Notes
-
[1]
M. Lipsky (1980), Street-Level Bureaucracy. Dilemmas of the Individual in Public Services, New York (N. Y.), Russell Sage Foundation.
-
[2]
Parmi les ouvrages de référence : M. Crozier (1963), Le Phénomène bureaucratique, Paris, Seuil ; F. Dupuy, J.-C. Thoenig (1985), L’Administration en miettes, Paris, Fayard.
-
[3]
Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer quelques-uns de ces travaux les plus saillants : J.-M. Weller (1999), L’État au guichet. Sociologie cognitive du travail et modernisation administrative des services publics, Paris, Desclée de Brouwer ; P. Warin (2002), Les Dépanneurs de justice. Les « petits fonctionnaires » entre qualité et équité, Paris, LGDJ.
-
[4]
G. Jeannot, I. Joseph (dir.) (1995), Métiers du public : les compétences de l’agent et l’espace de l’usager, Paris, Éditions du CNRS.
-
[5]
Pour n’en citer que quelques-uns : V. Dubois (1999), La Vie au guichet, Paris, Economica ; A. Spire (2005), Étrangers à la carte. L’administration de l’immigration en France (1945-1975), Paris, Grasset ; Y. Siblot (2006), Faire valoir ses droits au quotidien. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences Po.
-
[6]
V. Dubois (2007), « État social actif et contrôle des chômeurs : un tournant rigoriste entre tendances européennes et logiques nationales », Politique européenne, 21 (1), p. 73-95.
-
[7]
Pour une étude empirique des effets de cette réforme dans l’État de New York, voir F. Viguier (2001), « L’Amérique, ça marche. Note sur une agence d’emploi privé à New York », Actes de la recherche en sciences sociales, 138 (3), p. 66-72.
-
[8]
M. Crozier (1963), Le Phénomène bureaucratique, Paris, Seuil.
-
[9]
P. Blau [1962](1972), The Dynamics of Bureaucracy: A Study of Interpersonal Relations in Two Government Agencies, Chicago (Ill.), University of Chicago Press.
-
[10]
P. Selznick [1949](1980), TVA and the Grass Roots: A Study of Politics and Organization, Berkeley (Calif.), University of California Press.
-
[11]
M. Lipsky (1980), Street-Level Bureaucracy.
-
[12]
V. Dubois (1999).
-
[13]
A. Swidler (1986), « Culture in Action: Symbols and Strategies », American Sociological Review, 51 (2), p. 273-286.
-
[14]
Y. Siblot (2003), « Les relations de guichet : interaction de classes et classements sociaux », Lien social et politiques, 49, p. 183-190.
-
[15]
Elle se situe à cet égard dans la continuité de l’ouvrage de G. Lewis (2000), « Race », Gender Social Welfare: Encounters in a Postcolonial Society, Cambridge, Polity Press.
-
[16]
R. Brubaker, F. Cooper (2000), « Beyond “Identity” », Theory and Society, 29, p. 1-47.
-
[17]
L’étude de référence en la matière est celle de K. Crenshaw (1989), Demarginalising the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics, Chicago (Ill.), University of Chicago Legal Forum.
-
[18]
Sur cet aspect, on se permet de renvoyer à M. Cartier, A. Spire (2011), « Approches générationnelles du politique », Politix, 96 (4), p. 7-15.
Celeste Watkins-Hayes (2009) The New Welfare Bureaucrats: Entanglements of Race, Class, and Policy Reform Chicago (Ill.), University of Chicago Press
1Si le travail bureaucratique obéit à certaines routines, l’écriture académique en sciences sociales a également les siennes : celle qui consiste, lorsqu’il est question d’agents subalternes de l’administration ou de mise en œuvre des politiques publiques, à faire systématiquement référence à l’ouvrage de Michael Lispky [1], en est une parmi d’autres. Incontestablement, la catégorie de street-level bureaucrat a ouvert des pistes de recherche, mais elle n’en reste pas moins discutable, notamment parce qu’elle englobe dans un même ensemble tous les agents qui sont en contact direct avec des clients ou des usagers (travailleurs sociaux, enseignants, juges ou policiers). En France, les travaux sur les petits fonctionnaires en contact avec le public sont nombreux à se référer aux intuitions développées par Lipsky, tout en l’utilisant dans des perspectives théoriques assez différentes. Les uns, dans la continuité de la sociologie des organisations [2], s’intéressent de façon privilégiéeaux marges de manœuvre dont disposent les street-level bureaucrats pour arranger les règlements à chaque situation singulière [3] ou pour les adapter en situation d’interaction [4]. Les autres, plus attentifs à la question des inégalités au guichet, appréhendent la capacité d’action des agents subalternes comme la manifestation d’une relation dissymétrique et d’un rapport de domination bureaucratique [5].
