Introduction
1Le rapport Brundtland sur l’environnement et le développement (1987) a mis en lumière l’accroissement de la fréquence de survenance des catastrophes naturelles depuis les années 70. Si leur localisation s’explique en grande partie par le type de risque (séisme, inondation, tempête, éruption volcanique…), les pertes humaines et financières induites dépendent de la concentration des populations et des infrastructures. Étant donné que les dommages de ces catastrophes se chiffrent généralement à plusieurs milliards de dollars, la capacité offerte par le marché de l’assurance et de la réassurance semble insuffisante pour garantir une couverture optimale, qui soit à la fois rapide et totale. De plus, la crise financière de 2008 ayant fragilisé les finances publiques de nombreux pays, plusieurs États essayent de se délester de leur rôle de dernier assureur (Carter et al., 2015).
2Cette situation a amené les acteurs de l’assurance à rechercher de nouvelles capacités financières en se tournant vers les marchés financiers, par le recours à la titrisation, notamment par l’émission de Cat-Bonds qui se développe surtout depuis une dizaine d’années. Un des enjeux cruciaux sous-jacent concerne l’évaluation et les prix de transaction de ce type de produit. Il faut impérativement rechercher un équilibre qui permette d’un côté de rémunérer la prise de risque, pour ne pas mettre en danger la solvabilité de la compagnie d’assurance, et d’un autre côté, de ne pas décourager les investisseurs potentiels et garantir une certaine attractivité.
3Notre article vise donc à mieux comprendre ce processus d’évaluation des cat-bonds. Il s’organise comme suit. Nous exposons tout d’abord l’intérêt du recours aux Cat-Bonds, leur mode de fonctionnement, ainsi que l’évolution de ce marché durant ces dernières années. Ensuite, nous synthétisons les différents problèmes et approches pour déterminer leur prix. Enfin, une étude empirique sur le risque d’inondation aux USA montre les différentes étapes de valorisation d’un Cat-Bond, et permet d’en discuter les résultats.
1 – Intérêts des Cat-Bonds
4Dans cette section, nous présentons ce produit et les raisons pour lesquelles le marché de la titrisation assurantielle s’est constitué au cours de ces deux dernières décennies.
1.1 – Capacité de capitaux plus grande du marché financier
5D’après Standard & Poor’s, une catastrophe naturelle extrême comme un ouragan détruisant Miami, pourrait coûter au secteur de l’assurance 100 milliards de dollars. Ce montant ne représente que 0,5% de la capitalisation des entreprises composant l’indice S&P 500. Une telle variation est fréquente et aisément absorbée par le marché des capitaux, ce qui montre leur capacité à assumer des risques.
6Chaque compagnie d’assurance ayant un avantage comparatif au niveau de la gestion de certains risques, elle cherche à transférer à d’autres les risques dont elle n’a pas l’expertise. Or, pour offrir une couverture de réassurance, les réassureurs ont besoin de capitaux afin de pouvoir dédommager les compagnies ayant céder leurs risques en cas de survenance d’un sinistre. Comme le capital des réassureurs est limité, les couvertures qu’ils sont en mesure d’offrir le sont aussi. Tous les assureurs ne parviennent donc pas à obtenir des réassureurs des couvertures suffisantes à des prix raisonnables. Ils peuvent alors être tentés de se couvrir directement sur les marchés financiers. Mais comme les marchés de la réassurance et de la finance sont fortement cloisonnés, il existe généralement une différence non négligeable entre les capacités d’offre de ces deux marchés. C’est dans ce contexte que les titres assurantiels ont émergé afin de profiter des opportunités offertes par ces écarts de capacité (Dupont-Courtade, 2013).
1.2 – Le marché des Cat-Bonds
7Les Cat-Bonds sont émis par les assureurs et réassureurs pour protéger leurs clients contre des catastrophes naturelles. Ils paient généralement une prime plus élevée que les obligations d’entreprise ayant une cote de crédit identique. En contrepartie, l’investisseur peut perdre une partie ou la totalité de ses fonds si la catastrophe pour laquelle l’obligation est émise se produit. Sur le graphique n°1, on observe une croissance moyenne du volume d’émission entre 1997 et 2005, puis une forte progression entre 2006 et 2007 avant une chute en 2008 lors de la crise des subprimes. Le niveau d’émission se rapproche aujourd’hui de celui atteint avant la crise (Carpenter, 2015).
