCE ne sont pas suffisantes pour expliquer la protection de sa réputation ; il fallait que ses politiques monétaires soient perçues comme suffisamment flexibles par rapport au paradigme ordo-libéral pour répondre à la situation exceptionnelle provoquée par la crise. L’importance de cet équilibre pour les décideurs politiques est exposée dans cet extrait d’entretien avec un membre du CEF :
« Si la BCE était restée sur sa ligne d’orthodoxie, ça n’aurait pas été efficace et elle aurait perdu de sa crédibilité. L’orthodoxie c’est bien en temps normal, mais pas en temps exceptionnel. Il y a une frontière étroite entre la gestion et le leadership. La gestion c’est quand vous suivez la procédure, les règles et le travail ordinaire, le leadership c’est quand vous comprenez que le monde a changé, qu’il y a des nouvelles règles et que vous avez besoin d’un nouveau modèle. C’est une bonne chose que la BCE ait su adopter un comportement de leader [44]. »
73Une dernière confirmation de la bonne réception du grand écart de la BCE est illustrée par cet extrait d’entretien avec un autre membre du CEF :
« Trichet a été très bon étant donné qu’il a été orthodoxe quand il fallait l’être et flexible quand il devait l’être tout en ne perdant pas son statut d’orthodoxie, c’était très subtil [45]. »
75Il ne s’agit pas ici de juger du bien-fondé des perceptions des membres du CEF sur la BCE mais seulement de remarquer qu’elle est arrivée à protéger sa réputation auprès de l’ensemble d’entre eux. En effet, son action aurait été vivement critiquée si elle ne s’était pas suffisamment éloignée des positions ordo-libérales et avait ainsi contribué à une déstabilisation plus poussée de la zone en n’intervenant pas sur les marchés de dette souveraine. La combinaison de la répétition de valeurs ordo-libérales et les gages donnés dans l’instrumentation de sa politique monétaire malgré son éloignement des principes orthodoxes permet à la BCE de protéger et d’adapter sa réputation auprès de ses audiences scindées en deux groupes aux intérêts pourtant opposés.
Conclusion
76L’analyse constructiviste de la BCE pendant la crise révèle que les termes légaux du contrat de délégation ne sont pas suffisants pour comprendre l’ensemble des contraintes et des marges de manœuvre, dont elle a pu disposer. En effet, l’altération des frontières entre les politiques économiques et monétaires pendant une crise économique empêche l’analyse de son action au prisme de son mandat originel. En faisant le lien entre les idées économiques ayant permis sa création, sa communication et l’instrumentation de sa politique monétaire, cet article a montré que la BCE n’est pas restée prisonnière de la crise grâce à son art du grand écart. Précisons que la réussite de cette stratégie politique a aussi été permise par les particularités institutionnelles de la gouvernance de l’UEM en temps de crise qui ont renforcé une organisation supranationale unifiée (la BCE) dans un système intergouvernemental morcelé.
77Toutes les crises se dévoilent progressivement et à l’heure d’écrire cet article, il n’est pas possible de connaître toutes les conséquences de la plus grande période de turbulences que l’euro ait connu depuis sa création. L’effort déployé par la BCE pour protéger les principes économiques orthodoxes, et ainsi empêcher un changement idéel malgré l’apparition d’anomalies, a des conséquences concrètes sur les populations et les comportements électoraux dans la zone euro. En effet, l’imposition de plans d’austérité dans les pays secourus financièrement ignore la logique des alternances gouvernementales, provoque une apathie politique et nuit au projet de construction européenne (Scharpf, 2011 ; Streeck, Schäfer, 2013).
78Par ailleurs, la place de plus en plus centrale de la BCE dans la gouvernance de la zone euro contraste fortement avec son niveau d’indépendance élevé. Pour le moment, le maintien de sa réputation auprès de l’ensemble des acteurs de la zone euro lui permet d’éviter une remise en cause de son statut, mais ce phénomène récurrent des crises financières peut se développer lors de séquences ultérieures (Goodhart, 2010 ; Singleton, 2010). Le modèle constructiviste qui permet d’expliquer comment la BCE a pu renforcer les positions économiques orthodoxes dans la zone euro pendant la crise pourrait alors expliquer un éventuel affermissement de ceux-ci et une redéfinition de son statut.
