Couverture de G2000_285

Article de revue

La socialisation des contrôleurs de gestion : une illusion ?

Pages 101 à 121

1La demande accrue de contrôle dans les organisations publiques et privées depuis une vingtaine d’années a donné lieu à de nombreux travaux académiques (Ezzamel & ali., 1997, Miller & O’Leary, 1993) tout en laissant dans l’ombre la place des acteurs susceptibles de répondre à cette demande. Or, la conception et la mise en œuvre de mécanismes de contrôle s’imaginent difficilement en l’absence de spécialistes du domaine ou lorsque la légitimité de ces derniers est contestée. Les résultats des rares études menées sur la question concluent que l’intérêt croissant du contrôle est relié paradoxalement à une méfiance des utilisateurs opérationnels envers les contrôleurs (Hoffjan, 2004). Cette méfiance découlerait d’une crainte d’une implication plus forte de ces derniers dans la prise de décision laquelle n’est pas naturellement souhaitée sur le terrain par les managers (Indjejikian & Matejka, 2006). De nombreux travaux académiques montrent, par ailleurs, que l’image des animateurs des systèmes de contrôle est souvent négative (Byrne & Pierce, 2007). Une image purement comptable de compteur de haricots est très ancrée dans les esprits (Friedman & Lyne, 1997), parfois d’aide à la décision et de conseiller (Scapens & Jazayeri, 2003), mais aussi et surtout de vérification (Sathe, 1982, Byrne & Pierce, 2007).

2L’ensemble de ces travaux se focalise sur l’image des animateurs du contrôle de gestion en ne recueillant, dans la plupart des études, que le point de vue des contrôleurs eux-mêmes. Or, leur présence dans les services opérationnels et les activités exercées dans ces unités relèvent, nous semble-t-il, davantage de problèmes d’acceptation par les acteurs, d’intégration dans ces services, que d’image. Afin d’appréhender de manière plus précise une telle problématique de l’acceptation, notre recherche mobilise le cadre conceptuel de la socialisation organisationnelle utilisé en sociologie et en gestion des ressources humaines pour analyser le processus et le résultat de l’intégration des salariés. A partir de ce cadre, et des différences d’image (positive vs négative) constatées dans la littérature (Chiapello, 1990, Fornerino & Godener, 2006, Yazdifar & Tsamenyi, 2005), qui nous invitent à envisager la diversité des représentations, cette contribution vise à identifier les différences de socialisation des contrôleurs au sein des entreprises. Pour ce faire, cet article présente, dans un premier temps, les travaux consacrés à l’image des contrôleurs de gestion et à la socialisation organisationnelle susceptible d’enrichir les résultats des travaux antérieurs sur les contrôleurs (1.). Dans un second temps, la méthodologie de deux études empiriques est exposée (2.) ainsi que les résultats des analyses menées (3.).

L’acceptation des contrôleurs de gestion : de l’image à la socialisation organisationnelle

3Notre étude, qui s’intéresse à l’acceptation du personnel de la fonction contrôle de gestion par les managers opérationnels, se positionne dans deux courants de recherche complémentaires : les études orientées vers l’image des contrôleurs (1.1.); les travaux consacrés aux différences de cultures professionnelles (1.2.). Pour approfondir ces travaux, le cadre conceptuel de la socialisation organisationnelle est mobilisé (1.3.).

La contingence de l’image véhiculée par la fonction

4Les travaux dédiés aux professionnels de la fonction comptable et contrôle de gestion décrivent souvent ces derniers comme des personnages monotones, inintéressants, sombres, ennuyeux (Cory, 1992), inflexible, passif, non créatif, désagréable, sans humour (Hoffjan, 2004). Au-delà de ces traits de personnalité, leurs actions peuvent les amener à être considérés comme des «pinailleurs», des «empêcheurs de tourner en rond», des «procéduriers», (Simon, 2000), des «intrus» (Ezzamel & Burns, 2005) au profil incertain, souvent ressentis comme des envoyés de la direction (Byrne & Pierce, 2007), des «compteurs de haricots» (Friedman & Lyne, 1997), des «surveillants» (Segal, 1991), voire des «policiers» (Boisvert, 1994).

5Ce constat est à relativiser en fonction des utilisateurs du contrôle. Ainsi, dans l’étude de Chiapello (1990), les directeurs généraux ont une très bonne perception (41% des réponses) des contrôleurs notamment sur la question de leur utilité, alors que les opérationnels sont plus nuancés. L’investissement à long terme des contrôleurs dans le pilotage des unités décentralisées est mis en doute par ces derniers : pour plus de 57% des acteurs du contrôle interrogés, les contrôleurs font partie d’une population qui se renouvelle très vite, plus vite que dans d’autres fonctions (Chiapello, 1990). Fornerino & Godener (2006) constatent également deux images et profils différents : conseiller et technicien. Quand bien même l’image d’aide est plutôt reliée au premier, celle de surveillance apparaît autant attachée aux conseillers qu’aux techniciens.

6Une telle dualité d’image et le degré de participation des managers au processus de contrôle sont généralement expliqués par l’orientation du poste du contrôleur ainsi que par ses pratiques de communication orale (Godener & Fornerino, 2005) : l’attitude des managers serait significativement plus favorable lorsque les contrôleurs de gestion «conseillers» mettent en pratique des techniques de communication dites ouvertes que lorsqu’ils utilisent des moyens de pression. Les attitudes relationnelles développées par les contrôleurs influenceraient l’adhésion des acteurs notamment dans des organisations utilisant des systèmes de contrôle de type conventionnaliste (Bollecker & Niglis, 2009).