Émission de Catastrophe Bonds de 1998 à 2015.\
Émission de Catastrophe Bonds de 1998 à 2015.\
1.3 – Mode de fonctionnement des Cat-Bonds
8En ce qui concerne le principe de base régissant le fonctionnement des Cat-Bonds, on peut le décrire comme suit : l’entreprise cédante du risque émet via un véhicule ad hoc (SPV) une dette obligataire dont le remboursement est conditionné par la survenance d’un évènement donné. Généralement, ce conditionnement peut porter soit sur les coupons uniquement, c’est-à-dire que le nominal est protégé alors que les coupons sont à risque, soit sur le nominal et les coupons, c’est-à-dire que le nominal et les coupons sont risqués.
9Ainsi, si l’évènement fixé a priori survient, seulement la fraction non risquée sera remboursée. Si l’évènement ne se produit pas, l’ensemble des coupons et du principal seront remboursés. Le graphique n°2 ci-dessous schématise le fonctionnement du Cat-Bond.
Fonctionnement du Cat-Bond
Fonctionnement du Cat-Bond
2 – Problématique d’évaluation des Cat-Bonds
10Dans cette partie, nous passerons en revue les différentes approches proposées dans la littérature pour déterminer le coupon d’un cat-bond aux caractéristiques de risque données.
11Les deux méthodes suivantes seront décrites :
- L’approche théorique basée sur l’ajustement d’une distribution statistique et sur la déduction du prix du cat-bond à partir des paramètres de cette distribution ;
- L’approche empirique basée sur l’observation statistique des prix sur le marché des cat-bonds qui permet de déduire la prime de risque à partir des propriétés de risque du cat-bond, calculées à l’aide de modèles de simulation de catastrophes naturelles.
2.1 – L’approche théorique
12En posant l’hypothèse que l’entièreté du risque d’un cat-bond est diversifiable sur les marchés financiers, le prix de celui-ci peut être déterminé par l’espérance des cash-flows actualisés au taux sans risque (Dupont-Courtade, 2013). Le problème devient beaucoup plus complexe si on décide de tarifer le risque non-systématique. Comme les cat-bonds constituent une interface entre le monde de la finance et de l’assurance, rappelons les principes utilisés dans ces deux domaines pour tarifer ce risque non systématique (Embrechts, 2000).
a – Tarification actuarielle
13L’approche actuarielle vise à déterminer, pour un produit d’assurance, une prime équitable du point de vue de l’assureur et de l’assuré. Dans un premier temps, l’espérance des sinistres est calculée. Or, ce montant ne correspond pas à une prime suffisante car la compagnie ne peut en moyenne accumuler les réserves nécessaires pour résister aux années de forte sinistralité. C’est pourquoi l’actuaire ajoute à l’espérance des sinistres un chargement selon une règle donnée dite « principe de prime ».
14Il pourra par exemple décider d’appliquer un chargement proportionnel à l’écart-type :
16Où :
17P est la prime ;
18X est le processus de sinistralité ;
19δ est une constante.
20Enfin, une justification plus moderne du chargement fait référence au fait que la compagnie d’assurance doit détenir un certain capital économique, suite à l’adoption des normes réglementaires Solvency 2, pour faire face aux fluctuations de la sinistralité. Ce capital, fourni par des investisseurs, doit être rémunéré et le chargement est censé représenter cette rémunération.
b – Tarification financière
21L’approche financière vise à déterminer le prix approprié d’un actif financier. S’il s’agit d’un actif non risqué, le prix correspond aux cash-flows futurs actualisés au taux sans risque :
23Où :
24Pt est le prix, en t, d’un actif payant un cash-flow unique ;
25xT est le montant du cash-flow unique reçu au moment T,
26r est le taux d’intérêt sans risque.
27Par contre, si les cash-flows futurs sont incertains, les investisseurs voudront, en moyenne, être rémunérés pour leur prise de risque. Le prix devra donc être inférieur à l’espérance des cashflows futurs actualisés au taux sans risque :
29Où XT est une variable aléatoire représentant le montant du cash-flow reçu au moment T.
30Dès lors, pour arriver à un prix adéquat, la méthodologie financière consiste à mesurer l’espérance des cash-flows futurs, non pas en utilisant les distributions de probabilité réelles de ceux-ci, mais des distributions de probabilité modifiées. Plus précisément, des probabilités accrues seront attribuées aux cash-flows fortement inférieurs à la moyenne, situations auxquelles les investisseurs sont averses :
32Où EQ[] est un opérateur calculant l’espérance sous la mesure de probabilité modifiée Q.
