1La coordination du transport et de l’aménagement nécessite d’observer le temps long de la planification. Par l’étude du cas du Grand Montréal, cet article souligne les dynamiques d’apprentissage à l’échelle métropolitaine et le lien avec le contenu des politiques publiques en matière de coordination de l’urbanisme et des transports collectifs. Nous identifions les agents (politiques ou techniques) et objets de ces dynamiques d’apprentissage, entendues comme « des modifications relativement persistantes de la pensée ou des intentions de comportement résultant de l’expérience et concernant la réalisation ou la révision des objectifs de la politique » (Sabatier, 1988, p. 133). Notre analyse des pratiques de la planification porte sur la dimension substantielle des plans mais surtout sur la dimension procédurale des relations entre les acteurs et de leurs évolutions sous l’effet de processus d’ajustements réciproques que l’on associe à la notion d’apprentissage. Notre méthode repose sur une analyse de la littérature grise produite par les différents acteurs du monde du transport et de l’aménagement : Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), Agence métropolitaine des transports (AMT), ministères, municipalités locales et régionales de comté (MRC), sociétés de transport, etc., et particulièrement des différents documents de planification, complétée par une revue de presse, des visites de terrain et des entretiens réalisés en juillet 2014 avec des élus et praticiens des niveaux local, régional, métropolitain et provincial.
2Nous faisons l’hypothèse que l’analyse des configurations d’acteurs, entendues comme les modifications de leurs positionnements et interactions en fonction de leurs enjeux et stratégies, entourant la mise en œuvre du Transit-Oriented Development (TOD) permet de mesurer les apprentissages collectifs des pratiques de la planification métropolitaine grand-montréalaise. En ce sens, le TOD serait à la fois un vecteur d’un tournant durable et, surtout, le symbole d’un processus encore largement émergent dont l’impact substantiel reste à déterminer. Dans cette perspective, il apparaît comme un mirage mobilisateur pour les acteurs, les dédouanant d’autres engagements et traçant l’horizon à la fois d’une planification métropolitaine plus « durable » et d’une gouvernance régionale plus « collaborative ».
3Nous avons observé à l’échelle métropolitaine l’évolution du positionnement, des représentations et politiques publiques portés par les acteurs du transport et de l’aménagement. Afin de mesurer les effets d’apprentissage, nous traitons principalement de deux documents correspondant à deux temps de l’action publique : un projet de schéma métropolitain d’aménagement et de développement (PSMAD), présenté en 2005 mais jamais adopté en raison de controverses, et un plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD), adopté en 2011. Notre analyse révèle la façon dont les élus et les planificateurs ont appris de l’épisode du PSMAD et les mécanismes par lesquels la coordination du transport et de l’aménagement a été jugée porteuse de sens pour réinventer la planification métropolitaine.
Cadrage théorique, territorial et historique
Le TOD
4En Amérique du Nord, depuis les années 1990, la majorité des régions métropolitaines ont misé sur le TOD pour coordonner le transport et l’aménagement. Les définitions qui en sont données dans la littérature varient légèrement. Il s’agit de la concentration d’un développement urbain fonctionnellement mixte et dense dans un rayon de 800 mètres (environ 10 minutes de marche) autour d’une station de transport collectif afin d’en encourager une utilisation accrue (Cervero et alii, 2004 ; Curtis, Renne, Bertolini, 2009 ; Dittmar, Ohland, 2004). Ce concept vague n’est ainsi qu’une réactualisation « nord-américanisée » du modèle de développement urbain axé sur les transports collectifs que l’on retrouve à Copenhague, Stockholm et dans les villes nouvelles françaises et britanniques. Ce fantasme de la planification états-unienne des vingt dernières années doit son immense popularité au fait qu’il prend la forme d’un croisement des stratégies d’aménagement du new urbanism et du smart growth (Ouellet, 2006). La mise en œuvre d’une telle « recette miracle » constitue cependant un grand défi dans le contexte nord-américain marqué par la dépendance automobile, l’accès facile et gratuit aux autoroutes et terrains de stationnement, la suburbanisation éparse et la ségrégation spatiale des fonctions.
Le Grand Montréal
5Le Grand Montréal accueille 3 829 890 habitants (près de la moitié de la population du Québec) sur 4 360 km2. Malgré la cinquième densité de population la plus élevée des métropoles nord-américaines et une part modale du transport collectif comparable à celle de certaines agglomérations européennes, il ne diffère pas de la dynamique nord-américaine, en raison de sa tendance à un développement de plus en plus étalé. En effet, la région « a une structure relativement monocentrique, mais avec des ambitions de polycentrisme, surtout à l’intérieur même du centre de l’agglomération, des tendances à la configuration en étoile le long des principales autoroutes et des velléités de diffusion uniforme dans la grande couronne » (Fischler, 2002a, p. 121). L’enjeu principal en matière d’aménagement et de développement est dès lors de limiter les impacts de cette tendance à l’éclatement en périphérie sans coordination du transport et de l’aménagement.
