Notes
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[1]
ANESM : Agence Nationale de l’Evaluation et de la Qualité des Etablissements Sociaux et Médico-Sociaux
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[2]
« Enquête régionale-Evaluation et mise en œuvre des outils issus de la Loi 2002 » par l’ARS Ile-de-France, juin 2012
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Sur un échantillon de 117 EHPAD sollicités pour des entretiens, nous avons obtenu des réponses positives que pour 10 EHPAD.
1Dans le cadre de cet article, nous portons notre attention aux structures médico-sociales, et en particulier aux Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), où nous faisons un focus sur les enjeux de la mise en place d’une action d’évaluation (interne et externe), préconisée par la loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 relative aux « Institutions Sociales et Médico-Sociales » et complétée par le décret n° 2010-1319 relatif à la règlementation du calendrier des évaluations. Nous observons les modes de pilotage appliqués dans les EPHAD engagés dans le chantier de la modernisation et nous cherchons à identifier les facteurs d’incitation qui permettent de surmonter les résistances liés à ce projet. Nous nous intéressons en particulier au département des Yvelines dans lequel nous menons une enquête empirique en vue constater le vécu du terrain à ce niveau. Notre objectif est de comprendre les limitations à la capacité des organisations à répondre aux exigences de leur environnement, et qui les maintiennent dans un état d’inertie structurelle. Notre observation s’effectue au regard du prisme théorique sur la conduite du changement, en termes de pilotage, favorisant le renforcement de facteurs d’incitation pour mieux surmonter les facteurs de résistance au changement, que nous développons dans la première partie de cet article. En une deuxième partie nous présentons notre enquête empirique, qui nous emmène à proposer des recommandations.
Les enjeux d’une démarche de modernisation : cadre théorique
2Dans ce contexte de transformation des structures sociales (Kenis, Schneider, 1991), et dans la mesure où les acteurs et les entités organisationnelles sont considérés comme parties prenantes dans l’application de la modernisation, la réussite du projet de modernisation se trouve conditionnée par une approche du changement portant à la fois sur le contenu et sur le processus, qui doivent être « contextualisés » et adaptés à l’environnement dans lequel le changement prend place (Pettigrew, 1987). Cependant, face à ce changement dans l’environnement juridique, les différents établissements de la population d’organisations EHPAD ne semblent pas être à égalité en termes d’aptitude.
La population d’organisations EHPAD
3La population des organisations (Hannan, Freeman, 1989) EHPAD semble disposer d’un caractère partagé qui la différentie des autres organisations sanitaires et médico-sociales. Elle partage entre autres, les mêmes besoins en ressources humaines et matérielles, s’intéresse à la même population (les personnes âgées en situation de dé pendance ou pas), et sont tenues de répondre aux mêmes exigences juridiques : l’EHPAD est soumis au « Code de l’action sociale et des familles » dans le cadre de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux « Institutions Sociales et Médico-Sociales », réformée par la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002. Aussi, bien que toutes les organisations EHPAD dans cette population soient distinctes, elles sont à égalité au niveau de l’obligation de mise en place d’une démarche d’évaluation.
4Par ailleurs dans la population d’organisations EHPAD, les différents établissements ne semblent pas être à égalité face au mécanisme de sélection par l’environnement, où des disparités semblent exister en termes de positionnement vis-à-vis des facteurs de résistances, des facteurs d’incitations, voire aussi vis-à-vis du requis d’un pilotage stratégique d’un tel projet. En effet, à l’intérieur de cette population d’organisations, des sous-populations semblent émerger en fonction de leurs modes de gouvernances ou de leurs entités de rattachement : EHPAD privé à but lucratif, EHPAD privé à but non lucratif, EHPAD associatif, EHPAD public. Dans ces sous-populations, les EHPAD semblent partager la forme juridique, les modes de gouvernances, les entités de rattachement, ainsi que certaines pratiques managériales et organisationnelles : « société commerciale » pour les EHPAD privés à but lucratif relevant généralement de sociétés/groupes privés ; « association à but non lucratif » pour les EHPAD privés à but non lucratif relevant généralement des structures hospitalières ou des mutuelles de santé ; « association loi 1901 » pour les EHPAD associatifs relevant généralement d’associations ; les EHPAD publics relevant généralement du « secteur hospitalier » ou de la « Commune ».
