Notes
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Cette recherche a été réalisée grace à l’aide financière du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).
Introduction
1Face à un marché de l’emploi en mutation, les employeurs qui désirent rivaliser avec leurs compétiteurs doivent se doter de pratiques efficaces de gestion des ressources humaines (Peretti, 2018 ; St-Onge, Guerrero, Haines et Brun, 2017). Ces pratiques contribuent à augmenter diverses variables clés telle que l’engagement affectif (Biétry et Creusier, 2015 ; Meyer et Allen, 1991). La littérature scientifique identifie clairement l’engagement affectif comme un facteur susceptible de contribuer au succès des organisations (Cooper-Hakim et Viswesvaran, 2005 ; Le-Pine, Erez et Johnson, 2002 ; Mathieu et Zajac, 1990 ; Meyer, Stanley, Herscovitch et Topolnytsky, 2002 ; Riketta, 2002). Plus un salarié ressent un engagement affectif envers son employeur, plus il désire contribuer dans son rôle et à l’extérieur de son rôle et rester dans l’entreprise (Kooij, Jansen, Dikkers et Lange, 2010).
2Hulin, Lebegue et Renaud (2017) indiquent que la justice organisationnelle augmente l’engagement. Afin de susciter l’engagement des salariés, les organisations misent sur différentes pratiques organisationnelles telles que la reconnaissance et la participation à la prise de décision. Les organisations misent aussi sur la RSE. Ainsi les résultats de Low, Ong et Tan (2017) indiquent que l’engagement organisationnel de type affectif agit comme variable médiatrice dans la relation entre la RSE vécue à l’interne par le salarié et le roulement volontaire. Toutefois, ces pratiques concernent les salariés actifs, c’est-à-dire en relation d’emploi avec un employeur. Hors, qu’en est-il des futurs salariés ? Est-il possible pour une organisation d’influencer le développement de l’engagement affectif de futurs salariés, c’est-à-dire avant même qu’ils se soient joints à une organisation ? Mowday, Porter et Steers (1982) ont suggéré que l’engagement organisationnel puisse débuter avant la liaison formelle d’un individu à une organisation. Ils ont qualifié cet engagement d’« anticipé ». À notre connaissance, aucun auteur n’a investigué empiriquement le développement de l’engagement affectif anticipé. Dans cette étude, l’engagement anticipé est défini comme l’attachement émotionnel d’un individu envers une organisation avant le début de la relation formelle d’emploi. Cette forme d’engagement se développe principalement à partir des informations qu’un individu réussit à obtenir sur un employeur potentiel. Cet engagement ne repose pas sur un réel échange économique et social entre le salarié et l’employeur, la relation d’emploi n’ayant pas encore commencée.
3L’objectif principal de cette étude exploratoire est d’examiner l’effet direct de la communication de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) sur l’engagement affectif anticipé. La RSE est considérée ici comme un attribut organisationnel pouvant être communiqué aux candidats durant les efforts de recrutement dans le marché externe de l’emploi. De plus, l’effet modérateur du genre et des objectifs de carrière est examiné sur la relation entre la RSE et l’engagement affectif anticipé. Des études indiquent que les femmes auraient des préférences différentes des hommes en regard d’attributs organisationnels (Freeman, 2003 ; Newburry, Gardberg et Belkin, 2006 ; Thomas et Wise, 1999) alors que des auteurs suggèrent que l’attraction peut différer selon les objectifs de carrière des candidats (Lent, Brown et Hackett, 1994).
4Sur le plan théorique, cette recherche offre une première exploration empirique de l’engagement affectif anticipé et de certains déterminants de cet engagement. De plus, de par son design quasi-expérimental, cette étude permet de tester une relation causale à savoir l’effet de la divulgation explicite d’information relative à la RSE sur l’engagement affectif anticipé. En lien, cette étude contribue également à la littérature existante dans le domaine de l’attraction organisationnelle. Sur le plan pratique, les résultats de cette étude offrent une piste de solution intéressante à l’enjeu de pénurie de main d’œuvre qualifiée en suggérant que l’engagement affectif puisse se développer à partir d’une information transmise durant le processus de dotation.
1 – Cadre théorique
1.1 – Définition de l’engagement affectif anticipé
5L’engagement organisationnel a été défini par Sheldon (1971) comme une « attitude ou une orientation envers l’organisation qui lie ou attache l’identité d’une personne à l’organisation » (p. 143). Un peu plus tard, O’Reilly et Chatman (1986) réfèrent à l’engagement comme « l’attachement psychologique ressenti par une personne pour une organisation ; cela va réfleter le degré auquel l’individu internatlise ou adopte les caractéristiques ou perspectives de l’organisation » (p. 493).