6Les réponses en matière de gouvernance et de planification à l’échelle métropolitaine ont donné lieu à des débats et expérimentations anciens (Pineault, 2000), avec une succession d’annexions et de fusions municipales mais aussi la création d’organismes supramunicipaux. Aujourd’hui, la situation du Grand Montréal est caractérisée par un organisme de planification, de coordination et de financement : la CMM, créée par le gouvernement du Québec en 2001. Elle dispose de compétences en aménagement, développement économique, logement social, planification du transport collectif et du réseau artériel métropolitain, gestion des matières résiduelles, etc. Elle rassemble 82 municipalités locales regroupées en 11 MRC ainsi qu’une ville (Laval) et deux agglomérations (Longueuil et Montréal) disposant des mêmes compétences en matière d’aménagement du territoire (figure 1).
Le paysage institutionnel du Grand Montréal
Le paysage institutionnel du Grand Montréal
Le transport collectif et le TOD dans le Grand Montréal
7Le transport collectif a de tout temps joué un rôle important dans le développement urbain montréalais (Fischler, 2002a). Le tramway, d’abord à cheval à partir des années 1860, puis électrique à partir de 1892, a permis l’extension de l’agglomération sur l’île de Montréal avec la création de nouvelles municipalités et l’apparition de banlieues pavillonnaires. En matière de coordination du transport et de l’aménagement, le cas de la ville de Mont-Royal est particulièrement intéressant. La municipalité s’est bâtie autour d’une gare ferroviaire. Développé à partir de 1910, le projet résidentiel s’inspirait du modèle de la cité-jardin d’Ebenezer Howard et du mouvement City Beautiful. Il s’agit donc du premier quartier TOD de Montréal, même s’il ne portait pas ce nom à l’époque. Ce cas est fondateur dans l’imaginaire collectif des élus et techniciens de la région métropolitaine de Montréal depuis plusieurs générations. À l’instar des streetcar suburbs (Cervero, 1996 ; Newman et Kenworthy, 1996) aménagées un peu partout en Amérique du Nord au tournant du XXe siècle, les quartiers de la première périphérie montréalaise se sont constitués à cette époque selon les principes du TOD, de façon similaire à la ville de Mont-Royal. Leur forme urbaine est ainsi compacte et caractérisée par une variété de services et de lieux d’emploi disposés le long d’artères commerciales empruntées par les lignes de tramway ainsi que par des logements mitoyens de taille modeste construits à l’avant de petites parcelles sur des rues à vocation résidentielle insérées entre ces artères commerciales.
8La volonté de coordination par le recours à une forme de TOD « précoce » a traversé le temps et a même parfois tenté de s’imposer dans les projets de transport, comme dans le cas du projet (abandonné) de Ligne Mirabel, au milieu des années 1970, dont les stations devaient « être implantées de façon à favoriser une forme d’urbanisation nouvelle, suffisamment concentrée et beaucoup plus axée sur l’utilisation du transport en commun que ne l’ont été jusqu’ici les développements de banlieue » (BAREM, 1977, p. 25). L’idée, à l’époque, était bien d’y faire du TOD, même si le terme n’existait pas encore (Brown, 2013 ; Fischler, 2002b). L’objectif de concentration des aménagements autour du transport collectif propre au TOD figure donc explicitement dans les documents de planification supramunicipale du Grand Montréal depuis plus de quarante ans (Roy-Baillargeon, 2014), soit bien avant son « invention » par Calthorpe (1993). Que cela soit demeuré un objectif des politiques publiques et documents de planification de la région alors même que s’accélérait le phénomène d’éparpillement de l’environnement bâti à l’échelle métropolitaine constitue toutefois un paradoxe majeur.
9Depuis les années deux mille, cet objectif de coordination vise une limitation de l’usage de la voiture en ville et de l’étalement urbain, dans une perspective de « développement durable ». L’accent est mis sur le contrôle de l’expansion urbaine et l’utilisation des transports collectifs (Paulhiac, 2005). C’est d’ailleurs exactement dans cette perspective que la CMM a résolu de miser sur ce concept de TOD dans son PMAD.
10Les résultats obtenus à ce jour dans le Grand Montréal en matière de TOD sont toutefois très mitigés, comme le montrent les exemples de Mont-Saint-Hilaire et de Sainte-Thérèse (Roy-Baillargeon, 2015). Le premier est un quartier monofonctionnel de 1 000 logements de type « nouvel urbanisme » dépourvu de commerces et de services de proximité, totalement isolé du reste de la ville, dans un champ, où subsistent, même après une quinzaine d’années d’occupation, de nombreux terrains vagues de grande taille, notamment de part et d’autre de la gare, adjacente à 694 places de stationnement incitatif. Le second est occupé par près de 1 500 logements construits depuis 1998 dans des édifices de cinq étages en moyenne, à distance raisonnable d’une rue principale revitalisée offrant quelques commerces et services aux résidents, mais la gare est adjacente à 989 places de stationnement incitatif. Les mixités fonctionnelle et sociale y demeurent rudimentaires (Junca-Adenot, 2006a, b) et l’environnement bâti, largement façonné par et pour l’automobile. De même, les parts modales du transport collectif en pointe matinale, s’élevant respectivement à 8 % et à 6,2 %, y sont sensiblement plus élevées que la moyenne observée dans les secteurs avoisinants (4,9 % et 4,2 %) mais malgré tout considérablement plus faibles que la moyenne du Grand Montréal (22,9 %).