33Dans le cas où le marché est dit « complet », l’hypothèse d’absence d’opportunités d’arbitrage mène à un prix unique. C’est notamment le cas pour les options sur actions avec la célèbre formule de Black & Scholes (1973).
34Par contre, dans le cas où le marché est dit « incomplet », on ne peut que définir des bornes pour les prix des produits financiers. Il est alors nécessaire de recourir à des hypothèses additionnelles pour aboutir à un seul prix situé entre ces deux bornes. Il est par exemple courant de supposer que l’utilité des investisseurs associée à un certain cash-flow est décrite par une fonction donnée (Muermann, 2008). Le prix obtenu dépendra donc de ces hypothèses additionnelles. Malheureusement, lorsque les cash-flows dépendent de catastrophes naturelles, nous nous trouvons dans le cas d’un marché incomplet en raison de l’existence de sauts imprévus de taille aléatoire, ce qui complexifie considérablement l’évaluation des cat-bonds (Braun, 2016).
2.2 – L’approche empirique
35Les approches empiriques ont vu le jour à la suite des premières émissions de Cat-Bonds, elles ont l’avantage d’être plus pragmatiques que les approches théoriques, et donc elles sont mieux assimilées par les investisseurs.
a – La première approche empirique et ses critiques
36Les obligations traditionnelles sont caractérisées par une notation, qui leur est attribuée par une agence spécialisée. Cette notation correspond à une fourchette de probabilités de défaut et détermine le prix des obligations. De manière empirique, on peut alors, à partir des prix cotés pour un échantillon d’obligations à risque, déterminer la prime de risque payée en fonction du rating. Pour calculer la prime de risque d’un cat-bond, on pourrait appliquer la même démarche en définissant son rating à partir de sa probabilité de défaut, et ensuite en fixant la prime de risque en fonction du rating.
37Cette première approche empirique peut cependant être doublement critiquée. D’une part, la plupart des agences de notation supposent que dans le cas d’un défaut d’une entreprise une proportion constante du capital est perdue et que le reste est récupéré. Souvent, cette fraction, appelée par les banquiers « Loss Given Default » ou « LGD », est estimée à environ 60% et supposée être identique pour toutes les compagnies. Pour les obligations traditionnelles, cette hypothèse se vérifie empiriquement. Par contre pour les cat-bonds, la perte en capital en cas de défaut, laquelle peut être estimée par exemple à l’aide de logiciels de simulation de catastrophes naturelles, s’éloigne généralement fortement des 60%. Dès lors, en déterminant la prime de risque d’un cat-bond à partir de sa notation, on sous-estime celle-ci si la perte en capital est supérieure à 60% et inversement si la perte est inférieure à 60%.
38Il faudrait dès lors tenir compte de deux facteurs :
- La probabilité de défaut (« PD ») ;
- La sévérité, éventuellement variable, de la perte en cas de défaut (« LGD »).
39Remarquons que ces deux facteurs déterminent la perte attendue (« Expected Loss ») ou (« EL ») :
41D’autre part, pour les obligations traditionnelles, les notations sont déterminées en fonction de divers facteurs quantitatifs et qualitatifs parfois subjectifs. C’est pourquoi elles ne correspondent qu’à une fourchette de probabilités de défaut et non à une probabilité de défaut donnée. Pour les catbonds, par contre, cette probabilité, de même que la perte en cas de défaut, peuvent être définies de manière précise. En attribuant un rating au catbond en fonction de ces paramètres et en déduisant ensuite la prime de risque à partir du rating, on perd donc une partie précieuse de l’information. Il serait donc plus judicieux de trouver une relation statistique directe entre la prime de risque et les paramètres du risque.
b – L’approche empirique de Lane
42Dès les premières émissions de catbonds, Lane (2000) a tenté d’appréhender leur prix de manière empirique en améliorant progressivement son modèle explicatif année après année. Dans cette partie, nous tenterons de décrire les idées qui sous-tendent ce modèle.
43Logiquement, le coupon payé par un cat-bond peut être décomposé de la manière suivante :
45Le cat-bond paie en effet le taux sans risque auquel on ajoute une prime de risque ou marge. Le taux sans risque sera le plus souvent le LIBOR ou l’EURIBOR.
