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Article de revue

Les cent ans de Claude Lévi-Strauss

Pages 191 à 196

Notes

  • [1]
    Vincent Debaene, Frédéric Keck, Martin Rueff et Marie Mauzé, cette dernière, membre du Laboratoire d?anthropologie sociale, fondé par C. Lévi-Strauss.
  • [2]
    Tristes tropiques (1955), Le totémisme aujourd?hui (1962), La pensée sauvage (1962), La voie des masques (1975), La potière jalouse (1985), Histoire de lynx (1991), Regarder Écouter Lire (1993). Voir ci-dessous la recension de ce recueil par Georgy Katzarov.
  • [3]
    Lévi-Strauss, Sartre et Merleau-Ponty au tournant des années 1960.
  • [4]
    Lévi-Strauss et Ric?ur, Du symbolisme au sensible.
  • [5]
    « Un tournant dans l'anthropologie structurale : scepticisme et redéfinition de la méthode comparative », dans Les systèmes de transformation.
  • [6]
    La réception de la Pensée sauvage par les anthropologues britanniques.
  • [7]
    La pensée sauvage aujourd?hui, Comte, Durkheim, Lévi-Strauss.
  • [8]
    Clarisse Herrenschmidt, Françoise Douay, Jean Giot, Arild Utaker, Simon Bouquet, François Rastier.
  • [9]
    André Green, Marcel Drach, Arfinn Bo-Rygg, David Ledent.
  • [10]
    Qui reprennent notamment des extraits de deux entretiens importants conduits et filmés par Jean-Claude Bringuier en 1974, « Lumière et brume des voyages », « Une approche de Claude Lévi-Strauss. La pensée oubliée ».
  • [11]
    Ce film a été présenté pour la première fois à l'automne 2008, sur TV 5.
  • [12]
    Paris, Plon, 1994. La photo de Tito se trouve p. 153, en regard de celle de son frère, aujourd?hui décédé (p. 152).
  • [13]
    Avec l'École des hautes études en sciences sociales et l'École pratique des hautes études. À noter aussi un numéro hors série de La lettre du Collège de France (novembre 2008), consacré à l'anthropologue. À côté d?extraits de ses dires et écrits, ainsi que de contributions émanant de membres du Laboratoire d?anthropologie sociale, retenons deux textes de Maurice Merleau-Ponty, rédigés pour défendre la candidature de Lévi-Strauss au Collège de France, en 1958 et 1959. On est frappé par la précision et la compréhension de la lecture que le philosophe fait des travaux de son ami.
  • [14]
    Dans le cadre de ce colloque, deux conférences ont également eu lieu, les 26 et 27 novembre, l'une de Dan Sperber, « Et la nature humaine », l'autre de Daniel Fabre, « D?Isaac Strauss à Claude Lévi-Strauss : le judaïsme comme culture ».
  • [15]
    Notamment : Marie Mauzé (le structural dans les arts et mythes de la côte Nord-Ouest), Carlo Severi (pensée sauvage et art), Anne-Christine Taylor (l'autochtonie américaine du structuralisme).
  • [16]
    Notamment : Françoise Héritier (parenté et alliance revisitées), Luc de Heusch (parenté et royauté sacrée africaine), Marshall Sahlins (l'« infrastructuralisme » ou le structuralisme appliqué aux infrastructures selon Marx), Claude Imbert (le moment épistémologique lévi-straussien).
  • [17]
    Dont on retiendra surtout, contre la thèse princeps des Structures élémentaires de la parenté, la dissociation de l'alliance matrimoniale et de l'échange, soutenue par Emmanuel Désveaux, Laurent Barry et Françoise Héritier, ainsi qu?une connexion entre la pensée de l'anthropologue et les sciences cognitives, suggérée par Maurice Bloch.
  • [18]
    Cf. notre recension ci-après.
English version

1Le 28 novembre 2008, Claude Lévi-Strauss a eu 100 ans. Tous les dix ans, depuis une quarantaine d?années, la communauté intellectuelle en France et dans le monde lui rend hommage. À son corps défendant, si l'on peut ainsi qualifier la réticence qu?il a toujours éprouvée à l'égard de ce qui est devenu un rituel. Pour deux raisons. D?une part, sollicité à chaque fois par les médias et les hagiographes, il s?est toujours efforcé d?éclairer le sens de son ?uvre, ainsi que ses implications philosophiques, esthétiques et politiques. En retrouvant ses propos repris dans des articles ou des essais, il a souvent éprouvé un sentiment de malentendu et d?incompréhension. D?autre part, le grand âge venant, son malaise s?est accru de ce qu?on célèbre, comme il le déclara lors de son 90e anniversaire, « la descente d?une marche de plus vers la déchéance ».

