I - Questions épistémologiques
1 Les recherches en travail social constituent ce jour un corpus suffisant pour attirer les questions épistémologiques. Des réflexions et des travaux à visée épistémologique commencent à se dessiner dans le paysage ouvert des recherches en travail social. AFFUTS y contribue depuis de nombreuses années en se donnant pour objectif d’amener les recherches en travail social à une reconnaissance non seulement sociale et politique, mais également épistémologique.
2 Pour l’essentiel, nous remarquons que les questions épistémologiques portent : sur les conditions de production de la recherche par son auteur, autrement dit la posture. Le lien assuré par la même personne entre la recherche et l’action, l’acteur et l’auteur est sans doute le premier questionnement qui fut mis en exergue et depuis largement développé. Même si la controverse se poursuit encore, et pour cause car la posture est ce qui détermine les autres questions, l’analyse est largement ouverte et ne peut que se creuser et s’approfondir dans le temps.
3 sur l’objet (comprenant à la fois la réalité circonscrite et la question de recherche qu’on y insère) dont la question est également parcourue et analysée, le plus souvent à partir des titres, ou thématiques que l’on catégorise et quantifie. L’analyse débouche sur l’affirmation que les recherches en travail social ont à voir avec l’expérience professionnelle problématisée de l’auteur/acteur et l’actualisation des thématiques sociales. Pourtant il y aurait encore à repérer comment la question contenue dans l’objet (qui le constitue en tant qu’objet) porteuse d’un problème situationnel vécu professionnellement se transforme en visée de généralisation pour et par la recherche.
4 sur les méthodes utilisées dans les recherches en travail social dont la question est peu abordée.
5 Si par méthode on entend l’outil permettant d’observer et de mesurer une réalité construite, toutes les méthodes sont acceptables dans la mesure où elles sont cohérentes et pertinentes par rapport à ce qu’on cherche. Un développement de cette dimension engagerait à entrer dans les débats existants, multiples et bien nourris, au sujet des méthodes en sciences sociales.
7 Sans délaisser ces questionnements épistémologiques à d’autres, les membres d’AFFUTS proposent d’ouvrir un sillon réflexif amenant un questionnement critique relatif aux connaissances produites. Alors que le motif de toute recherche est une quête de connaissance, le questionnement épistémologique relatif aux connaissances produites est occulté des réflexions et débats actuels. Il est curieux que l’on se focalise plus sur la prétention du sujet (travailleur social) à produire de la recherche, que sur la prétention de sa recherche à produire des connaissances. Autrement dit, on se focalise plus sur l’amont que sur l’aval, plus sur le sujet que sur sa production, plus sur le pouvoir que sur le savoir.
8 Il s’agit pour nous d’approcher les modes et les types de connaissances qu’organisent les recherches en travail social par une mise en réflexivité des productions.
9 La connaissance qui résulte de la recherche est une forme construite de concepts qui permet une intelligibilité nouvelle du sens attribué au problème observé et en quelque sorte également disponible pour une infinité virtuelle d’autres situations du même ordre. C’est dire que toute connaissance se situe à un niveau de généralité et d’abstraction dont seuls les concepts sont porteurs. Pour autant, la connaissance n’est pas une domination du concept sur la réalité concrète (les faits), elle est de l’ordre d’une jonction qui résulte d’une mise en rapport dialectique entre la forme conceptuelle et les faits : l’un par l’autre se concrétisent, l’un par l’autre s’éclairent, l’un par l’autre tissent des relations concrètes aux relations formelles. Si le concept est la forme selon laquelle une réalité concrète (objet) peut être pensée, c’est qu’il est une représentation ancrée dans cette réalité concrète qu’il vient requalifier. Dès lors, se pose la question de la nature de ce rapport : le concept reflète-t-il, organise-t-il, ou transforme-t-il la réalité ?