11À la lumière de ces résultats mitigés et dans le but d’éviter que les prochaines expériences en produisent au mieux des similaires, la CMM a résolu dans son PMAD de miser sur une forme de « TOD 2.0 » davantage axé sur une « bonne » conception du cadre bâti dans une optique de développement de milieux de vie de qualité (Roy-Baillargeon, 2015). Nos analyses révèlent toutefois qu’il subsiste malgré tout un important décalage entre cet idéal théorique et sa réalisation concrète. Nous arguons donc que le TOD constitue en fait davantage une sorte de prétexte à la collaboration interscalaire en matière de transport et d’aménagement qu’un véritable instrument de mise en œuvre d’un urbanisme et d’une mobilité « durables ».
La CMM, nouvelle arène pour la coordination
Structuration institutionnelle du Grand Montréal : un débat ancien, des oppositions profondes
12Alors que le projet de création d’un échelon métropolitain a occupé la scène des débats montréalais pendant de nombreuses années (Douay, 2007, 2010 ; Tomàs, 2012a, b ; Trépanier, 1998), le gouvernement provincial a finalement fait le choix d’une structure légère et souple en créant la CMM. Cette nouvelle structure métropolitaine épouse pour l’essentiel les limites de la région métropolitaine de recensement de Statistique Canada, soit le territoire fonctionnel du Grand Montréal (CMM, 2014).
13Après dix années d’existence, le mode de fonctionnement de l’institution s’est normalisé. Les controverses n’opposent plus nécessairement de façon classique le centre à la périphérie mais sont souvent plus complexes, alternant Montréal contre le reste de la région métropolitaine, Montréal avec Laval et Longueuil contre les couronnes nord et sud et, le plus souvent, Montréal avec Longueuil et la couronne sud contre Laval et la couronne nord (entretien avec un employé de la CMM, 24 juillet 2014). Cette diversification des alliances montre que les positionnements sont de moins en moins rhétoriques et de plus en plus ponctuels, en fonction des dossiers et projets particuliers, à mesure que l’institution est acceptée par les élus de la région. Après de nombreux conflits, ils ont appris à vivre ensemble et surtout à conclure des marchés, c’est-à-dire à construire des compromis à la poursuite d’un objectif commun qui leur permettent de consolider leurs intérêts respectifs et d’apparaître aux yeux de leurs collègues et électeurs comme des « entrepreneurs » politiques efficaces et dynamiques :
« On a donné des rôles et des responsabilités aux MRC et en matière d’aménagement, avec la concertation que ça a provoqué avec les années, malgré les heurts, aujourd’hui plus personne ne voudrait revenir en arrière et supprimer les MRC. Or, le chemin qu’a pris la CMM a été le même : personne ne voulait que la CMM se mêle de l’aménagement du territoire. Mais, à partir du moment où on délimite bien ce qui est d’intérêt local, régional et métropolitain, on est capable de faire un arbitrage. C’est vraiment là-dessus que l’on a évolué ».
L’avortement du PSMAD (2005) : une vision technique élaborée sans réelle concertation qui termine en victime expiatoire de la CMM
15Du point de vue de l’aménagement, durant ses premières années d’existence, la CMM a été très occupée à élaborer une vision stratégique, puis son PSMAD. En définissant les objectifs du schéma dans la loi, le gouvernement du Québec (2000) a demandé à la CMM de définir des éléments métropolitains tout en respectant les dispositions classiques de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme en matière de régulation de l’usage des sols qui s’appliquent aux MRC (art. 27). L’adoption définitive du schéma devait entraîner la disparition des compétences en aménagement des MRC comprises sur le territoire de la CMM.
16Dans la lignée du cadre d’aménagement (MAMM, 2001) et à la suite de l’adoption de la vision stratégique, le PSMAD a été présenté (CMM, 2005a). Il se déclinait en quatre objectifs, dont les deux premiers traitaient de la question de la coordination du transport et de l’aménagement, assez généraux quant à la mise en œuvre : « la structuration des lieux de convergence des activités humaines » par une consolidation du milieu urbain, notamment le long des axes de transport collectif ; « la consolidation du milieu urbanisé » par une densification du territoire au seuil minimal moyen de 24 logements par hectare ; « la préservation des activités et éléments-témoins du patrimoine, des milieux naturels et du paysage » ; ainsi que « la préservation de la zone agricole » en proposant un statu quo face au périmètre d’urbanisation, rompant ainsi avec les pratiques habituelles.