6Subséquemment, les travaux de Meyer et Allen (1991) se sont attardés aux dimensions de l’engagement organisationnel afin de mieux appréhender ce construit. Ces auteurs ont proposé une conceptualisation fondée sur une tridimensionnalité soit la dimension affective, normative et de continuité. En bref, l’engagement affectif « réfère à l’attachement émotionnel d’un salarié avec une organisation, à son identification et à son implication avec cette organisation. Les salaries avec un engagement affectif élevé restent chez un employeur parce qu’ils le veulent faire » (Meyer et Allen, 1991, p. 67). La deuxième dimension, soit l’engagement normatif, réfère à un « sentiment d’obligation de continuer la relation d’emploi. Les salariés avec un engagement normatif élevé ressentent qu’ils doivent rester avec leur employeur » (p. 67). Finalement, Meyer et Allen (1991) présentent l’engagement de continuité comme étant « une connaissance des coûts associés avec le fait de quitter un employeur. Les salaries dont le lien principal avec une organisation est l’engagement de continuité restent chez un employeur parce qu’ils ont besoin de le faire [le coût de quitter étant jugé comme trop élevé] » (p. 67). Cette conceptualisation a été revisitée par Biétry et Creusier (2015) lors d’un entretien avec Meyer.
7De ces trois dimensions de l’engagement, la plus souhaitable est la dimension affective (Meyer et Allen, 1997). Les résultats de méta-analyses ont démontré des liens significatifs entre l’engagement affectif et de nombreuses variables clé en GRH (voir Cooper-Hakim et Viswesvaran, 2005 ; Kooij et al., 2010 ; LePine et al., 2002 ; Mathieu et Zajac, 1990 ; Meyer et al., 2002 ; Riketta, 2002).
8La théorie de la norme de réciprocité (Gouldner, 1960) peut expliquer pourquoi l’engagement affectif se développe chez un salarié. Cette théorie suggère que lorsqu’une personne en traite une autre de façon positive, cette dernière se sent dans l’obligation de lui retourner un traitement favorable. On parle donc ici d’un sentiment d’obligation réciproque. Cette notion d’obligation ou de dette morale envers l’autre alimente l’échange social entre le salarié et l’employeur (Blau, 1964 ; Eisenberger, Huntington, Hutchison et Sowa, 1986). En soutien, Mowday et al., (1982) ont argumenté que les « salaries développent plus leur sentiment de responsabilisation dans les organisations reconnues comme des employeurs qui se soucient du bien-être de leurs salariés » (p. 51).
9Le concept d’engagement affectif, tel qu’abordé dans les paragraphes précédents, repose sur la prémisse que les salariés évoluent au sein d’une organisation. Par conséquent, il existe un échange économique et social formel entre l’organisation et les salariés. En lien, Mowday et al, (1982) en référant à Bray, Campbell et Grant (1974) et Buchanan (1974) soulignent que « la majorité des auteurs ont décidé de considerer la période de début d’emploi (des premiers mois à un an en emploi) comme l’étape de carrière où le processus d’engagement organisationnel commence. La période de début d’emploi a une influence majeure sur le développement de l’engagement organisationnel » (p. 47). Cependant ces auteurs soulèvent aussi un doute en proposant que « il est fort probable que le processus commence avant même que les salaries débutent formellement leur emploi dans l’organisation » (p. 47). Plus spécifiquement, Mowday et al, (1982) abordent le processus évolutif de l’engagement à travers trois périodes précises tel que l’illustre la Figure 2.1., soit la période d’anticipation (la personne n’est pas encore à l’emploi de l’organisation), la période d’initiation (la personne vient de faire son entrée en organisation) et enfin la période de continuation (la personne chemine au sein de l’organisation). Le texte qui suit porte exclusivement sur l’engagement anticipé, soit celui qui peut se développer avant le début de la relation d’emploi.