46La prime de risque est décomposée en deux parties :
48La première partie compense la perte espérée et la seconde rémunère la possibilité d’un écart entre la perte attendue et la perte effective (Expected Excess Return ou EER). Comme l’EER est l’excédent de la MARGE par rapport à la perte espérée, il peut être interprété comme le bénéfice moyen de l’opération, ce qui explique son nom.
49Nous avons donc :
51A un moment donné, le taux sans risque est connu. D’autre part, en supposant que la distribution des pertes est connue, la perte attendue (EL) l’est aussi. Par conséquent, l’incertitude porte essentiellement sur le chargement (EER) censé rémunérer la variabilité du résultat, chargement qui peut être déterminé selon différents principes.
52Il est logique que l’EER dépende de paramètres du risque tels le PD et le LDG décrits ci-dessus. En effet, ceux-ci permettent de mesurer la variabilité de la perte que l’EER est justement censé rémunérer :
54C’est l’hypothèse que reprend Morton Lane (2000) en proposant la formule suivante :
56Notons qu’il s’agit d’une application de la formule de Cobb-Douglas utilisée pour illustrer les possibilités de compromis entre plusieurs facteurs de production dans le cadre de la production de biens ou de services. Dans ce cas, la formule illustre le compromis des investisseurs entre la fréquence et la sévérité des pertes, les paramètres α et β exprimant le rapport selon lequel une augmentation de PD pourrait être échangée contre une diminution de LGD afin de garder la prime de risque constante.
3 – Détermination du taux d’intérêt nominal
57Étant donné le caractère spécifique du Cat-Bond, à savoir que le versement de ses flux financiers dépend de la survenance ou non d’une catastrophe naturelle, le souscripteur prend un double risque. Le premier risque est relatif au déclanchement de l’indemnisation, et le second correspond au montant des dommages qui seront indemnisés. Par conséquent, pour que le Cat-Bond soit plus attractif qu’une obligation classique, son taux d’intérêt nominal doit nécessairement intégrer une prime de risque afin de convaincre les investisseurs d’inclure cette catégorie de produits financiers dans leurs portefeuilles de placement (Bauwens et Walhin, 2008) :
3.1 – Choix de la distribution de probabilité
59Afin de déterminer la bonne distribution de probabilité pour un type de catastrophe naturelle, les actuaires utilisent de longues séries temporelles sur les dommages qu’elle engendre. Par exemple, le graphique n°3 ci-dessous indique le montant annuel des dommages causés par les inondations aux USA, de 1932 à 2009.
Pertes annuelles liées aux inondations aux USA de 1932 à 2009 (106 USD)
Pertes annuelles liées aux inondations aux USA de 1932 à 2009 (106 USD)
60On constate qu’à partir du début des années 1970, le montant annuel des dommages commence à dépasser la barre des 6 Milliards USD, pour atteindre plus de 16 Milliards USD en 1993. Pour les experts de la Halley Center for Climate Prediction and Research UK, cette augmentation provient essentiellement de dérèglements climatiques causés par l’activité humaine. Les phénomènes naturels extrêmes, pour la plupart, sont directement accessibles à l’observation, du fait de leur caractère soudain, alors que d’autres sont observées rarement, car leur temps de retour dépasse largement la durée d’une vie humaine (Schneider, 2013).
61Les inondations se situent dans le premier cas. Afin de déterminer la loi statistique qui va nous permettre de modéliser le processus de sinistralité, on doit dans un premier temps analyser la distribution empirique des pertes causées par les inondations, qui est illustrée dans le graphique n°4 ci-dessous.
Distribution empirique des pertes causées par les inondations de 1932 à 2009
Distribution empirique des pertes causées par les inondations de 1932 à 2009
62En théorie, les courbes lisses telle que celle représentée sur le graphique ci-dessus peuvent être tracée pour les différents types de risques, mais dans la pratique, cela est ni possible ni nécessaire. Pour chaque type de risque, un graphique avec seulement environ 100 observations indique déjà à peu près la forme de la courbe lissée qui aurait tendance à se former si le nombre de pertes augmente. Une courbe similaire peut alors être décrite par un modèle mathématique relativement simple. Les modèles de ce genre sont appelés « fonctions de distribution ». Une fonction parmi les plus élémentaires, mais qui est bien adaptée pour la tarification en excédent de sinistre, se nomme la distribution de Pareto, dont la formule est la suivante (Bütikofer, 1998) :
64Où
65OP : La perte la plus basse prise en considération.
