Flux 2015/3 N° 101-102

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Article de revue

Une démarche pilote portée par la Région Île-de-France : Charte et contrat aménagement-transport autour du prolongement de la ligne 11 du métro

Entretien avec Sophie Laurent (département Mobilité & Transports de l’IAU Île-de-France) et Juliana Ribeiro (Direction de la planification, de l’aménagement et des stratégies métropolitaines de la Région Île-de-France)

Pages 124 à 132

Notes

English version
Architecte-urbaniste de formation, Sophie Laurent est arrivée à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU IdF, désigné IAU dans la suite) en 2008. Juliana Ribeiro, géographe, a intégré en 2007 l’équipe en charge de la révision du Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), à la Région Île-de-France. Elles ont toutes deux participé à l’élaboration et à l’expérimentation d’une démarche partenariale originale, le « contrat aménagement-transport » [2], dont l’objectif est de favoriser un développement urbain cohérent en amont de l’arrivée de nouvelles infrastructures de transports collectifs, par un travail partenarial.

1
Flux : Dans quel contexte s’est mise en place la réflexion sur l’articulation entre aménagement et transport ?

2Sophie Laurent : Tout commence avec une commande de la Région, qui demande à l’IAU de réfléchir à cette question de l’articulation aménagement-transport.

3Juliana Ribeiro : Cette réflexion, d’abord portée par le Vice-président de la Région en charge des transports puis par celui en charge de l’aménagement s’est inscrite dans le contexte particulier de la révision du SDRIF et du Plan de mobilisation pour les transports collectifs en Île-de-France.

4Le SDRIF incite à plus d’intensité urbaine et de densification aux abords des réseaux de transports collectifs. Il s’agit de reconstruire la ville sur la ville et de limiter la logique extensive de l’aménagement pour accueillir l’essentiel de la croissance urbaine dans les territoires déjà constitués, tout particulièrement ceux bien desservis par les transports collectifs. Pendant la révision du SDRIF, la Région a mis en place le Plan de mobilisation pour les transports, qui repose sur une accélération des investissements consacrés aux transports en Île-de-France. La plupart de ces opérations sont par ailleurs inscrites dans le Contrat de Plan État-Région. La volonté est de privilégier le développement urbain autour des transports collectifs pour offrir une meilleure qualité de vie aux habitants. S’ajoute à cela un souci d’optimisation des investissements : lorsque nous développons des transports collectifs, c’est aussi pour qu’il y ait des usagers à l’intérieur…

5Sophie Laurent : La Région souhaite investir prioritairement dans des endroits où les collectivités font un effort pour répondre aux besoins de logement régionaux.

6Flux : C’est donc une forme d’incitation à la construction de logement ?

7Sophie Laurent : Oui, mais pas seulement puisque les Chartes aménagement-transport sont avant tout une façon de penser ensemble habitat, emploi, équipements pour créer une ville à échelle humaine.

8Flux : Comment se met en place la réflexion au sein de l’IAU ?

9Sophie Laurent : Pour répondre à la demande de la Région, le Département mobilités et transports de l’IAU a commencé par faire une analyse rétrospective d’une quarantaine de projets de transport. Nous avons interrogé les acteurs du transport et de l’aménagement concernés par ces projets, pour voir où ils en étaient, ce qui s’était passé (ou pas), en matière d’articulation. Cette étude a permis d’identifier quelques sujets récurrents comme par exemple le manque d’anticipation, le manque de lieux pour traiter des problématiques transversales, le manque de budget en amont. Ensuite, un petit groupe de travail s’est mis en place, réunissant des représentants de la Direction des transports de la Région puis de la Direction de la planification et de l’aménagement, du Département mobilité et transports de l’IAU, du Syndicat des transports d’Île-de-France et de la Direction régionale de l’équipement (ex. DREIF devenue depuis la DRIEA), qui n’a participé au groupe de travail que dans sa première phase. Nous avons commencé à réfléchir à la manière de faire autrement, de mettre en place une structure de dialogue transversale. Puis nous nous sommes dits, « il faut voir ce que cela peut donner concrètement sur un territoire » et nous avons cherché un projet de transport et un territoire sur lequel nous pouvions expérimenter ce nouveau mode de faire.