10 Ainsi, à notre réflexion relative aux modes et types de connaissances produites en tant que composition de concepts, s’ajoute celle de savoir quelle est la nature et la fonction du rapport que les connaissances engendrent avec la réalité ?
12 Partant de ces prémisses épistémologiques, AFFUTS a réalisé une pré-enquête par questionnaire, en vue d’alimenter son questionnement initial.
II – Caractéristiques de la polulation enquêtée
13 Notre corpus est de 35 réponses recueillies et exploitables. Ce corpus est loin d’être représentatif, il est suffisant pour constituer une pré-enquête qui ne cherche pas à démontrer mais ouvrir notre questionnement.
14 Les auteurs se répartissent selon les caractéristiques suivantes :
15 14 renseignent le questionnaire à partir d’une thèse ; 2 sont de sexe féminin et 12 de sexe masculin
16 14 renseignent à partir d’un master 2 ; 10 sont de sexe féminin et 4 de sexe masculin
17 Enfin 7 renseignent à partir d’une recherche DEIS ou DSTS ; 3 sont de sexe féminin et 4 de sexe masculin.
18 Soit au total 15 femmes et 20 hommes.
19 La plupart des diplômes ont été obtenu entre 2000 et 2013
20 Avant la thèse, 5 auteurs indiquent avoir obtenu préalablement un DEIS, DSTS ou DHEPS
21 Avant le master ou parallèlement 8 auteurs indiquent avoir obtenu préalablement un DEIS, DSTS ou DHEPS.
Tableau 1 : Diplôme de référence
Tableau 1 : Diplôme de référence
Tableau 2 : Diplôme initial
Tableau 2 : Diplôme initial
Tableau 3 : Lieux d’exercice
Tableau 3 : Lieux d’exercice
Colonne T (Doctorat) : Caractéristiques de la population
- Il s’agit d’un groupe significatif de 14 personnes ayant répondu au questionnaire ;
- La grande majorité (12 / 2) est de sexe masculin ;
- dans ce groupe tous ont validé une thèse de doctorat. Parmi eux 4 indiquent un parcours DHEPS et/ou DSTS, DEA et /ou MASTER, THESE ;
- l’année d’obtention de la thèse varie dans une fourchette qui s’étale de 1992 à 2007. Seule une thèse est de 1970 ;
- 1 thèse est validée dans le cadre de l’EHESS, 2 au CNAM, et on peut supposer que les autres sont validées dans une université ;
- au moment de la validation de la thèse tous sont travailleurs sociaux en exercice, sauf pour une personne en situation de retraite. De formation initiale nous comptons 8 ES, 3 ASS et 3 Animateurs ;
- presque la moitié d’entre eux (6 / 14) exerce dans un établissement de formation aux professions sociales (formateur, responsable de filières, directeur) ; ils sont de formation initiale ES x 3, Animateurs x 2, AS x 1 ;
- l’autre moitié est éducateur spécialisé (4), Assistant Social (2), ou Animateur (1), ou encore à l’éducation nationale directeur d’une école primaire (1). Ils sont en exercice et en intervention directe auprès de la population ou cadre d’une structure d’intervention ;
- les structures employeurs sont : Etablissement de formation (6), Associations (5), Hôpital psychiatrique (1), Conseil Général (1), Education nationale (1).
Colonne M. (master 2) : Caractéristiques de la population
- Il s’agit d’un groupe de 14 personnes ayant répondu au questionnaire ;
- la majorité (11 / 14) est de sexe féminin ;
- dans ce groupe 8/14 personnes ont indiqué avoir validé préalablement ou concomitamment au master un DSTS ou DEIS ;
- l’année d’obtention du Master varie dans une fourchette qui s’étale de 2000 à 2013. Seulement deux masters ont été obtenu l’un en 92, l’autre en 97 ;
- tous les masters sont validés par une université, sauf 2 qui ont été obtenus en formation au CNAM ;
- au moment de la validation du Master tous sont travailleurs sociaux en exercice, sauf une personne en situation de chômage. De formation initiale nous comptons 5 ES, 5 ASS, 2 CESF et 2 EJE ;
- 5 / 14 exercent dans un établissement de formation aux professions sociales (formateur, responsable de filières, directeur) ; ils sont de formation initiale ES, AS, CESF, EJE ;
- l’autre part (9/14) est en intervention directe auprès de la population ou cadre d’une structure d’intervention sociale ;
- les structures employeurs sont : Etablissement de formation (5), Conseil Général (3), Associations Etablissements sociaux (3), service social Education nationale (2).