66α : Le paramètre de Pareto.
67Le paramètre de Pareto α peut être estimé de la façon suivante :
69En supposant une perte minimale de 100 Millions USD, on trouve le paramètre α estimé à 0,3852, cela nous permet de calculer la fonction de répartition estimée, qui est illustrée dans le graphique n°5 ci-dessous. On remarque alors, même avec un modèle assez simple, la bonne approximation réalisée de la distribution empirique des pertes causées par les inondations.
Fonction de répartition estimée des pertes causées par les inondations de 1932 à 2009
Fonction de répartition estimée des pertes causées par les inondations de 1932 à 2009
3.2 – Détermination de la fréquence de dépassement du seuil d’indemnisation
70Le Cat-Bond indemnitaire est déclenché lorsque le montant des pertes annuelles dépasse un seuil, qui dans notre cas, est de 10 Milliards USD. On doit donc déterminer, d’une part, l’espérance de l’excèdent de perte annuelle, dont la formule est la suivante :
72Où :
73N : Fréquence de survenance des sinistres.
74X – OP : Excèdent de perte.
75D’autre part, la variance de l’excédent de perte est calculée comme suit :
77La valeur espérée E[X – OP] et E[(X – OP)2] sont reprises dans le tableau n°1.
Formules de calcul des valeurs espérées pour différentes valeurs du paramètre α
Formules de calcul des valeurs espérées pour différentes valeurs du paramètre α
78Pour le calcul de l’espérance de la fréquence des pertes dépassant le seuil de 10 Milliards USD, on doit effectuer les étapes suivantes :
Etape 1
79Nous savons que la fréquence de dépassement du seuil de 100 Millions USD par an est de 1 fois, on commence par calculer le ratio suivant :
Etape 2
81On recherche le point qui correspond à ce ratio sur l’axe horizontal du graphique n°6. Une ligne verticale tracée à partir de ce point croisera la courbe correspondante à α = 0,3852 à la hauteur de l’ordonnée de 0,84. Cette hauteur est la probabilité qu’une perte supérieure au seuil inférieur atteindra au plus le seuil élevée. Nous avons alors besoin de trouver la probabilité complémentaire, c’est-à-dire la probabilité que la perte excédera cette franchise élevée. Cette probabilité est :
Etape 3
83On calcule enfin la fréquence des pertes dépassant le seuil fixé.
85La fréquence des pertes dépassant 10 Milliards USD est alors :
87Le graphique n°6 illustre l’influence du paramètre de Pareto sur la fréquence des pertes. Plus le paramètre de Pareto est élevé, et plus importante sera la fréquence des pertes élevées en relation avec la fréquence des faibles pertes.
Distribution de Pareto (fréquence) en fonction du paramètre α
Distribution de Pareto (fréquence) en fonction du paramètre α
3.3 – Calcul de l’espérance de l’excédent de perte annuelle
88Tout comme pour l’espérance de la fréquence de dépassement du seuil, nous allons ici procéder en trois étapes.
Etape 1
89On calcule le ratio suivant :
Etape 2
91On marque le point représentant ce ratio dans l’axe horizontal des courbes représentées dans le graphique n°7. La projection verticale de ce point croise la courbe correspondant au paramètre α = 0,3852 à la hauteur 0,86. L’excédent de sinistre moyen sera de 86% de la valeur de la couverture.
Distributions de Pareto (espérance de l’excédent de sinistre) en fonction du paramètre α
Distributions de Pareto (espérance de l’excédent de sinistre) en fonction du paramètre α
Etape 3
93On détermine l’espérance de l’excédent de la perte annuelle, en se basant sur la formule suivante :
95Comme on peut le constater sur le graphique n°7, plus le paramètre de Pareto sera élevé, et moins élevée sera l’espérance de l’excédent de la perte annuelle.
3.4 – Calcul de la variance de l’excèdent de perte annuelle
96De même que pour le calcul de l’espérance de l’excédent de la perte annuelle, on procède de la même façon.
Etape 1
97On calcule le ratio suivant :
Etape 2
99On recherche la valeur de la courbe qui correspond à la valeur horizontale calculée dans l’étape 1. La ligne verticale à partir de ce point croise la courbe définie par le paramètre de Pareto α = 0,3852 à la valeur 0,9543.
