Notes
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Ce texte est la transcription non réécrite d’une conférence prononcée aux Journées d’Espace analytique « Comment s’écrit l’inconscient ? », le 16 novembre 2008 à Paris.
1 L’intérêt d’une réflexion approfondie sur la question du mot d’esprit est, entre autres, de nous donner l’occasion de penser l’articulation entre le début et la fin de l’enseignement de Lacan, concernant une antinomie qui retentit à travers ce qu’il dit du mot d’esprit.
2 Dans un premier temps, il se réfère abondamment au mot d’esprit pour introduire la prévalence du symbolique, la prévalence de ce tiers qui n’est pas imaginaire : il y a un ascendant du symbolique sur l’imaginaire et le réel. C’est un temps dans lequel Lacan est amené à porter une attention au trait d’esprit en tant qu’il fait résonner l’inconscient. Or, à la fin de son enseignement, il ne met pas l’accent sur ce qui résonne, par le mot d’esprit, mais sur ce qui sonne. Cela n’a l’air de rien, et c’est pourtant fondamental dans son esprit.
3 Quand Freud discerne la question du mot d’esprit, il dit, dans une note en bas de page : « Je dois à Théodore Lipps une hypothèse, qui est ce qui m’a donné l’énergie d’écrire ce livre. » Il cite dix-sept fois l’idée de Lipps, remarquant que l’efficacité du mot d’esprit agit en deux temps psychiques, ce qui implique une latence entre les deux : un premier temps, où le mot d’esprit produit un effet de Verbleufung, de sidération, où le sujet sidéré est encore très loin de rire : il est dans un état d’hébétement, de stupeur, d’ouverture à quelque chose d’obscur qui se révèle. Et c’est à ce premier temps que revient Lacan, à la fin de son enseignement : transmettre à l’analysant la sidération, par l’intermédiaire de ce qui sonne, et non pas de ce qui résonne. Ce qui résonne renvoie à quelque chose qui était déjà là, tandis que ce qui sonne est de l’absolument nouveau.
4 À la fin de son enseignement, Lacan réfléchit sur les conditions de possibilité de création d’un signifiant nouveau, c’est-à-dire un signifiant qui n’est pas dans la mémoire inconsciente, mais dans ce radicalement nouveau qu’il nomme le réel, un signifiant du réel. Et il introduit cette question d’une importance fondamentale, celle d’un signifiant du réel, à un moment où il est amené – et c’est en cela qu’il s’engage dans la théorie du sinthome à partir de Joyce – à considérer qu’il était sans doute psychotique, mais qu’il est notre parent, notre frère, et que, tout comme Joyce, il a lui-même un sinthome, qui est de nommer le réel.
5 Cette nomination crée l’hérétique, qui est le nouveau nom qu’il donne au sujet de l’inconscient. Elle survient en un point où le signifiant « Nom du père » a perdu l’ascendant qu’il avait au début de son enseignement. À la fin, il est devant le fait que tout un chacun est en rapport avec une forclusion, pas nécessairement pathologique, mais structurale, du signifiant du Nom du père. Ce point de solitude, auquel il se réfère via Joyce, avec le péché originaire, auquel Joyce essaie de répondre, peut être défini de façon topologique et analytique. C’est, d’une façon ou d’une autre, le retour à la conception d’une forclusion structurale du Nom du père, en tout cas du nom de celui qui dit « Je suis ce que je suis. »
6 Lacan est parti de toute une considération où il s’appuie sur le mot d’esprit, sur le deuxième temps au début, où résonne l’inconscient de façon telle que le rire apparaît, avec la jubilation, et, en fin de course, l’accent est mis sur le premier temps, le temps de la sidération, le temps de l’expérience d’un trou dans la pensée, où se manifeste ce qu’il a nommé « Fiat trou » – et qui est originaire pour lui à partir des années 1975.
7 « Fiat trou » est pour lui la plus haute création humaine, un trou dessiné par l’entrelacement du Symbolique, du Réel et de l’Imaginaire. Je rappelle la façon dont Lacan commente, introduit l’articulation du Nœud Borroméen en trois phrases, trois phrases qui sont selon moi la clé du rire lié au mot d’esprit : « Je te demande de refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça que tu désires. »
8 Revenons aux deux temps fondamentaux, différemment exploités par Lacan et par Freud. Temps nommés par Freud « sidération » et « lumière », nous laissant le soin de réfléchir à ce qu’est le temps de latence, entre sidération et lumière, un temps de latence où advient le rire. Je suis amené à faire l’hypothèse que ce temps de latence est le temps par lequel l’esprit crée un continuum entre l’espace et le temps. Et, à cet égard, je suppose que l’esprit humain, sans attendre les équations d’Einstein, appréhende le continuum espace-temps qu’il nous a délivré mathématiquement avec ces équations. Je m’appuierai, pour explorer ces deux temps, sur l’une des histoires racontées par Freud dans Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient.