Colonne D (DEIS ou DSTS) : Caractéristiques de la population
- il s’agit d’un groupe de 7 personnes ayant répondu au questionnaire ;
- la majorité (4 /7) est de sexe féminin ;
- dans ce groupe tous ont validé un DEIS ou DSTS. Parmi eux 3 indiquent un parcours DHEPS ;
- l’année d’obtention du diplôme varie dans une fourchette qui s’étale de 2000 à 2013 ;
- tous les diplômes sont obtenus suite à un parcours de formation dans un établissement de formation aux professions sociales ;
- au moment de la validation du diplôme tous sont travailleurs sociaux en exercice (intervention directe auprès de la population ou cadre d’une structure d’intervention) : 3 dans les associations d’action sociale, 1 dans la fonction Publique d’Etat, 1 à la CRAM, 1 dans un centre de formation 3 sont E. S, 2 ASS, 1 EJE, 1 chef de projet.
Ensemble : Caractéristiques de la population
25 Des dominantes apparaissent.
- Parmi ceux qui ont obtenu un Master ou un doctorat 12 / 28 indiquent avoir obtenu préalablement un DSTS, DEIS ou encore un DHEPS. Dès lors qu’il s’agit de diplômes universitaires pour le Master et le doctorat, en toute logique les lieux d’inscription sont l’université. Toutefois 2 thèses et deux masters ont été obtenus au Cnam, et 1 thèse obtenue à l’EHESS. Le DEIS est obtenu dans le cadre des établissements de formation aux professions sociales.
- Les hommes par rapport aux femmes, sont supérieurs en nombre dès lors qu’il s’agit des formations doctorales. La dominante s’inverse concernant les Masters.
- De même la qualification initiale d’éducateur spécialisé est prépondérante sur les thèses par rapport aux autres professions du Travail Social. Nous relevons l’absence des formations initiales de niveaux III telles queEJE, ETS, CESF, au niveau doctoral. Alors qu’au niveau Master et DEIS, nous rencontrons une relative répartition des formations initiales de niveau III.
- Quelque soit le diplôme de référence, les auteurs étaient en situation professionnelle durant la formation, sauf deux exceptions sur les 35. L’exercice professionnel dans les établissements de formation aux professions sociales est majoritairement représenté dans l’ensemble – très dominant au niveau doctoral – par rapport aux fonctions d’intervention directe auprès de la population et/ou d’encadrement qui se répartissent dans les établissements et services des Collectivités territoriales, organismes d’État ou associations.
III – Qels types de connaissances ?
Analyse des Thèses
Production de connaissances
27 La recherche est mobilisée à partir d’un questionnement que l’on problématise. Nous avons noté les lieux du questionnement sur le schéma d’action.
28 Pour la majorité d’entre eux, le questionnement problématisé se situe dans le champ de compétence des travailleurs sociaux : Ils s’interrogent et interrogent les modèles d’action des TS, la culture et les savoirs professionnels, le changement culturel, la crise des pratiques éducatives actuelles, le rapport du sujet à sa professionnalité, les écrits tels qu’ils sont transmis,…autrement dit la compétence de l’opérateur dans l’agir professionnel.
29 Pour d’autres, le lieu du questionnement est porté sur Autrui, le destinataire de l’action. Selon les types de population ce sont les attitudes, comportements, conduites, les actes et les pratiques qui les caractérisent qui interrogent.