2Son centenaire a certes accentué ces deux aspects. Mais ce qui s?est publié, dit, montré, organisé en cette occasion semble attester que cet anniversaire a coïncidé avec une lecture et une réception renouvelées de son ?uvre. Depuis dix ans, époque à laquelle avaient culminé les interprétations mathématisantes de sa formule canonique du mythe, et s?était fomentée une mise en cause agressive de ses positions sur la psychanalyse, on avait l'impression qu?on ne lisait plus beaucoup, ou mal, Lévi-Strauss. Ou bien encore qu?on cherchait à couper le cordon avec sa pensée, à l'instar des travaux de Françoise Héritier et de Philippe Descola, ses successeurs au Collège de France. Dès lors, qu?est-ce qui, parmi les évènements dédiés à Lévi-Strauss en la circonstance, manifesterait un retour à son ?uvre soutenu par le désir d?en saisir la fécondité ?

3Il y a eu en premier lieu des initiatives visant à en relancer la lecture. À ce registre appartient d?abord, au printemps 2008, la publication dans la « Bibliothèque de la Pléiade », par les soins de trois jeunes spécialistes de philosophie et de littérature, ainsi que d?une ethnologue [1], d?écrits majeurs choisis par Lévi-Strauss lui-même. Accompagnés d?un précieux appareil critique et de fragments inédits, ce sont sept textes que rassemble et met ainsi en consonance, à l'usage d?une génération nouvelle de lecteurs, ce bréviaire lévi-straussien [2].

4Toujours en ce printemps 2008, à la veille des quarante ans de Mai 68, le Centre international d?étude de la philosophie française contemporaine ( CIEPFC, École normale supérieure, rue d?Ulm, Paris) organisait un colloque sur la Pensée sauvage (le 21 mars). Celui-ci faisait partie d?un cycle auquel le CIEPFC a consacré toute l'année 2008, et qui s?intitulait « Le moment philosophique des années 1960 en France ». Une série de communications a fait retour sur ce livre que beaucoup considèrent comme l'ouvrage théorique le plus important de Lévi-Strauss. Pour en dégager les enjeux philosophiques (Frédéric Worms [3] Michael Fossel [4], notamment), et pour en examiner la portée anthropologique (en particulier, Gildas Salmon [5], Maurice Bloch [6], Frédéric Keck [7] ). Le geste de ce colloque, et certaines des interventions qu?on y a entendues, qui cherchent à relire la Pensée sauvage en la situant dans le moment où elle fit événement théorique, montreraient qu?un intérêt nouveau pour l'originalité de l'?uvre existe aujourd?hui.

5On peut aussi compter, parmi les initiatives visant à ressourcer la lecture de Lévi-Strauss, un colloque centré sur la révolution épistémologique où s?origine la pensée de l'anthropologue, à savoir l'?uvre de Saussure (21 et 22 novembre 2008). Intitulé « Le monde du symbolique », ce colloque a été organisé conjointement par le Centre de coopération franco-norvégienne en sciences sociales et humaines (Paola de Cuzzani, Arild Utaker) et par l'Institut Ferdinand de Saussure (Simon Bouquet, François Rastier). D?une façon là encore très représentative du moment actuel, les interventions ont articulé un programme de relance épistémologique des études saussuriennes [8] à une réévaluation des travaux de Lévi-Strauss [9].

6La deuxième catégorie d?évènements auxquels l'anniversaire de Claude Lévi-Strauss a donné lieu met au premier plan non plus son ?uvre écrit, mais sa parole et des images. Il s?agit, d?une part, d?entretiens filmés au cours desquels l'anthropologue répond longuement aux questions concernant sa vie, ses voyages, sa carrière, ses vues sur les cultures, ses travaux sur la parenté, la pensée sauvage, les mythes, sa philosophie, son rapport au monde contemporain, etc. ; d?autre part, de documentaires relatifs à ses expéditions de 1935 et 1938, en Amazonie. La chaîne de télévision ARTE a consacré le jeudi 27 novembre, de midi à minuit, aux entretiens ; on en retrouve la substance dans un DVD édité par ARTE Vidéo : « Claude Lévi-Strauss par lui-même », de Pierre-André Boutang et Annie Chevalay [10]. Ces entretiens ont ceci d?irremplaçable qu?ils donnent accès à une expérience saisissante, différente de la lecture de l'?uvre ou de l'écoute des cours, celle de la parole de Lévi-Strauss. Cette parole captive à plusieurs titres. Par son ton : une sorte de candeur qui tient à une tension exclusive, et étrangère à tout artifice oratoire, vers la compréhension et la vérité. Par son style : une attention à la précision des mots qui répond à l'attention aux choses ; la construction, que porte une discrète véhémence, d?une syntaxe dont la pureté déjoue toujours les craintes qu?éveille son exécution. Par son inspiration : Lévi-Strauss a beau puiser, pour répondre aux questions, dans le trésor des faits et des idées que recèlent ses écrits, il met l'entretien au service de sa réflexion. Il se fait, pour reprendre son dire, le « lieu où il se passe quelque chose », où adviennent au fil de sa parole des trouvailles surprenantes.

