Notes
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[1]
Voir pour plus de détails sur cette question l’excellente première partie du livre de G. Bazalgette, La tentation du biologique et la psychanalyse, Toulouse, érès, 2006.
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[2]
J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique » (1946), dans Écrits. Paris, Le Seuil, 1966.
-
[3]
Travail qu’effectua M. Foucault dans Le pouvoir psychiatrique – Cours au collège de France 1973-1974, Paris, Le Seuil, 2003.
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[4]
R. Castel La gestion des risques (1980), Paris, Éditions de Minuit, 2012, 2e éd.
-
[5]
M. Czermak, Patronymies – Considérations cliniques sur les psychoses (1998), Toulouse, érès, 2012, 2e éd.
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[6]
Ceci est déjà relevé par G. Canguilhem. Il le fit – entre autres – dans une célèbre conférence prononcée à la Sorbonne en 1980, « Le cerveau et la pensée », publiée par la Bibliothèque du Collège International de philosophie, Georges Canguilhem, historien des sciences, Paris, Albin Michel, 1993.
-
[7]
En certain cas, il est imposé, ceci allant de la suggestion commune du médecin traitant au forçage dans nombre de services psychiatriques.
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[8]
R. Gori, M.-J. del Volgo, La santé totalitaire, Paris, Denoël, 2005, p. 51.
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[9]
Et ajoutons, avec F. Chaumon, du côté d’une détermination événementielle traumatique systématisée pour une psychologie clinique victimologique, qui fait le pendant à la psychiatrie organiciste et l’accompagne dans les institutions. F. Chaumon, La loi, le sujet et la jouissance, Paris, Michalon, 2004.
1 Dans les années 1950, la découverte de molécules nouvelles a permis un certain usage des psychotropes, un relatif vent de liberté a alors effleuré la contrainte asilaire. Cela fut bénéfique à certains, en particulier à des patients atteints de lourdes psychoses qui n’avaient pas pu trouver de solutions pour éviter la décompensation ou en revenir. Ce fut un moment fécond pour la psychiatrie d’après-guerre qui soutenait les patients dans leur vie hors de l’asile ; ceci est un acquis bien connu.
2 Il arrive dans notre pratique d’avoir recours à l’arsenal psychiatrique : hospitalisation ou appel à une médication quand la jouissance ne peut être enrayée. Nous avons tous aussi dans nos cabinets, des sujets psychotiques médiqués, parfois depuis tant de temps que nous ne savons si les molécules produisent ce qui est attendu par le prescripteur ou bien s’il y a pour le sujet impossibilité à ne pas se ranger sous le signifiant de la prise médicamenteuse.
3 Les psychotropes sont un recours parfois aussi dans la névrose, et il peut arriver au psychanalyste d’engager les sujets qui sont en entretiens préliminaires à demander un sédatif, voire un anxiolytique à leur médecin traitant : quand la situation de crise fait que l’angoisse empêche de dormir pendant des jours, quand elle est tellement envahissante que les coordonnées de son irruption ne peuvent être repérables. De façon transitoire, le recours aux psychotropes peut être un soutien face à des tourments vains. Il semble qu’une fois le transfert ancré, cela n’a plus lieu d’être parce que l’analyste vient compléter le symptôme, ce qui amène souvent un premier effet « thérapeutique », allégeant le sujet qui est dans le travail analytique.
4 Ceci étant posé, l’usage des psychotropes dans notre temps scientiste ne cesse de questionner, car les pratiques de médication actuelles affectent les sujets en faisant de la tragédie de leur vie une maladie et cela vient objecter souvent à un pas vers la psychanalyse. Ceci car cette dernière s’appuie sur l’inclusion du sujet dans la cause de son symptôme et se soutient de la rectification possible de la jouissance qui est tapie dans ce dernier. En un mot, la psychanalyse pose la responsabilité éthique du sujet.