Les trois périodes de développement de l’engagement
Les trois périodes de développement de l’engagement
Note : Tiré de « Employee-organization linkages » par Mowday, R., Porter, L. et Steers, R. (1982) Academic Press in, New York, p. 46.1.2 – Développement de l’engagement affectif anticipé
10Mowday et al. (1982) ont postulé que l’engagement peut commencer à se développer avant le début de la relation d’emploi. Ces auteurs s’appuient sur les résultats de plusieurs études empiriques qui ont indiqué que les nouveaux salariés n’avaient pas tous le même niveau d’engagement au premier jour de leur emploi. En bref, outres les caractéristiques individuelles, les expériences professionnelles précédentes, et les circonstances entourant la prise de décision, Mowday et ses collègues proposent que le niveau d’engagement qu’un salarié possède au jour 1 de la relation d’emploi peut avoir été influencé par ses attentes vis-à-vis du nouvel employeur.
11Les attentes constituent des perceptions fondées sur la réalité anticipée tel que le note Price (2001) en abordant les travaux de Mowday et al., (1982) : « Les attentes sont des cognitions à propos de ce que le futur milieu de travail sera » (p. 609). Les attentes liées à un nouvel employeur reposent en grande partie sur la quantité et la qualité des informations collectées par un candidat durant le processus de dotation. En lien, la théorie de l’environment processing proposée par Ehrhart et Ziegert (2005) stipule que les individus développent leur propre perception d’un milieu en fonction des éléments d’information disponibles. Pour sa part, Morin (2011) note que les attributs organisationnels, telle que la culture organisationnelle, « fournissent une variété d’anticipations auprès des chercheurs d’emploi quant aux retombées personnelles et professionnelles de devenir membre de telle organisation » (p. 45). Ainsi, l’engagement affectif anticipé ne s’appuie pas sur du vécu mais bien sur une relation d’emploi fictive imaginée à partir de l’information disponible. L’engagement anticipé se construit sur les perceptions et les informations qu’un individu possède sur une organisation. Cet engagement est projeté, anticipé puisqu’il requière que le candidat s’imagine au sein d’une entreprise dans un temps futur.
12La théorie du signal (Connelly, Certo, Ireland et Reutzel, 2011 ; Rynes, 1991 ; Spence, 1974) propose que les informations données par une entreprise aux candidats potentiels constituent un signal de ce que sera la vie organisationnelle une fois à l’embauche. Ces informations contribuent ainsi à la prise de decision du candidat en clarifiant la situation. Ainsi, les politiques en matière de RSE d’une organisation peuvent être considérées comme des signaux au niveau organisationnel (Celani et Singh, 2011 ; Olsen, Parsons, Martins et Ivanaj, 2016).
13Boswell, Roehling, LePine et Moynihan (2003) ont réalisé une étude longitudinale afin de mieux comprendre les informations qui influencent les décisions (décider de poser sa candidature, de poursuivre le processus de sélection, d’accepter l’offre d’emploi) d’un candidat durant le processus de dotation. Durant la toute première phase, soit durant le recrutement, le facteur le plus déterminant est la culture organisationnelle. Les résultats d’une étude récente menée par Rupp, Shao, Thornton et Skarlicki (2013) indiquent que la perception qu’un candidat se fait au sujet de la culture de responsabilité sociale d’un employeur influence ses intentions face à cet employeur potentiel. Ce résultat suggère qu’une culture de RSE pourrait aussi influencer l’engagement affectif anticipé.
1.3 – RSE : Définition et lien avec l’engagement anticipé
14La RSE signifie qu’une entreprise intègre dans sa prise de décision et ses interactions avec les diverses parties prenantes les préoccupations économiques, sociales et environnementales, et ce sur une base volontaire (Commission européenne, 2001). En entreprise, la RSE se traduit par la mise en place de pratiques responsables, durables et éthiques visant à la fois les clients externes et internes (Anderson, Garavan et Sadler-Smith, 2014). Les pratiques dites responsables sont culturellement intégrées à l’entreprise (Beschorner et Hajduk, 2017). L’entreprise peut également élaborer un code d’éthique institutionnel dictant les normes à respecter pour maximiser la satisfaction de toutes les parties prenantes, incluant les salariés. Ce code permet d’établir une culture socialement responsable (Erwin, 2011).