L’acceptation des contrôleurs dans les travaux sur les cultures professionnelles

7Le second courant de recherche, identifié dans la littérature, consacré aux relations entre contrôleurs et managers opérationnels, se focalise sur les différences de cultures professionnelles, c’est-à-dire de langages, valeurs et systèmes de représentation différents, ainsi que de lutte entre groupes professionnels. Les travaux antérieurs récents montrent l’existence d’une double culture, financière et opérationnelle, dans la plupart des organisations. Le contrôleur de gestion appartient à un groupe professionnel dont la culture financière n’est pas la seule, les pratiques sont fragmentées et la culture hybride (Burns & Baldvindottir 2005). De nombreux travaux anglais et nord-américains se sont intéressés à cette question notamment à celle qui oppose la finance aux autres fonctions (Morales & Pezet, 2010). Ces micro-cultures s’influencent mutuellement à l’instar des acteurs des systèmes comptables insérés dans des dispositifs visant, par la quantification et le chiffre, à rendre les individus de l’organisation gouvernables (Miller & O’Leary, 1987, Loft, 1986). Les comptables ont la possibilité d’étendre leur champ d’action en s’opposant aux groupes dominants tels que les ingénieurs ou les commerciaux (Ezzamel & Burns, 2005). Les opérationnels, quant à eux, s’inscrivent souvent dans une culture d’ingénieurs, prégnante dans l’industrie française (Bourdieu, 1989).

8La culture est alors au centre d’un jeu d’acteurs et de stratégies individuelles. Caron (2005) observe ainsi que les stratégies d’acculturation des contrôleurs aux savoirs des non-comptables les rendent complices de leurs attentes. Parallèlement, l’acculturation des non-comptables à la comptabilité leur permet de préserver leur distance : il s’agirait d’une trajectoire elliptique, à certains moments complices des non-comptables, à d’autres distants.

9La compatibilité entre ces différentes cultures semble fondamentale car elle conditionnerait l’acceptation du contrôle de gestion par les opérationnels (Godener & Fornerino, 2005). Oriot (2004) analyse ainsi l’impact des interactions entre les cultures professionnelles sur l’intégration d’un système de contrôle central. Dans des situations de «complémentarité», où les cultures professionnelles des acteurs sont différenciées (financière - commerciale), un contexte d’intégration est observé signifiant le souci d’articuler les besoins du siège avec ceux des agences. Les cultures «redondantes» ou identiques (financière – financière) favorisent principalement le prolongement des pratiques du siège. Les situations caractérisées par une «rupture de relations», dans un climat de contestation voire de tension entre contrôleurs et responsables opérationnels, sont liées à des pratiques minimales de mise en œuvre du système de contrôle du siège et à la nécessité de pallier ses déficiences.

10Finalement, ces deux courants de recherche, consacrés à l’acceptation des contrôleurs par les utilisateurs opérationnels, nous conduisent à constater une image variable en fonction du contexte organisationnel et social. Cependant, ces différentes études n’abordent la question de l’acceptation du personnel de la fonction contrôle de gestion qu’en mobilisant le concept d’image perçue. Or, de nombreux travaux en gestion des ressources humaines (Van Maanen, 1975, Fischer 1986, Lacaze, 2000, Perrot, 2005, Bargues, 2008) cherchent à étudier l’intégration des salariés au sein d’un groupe ou d’une organisation. Ces travaux qui se structurent autour de la notion de socialisation organisationnelle nous semblent constituer un corpus intéressant permettant d’analyser l’acceptation des contrôleurs par les opérationnels.

L’emprunt du cadre conceptuel de la socialisation organisationnelle

11La socialisation organisationnelle constitue un champ de recherche qui trouve son origine en sociologie et en psychologie. Elle peut être définie comme «le processus d’apprentissage des «ficelles» d’un emploi, d’un rôle organisationnel… le processus par lequel un individu reçoit l’enseignement de ce qui est important dans une organisation et dans les sous unités… le processus par lequel un individu acquiert les connaissances sociales et les compétences» (Schein, 1988) d’un métier, d’un poste, d’une entreprise. Pour Van Maanen (1975) il s’agit du «processus par lequel un membre de l’organisation apprend les comportements requis et les attitudes attendues».

12Ce cadre conceptuel s’intéresse non seulement au processus d’intégration du personnel récemment recruté, mais également aux situations des individus conservant le même rôle et la même position dans une organisation, mais dont leur environnement est affecté par des évolutions significatives (Fisher, 1986). La socialisation a donc lieu à chaque fois qu’une frontière de l’organisation est franchie – embauche, changement de poste, nouveau dirigeant, changement d’objectif ou de mission organisationnelle – (Van Maanen et Schein, 1979). Il s’agit d’un ensemble d’ajustement et d’apprentissages sur de multiples dimensions qui a lieu tout au long de la vie professionnelle (Schein, 1968, Chao & al., 1994).

13La mobilisation de la socialisation organisationnelle dans notre recherche semble intéressante. Plus précisément, les outils de mesure émanant de ce cadre conceptuel permettent d’évaluer le degré d’intégration des contrôleurs, d’acceptation par les opérationnels. En effet, les indicateurs conçus par les chercheurs sont des indicateurs du résultat de ce processus, une mesure des conséquences attendues de la socialisation (Lacaze & Fabre, 2005) dans la mesure où ils s’intéressent aux comportements requis et aux attitudes attendues (Van Maanen, 1975).