Leviers de pilotage, facteurs de résistance et facteurs d’incitation au changement
5Mais dans un contexte de modernisation, le pilotage du changement semble relater le choix stratégique de l’organisation au sens de Child (1972), où l’organisation pourrait influencer son environnement grâce à des manœuvres stratégiques. Le mode de pilotage semble pouvoir augmenter les marges de manœuvres d’une organisation dans une population, face à un environnement contraignant soumis à un changement. Ainsi, l’adoption d’une approche du changement qui porte à la fois sur le contenu et sur le processus et qui adopte une démarche de décision moins rigide et plus rigoureuse, semble émaner d’un choix stratégique de l’organisation, et s’avère être déterminante pour la réussite de tel projet (Bartoli 2009 ; Bartoli, Chomienne, 2007). Une telle approche permettra alors de surmonter des facteurs de résistance en s’appuyant sur des facteurs d’incitation au changement (Favoreu, 2008). Il en résulte une situation « d’équilibrisme » (Bartoli, Blatrix, 2015) étant donné que les projets de modernisation semblent être tiraillés entre des facteurs de blocage et des facteurs d’incitation au changement (Clergeau de Mascureau, 1995), où le rôle des cadres dirigeants pilotant de tels projets s’avère être déterminant (Rouban, 1996 ; Desmarais, 2003).
6Les projets de modernisation rencontrent généralement des facteurs de résistance qui peuvent entraver leur bon déroulement. Ils s’illustrent par des « freins au démarrage » qui engendrent de l’inertie et entravent le lancement de tout projet de changement, et des « points de fragilité dans la durée » qui conduisent le projet à l’échec en cours de route. Dans une situation « d’équilibrisme », les facteurs de résistance sont contrebalancés par des facteurs d’incitation au changement qui se traduisent par des éléments relevant de « l’impulsion de départ » et d’autres relevant de leur « pérennité ». Ces points de résistance et d’incitation peuvent se décliner autour de quatre types d’obstacles : stratégiques, structurels, culturels et comportementaux (Bartoli, 2009).
7Ainsi, la réussite des projets de changement semble être conditionnée aussi par le rôle des acteurs-pilotes, desquels dépend le management de « l’équilibrisme ». L’objectif du pilotage serait d’éviter les aléas du contexte tout en augmentant l’efficience des démarches managériales engagées, pour optimiser l’utilisation de ressources disponibles (Bartoli, 2009). Le pilotage, qui est tenu d’être « stratégique » et non « à vue », semble être incontournable pour réussir à mobiliser les facteurs d’incitation favorables au changement afin de surmonter les facteurs de résistance (Bartoli, Blatrix, 2015, p. 296 ; Lacroux, Nourry, 1997). Il s’agit d’un pilotage qui s’articule autour de six leviers (Bartoli, Hermel, 1986) :
- Levier I : Eviter l’injonction centralisée avec de grands plans de reformes ou de directives universelles « décrétés », en favorisant l’incrémentalisme et l’adaptation locale progressive au sein d’un cadre général.
- Levier II : Donner une impulsion centrale pérenne, où l’engagement et le soutien des autorités centrales renforce l’initiative locale. Doser entre l’engagement central et l’initiative locale, grâce à un pilotage interactif.
- Levier III : Respecter les spécificités de chaque entité, en évitant les transferts à l’identique entre les secteurs privé et public, ou aussi à l’intérieur même du secteur public.
- Levier IV : Former et informer sur les méthodes, les enjeux, les écueils à éviter et les problématiques de fond lors des changements, au niveau des enseignements de la formation initiale et de la formation continue.
- Levier V : Prendre en compte le facteur temps où les évolutions visées ne sauraient être instantanées, mais s’inscriront dans une logique d’amélioration permanente et progressive.
- Levier VI : Identifier les acteurs clés concernés par le changement.
Enquête empirique : le cas des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD)
8Depuis 2001 les « Maisons de retraite médicalisées » changent de statut pour devenir des « EHPAD ». Au regard de la classification de la population d’organisations, un EHPAD peut être privé à but lucratif, privé à but non lucratif, associatif (association loi 1901), ou public. Du fait de la différence de leurs statuts juridique et de leurs entités de rattachement, les EHPAD se trouvent soumis à des modes de gouvernance différents.
9Mais quel que soit son appellation ou son statut juridique, l’EHPAD est soumis à un cadre règlementaire unique. Aussi, au niveau financier, c’est le Conseil General qui octroi le « budget dépendance et hébergement » et c’est l’Agence Régionale de Santé (ARS) qui délivre le « budget soins ».