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Mots-clés éditeurs : Banque Centrale Européenne, ordo-libéralisme, constructivisme stratégique, crise de la zone euro
Mise en ligne 02/07/2014
https://doi.org/10.3917/gap.142.0103Notes
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[1]
Précisons dès maintenant que l’orthodoxie monétaire consiste en une focalisation exclusive de la banque centrale sur un objectif de stabilité des prix, au détriment de ses autres missions, et d’un degré d’indépendance élevé par rapport aux autorités politiques (Issing et al., 2001). En cela, elle se rapproche des idées ordo-libérales (cf. infra).
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[2]
L’enceinte où se déroule la prise de décision au sein du Système européen des banques centrales (SEBC).
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[3]
De 2004 à 2011.
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[4]
FTSE All-world index.
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[5]
Il faut entendre par là une étude du paramétrage de ses instruments, de leur utilisation et de leurs conséquences (Lascoumes, Le Galès, 2007).
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[6]
Les entretiens des membres du CEF ont été effectués dans le cadre de ma thèse. Les extraits présentés ici sont une réponse aux questions « Il y a dix ans, auriez-vous pu imaginer la BCE développer ses politiques actuelles ? » et « Avez-vous été surpris par la réponse de la BCE à la crise ? ». Le CEF est une arène cruciale dans la gouvernance de la zone euro car il est le comité qui prépare aux réunions des Conseils Ecofin et Européen afférents à la gestion de la crise.
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[7]
Traduction approximative de la notion d’accountability.
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[8]
« Reputation is viewed as a set of symbolic beliefs about an organization, beliefs embedded in multiple audiences […]. Reputation built regulatory power in all of its facets. And power, once possessed, has been used and managed in ways that maintain reputation, and hence power itself » (ma traduction).
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[9]
« Asset ».
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[10]
Sur cette notion, voir Nay (1997, p. 18). Il précise ainsi que les acteurs sont tenus d’apprendre leurs rôles respectifs (qui ne sont pas forcément définis officiellement) au sein d’une institution, définie comme « un ensemble de valeurs, de modèles de conduites et d’usages dominants dans un espace-temps, qui par leur stabilité et leur récurrence, orientent à la fois les pratiques individuelles des acteurs sociaux et la structuration des activités collectives auxquelles ils prennent part ».
-
[11]
Article 130 du TFUE.
-
[12]
Article 127 du TFUE.
-
[13]
Parmi les auteurs ordo-libéraux principaux, notons l’influence de W. Röpke, A. Rüstow ou W. Eucken.
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[14]
Procédé par lequel la banque centrale finançait de manière détournée le réarmement allemand (Singleton, 2010, p. 76).
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[15]
Précisons pourtant que les phénomènes inflationnistes allemands ont été davantage causés par une volonté gouvernementale d’éviter de payer les réparations financières à la France qu’à une manipulation délibérée de la monnaie ; c’est pourtant l’interprétation ordo-libérale qui a été dominante (Blyth, 2013).
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[16]
La déréglementation des secteurs énergétiques liée à la création du marché unique ne rentre pas dans le cadre de l’ordo-libéralisme par exemple.
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[17]
C’est le processus de création monétaire et la forme moderne de l’expression imagée de « planche à billets ».
-
[18]
Articles 127(5) et (6) du TFUE.
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[19]
Selon les ordo-libéraux un accroissement de la base monétaire entraîne celui de la masse monétaire et engendre alors des tensions inflationnistes.
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[20]
Celles-ci sont dues aux opérations de recapitalisation du système bancaire mais aussi à la détention des bons du trésor par les banques commerciales.
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[21]
Une situation d’incertitude peut se définir en reprenant la distinction entre risque et incertitude (Knight 2006). Le risque est un événement dont les possibilités d’existence peuvent être calculées selon une méthode probabiliste tandis que l’incertitude se caractérise par une impossibilité d’établir des scénarios futurs.