7Par ailleurs, dans son film, « Auprès de l'Amazonie : le parcours de Claude Lévi-Strauss [11] », l'anthropologue brésilien, Marcelo Fortaleza Flores, retrouve, là où Lévi-Strauss les rencontra en 1938, les Indiens Nambikwara. Tito, qui doit avoir 75 ans, frère de ce garçon au nez percé d?une plume qui sourit sur la couverture de Saudades do Brasil[12], y évoque l'arrivée de l'homme blanc qu?il appelle « Massimo Lévi », au poste d?Utiarity de la ligne Rondon, avec sa caravane de chariots tirés par des b?ufs. Le film met en parallèle des séquences tournées alors par Lévi-Strauss, au moyen d?une caméra rudimentaire, et des scènes de la vie quotidienne des Nambikwara d?aujourd?hui. La similitude de celles-ci avec les premières provoque un sentiment étrange : celui de retrouver vivants et contemporains des êtres à qui Tristes tropiques avait depuis longtemps conféré le statut de disparus mythiques et de paradigmes ethnographiques.

8Le troisième volet d?hommages impliquait des institutions intimement liées à la carrière et à l'?uvre de C. Lévi-Strauss : le Collège de France et le musée du Quai Branly. Le premier a organisé [13] un colloque international qui s?est tenu le 25 novembre dans l'amphithéâtre Marguerite de Navarre [14]. Les interventions se sont distribuées selon deux axes : Terrains et thèmes, évoquant les travaux ethnographiques au travers de motifs américains [15]; Domaines et problèmes, faisant retour sur quelques grands motifs théoriques [16].

9Le musée du Quai Branly a été le théâtre, toute la journée du 28 novembre, de manifestations multiples : parcours des collections centré sur les objets rassemblés par Lévi-Strauss en Amérique du Sud et les éditions originales de ses ?uvres; visites guidées sur les traces des populations qu?il y a rencontrées; projections de photos prises au cours de ses terrains en Amérique et au Bangladesh ; lecture, mise en scène par Daniel Mesguich, d?extraits de ses écrits, par une centaine de personnalités du monde des arts et des sciences (de Christine Albanel à Jean-François Zygel, en passant par Marcel Detienne, etc.). Le Monde rapporta que ce jour-là, plus de 12 000 personnes visitèrent le musée, et Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, annonça la création d?un prix Claude Lévi-Strauss, doté de 100 000 euros, destiné, chaque année, à distinguer un chercheur en sciences sociales et humaines travaillant en France.

10Les publications forment le dernier chapitre des honneurs rendus à l'anthropologue. Journaux (numéros spéciaux du Monde, de Libération, en particulier) ; magazines (Le Nouvel Observateur titrant : « Le dernier des géants », Le point : « Un génie français, l'homme qui a révolutionné la pensée » !?) ; revues (horssérie spécial n° 8 de Sciences humaines[17], n° 98 de Philosophie[18], tome 94-2 du Journal de la société des américanistes, pour nous en tenir à ces publications). La lecture des journaux et magazines dessine ce qui est communément retenu de son apport : avoir, contre l'idéologie raciste et la politique coloniale, redonné leur dignité aux peuples sans écritures, en montrant que leur pensée est aussi rationnelle que celle dont nous sommes imbus et que leur choix en faveur d?une temporalité historique « froide » est moins dévastateur que notre option pour un progrès incessant. Dès lors, accentuation toute contemporaine, la défiance que lui a toujours inspirée le modèle occidental, auquel il oppose la culture des sociétés dites primitives, en ferait l'initiateur et la figure tutélaire de la pensée écologique. Ceci encore : les médias lui attribuent la « paternité du structuralisme » ; parenté usurpée, car elle revient aux linguistes (Saussure, Troubetskoï, Jakobson), et rejeton énigmatique, car bien peu est dit sur son identité.

11Pour ce qui est des livres, enfin, nous mentionnerons, parmi les parutions de 2008, celles qui nous semblent représentatives de ce moment de relève théorique, perceptible aujourd?hui.