17Malgré le travail rigoureux des planificateurs de la CMM en faveur du développement d’une approche rationnelle et opérationnelle à l’égard de la coordination, le PSMAD proposait un concept d’organisation assez flou. Il constatait en effet l’existence d’une trentaine de pôles pour le territoire métropolitain, mais, à l’image de l’ensemble du document, il ne parvenait ni à en proposer une organisation structurée et stratégique, ni à proposer de priorisation pour la mise en œuvre. Dans cette perspective, le PSMAD a donné lieu à de nombreuses critiques, notamment quant à l’importance d’influencer les tendances, plutôt que de simplement les anticiper, et de permettre l’émergence d’un consensus métropolitain à l’égard du développement de la région (CMM, 2005b).
18D’un point de vue spatial, le PSMAD demeurait très timide, à l’image de son articulation avec les politiques de transport. Les enjeux y étaient abordés assez discrètement, uniquement dans une pratique traditionnelle de la planification qui ressemblait à bien des égards au modèle rationnel (Douay, 2007, 2008). Cet épisode illustre bien l’intégration de certains aspects de l’approche stratégique (Trépanier, 1995) sans prise en compte véritable des apports du courant communicationnel (Innes, 1996) visant à concrétiser le tournant collaboratif (Healey, 1997).
19En effet, l’élaboration des documents de planification de la CMM n’a pas donné lieu à une large collaboration avec ses partenaires publics et privés. Elle s’est concentrée sur l’association des municipalités qui ont pu réagir à une première version, un « canevas ». La consultation autour du PSMAD est également demeurée assez confidentielle et bureaucratique en suivant le dispositif minimal requis par la loi. Elle n’a pas donné lieu à des innovations particulières visant à susciter la compréhension d’enjeux métropolitains difficiles à aborder pour plusieurs. Ainsi, la mobilisation des acteurs fut faible : seulement 59 mémoires ont été déposés et un total de 312 personnes « ont assisté à l’une ou à l’autre des assemblées, dont 36 % de citoyens, 35 % de représentants municipaux et 29 % représentant divers organismes » (CMM, 2005b, p. 14). De surcroît, le peu de personnes qui se sont exprimées ont choisi de se « défouler » et d’exprimer leur mécontentement.
20Dans cette perspective, la démarche de la CMM a mécontenté la majeure partie des acteurs, qui ont vivement dénoncé le manque de collaboration, les délais trop courts, l’information déficiente, la consultation limitée au minimum fixé par la loi, etc. (CMM, 2005b). Finalement, la CMM s’est fait piéger par les attentes légales du gouvernement, avec la perspective de la perte des compétences des MRC en matière d’aménagement à l’issue de l’adoption du schéma. Les élus des couronnes ne se sont ainsi pas tant exprimés sur le contenu du schéma que sur l’organisation institutionnelle de la métropole. En ce sens, le PSMAD a servi de « victime expiatoire » à la création de la CMM (Douay, 2007).
L’adoption du PMAD (2011) : dépasser les controverses et construire les compromis
21Pour dépasser cette situation de blocage, le gouvernement a fait adopter une nouvelle loi redéfinissant le partage des compétences en matière d’aménagement entre la CMM et les MRC. Le PSMAD a ainsi laissé place à un PMAD aux ambitions moins globales et qui visait non plus à se substituer aux schémas des MRC en définissant précisément la destination juridique des sols. Désormais, le plan oriente plutôt les schémas en s’y superposant. Les MRC et les municipalités conservent ainsi une certaine marge de manœuvre dans la traduction des orientations générales du PMAD en mesures dans leurs schémas et plans d’urbanisme respectifs, à condition que la CMM et le gouvernement leur fournissent un avis de conformité. Cette « nouvelle » façon de procéder semble satisfaire tous les intervenants rencontrés.
22Pour ce faire, à la suite de l’avortement du PSMAD, le gouvernement, la CMM et les municipalités ont engagé des discussions sur le partage des compétences entre les trois échelles du monde municipal. À partir du moment où la planification des MRC subsistait, il convenait d’identifier les éléments à traiter à l’échelle métropolitaine dans une logique de subsidiarité voulue par les acteurs locaux. Dans cette phase de négociation, le temps a joué un rôle important pour dépasser les blocages et construire les compromis. Finalement, les mois « gagnés » lors de discussions trop rapides au moment de la création de l’institution et de l’épisode du PSMAD ont été utilisés pendant cette période et ont permis de construire l’acceptabilité de la CMM et de sa planification par les acteurs locaux.
23Le rôle du gouvernement a été essentiel pour poser l’acte fondateur du futur PMAD en imposant le gel du périmètre d’urbanisation. Cette sanctuarisation a obligé les intervenants de la région à penser l’optimisation des usages du sol. Dès lors, le concept de TOD apparaissait le plus opératoire et le plus vendeur pour atteindre cet objectif (entretien avec un employé de la CMM, 24 juillet 2014) et, ce faisant, respecter l’orientation gouvernementale en faveur de la coordination du transport et de l’aménagement tout en préservant des perspectives de développement.
24L’évolution législative associée aux divers apprentissages des acteurs locaux a ouvert la voie à une transformation de la nature du plan, dont le contenu devenait plus stratégique en se concentrant sur trois objectifs : la canalisation du développement urbain à venir autour des gares et stations de transport collectif avec l’objectif d’installer 40 % des nouveaux ménages au sein de 155 aires TOD (figure 2) pour contenir l’étalement à l’intérieur du périmètre d’urbanisation existant, des investissements de 22,9 milliards de dollars dans les transports collectifs pour en faire augmenter la part modale en pointe matinale à 35 % d’ici à 2031 et la protection des milieux naturels et de 17 % du territoire de la région.