14La socialisation n’est pas que consciente et volontaire : elle se traduit non seulement par des procédures (Lacaze, 2000), stratégies ou tactiques (Perrot, 2005) mais aussi plus globalement par des pratiques (Bargues, 2008). Les tenants d’une perspective intégratrice de la socialisation (Fischer, 1986, Anakwee & Grenhaus, 1999) observent que cette dernière est liée à l’importance de l’adéquation entre l’individu et l’organisation en termes de valeur et de culture, entre les individus et entre l’individu et son travail. Plus précisément, la socialisation peut se réaliser dans cinq domaines (Fischer, 1986) : l’organisation (apprentissage des valeurs de l’organisation, de ses objectifs, de sa culture), le groupe de travail (relations sociales, valeurs, normes et culture spécifiques au groupe), le rôle organisationnel que joue l’individu (ses missions et ses objectifs), la compétence (méthodes, qualifications et connaissances nécessaires), l’individu (changements personnels de motivation, de l’estime de soi et de l’identité) (Bargues, 2008). Notre contribution ne s’intéresse qu’aux trois premiers domaines de façon à pouvoir relier les résultats de notre étude empirique aux recherches antérieures portant sur l’image des contrôleurs : la position et le rôle de ces derniers, la compatibilité de cultures professionnelles différentes et la culture professionnelle de l’organisation.

Méthodologie des études empiriques

15Cette recherche adopte une démarche exploratoire et inductive dans la mesure où les travaux cités dans la première partie, bien qu’utiles pour cadrer l’étude, ne permettent pas de formuler clairement des hypothèses. En effet, soit ces travaux visent à analyser la socialisation organisationnelle d’acteurs différents de ceux impliqués dans les systèmes de contrôle de gestion, soit ils portent sur la seule image des contrôleurs. Notre contribution se positionne donc au croisement de ces deux types de travaux. Pour mesurer le degré de socialisation et établir une typologie, deux études ont été menées : une enquête administrée par questionnaire (2.1.) et une seconde menée par entretiens semi-directifs (2.2.).

L’enquête quantitative

16L’étude quantitative visait des filiales d’entreprises industrielles et commerciales françaises. Ce mode de recueil des données est adopté quasi unanimement dans les travaux consacrés à la socialisation organisationnelle (Bargues, 2008).

17L’échantillon de l’étude quantitative réalisée est extrait de la base de données Kompass qui a permis de définir une population mère de 1645 entreprises, dont l’effectif est compris entre 50 et 2.000 salariés. Un questionnaire a été administré auprès de managers opérationnels (responsables fabrication et responsables commerciaux) en prenant en compte l’avis des utilisateurs du contrôle de gestion. Ce choix a été réalisé dans la mesure où la majorité des travaux sur l’image des contrôleurs de gestion se focalise sur le point de vue exclusif de ces derniers (Caron, 2005, Fornerino & Godener, 2006, Lambert & Sponem, 2003, 2009). Or, l’analyse de leur acceptation par les autres membres de l’entreprise suppose également de recueillir l’avis des utilisateurs (Godener, Fornerino, 2005). Par ailleurs, la socialisation organisationnelle, et plus précisément le résultat de celle-ci, s’évalue surtout en dehors de l’individu qui fait l’objet du processus d’intégration (Perrot, 2005) puisqu’elle concerne des comportements requis et des attitudes attendues (Van Maanen, 1975).

18Le questionnaire était structuré en trois thématiques sélectionnées à partir des besoins de notre recherche et permettant de présenter aux répondants des ensembles de questions homogènes : les caractéristiques de l’entreprise; le système de contrôle de gestion et le profil du contrôleur; le profil du manager opérationnel. L’élaboration du questionnaire a suivi un processus itératif en plusieurs séquences qui a permis de le pré-tester entraînant des modifications, sur l’ordre des rubriques, les items et les échelles de mesure. Les échelles et indicateurs synthétiques ont été sélectionnés après avoir été testés auprès de cinq managers opérationnels de filiales d’entreprises industrielles pour évaluer de manière homogène les différents positionnements des répondants. Les échelles de mesure et les regroupements d’items liés à la socialisation ont fait l’objet de tests de validité dans des études antérieures (Perrot 2005, Lacaze, 2000, Bargues, 2008). Nous avons procédé à notre tour à une analyse statistique permettant d’analyser la fiabilité des différentes questions ou items pour chaque variable (Alpha de Cronbach compris entre 0,6 et 0,80).

19Sur les 1645 envois, 153 questionnaires nous ont été retournés dont 120 réellement exploitables. Cet échantillon relativement limité eu égard à la cible initiale peut s’expliquer par le caractère sensible de la thématique traitée dans le cadre de cette recherche : la socialisation des contrôleurs.

