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Article de revue

Psychanalyse en Bulgarie du post-communisme ?

Dix ans plus tard

Pages 101 à 103

English version

1Il y a quelques années, on pouvait encore entendre certains analystes confortablement assis dans leur fauteuil affirmer que la psychanalyse ne pouvait pas exister dans les pays du communisme, que le sujet de ces pays n’a pas de demande et que ses défenses sont insurmontables…

2D’un autre côté, le communisme promettait aux gens un monde où tout besoin serait satisfait, sans manque et peut-être sans désir. Les demandes d’aide psychologique de l’individu étaient traitées sur un mode médical. La parole libre et la démocratie des idées étaient en conflit avec les idéologies communistes, et donc persécutées. La découverte de Freud – que l’homme n’est pas « maître dans sa maison », que l’inconscient et les pulsions existent – n’allait pas de soi, avec les postulats des idéologues du communisme qui privilégiaient la conscience.

3Entre le manque de foi dans le sujet et l’interdit que le sujet s’exprime librement, voilà une histoire qui témoigne comment une école analytique française a accepté, il y a dix ans, le défi de rencontrer des gens qui avaient vécu dans le communisme et qui disaient être intéressés par la psychanalyse. Une histoire qui montre le processus de la formation d’une demande authentique, témoin de l’existence dans ces pays d’un appétit pour la psychanalyse.

Le régime totalitaire

4De 1944 à 1989, en Bulgarie, est installé un régime totalitaire qui produit certaines transformations chez l’individu.

5Pour la société communiste, l’individu doit être unifié, effacé, pour pouvoir accepter sans résistance le rôle prévu dans le collectif. D’une part, il est « écouté » par les services secrets, qui guettent chaque signe de désobéissance. La parole libre est vécue comme persécutrice, car elle est assimillée à la punition.

6D’autre part, les individus souffrant de troubles psychiques étaient soignés exclusivement par le corps psychiatrique sur un mode pharmacologique. Pour exister, le sujet doit être reconnu dans son expression, même égarée. Le communisme a créé une impossibilité aussi bien de l’expression que de l’écoute.

La chute du mur de Berlin

7La chute du communisme et du régime en Bulgarie provoque un rejet de la loi, car elle était imposée par la force. L’individu perd ses repères dans la famille et dans la société. La démocratie privilégie l’individualisme, mais l’individu a subi une perte d’identité pendant le communisme. Cette situation crée un afflux de demandes d’aide psychologique, en raison de la décompensation de la structure psychologique chez les gens.

8Les psychothérapeutes bulgares sont confrontés à une demande qui augmente et à une pathologie accumulée par plusieurs générations.

9Au début des années 1990, apparaissent en Bulgarie tout d’abord des thérapies de courte durée et positivistes. À la fin des années 1980, commence la formation de deux groupes de psychodramatistes en psychodrame de Moreno. Mais devant les limites de leur propre outil et les lacunes de leurs bases théoriques, ils sentent très vite le besoin d’une connaissance plus approfondie de la psychopathologie humaine et ils se tournent vers la psychanalyse.

10Le premier contact entre des analystes d’Espace analytique et les psychodramatistes bulgares se fait en 1995. Quatre psychanalystes français – Alain Vanier, Patrick Delaroche, Catherine Mathelin et Claude Boukobza – sont invités par le directeur du groupe de psychodrame de Moreno, David Yeroham, à Sofia. C’est le premier contact entre les psychanalystes français et ces médecins et psychologues bulgares qui, plus tard, vont choisir l’analyse.

11De 1995 à 1999, l’un des analystes français, Patrick Delaroche, va se charger de missions régulières à Sofia. Il entretient le transfert et défriche le terrain pour la psychanalyse. Patrick Delaroche devient le pionnier de la pénétration de la psychanalyse en Bulgarie.

12Pendant les séminaires publics, il montre des films avec des séances de psychodrame psychanalytique individuel, enregistrées dans des hôpitaux psychiatriques parisiens. Le PPI se présente comme un moyen qui détourne avec succès les résistances de l’auditoire bulgare et rend possible la rencontre avec la psychanalyse.

131997 est l’année du premier Congrès de psychanalyse à Sofia, où sont présents une quinzaine de psychanalystes d’Espace analytique et trois cents à quatre cents psychothérapeutes, psychologues, médecins, universitaires et francophones bulgares. Le congrès est organisé par P. Delaroche – côté français – et D. Yeroham – côté bulgare – et se déroule sous le patronnage de Maud Mannoni et Julia Kristeva. Pendant cet évènement, un grand nombre de gens peuvent entrer en contact et écouter les psychanalystes. Au contraire de tous ceux qui ne sont pas analystes et qui mettent beaucoup d’énergie à expliquer aux gens comment la cure analytique est impossible, cette rencontre devient une tribune de témoignages des effets de la psychanalyse. La psychanalyse provoque beaucoup d’agitation et de discussions.

14Quatre Bulgares commenceront leur formation en psychanalyse : Dessislava Gadeva en 1996, Mimosa Dimitrova et Ventzislav Vatov en 2000, et Anastassia Gamova en 2002. Ceux qui choisissent la formation en psychanalyse acceptent non seulement en théorie l’existence de l’inconscient, mais aussi sont prêts à sonder le leur.

15En 1999, apparaît le projet de coopération franco-bulgare de formation des psychothérapeutes bulgares en psychothérapie analytique. Ce projet assure des missions régulières des analystes francais à l’Institut français à Sofia, ainsi que des stages des quatres Bulgares qui se forment en psychanalyse dans des institutions parisiennes d’orientation analytique.

16Durant ce projet, est créée l’association « L’Espace bulgare pour la psychanalyse », avec comme présidente Mimosa Dimitrova.

17Dix ans après le premier contact entre les analystes d’Espace analytique et les psycho-thérapeutes bulgares, les résultats sont évidents : quatre spécialistes bulgares sont en formation en psychanalyse, des séminaires réguliers réunissant des adeptes de la psychanalyse ont lieu à l’Institut français de Sofia et la formation d’autres psychanalystes commence à Sofia. La recette de la réussite se cache peut-être dans l’acceptation du défi du transfert.

18Il y a dix ans, dans les milieux professionnels en Bulgarie, l’opinion était répandue que la formation en psychanalyse est impossible à cause de la spécificité de cette dernière. Aujourd’hui, en Bulgarie, sont présentes trois écoles francaises analytiques – Espace analytique, SPP et l’École de la cause –, qui après le début lancé par Espace analytique, forment aussi des analystes.

19Le vrai discours analytique est traumatique. Dans la société occidentale, la terminologie analytique est devenue monnaie courante. Peut-être est-ce une défense contre l’analyse. Tandis qu’en Bulgarie, le langage lié à l’inconscient crée des orages. La société est en même temps curieuse et effrayée par cette part inconnue de notre psychisme.

20Est-ce que la propagation de la psychanalyse à l’Est va faire obstacle encore une fois à la mort prescrite de la psychanalyse ?

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