Etape 3
100Puis, on détermine la variance de l’excédent de la perte annuelle, en se basant sur la formule suivante :
102Comme on peut le constater sur le graphique n°8, plus le paramètre de Pareto sera élevé, et moins élevée sera la variance de l’excédent de la perte annuelle.
Distributions de Pareto (variance de l’excèdent de sinistre) en fonction du paramètre α
Distributions de Pareto (variance de l’excèdent de sinistre) en fonction du paramètre α
3.5 – Calcul de la prime de risque
103En choisissant comme valeur 1% pour la constante δ, la prime de risque sera de :
105En supposant que le taux d’intérêt nominal d’une obligation classique est de 0,88%, on déduit alors le taux d’intérêt nominal du Cat-Bond :
107A titre de comparaison, et comme l’illustre le graphique n°9, pendant la crise financière de 2008, l’indice des Cat-Bonds affichait un rendement entre 14% et 20%, tandis que celui des obligations d’entreprises américaines (notées BB+) chutait de 2% à -22%.
Comparaison du rendement des Cat-Bonds avec l’Indice Boursier S&P 500, de 2003 à 2013
Comparaison du rendement des Cat-Bonds avec l’Indice Boursier S&P 500, de 2003 à 2013
108Dans cette partie, nous avons choisie de recourir à l’estimation de l’espérance de la charge de sinistre au-delà d’un seuil, le seuil s’interprétant comme la limite entre les « grands sinistres » et les sinistres « standards », puisque que dans un certain nombre de cas, les contrats sont réassurés par des traités de type excédent de sinistres (Planchet et Thérond, 2007).
4 – Détermination de la probabilité de dépassement du seuil d’indemnisation
109Afin de déterminer les probabilités de dépassement du seuil d’indemnisation, nous devons dans un premier temps identifier le type de valeurs extrêmes auquel appartiennent nos observations. Par la suite, on formalise la fonction de distribution de loi des valeurs extrêmes, puis on estime ses paramètres, qui nous servent finalement à faire une projection de la fonction de densité de probabilité.
4.1 – L’identification du type de valeurs extrêmes
110En pratique, on souhaite déterminer, pour un échantillon donné, la forme de la queue de distribution, ou du moins, avoir une estimation du domaine d’attraction de la distribution. La méthode des graphiques quantile-quantile permet de fournir une indication de l’appartenance probable à un des domaines d’attraction possibles, comme illustré dans le graphique n°10.
Comparaison entre les quantiles d’une variable qui suit une loi Normal, et les quantiles des pertes économiques dues aux inondations aux USA de 1932 à 2009
Comparaison entre les quantiles d’une variable qui suit une loi Normal, et les quantiles des pertes économiques dues aux inondations aux USA de 1932 à 2009
111Étant donné que les points du graphique ont tendance à se dispersé vers le haut, les données sont vraisemblablement issues d’une loi du domaine d’attraction de Fréchet. Cela est conforté à l’aide du graphique n°11 qui nous renseigne sur la distribution des pertes économiques dues aux inondations aux U.S.A de 1932 à 2009. Étant donné que la distribution a une décroissance lente, et que l’étendue de la variation des données est non borné, notre hypothèse est confirmée.
Distribution des pertes économiques dues aux inondations aux U.S.A de 1932 à 2009
Distribution des pertes économiques dues aux inondations aux U.S.A de 1932 à 2009
4.2 – Fonction de distribution de la loi de Fréchet
112La fonction de distribution de la loi de Fréchet est de la forme suivante :
114Où µ est un paramètre de localisation, il est directement lié à la valeur la plus probable de la loi. Il indique donc approximativement où se trouve le cœur de la dispersion. σ est un paramètre de dispersion, il dévoile l’étalement des extrêmes. ξ est l’indice de la queue de distribution, qui dans le cas de la loi de Fréchet, est positif (Gilleland et Katz, 2016).
4.3 – Estimation des paramètres de la loi de Fréchet
115Les valeurs des paramètres de la loi de Fréchet, dans le cadre de la distribution des pertes causées par les inondations aux U.S.A, sont synthétisées dans le tableau n°2. C’est à partir de ces paramètres que nous allons simuler la distribution de la probabilité de dépassement du seuil d’indemnisation.
Paramètres estimés de la loi de Fréchet, pour la distribution des pertes causées par les inondations aux U.S.A.