Tableau 1

Fonctions des répondants

Tableau 1
Responsables de site/directeurs d’établissement 15 12,5% Directeurs de production/responsables fabrication/chefs d’atelier 21 17,5% Directeurs de groupe d’agence ou de magasin 19 15,8% Responsables des ventes 17 14,2% Responsables d’exploitation 19 15,8% Directeurs des opérations 6 5,0% Directeurs régionaux 9 7,5% Responsables de département 14 11,7% Total 120 100,00%

Fonctions des répondants

20L’échantillon de notre étude est composé en majorité d’entreprises industrielles (plus de 72 %), d’entités dont l’effectif est supérieur à 100 salariés (90 %) rattachés à des groupes de taille importante (85 % font partie d’un groupe de plus de 2.000 personnes). Les répondants exercent principalement des fonctions de directeur ou de responsable de production (17,6 %), d’agence (15,8 %), d’exploitation (15,8 %), ou des ventes (14,1 %).

L’enquête qualitative

21Une étude qualitative a été menée dans le but de compléter l’étude quantitative. La question du travail des acteurs du contrôle de gestion étant éminemment personnelle et contextualisée, la seule utilisation de questions auto administrées pose problème. L’analyse des données recueillies par le biais des questionnaires de notre étude quantitative n’a pas permis d’interpréter clairement certaines corrélations, notamment entre les différences de cultures professionnelles et la socialisation des contrôleurs. Les rencontres avec les responsables opérationnels ont alors permis d’approfondir de telles relations. L’étude qualitative a été réalisée auprès de vingt six managers opérationnels au contact des contrôleurs de gestion, dans des filiales de groupes français. Les entretiens d’une durée d’une heure et demi à deux heures concernent :

  • Neuf chefs de département de trois filiales d’un groupe de la grande distribution que nous appellerons «Distri» dans la suite de cet article;
  • Cinq chefs d’ateliers et deux responsables régionaux des ventes de deux filiales d’un groupe industriel spécialisé dans la fabrication de matériel de chauffage, ou «Fabcho»;
  • Six chefs d’atelier et un responsable des ventes de trois filiales d’un groupe industriel fabriquant des produits en cuivre, ou «Cuivro»;
  • Trois responsables d’usine d’une filiale d’un sous-traitant de l’industrie automobile ou «Siégeo».
Le guide d’entretien était structuré autour de plusieurs thématiques : le contexte de l’entreprise, la culture du groupe, du site, du contrôleur et du manager interrogé, la socialisation des animateurs du contrôle.

Les résultats des enquêtes quantitatives et qualitatives

22L’analyse des données recueillies dans les deux enquêtes permet de déterminer les caractéristiques des contrôleurs de notre échantillon (3.1.), et d’identifier trois profils différents relatifs à leur socialisation (3.2. à 3.4.).

Les caractéristiques des contrôleurs de gestion de l’échantillon

23Les contrôleurs de gestion de l’échantillon sont majoritairement rattachés à la direction financière et à celle du site. Seul un quart d’entre eux dépend des responsables opérationnels interrogés (Tableau 2). Ces deux constats témoignent d’une centralisation et d’une orientation financière de la fonction confirmées par l’identification des clients effectifs des contrôleurs, c’est-à-dire les acteurs avec lesquels ils travaillent.

Tableau 2

Rattachement hiérarchique des contrôleurs de gestion

Tableau 2
N % Responsable opérationnel (interrogé) 30 25 Directeur financier 48 40 Directeur du groupe 9 7,5 Directeur du site 33 27,5 TOTAL 120 100

Rattachement hiérarchique des contrôleurs de gestion

24En effet, les animateurs des systèmes de contrôle de l’échantillon exercent plus souvent leurs activités pour la direction financière et la direction du site que pour les managers opérationnels (Tableau 3). Les résultats sont proches de l’extrémité, que nous avons qualifiée de «systématiquement», de l’échelle de Lickert à six positions. A partir d’une telle orientation centralisatrice et financière de la fonction, nous avons cherché à savoir quelle est la perception du rôle des contrôleurs par les différents managers opérationnels.

Tableau 3

Clients internes des contrôleurs

Tableau 3
Fréquence d’interactions N Faible3 Moyenne Elevée Moyenne Ecart type Direction du site 120 10% 5% 85% 5,2000 1,36954 Direction du groupe 120 17,5% 32,5% 50% 4,2000 1,68333 Direction financière 120 5% 12,5% 82,5% 5,2500 1,24516 Service opérationnel 120 7,5% 25% 67,5% 4,7750 1,42877

Clients internes des contrôleurs

25Les résultats montrent que les contrôleurs de gestion sont surtout considérés par les responsables d’unités commerciales et industrielles, par ordre d’importance, comme des conseillers, des techniciens, des co-pilotes, des chasseurs de coûts, et enfin des surveillants. En revanche, ils sont moins souvent appréhendés comme des bureaucrates, des partenaires d’affaires, des formateurs, ou encore des agents de changement.

Tableau 4

Le rôle des contrôleurs perçu par les opérationnels

Tableau 4
N Faible3 Moyen Elevée Moyenne Ecart type Technicien 120 27,5% 35% 37,5% 3,5250 1,63451 Conseiller 120 10% 27,5% 62,5% 4,5500 1,34633 Surveillant 120 27,5% 45% 27,5% 3,7250 1,63451 Copilote 120 25% 37,5% 37,5% 3,5500 1,66451 Bureaucrate 120 72,5% 17,5% 10% 1,9750 1,33764 Partenaire 120 50% 42,5% 7,5% 2,6250 1,36007 Formateur 120 32,5% 60% 7,5% 3,0250 1,35636 Chasseur de coûts 120 20% 47,5% 32,5% 3,7500 1,39778 Agent de changement 120 40% 47,5% 12,5% 2,8250 1,40026