10Flux : Comment avez-vous choisi ce premier terrain d’expérimentation ?

11Juliana Ribeiro : Il fallait tester ce mode opératoire sur une infrastructure nouvelle. Nous avons considéré que sur le projet de prolongement de la ligne 11, tous les ingrédients étaient réunis : un projet de métro avec des financements d’études, encore en phase amont ; un territoire situé en zone dense, subissant une forte pression foncière avec un risque fort de spéculation ; un territoire situé à proximité immédiate de Paris, non desservi par des infrastructures lourdes de transport mais avec un potentiel de développement urbain et des projets déjà engagés ; et surtout une association d’élus très investie pour ce projet et pour le territoire, l’APPL11 (association pour la promotion du prolongement de la ligne 11).

12Sophie Laurent : L’association d’élus, APPL11, existait depuis 2002. Ils avaient déjà fait faire différentes études pour démontrer que leur territoire avait des besoins et un fort potentiel de développement. Ils avaient fait appel à Ville et Transports en Île-de-France (VTIF), un groupement d’intérêt économique qui est devenu plus tard leur assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO). Il nous a semblé intéressant de prendre contact avec les maires de cette association sans leur imposer la démarche, mais en leur expliquant quel pourrait être leur intérêt à participer. Les élus de l’APPL11 ont très vite été intéressés par cette démarche positive pour leur action : accompagner l’arrivée du métro, faire parler de leur territoire, travailler avec la Région, bénéficier d’un apport en ingénierie.

13Flux : Comment les différents partenaires ont-ils été associés ?

14Sophie Laurent : À la suite d’un échange entre la Région et le président de l’APPL11, les maires du territoire ont accepté et la démarche s’est peu à peu mise en place. À l’époque, l’APPL11 était organisée de manière très minimale. L’organisation de l’association s’est consolidée grâce au recours à une assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) constituée de VTIF et du bureau d’études Ingérop. L’AMO est associée à l’équipe projet et fait le relais avec les élus.

15Juliana Ribeiro : Pour la Région, la gouvernance locale du projet est une composante essentielle. L’appui de cette AMO a été un relais efficace pour établir un contact direct avec les élus du territoire.

16Par ailleurs, quand la démarche s’est engagée, la communauté d’agglomération Est Ensemble n’existait pas. Les élus se connaissaient mais les techniciens ne travaillaient pas spécialement ensemble, alors qu’ils étaient tous concernés par le prolongement de la ligne 11. La CA Est-Ensemble a été créée au 1er janvier 2010. Nous avons considéré qu’il était important de l’intégrer le plus tôt possible pour qu’elle s’approprie la démarche. Elle allait avoir un rôle clé pour la mise en œuvre de la démarche de par ses compétences : élaboration d’un Schéma de cohérence territoriale (ScoT), élaboration du plan local de déplacement (PLD), aménagement de certaines zones d’aménagement concerté (ZAC). C’étaient les prémisses de l’agglomération avec des équipes qui allaient très vite monter en puissance.

Le projet d’extension de la ligne 11

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Le projet d’extension de la ligne 11

Source : Contrat d’aménagement-transport pour le territoire de la ligne 11, p.12-13 (2)

17Juliana Ribeiro : L’équipe projet, au départ constituée de la Région, de l’IAU et du STIF, s’est donc peu à peu étoffée avec l’établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF), la CA Est Ensemble et l’AMO de l’APPL11. L’idée de départ était d’aider le territoire avec une ingénierie, des compétences et un savoir-faire.

18Sophie Laurent : En fonction des thématiques abordées durant la première phase, nous avons sollicité différents organismes afin qu’ils expliquent dans quelle mesure ils pouvaient intervenir pour aider les acteurs du territoire à travailler collectivement. Au moment où nous parlions de développement économique, nous avons demandé à la Caisse des dépôts et consignations de venir expliquer comment elle pouvait soutenir différents types de projets, notamment financièrement. L’EPFIF est intervenu pour parler des types d’études et de portage foncier qu’il pouvait faire.

19Flux : Concrètement, comment s’est organisé le travail ?