15La littérature sur le sentiment d’attraction des candidats suggère qu’un individu peut être attiré par une entreprise ayant une culture qui valorise l’éthique et la moralité (Greening et Turban, 2000 ; Turban et Greening, 1997). La littérature indique aussi qu’une culture valorisant la RSE influence positivement les intentions des candidats externes (voir Rupp et al., 2013 ; Scott, 2000 ; Strobel, Tumasjan, et Welpe, 2010 ; VanProoijen et Ellemers, 2015). Par ailleurs, les résultats de Capelli, Guillot-Soulez et Sabadie (2015) ont démontré que le fait de communiquer une image socialement responsable augmente la capacité d’attraction d’une organisation, et ce même en cas de crise majeure de RSE. Enfin, les résultats d’une étude récente réalisée par Schill, Lethielleux, Godefroit-Winkel et Combes-Joret (2018) ont indiqué l’existence d’un lien entre l’action de l’entreprise contre le réchauffement climatique exprimée à travers ses efforts de responsabilité sociale et l’engagement organisationnel des salariés. Ce résultat suggère que la communication de la RSE lors du recrutement pourrait influencer l’engagement affectif anticipé d’un candidat.
16La RSE constitue un attribut organisationnel symbolique et intangible qui permet aux candidats de maintenir leur identité, d’améliorer leur image personnelle (Dutton, Dukerick et Harquail, 1994 ; Lievens et Highhouse, 2003). Les attributs symboliques peuvent permettre à un employeur de se distinguer des autres employeurs (Van Hoye et Saks, 2011) quand les attributs tangibles (ex : rémunération) sont similaires d’un employeur à un autre.
17Tel que le précisent Rynes, Heneman et Schwab (1980), Il est souvent difficile pour les candidats d’obtenir une information valide sur certains attributs avant l’entrée en fonction. Ce manque d’information peut les amener à utiliser l’expérience de dotation pour inférer des attributs importants mais incertains. Enfin, en se basant sur les travaux de Zajonc et Markus (1982), la RSE peut non seulement influencer la connaissance des attributs d’une organisation (niveau cognitif) mais aussi les émotions (niveau affectif). Conséquemment, la RSE peut influencer les attitudes d’un candidat envers un employeur potentiel.
1.4 – Rôle modérateur du genre et des objectifs de carrière
18Plusieurs études ont été publiées dans les dernières décennies sur le genre et les préférences en regard des attributs liés à l’emploi (ex : salaire, autonomie, défis) (Bigoness, 1988 ; Jurgensen, 1978 ; Sutherland, 2012).
19En bref, les femmes auraient des préférences différentes des hommes. Pour ce qui est de la RSE, une étude menée par Arlow (1991) sur les caractéritiques individuelles indique que les femmes scorent plus haut au niveau de l’étique et de la RSE que les hommes. Au niveau des attributs organisationnels, bien que les études soient plus limitées en nombre, il semble que le genre puisse également avoir une influence sur la perception du candidat (Freeman, 2003 ; Newburry, Gardberg et Belkin, 2006), les femmes étant attirées par des attributs organisationnels différents que les hommes. Par exemple, Thomas et Wise (1999) ont démontré que les femmes considèrent que la gestion de la diversité est un attribut plus important compativement aux hommes. En lien, Hatch et Stephen (2015) ont démontré que, en controllant pour l’âge, « les femmes croient plus que les corporations et les organisations devraient contribuer à la société et aux causes sociales comparativment aux hommes (p.70). De plus, une étude menée par Leslie, Snyder and Glomb (2013) a indiqué que les femmes donnent plus d’argent dans les acticvités de charité au bureau que les hommes. Enfin, Cronqvist et Yu (2017) ont démontré que lorsque le CEO d’une firme a au moins une fille comme enfant, l’évaluation de la RSE est 9.1% plus élevée comparativement à une firme médiane. Les auteurs notent qu’en général, la littérature en sociologie et en psychologie suggère que les femmes se préoccupent plus des autres et de la société que les hommes et que le fait d’avoir une fille peut augmenter l’empathie des CEO envers la RSE. L’ensemble de ces résultats suggère que la RSE peut avoir un impact différencié sur l’engagement anticipé selon le genre.