Les seuils de densité minimale des 155 aires TOD prévues par le PMAD
Les seuils de densité minimale des 155 aires TOD prévues par le PMAD
25Cette concession aux acteurs locaux en faveur d’un plan plus stratégique et moins précis a permis de susciter une meilleure participation des intervenants municipaux au processus d’élaboration. Puisque les conflits quant à l’avenir des MRC étaient évacués, le travail sur le fond pouvait dès lors commencer afin d’expliciter les valeurs bien souvent contradictoires de l’aménagement et du développement :
« En 2005, on avait l’impression qu’on avait donné à la CMM un outil de contrôle du territoire, alors que là, dans le PMAD, on a l’impression qu’on s’est donné un outil de planification pour être plus attractif et compétitif. En partant, la vision de base n’est pas la même : on ne se contrôle pas entre nous ; on se donne des moyens pour aller plus loin. Et ça fait toute la différence du monde, même dans la perception de la façon de travailler : on a l’impression de travailler ensemble vers un même objectif, et non l’un contre l’autre ».
27La phase de concertation a permis cette mobilisation, dans une grande mesure alimentée par la stratégie de communication de la CMM, axée sur son site internet et les médias sociaux. L’ambition était de renforcer le soutien du public à ses projets en développant l’information quant à l’évolution du processus et aussi en tentant d’interagir avec les participants au débat. Les requêtes répétées des participants aux audiences sur le projet de PMAD (CMM, 2011) ont aussi amené la CMM à créer l’Agora métropolitaine, une grande rencontre bisannuelle (2013, 2015…) permettant à la population de suivre la mise en œuvre du PMAD.
28Les discours et surtout la teneur des politiques urbaines se sont transformés et placent désormais l’enjeu de la coordination au cœur des démarches métropolitaines. La constitution d’aires TOD permet ainsi de mettre en scène un aménagement plus durable parce que plus dense tout en limitant la densification à des zones très restreintes. À ce jour, la stratégie TOD de la CMM s’est déployée par la définition de critères de localisation et de seuils minimaux de densité résidentielle, la production d’un guide illustrant les principes d’aménagement des futures aires TOD (AECOM, 2011) et le financement d’exercices de planification détaillée de projets-pilotes devant servir de « modèles à valeur ajoutée » desquels seront tirés autant d’enseignements que possible (entretien avec un employé de la CMM, 24 juillet 2014), dans une optique d’apprentissage collectif. Alors que la traduction du TOD s’engage, nous pouvons toutefois questionner les représentations et enjeux de pouvoirs qui se dessinent actuellement dans sa mise en œuvre.
De quoi le TOD est-il le nom ?
À l’échelle métropolitaine : densification et mise en scène du tournant durable
29Pour la CMM, le recours au TOD s’imposait comme une évidence à la manière d’un référentiel dominant de l’aménagement : « L’étalement est fait. La question, c’est : “comment puis-je densifier à l’intérieur de cet étalement ?” » (entretien avec un employé de la CMM, 24 juillet 2014). Le TOD est ainsi surtout une stratégie pour rendre plus tangibles les objectifs de densification. Les nouveaux utilisateurs potentiels du transport collectif sont ainsi vus comme la cerise sur le gâteau, voire comme une sorte d’« avantage collatéral » de la stratégie (Roy-Baillargeon, 2015) :
« À la limite, même s’il n’y a pas tant de gens qui prennent davantage le transport en commun, si on réussit à mieux structurer le territoire et à le densifier en créant des milieux de vie intéressants, au final ce sera positif, même si l’adéquation entre le transport et l’aménagement ne sera pas parfaite. On aura utilisé un prétexte pour densifier, pour ne plus faire n’importe quoi, n’importe comment et n’importe quand ».
31Le choix du TOD comme pierre angulaire du PMAD peut s’interpréter comme un (autre) marché conclu entre les élus permettant de confiner la densification à l’aire TOD, soit sur environ 200 hectares, seulement une infime partie du territoire des municipalités visées. L’aménagement local s’effectuera désormais vraisemblablement selon deux réalités parallèles : la pastille TOD, à densifier, et le reste (environ 95 %), où ce sera manifestement « business as usual » (entretien avec un employé de l’AMT, 15 juillet 2014). Cette stratégie offre également l’avantage de limiter sur un espace restreint les éventuelles polémiques habituelles sur la densification et, surtout, de donner de la visibilité à un tournant durable qui est largement mis en scène par les responsables politiques et techniques.
32Dans son PMAD, la CMM donne cette définition du TOD :
« Le TOD est un développement immobilier de moyenne à haute densité structuré autour d’une station de transport en commun à haute capacité, comme une gare de train, une station de métro, une station de SLR [système léger sur rail] ou un arrêt de bus (axes de rabattement ou service rapide par bus). Situé à distance de marche d’un point d’accès important du réseau de transport collectif, le TOD offre des opportunités de logement, d’emploi et de commerce et n’exclut pas l’automobile. Le TOD peut être un nouveau projet ou un redéveloppement selon une conception facilitant l’usage des transports collectifs et actifs ».