20Juliana Ribeiro : La gouvernance de projet se structure en trois niveaux : le premier niveau correspond au comité de pilotage, instance décisionnaire que nous avons nommée dans un premier temps « conférence des élus », regroupant les élus et directeurs des organismes partenaires. Le second niveau est un niveau « technique » qui rassemble les référents désignés au sein de chacun des organismes partenaires, y compris des villes (parfois issus du service aménagement, parfois du service transports), du Département de Seine-Saint-Denis et de la RATP. Les référents techniques se réunissent soit en comité technique, soit dans le cadre d’ateliers de travail. Le troisième niveau repose sur une équipe projet constituée de techniciens de la Région, de l’IAU, de l’EPFIF, du STIF, de l’AMO de l’APPL11 avec VTIF et Ingérop management puis de la CA Est-Ensemble. Cette équipe projet joue depuis son démarrage un rôle d’impulsion et d’animation indispensable au fonctionnement de la démarche.

21Flux : Quels sont les élus qui participent à cette conférence des élus?

22Sophie Laurent : C’est une co-présidence Région/Territoires. La conférence des élus réunit donc le Vice-Président du Conseil régional en charge de l’aménagement ou des transports et tous les élus concernés par le projet de prolongement de la ligne 11 (communes, Département, Est Ensemble). Les élus des autres communes d’Est Ensemble non concernés par la ligne 11 ne sont pas présents.

23Sophie Laurent : Le président de l’APPL11 s’est particulièrement investi dans la démarche et a su préserver cette dynamique qui a facilité l’avancement des sujets, les discussions, les prises de décisions et l’émergence d’un positionnement commun à tous les élus de la démarche, au-delà des clivages politiques.

24Juliana Ribeiro : Ces rendez-vous des conférences des élus ont vraiment permis au projet de transport et à la démarche d’avancer de manière constructive et partenariale. Ils ont par exemple permis une position commune sur le choix du tracé retenu, ou encore de désamorcer certains points de désaccord.

25Flux : Comment s’est passée l’intégration progressive du nouvel acteur Est Ensemble dans la démarche ?

26Juliana Ribeiro : Cela a été un peu compliqué au début, mais Est Ensemble est aujourd’hui un acteur majeur de la démarche.

27Sophie Laurent : La communauté d’agglomération était en train de se mettre en place, elle n’avait que très peu de moyens humains. Est Ensemble se constituait et avait ses propres priorités : un certain nombre d’études dans le cadre du ScoT, notamment sur la trame verte et bleue, à l’échelle de tout le territoire. Leur vision dépassait le territoire de la ligne 11.

28Juliana Ribeiro : Ils raisonnaient à leur échelle. Il y avait effectivement la problématique des moyens humains mais il s’agissait également d’une question de périmètre et de timing. Ce n’était pas la priorité pour Est Ensemble vu que tout était encore à mettre en place. Nous les avons petit à petit convaincus que le territoire de la ligne 11 était pour l’ensemble du territoire d’Est Ensemble un élément clé et moteur. Si le timing ne leur semblait pas optimal, pour autant nous ne pouvions pas attendre pour définir une stratégie d’aménagement pour la ligne 11. Il nous fallait finaliser le contrat aménagement-transport sans attendre la réalisation du ScoT, qui allait prendre plusieurs années, alors que le projet de métro, lui, se poursuivait.

29Flux : Pour revenir à la conférence des élus : son organisation et son fonctionnement ont donc évolué au cours de la démarche?

30Juliana Ribeiro : Oui. Petit à petit, les séances du bureau des élus de l’APPL11 (réunissant les membres de l’association uniquement) ont pris de l’importance dans la démarche, et l’instance de pilotage initialement appelée « conférence des élus » (avec l’ensemble des partenaires) est devenue moins fréquente. Nous avons fini par avoir des « bureaux des élus restreints » (APPL11 seule) et des « bureaux des élus élargis » (remplaçant les conférences des élus).

31Sophie Laurent : Ce mode de fonctionnement particulier s’est mis en place deux ans après la signature de la charte, au moment où la mission de l’AMO a commencé à se clarifier, où le travail de l’APPL11 s’est structuré et petit à petit, il y a eu un bureau des élus de l’APPL11 régulier, avec un calendrier régulier (tous les deux mois), c’est là où la démarche a vraiment pris de l’ampleur.

32Flux : Cela voudrait dire que la démarche a contribué à structurer leur association ?