20Pour leur part, les objectifs de carrière (career planning activities / aspirations) réflètent la force de l’intention d’une personne d’être active dans le monde du travail (Mayrhofer et al., 2005). La théorie de carrière socio-cognitive (Lent et al., 1994 ; Lent et al., 2000) postule que les objectifs de carrière d’une personne constituent une interaction entre les les caractéristiques personnelles, les expériences vécues et l’environnment. Ainsi, les candidats avec des objectifs de carrière élevés devraient réagir différement aux attributs d’une organisation que les candidats avec de faibles objectifs. Par ailleurs, les travaux de Mayrhofer et al. (2005) suggèrent que les objectifs de carrière exercent une influence sur l’auto-sélection d’un futur employeur. En bref, les candidats avec des objectifs de carrières élevés vont évaluer les organisations et la possibilité d’y faire carrière alors que les candidats avec des objectifs faibles ne feront pas nécessairement cette évaluation. Une organisation évaluée comme un endroit où il est possible de faire une belle carrière sera plus attirante qu’une organisation avec une moins bonne évaluation. La RSE est de plus en plus considérée comme un attribut essentiel de la marque employeur (Story, Castanheira et Hartig, 2016). Il est reconnu que la marque employeur influence l’engagement affectif des salariés (Charbonnier-Voirin et Lissillour, 2018). Enfin, les résultats d’une étude récente menée par Persic, Markic et Persic (2018) indiquent que l’implantation d’une culture de RSE via la norme ISO26000 a un impact positif et significatif sur la performance financière d’une entreprise.
21À la lumière du cadre théorique précédent, il est proposé que la RSE et l’engagement affectif anticipé soient liés. De plus, il est théoriquement concevable de proposer que le genre modère la relation entre la RSE et l’engagement anticipé et que les objectifs de carrière modèrent également cette relation. Toutefois, aucun auteur n’ayant investigué empiriquement l’engagement anticipé, la présente étude demeure de nature exploratoire.
2 – Méthodologie
2.1 – Participants
22La population idéale dans le cadre de notre étude est constituée de candidats ou personnes à la recherche d’emploi, notre variable d’intérêt étant l’engagement affectif sous une forme anticipée. Étant donné la difficulté de trouver un échantillon représentatif de cette population, nous avons eu recours à des éventuels chercheurs d’emploi, c’est-à-dire des finissants universitaires dans un programme d’étude prometteur. Plusieurs études sur l’attraction organisationnelle ont eu recours à ce type de participants (Turban, 2001 ; Rau et Hyland, 2002 ; Highhouse, Lievens et Sinar, 2003 ; Allen, Mahto et Otondo, 2007). Des auteurs ont aussi confirmé le réalisme psychologique découlant de l’utilisation d’un échantillon composé d’étudiants dans le cadre d’études quasi-expérimentales (Berkowitz et Donnerstein, 1982 ; Erez, Lepine et Elms, 2002).
23Au total, notre échantillon était composé de 303 participants. Le Tableau 1 présente cet échantillon selon le genre et l’âge. Au niveau du genre, la majorité des participants sont des femmes (63%) alors qu’au niveau de l’âge, la majorité des participants ont entre 20 à 24 ans (68,6%). Ce dernier résultat est cohérent avec le fait que notre échantillon regroupe des étudiants au 1er cycle universitaire.
La distribution des participants
Variables sociodémographiques | Distribution | |
---|---|---|
N | % | |
Genre | ||
■ Femme | 191 | 63,0 |
■ Homme | 112 | 37,0 |
Âge | ||
■ 20-24 ans | 208 | 68,6 |
■ 25-29 ans | 64 | 21,1 |
■ 30-34 ans | 14 | 4,6 |
■ 35 ans et plus | 17 | 5,6 |
La distribution des participants
2.2 – Design expérimental, procédure et scénarios
24Notre étude repose sur un design quais-expérimental à un facteur où les participants ont été assignés à l’une de deux conditions soit 1) forte culture de RSE (n=150) et 2) faible culture de RSE (n=153). Spécifiquement, pour l’employeur avec une forte culture de RSE, le texte du scénario se lisait comme suit : « Les membres de cette entreprise (administrateurs, gestionnaires et employés) adoptent des comportements qui sont cohérents avec les valeurs partagées par l’ensemble des parties prenantes (employés & gestionnaires, investisseurs, fournisseurs, consommateurs, voire la société en générale). » alors que pour l’employeur avec une faible culture de RSE, le texte du scénario se lisait comme suit : « Les membres de cette entreprise (administrateurs, gestionnaires et employés) adoptent des comportements qui ne sont pas cohérents avec les valeurs partagées par l’ensemble des parties prenantes (employés & gestionnaires, investisseurs, fournisseurs, consommateurs, voire la société en générale). »
25En regard de la procédure, elle se résume comme suit. À la session universitaire d’automne 2010, en début de cours, un membre de l’équipe de recherche a présenté brièvement l’étude et a sollicité la participation des étudiants. La participation était volontaire et anonyme. Les questionnaires ont été distribué de façon séquentiel en suivant les rangées de pupitres des étudiants : questionnaire avec scénario 1, questionnaire avec scénario 2, questionnaire avec scénario 1, etc. Comme il n’existe pas de certitude que la distribution ait été effectuée de façon entièrement aléatoire, il s’agit donc d’un devis quasi-expérimental.