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[22]
Parmi celles-ci, on peut citer le rôle de ses caractéristiques institutionnelles originelles, du non-respect des règles du PSC, des problèmes de compétitivité, de la compression des salaires en Allemagne et l’instabilité des marchés.
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[23]
La division entre pays créditeurs et débiteurs reflète l’accumulation de problèmes internes de compétitivité dans un système intégré de gouvernance macro-économique tel que la zone euro.
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[24]
Ce concept signifie que les pays créditeurs ne sont pas sûrs que les pays débiteurs mettent effectivement en place des plans de sauvetage. Il est tiré des travaux de Bagehot sur le prêteur en dernier ressort qui doit adopter un tel comportement pour éviter les risques d’aléa moral.
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[25]
Communiqué de presse de la BCE, « ECB Decides on Measures to Adress Severe Tensions in Financial Markets », Francfort, 10 mai 2010.
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[26]
Communiqué de presse de la BCE « ECB Announces Change in Eligibility of Debt Instruments Issued or Guaranteed by the Greek Government », Francfort, 3 mai 2010.
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[27]
Conférence de presse de J.-C. Trichet, Francfort, 8 avril 2010.
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[28]
Pour ces audiences, ce type de décisions s’apparente à une monétisation de la dette publique.
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[29]
« The Governing Council wil continue to keep inflation expectations firmly anchored in line with its mediumterm objective. In so doing, it supports sustainable growth and employment and contributes to financial stability », Conférence de presse de J.-C. Trichet, Bruxelles, 4 décembre 2008, nous soulignons.
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[30]
« Many euro area governments are faced with high and sharply rising fiscal imbalances. If not addressed by a clear and credible exit strategy, this could seriously risk undermining public confidence in the sustainability of public finances and the economic recovery. The very large government borrowing requirements carry the risk of triggering rapid changes in market sentiment, leading to less favorable medium and long-term interest rates », Conférence de presse de J.-C. Trichet, Venise, 8 octobre 2009.
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[31]
« There is a plan, and we cal for the implementation of the plan ! That’s al to say, ful stop ! », Conférence de presse de J.-C. Trichet, Helsinki, 5 mai 2011.
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[32]
« However, it is clear that – as I have said many times – the responsibility for maintaining financial stability and orderly financial conditions lies first and foremost with national economic policies », Conférence de presse de Mario Draghi, 3 novembre 2011.
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[33]
« The main pilar of this is the national economic policy response, which is made up of two components : first, put your public finance in order and, second, undertake structural reforms », Conférence de presse de Mario Draghi, 3 novembre 2011.
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[34]
« More recently, we have been caling for quasi-automaticity, reinforcing sanctions very substantially. I have been asking for a quantum leap », Conférence de presse de J.-C. Trichet, Francfort, 2 décembre 2010.
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[35]
Précisons que les analystes financiers arrivent à déterminer la provenance des achats, ce qui montre que cette mesure est seulement symbolique.
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[36]
« Quantitative easing », ce phénomène est un facteur d’inflation pour les ordo-libéraux.
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[37]
L’opération de carry-trade équivaut pour une banque commerciale à contracter un prêt à la banque centrale à un taux d’intérêt inférieur à celui lié à la détention de la dette souveraine. La plus-value qu’offre la différence de taux d’intérêt est appelée le carry-trade.
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[38]
Les bons du trésor sont considérés comme des actifs plus sûrs que les autres titres financiers.
-
[39]
Entretien 1 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.
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[40]
Entretien 2 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.
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[41]
L’enquêté fait ici référence à la visite de J.-C. Trichet au Bundestag en amont de l’accord sur l’aide destinée à la Grèce le 3 mai 2010.
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[42]
Entretien 1 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.
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[43]
Entretien 3 avec un membre du CEF, Bruxelles, octobre 2010.
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[44]
Entretien 2 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.
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[45]
Entretien 3 avec un membre du CEF, Bruxelles, novembre 2010.