5 Si le médicament peut aider de façon ponctuelle le sujet à se reposer de lui-même, soit des secousses de son inconscient, il ne résout ni ne traite rien : on ne peut guère se repousser sans cesse. Mais le refoulé reste tapi – le psychotrope renforce le refoulement – puisque c’est en jouant sur le vivant que le médicament agit, sur le support matériel de ce qui permet de penser. Le moi pâtit de l’usage des psychotropes et semble n’avoir de cesse d’user du refoulement du refoulement afin de masquer ce qui est à traiter ; l’inconscient en pâtit aussi, car le travail de la pensée – dans le sens du processus primaire freudien – semble ne plus s’effectuer. L’expérience montre que des sujets, très médiqués depuis souvent fort longtemps, sont dans l’incapacité de trouver des solutions, aucun nouage du réel aux deux autres ronds de la structure ne pouvant se préciser : ils restent extrêmement mélancolisés, dans une sorte d’inertie assez effrayante. Le travail psychique peut reprendre dès l’allègement du traitement médicamenteux : rêves et rêveries, pensées inconscientes semblent alors relancés, l’imaginaire et le symbolique se mettent en fonction pour rattraper un réel déconnecté. Ces réflexions sont bien sûr banales, car c’est le lot quotidien des patients hospitalisés, que la psychiatrie chronicise trop souvent en ne leur permettant pas d’inventer leurs symptômes, en bloquant tout simplement avec les psychotropes, tout travail de la pensée inconsciente. Cela arrive aussi de plus en plus souvent hors des murs de l’hôpital où trop de patients errent, « zombifiés » par les médicaments.
6 Malgré le truisme de ces assertions, ce qu’elles soulignent demande cependant un positionnement : tous les psychanalystes ne sont pas d’accord sur la question, sans parler des psychiatres, voire des psychologues, eux qui parlent d’une détermination « bio-psycho-sociale », trilogie sacro-sainte, validant le discours courant et laissant la causalité psychique dans l’indétermination d’une interactivité entre le génétique, l’individu et un « milieu » flou.
Deux ordres de causalité et deux modes de traitement de la jouissance
7 La psychiatrie est aujourd’hui largement rentrée dans le giron du positivisme médical, et la médication devient la pratique privilégiée prenant en charge la souffrance psychique. Elle est dominée par l’idéologie des neurosciences (de la neurobiologie aux TCC). Une large partie de ce champ avance que la causalité de l’humain, ce qui détermine son existence, se situe dans le biologique de la connectique neuronale, posant une continuité entre les lois du système nerveux et celles du psychisme.
8 Le système nerveux relève des lois de la nature, telle que la physique peut les appréhender. Le problème des neurosciences, c’est de matérialiser l’activité psychique. Elles s’appuient sur le fait qu’à l’imagerie cérébrale, certaines zones sont en activité dans telle situation expérimentale. Est posée une continuité entre phénomènes psychiques et activités du cerveau régulées par une biochimie complexe [1]. La question est celle-ci : y a-t-il vraiment une continuité du psychisme et des lois de la physique – telles qu’elles s’expriment dans le fonctionnement cérébral –, ou bien existe-t-il des lois qui soient propres au champ psychique ?
9 À l’évidence, pour la psychanalyse, l’activité proprement psychique qui nous intéresse – celle propre au sujet de l’inconscient – n’est pas localisable comme telle dans le cerveau, le mental ne relève pas des lois de la physique. Lacan porta critique, dès 1946, à l’organo-dynamisme de Henri Ey via – à l’époque – une théorie fondée sur l’imago, mais aussi déjà sur l’idée de la prise de l’humain dans le langage et donc des rapports fondamentaux entretenus avec l’Autre [2]. Ne pensons pas que la localisation dans le vivant de la causalité psychique soit nouvelle, ce texte de l’immédiate après-guerre de Lacan nous le rappelle, comme nous le montrerait une lecture de l’histoire de la psychiatrie [3].