26Pour le développement des deux scénarios (forte ou faible culture de RSE), nous avons d’abord réalisé une recension des écrits afin de pouvoir élaborer des scénarios réalistes. Les deux premiers paragraphes des scénarios étaient identiques. Ce texte servait de contextualisation en décrivant une situation et une organisation fictive de façon positive. Tous les mots, choisis avec parcimonie, ont été inspirés des recherches effectuées dans le domaine de l’attraction. Ainsi, en intégrant par exemple l’élément « bonne localisation », l’attention des participants pouvait être orientée vers l’élément principal à l’étude soit la présence d’une forte ou faible culture de RSE.
2.3 – Instruments de mesure
27Engagement affectif anticipé. Notre variable dépendante a été mesurée à l’aide de 6 items développés pour cette étude. Ces items sont une version modifiée de la mesure de l’engagement affectif utilisé par Bentein, Vandenberg, Vandenberghe et Stinglhamber (2005). La modification principale a été de faire passer les verbes de l’indicatif présent (ex : Je suis fier d’appartenir à cette organisation) au conditionnel présent (ex : Je serais fier d’appartenir à cette organisation). Nos analyses statistiques utilisent la moyenne arithmétique des six items. L’échelle présente une excellente consistence interne puisque l’alpha de Cronbach pour cette mesure est de 0,94.
28Genre. Cette variable modératrice a été mesurée par la question suivante : « Quel est votre genre ? Masculin ou féminin ». Pour fin d’analyse statistique, les femmes ont été codées « 1 » et les hommes « 0 ».
29Objectifs de carrière. Cette variable modératrice a été mesurée par six items (ex : « Je sais ce que je dois faire pour atteindre mes objectifs de carrière » et « J’ai un plan pour ma carrière ») développés par Gould (1979) pour investiguer les liens entre les activités de planification de la carrière d’un individu et la réussite de sa carrière. Les participants devaient répondre en utilisant une échelle de type Likert à 7 points (1 = Tout à fait en désaccord ; 7 = Tout à fait en accord). L’alpha pour cette mesure est de 0,89 ce qui indique une excellente consistence interne de l’échelle. Pour fin d’analyse statistique, les participants ayant une moyenne arithmétique de 6 et plus, ce qui indique des objectifs de carrière élevés ont été codés « 1 » et les autres ayant des objectifs de carrières moins bien définis ont été codés « 0 ». Nos analyses statistiques ont utilisé la moyenne arithmétique des six items.
3 – Résultats
30Nous avons tout d’abord vérifié notre manipulation. Ainsi, après avoir calculé la moyenne des réponses individuelles de l’énoncé « Cette organisation est une entreprise où l’éthique est importante », nous avons réalisé un ttest avec échantillon indépendant. Le résultat indique une différence significative entre les deux groupes (t = 35,43, p<0.000) ce qui confirme que la manipulation a été efficace en regard de la culture de RSE.
31Notre étude étant de nature quasi-expériementale, l’équivalence des groupes a aussi été testée en regard de l’âge. Le résultat non significatif du t-test (t = 1,60, n.s.) indique qu’il n’est pas pertinent d’inclure cette caractéristique individuelle comme covariable dans notre analyse de variance.
32En regard de notre test d’intérêt, le Tableau 2 présente les moyennes de l’engagement anticipé pour chaque groupe alors que le Tableau 3 présente les résultats de l’ANOVA. Spécifiquement, afin de tester l’effet direct de la culture de RSE sur l’engagement affectif anticipé, nous avons procédé à une analyse de variance ayant comme variable dépendante l’engagement affectif anticipé et comme variable indépendante la condition expérimentale (faible / forte culture de RSE). Les effets modérateurs du genre et des objectifs de carrières ont été testés en insérant les deux termes intéractifs suivants : RSE X Genre et RSE X Objectifs de carrière. Comme la présente étude utilise des données quasi-expérimentales, l’utilisation de l’ANOVA est appropriée puisque tout ce qui influence l’engagement anticipée est autocontrolé.