33Sophie Laurent & Juliana Ribeiro : Oui, clairement.

34Flux : Comment s’est déroulée la démarche ?

35Juliana Ribeiro : Il y a eu trois étapes. La première étape, c’est la charte. La deuxième, le contrat. Et la troisième, la mise en œuvre du contrat.

36Sophie Laurent : Fin 2008, les partenaires du groupe de travail sur l’amélioration de l’articulation aménagement-transport en Île-de-France ont identifié le territoire de la ligne 11 et se sont mis d’accord avec les acteurs locaux pour lancer cette démarche expérimentale. En 2009, nous avons travaillé sur la charte, qui a été signée officiellement début 2010.

37Flux : À quoi servait cette charte ?

38Sophie Laurent : C’était un premier document commun, qui n’avait pas de statut juridique mais une valeur politique forte. Il s’agissait d’acter l’engagement à travailler ensemble pour mettre en cohérence l’évolution du territoire et l’arrivée de la nouvelle desserte. Cette charte, c’est déjà presque un pré-contrat d’axe, avec une stratégie commune et des engagements de tous les partenaires signataires à réaliser un certain nombre de choses. Mais comme tout s’est mis en place en un an, ce qui est très court, chaque partenaire a souhaité inscrire des projets déjà engagés, mais qui allaient dans le sens de la démarche. L’IAU, à ce moment-là, a beaucoup alimenté les ateliers, en apportant des éléments de réflexion, des tableaux par thématique, des cartes, pour essayer de se mettre d’accord sur des axes stratégiques pour l’aménagement de ce territoire et travailler sur la rédaction des engagements.

39Juliana Ribeiro : L’objectif de la première étape était vraiment de fédérer les acteurs autour d’une démarche et d’une vision commune du développement du territoire.

40Flux : Qui a décidé qu’il fallait une charte ?

41Sophie Laurent : Ce n’était pas prévu au départ mais à mesure que la réflexion avançait, l’équipe projet a éprouvé le besoin de marquer une étape intermédiaire. Le Vice-président de la Région comme les élus de l’APPL11 étaient demandeurs.

42Juliana Ribeiro : C’était aussi parce qu’en parallèle s’organisait l’étape de la concertation préalable sur le projet de transport. Cette charte permettait de matérialiser l’acte politique, la décision des acteurs de se réunir autour d’une vision de l’aménagement en cohérence avec l’avancement du projet de transport. Elle a été annexée au dossier de concertation préalable du projet de transport.

43Flux : La deuxième phase, c’était l’élaboration du contrat ?

44Juliana Ribeiro : Oui, l’élaboration du contrat a été beaucoup plus longue, elle s’est faite entre 2010 et 2014. Le groupement de partenaires a d’abord lancé plusieurs études pré-opérationnelles, chacune étant suivie par un groupe de travail thématique. Il y a eu en tout cinq études, trois financées par un groupement de commandes (études sur le référentiel foncier et le développement urbain, sur un schéma de pré-programmation de commerces et services et sur l’identité métropolitaine du territoire) et deux réalisées en « régie » (une étude sur les rabattements des piétons et vélos vers les futures stations faite par l’IAU et une étude sur la restructuration de l’offre bus, organisée par le STIF).

45Sophie Laurent : Par rapport aux axes stratégiques et aux objectifs inscrits dans la charte, nous avons choisi d’approfondir par ces études les thématiques sur lesquelles les enjeux nous semblaient, dans un premier temps, les plus importants. Notre intention était de les compléter plus tard par d’autres thématiques, mais ce sont ces cinq-là qui sont restées et que nous retrouvons dans le contrat.

46Flux : Il n’y avait pas de thématique logement ?

47Sophie Laurent : C’était une thématique « foncier » au sens large, incluant l’idée de la construction de logement.

48Juliana Ribeiro : L’objectif était de définir une méthode pour identifier le foncier mutable et les zones à fort potentiel où il était nécessaire de mettre en place des outils de veille et de maîtrise foncière ou pour réaliser l’aménagement le plus opportun par rapport à la configuration de la parcelle. L’équipe projet et certains partenaires mettaient en avant l’importance pour le territoire d’anticiper en disant : « demain il y aura le métro, il faut réfléchir dès à présent à l’évolution souhaitée ou souhaitable du tissu urbain et saisir les opportunités qui existent aujourd’hui pour pouvoir ensuite mettre en place les bons outils fonciers ou d’aménagement ». Il s’agissait de mettre en place une stratégie foncière globale de façon partagée et cohérente. Certaines stations étant à cheval entre plusieurs communes, il fallait favoriser la coopération, le travail en bonne intelligence les uns avec les autres.