Projet de Modernisation des EHPAD
10Le principe directeur de la réforme vise à instaurer une démarche d’amélioration continue de la qualité centrée sur les usagers, en articulant harmonieusement l’innovation sociale et médico-sociale. Il s’agit de la promotion du droit des usagers, de la diversification de l’offre, de l’amélioration des procédures de pilotage du dispositif grâce à l’amélioration du lien entre la planification, l’allocation des ressources, la coordination et l’évaluation. Elle repose sur des dispositifs d’évaluations interne et externe par rapport à des référentiels et des guides de bonnes pratiques définis par l’ANESM [1]. Ces évaluations conditionnent le renouvellement de l’autorisation de l’établissement tous les quinze ans.
11Le décret n° 2010-1319 du 3 novembre 2010 est venu compléter les préconisations de la loi 2002-2 en règlementant le calendrier des évaluations ainsi que les modalités de restitution de leurs résultats.
12Cependant, une enquête régionale [2] réalisée par l’ARS Ile-de-France en 2012 auprès de deux milles Etablissements et Services Médicaux Sociaux a montré une disparité dans l’application des mesures préconisées par la loi. Les écarts constatés quant au niveau d’application des préconisations de la loi justifient notre démarche de recherche.
Méthodologie de recherche
13Dans le cadre de notre recherche exploratoire, nous visons à identifier les causes des disparités dans l’application des mesures préconisées, et de souligner les facteurs d’incitation et les facteurs de résistance liés à ce projet de changement, en vue de proposer des axes d’amélioration.
14Nous optons pour une démarche qualitative qui s’enracine dans la réalité empirique (Glaser, Strauss 1967) des entités des Yvelines. Elle repose sur un travail de construction conceptuelle et théorique complétée par une analyse empirique.
15Nous mobilisons la méthodologie d’études de cas pour mieux comprendre la situation complexe des EHPAD engagés dans ce projet, et pour en donner une représentation en fonction du discours des acteurs (Wacheux, 1996). Nous choisissons comme matériel de recueil de données les entretiens semi-directifs, en nous focalisant sur la fonction de directeur, en raison de sa position stratégique au sein des EHPAD. L’article étudie le cas de dix EHPAD [3] situés sur le département des Yvelines. Dans un souci de représentativité, notre échantillon d’enquête comporte 4 EHPAD privés à but lucratif, 2 EHPAD privés à but non lucratif, 2 EHPAD associatifs et 2 EHPAD publics.
16Outre les entretiens semi-directifs, nous mobilisons des données secondaires composées de documents internes et externes aux EHPAD rencontrées informant sur leurs modes de fonctionnement, de financement, ainsi que sur les outils d’évaluation mis en place. Nous mobilisons aussi des documents émis par la Haute Autorité de Santé (HAS) autour des grilles d’autodiagnostic qualité, pour l’élaboration de notre guide d’entretien. Malgré le fait que notre échantillon soit d’une taille très modeste, il constitue cependant une base de données exploratoire dense en informations grâce à la variété et à la diversité des entités interrogées. Cela nous permet de collecter les informations nécessaires pour mener l’analyse souhaitée.
17La technique d’entretien est adaptée à l’étude de phénomène complexe car elle permet de faire émerger des informations à travers les interprétations des acteurs et l’examen de leur vécu (Hlady-Rispal, 2002). Les informations ainsi collectées sont d’ordre narratif, informatif et démonstratif (Blanchet, 1987).
Les résultats de l’enquête empirique
18En fonction du type de l’EHPAD, nous constatons une disparité dans la mise en place de la fonction évaluation, surtout au niveau interne, qui se traduit par des positionnements différents par rapport aux leviers du pilotage, et par rapport aux facteurs d’incitation et de résistance. Dans un premier temps notre analyse empirique portera sur les leviers de pilotage. Les facteurs de résistance et d’incitation soulignés lors des entretiens feront l’objet de la discussion.
Levier I
19EHPAD privé à but lucratif : La démarche qualité est bien formalisée et bien ancrée dans le fonctionnement de l’établissement. Dans les grands groupes la mise en place de cette démarche et son suivi sont assurés par le département qualité. Le personnel est bien impliqué dans l’application des procédures qualité et des formations régulières du personnel sont organisées dans cette perspective. Le dialogue social est bien rodé, mais le personnel est soumis à une forte pression du fait des exigences lourdes de la démarche imposée par le siège. Des comptes rendus, des tableaux de bord sont quotidiennement exigés et des enquêtes de satisfaction sont fréquemment lancées. « Dans les groupes privés c’est le département qualité qui met en place et on fait que les utiliser et mettre en place au quotidien »
20Compte tenu de leur forte contribution dans le budget hébergement, les usagers sont bien positionnés au cœur du dispositif, sont bien informés sur leurs droits en termes de qualité du service rendu et réagissent rapidement pour signaler toute défaillance à ce niveau. Les représentants des usagers sont aussi très alertés pour contester tout manquement en termes de qualité du service aux usagers. « Dans le privé c’est d’emblée lettres recommandées, ARS, avocat… Enfin c’est impressionnant »
21Le contact direct avec les partenaires sociaux autour de la tarification, ou aussi l’inspection du travail est très complexe voire impossible. Il est principalement assuré par un service de tarification et des coordinateurs au niveau du siège du groupe.