10 Seule la vision freudienne effectua une rupture d’avec le vivant comme cause des styles de l’existence ; Freud fit du fonctionnement psychique le lieu d’une logique qui lui est propre, différente du fonctionnement des organes. C’est en cela que l’invention freudienne mérite le nom de révolution : sans doute fallait-il la découverte de l’inconscient pour trouver une causalité uniquement psychique au fonctionnement humain.
11 L’orientation actuelle de la psychiatrie sur la neurobiologie ou plus largement sur les neurosciences n’est qu’une nouvelle forme de cet organicisme, dont seules la phénoménologie et la psychanalyse l’ont peut-être un temps, aujourd’hui quasi révolu, allégée. Pour cette dernière, si nous suivons R. Castel [4] sa prégnance dans la psychiatrie n’a duré qu’un bref moment. La psychanalyse s’enracina dans le monde psychiatrique du milieu des années 1960 et ce, jusqu’au début 1980, soit pendant quinze ans. Et cette poussée fut ouverte par l’expérience de La Borde, qui débuta en 1953, puis par celle du 13e arrondissement de Paris, qui débuta en 1954. Les années 1980 virent le retour des psychotropes en masse (bien qu’ils n’aient jamais été abandonnés) et ce sont ces années-là qui virent arriver le comportementalisme qui avait déjà conquis les États-Unis. Les années 1980 virent le déclin de la psychanalyse : les psychiatres revinrent à un positivisme frileux et à un réductionnisme naturaliste.
12 La grande différence de la psychiatrie d’aujourd’hui d’avec celle allant jusqu’à l’après-guerre, c’est la faculté de cette dernière à intégrer tout ce qui vient d’Outre-Atlantique (par exemple le DSM) ou tout ce qui vient de la neurobiologie, sans créer de modèles heuristiques pour comprendre le fonctionnement de l’humain, le dernier modèle psychiatrique sérieux semblant être celui de Ey, critiqué déjà, comme nous l’avons vu, dans les « Propos sur la causalité psychique » de Lacan.
13 Aujourd’hui, les exceptions à cette posture hyper positiviste n’ont guère en psychiatrie l’influence que l’on souhaiterait. Ainsi le magnifique travail de M. Czermak, s’ancrant sur la pratique de la psychose à Sainte-Anne, semble avoir eu un accueil plus soutenu parmi ses collègues psychanalystes que psychiatres [5].
14 La cure par la parole et le psychotrope sont donc deux modes de traitement de la jouissance. Écartons toute ambiguïté : il n’est pas fait référence ici à la jouissance comme un lâcher de dopamine ou autre. Non, la jouissance est de langage, pas de chimie ; même si elle vient agiter le corps, sa cause est faite du rapport du sujet à son Autre.
15 Du fait qu’il parle, l’homme manque. Le langage, s’il présentifie l’absent, introduit le sujet au désir, soit au manque : au manque à être – de n’être que représenté dans le langage : qui suis-je ? – au manque à jouir, ce qui initie la quête désirante. L’humain est aliéné à l’Autre dont il reçoit le langage, à tel point qu’il est soumis à ses signifiants ; cette aliénation étant aussi bien de nécessité pour user du symbolique. Si le rapport à l’Autre est fondamental, alors nous comprenons que ses dires vont faire traces dans le sujet, et que la question du sens se pose indubitablement [6]. Mais ces traces ne sont pas physiques, comme tentent de nous le dire certains tenants des neurosciences ou même certains psychanalystes (nombre parmi ceux qui consentent à cette tentation ont reçu une formation de psychiatre. Ceci nous fait soutenir – s’il fallait cela pour s’en convaincre – que le choix de Freud pour « l’analyse profane » a sauvé la psychanalyse) : il n’y a pas de matérialité cérébrale aussi fine, les signifiants ne sont pas stockés dans le système neuronal, mais restent inclus dans l’extériorité du langage. C’est la dynamique langagière qui fait qu’un signifiant en appelle un autre et c’est cela qui vient fonder les formations de l’inconscient, mais aussi promeut l’association libre comme méthode de la cure analytique.