2Sans se positionner par rapport à ces travaux français qui restent encore méconnus outre-atlantique, l’ouvrage de Celeste Watkins-Hayes se donne pour objectif de renouveler la problématique initiée par Michael Lipsky en l’étayant par une belle enquête ethnographique dans deux services sociaux déconcentrés (welfare local officies) du Massachussetts aux États-Unis. Centrant son attention sur les « agents de l’État-providence » (welfare bureaucrats), cette enseignante de sociologie à l’université de Northwestern choisit de s’intéresser à leur identité professionnelle, leur pouvoir discrétionnaire et à la configuration locale dans laquelle ils évoluent.
3Pour entrer dans le vif du sujet, Celeste Watkins-Hayes débute son ouvrage par une scène de la vie quotidienne dans un bureau d’aide sociale, dans un contexte politique comparable à celui que nous connaissons en Europe. Tout au long des années 1990, la volonté affichée par les pouvoirs publics étasuniens d’aider les personnes en difficulté à s’insérer sur le marché du travail, a été de plus en plus contrebalancée par le soupçon que les bénéficiaires de ces aides « n’abusent » en cherchant à obtenir plus que ce qu’ils sont en droit de recevoir. Sur le vieux continent, cette antienne a pris la forme d’une croisade contre les « faux chômeurs » et d’une valorisation systématique d’un « État social actif » [6]. Aux États-Unis, le redéploiement du Welfare State s’est accompagné d’une restructuration de ses modes d’intervention. À cet égard, l’adoption en 1996 par le président Clinton de la loi Personal Responsability and Work Opportunity Reconciliation Act (PRWORA) marque une étape importante : elle confie aux États la responsabilité de mettre en place et de gérer comme ils l’entendent les programmes d’aide sociale [7]. L’objectif de l’ouvrage n’est pas d’évaluer les effets induits par le PRWORA mais d’utiliser cette réforme pour comprendre comment la gestion de la question sociale est étroitement liée aux changements institutionnels qui en organisent les modalités. Prenant le contrepied de la majorité des travaux portant sur la modernisation de l’État et les transformations de l’administration, Celeste Watkins-Hayes entend montrer l’importance des street-level bureaucrats dans l’évolution des politiques sociales à destination des populations les plus fragiles. Pour elle, le pouvoir discrétionnaire dont disposent ces soutiers des politiques publiques, dépend à la fois du groupe social auquel ils appartiennent (formulé en termes de race, de genre et de communauté de résidence) et de l’identité professionnelle qu’ils revendiquent. Au-delà de la description du travail quotidien de ces agents, l’enjeu est d’expliquer leurs pratiques et les variations d’interprétations concernant leur mission d’assistance.
4Inscrivant sa méthodologie dans la continuité des travaux de Michel Crozier [8], Peter Blau [9], Philip Selznick [10] et bien sûr Michael Lipsky [11], Celeste Watkins-Hayes a mené une enquête ethnographique de longue durée, entre 2000 et 2001 puis en 2006-2007, dans deux services sociaux de deux localités aux caractéristiques sociales bien distinctes (le détail du protocole d’enquête et des matériaux recueillis est précisé en annexe, ce qui est plutôt rare dans les ouvrages américains sur ce type de sujet). Le premier se trouve à Staunton, une ville à forte densité de population et socialement diversifiée où plusieurs bureaux ont été fusionnés en un seul service au sein duquel les minorités sont largement représentées. Le second se trouve à Fishertown, une ville moyenne de zone rurale qui était auparavant un lieu d’attache pour une immigration européenne et asiatique. Dans ces deux services soumis aux mêmes règles et à des structures organisationnelles comparables, l’auteure a observé les interactions au guichet, les réunions et a réalisé une soixantaine d’entretiens approfondis avec des guichetiers, des administrateurs et des superviseurs ; elle a également enquêté dans la salle d’attente, pour observer la situation du point de vue des usagers et recueillir leurs impressions. Elle a enfin consulté des documents d’archives de ces deux services pour compulser des informations sur les réformes organisationnelles et la diffusion de certaines normes professionnelles.
