Notes
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Gérard Pommier, Que veut dire « faire » l’amour ?, Paris, Flammarion, 2010, 434 p.
1 L’authenticité du livre de Gérard Pommier est précieuse et rare. Témoignage d’années de clinique psychanalytique et de réinvestissement personnel tant de la théorie freudienne que lacanienne, il nourrit le lecteur d’un style pur et foisonnant. Parce qu’il n’élimine pas la subjectivité du propos, il se prête au débat. Le chemin vers « faire l’amour » débute par l’amour, et d’abord celui de Dante pour Béatrice qui « sépare, creuse le manque de la personne même qui le provoque ».
2 « Faire l’amour, c’est articuler la pulsion, dont dérive l’amour par la rencontre de l’autre, au corps même de cet autre. » Le propos est fondamentalement freudien et le voyage commence par l’enfance : la découverte du corps propre est d’abord une lutte contre le phallus de la mère dont la castration n’est pas encore bien affirmée : d’où le temps de perversion polymorphe que vont connaître les enfants, limitée par l’intervention en tiers d’un père fustigateur « dont les coups érigent le phallus ». Reprenant la différenciation du sexe anatomique et du genre, Gérard Pommier critique la notion « bizarre » de bisexualité psychique qui a priori ignore l’affirmation du primat du phallus comme centre de l’inconscient. En fait, le processus est historique et organisé par cette contradiction centrale de l’inconscient : non seulement la masturbation infantile est coupable par rapport à la mère mais, de plus, les coups fantasmatiques du père qui la sanctionnent mettent le pénis en érection. Pour le garçon, comme pour la fille, la féminisation par le père en résulte. Pour le garçon, il est masculinisé puisque le fantasme met en érection. Tel est le « noyau dur » de la thèse de Gérard Pommier : la séduction sexuelle du père est indépendante de sa personnalité, c’est un fantasme. D’où deux genres, indépendants du sexe réel : ceux qui refusent la féminisation entrent en guerre contre le père et luttent contre l’alter ego : ils sont du côté homme ; ceux qui l’acceptent, du côté féminin. Ainsi sont introduits le fantasme féminin « un enfant est battu » (cause de la plainte), le fantasme de séduction et le fantasme parricide qui, lui, est paradoxalement corrélatif d’un amour du père et d’une demande de pardon. Aussi entraîne-t-il la culpabilité et le retour au point de départ. « Entre ces différents termes, peut s’écrire une flèche qui équivaut au désir. » Désir qui trahit l’amour.
3 La richesse de ce livre rend le compte-rendu difficile. Avant d’en aborder le noyau, l’acte sexuel et sa conséquence, l’orgasme, je voudrais saluer la notion de contre-amour, belle expression qui désigne chez l’enfant le retournement de l’amour endogame vers l’amour exogame en dehors de la famille. Chez l’adulte donc, la rencontre des corps advient à exister.
4 L’abord de Gérard Pommier de la jouissance féminine et de son après-coup est dans la dynamique mozartienne. Don Juan suscite la jouissance féminine et pourtant toutes s’en plaignent dans l’après-coup. Car le père est toujours là, appartenant à une autre, et le paradoxe de l’orgasme alors est d’entraîner l’insatisfaction. Plus il y a de désir, plus le manque d’être « une » femme aimée se fait cruellement ressentir. Dans ce cas de figure, l’altérité est donnée à une femme par l’autre femme qui finalement a le pouvoir de lui refuser son désir. La position de maîtresse d’un homme marié illustre quotidiennement ce propos. Ailleurs, c’est pour indiquer cette volonté d’être aimée qu’une femme tend, dans un premier temps, à dire non au désir masculin. Un film récent, D’amour et d’eau fraîche, montre comment les jeunes femmes qui renoncent à ce temps « préliminaire » se font traiter par un homme comme une prostituée.
5 Gérard Pommier montre clairement le lien intime qui existe pour chaque femme entre l’inconscient (en particulier le meurtre du père qui laisse la place à un autre homme) et l’orgasme. Ce dernier est-il pour autant une formation de l’inconscient ? L’étape essentielle dans une cure de la survenue d’un orgasme en rêve plaide en sa faveur, mais certaines femmes schizophrènes ont d’authentiques orgasmes. L’orgasme n’est sans doute pas un éprouvé univoque. Le corps aurait-t-il ses raisons que la raison parfois ignore ?
6 Mishima et son ouvrage, La musique, permet à Gérard Pommier d’aborder le ravage lié au lien entre la scène primitive et la sexualité féminine. L’héroïne reporte le traumatisme d’avoir assisté à une telle scène sexuelle sur son frère qu’elle va chercher plus tard dans les basfonds : « Reiko semble ne plus tenir à la vie que par un fil, ce fil la guide encore au fond du labyrinthe où l’attend sa musique », prise par « ce masochisme qui captive l’érotisme humain ».
7 Que veut dire « faire » l’amour ? nous livre donc un pan important de la sexualité féminine. Mais il ne doit pas nous faire oublier un autre discours sur la sexualité féminine. Celui que nous livre Jean-Sébastien Bach dans la cantate 51 en particulier. Pendant que la trompette imprime les pulsations qui animent et poussent une femme dans l’Ailleurs, elle chante le triomphe de sa joie à « ériger la gloire » de Dieu, du Nom-du-Père. La triade : la mère, le père, la fille a été remplacée par déplacement dans l’Ailleurs. Ainsi adviennent : l’Autre, le phallus, une femme. Elle en tire une joie qui traverse l’espace et le temps.
Notes
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[1]
Gérard Pommier, Que veut dire « faire » l’amour ?, Paris, Flammarion, 2010, 434 p.