30 Enfin, pour d’autres encore, les questionnements se situent au niveau du cadre qui détermine l’action et les conditions de l’agir. Ils interrogent les systèmes, les complexités, les stratégies, les schèmes, qui organisent les institutions, les politiques, les acteurs sociaux,…
31 Face à ces questionnements une fois problématisés, les recherches visent explicitement (reprenons les verbes employés) à révéler, comprendre, mettre en lumière, décripter, reformuler une intelligibilité du phénomène circonscrit par le questionnement.
32 Ou bien pour d’autres la finalité de la recherche vise à révéler un concept, à structurer conceptuellement, à référencer voire multi-référencer les connaissances théoriques, entreprendre l’extension des concepts,…
33 Ou encore : Typologiser, dégager des postures, des stratégies
34 On perçoit assez aisément que la finalité de la recherche est une recherche de conceptualisation d’une réalité décrite et circonscrite dans la problématique. Certes il y a quelques concepts que je dirais opérationnels, quand ils servent la description (par exemple le concept de représentation qui sert à observer l’image d’Autrui des travailleurs sociaux). Mais surtout nous percevons pour la quasi-totalité d’entre eux des concepts qui, à distance de la réalité, condensent toute la réalité et l’interprètent (insularité, praxis, identité narrative, ostension de soi, métaposture,…).
35 Les champs disciplinaires mobilisés par les auteurs sont :
36 Sociologie/anthropologie, sciences de l’éducation, psychologie/psychologie sociale, linguistique et philosophie. Nous pouvons faire le constat que la plupart sont majoritairement monodisciplinaires, 3 recherches sont toutefois manifestement pluridisciplinaires.
37 Quel que soit le champ de connaissance que les chercheurs mettent en œuvre, c’est de l’ordre de la compréhension du sens de l’agir que l’on reconstruit à partir d’une observation directe des situations ou des écrits, ou le plus souvent à partir d’une observation indirecte reproduite par les discours des locuteurs. Comme si les pratiques sociales pouvaient par homologie être considérées et traitées comme un texte, à partir duquel une interprétation est nécessaire pour en révéler le sens. Le sens n’est pas au bout du discours, disait Barthes, il le traverse ; d’où la quête conceptuelle comme clé de compréhension des pratiques. Connaître est alors révéler ce qui n’est pas donné par l’observation empirique, ni par le traitement connotatif du texte, c’est une construction abstraite qui, par le concept, vise une unité de sens de la réalité étudiée.
38 Le concept est alors un construit qui a une fonction réflexive de la réalité problématisée.
39 Pour résumer selon les trois connaissances produites et les concepts :
Analyse des Masters et DEIS (21 réponses)
40 J’assemble ici les masters et les DEIS. D’une part, parce qu’il y a beaucoup de masters qui sont également des DEIS, et d’autre part parce que l’analyse des uns et des autres que j’ai opérée ne produit pas d’écart significatif dans son contenu.
Lieux du questionnement
41 La problématique qui origine la recherche se situe à différents lieux du plan d’action :
42 Pour la majorité d’entre eux (11/21) nous situons le lieu du questionnement dans l’interaction entre l’agir du TS et les destinataires de l’action, ou les partenaires de l’intervention. Nous rencontrons par exemple : le pouvoir d’action des TS face aux mal-logés, la responsabilité des professionnels face à la responsabilité des parents, l’ASE et l’EN face à la prévention du décrochage scolaire, entre le tuteur et l’apprenant,…ou bien plus largement entre les partenaires du territoire d’intervention et les incivilités scolaires, entre les institutions socio-culturelles et la participation des habitants, ou encore entre le dispositif de formation professionnelle et le principe de laïcité et diversité dans l’accueil des jeunes enfants,…
43 6/21 interroge la sphère de compétence de l’acteur notamment en termes de management et d’organisation : La fonction d’encadrement et la démarche innovante, le don et le management, la coopération entre les services,… Mais également l’analyse de dispositifs : de formation, d’évaluation, la formation DEIS,…
44 Pour 3 d’entre eux le lieu du questionnement circonscrit son interrogation sur la compréhension d’Autrui, à savoir : l’origine de l’absentéisme scolaire, l’incivilité des jeunes, l’enfant autiste. Toutefois si dans cette catégorie la dominante est la compréhension d’autrui, dans la catégorie précédente ou le questionnement est entre deux (entre le TS et Autrui), nous avons également une analyse d’autrui.