49Sophie Laurent : Nous ne sommes pourtant pas allés aussi loin que nous le voulions au départ. À travers cette étude, il était envisagé d’identifier le potentiel des différents secteurs du territoire, notamment aux abords des stations, pour évaluer combien de logements pouvaient être construits et travailler avec les communes sur une possible augmentation de leurs ambitions, afin de répondre aux besoins régionaux de construction et aux objectifs de développement durable du SDRIF. Mais nous n’avons finalement pas pu aborder la question de manière aussi directe.

50Flux : Pourquoi ?

51Sophie Laurent : Avant de s’entendre sur un nombre de logements, la priorité était d’abord de construire un projet commun en matière d’habitat entre les élus du territoire. Cette vision commune s’est construite, à travers les trois étapes de l’étude « référentiel foncier » comme envisagé, mais sans forcément en utiliser directement le contenu. Il y a eu une première étape de diagnostic, notamment de repérage des différents potentiels, des différents tissus. Puis une deuxième étape, où sur une quinzaine de sites représentatifs, une étude de faisabilité économique de la densification de ces différents types de tissu a été réalisée, à PLU constant ou évolutif. Il ne s’agissait pas de dire ce qui devait être fait à cet endroit-là, mais de montrer ce que l’on pouvait produire de manière plus ou moins rentable, et souvent d’ailleurs déficitaire, en termes de densification et de forme urbaine.

52Juliana Ribeiro : L’étude de capacité qui a été menée a notamment permis de définir des scenarii précisant les objectifs quantitatifs (objectifs programmatiques) liés au potentiel de développement : surface de bureaux ou de terrains et emplois induits ainsi que nombre de logements et population induite. L’objectif était d’avoir des scenarii d’évolution contrastés, à mettre en relation avec les objectifs des collectivités, les projets en cours et les potentialités économiques.

53Sophie Laurent : La troisième étape avait pour objectif de définir une stratégie foncière pour le territoire, une boîte à outils avec des secteurs sur lesquels il faut faire de l’anticipation, des secteurs sur lesquels il faut plutôt que la collectivité agisse en mettant des aménageurs, ou des outils de type ZAC, a permis de poursuivre la réflexion et de faire consensus.

54Juliana Ribeiro : Finalement, cette étude a été un élément marquant dans la démarche. Il y a eu un avant et un après. Nous avons progressivement glissé vers la phase opérationnelle, rendant les choses plus concrètes…

55Sophie Laurent : Au commencement de la démarche, les collectivités avaient apporté leurs projets pour écrire les engagements. Elles voyaient un intérêt à la démarche, mais cela n’impliquait pas de conséquence opérationnelle sur leur territoire.

56Flux : Dans le contrat, aucun objectif n’a été fixé en termes de construction de logement ?

57Sophie Laurent : Non. À la différence du contrat d’axe de Grenoble, par exemple, qui fixe des objectifs en nombre de logements, nous nous sommes focalisés sur la question des outils qui permettent un aménagement cohérent avec une certaine densité et un encadrement des prix.

58Juliana Ribeiro : Les objectifs de construction sont fixés dans d’autres documents et par d’autres acteurs, notamment à travers la territorialisation de l’offre de logement (TOL) et le contrat de développement territorial (CDT). Notre but n’était pas de dire combien de logements il faut construire mais comment les acteurs locaux s’organisent pour les construire, et où. Dans le contrat, nous avons identifié, négocié et inscrit tout un panel d’outils qui permettront aux communes à la fois de maîtriser le foncier mais aussi d’intégrer des dispositions dans les PLU et de s’organiser pour travailler ensemble.

59Flux : Cette démarche a-t-elle permis de faire évoluer les projets des communes ?