16 L’inconscient est une langue singulière qui a ses modes d’expression : rêves, lapsus, actes manqués, qui ne sont pas traçables en tant que tels dans les circuits neuronaux, supports matériels du penser. L’inconscient a ses lois qui sont de langage : métaphore et métonymie. Substitutions signifiantes et déplacements. Autrement dit, ce parasitage du vivant par le langage a un effet d’extériorité du sujet à son corps : il habite un corps, qui lui pose souci parfois : les voies des pulsions – qui sont ourlet entre corps et psyché – sont tortueuses, énigmatiques et la jouissance est étrangère.
17 La structure – sur son bord névrotique, pervers ou psychotique – n’est pas une maladie, c’est la façon d’y faire avec le langage, ce qui produit un style d’existence. Elle ne se soigne pas par des médicaments, mais elle peut se rectifier – quand le sujet a à pâtir de certains nouages – par la pratique du langage (le langage courant l’a bien enregistré : ne dénoue-t-on pas les expériences douloureuses ou de crise, qui depuis toujours ont un dénouement ?). C’est une position majeure de la psychanalyse. Le lieu du sujet est le langage, qui double l’organisme et le pervertit. Le psychanalyste ni ne médique, ni ne touche, ni ne teste, ni ne juge : il écoute ce qui advient de l’inconscient dans la parole. La talking cure est la seule méthode pour accéder à l’inconscient, il n’en est d’autre et si, dans la cure avec les enfants, le jeu ou le dessin sont utilisés, c’est toujours pour faire advenir l’énonciation. La psychanalyse fit ce pari d’être une pratique de parole mettant en jeu le langage il y a plus de cent ans et les effets bénéfiques de ce lien social particulier ne cessent d’être prouvés par les effets relevés dans les cures chaque jour par des patients dont la vie se trouve transformée [7].
18 Si le psychotrope est un moyen – chimique et signifiant (ne négligeons pas « l’effet placébo », estimé actif à hauteur de 30 % pour tout médicament) utilisé pour le traitement de la jouissance, voire de son étouffement –, la psychanalyse se donne pour tâche elle aussi de permettre au sujet de traiter sa jouissance par un dispositif de parole. C’est sans doute dans ce « permettre » que réside le choix du sujet : certains consentent au dispositif de parole proposé par la psychanalyse, ouvrant la voie à une rectification subjective, via un déchiffrage de l’inconscient, d’autres s’en remettent au médicament, pseudo-solution venant de l’Autre.
19 Ce qui fait que le symptôme, l’inhibition, l’angoisse, traités aujourd’hui par des molécules, à l’instar des maladies, sont choses toujours étranges pour les psychanalystes, bien que nous sachions les effets desdits médicaments sur les formations réactionnelles ou symptomatiques. Mais, en bloquant les neurotransmetteurs, en en libérant d’autres, la pharmacopée empêche du même coup au sujet de l’inconscient l’accès aux solutions inédites qu’il doit trouver. Sujet qui a besoin de cette matérialité des neurotransmetteurs pour fonctionner.
20 Comme dans la pratique toxicomane, qui permet au sujet de ne cesser de ne pas penser, le psychotrope, en gommant le symptôme, enlève au sujet sa question. Sans doute, faut-il aussi répéter qu’en certains cas, la prise transitoire de médicaments peut être envisagée, quand, en certains moments, la douleur morale est telle que la pensée se meurt, que le rêve fait défaut car il n’y a plus de dormeur, et que le sujet tourne en rond dans la souffrance de ses idées obsédantes.