34Le chemin d’un tournant « durable » est ainsi clairement tracé par la volonté de densification de la CMM, même si les moyens opérationnels associés sont pour le moment moins évidents. La formulation retenue pour sa définition du TOD révèle des objectifs moins radicaux et ambitieux que ceux que sous-tendent les définitions issues de la littérature, en ce qui concerne le type d’infrastructure concerné, l’insistance sur un transfert modal et, surtout, la place de l’automobile. Force est de constater les importantes limites de l’engagement des décideurs de la région en faveur d’une réduction de l’utilisation de la voiture personnelle. En effet, la CMM ne peut raisonnablement recourir au TOD à la poursuite de l’objectif de transfert modal qui y est traditionnellement associé, car parallèlement à la création prévue des 155 aires TOD, son PMAD demande cinq prolongements autoroutiers et ne dit mot sur la question de la dissuasion de l’utilisation de l’automobile. Visiblement, aux yeux des élus de la CMM, la transformation de la banlieue éparse et dépendante de l’automobile en ville durable se résume à la conjonction d’une densité résidentielle moyenne et d’une offre minimale de transport collectif, indépendamment de toutes les interventions parallèles allant dans le sens contraire. Cette approche qui cherche à ménager la chèvre et le chou en dépit de toute priorisation en dit long sur l’ampleur de ce tournant dit « durable » et a de quoi laisser perplexe.
35De surcroît, il semble que le concept ne concerne véritablement qu’un nombre de points d’accès au réseau de transport collectif beaucoup plus limité que les 155 aires prévues dans le PMAD, car le territoire du centre de l’agglomération (la ville de Montréal) est déjà plus dense et axé sur le transport collectif que ce que la CMM requiert, tandis que celui de la périphérie étalée ne l’est pas encore suffisamment pour que les abords des gares et terminus d’autobus puissent accueillir des quartiers mixtes plutôt que des terrains de stationnement incitatif (entretien avec un employé de l’AMT, 15 juillet 2014). Ainsi, seuls les territoires de la banlieue ancienne et rapprochée (les parties centrales de la ville de Laval et de l’agglomération de Longueuil) offrent en fait la conjugaison de densité, de mixité fonctionnelle, de valeurs foncières et de dynamiques de déplacement propices à la constitution d’aires TOD fidèles à la définition classique du concept. Or leur hiérarchisation n’est pas allée en ce sens, car, à ce jour, un seul des projets-pilotes en cours de planification concerne ce territoire.
36Les élus et employés de la CMM rencontrés reconnaissent l’ampleur du défi qui les attend à cet égard et optent pour une attitude optimiste mais réaliste : ils s’attendent à des succès et à des échecs et veulent surtout miser sur les dynamiques d’apprentissage collectif observables sur le temps long des institutions et de l’aménagement. Il convient toutefois de se demander si ces apprentissages éventuels leur seront bien utiles, étant donné l’inadéquation de leur stratégie par rapport au territoire auquel ils l’appliqueront.
37Les responsables politiques et techniques de la région craignent de ne pas être capables de réaliser les aires TOD prévues ou de susciter une forte demande pour le transport collectif dans les couronnes. Au contraire, leur stratégie TOD pourrait plutôt être victime de son succès. Une augmentation importante et soudaine de la demande conjuguée à une sous-capacité de l’offre peut entraîner une dégradation de la qualité du service. De même, une croissance rapide des valeurs foncières autour des gares et stations peut rendre plus difficile l’accès au logement et au transport collectif pour les populations moins bien nanties. La Société de transport de Montréal rappelle souvent que son métro ne peut accueillir un achalandage accru à court terme pouvant résulter de la constitution d’aires TOD. Le portrait est similaire sur les réseaux suburbains, dont les lignes offrant la plus forte capacité sont déjà saturées en période de pointe. Le potentiel de croissance se situe ainsi principalement dans les couronnes… qui sont toutefois les territoires les moins propices à la constitution d’aires TOD permettant d’atteindre les objectifs du PMAD.
À l’échelle locale : acceptabilité sociale et optimisation des possibilités de développement
38Pour les acteurs des banlieues, le TOD apparaît comme un prétexte, une obligation venue d’en haut dont ils peuvent se servir pour imposer de nouvelles pratiques de densification au sein de l’aire TOD mais aussi en dehors, comme l’illustrent différents projets de lotissements résidentiels en cours de réalisation sur d’anciens terrains de golf. Le TOD donne en effet l’occasion aux promoteurs de maximiser leurs profits en vendant plus de logements sur les mêmes superficies constructibles et aux municipalités d’augmenter leurs ressources fiscales en accroissant leur bassin de contribuables. C’est là une autre dimension du « marché » politique autour du PMAD avec un périmètre d’urbanisation gelé mais des perspectives de développement préservées.