5Pour rendre intelligible la position de ces services sociaux, Celeste Watkins-Hayes forge le concept de « bureaucratie attrape tout » (catch all bureaucracies), non pas parce que les prestations y sont très variées mais parce que les usagers viennent y exposer tous leurs problèmes, qu’ils soient économiques, affectifs ou familiaux (un peu à la manière des usagers des caisses d’allocations familiales décrits par Vincent Dubois [12]). Pour y faire face, les guichetiers doivent connaître les règles formelles et informelles d’attribution des aides, savoir travailler dans l’urgence, s’interrompre puis reprendre au fil des incidents qui surviennent dans la salle d’attente. Outre ces compétences communes, ils apportent aussi une conception personnelle de leur rôle. Allant contre l’idée que les membres d’une même organisation sont des entités interchangeables, l’auteure part du constat que les agents confrontés à la misère sociale et censés appliquer les mêmes règles, développent des représentations et des pratiques très différentes. Dans la lignée des travaux d’Ann Swidler qui concevait la culture comme un répertoire de croyances, de rituels et de représentations, pouvant être utilisé pour affronter le monde social [13], elle conçoit le pouvoir discrétionnaire comme une boîte à outils (discretionnary toolkit) qui aide les agents à décider lorsqu’ils sont confrontés à des situations très hétérogènes : une mère isolée avec son enfant, un chômeur en fin de droits ou un sans-abri. Selon les cas et selon la façon dont il perçoit l’usager, l’agent peut endosser le rôle de conseiller, de confident ou de contrôleur. Là encore, l’explicitation d’une gamme variée de pratiques rappelle les résultats d’autres enquêtes plus connues du public français. Dans son étude sur les relations de guichet dans les administrations d’une banlieue populaire, Yasmine Siblot avait déjà montré que les attitudes des agents subalternes peuvent aller de « l’entraide de voisinage » à la « mise à distance », voire se traduire pour certains par de « l’autorité bienveillante » [14]. Dans l’analyse de C. Watkins-Hayes, les divergences entre guichetiers se manifestent à travers trois questions qui se posent au quotidien : 1) Comment définir le minimum requis pour que les usagers subviennent à leurs besoins ? 2) Quel doit être le montant des prestations à accorder pour tel ou tel cas ? 3) Dans quelle mesure la mission professionnelle des agents peut-elle évoluer au gré des demandes ?
6À partir de ces trois questions, l’auteure construit une typologie qui pourrait être largement transposable à d’autres univers bureaucratiques. Elle distingue un premier groupe d’agents qui se définissent eux-mêmes comme des travailleurs sociaux (social workers) ; ils se caractérisent par le fait qu’ils n’hésitent pas à outrepasser leurs prérogatives pour aider les usagers. Par opposition à cette conception, elle distingue un deuxième groupe qui se situe plus en conformité avec les objectifs fixés par l’institution (the rules are the rules) et qu’elle qualifie d’ingénieurs du rendement (efficiency engineers). Ceux-là se contentent de vérifier si les usagers sont éligibles à telle ou telle prestation, évitent de discuter trop longtemps et s’en tiennent aux règles prescrites. Un troisième type apparaît ensuite, celui des agents en situation de survie (the survivalists). Ce sont ceux qui s’investissent le moins possible et qui se caractérisent par leur apathie, aussi bien à l’égard des attentes des usagers que vis-à-vis des injonctions de la hiérarchie. Leur seul souci est de tenir ainsi jusqu’à la fin de la journée, voire jusqu’à la retraite (p. 119). Les variations induites par ces trois identités professionnelles ne sont pas sans effet sur les pratiques : les « travailleurs sociaux » ont une conception extensive du minimum vital, ont une vision large de leurs prérogatives et sont ouverts à l’idée que les usagers puissent influencer leur conception du métier. À l’inverse, les « ingénieurs du rendement » sont plus rigides dans leur manière de définir le niveau minimal de subsistance, ont une conception plus étroite du volume d’aides à accorder et résistent aux tentatives des usagers d’intervenir sur la définition de leur mission.