Le rôle des contrôleurs perçu par les opérationnels

26Ces résultats conduisent à nous interroger sur la socialisation perçue des contrôleurs et notamment celle :

  • Des «surveillants», des «chasseurs de coûts», ou encore des «bureaucrates». Il est possible en effet de douter de leur intégration au sein de l’unité opérationnelle et de la sérénité des relations de travail avec les membres de cette dernière.
  • Des conseillers rattachés aux directions non opérationnelles. L’orientation centralisatrice et financière de ce rattachement peut être contradictoire avec un rôle de conseiller des opérationnels.
Ces résultats conduisent également à souligner l’hybridité de certains profils : nombreux sont les opérationnels interrogés ayant entouré des rôles qui paraissent opposés et complémentaires. Une typologie semble donc se dessiner ce qui nous a conduit à réaliser une analyse en correspondance multiple (ACM). Après une sélection des modalités comportant un nombre d’observations suffisant (Saporta, 1990), 103 modalités ont été sélectionnées (correspondant à 35 variables). Après avoir lancé l’ACM, trois axes se sont distingués. Le pourcentage d’inertie de ces trois axes est de 44,20%, soit de 26,20% pour le premier, de 10,70% pour le second et de 7,3% pour le troisième. Nous retiendrons dans la représentation graphique ci-dessous les deux premiers axes qui se caractérisent respectivement par, d’une part, la perception qu’ont les responsables opérationnels du rôle de bureaucrate des contrôleurs de gestion et, d’autre part, par la culture financière des contrôleurs de gestion.

27Dans la mesure où l’analyse en correspondances multiples ne constitue pas une méthode suffisante pour effectuer des typologies, une classification ascendante hiérarchique (CAH) a été également réalisée. Les classes ont été formées à partir de la méthode de Ward (analyse de la variance afin d’évaluer les distances entre classes). L’analyse a permis de déterminer trois classes respectivement de 81, 12 et 27 entreprises dans lesquelles évoluent trois profils de contrôleurs de gestion différents. Des regroupements ont pu alors être réalisés également sur le graphique édité à partir de l’analyse en correspondance multiple (Figure 1).

Figure 1

Typologie de contrôleurs de gestion

Figure 1

Typologie de contrôleurs de gestion

Les légitimés : des techniciens financiers socialisés

28La première de ces classes regroupe 27 entreprises, soit 22,5% de l’échantillon. Les contrôleurs de gestion peuvent ici être qualifiés de «légitimés». Les résultats montrent que les animateurs des systèmes de contrôle sont davantage perçus, que dans les deux autres groupes, comme socialisés. Ils bénéficient d’une clarté des rôles et maîtrisent le jargon de l’unité, montrent une efficacité dans le travail, une connaissance du contexte politique interne, et intègrent l’histoire des rituels et des valeurs de l’unité. Une adéquation entre l’identité du contrôleur et le poste, l’organisation et les relations interpersonnelles est par ailleurs plus forte dans ce groupe.

29Les résultats révèlent que ce profil apparaît comme étant moins perçu, par les répondants à l’enquête, dans des fonctions de surveillants et de bureaucrates que dans les deux autres classes. Ils se distinguent particulièrement par leur rôle de technicien financier, si l’on se réfère aux variables « rôle de technicien » et « culture financière des contrôleurs ». Leurs activités se caractériseraient par une expertise découlant de formations et d’expériences dans le domaine financier.

30Ce constat de socialisation n’a, a priori, rien de surprenant dans la mesure où il paraît évident de constater que l’image des contrôleurs est meilleure lorsque les acteurs communiquent et coopèrent autour des activités de conseil et d’aide (Godener & Fornerino, 2005) que dans des situations caractérisées par de la surveillance. Cependant, on peut s’interroger sur une telle perception dans la mesure où les contrôleurs de gestion, avec lesquels les managers opérationnels interrogés travaillent, exercent également des activités avec la direction du groupe et la direction administrative et financière. Ainsi, pourraient-ils être considérés comme des envoyés de la direction générale (Danziger, 2000), comme des surveillants chargés de remonter l’information pour le reporting financier (Rouwelaar & Bots, 2008). Par ailleurs, ce profil est considéré comme étant plus immergé dans une culture financière que dans les autres classes. Ce résultat est également observé au niveau de l’ensemble de l’entreprise (i.e. le groupe). Cette orientation pourrait donc être en paradoxe avec les besoins industriels ou commerciaux des managers.

31La socialisation de ces contrôleurs peut s’expliquer par la proximité culturelle des opérationnels répondant à notre enquête. La CAH permet d’observer que la culture financière de ces derniers est plus forte que dans les deux autres classes de notre échantillon. Le rôle de technicien financier des légitimés semble être perçu positivement par les opérationnels car eux-mêmes seraient impliqués dans des problématiques de rentabilité, au-delà des préoccupations purement industrielles ou commerciales. La socialisation des contrôleurs serait donc facilitée par une homogénéité du langage et des valeurs au sein des organisations, c’est-à-dire par une compatibilité de cultures redondantes favorisant le prolongement des pratiques du siège (Oriot, 2004). Les contrôleurs de gestion de ce groupe sont alors légitimes dans l’exercice de leur fonction.