22EHPAD public, EHPAD associatif, EHPAD privé à but non lucratif : la démarche qualité est à ses prémisses. « Ici dans cet établissement public il n y a aucun tableau de bord, aucun indicateur de suivi qualité ».
23Elle est en cours de construction et de mise en place au niveau de la direction. Au départ, l’évaluation interne a été réalisée par le directeur de l’établissement, sans intégrer d’une manière active le personnel et les usagers. Peu ou aucune enquête de satisfaction n’a été lancée à l’attention des usagers. De ce fait, le personnel ainsi que les usagers, leurs représentants et les associations ont été progressivement mais légèrement impliqués dans la démarche qualité. Au niveau des usagers, il existe un conseil de la vie associative, ainsi que des commissions de restauration et des commissions d’animation, comme requis par la loi. Les usagers et leurs représentants sont considérés comme bienveillants et les défaillances constatées sont signalées et traitées globalement à l’amiable. « Ici dans le public on arrive à gérer les situations à l’amiable (….) ils viennent me voir ».
24Au niveau du dialogue social, il existe un conseil de la vie sociale qui se réunit trois fois par an, conformément à la loi.
25Nous avons cependant constaté une divergence au niveau de l’attitude du personnel vis-à-vis de ce projet. Dans les EHPAD publics et les EHPAD privés à but non lucratif, l’ambiance sociale est considérée globalement comme satisfaisante et le personnel est jugé comme coopérant et favorable à la mise en place d’une démarche qualité, mais l’est dans une moindre mesure dans les établissements associatifs. Ce constat s’explique en partie par la moyenne d’âge du personnel. Dans les établissements publics les collaborateurs sont majoritairement vieillissants, fonctionnaires du service public et ont la volonté de bien faire. Dans les EHPAD associatifs le turnover au niveau du personnel, embauché majoritairement en CDD est élevé et la moyenne d’âge est peu élevée.
26Une divergence est aussi constatée au niveau de la relation avec les partenaires sociaux autour de la tarification, ou aussi avec l’inspection du travail. Les établissements publics entretiennent des relations directes avec ces entités, alors que les établissements privés à but lucratif, privé à but non lucratif, et associatifs doivent passer par des structures centrales situées au niveau du siège ou des bureaux d’administrateurs.
Levier II
27Nous constatons que les règles de calcul de dotations sont les mêmes quel que soit le type de l’établissement. L’attitude des autorités de tutelle diffère, cependant, en fonction du type d’EPHAD.
28Points de concordance : Les budgets de fonctionnement sont composés de trois parties : (1) la partie « hébergement » financée par les loyers payés par les résidents, (2) la partie « dépendance » financée par le Conseil Général, (3) la partie « soins » financée par l’ARS. Les budgets sont aussi déterminés par le nombre de lits et le degré de dépendance médicale des résidents, et cela indépendamment du type d’EHPAD « Qu’on soit privé ou public les budgets fonctionnement sont les mêmes. Ça s’appelle des budgets tripartites »
29Points de divergences : Au niveau de la dotation en budget, la différence entre les EHPAD se situe au niveau du budget « hébergement » qui est assuré essentiellement par les loyers payés par les résidents et attribué au financement des services d’animations et des prestations de bien-être. Par conséquent, le niveau de confort et les prestations de bien être ne sont pas les mêmes dans les différents types établissements. « c’est essentiellement les loyers, ici les loyers sont à 70€/jour dans le privé on est 145€/jour »
30Une divergence est aussi constatée au niveau de l’attitude des autorités de tutelle vis-à-vis de l’EHPAD en fonction de son type. Les autorités de tutelle semblent être plus tolérantes et paternalistes vis-à-vis des EHPAD publics, associatifs, ou privés à but non lucratif, où elles sont plutôt à l’écoute. « Dans le public ils sont très à l’écoute (…) Les autorités de tutelles n’embêtent pas les établissements publics »
31Elles adoptent par ailleurs une attitude policière vis-à-vis des EHPAD privés à but lucratifs, exprimée en termes de contrôles sévères. « Dans le privé c’est de l’injonction et du contrôle »
32La cause de cette divergence dans l’attitude des autorités de tutelle est attribuée, par les acteurs rencontrés, au grand budget « hébergement » dont disposent les EHPAD privés à but lucratif. Leur volonté consiste à réduire tant que possible, les dotations « soins » et « dépendance » financées par les fonds publics. « Ce qui les dérange c’est de se dire ils ont un budget hébergement qui est colossal donc on va diminuer autant que possible l’aide d’indépendance, c’est ça l’objectif ». Est évoqué aussi comme cause possible de cette différence d’attitude, le nombre réduit des établissements publics, associatifs et privés à but non lucratif par rapport aux développements importants des établissements privés.