45 Enfin une seule recherche pourrait se situer dans le champ de l’action politique dans la mesure où elle interroge le cadre politico-administratif de l’action sociale au travers de la territorialisation de l’ASE et de la décentralisation dans ses effets en termes de coopération.
46 De façon générale on peut dire que le lieu du questionnement se situe sur un espace à vue de l’auteur. La problématique se situe en un lieu précis, circonscrit, spécifique de son espace d’exercice, de fonction ou de mission. En fait les problématiques sont très localisées : il s’agit de telle profession sociale, de tel service ou telle intervention, de tel contexte d’intervention.
Types de connaissance produite
47 La quasi-totalité des problématiques sont liées à un souci de savoir, de comprendre, d’expliquer pour modifier l’action circonscrite et présente qui pose problème.
48 Face aux problématiques, les recherches que les auteurs engagent visent, selon les verbes qu’ils utilisent, à une meilleure compréhension, à éclairer, à définir, évaluer, à une réflexivité, à connaître, à montrer, mettre à jour, appréhender, identifier… Autrement dit une certaine modestie s’affiche dans l’objectif du travail de recherche.
49 La connaissance est alors pour eux le résultat d’un effort de clarification de l’action qui pose problème, par un travail de déconstruction et d’observation. La grande majorité parle d’une investigation relative à l’observation des pratiques, des praxis, des logiques, des savoirs, des interrelations mis en œuvre par les TS, les partenaires et les institutions : mise à jour des praxis, appréhender la dimension subjective, analyser les éléments constitutifs de la mission, identifier les modes de savoirs,…et tout cela en vue de comprendre.
50 Pour autant, celle-ci ne se fait pas selon une observation directe des pratiques mais au travers des discours portés par les acteurs, recueillis et traités par le chercheur. Nous n’avons pas demandé quels étaient les modèles de traitement et d’analyse des investigations, toutefois certains concepts mentionnés indiquent des méthodes appliquées au corpus tel que « Analyse stratégique, historicité, biographisation, idéal-type,…»
51 Si nous considérons que les connaissances sont portées par des concepts, ici il semblerait que ce sont les notions communément utilisées que l’on conceptualise tel que savoir, réseau social, professionnalisation, identité professionnelle, rôle, territoire, pouvoir d’action, dispositif, prévention, responsabilité, laïcité, diversité,…Toutefois, en faible proportion émergent aussi des concepts singuliers tels que : matrifocalité, don, relationalité, compétence de contexte, postures combinatoires, liminalité,…
52 Toutefois ces derniers, bien qu’étant le produit d’une construction, reconstruction à partir des données, ont à la fois une valeur thématique et opératoire.
53 Si j’élimine deux cas de figure où l’auteur part d’un concept (empowerment / don) a priori, qu’il met à l’épreuve de la réalité empirique pour construire une connaissance, pour tous les autres cas, la conceptualisation est en quelque sorte seconde par rapport à la réalité circonscrite et observée. La conceptualisation est une façon d’ordonner l’observation.
54 En réalité, il semble que l’objectif de produire une connaissance est au service d’une finalité explicitement dite par eux, à savoir : redévelopper et maîtriser autrement l’action.