32Les divers entretiens conduits dans une des 27 entreprises de cette classe et plus précisément dans les filiales du groupe Distri (commerce de détail) nous ont permis de confirmer ces résultats. Dans ce groupe, la faible place accordée à la dimension financière jusqu’en 2003, permettait l’expression d’une culture commerciale forte exprimée par les responsables de rayon et de département des magasins : «les commerciaux étaient très éloignés de l’administratif… il s’agissait de deux mondes bien différents» (Kader A., responsable de magasin). Avant le rachat des magasins par une nouvelle direction, les anciens dirigeants ne prônaient qu’à la marge la dimension financière. L’arrivée de nouveaux dirigeants-propriétaires, disposant d’une forte expérience dans des services financiers de la grande distribution, s’est traduite alors par :

  • Le renforcement de l’équipe de contrôleurs de gestion : «ils ont été le véhicule du rapprochement au travers du langage financier pour assurer la coordination de l’ensemble» (Jacques E.);
  • La nomination à des postes clefs de responsables sensibles aux aspects financiers;
  • La définition d’un projet d’entreprise autour des axes de la rentabilité, de la satisfaction des clients et des salariés;
  • Le projet d’agrandissement de plusieurs magasins : il a permis «de faire réfléchir tout le monde ensemble, avec un point commun : le retour sur investissement décliné jusqu’au plus bas de la hiérarchie… jusqu’au rayon» (Rodolphe T.);
  • La formation des responsables aux nouveaux outils financiers;
  • La redéfinition des profils de postes des responsables de rayon devenant des «mini-dirigeants devant atteindre des objectifs de rentabilité».
Cette orientation financière des filiales est en cohérence avec la politique du groupe qui accorde une importance majeure au prix dans sa stratégie commerciale. L’objectif pour le groupe Distri est la vente au meilleur prix pour rendre accessible au plus grand nombre le maximum de biens et de services. Ce principe s’appuie sur trois fondamentaux :
  • La négociation par le groupe de conditions d’achat nationales pour le compte de l’ensemble des magasins.
  • Le contrôle régulier du niveau des prix pratiqués dans les magasins afin de permettre à l’enseigne de rester la moins chère.
  • Une marque créée par le groupe pour mieux défendre le pouvoir d’achat des consommateurs.
La culture professionnelle à dominante financière des contrôleurs de gestion, compatible avec celles des responsables de département et, plus globalement, des magasins et du groupe Distri, semble leur permettre d’intervenir sans difficulté apparente auprès des directions. Elle favorise aussi et surtout la coopération avec les managers commerciaux et permet aux contrôleurs d’être perçus comme socialisés par ces derniers.

Les marginalisés : des bureaucrates financiers

33La seconde classe regroupe 12 entreprises, soit 10% de l’échantillon. Elle est constituée de contrôleurs de gestion que nous qualifions de «marginalisés».

34La CAH montre que les contrôleurs sont perçus comme maîtrisant moins le jargon pour l’exercice de l’activité de l’unité que dans les autres groupes, intégrant moins l’histoire, les rituels et les valeurs de celle-ci, sont moins efficaces dans le travail, et connaissent moins le contexte politique interne. L’attitude des contrôleurs au travail semble se caractériser, d’après les managers, par une insatisfaction et une volonté de ne pas rester dans l’unité. Les changements réalisés pour s’adapter à cette dernière sont faibles. Par ailleurs, les répondants estiment qu’ils ont moins la possibilité d’utiliser toutes leurs compétences que les autres profils, paraissent en décalage par rapport à la manière de fonctionner dans l’unité et sont en inadéquation avec le poste, l’organisation et les relations interpersonnelles.

35Les résultats révèlent que cette situation de marginalisation apparaît malgré une culture financière des contrôleurs de gestion moins prononcée que dans la classe précédente. Pour quelles raisons ne sont-ils alors pas plus proches des responsables d’unités que les légitimés ?

36Les résultats montrent que les marginalisés sont considérés comme des bureaucrates, rôle qui se distingue particulièrement dans cette classe. Ils sont moins perçus, par les répondants à l’enquête dans des fonctions de conseiller, de partenaire, de formateur, d’agent de changement, et de chasseur de coût que dans les deux autres classes. Ces perceptions se traduiraient donc par une distanciation marquée des contrôleurs n’intervenant que faiblement dans les décisions des responsables opérationnels : la CAH permet d’observer que l’influence des contrôleurs de ce groupe dans leurs décisions est la plus faible de l’échantillon. Cette distance apparente peut s’expliquer non seulement par le rôle de bureaucrate, mais aussi par la faible culture industrielle des contrôleurs de gestion : celle-ci est moins marquée que dans les autres groupes. Un tel constat contraste fortement avec les cultures des sites, des groupes et des responsables opérationnels interrogés, plus ancrées dans des valeurs industrielles et moins dans des valeurs monétaires que dans les deux autres classes que distingue la CAH.

37Dans un rôle de bureaucrate et un contexte peu propice à l’expression d’une orientation financière, les contrôleurs de gestion paraissent isolés et peu socialisés. Ce constat pose alors la question de la légitimité des systèmes de contrôle de gestion dans de tels contextes. L’analyse des commentaires apportés par les répondants aux questionnaires ainsi que l’étude qualitative permettent d’expliquer ce paradoxe par une volonté récente des directions générales de développer une culture financière. La crise et la stagnation des marchés nécessiteraient la mise en œuvre d’outils de planification pour mieux appréhender le futur.