9 J’en choisis une – peu importe laquelle, toutes pourraient être énoncées, ce sont les mêmes – où le contenu change tandis que la structure demeure, pour penser sidération et lumière. C’est une des nombreuses histoires de marieur, où un demandeur malheureux vient quémander auprès d’un marieur, qui est toujours un roué et un coquin, de lui faire rencontrer la belle. Le marieur dit au demandeur : « J’ai trouvé l’objet de tes rêves et je t’emmène voir la belle. » On frappe à la porte, la porte s’ouvre, entre la promise, horreur ! Le demandeur dit : « Marieur, elle est naine ! » Le marieur répond : « Ainsi, elle te coûtera moins cher pour l’habiller » – « Mais, marieur, elle est borgne ! » – « Donc, elle ne regardera pas les autres hommes, tu auras la paix » – « Mais, marieur, elle est bossue ! » – « Elle n’attirera le regard d’aucun homme » – « Mais enfin, marieur… » Le marieur l’interrompt : « Écoute, tu peux parler plus fort, parce qu’elle est sourde. »
10 Je fais la supposition que le demandeur rit, lui aussi, comme chacun ne manque pas de le faire en entendant cette histoire. Je voudrais explorer ce dont il rit à ce moment-là. On peut considérer le mot du marieur comme ce que Lacan appelait une scansion. Cela me paraît l’exemple d’une séance courte, elle aurait pu durer une demi-heure, peu importe, le problème est qu’elle soit scandée. Cela se termine par un mot qui, en lui, porte de façon incontestable le fait que la séance est conclue. Une séance courte, ou une séance scandée, est une séance dont on connaît le mot de la fin, cela dit : « C’est fini, là. On peut se revoir demain, mais là, c’est fini. » Tentons de discerner l’évolution de la subjectivité du demandeur, pour autant qu’on puisse accepter l’idée que, peut-être, il va rire.
11 Le premier temps est celui de la demande. Et dès qu’il y a demande, elle enlaidit l’objet. Le fait de demander nous met dans une situation où l’objet que l’autre pourrait donner, ou non, est dévalué. Le nourrisson, lorsqu’il se détourne du sein, signifie à la mère : « Ma chère, le lait que tu m’offres, ce n’est pas ça que je veux, je veux que tu m’offres un lait empli de signifiants, et tu m’offres de la bouffe ». La mère lui dit : « Je te demande d’accepter ce que je t’offre parce que c’est ça que tu veux. » Le nourrisson répond : « Ce n’est pas ça que je veux. »
12 Dans la demande au marieur, si la promise est bossue, borgne, naine, c’est un effet de structure, cet effet est dans la demande. Il ne peut pas en être autrement. Même si c’était Claudia Schiffer, elle serait déficiente parce que c’est l’objet de la demande. Le quémandeur demande et le marieur répond par un mensonge. La question se pose de la subjectivité du marieur. Qu’est-ce qui fait qu’il ment avec un tel aplomb ? Il est absolument intraitable, il a la position de l’analyste en ce sens. Il accentue ce mensonge et, à la fin, il articule cette formule qui fait rire, et si elle fait rire, c’est qu’elle permet un changement de discours.
13 Quel est le changement de discours qui apparaît à l’instant du rire ? Je fais la supposition qu’avant que le rire surgisse, il y a cet infinitésimal suspens de Verbleufung, ce temps de sidération sur lequel Lacan revient à la fin de son enseignement. Le temps de sidération, c’est le temps où l’objet tombe, où nous cessons d’être guidés dans notre désir par le fantasme, et où, l’objet chutant, nous sommes confrontés à « Fiat trou ». C’est ainsi que Lacan propose de traduire « Fiat lux », troisième verset de la genèse. « Fiat trou », c’est l’énigme absolue, la capacité de l’esprit à faire apparaître un espace vide, vidé de signifiance et d’objet.