Levier III
33EHPAD privé à but lucratif : La démarche qualité est créée par le département qualité du groupe et de ce fait, elle est spécifique au groupe. Les directeurs des structures, sont des simples exécutants et sont amenés à appliquer les exigences du siège d’une manière systématique sans aucune marge de manœuvre. Une synergie et une mutualisation des bonnes pratiques sont également à souligner au sein des grands groupes. Donc l’adaptation à la spécificité de chaque structure du groupe n’est pas en vigueur. Une bonne synchronisation entre le contenu et le processus est signalée.
« Eh ben dans un groupe privé comme …, j’ai assuré un certain nombre de reprise ou rachat d’établissement et en 3 mois la démarche qualité est mise en place. C’est comme si on voulait livrer une valise c’est la démarche qualité, vous avez les protocoles, vous avez l’indicateur qualité, vous avez les feuilles d’évaluation, il suffit juste de les présenter et les mettre en place »
35EHPAD public : Même si plusieurs établissements se trouvent dans le même département, chaque directeur est libre arbitre de la démarche de qualité et des indicateurs de mesure à mettre en place. Il n’y a pas de coordination et encore moins de synchronisation entre les établissements. Aucune mutualisation de bonnes pratiques ou de coordination n’a été relevée à ce niveau. Des démarches volontaires de coordination et de mutualisation de bonnes pratiques peuvent être mises en place selon la volonté des équipes dirigeantes des établissements d’un même territoire. Par ailleurs certains directeurs signalent qu’ils s’inspirent de précédentes expériences professionnelles dans le privé pour la mise en place de la démarche qualité dans leur établissement actuel. La synchronisation entre le contenu et le processus est un élément pris en considération, cependant une lenteur dans la mise en place est signalée, et une primauté du processus au contenu est pointée. « On est en train de travailler sur la mise en place d’un plan d’actions unique, pour qu’on ait le même support et donc forcément on va se transmettre des informations …c’est une démarche volontaire de mutualisation »
36EHPAD associatif, EHPAD privé à but non lucratif : Des échanges de bonnes pratiques existent entre les directeurs des différents établissements de l’association ou du groupe privé à but non lucratif. Au-delà des frontières de l’association ou du groupe, des échanges peuvent se faire avec d’autres établissements du même type, sans toutefois aller vers d’autres types d’EHPAD étant donné que les modes de fonctionnement sont jugés comme incompatibles. Cette incompatibilité est attribuée à la différence au niveau du contexte, au niveau des modes de gouvernance, au niveau des objectifs financiers, ou aussi au niveau du processus administratif où le directeur de l’EHPAD public, par exemple, est assimilé à un directeur d’hôpital déployant une démarche purement administrative.
« Ça fait 3 ans qu’on travaille ensemble on se connait » ; « on reste dans l’associatif car on n’est pas du tout dans la même démarche, on ne cherche pas à perdre mais on ne cherche pas non plus à rétribuer quelqu’un de l’extérieur et ça dans le lucratif ils n’ont pas d’autre solution ».