39La mise en œuvre du TOD présente un défi important de requalification, alors que la quasi totalité des espaces voués aux projets-pilotes sont déjà occupés par des logements de construction récente et bien entretenus (entretien avec un urbaniste de la couronne nord, 14 juillet 2014). Densifier nécessiterait dès lors de procéder à des expropriations ou acquisitions afin de reconstruire des ensembles d’appartements sur les terrains ainsi libérés. Or, les riverains tendent à s’opposer à de tels projets (Belzer, Autler, 2002 ; McEldowney et alii, 2005). La mise en œuvre du TOD pose donc la question de l’acceptabilité sociale de telles mesures, mais faute de densification et de diversification fonctionnelle significatives de milieux pour l’essentiel résidentiels, elle risque de n’être qu’un mirage.
Autour des gares et stations : utilisation du foncier
40Autour de ses gares et terminus situés dans la banlieue ancienne et rapprochée susmentionnée, l’AMT conçoit le TOD comme un moyen de consolider ses cibles de fréquentation et de maximiser la proportion d’usagers qui les rejoignent à pied ou à vélo. En revanche, dans le cas de ses points d’accès situés dans la périphérie étalée, sans se faire d’illusions sur l’apport potentiel de nouvelles clientèles par la réalisation des projets immobiliers prévus dans les couronnes, l’Agence cherche plutôt à préserver les possibilités de rabattement en voiture en offrant de vastes terrains de stationnement incitatif. Cette attitude prend appui sur ses analyses selon lesquelles, en fonction des parts modales actuelles, en milieu suburbain, 3 150 logements sont nécessaires pour attirer 600 nouveaux usagers, ce que fait aussi bien un stationnement incitatif de 480 places.
41Par ailleurs, une autre des réserves de l’AMT face au recours au TOD pour densifier les abords immédiats de ses gares a trait aux inévitables conflits d’usages (nuisances sonores et risques d’accidents) associés à l’utilisation principalement industrielle des voies ferrées traversant les futures aires TOD (entretien avec un employé de l’AMT, 15 juillet 2014). L’Agence reçoit d’ailleurs déjà un grand nombre de plaintes à cet égard. Une augmentation considérable du nombre de logements adjacents aux rails présente toutes les probabilités d’aggraver cette situation.
Le TOD pourquoi, où et pour qui ?
42Cette mise en contraste des conceptions de la CMM, des municipalités et de l’AMT face au TOD soulève plusieurs questions quant aux objectifs qu’elles poursuivent en matière de transport et d’aménagement et aux types d’emplacements et de bénéficiaires de leurs éventuelles interventions.
43Il y a ainsi lieu de se demander si le Grand Montréal mise sur le TOD pour : (a) créer des milieux de vie de qualité pour accueillir les 320 000 ménages qui viendront s’y installer d’ici à 2031 – auquel cas il aurait été plus simple de le faire sur des sites présentant de moins grands défis d’aménagement que les aires retenues pour les projets-pilotes (entretiens avec une élue locale et une employée de la CMM, 22 et 24 juillet 2014) ; (b) densifier le territoire pour justifier une éventuelle augmentation de la desserte en transport collectif – auquel cas il aurait été plus judicieux de miser sur une stratégie ciblée autour de quelques gares desservant des quartiers déjà relativement denses, parsemés de terrains sous-utilisés (entretien avec un employé de l’AMT, 15 juillet 2014) ; (c) maximiser la croissance économique pour les promoteurs et les municipalités en tirant profit des terrains avoisinant les gares et stations – auquel cas il aurait été plus fructueux de miser sur du développement commercial ou industriel, beaucoup plus lucratif que le développement résidentiel ; (d) faire augmenter la part modale du transport collectif comme le PMAD le souhaite – auquel cas il faudrait accompagner le TOD de mesures incitatives (améliorations de service, baisses de tarifs) et dissuasives (péages, augmentation de la taxe sur l’essence ou des tarifs de stationnement) ; etc.
44Qui plus est, dans un contexte d’austérité, il sera très difficile de financer les 22,9 milliards de dollars de projets de transport collectif identifiés dans le PMAD sur un horizon de dix ans (CMM, 2013). La commission du transport de la CMM a donc étudié la question au printemps 2012. Les commissaires responsables des audiences ont d’ailleurs fait de l’exercice une occasion de rouvrir le débat entourant la gouvernance du transport collectif dans la région métropolitaine, en amont de celui qui devait avoir lieu sur son financement. La question demeure donc ouverte, avec des élus des différents niveaux qui s’interpellent sur différentes polémiques, au sein du milieu municipal et aussi avec le gouvernement provincial. Ainsi, ce dernier instrumentalise en retour les désaccords au sein de la région métropolitaine pour prolonger les débats et maintenir le statu quo afin de garder la main sur la gouvernance du transport en attendant une hypothétique entente des décideurs du Grand Montréal sur ces questions.