21 Mais passons sur cette note sympathique quant à cette question des psychotropes : la psychanalyse n’est pas leur amie et son pari est autre. Nous déplorons cette place dominante des psychotropes dans le lien social, à l’exclusion parfois de toute autre prise en charge et, du même coup, nous dénonçons cette médicalisation de l’existence qui renvoie toujours à une massification et à une norme de la « bonne vie », dictée par une bureaucratie de plus en plus prégnante.
Rejet du sujet
22 La philosophie a toujours prôné, depuis l’Antiquité grecque, un « souci de soi » comme le disait Foucault, soit une transformation de l’être pour atteindre à une vérité. Tout procès de connaissance passe par une transformation de l’être, ou, plus justement, par une transformation subjective. Autrement dit, le sujet et sa subjectivité sont engagés dans le procès de la connaissance. Ce type de connaissance, amenant une vérité singulière, est disqualifié aujourd’hui du savoir scientifique : la présence du sujet dans la connaissance est exclue du champ du savoir – comme l’ont déjà souligné R. Gori et M.-J. Del Volgo [8]. C’est « subjectif », nous dit-on, donc exclu de toute validité pour les autres, mais aussi, ce qui est plus grave, pour le sujet lui-même. Même cette invalidité de la connaissance intime comme étant inaccessible à l’autre nous interroge, car elle nous amène à nous demander comment la poésie, la peinture, la musique et l’art en général nous touchent, tant il est vrai que c’est le plus singulier, le plus intime qui se donne à lire, à voir, à entendre. Autrement dit, le plus singulier rejoint l’universel en tant que c’est une expérience humaine.
23 Il est bien évident que la délivrance du psychotrope tend à relever de cette exclusion du sujet, même si leur délivrance en cocktail s’expérimente au cas par cas. En effet, le paradoxe de cette science du médicament est qu’elle comporte toujours une inconnue : celle de la réaction du sujet aux effets moléculaires, quant à cela, rien ne s’écrit sous forme d’équation.
24 Dans cette exclusion du sujet de ce qui le fait souffrir (il est angoissé, déprimé, et on va réparer le trouble anxieux ou la dépression avec un traitement médicamenteux), il y a bien sûr une massification des individus au détriment de la singularité du sujet. Mais aussi une mécanisation de la cause : du côté de l’organicité pour une neurologie scientiste, largement dominante aujourd’hui dans le champ psychiatrique [9].
25 D’autre part, l’usage moderne et massif du psychotrope est révélateur d’un idéal de bonheur soft : la crise, la question parfois douloureuse, les remaniements subjectifs liés à la perte (qui ne font que rouvrir la plaie du manque fondamental qui fait de l’humain un éternel endeuillé) sont insupportables : pourquoi souffrir puisque l’on peut endormir le questionnement, toujours dérangeant ? Ce qui amène à son tour une réponse toute faite : il faut entrer dans la norme, dans le rang, puisque le soignant a la réponse adaptative ad hoc, loin de toute invention singulière. À l’instar de l’intoxiqué « grave » qui ne veut rien savoir depuis les marches de l’adolescence de ce qui l’agite dans le sexuel, cette oblitération de l’inconscient, cette fermeture à tout ce qui vient des profondeurs du désir agiter le sujet, est un mode d’accommodation de l’humain, une idéologie qui est très préoccupante.
En conclusion
26 Il est crucial de s’interroger sur l’usage qui est fait du médicament par une psychiatrie DSMisée qui vise les symptômes et pas les dénouements subjectifs. Une psychiatrie uniquement médicale, qui, d’un côté, se fait le chantre d’un scientisme largement orienté par le « pousse à la rentabilité » des firmes pharmaceutiques, et, d’un autre côté, se fait l’instrument d’une pente démocratique faisant du bonheur un droit pour chacun. Le bonheur qui n’est autre qu’un état de non-manque comme nous le disent les toxicomanes : celui qui se veut sans cesse heureux évite toute expérience de manque, de souci, de résolution des problèmes posés par la vie… qui vit. Tel cet homme obsessionnel qui s’est retiré du commerce de ses semblables, sortant a minima et rêvant à un monde post-atomique gelé dont il serait le seul survivant : là, les aléas de l’existence parmi les hommes, les surprises des rencontres, les paris désirants ne seraient plus de mise ; il appelle dans ses rêveries diurnes un monde dont il n’aurait plus besoin de se prémunir : enfin un monde sans vie !