14 Ce « Fiat trou » n’est pas propre à la psychanalyse. Les Hébreux, par exemple, l’ont nommé « l’aleph », les Grecs, par un autre chemin, l’ont appelé la scène, la scène théâtrale. C’est ce lieu vide, invention du vide, invention d’un lieu où il n’y a plus aucun objet, où il n’y a plus aucun signifiant, où il n’y a pas de savoir préexistant, sorte de feuille blanche, où ce qui n’a pas encore été dit va peut-être se dire.
15 Une pensée de Breton évoque l’espace vide de la scène ainsi : quand tous les objets disparaissent, l’acteur alors ne regarde pas de la même façon : « Si je perds mon regard, alors je vois à perte de vue. » C’est pour cela que nous aimons l’acteur, il nous permet de voir à perte de vue. Le silence, la chute de l’objet traditionnel de la voix fait entendre un inouï qui permet d’entendre, au delà des signifiés, la musique de la voix. Voilà l’expérience que peut faire tout sujet sidéré, l’expérience non pas de l’inconscient, mais de la scène où l’inconscient va s’écrire, deux choses différentes. L’inconscient, c’est le symbolique. Pour que le symbolique puisse être témoin, tiers, il fait exister le réel en même temps qu’il apparaît. Le réel est difficile à concevoir. La conception de ce lieu est une grande différence entre Freud et Lacan.
16 Freud nous laisse le Wo es War, le « Je » de « Là où c’était, je dois », devoir moral de « devenir ». Il associe un lieu à un devenir, au temps – là, déjà, il y a de l’Einstein. Mais Freud écrit « c’était », et cet imparfait nous rappelle sa nostalgie de retrouver une jeunesse où « Je » baignait dans les mots d’esprit. « C’était » permet l’idée d’une objectivation de l’être. Lacan change la donne, il propose d’écrire « c’était » avec un s, « s’était ». Cela change tout. Il propose de parler non pas de l’être, mais de « s’être ». Il propose donc d’emblée une impossibilité d’objectivation de l’être, chacun d’entre nous est en position de ne pas pouvoir dire autre chose que « Je suis ce que je suis. » Un être redoublé, impossible à objectiver.
17 La sidération est l’expérience de ce trou qui a un pouvoir d’appel, et le demandeur, sidéré pendant un instant, cesse de dire : « Où est l’objet ? », et la question qu’il pose est : « Où est le sujet ? » À partir du moment où il n’y a plus d’objet sexuel pour causer un sujet, la question : « Est-ce qu’il y a un sujet au-delà de l’objet ? », « Où est le sujet ? », est la question posée par le rapport du sujet au réel, ce lieu vide qu’est le réel. À cet égard, les catégories de Lacan nous sont utiles – cet homme avait vraiment des intuitions qui, toujours, nous aident à avancer dans le travail. Par exemple, quand il nomme l’impossible : « Ça ne cesse pas de ne pas s’écrire », le traumatisme. L’étape suivante, le nécessaire : « Ça ne cesse pas de s’écrire », les formations de l’inconscient, le rêve. Et l’étape du possible : « Ça cesse de s’écrire », l’expérience de l’espace vide. En langue lacanienne, A barré, expérience d’une présence vidée. Un vide, ça cesse de s’écrire. C’est ce que j’ai nommé – une façon de l’exemplifier – la scène ou l’aleph, lettre divine, ininscriptible, imprononçable. L’étape suivante, la plus énigmatique, le passage du possible au contingent, de « Ça cesse de s’écrire » à « Ça cesse de ne pas s’écrire », est l’annonce du troisième temps, du rire. « Ça cesse de s’écrire » est l’expérience du trou, du A barré.
18 Le problème est qu’il y a un immense écart entre notre expérience du trou et l’expérience d’un signifiant du trou, qui est le signifiant fondamental de Lacan, qu’il écrit SA. Avec SA, Lacan associe une écriture qui dit « Il y a » et « Il n’y a / / pas ». C’est une antinomie, un oxymoron. Comme motus, qui veut dire, en latin, à la fois « le mot » et « bouche cousue », le silence. Un oxymoron est à la base de la création fondamentale, dans cette contingence « Ça cesse de ne pas s’écrire », avec SA, il est possible de produire un signifiant de l’absence de signifiant. Quand / Lacan traduit « Fiat trou », ce qu’il traduit est le mot hébreu Yehi, le commandement pour que de l’être soit, que ça cesse de ne pas s’écrire. C’est le produit de trois lettres, en hébreu : iod-he-iod.