Bibliographie

Bibliographie

  • DÉSVEAUX, E. 2008. Au-delà du structuralisme. Six méditations sur Claude Lévi-Strauss, Paris, Éditions Complexe.
  • DRACH, M. ; TOBOUL, B. (sous la direction de). 2008. L?anthropologie de Lévi-Strauss et la psychanalyse, Paris, La Découverte, coll. « Recherches ».
  • IMBERT, C. 2008. Le passage du Nord-Ouest, précédé de « Indian Cosmetics », texte inédit de Lévi-Strauss, Paris, Éditions de L?Herne.
  • IZARD, M. (sous la direction de). 2008. « Claude Lévi-Strauss », Cahiers de L?Herne, n° 82 (réédition).
  • NATTIEZ, J.-J. 2008. Lévi-Strauss musicien. Essai sur la tentation homologique, Paris, Actes Sud.
  • STOCZKOWSKI, W. 2008. Anthropologies rédemptrices. Le monde selon Lévi-Strauss, Paris, Hermann.

Mise en ligne 09/04/2009

https://doi.org/10.3917/fp.017.0191

Notes

  • [1]
    Vincent Debaene, Frédéric Keck, Martin Rueff et Marie Mauzé, cette dernière, membre du Laboratoire d?anthropologie sociale, fondé par C. Lévi-Strauss.
  • [2]
    Tristes tropiques (1955), Le totémisme aujourd?hui (1962), La pensée sauvage (1962), La voie des masques (1975), La potière jalouse (1985), Histoire de lynx (1991), Regarder Écouter Lire (1993). Voir ci-dessous la recension de ce recueil par Georgy Katzarov.
  • [3]
    Lévi-Strauss, Sartre et Merleau-Ponty au tournant des années 1960.
  • [4]
    Lévi-Strauss et Ric?ur, Du symbolisme au sensible.
  • [5]
    « Un tournant dans l'anthropologie structurale : scepticisme et redéfinition de la méthode comparative », dans Les systèmes de transformation.
  • [6]
    La réception de la Pensée sauvage par les anthropologues britanniques.
  • [7]
    La pensée sauvage aujourd?hui, Comte, Durkheim, Lévi-Strauss.
  • [8]
    Clarisse Herrenschmidt, Françoise Douay, Jean Giot, Arild Utaker, Simon Bouquet, François Rastier.
  • [9]
    André Green, Marcel Drach, Arfinn Bo-Rygg, David Ledent.
  • [10]
    Qui reprennent notamment des extraits de deux entretiens importants conduits et filmés par Jean-Claude Bringuier en 1974, « Lumière et brume des voyages », « Une approche de Claude Lévi-Strauss. La pensée oubliée ».
  • [11]
    Ce film a été présenté pour la première fois à l'automne 2008, sur TV 5.
  • [12]
    Paris, Plon, 1994. La photo de Tito se trouve p. 153, en regard de celle de son frère, aujourd?hui décédé (p. 152).
  • [13]
    Avec l'École des hautes études en sciences sociales et l'École pratique des hautes études. À noter aussi un numéro hors série de La lettre du Collège de France (novembre 2008), consacré à l'anthropologue. À côté d?extraits de ses dires et écrits, ainsi que de contributions émanant de membres du Laboratoire d?anthropologie sociale, retenons deux textes de Maurice Merleau-Ponty, rédigés pour défendre la candidature de Lévi-Strauss au Collège de France, en 1958 et 1959. On est frappé par la précision et la compréhension de la lecture que le philosophe fait des travaux de son ami.
  • [14]
    Dans le cadre de ce colloque, deux conférences ont également eu lieu, les 26 et 27 novembre, l'une de Dan Sperber, « Et la nature humaine », l'autre de Daniel Fabre, « D?Isaac Strauss à Claude Lévi-Strauss : le judaïsme comme culture ».
  • [15]
    Notamment : Marie Mauzé (le structural dans les arts et mythes de la côte Nord-Ouest), Carlo Severi (pensée sauvage et art), Anne-Christine Taylor (l'autochtonie américaine du structuralisme).
  • [16]
    Notamment : Françoise Héritier (parenté et alliance revisitées), Luc de Heusch (parenté et royauté sacrée africaine), Marshall Sahlins (l'« infrastructuralisme » ou le structuralisme appliqué aux infrastructures selon Marx), Claude Imbert (le moment épistémologique lévi-straussien).
  • [17]
    Dont on retiendra surtout, contre la thèse princeps des Structures élémentaires de la parenté, la dissociation de l'alliance matrimoniale et de l'échange, soutenue par Emmanuel Désveaux, Laurent Barry et Françoise Héritier, ainsi qu?une connexion entre la pensée de l'anthropologue et les sciences cognitives, suggérée par Maurice Bloch.
  • [18]
    Cf. notre recension ci-après.
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