Engagement anticipé par RSE, genre et objectifs de carrière
Engagement anticipé par RSE, genre et objectifs de carrière
Résultats de l’ANOVA
EFFETS | ANOVA F |
---|---|
Effets primaires | |
■ RSE | 31,773 ** |
■ Genre | 5,519 * |
■ Objectifs de carrière | 6,902 ** |
Effets d’interactions à 2 facteurs | |
■ RSE x Genre | 1,420 |
■ RSE x Objectifs de carrière | 0,093 |
R2 Ajusté | 0,163 ** |
Résultats de l’ANOVA
*p<0,05 **p<0,0133Au niveau de la propostion portant sur l’effet direct de la RSE sur l’engagement affectif anticipé, les résultats présentés au Tableau 3 soutiennent son existence. Les résultats significatifs indiquent que les participants exposés à un employeur potentiel pour qui la culture de RSE est importante ont développé un engagement affectif anticipé significativement plus élevé comparativement aux participants exposés à un employeur potentiel pour qui la culture de RSE n’est pas importante (F = 31,773, p< 0,01). Ces résultats sont cohérents avec la littérature que nous avons recensée sur la RSE et le sentiment d’attraction des candidats.
34Similairement, les résultats du Tableau 3 indiquent que l’effet primaire des deux variables modératrices sur l’engagement affectif anticipé est significatif. Ainsi, les femmes ont rapporté un engagement affectif anticipé significativement moins élevé que celui rapporté par les hommes (F = 5,519, p< 0,05). De plus, les participants ayant des objectifs de carrière élevés ont développé un engagement affectif anticipé significativement moins élevé comparativement aux participants ayant des objectifs de carrière moins bien définis (F = 6,902, p< 0,01).
35Pour ce qui est de la proposition sur l’effet modérateur attendu du genre, les résultats du Tableau 3 indiquent qu’il n’y a pas d’effet modérateur puisque le terme intéreactif RSE X Genre n’est pas significatif (F = 1,420, n.s.). La Figure 2 illustre ce fait. On peut y constater que les hommes rapportent systématiquement un niveau d’engagment anticipé plus élevé peu importe le niveau de la culture RSE en présence.
Moyenne de l’engagement anticipé par RSE et genre
Moyenne de l’engagement anticipé par RSE et genre
Moyenne de l’engagement anticipé par RSE et objectifs de carrière
Moyenne de l’engagement anticipé par RSE et objectifs de carrière
36De plus, les résultats du Tableau 3 indiquent également que les objectifs de carrière ne modèrent pas le lien entre la culture RSE et l’engagement affectif anticipé. En effet, le terme interactif RSE X Objectifs de carrière n’est pas significatif (F = 0,093, n.s.). Ainsi, les participants ayant des objectifs de carrières élevés ont rapporté en général un niveau d’engagement affectif anticipé moins élevé peu importe le niveau de RSE en organisation tel que l’illustre la Figure 4. Finalement, les résultats du Tableau 3 indiquent que le modèle testé composé de la RSE, du Genre et des Objectifs de carrières explique 16,3% de la variance observée de l’engagement affectif anticipé des participants à l’étude (R2 ajusté = 0,163, p< 0,01).
Discussion et conclusion
37L’objectif de cette étude quantitative de nature exploratoire était d’investiguer l’effet direct de la RSE sur le développement de l’engagement affectif anticipé ainsi que le rôle modérateur du genre et des objectifs de carrière sur cette relation.
38Les résultats indiquent tout d’abord que les participants exposés à un employeur potentiel pour qui la culture de RSE est importante ont rapporté un engagement affectif anticipé significativement plus élevé comparativement aux participants exposés à un employeur potentiel pour qui cette culture l’est moins. Ce résultat est cohérent avec la littérature sur le sentiment d’attraction des candidats qui suggère qu’un candidat, peut importe son genre peut être attiré par une entreprise ayant une forte culture d’éthique valorisant la RSE (Greening et Turban, 2000 ; Rupp et al., 2013 ; Scott, 2000 ; Strobel et al., 2010 ; Turban et Greening, 1997 ; VanProoijen et Ellemers, 2015). Ce résultat offre également un soutien empirique à la littérature qui postule que les politiques organisationnelles en matière de RSE peuvent constituer des signaux importants sur le marché de l’emploi (Celani et Singh, 2011 ; Olsen et al. 2016). En terme d’implications managériales, ce résultat suggère que pour une entreprise qui possède une culture de RSE importante, il peut être bénéfique de communiquer cette information aux candidats sur le marché externe. Enfin, sous une perspective de recherche future, il serait pertinent d’évaluer l’effet d’interaction entre l’invididu « candidat » et l’individu « client ». En effet, un individu peut être un client avant d’être un candidat. Qu’arrive-t-il alors si l’individu, en tant que client, aime beaucoup, moyennement, peu les produits offerts par le futur employeur ? Un individu client qui est en relation positive avec une organisation a-t-il déjà commencé à développer un engagement affectif envers cet employeur potentiel ? Ce genre d’étude serait une belle occasion d’unir les domaines du marketing et la gestion des ressources humaines.