55 Là encore nous percevons dans la visée de recherche, explicitement dit, le prolongement vers l’action : La connaissance produite est une compréhension qui permet de penser le paradoxe et de le gérer par… Poser un diagnostic des forces et faiblesses des acteurs pour agir sur les stratégies,… Connaissance stratégique des TS pour des propositions sur les moyens managériaux d’accompagnement, valorisation des compétences… Une réflexion éthique qui peut conduire à une modification de l’action éducative…
56 Nous pouvons déduire de multiples champs disciplinaires : la sociologie est dominante, les sciences politiques et de l’éducation viennent très nettement en seconde position, enfin un cas puise une méthodologie dans la psychologie, et un autre se réfère à la psychologie-sociale.
57 Les champs disciplinaires sont globalement mono-disciplinaires.
58 Toutefois sauf pour une ou deux personnes nous avons l’impression que la discipline est très secondaire. C’est le concept qui détermine le champ disciplinaire et non l’inverse.
Vision d’ensemble
59 Dans une vision d’ensemble on peut dire que le questionnement de l’agir dans sa dimension d’interaction problématisée, est dominant. Issu de l’expérience de l’auteur le problème est localisé dans et par l’espace d’implication directe de l’auteur.
60 Il s’agit de ré-observer méthodiquement, conceptualiser une réalité situationnelle en développant des cadres d’analyse pour la comprendre. C’est une posture formalisée du dispositif réflexif.
61 La production de connaissance qui en découle a une visée et une valeur de transformation, il s’agit de comprendre pour agir différemment. La conceptualisation est le moyen qui permet d’organiser l’observation et la signification. Je cite l’un des auteurs :
« La mobilisation des concepts permet de comprendre ce qui se joue, les connaissances qui en découlent sont pour l’action. »
63 Dans sa forme dominante on peut dire que le type de connaissance produit est d’ordre pragmatique.
IV- Problématisation
64 Les premiers résultats de notre analyse s’organisent selon trois données.
65 Le questionnement des recherches se situe, pour tous, dans le champ de l’expérience professionnelle de l’auteur. Nous observons une adéquation entre le lieu de l’exercice professionnel de l’auteur de la recherche et le lieu de son questionnement. Globalement si l’on peut dire qu’il est endogène au champ d’action de l’auteur, l’expérience toujours singulière de celui-ci, l’amène à circonscrire une réalité particulière de son champ d’action. On peut se demander si cette réalité particulière énoncée comme problématique est déterminée par l’expérience de l’auteur, ou par la réalité elle-même qui pose problème, ou encore par une rencontre des deux à un moment donné. En quoi et comment l’expérience de l’acteur/auteur vient fonder le questionnement de la recherche, est une question qui mériterait d’être travaillée et approfondie en termes épistémologiques.
66 Plus précisément, les lieux du questionnement, si nous les positionnons sur le schéma d’action, se situent soit au niveau de l’interaction engendrée par les pratiques sociales (mission, fonction, rôle, pouvoir, représentations d’un côté, face aux caractéristiques, attitudes, pouvoir, attentes d’Autrui de l’autre côté) ; soit les questionnements se situent dans la sphère de compétence des acteurs, soit encore ils interrogent le contexte socio-politique de l’action professionnelle et/ou de l’action sociale. Porteur et porté par la question qui émane de son champ d’action, l’auteur est dans une démarche dont les caractéristiques sont celles de la Recherche-Action.
67 Toutefois, entre les thèses et les recherches de niveau master, nous pouvons observer une distinction. Pour les premiers, le questionnement mobilise et s’inscrit dans des catégories plus générales que pour les seconds (de l’ordre de l’Action Sociale). Alors que pour les seconds le questionnement demeure circonscrit au lieu et contexte de l’action locale (de l’ordre d’une pratique sociale particulière).
68 Les connaissances produites se distribuent selon des dominantes quand il s’agit des thèses ou des masters. Si dans l’ensemble les auteurs produisent des connaissances relatives aux compétences des acteurs professionnels, ou bien relatives à leur intervention, les premiers auteurs (des thèses) se portent plus largement sur la première série de connaissances, alors que les seconds (masters) se portent équitablement sur les deux séries. Dans une faible proportion nous remarquons que seuls les premiers auteurs élaborent des connaissances relatives à Autrui ou aux conditions de l’exercice professionnel (cadre de l’action, destinateur de l’action).