7Mais Celeste Watkin-Hayes ne s’en tient pas à ces considérations professionnelles ; elle souligne que la dynamique raciale, notamment à travers les relations entre latinos et noirs, influe également sur le fonctionnement des « bureaucraties attrape tout ». La dernière partie du livre est consacrée à cette dimension et au rôle des rapports interethniques, à la fois au sein du groupe des welfare bureaucrats et dans les rapports qu’ils entretiennent aux usagers [15]. Évitant toute interprétation simpliste ou mécanique, l’auteure dresse un tableau nuancé, suggérant que ces rapports sont pétris de contradictions. D’un côté, pour la majorité des agents de couleur (I.e. blacks et latinos) qui étaient auparavant ouvriers ou employés avec de très bas salaires, l’accession au statut d’agent des services sociaux correspond à une petite ascension sociale, ce qui leur confère une certaine loyauté envers l’institution. D’un autre côté, ils expriment pour la plupart un même sentiment d’insatisfaction, celui d’être assigné à des postes de contact avec le public, tandis que les « blancs » sont plus souvent administrateurs ou occupent des positions plus prestigieuses. Tous s’accordent à penser que les usagers de couleur rencontrent plus de difficultés sur le marché du travail, en particulier en raison des stéréotypes raciaux (discriminations à l’embauche, bas salaires) ; mais ils divergent sur les moyens de surmonter ce handicap. De même, s’il existe une solidarité communautaire entre agents et usagers (voire une solidarité intercommunautaire entre agents noirs et usagers latinos et réciproquement), celle-ci peut prendre des formes différentes, selon si l’agent considère que le traitement le plus souhaitable est le maintien dans l’assistance ou l’incitation à la reprise du travail. Autrement dit, la question raciale est centrale dans les discours mais assez peu explicative des pratiques. Elle joue néanmoins un rôle dans le sens où les street-level bureaucrats et leurs supérieurs hiérarchiques sont attachés à ce que leur institution reflète la diversité sociale et raciale de l’espace résidentiel dans lequel ils s’insèrent.
8Au total, cette « ethnographie organisationnelle » est riche d’enseignements qui, pour certains, peuvent être discutés. Le premier point d’achoppement concerne la notion d’identité que Celeste Watkins-Hayes place au cœur de son analyse. Elle la définit comme un substrat qui mêle éthique professionnelle, appartenance raciale et inscription dans une communauté locale. En articulant ces trois dimensions, elle entend tenir compte des critiques formulées par Fred Cooper et Rogers Brubaker sur ce terme [16], sans véritablement y parvenir. En effet, sa volonté d’affirmer en permanence la nécessité de situer socialement les agents peine à convaincre, dans la mesure où l’appartenance sociale est systématiquement réduite à la dimension raciale. On retrouve là un travers courant des études qui se revendiquent de l’intersectionnalité [17] et qui tout en affirmant la nécessité d’articuler ensemble les rapports de genre, de classe et de race, sont finalement conduits à n’en privilégier qu’un seul. Ici, le lecteur ne connaît que quelques bribes de la trajectoire sociale et ne sait rien de leur origine sociale. Leur biographie personnelle est restituée telle qu’ils la racontent eux-mêmes, sans que l’auteure s’en saisisse comme critère d’explication des pratiques. En outre, dans son acception du terme d’identité sociale, Celeste Watkins-Hayes laisse bien peu de place à tout ce qui ne concerne pas directement la sphère professionnelle : les loisirs, les blagues, les échanges durant les pauses, les moments de sociabilité entre collègues en dehors du travail… Dans ces moments d’entre-soi qui s’apparentent à des interstices du travail se jouent la production et la transmission de normes informelles pouvant expliquer des différences entre des agents ayant les mêmes propriétés sociales.
9Un dernier élément de discussion concerne la prise en compte de la temporalité. Il est en effet étonnant qu’une variable aussi fondamentale que l’ancienneté dans le poste soit si peu présente dans le modèle explicatif proposé. Elle aurait pu être utilement articulée à la question des générations qui n’apparaît pas non plus. Le troisième chapitre montre très bien que les réformes introduites au milieu des années 1990 ont bouleversé la façon d’envisager le rapport aux usagers : mise en place du coaching, diffusion de nouvelles normes comme la responsabilisation des chômeurs. Or, on devine, sans que l’auteure ne l’explicite jamais vraiment, que beaucoup d’anciens qui faisaient ce métier par conviction d’œuvrer pour le travail social, ont été ébranlés par cette redéfinition du métier, d’autant plus que les États employeurs ont accompagné ces réformes de plans de préretraite incitatifs. Se joue ainsi en filigrane un conflit de générations qui, au-delà de la divergence de vues entre groupes d’âge, oppose en réalité deux conceptions du monde qui sont les produits de deux formes de socialisation très différentes [18]. Plutôt que de ramener les divergences de pratiques à des conflits d’identité professionnelle, il aurait été intéressant d’explorer ce qui se cache derrière cet apparent conflit de générations, tout à fait transposable à d’autres univers bureaucratiques.