Levier IV
38EHPAD privé à but lucratif : Comme c’est le département qualité du siège qui détermine la démarche de modernisation dans les établissements privés, sa mise en place est plutôt considérée comme un maillon logique du processus. Il ne s’agit pas nécessairement de changement ou de résistances au changement. La démarche qualité fait partie des étapes récurrentes du travail au quotidien, et dans cette perspective des groupes de travail sont mis en place. Des formations adaptées aux besoins du personnel sont organisées régulièrement, en vue d’améliorer la qualité du service et apporter satisfaction aux clients. « Dans le privé, il n y a pas de freins puisque c’est une démarche qui existe au quotidien. Chaque semaine il y a des formations, chaque semaine il y a des groupes de travail »
39EHPAD public : Comme souligné précédemment, la démarche qualité est à ses prémisses. Le directeur-pilote estime que le rapport de l’évaluation externe, conjointement aux éléments retenus de l’évaluation interne, feront l’objet d’axes de changement et d’amélioration continue au sein de l’établissement. La direction est tout à fait confiante quant à l’implication et la motivation des « agents » dans la démarche qualité. Aucun frein organisationnel à la mise en place du processus n’est pressenti. « le frein n’est pas fort dans la mesure où c’est des gens qui ont envie de bien faire et le problème c’est qu’on les a jamais montré on les a jamais encadré, on les a jamais écouté ».
40EHPAD associatif, EHPAD privé à but non lucratif : Un manque de formation et d’information est souligné. Le manque de motivation du personnel est pointé aussi et justifié par le faible niveau de salaire ou aussi des conditions de travail difficiles. Par ailleurs, l’incompatibilité entre les exigences relatives à ce type de démarche et les ressources financières octroyées par les autorités de tutelle pour sa mise en place est signalée. « C’est toujours plus avec de moins en moins de ressources »
Levier V
41EHPAD privé à but lucratif : La démarche qualité, préconçue au siège du groupe privé, est bien structurée et bien ancrée dans le fonctionnement de l’établissement. Elle est pilotée par une entité centrale au niveau du siège du groupe. Le rythme du reporting imposé aux directeurs des établissements est très soutenu. Aussi, le facteur résistance au changement est pris en considération et est déjà surmonté. Il en ressort un réel pilotage de l’établissement qui porte son attention aux freins et qui s’appuie sur des indicateurs et des tableaux de bords continuellement renseignés et révisés.
42« Dans la démarche qualité on a des indicateurs qu’on renvoie chaque moi. Chaque mois il y a des tableaux d’indicateurs qualité qui nous permettent chaque année de faire nos rapports annuels et qui nous ont aidés effectivement dans la démarche d’évaluation interne et qui nous ont beaucoup aidés dans la démarche externe »
43EHPAD public, EHPAD associatif, EHPAD privé à but non lucratif : La démarche qualité est à ses prémisses. Suite à la loi 2002-2, une évaluation interne a été menée comme préconisée, sans qu’il y ait l’instauration d’une réelle démarche qualité pérenne dans le temps. Lors de cette première auto-évaluation, l’encadrement supérieur de l’établissement a été exclusivement impliqué, sans toutefois impliquer les collaborateurs et les usagers d’une manière pérenne. La mise en place d’une réelle démarche qualité, conjointement à des indicateurs et des tableaux de bords, est un projet engagé actuellement suite aux préconisations de l’évaluation externe récente. « Ici dans cet établissement il n y a aucun tableau de bord, aucun indicateur de suivi qualité »
Levier VI
44EHPAD privé à but lucratif : Au niveau des acteurs clés sont cités le directeur de l’établissement, le département qualité du siège, le responsable des ressources humaines et le responsable finances de l’établissement, le cadre santé et le médecin coordinateur.
45Au niveau du pilotage, les directeurs-pilotes signalent une lourdeur administrative résultant des exigences de la démarche qualité. Malgré leur volonté d’insuffler une certaine dynamique dans les établissements qu’ils dirigent, ils pointent globalement une faible marge de manœuvre, où ils sont même tenus de renseigner des tableaux sur leur propre travail. Ils ont cependant à leur disposition que le budget et les moyens de paiement qu’ils peuvent décider directement de leurs utilisations.
46« Vous savez quand vous passez sur 10h de boulot par jour vous passez plus de 5h à faire des reporting, des tableaux.., vous ne faites plus votre travail dans l’établissement auprès des résidents et des agents » « J’avais mon budget et mes moyens de paiement »
47Au niveau du type de pilotage appliqué, c’est le modèle participatif qui est le plus évoqué.
48EHPAD public : Au niveau des acteurs clés, les fonctions signalées sont celles du directeur et de son adjoint, du cadre de santé, du médecin coordinateur, de l’infirmière coordinatrice, du chef de projet, et des services supports de la mairie (les Ressources humaines et les Finances). Au niveau du pilotage, bien que les directeurs-pilotes signalent qu’ils ont des comptes à rendre, ils admettent avoir une bonne marge de liberté et une faible pression. Cependant ils notent qu’au niveau des décisions financières, même minimes, ils sont très dépendants. « J’ai des comptes à rendre mais je me sens libre même si tout ce qui est règlement financier est difficile ici (…) Là je dois demander à Monsieur le Maire si je peux dépenser »
49Au niveau du type de pilotage appliqué, c’est le modèle participatif qui est évoqué et défendu.