69 Le lieu épistémologique des connaissances produites se situe selon nous entre deux épistémologies.
70 D’un côté, nous situons les recherches dans une herméneutique de l’agir, quand elles visent explicitement la compréhension du sens de l’action. Dans ce cas, dans et par le concept la compréhension de l’action se cristallise. Certes nous ne sommes pas face à l’interprétation des textes de la tradition comme dans l’herméneutique mais, comme elle, l’auteur est en quête des fondements. Face à la pratique de l’agir ordinaire, que l’auteur traite comme un langage, voire comme une parole, sa recherche va chercher à révéler ce qui n’est pas explicite dans le langage ordinaire, et qui pourtant en constitue son sens. Un sens qui peut prendre la forme d’une rationalité, d’une symbolisation, d’un modèle, d’un schème, d’une structure que j’appelle cristallisation. Autrement dit, le sens n’est pas donné, il est construit par le chercheur. En extériorité, il vient éclairer la réalité empirique : sa posture est métaphysique.
71 Cette quête du fondement produit en quelque sorte une identité collective du groupe social.
72 Produire des connaissances est alors une finalité.
73 D’un autre côté, nous situons les recherches dans une PRAGMATIQUE, quand la compréhension des pratiques vise une transformation concrète de l’action. Dans ce cas, la conceptualisation (proche d’ailleurs de la catégorisation, de la thématisation) a une fonction organisatrice dans et par la description des pratiques. Les concepts sont extraits des notions ordinaires du langage ordinaire, ils demeurent endogènes aux actes de parole de l’action engagée. Comme dans la philosophie pragmatique il n’y a pas de dimension métaphysique à la compréhension de l’agir. Produire des connaissances est alors le moyen d’organiser l’action.
74 Ces deux vecteurs épistémologiques sont en jonction. La compréhension du sens de l’agir a pour horizon l’orientation de l’action ; la compréhension des pratiques a pour pertinence la conceptualisation de l’action. Selon les recherches le curseur se déplace sur cette ligne de jonction, et nous devons comprendre qu’il y a une variation des positionnements entre produire des connaissances comme finalité ou comme moyen. Nous pouvons constater par ailleurs qu’il y a variation dans la durée du parcours de l’auteur : une variation qui va de la pragmatique vers l’herméneutique, dans la mesure où nous constatons que les recherches de niveau master (qui dans le parcours des auteurs se situent avant la production d’une thèse) sont plus explicitement dans une visée pragmatique, alors que les thèses se situent plus dans une recherche herméneutique.
75 Enfin, vouloir enchâsser les connaissances produites par les recherches en travail social entre deux courants philosophiques - l’herméneutique et la pragmatique - est une façon de les introduire et les attacher à des champs épistémologiques déjà existants et largement développés qui peuvent à leur tour venir nourrir notre problématique.
Ce Séminaire
76 Prenons à rebours ce que nous pouvons tirer de cette première approche. Les recherches en travail social se situeraient entre ces deux visées épistémologiques, herméneutique et pragmatique, mais sans pour autant les décrire et les interroger en termes de pertinence et de limite. Adoptons alors une position réflexive, en nous retournant sur la place qu’occupe la connaissance produite vis-à-vis du sujet, des pratiques et praticiens de l’intervention sociale et des sciences humaines quand on produit des connaissances comme finalité ou comme moyen. Conçue comme un lieu d’élaboration d’une pensée particulière des connaissances produites par les recherches en travail social, la première session de ce séminaire se donne l’objectif suivant : Ouvrir à votre expérience et à vos savoirs, notre approche et ses questionnements, en vue d’une problématisation collective relative aux processus, types, pertinence et intérêt des connaissances produites de l’agir.