60Sophie Laurent : Au cours de la phase d’élaboration du contrat, oui. Cependant, dans le contrat lui-même, une seule action fixe un nombre de logements à construire, sur une opération spécifique. Les actions visent plutôt une mise en cohérence par des actions coordonnées, des éléments qui encadrent les projets. Par exemple, une des actions prévoit que chaque commune réalise une « charte promoteurs », avec un contenu coordonné, qui encadre la qualité architecturale mais aussi les prix de sortie. Pour éviter, par exemple, que la règle pour l’aménagement de l’espace autour d’une station varie quand on passe d’une commune à une autre.

61Juliana Ribeiro : Et aujourd’hui, toutes les villes ont une convention avec l’EPFIF, ce qui n’était pas le cas au début.

62Sophie Laurent : Même avant d’avoir finalisé le contrat, et pendant les quatre années de travail en commun, certaines choses ont commencé à évoluer dans le sens de la démarche. Il y a eu plusieurs révisions de PLU par exemple qui sont intervenues et qui témoignent de ces évolutions. À proximité d’une des stations, où deux ZAC étaient programmées avec chacune un programme déjà défini et pas forcément en adéquation avec une desserte métro, la commune a finalement décidé de faire une seule ZAC, dont le programme prend en compte la nouvelle station.

63Flux : Y avait-il des communes plus ou moins volontaristes en matière de construction de logement social ?

64Sophie Laurent : En matière de logement social, suite aux réflexions et aux échanges avec les maires, nous avons dissocié deux cas : les communes qui ont déjà 30% de logement social et les autres. Au début, nous avions défini un périmètre de 500 mètres autour de la station pour toutes les communes, mais cela ne convenait pas aux maires de celles qui ont déjà atteint le seuil demandé de 30% de logement social.

65Juliana Ribeiro : La Région, et d’autres partenaires de la démarche, souhaitaient maintenir un objectif portant sur le logement social dans les opérations nouvelles également pour les communes ayant déjà atteint le seuil demandé. Le but est de développer des quartiers de stations bien pensés, agréables à vivre, avec de la mixité sociale et fonctionnelle. Les discussions successives, en particulier entre l’équipe projet et les élus, ont permis d’aboutir à un accord entre tous les partenaires. L’objectif précisé dans le contrat est : « Conformément au SDRIF, [d’]atteindre, pour les communes concernées, un seuil de 30% sur le territoire communal en exploitant notamment le potentiel foncier autour des stations dans le cadre de la production neuve… »

66Sophie Laurent : En revanche, les communes qui n’ont pas encore 30% de logement social s’engagent, si elles en font, à le faire en particulier aux abords des stations. Chaque action inscrite dans le contrat est un compromis issu de toutes les discussions techniques et politiques.

67Flux : Et sur les autres thématiques, quelles ont été les avancées ?

68Juliana Ribeiro : La mise en place de groupes de travail thématiques a été très fructueuse. Pour certains groupes de travail, les participants n’étaient pas nos référents habituels (transport et aménagement) et il a fallu un peu de temps et de pédagogie pour que ces nouveaux interlocuteurs « entrent dans la démarche ». Après cette phase de démarrage, le travail des groupes a été très intéressant et constructif. Alors qu’ils ne se connaissaient pas avant, ils ont créé des habitudes de travail, ils ont coopéré, échangé des expériences sur les outils et actions, partagé des besoins. Il y a vraiment eu deux avantages à ces groupes de travail. D’une part, la diffusion de la démarche au sein même de la collectivité : avoir associé d’autres personnes que les référents habituels a été une façon de créer une culture commune autour de cette démarche ligne 11 au sein de chacune des structures. D’autre part, c’était une façon d’associer les personnes qui, au quotidien, pilotent des opérations sur leur territoire, et par conséquent sont susceptibles d’évaluer la faisabilité et la portée des préconisations formulées dans le cadre de la démarche.

69Flux : Les études sur l’intermodalité et l’accès aux gares n’étaient-elles pas redondantes avec les études menées par le STIF ?

70Juliana Ribeiro : Le STIF a bien sûr en charge la restructuration de l’offre bus, mais traditionnellement celle-ci n’est vraiment précisée que dans les deux ans qui précèdent la mise en service de l’opération de transport.