19 Une réflexion de Kandinsky sur l’origine du dessin m’a frappé. Sans rien connaître à l’alphabet hébreu et à l’origine du tétragramme, dont les deux lettres sont les premières, il met à la racine de toute sa méditation la fonction du point, le iod, et de la ligne, la réflexion incessante de « Qu’est-ce qu’un point ? » Un point d’être, comme être le plus infinitésimal, est une promesse de devenir, qui génère du vide, un vide expansif et non limité, dont les limites apparaîtront avec le trait, un trait vertical, un trait horizontal. Le trait vertical évoque étrangement, dans le schéma L de Lacan, la ligne qu’il dessine entre le Nom du Père et le sujet, disons, entre le iod et le sujet. La ligne horizontale évoque curieusement le trait écrit entre a et a’. Dans ce Yehi, nous lisons – je ne sais pas si Lacan l’avait remarqué – son schéma L.
20 Un mouvement de création naît à partir de la plus originaire signifiance symbolisée par le point, qui est, en résumé du résumé, l’originaire du signifiant du Nom du Père, qui a un pouvoir engendrant. La question est le point où ça cesse de ne pas s’écrire. Et il est frappant de reconnaître que ces deux traits, qui fabriquent la lettre hébreu he, constituent le Yehi, mal traduit en latin par : « Fiat » et en français par : « Que la lumière soit. » Ce n’est pas étranger à la création d’un mot d’esprit.
21 Nous arrivons au troisième temps. La sortie de la sidération est la capacité de rire. L’instant du rire est très paradoxal, c’est l’instant de l’hérétique absolu, car, pour rire, pas besoin de Nom du Père. C’est une raison pour laquelle Lacan revient à la sidération à la fin de son enseignement, lorsqu’il découvre finalement que le Nom du Père n’a pas l’ascendant qu’il pensait sur le symbolique, S/R. Et, progressivement, le réel prend l’ascendant sur le symbolique, R/S. Un très grand paradoxe, avec la dritte Person. De quoi rions-nous à l’instant où nous rions ? Pourquoi le demandeur, quand il perd l’objet et pose la question : « Où est le sujet ? », répond : « Il est là où il a ri », s’il a ri. Le sujet qui a ri est en rapport avec ce sujet comme lieu tiers, nommé par Freud la dritte Person. Mais la caractéristique de ce lieu et la jubilation étrange éprouvée dans le rire, ce qui nous réjouit curieusement, est que nous actualisons le vide du trou, pour autant qu’à l’instant où fuse le rire, ce qui sonne, plutôt que ce qui résonne, est que nous ressentons une abolition de tout ce que nous savions déjà.
22 Et Freud le remarque, en disant que l’expérience du mot d’esprit est une expérience de l’énigmatique, de l’incompréhension, c’est-à-dire une expérience de ce que Lacan a nommé le réel, peut-être le surréel d’André Breton.
23 Je conclurai sur une question. J’énonçais que la dritte Person est le lieu d’une contradiction. Elle est le lieu d’une abolition, lieu tiers d’où s’abolit tout le langage, mais une abolition créatrice d’un renouveau de langage, de la possibilité de produire un signifiant nouveau, qui est ce que recherche Lacan. Voilà de quelle façon il est amené, à la fin de son enseignement, à rencontrer la question du sinthome. Le sinthome est, pour lui, la production offerte comme un choix possible au sujet, au sens originel d’un choix, à ce sujet qu’il propose de nommer « l’hérétique », comme tout sujet de l’inconscient. Quel est le choix, après l’expérience du trou ? Le rire, cette jouissance, est la manifestation d’un choix. Ce choix, Lacan dit l’avoir fait, et il ne plaisante pas. Mon choix, dit-il, est mon symptôme, la nomination du réel. C’est le choix d’un signifiant nouveau, en rapport avec la passe et un désir x, qui n’est pas celui de devenir psychanalyste, et qui va au delà du fantasme.