Paramètres | Valeurs |
---|---|
Μ | 959,743180 |
Σ | 994,198423 |
Ξ | 0,669854 |
Paramètres estimés de la loi de Fréchet, pour la distribution des pertes causées par les inondations aux U.S.A.
4.4 – Projection de la distribution de la probabilité de dépassement du seuil d’indemnisation
116Concernant la modélisation du risque, nous avons effectué 1 000 simulations de cycle de 5 ans. Pour chaque cycle, nous avons relevé si les pertes causées par les inondations ont dépassé le seuil fixé à 10 Milliards USD. Nous avons ainsi comptabilisé le nombre de simulations où les dommages ont dépassé ce seuil avant respectivement 1 an, 2 ans, 3 ans, 4 ans et 5 ans. La densité des pertes maximales de chaque cycle est représentée sur le graphique n°12.
Densité de probabilité simulée, des pertes causées par les inondations, sur une durée de 5 ans
Densité de probabilité simulée, des pertes causées par les inondations, sur une durée de 5 ans
117Rappelons que ℙQ(τ ≤ ti) est la probabilité que le seuil ait été franchi avant la fin de la ième période et ℙQ(τ = ti) la probabilité que le seuil ait été franchi exactement pendant la ième période, c’est-à-dire entre ti – 1 et ti. Le tableau n°3 synthétise les résultats pour 1 000 simulations. On constate alors que la probabilité de dépassement du seuil critique, augmente au fil des années, dans les mêmes proportions.
Probabilités de dépassement du seuil de 10 Milliards USD
ti en ans | Nombre de simulation ou le seuil est franchi avant ti | ℙQ(τ ≤ ti) | ℙQ(τ > ti) | ℙQ(τ = ti) |
---|---|---|---|---|
t1 = 1 | 48 | 0,048 | 0,952 | 0,048 |
t2 = 2 | 92 | 0,092 | 0,908 | 0,044 |
t3 = 3 | 138 | 0,138 | 0,862 | 0,046 |
t4 = 4 | 187 | 0,187 | 0,813 | 0,049 |
t5 = 5 | 222 | 0,222 | 0,778 | 0,035 |
Probabilités de dépassement du seuil de 10 Milliards USD
4.5 – Valorisation du Cat-Bond sur le risque d’inondation
118Nous supposons que le marché de l’assurance et de réassurance dispose d’une capacité d’indemnisation des dommages causés par les inondations aux U.S.A, de l’ordre de 10 Milliards USD, et que l’émission du Cat-Bond va permettre aux compagnies d’assurance et de réassurance, de disposer d’une capacité supplémentaire de l’ordre de 10 Milliards USD. Nous supposons également que sur la période d’émission du Cat-Bond, le taux d’intérêt nominal reste constant. Le tableau n°4 fournit les caractéristiques de ce Cat-Bond et son prix pour une fraction sans risque de 0.5. En faisant varier cette fraction sans risque, on obtient différentes valeurs pour ce Cat-Bond (voir le tableau n°5).
Caractéristiques du Cat-Bond indemnitaire sur le risque d’inondations aux U.S.A.
Principal F | 10 000 USD |
Coupon c | 1 500 USD |
Maturité T | 5 ans |
Période | 1 an |
Péril couvert | Inondations |
Zone couverte | U.S.A |
Déclencheur | Catastrophe naturelle |
Fraction sans risque f | 0,50 |
Cat-Bond (Coupons et Principal Risqués) | 9 277 |
Cat-Bond (Coupons Risqués) | 9 642 |
Caractéristiques du Cat-Bond indemnitaire sur le risque d’inondations aux U.S.A.
Valeurs du Cat-Bond pour une fraction non risquée comprise entre 0,1 et 0,9
Valeur (Cat-Bond) | ||
---|---|---|
Fraction sans risque f | Coupons Risqués | Coupons et Principal Risqués |
0,1 | 9 551 | 8 576 |
0,2 | 9 574 | 8 751 |
0,3 | 9 597 | 8 926 |
0,4 | 9 619 | 9 101 |
0,5 | 9 642 | 9 277 |
0,6 | 9 665 | 9 452 |
0,7 | 9 688 | 9 627 |
0,8 | 9 711 | 9 802 |
0,9 | 9 734 | 9 978 |
Valeurs du Cat-Bond pour une fraction non risquée comprise entre 0,1 et 0,9
119A partir du tableau N°5, on remarque que :
- La valeur du Cat-Bond (Coupons risqués) est supérieure à la valeur du Cat-Bond (Coupons et Principal risqués), ce qui est tout à fait normal, dans le deuxième cas, les cash-flows sont moindres.