39Bien que nos résultats indiquent que le genre et les objectifs de carrières ont un effet direct sur l’engagement anticipé des participants, les femmes et les participants ayant de forts objectifs de carrière ont un niveau d’engagement anticipé plus faible que les hommes et les participants ayant de faibles objectifs de carrière, nos résultats indiquent par contre que ni le genre ni les objectifs de carrière n’ont d’effet modérateur sur la relation entre la culture de RSE et l’engagement anticipé. Autrement dit, la RSE augmente proportionnellement autant l’engagement anticipé des hommes que celui des femmes et autant celui des candidats avec des objectifs faibles qu’élevés. D’un point de vue managérial, ce résultat peut être discuté sous deux angles opposés.
40D’un côté, il suggère que la RSE pourrait faire partie de l’information communiquée lors du recrutement externe, ou en d’autres mots que la RSE peut constituer une pratique universelle pour cultiver le développemet de l’engagement affectif avant même le début de la relation d’emploi. Cette position est cohérente avec les résultats d’une étude récente menée par Chaudhary (2017) qui indiquent que le genre n’a pas d’influence sur le lien entre la RSE et le niveau d’engagement des salariés. En contre partie, si une entreprise désire cibler un groupe particulier de candidats lors de ses activités de recrutement, telles que les femmes, communiquer la culture de RSE ne semble pas être une pratique qui permet de se distinguer auprès de ce groupe spécifique. Ceci étant dit, les résultats d’une étude récente (Wołodźko et Woźniak, 2017) indiquent que les femmes sont plus attirées que les hommes envers une culture de RSE seulement si les actions de RSE de l’employeur potentiel ciblent des activités spécifiques pour le bénéfice de l’environnement et des communautés locales. Il n’existe aucune différence quand la déclaration de RSE est de nature générale. Dans le cadre de la présente étude, ce résultat suggère que l’utilisation de la RSE peut ajouter de la valeur aux activités de recrutement quand un certain type de candidats sont ciblés mais à condition que l’employeur précise les actions mises en place en regard de la RSE.
41Cette étude empirique exploratoire comporte quelques limites. La première est liée à notre échantillon qui se compose exclusivement d’étudiants universitaires. En conséquence, nous ne pouvons pas généraliser nos résultats à l’ensemble des salariés. La recherche future doit tenter de répliquer cette étude auprès de la population active sur le marché du travail comme par exemple les salariés qui ont démissionné d’une entreprise pour rechercher un travail plus épanouissant ou encore les chômeurs de longue durée. La deuxième limite est liée à l’opérationnalisation de notre variable dépendante. Nous avons pris la décision de mesurer la forme anticipée de l’engagement affectif en utilisant le temps conditionnel présent (ex : Je serais fier d’appartenir à cette organisation) au lieu du temps présent (ex : Je suis fier d’appartenir à cette organisation) utilisé dans la recherche sur l’engagement des salariés envers leur employeur. La recherche future doit établir la validité de construit pour l’engagement anticipé. Enfin, nous avons utilisé des scénarios fictifs limités en contenu. Quelques lignes de texte peuvent difficilement refléter la réalité complexe de l’offre d’attributs organisationnels. La recherche future doit continuer d’être rigoureuse dans l’élaboration de scénarios en essayant d’imiter le plus possible la réalité (ex : construire des sites Internet fictifs en se basant sur des entreprises bien réelles).
42L’étude de la RSE est un phénomène relativement contemporain. La présente étude s’est principalement intéressée à son impact sur le développement de l’engagement anticipé. En regard de la gestion des ressources humaines, de nombreux autres impacts sont plausibles et demeurent à être identifiés, analysés et documentés.
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Mots-clés éditeurs : éthique, engagement anticipé, RSE, genre et objectifs de carrière
Mise en ligne 03/02/2020
https://doi.org/10.3917/g2000.361.0059Notes
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Cette recherche a été réalisée grace à l’aide financière du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).