10Il n’en reste pas moins que cette enquête contribue à renouveler l’analyse des agents subalternes et de leur pouvoir discrétionnaire. De ce point de vue, son principal mérite est de montrer que les pratiques des agents de l’État sont toujours le produit de normes institutionnelles et de variables sociales qui combinent les dimensions de genre, de classe et d’appartenance résidentielle, même s’il est toujours difficile de tenir ensemble ces trois termes dans l’analyse d’une même situation empirique. La notion de pouvoir discrétionnaire telle qu’elle avait pu être analysée par Lipsky, s’en trouve enrichie : ce n’est pas seulement une capacité d’action permettant de maintenir un lien entre des individus singuliers et une structure institutionnelle impersonnelle ; le pouvoir discrétionnaire recouvre ici un ensemble de pratiques qui structurent les rapports d’échanges entre les agents subalternes et leurs usagers. Ces pratiques sont étroitement dépendantes des positions sociales des acteurs en présence mais peuvent aussi varier en fonction de leurs croyances, de leurs attentes et de la dynamique des interactions de guichet. L’originalité de l’approche tient donc au fait que la combinaison de l’identité professionnelle et de la position sociale des street-level bureaucrats n’est pas donnée et figée une fois pour toutes : elle se conçoit comme une négociation entre le pouvoir institutionnel dont ils se sentent investis et la relation d’interaction qui se noue avec les ayant-droits qu’ils reçoivent au guichet.
11Espérons que la diffusion des résultats de cette enquête empirique et des discussions qu’elle suscite, inciteront politistes et sociologues à ne plus s’en tenir à la seule référence de Michael Lispky pour décrire l’activité des street-level bureaucrats.
12CNRS-CERAPS,
13Université Lille Nord de France
Notes
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[1]
M. Lipsky (1980), Street-Level Bureaucracy. Dilemmas of the Individual in Public Services, New York (N. Y.), Russell Sage Foundation.
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[2]
Parmi les ouvrages de référence : M. Crozier (1963), Le Phénomène bureaucratique, Paris, Seuil ; F. Dupuy, J.-C. Thoenig (1985), L’Administration en miettes, Paris, Fayard.
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[3]
Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer quelques-uns de ces travaux les plus saillants : J.-M. Weller (1999), L’État au guichet. Sociologie cognitive du travail et modernisation administrative des services publics, Paris, Desclée de Brouwer ; P. Warin (2002), Les Dépanneurs de justice. Les « petits fonctionnaires » entre qualité et équité, Paris, LGDJ.
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[4]
G. Jeannot, I. Joseph (dir.) (1995), Métiers du public : les compétences de l’agent et l’espace de l’usager, Paris, Éditions du CNRS.
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[5]
Pour n’en citer que quelques-uns : V. Dubois (1999), La Vie au guichet, Paris, Economica ; A. Spire (2005), Étrangers à la carte. L’administration de l’immigration en France (1945-1975), Paris, Grasset ; Y. Siblot (2006), Faire valoir ses droits au quotidien. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences Po.
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[6]
V. Dubois (2007), « État social actif et contrôle des chômeurs : un tournant rigoriste entre tendances européennes et logiques nationales », Politique européenne, 21 (1), p. 73-95.
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[7]
Pour une étude empirique des effets de cette réforme dans l’État de New York, voir F. Viguier (2001), « L’Amérique, ça marche. Note sur une agence d’emploi privé à New York », Actes de la recherche en sciences sociales, 138 (3), p. 66-72.
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[8]
M. Crozier (1963), Le Phénomène bureaucratique, Paris, Seuil.
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[9]
P. Blau [1962](1972), The Dynamics of Bureaucracy: A Study of Interpersonal Relations in Two Government Agencies, Chicago (Ill.), University of Chicago Press.
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[10]
P. Selznick [1949](1980), TVA and the Grass Roots: A Study of Politics and Organization, Berkeley (Calif.), University of California Press.
-
[11]
M. Lipsky (1980), Street-Level Bureaucracy.
-
[12]
V. Dubois (1999).
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[13]
A. Swidler (1986), « Culture in Action: Symbols and Strategies », American Sociological Review, 51 (2), p. 273-286.
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[14]
Y. Siblot (2003), « Les relations de guichet : interaction de classes et classements sociaux », Lien social et politiques, 49, p. 183-190.
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[15]
Elle se situe à cet égard dans la continuité de l’ouvrage de G. Lewis (2000), « Race », Gender Social Welfare: Encounters in a Postcolonial Society, Cambridge, Polity Press.
-
[16]
R. Brubaker, F. Cooper (2000), « Beyond “Identity” », Theory and Society, 29, p. 1-47.
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[17]
L’étude de référence en la matière est celle de K. Crenshaw (1989), Demarginalising the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics, Chicago (Ill.), University of Chicago Legal Forum.
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[18]
Sur cet aspect, on se permet de renvoyer à M. Cartier, A. Spire (2011), « Approches générationnelles du politique », Politix, 96 (4), p. 7-15.