50EHPAD associatif, EHPAD privé à but non lucratif : Au niveau des acteurs clés, les fonctions signalées sont celles du directeur, de la gouvernante, du comptable, de la secrétaire, de l’infirmière référente et de l’animatrice. Une mutualisation au niveau de la comptabilité, de la paie et du système d’information est signalée. Ces fonctions sont gérées au niveau du siège. Mais la gestion des Ressources Humaines s’effectue au niveau de chaque établissement, tout en comptant sur l’appui de la direction centrale des RH.
51Au niveau du pilotage, chaque établissement est doté d’un budget de fonctionnement géré d’une manière autonome. « Chaque établissement est autonome sur son budget et prendre des décisions dans le cadre du budget ».
52Au niveau du type de pilotage appliqué, c’est le model participatif qui est évoqué.
Discussion
53Nous constatons aussi que les différents types d’EHPAD ne sont pas à pied d’égalité vis-à-vis des freins et des facteurs d’incitations au changement, et cela au niveau des différentes dimensions stratégiques, structurelles, culturelles et comportementales au sens de Bartoli (2009).
54Au niveau de la dimension stratégique, nous constatons que les EHPAD privés à but lucratif ont une longueur d’avance sur les EHPAD publics, privés à but non lucratif, et associatifs, dans la mise en place de la démarche qualité avec ses différentes évaluations (internes et externes). Cela amplifie les freins stratégiques au démarrage dans les EHPAD publics, privés à but non lucratif, et associatifs, où la logique institutionnelle rend la prise de décision difficile. Par ailleurs, cette faiblesse de l’évaluation/bilans/consolidations génère une fragilité dans la durée. Au niveau des facteurs d’incitation, nous constatons que l’impulsion de départ est pérenne et l’engagement des autorités de tutelle est irrévocable. Cependant, l’application de la loi au sein des établissements semble suivre des rythmes variés, en fonction du degré d’avancement dans la mise en place d’une démarche qualité.
55Au niveau de la dimension structurelle, nous constatons que quel que soit le type de l’établissement, les résistances d’ordre structurel sont omniprésentes, mais basées sur des critères explicatifs différents. En ce qui concerne les EHPAD privés à but lucratif, le manque d’autonomie des dirigeants représente un frein de démarrage assez lourd. Dans les EHPAD publics, les moyens limités dont disposent les dirigeants, qu’ils soient d’ordre financier ou humain, représentent le principal handicap de démarrage. Cela peut générer dans la durée, une phagocytose bureaucratique qui amplifie le risque de départ des cadres. Au niveau des facteurs d’incitation, nous constatons qu’au sein des EHPAD, tout type confondu, la logique d’amélioration permanente et progressive pour une adaptation constante à un contexte dynamique est bien prise en considération. Au niveau des EHPAD privés à but lucratif, la démarche qualité est bien structurée et ancrée dans le fonctionnement des établissements. Dans les EHPAD publics, associatifs et privés à but non lucratif, la mise en place d’une réelle démarche qualité est un projet engagé actuellement suite aux préconisations de l’évaluation externe récente.
56Au niveau de la dimension culturelle, nous avons constaté que dans les établissements privés à but lucratif, la démarche qualité est spécifiquement créée par le département qualité du groupe et est appliquée à l’identique au niveau des différentes entités du groupe. Mais cela est jugé comme descendant au niveau de certains établissements du groupe, et risque de renforcer la tendance à la réunionite.
57Au niveau des établissements publics, associatifs et privés à but non lucratif, chaque établissement définit une comme la démarche qualité est personnalisée, la crainte du risque, la tradition de la permanence et l’existence de tabous peuvent constituer des freins considérables au démarrage. Le reflexe du recours hiérarchique peut aussi fragiliser cette démarche dans la durée. Mais l’engagement irrévocable des pouvoirs publics dans ce projet favorise la disparition des tabous et la mise en place d’un phénomène de mode, qui constituent des facteurs d’impulsion de départ. La pérennité de ces facteurs est favorisée par l’approche moderne sur laquelle repose ce projet.