- La valeur du Cat-Bond (Coupons risqués) est moins sensible au changement de la fraction sans risque par rapport à la valeur du Cat-Bond (Coupons et Principal risqués), puisque le principal n’est pas exposé au fractionnement.
- Quand la fraction sans risque tend vers l’unité, la valeur du Cat-Bond (Coupons risqués) et la valeur du Cat-Bond (Coupons et Principal risqués) se rapprochent, car il y aura une égalité des cash-flows générés. Cela est illustré dans le graphique n°13.
Relation entre la valeur du Cat-Bond et la fraction sans risque
Relation entre la valeur du Cat-Bond et la fraction sans risque
4.6 – Comparaison entre la titrisation assurantielle et la réassurance traditionnelle
120Après avoir décrit en détail les principes et intérêts des titres assurantiels, nous pouvons établir une liste des différents points qui les différencient par rapport à la réassurance traditionnelle.
a – Le point de vue de l’émetteur
121On peut résumer les avantages et les inconvénients dans ce qui suit.
Avantages
- Prime de risque théoriquement plus faible selon le « Capital Asset Pricing Model » ;
- Pas de risque de contrepartie, le capital étant entre les mains de la compagnie à l’origine de l’opération (originatrice) ;
- Capacité du marché financier plus important que celle du marché de la réassurance ;
- Contrats pluriannuels permettant d’obtenir la couverture à un prix fixé sur plusieurs années ;
- Reconnaissance comme outil de gestion des risques par l’Union européenne.
Inconvénients
- Existence d’un risque de base lorsque la base d’indemnisation est différente de la sinistralité de l’entreprise originatrice ;
- Implémentation plus complexe et plus coûteuse : nécessité de mettre sur pied un « Special Purpose Vehicule », de faire évaluer l’obligation par une agence de rating, et de payer des commissions importantes aux banques d’affaires ;
- Délais de dédommagement longs pour des titres indemnitaires ;
- Nécessité d’émettre un volume minimum en vue de rentabiliser les frais fixes d’émission ;
- Traditionnellement, uniquement possible pour les risques à développement court ;
- Incertitude quant à la prise en compte de la couverture dans Solvency II, par les agences de rating et l’administration fiscale.
b – Le point de vue de l’investisseur
124Du point de vue de l’investisseur, les avantages et les inconvénients sont les suivants :
Avantages
- Diversification dans des actifs peu corrélés aux titres classiques ;
- Aléa moral réduit lorsque la base d’indemnisation est différente de la sinistralité de l’entreprise originatrice ;
- Primes de risque attrayantes eu regard du risque encouru.
Inconvénients
- Manque d’un marché secondaire liquide et efficace ;
- Manque de produits standardisés qui permettraient le développement du marché secondaire ;
- Corrélation avec les marchés financiers possible en cas de méga-catastrophes.
Conclusion
127Comme nous l’avons montré, le recours à la théorie des valeurs extrêmes nous a permis de mieux modéliser le risque d’inondation, d’avoir des probabilités de survenance plus précises, et par conséquent de se rapprocher de la valeur d’équilibre du Cat-Bond couvrant ce risque.
128Le marché des Cat-Bonds devrait connaître un développement rapide durant les années à venir pour au moins deux raisons. Premièrement, cette catégorie de produits financiers connait une forte demande, en particulier quand les rendements obligataires sont faibles. Deuxièmement, grâce à sa grande flexibilité, ce type de produit peut être décliné non seulement aux risques naturels, mais également aux risques moins sophistiqués affectant les personnes.
129Il faut cependant préciser que l’évaluation du prix des Cat-Bonds ne se limite pas seulement à une mesure quantitative des probabilités de catastrophes naturelles. En effet, du fait de l’illiquidité relative du marché des Cat-Bonds et de la complexité de la structure de ces derniers, ce type de titre se traite en intégrant une prime dite d’illiquidité et de structure qui renchérit leur prix.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : réassurance, catastrophes naturelles, cat-bonds, assurance, valeurs extrêmes, titrisation
Date de mise en ligne : 29/03/2018.
https://doi.org/10.3917/g2000.344.0095