« On ne saurait donc parler d’un primat utérin comme on parle d’un primat du phallus. Les schèmes séquentiels qui suggèrent plus qu’ils ne définissent le féminin invitent par conséquent à complexifier la logique du propre, pour qu’il soit tenu compte de ce qui, dans les potentialités féminines, actualise une radicale exposition à l’altérité ( 329). »
2À la question « Y a-t-il une symbolisation du sexe de la femme ? », Monique Schneider exclut l’idée d’offrir un parallélisme d’avec la logique phallique, mais propose une réflexion décalée, riche et dense à travers de multiples références (Shakespeare, Duras, Apulée, Tournier, Lacan, Dolto… ) et surtout, Freud dont elle retrace la pensée pour tenter de saisir les remaniements théoricocliniques autour de la question du féminin. Elle cherche dans « l’infra texte » ce qui du premier Freud se trouve transformé par l’infiltration de fantasmes « du masculin atrophié » dans la théorie, où se dessine alors un « effacement des traces » par souci de « cohérence » alors qu’une autre voix s’énonce à travers la « protestation féminine ».
3Rébellion reprise du côté de Freud pour réformer sa théorie passant selon l’auteur d’un allégement de la « répression de la « sensualité », liée à la maternité, pour passer à sa mise sous tutelle dans « l’homme Moïse ».
4Ainsi la théorisation qui accorde au phallus un « pouvoir structurellement réparateur » du « défaut féminin » met de côté, selon l’auteur, son aspect de « corps étranger » effracteur.
5C’est cette logique phallique qu’elle souhaite interroger en l’insérant dans une logique plus vaste du « vivant » et de l’effroi qu’il suscite en son mouvement. La topographie féminine, « offrant cette fente étroite », figure « l’espace psychique », « espace creux » qui ne fait pas trou, car il est « construit à partir d’une paroi venant protéger contre la chute dans le vide ». L’espace creux offre alors une possible « dilatation des formes » qui se déroule au cœur de la vie fantasmatique du sujet, dans la cure et au-delà.
6L’auteur insiste sur « l’irruption du vivant » contre « la visée matricide : purger la femme de tout stigmate matriciel ». Cet espace se trouve aussi au cœur du geste d’aufnehmen et donc de la bejahung comme « geste paradigmatique du féminin » qui implique une possible « fortification », désignant un « refus de la féminité », jusque dans le travail analytique.
7Le Freud « crypto-féministe » des premiers temps fera retour au cours de ses développements sur « l’au-delà du principe de plaisir », où insiste « le féminin universel, ne faisant qu’un avec ce qui, dans le pulsionnel, se laisse aimanter par Eros ». Dans son cheminement théorique, « Freud n’a t-il pas, dans sa plaidoirie, aboli le ventre pour sauver le visage en tant que face » ?, « la grossesse cérébrale de Zeus n’a t-elle pas, en effet, été rendue possible que par l’avalement préalable de la mère enceinte, Métis » interroge l’auteur. Avalement qui se retrouve selon Monique Schneider quand on interroge la question d’un « lieu-source, indissolublement trouble et fécond » au regard de la logique phallique qui sert alors de « garde-fou », « impliquant une éviscération symbolique préalable. »
8Ainsi « n’est-ce pas cette logique phallique qui, du même coup, se voit signifier ses limites, quand est prise en compte la fonction de la gestation maternelle ? », souligne t-elle.
9Elle questionne, tout au long de ses développements, la notion de « primat du phallus » pour insister sur une nécessaire suspension qui est sous jacente à l’écriture même de ce livre « le paradigme du féminin », qui peut paraître dense, mouvant et flottant, en écho peut-être, à cet énoncé de Lacan : « Devenir une femme et s’interroger sur ce qu’est une femme sont deux choses essentiellement différentes. Je dirais même plus – c’est parce qu’on ne le devient pas qu’on s’interroge, et jusqu’à un certain point, s’interroger est le contraire de le devenir [1] ». En ça, l’auteur propose de revenir et d’interroger la place du ventre, de « cet espace creux » dans la clinique, la théorie et l’écriture offrant une réflexion qui disperse la pensée, la temporalité, la verticalité pour laisser place à une « dilatation des formes » qui ouvre à des séquences « incurvées », à l’image du « triangle vulvaire ».
10Cet ouvrage permet de remettre au travail des repères théoriques selon l’image de sa structure éclatée et ordonnée. On peut avoir le sentiment de s’y perdre, mais n’est-ce pas un point de réel nécessaire quand on interroge le féminin ? La fluctuation des énoncés s’impose pour confirmer que : « Le féminin n’est saisissable que dans sa traversée du négatif et de l’errance, il est incapable de rivaliser avec le symbole phallique de la pierre dressée. » ( 219)
11La structure en poupée russe de cet ouvrage qui donne une figure éclatée et dense autour du « paradigme féminin » est à l’image de la position du lecteur s’interrogeant sur la réflexion de Monique Schneider à partir de l’oscillation de Freud sur la question du féminin : il y a toujours un creux au cœur de la structure qui ouvre vers une autre structure, vers un autre creux, indéfiniment à l’image de ce « lieusource » propre à la maternité. Rapprochement souvent oublié que l’auteur fait naître, tout au long de son récit, sans protestation, avec élégance.