27 De là la question : le bonheur – état homéostatique donnant un non-déplaisir en continu – participe-t-il des biens enviables du sujet ? Aujourd’hui, ce bonheur semble devenir un bien partageable, de masse, comme le font penser certaines précautions prônées par l’OMS, qui glissent tendanciellement vers l’établissement des normes de la « bonne subjectivité ». Du côté moral, il est prôné comme un devoir depuis les années 1980. Années fatidiques qui virent la financiarisation extrême de l’économie avec en parallèle la mise en place d’une idéologie de la concurrence individuelle rabaissant le lien de l’un à l’autre sur une rivalité imaginaire toute paranoïaque : ainsi va le lien social dans lequel nous vivons.
Bibliographie
Bibliographie
- BAZALGETTE, G. 2006. La tentation du biologique et la psychanalyse, Toulouse, érès.
- CANGUILHEM, G. 1993. « Le cerveau et la pensée », Conférence prononcée à la Sorbonne de 1980, publiée par la Bibliothèque du Collège International de philosophie, Georges Canguilhem, historien des sciences, Paris, Albin Michel, 1993.
- CASTEL, R. 1980. La gestion des risques, Paris, Éditions de Minuit, 2012, 2e éd.
- CHAUMON, F. 2004. La loi, le sujet et la jouissance, Paris, Michalon.
- CZERMAK, M. 1998. Patronymies – Considérations cliniques sur les psychoses, Toulouse, érès, 2012, 2e éd.
- FOUCAULT, M. 2003. Le pouvoir psychiatrique – Cours au collège de France 1973- 1974, Paris, Le Seuil, 2003.
- GORI, R. ; DEL VOLGO, M.-J. 2005. La santé totalitaire, Paris, Denoël, 2005.
- LACAN, J. 1946. « Propos sur la causalité psychique », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.
Notes
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[1]
Voir pour plus de détails sur cette question l’excellente première partie du livre de G. Bazalgette, La tentation du biologique et la psychanalyse, Toulouse, érès, 2006.
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[2]
J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique » (1946), dans Écrits. Paris, Le Seuil, 1966.
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[3]
Travail qu’effectua M. Foucault dans Le pouvoir psychiatrique – Cours au collège de France 1973-1974, Paris, Le Seuil, 2003.
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[4]
R. Castel La gestion des risques (1980), Paris, Éditions de Minuit, 2012, 2e éd.
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[5]
M. Czermak, Patronymies – Considérations cliniques sur les psychoses (1998), Toulouse, érès, 2012, 2e éd.
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[6]
Ceci est déjà relevé par G. Canguilhem. Il le fit – entre autres – dans une célèbre conférence prononcée à la Sorbonne en 1980, « Le cerveau et la pensée », publiée par la Bibliothèque du Collège International de philosophie, Georges Canguilhem, historien des sciences, Paris, Albin Michel, 1993.
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[7]
En certain cas, il est imposé, ceci allant de la suggestion commune du médecin traitant au forçage dans nombre de services psychiatriques.
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[8]
R. Gori, M.-J. del Volgo, La santé totalitaire, Paris, Denoël, 2005, p. 51.
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[9]
Et ajoutons, avec F. Chaumon, du côté d’une détermination événementielle traumatique systématisée pour une psychologie clinique victimologique, qui fait le pendant à la psychiatrie organiciste et l’accompagne dans les institutions. F. Chaumon, La loi, le sujet et la jouissance, Paris, Michalon, 2004.