38Le groupe Fabcho, spécialisé dans la fabrication de matériel de chauffage, constitue une illustration de cette classe composée de 12 entreprises. Fabcho axe ses efforts sur le développement de nouvelles sources d’énergie. Le groupe est tourné vers l’innovation, au travers d’une politique de Recherche et Développement dynamique (5% de son chiffre d’affaires annuel est consacré à l’innovation) et des relations de partenariat avec des laboratoires et des centres de recherche. Par ailleurs le groupe se trouve au cœur de nombreux enjeux de développement durable de l’industrie, tant concernant les développements technologiques qui permettront de produire plus durablement, que les problématiques sociales et sociétales. Enfin, la stratégie se focalise sur la croissance externe, qui se traduit par l’acquisition de sociétés étrangères, afin de pénétrer des marchés en développement où les besoins d’infrastructures sont importants. Cependant, la crise a conduit récemment à focaliser l’attention davantage sur le financier, suite à la suspension et l’annulation de commandes importantes. Des décisions de réduction des dépenses externes, de maîtrise des coûts internes, d’une sélection plus forte des investissements justifient le développement récent d’une logique financière et, particulièrement, du contrôle de gestion.

39Néanmoins, il ne s’agit que du commencement de la démarche qui suscite de nombreuses résistances dans une culture industrielle dominante. Les commentaires recueillis dans l’analyse qualitative auprès des chefs d’ateliers des filiales de Fabcho illustrent cette volonté de développement récent du contrôle de gestion et les résistances à y adhérer :

  • « Les tableaux de bord mis en place en début d’année sont pour nous une contrainte de reporting financier et non pas un outil de pilotage local de la fabrication » (Luc G.).
  • « L’aspect administratif et comptable qui se développe de plus en plus n’est pas ma tasse de thé. Pour moi, ce qui importe, c’est de servir les bénéficiaires de mon atelier mais pas les fonctionnels » (Yannick K.).
  • « Je n’ai pas besoin de la finance. Si je gère correctement sur le plan technique, l’aspect économique suivra » (Yannick K.).
La culture professionnelle dominante est ancrée dans des valeurs industrielles. Elles ne semblent pas correspondre à celle du contrôleur de gestion susceptibles de favoriser leur socialisation et leur intervention auprès des opérationnels.

Les intégrés : des partenaires influents

40La troisième classe regroupe 81 entreprises, soit 67,5% de l’échantillon. Elle est constituée de contrôleurs de gestion que nous qualifions d’«intégrés».

41Les résultats montrent que, par rapport aux deux précédentes catégories, ce profil est davantage perçu dans des rôles de conseiller, de partenaire, de copilote, où encore de chasseur de coût. Les responsables d’unités industrielles ou commerciales les appréhendent également plus comme des acteurs de terrain, engagés dans des actions de formation et de changement, peu bureaucratisés et peu technicisés. Parallèlement, les répondants estiment que les contrôleurs «intégrés» exercent également, de manière plus prononcée que dans les deux autres classes, des fonctions de surveillant. L’influence de ces contrôleurs semble être la plus forte dans les décisions prises au niveau des directions opérationnelles, administratives et financières, de site, ou encore de groupe.

42Or, malgré cette forte présence, caractérisée par de l’influence dans les décisions, malgré une double orientation – centralisée/décentralisée – et la perception d’un rôle de surveillance, les responsables opérationnels ne voient pas les contrôleurs de gestion comme non-socialisés. En effet, cette classe, distinguée dans la CAH, met en lumière une socialisation intermédiaire eu égard aux deux autres profils, en matière de clarté des rôles, de contenu de la socialisation, et de l’adéquation au poste, à l’organisation, et aux relations interpersonnelles. Cette socialisation intermédiaire peut s’expliquer par les dualités identifiables dans le profil de ces contrôleurs (rôles de surveillant et de conseiller, culture financière et culture non financière) impliquant à la fois proximité et distance entre les acteurs : de la proximité pour l’influence, de la distance pour la surveillance des activités. Il s’agit donc d’«intégrés», au sens où les caractéristiques individuelles des contrôleurs de gestion, avant ou après leur prise de fonction, est en décalage avec celle des responsables opérationnels, ce qui ne nuit pas ou peu à l’acceptation des premiers par les seconds. Les résultats montrent ainsi que les intégrés sont moins ancrés dans des valeurs financières mais plus dans des valeurs industrielles que les marginalisés ou les légitimés. Un processus d’acculturation, d’ajustement, d’intégration semble alors se déclencher, lequel facilite leur coopération. Deux cas de figure se présentent dans notre étude permettant d’expliquer ces résultats.

43Pour le premier, il peut s’agir de professionnels à forte expérience technique issus de cursus universitaires du secteur secondaire. De ce fait, ils semblent disposer d’une connaissance solide des process de l’entreprise car ils ont occupé une fonction d’opérationnel pendant une bonne partie de leur carrière. Ayant été au contact du terrain, ils ont développé des relations de travail avec les autres collègues opérationnels et sont ancrés dans la culture professionnelle locale. Leur évolution vers un poste de contrôleur de gestion les a conduits à changer naturellement l’exercice de leur rôle et leur ancrage culturel. Les résultats de l’analyse de la CAH de ce troisième groupe montrent ainsi que l’indicateur de changements individuels pour la socialisation (apport d’un renouveau dans l’exercice du rôle, changement personnel depuis l’intégration dans l’unité) est plus élevé dans ce groupe que dans les deux précédents.