45De même, les élus de la CMM misent également sur le TOD dans une perspective plus politique qu’urbanistique, c’est-à-dire pour : (i) conclure un marché politique permettant d’adopter, « faire vivre » et mettre en œuvre le PMAD ; (ii) se prémunir contre les obstacles de gouvernance habituels à l’épineuse densification des milieux suburbains (phénomène NIMBY, réticences des promoteurs immobiliers, idiosyncrasies des élus et fonctionnaires, etc.) ; (iii) dégager des marges de manœuvre en matière d’urbanisation afin de concentrer la densité dans des secteurs restreints et de poursuivre les tendances à l’étalement monofonctionnel partout ailleurs ; (iv) permettre aux élus locaux de se faire du capital politique à l’échelle du Grand Montréal en donnant l’impression de « jouer le jeu » métropolitain ; et (v) offrir des occasions aux acteurs politiques, techniques et civiques de la région d’interagir, s’influencer mutuellement, tirer des leçons de leurs expériences, les partager, s’acculturer les uns aux autres, développer des conceptions communes de leurs défis et mieux s’outiller pour s’attaquer ensemble à leurs problèmes partagés.
46Nous postulons ainsi que le recours au TOD dans le PMAD participe davantage d’une volonté de compromis politique que d’un engagement envers l’urbanisme et la mobilité durables dont les contours demeurent flous et qui reste à démontrer. Le corollaire de ce postulat est que la stratégie TOD du Grand Montréal s’adresse en premier lieu aux banlieues des couronnes, donc à leurs résidents navetteurs, leurs fonctionnaires municipaux, leurs promoteurs immobiliers et, à plus forte raison, leurs décideurs locaux. Cela a sans doute à voir avec le fait que le dénouement de l’impasse politique créée par l’avortement du PSMAD en 2005 a obligé la CMM à faire des compromis majeurs avec ces acteurs tant sur le contenu du PMAD que sur ses procédures de mise en débat et en œuvre. Autrement dit, nous soutenons que dans le contexte de gel du périmètre d’urbanisation décrété par le gouvernement, le TOD constitue la clé de voûte de la construction politique du Grand Montréal.
Conclusion
47Le cas du Grand Montréal illustre la difficulté à planifier tant les valeurs et intérêts peuvent diverger à l’échelle métropolitaine. Même si des compromis entre les parties prenantes sont possibles, il n’est pas toujours aisé de les spatialiser et, surtout, de les opérationnaliser. Ces processus demandent du temps pour laisser les acteurs apprendre et évoluer ensemble. La pratique de la planification importe dès lors moins pour son contenu que pour les processus politiques qu’elle engendre. Il en va ainsi de la différence entre le PSMAD et le PMAD : le second n’est pas concrètement plus apte à répondre aux enjeux métropolitains que le premier, car il est encore moins opérationnel, mais il a le mérite de s’appuyer sur un compromis métropolitain et, donc, de fournir à la planification de la CMM l’encadrement et le soutien politiques dont elle avait grandement besoin. Se pose dès lors la question cruciale du risque d’évidement de la substance de la planification au profit de ses seules vertus procédurales.
48Alors que le développement durable est devenu le référentiel dominant des acteurs urbains, la question de sa mise en œuvre se pose avec le PMAD. Son incarnation se limite pour le moment à la solution du TOD. Ce concept domine la boîte à outils de ces acteurs, notamment car tous peuvent y associer différentes représentations selon leurs valeurs, intérêts et échelles. L’élaboration du PMAD a permis un long apprentissage collectif entre les acteurs de la planification qui ont pu s’acculturer en développant une vision métropolitaine du transport et de l’aménagement. Le TOD constitue à la fois le produit et le vecteur de ce processus politique. La volonté de la CMM de l’appliquer partout sur son territoire, en concertation avec le milieu municipal, est le premier signe d’une prise en compte inédite des enjeux métropolitains. Elle donne de surcroît une incarnation à un urbanisme « durable » en proposant un produit appropriable et vendable par les élus et urbanistes. Du point de vue procédural, le TOD symbolise l’adoption du PMAD et tourne définitivement la page de l’épisode conflictuel du PSMAD. Du point de vue substantiel, il ouvre la voie à une densification souhaitée depuis longtemps par le gouvernement mais jamais opérationnalisée.
49Les perspectives de réussite de la mise en œuvre du TOD dans le Grand Montréal semblent toutefois trop réduites pour que l’appropriation locale du concept puisse incarner ce tournant durable au-delà des mises en scène politiques habituelles. La généralisation d’une pratique innovante mais toujours trop rare en la matière nécessitera donc vraisemblablement encore beaucoup de temps, d’apprentissages et de compromis. De nouvelles recherches gagneraient donc à être effectuées dans quelques années pour tenter de voir si le mirage appréhendé du TOD aura permis de relever le défi du développement durable au-delà du marketing territorial et de la rhétorique politique d’une planification qui se veut collaborative mais dont la capacité à relever ce défi reste à démontrer.
Remerciements
Les auteurs remercient les intervenants qui ont pris le temps de les recevoir ainsi que leurs collègues Xavier Desjardins et Michel Gariépy et les deux évaluateurs anonymes pour leurs commentaires stimulants. Cette recherche a bénéficié du financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada ainsi que de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.Bibliographie
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