71Sophie Laurent : Nous avons proposé d’analyser cette thématique beaucoup plus tôt. Les ateliers de travail partenarial sur ce sujet n’ont pas pu aboutir complètement mais la réflexion reprend aujourd’hui, les choses sont en train d’évoluer et l’existence de la démarche, les habitudes de travail transversal prises par les techniciens facilitent les échanges.

72Juliana Ribeiro : Pour l’étude sur les espaces publics, la RATP a été associée. Toutes les propositions ont été soumises aux exploitants, sur des questions très concrètes. Par exemple : identifier précisément les impacts de certains aménagements à réaliser dans l’espace public sur la circulation des bus. Encore une fois, la réflexion est passée des enjeux globaux à des réalités plus concrètes d’aménagement d’espaces publics.

73Flux : Du côté de la Région, un budget a-t-il été assigné au contrat ?

74Sophie Laurent : Initialement, l’expérimentation du prolongement de la ligne 11 ne reposait pas sur une ligne budgétaire dédiée.

75Juliana Ribeiro : Jusqu’à aujourd’hui, pour être concerné par une telle démarche, il fallait répondre aux critères d’éligibilité : 1°) que le projet de transport soit inscrit au Plan de mobilisation pour les transports ; 2°) que le territoire fasse partie des « territoires dits GP3 [3] » ; 3°) qu’il y ait une collectivité ou une structure porteuse, c’est-à-dire un interlocuteur clairement identifié qui puisse piloter la démarche avec la Région. C’est le cas pour les trois autres démarches de charte qui ont été élaborées et signées par la Région avec les collectivités locales et concernent le tramway T9 Paris-Orly ; le bus à haut niveau de service Tzen2 Melun-Sénart ; le tram-train de la Tangentielle nord.

76Mais le nouveau Contrat de Plan État-Région (CPER) capitalise et met en œuvre la poursuite de ces démarches. En effet, le volet territorial du CPER 2015-2020 fait le choix d’accompagner les territoires bâtisseurs à hauteur de 200 millions d’euros en priorisant ceux desservis par une infrastructure de transport existante ou à venir. L’expérimentation réussie de la ligne 11 s’est clairement concrétisée et l’articulation aménagement-transport est au cœur de ce nouveau CPER (voir encadré).

77Sophie Laurent : Il s’agira de travailler avec des territoires concernés par un projet de transport structurant programmé dans le cadre du Nouveau Grand Paris, pour travailler sur une démarche de charte et solliciter le cas échéant l’aide financière de la Région.

78Flux : Quel est l’apport de l’expérimentation ligne 11 pour ces nouvelles démarches ?

79Juliana Ribeiro : Par le déploiement des chartes aménagement-transport, les territoires qui s’engagent dans cette démarche bénéficient de l’expérience de la démarche ligne 11. Néanmoins chacune de ces chartes est, en soi, une véritable expérimentation. La configuration du territoire, le cadre de gouvernance, les problématiques rencontrées, le projet de transport en tant que tel, tout est différent. Suivant qu’il s’agisse d’un tram-train, d’un bus à haut niveau de service ou encore d’un prolongement de ligne de métro, les enjeux et les impacts ne seront pas les mêmes. La Région a besoin d’avoir un porteur privilégié, mais tout le problème est de savoir s’il est légitime vis-à-vis de l’ensemble des acteurs concernés. C’est le cas pour la Tangentielle nord, où le chef de file est la Communauté d’agglomération Plaine Commune, dont le périmètre ne correspond pas à la totalité du territoire concerné par le projet de transport. La question de la gouvernance est particulièrement complexe en Île-de-France, avec une AOT organisée à l’échelle régionale, mais des compétences en aménagement très variables selon les communautés d’agglomération.

80Flux : Plus largement, selon vous, quels sont les apports de ces démarches partenariales ?

81Sophie Laurent : Amener techniciens et élus à réfléchir ensemble sur un certain nombre de sujets en amont du projet de transport, en favorisant le décloisonnement des thématiques et des territoires. Autant d’atouts que l’on peut mettre en avant pour « vendre » ce type de démarche à d’autres territoires. Il semble intéressant pour les acteurs locaux de savoir ce qui se passe sur le territoire limitrophe et qu’ils n’ont pas tant d’occasions que cela de le faire. Et pour l’équipe projet aussi, en participant à des groupes de travail sur des thématiques qui ne nous étaient pas familières, nous avons appris des choses, nous nous sommes formés.