44Néanmoins, cette évolution vers le contrôle ne semble pas avoir altéré leur socialisation même s’ils ne travaillent pas ou plus avec l’opérationnel répondant et s’ils sont considérés comme des surveillants. Les entretiens chez «Siégeo», filiale d’un sous-traitant de l’industrie automobile, nous ont permis d’expliquer les raisons de cette contradiction :

  • La culture des contrôleurs reste industrielle en accord avec celle des managers opérationnels : «fondamentalement nous venons de la même «boutique» et, au fond, même s’il occupe un autre poste, Richard fait partie de ma famille» (Bertrand F.).
  • Le langage industriel est conservé dans les relations entre les contrôleurs et les répondants à l’enquête : «quand je le rencontre, on parle le même jargon… et lorsqu’il parle de questions d’argent, il m’explique longuement et de manière très pédagogique» (Jean-Luc B.).
  • L’histoire des relations antérieures à la prise de fonction semble importante car elle constitue un socle : «on évoque souvent ensemble le passé quand il travaillait pour moi au montage… et ça nous met de très bonne humeur pour commencer la réunion» (Pierre S.).
  • L’explicitation du rôle des contrôleurs contribue lever d’éventuelles ambiguïtés : «très souvent, François m’explique ce qu’il fait et pourquoi il le fait… je lui demande aussi pourquoi il me demande toutes ces informations régulièrement, car moi, je n’ai pas toujours le temps…» (Mathieu S.)
Le deuxième cas de figure, qui permet d’expliquer la socialisation de ces contrôleurs intégrés est celui d’individus provenant d’un cursus universitaire et professionnel à orientation financière. Leur intégration dans l’entreprise semble avoir nécessité une adaptation au langage et aux valeurs des responsables opérationnels. C’est le cas dans les filiales de « Cuivro », groupe industriel fabriquant des produits en cuivre. Un chef d’atelier évoque l’arrivée du contrôleur dans l’entreprise : «ce nouvel administratif, je m’en suis tout de suite méfié. Il est jeune, porte un costume et voulait contrôler la rentabilité de mon service. Mais progressivement je me suis rendu compte qu’il s’adaptait à moi et que le métier rentrait. Il a très vite compris le jargon» (Lucas S.). Dans ce groupe, il apparaît que deux cultures cohabitent de manière distincte : une forte culture industrielle dans les filiales; une culture financière au sein du groupe. En effet, «Cuivro» développe une stratégie consistant à renforcer la position de leadership et à accroître la profitabilité par :
  • La croissance dans les segments qui offrent les plus grandes potentialités de développement et les plus hautes rentabilités;
  • Une ouverture de l’activité à de nouveaux produits et/ou de nouvelles exigences;
  • Une politique d’investissements axée sur les objectifs garantissant l’innovation et la qualité orientées vers la satisfaction des clients.
Quand bien même les clients internes des contrôleurs de gestion sont principalement les directions du groupe et financière, leur positionnement au sein des filiales n’altère pas leur socialisation car ils semblent s’être adaptés à la culture de ces dernières. Ils disposent donc à la fois de valeurs financières et de valeurs opérationnelles qui cohabitent dans le groupe, contrairement aux profils analysés et décrits dans les sections précédentes.

Conclusion

45Les résultats de cette contribution sont, à l’instar de toute recherche, à relativiser notamment pour deux raisons majeures. L’analyse de la socialisation et des cultures professionnelles par l’administration d’un questionnaire et des interviews ne donne que l’avis des répondants, sans confirmation par l’observation des pratiques et des rites, ou par l’étude des langages employés notamment. Par ailleurs, la seule consultation des managers d’unités opérationnelles et commerciales mériterait d’être complétée en recueillant le point de vue des contrôleurs eux-mêmes. Cet article constitue néanmoins une contribution à la recherche encore embryonnaire consacrée à l’acceptation des contrôleurs au sein des organisations.

46Les apports de cette recherche se situent à différents niveaux. L’utilisation du cadre conceptuel de la socialisation organisationnelle a permis ainsi de cerner finement l’acceptation des contrôleurs par les responsables opérationnels et de disposer d’une grille robuste ayant déjà été mobilisée en gestion des ressources humaines notamment. Les résultats de notre contribution révèlent par ailleurs des différences marquées de socialisation des contrôleurs et met l’accent sur les rôles et les cultures professionnelles, privilégiant une approche taxonomique à orientation sociologique et managériale. Ainsi, les trois types de contrôleurs identifiés sont-ils caractérisés d’abord par leur degré d’intégration grâce à un cadre méthodologique ad hoc et non par leur seule fonction au sein des organisations.

47Nos résultats sous-tendent alors que la place accordée aux contrôleurs est susceptible d’évoluer en fonction de transformations et culturelles et fonctionnelles. L’étude du cas Distri montre dans quelle mesure les contrôleurs sont légitimés par l’orientation financière de la culture des nouveaux dirigeants : avant l’arrivée de ces derniers, les contrôleurs de gestion semblaient marginalisés. Des études complémentaires seraient nécessaires pour analyser la dynamique de changement d’une classe à l’autre au-delà des constats statiques que nous avons réalisés.

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Mots-clés éditeurs : socialisation organisationnelle, contrôleur de gestion

Date de mise en ligne : 24/03/2014

https://doi.org/10.3917/g2000.285.0101

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