24 Dans le dictionnaire allemand de Truvner, qui permet d’introduire la question du choix de l’hérétique, il est dit qu’il y a dix commandements, que le peuple allemand observe, et il faut en ajouter un onzième, oublié par Moïse. Il le propose : « Ne sois pas verbleuft », c’est-à-dire « Échappe à la sidération », « Ne te laisse pas sidérer », « Ne fais pas l’expérience de “Fiat trou”, du trou, parce que ton rapport au sol, à la culture, fait que, grâce à la culture qui t’oriente, tu n’as pas à te laisser désorienter. »
25 Le choix que connaît tout être humain est ce onzième commandement. « Ne sois pas sidéré », un des mots par lesquels on peut désigner la fonction de la censure, et la censure est un des mots du surmoi. Le surmoi est allié de l’humour, mais une autre de ses fonctions est d’empêcher, radicalement, en tant que censure. Il y a plusieurs surmoi qui ont des fonctions antinomiques, ce qui reste à notre collectivité à penser.
26 Le choix de l’inconscient, pour chacun d’entre nous, est entre le onzième commandement, « Ne sois pas sidéré », et le choix de dire oui, Bejahung, à « Fiat trou ». C’est-à-dire « Je consens à ce lieu vide, à ce qui cesse de s’écrire », et, y consentant comme hérétique, je n’ai plus aucune garantie, c’est une expérience de la solitude radicale. Je risque la folie puisque, sans aucune garantie, je suis en position éventuellement de produire un signifiant nouveau, en position de dire que là où ça cesse de s’écrire, un sujet peut venir en scène, sur l’aleph, pour que ça cesse de ne pas s’écrire. C’est le choix qui nous est dévolu, et la tendance naturelle qu’est la dénégation ou le déni nous porte à récuser ce choix. Dans certaines psychanalyses, ce choix est ce en quoi nous pouvons faire confiance, être dupe du signifiant, échapper à la censure – « les non-dupes errent » – oser être dupe du signifiant pour oser habiter ce lieu. L’énigme est que, en ce lieu, le sujet est seul, la dritte Person l’y a conduit, mais, une fois conduit, l’y a abandonné.
27 C’est le nouveau type d’athéisme que Lacan rencontre à la fin de son enseignement : il y a disparition du Nom du Père, ce n’est plus ce qui commande. Et c’est en cela qu’il se réfère au péché originel auquel a affaire Joyce, et qu’il propose de comprendre comme un lapsus. Ce lapsus, un mot à la place d’un autre, le péché originaire, conception chrétienne, Saint Paul, Saint Augustin, est peut-être le fils à la place du père. Je ne suis pas encore certain de le soutenir.
28 En tout cas, le péché originaire auquel Joyce a affaire est celui du christianisme, c’est celui qui annonce que ce qui était parole de Dieu le Père, loi originaire donnée au premier humain, Adam, Eve, est devenu caduc, ne marche plus. La métaphore paternelle originaire, la première alliance que propose Dieu, dans les textes, selon la façon dont Saint Paul, créateur du christianisme, lit le texte – les Juifs ne le lisent pas de la même façon –, cette loi est devenue caduque, elle est tombée. À partir du moment où l’homme a désobéi, la loi perd son efficacité. Et, sans le fils, il n’y a pas de solution, pour un homme, pour se tenir droit et pour vivre.
29 Voilà le sens du retour de Lacan, via Joyce, au péché originaire, pensé en tant que lapsus. Je conclus sur cette proposition, qu’il ne faut pas prendre trop rapidement le fait que le sujet, par la dritte Person, retrouve le Nom du Père. C’est un Nom du Père qui efface tout. Lacan dit : « Le Nom du Père, on peut s’en passer à condition de s’en servir. » Je prendrai l’exemple de Schönberg. Il exécute cette phrase : Il se sert du Nom du Père, qui est la tonalité, quand on est musicien. Ce qui fait que le do donne la tonalité à telle symphonie est le Nom du Père, en tant que ses effets se prolongent dans toutes les notes. On peut s’en passer, et Schönberg montre comment s’en passer, en disant : je fais sauter la tonalité. Mais pour faire sauter la tonalité, il faut connaître la tonalité. C’est une démarche d’hérétique. Il faut connaître cette démarche, pour autant que cet hérétique-là, dans une analyse, a un jour ou l’autre la parole.
Mots-clés éditeurs : signifiant nouveau, ascendant du réel, Mot d'esprit, ascendant du symbolique
Date de mise en ligne : 09/06/2010
https://doi.org/10.3917/fp.019.0045Notes
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Ce texte est la transcription non réécrite d’une conférence prononcée aux Journées d’Espace analytique « Comment s’écrit l’inconscient ? », le 16 novembre 2008 à Paris.