82Juliana Ribeiro : Pour arriver à produire un document qui soit force de proposition, il nous a fallu imaginer une méthode de travail et construire avec les acteurs une stratégie d’aménagement pour le développement du territoire. Nous voulions être dans la co-construction.

83Sophie Laurent : Il y a eu un apport, aussi, pour le projet de transport. Parfois, le projet de transport peut se retrouver bloqué parce que les élus ne sont pas d’accord avec les tracés par exemple. Pour la ligne 11, il y eu un débat sur le tracé initial. La démarche ligne 11 a permis d’avancer sur le choix du tracé. Il y a eu plusieurs moments de discussion où la démarche a facilité l’avancée du projet de transport. Même la RATP et le STIF le reconnaissent, alors qu’au début, le STIF craignait que ce type démarche ralentisse la procédure.

84Flux : Pensez-vous que la démarche va se pérenniser, une fois le contrat signé ?

85Sophie Laurent : C’est une vraie question. Nous poursuivons le principe des groupes de travail, plus ou moins adaptés, pour suivre la mise en œuvre des actions à partir d’une feuille de route. Chaque groupe de travail a un pilote et un copilote désignés. Cela s’organise petit à petit, chaque pilote prend en main l’organisation, la feuille de route et le calendrier de son groupe avec les membres de celui-ci de manière relativement autonome : actions de court terme, partage du travail.

86Juliana Ribeiro : Pendant l’élaboration du contrat, l’équipe projet a incité les participants des groupes de travail à produire, et pas seulement à suivre l’étude ou donner leur avis. Le pilote devait rendre compte à l’ensemble du comité technique, mais aussi à un élu qui rendait compte, par la suite, au bureau des élus de l’APPL11. C’était une façon de les impliquer davantage et de les inciter à s’approprier le contenu, les préconisations, pour qu’ils décident ce qu’ils retenaient ou pas.

87Sophie Laurent : Il reste beaucoup de questions autour de la mise en œuvre et sur le fait que les collectivités prennent la main sans le soutien de l’équipe projet. Les membres de l’APPL11, par exemple, réfléchissent sur l’évolution du rôle de l’association, de sa gouvernance et de son organisation. Du côté de l’équipe projet, nous réfléchissons à une façon d’alléger progressivement notre implication et à la manière dont les collectivités pourraient se saisir complètement de la démarche. Même si l’équipe projet continue à être présente, à apporter un soutien, nous cherchons à moins porter l’ensemble, comme cela a été le cas jusqu’à présent. De plus, d’autres démarches de chartes se développent, pour lesquelles nous sommes fortement sollicités.

L’articulation aménagement-transport au cœur du Contrat de Plan État Région 2015-2020

Précurseurs, les travaux partenariaux menés par les acteurs du territoire et des transports dans le cadre des chartes aménagement-transport (Chartes Île-de-France 2030) ont nourri les principes du nouveau Contrat de Plan État-Région (CPER 2015-2020) approuvé par le Conseil régional en juin 2015 et signé par l’État et la Région le 9 juillet 2015. Cette démarche innovante a servi d’exemple pour développer un nouveau principe dans la géographie du CPER, mettant au cœur de son volet territorial l’articulation transports/aménagement. Ainsi, le prochain CPER marque la volonté régionale de construire son accompagnement des territoires en matière de logement autour des transports en commun à deux échelles :
à l’échelle des lignes du Nouveau Grand Paris, les collectivités sont encouragées à élaborer une charte aménagement-transport (lors de la phase d’élaboration du Dossier d’Objectifs et de Caractéristiques Principales), à s’engager sur des objectifs ambitieux de construction de logements sociaux, de logements sociaux étudiants et d’intensification urbaine en parallèle du vote de conventions et protocole de financement du projet de transport par l’Assemblée régionale ;
à l’échelle des EPCI, les intercommunalités sont incitées à fonder une stratégie d’aménagement à décliner sur les secteurs desservis dans des projets urbains intégrés.
Ces principes serviront de base aux prochaines contractualisations avec les territoires bâtisseurs.

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Date de mise en ligne : 01/12/2015

https://doi.org/10.3917/flux.101.0124

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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