58Au niveau de la dimension comportementale, nous constatons que la résistance au changement dans le secteur privé semble être faible du fait que la démarche qualité soit bien structurée et bien ancrée dans le fonctionnement de l’établissement. Néanmoins les témoignages des acteurs nous révèlent que le rôle des dirigeants réduit à des simples exécutants au sein des structures, constitue une source de démotivation et de frustration. Au niveau des facteurs d’incitation, nous constatons que dans les EHPAD privés, le personnel est bien impliqué dans l’application des procédures qualité et que des formations régulières du personnel sont organisées. Dans les établissements publics, les directeurs-pilotes sont considérés comme plus moteurs et moins exécutifs. Au niveau du pilotage, les directeurs des établissements publics, associatifs et privés à but non lucratif semblent avoir une plus grande marge de liberté et subissent moins de pression que leurs confrères du privé à but lucratif. L’importante marge de manœuvre et l’habitude de débrouillardise peuvent favoriser l’impulsion de départ. Par ailleurs, au niveau financier, les directeurs des établissements privés à but lucratif, privés à but non lucratif et associatifs sont moins dépendants que leurs confrères du public. De ce fait, les différents types d’EHPAD ne sont pas à pied d’égalité vis-à-vis des freins comportementaux au démarrage et des facteurs d’incitations au départ.
Conclusion
59In fine tout en tenant compte de la grande modestie de notre échantillon empirique et par ailleurs l’impossibilité de généralisation nous pouvons par ailleurs souligner que le facteur déterminant pour la réussite du projet de modernisation des EHPAD est le pilotage appliqué, qui peut renforcer les facteurs d’incitation en vue de mieux surmonter des facteurs de résistance au changement. C’est la qualité du pilotage, le reflet du choix stratégique de l’EHPAD, qui va déterminer la capacité à manager « l’équilibrisme » dans le cadre du projet de modernisation, et par conséquent à survivre dans une population d’organisations. A ce niveau, les EHPAD privés à but lucratif semblent avoir une longueur d’avance sur les autres EHPAD.
60Les témoignages des équipes de direction des établissements rencontrés tout statut confondu, nous a permis de constater que le pilotage du projet de modernisation des EHPAD semble prendre une allure stratégique plus ou moins confirmée en fonction du type de l’établissement.
61En vue de rompre avec le pilotage à « vue » et renforcer le pilotage stratégique surtout au niveau des EHPAD publics, des EHPAD associatifs et des EHPAD privés à but non lucratif, nous proposons des recommandations de bonnes pratiques qui pourrons renforcer les facteurs d’incitation et réduire les facteurs de résistance dans le projet de modernisation des EHPAD. Ces recommandations, qui s’articulent autour de trois axes, pourraient contribuer à augmenter les chances de survies des EHPAD face au mécanisme de sélection par l’environnement, à l’intérieur des différentes sous-populations d’organisations ainsi qu’au niveau de la population générique d’organisation EHPAD :
- L’accélération de la mise en place de la démarche qualité : Cela est sur tout nécessaire au niveau des EHPAD publics, associatifs, et privés à but non lucratif. Le savoir nécessaire à la mise en place d’une telle démarche semble exister au niveau des cadres dirigeants, mais les moyens qui permettent une mise en place rapide semblent insuffisants. L’action dans ce sens semble alors être essentielle.
- Favoriser la diffusion des bonnes pratiques : il serait recommandable que les autorités de tutelles organisent d’une manière périodique des rencontres d’échange d’expériences et de pratiques entre les différents directeurs d’EHPAD tout statut juridique confondu au niveau d’un département, voire d’une région. Cela peut générer de l’apprentissage stratégique collectif et peut favoriser la diffusion des bonnes pratiques managériales relatives à l’application des démarches d’évaluation. L’extension de ces rencontres d’échanges de pratiques à d’autres fonctions impliquées dans la démarche qualité (par exemple aux médecins coordinateurs) peut s’avérer aussi fortement bénéfique.
- Renforcer les formations du personnel : Cela est surtout nécessaire au niveau des EHPAD publics et associatifs, mais aussi dans une moindre mesure au niveau des EHPAD privés à but non lucratif. Pour accélérer la mise en place des préconisations des rapports d’évaluation, il serait recommandable de renforcer les formations pour les différents acteurs impliqués dans la démarche.
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Mots-clés éditeurs : évaluation, pilotage, résistance, incitation, modernisation
Mise en ligne 16/11/2016
https://doi.org/10.3917/g2000.331.0017Notes
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[3]
Sur un échantillon de 117 EHPAD sollicités pour des entretiens, nous avons obtenu des réponses positives que pour 10 EHPAD.