Flux 2011/2 n° 84

Couverture de FLUX_084

Article de revue

Les déboires des clients des télécommunications

Pages 21 à 30

Notes

  • [1]
    Un site indépendant tient à jour une liste des condamnations des opérateurs de téléphonie mobile: http://juristel.free.fr/
  • [2]
  • [3]
    Confirmé par une décision du Conseil d’État du 12 octobre 2010.
  • [4]
    « Car l’ARCEP n’a ni la compétence ni les moyens de traiter individuellement des problèmes rencontrés par les consommateurs », Joëlle Toledano, membre de l’autorité, La lettre de l’autorité, n° 56, mai-août 2007, p. 4. L’ARCEP a dédié une équipe de 6 personnes aux consommateurs (rapport d’activité 2009, p. 51).
  • [5]
    Rapport public d’activité de l’ARCEP 2009, p. 52.
  • [6]
    ARCEP, rapport au Parlement sur l’impact de l’article 17 de la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au bénéfice des consommateurs, juillet 2010.
  • [7]
    Que choisir a aussi mené une action contre les opérateurs de « box » qui suppriment l’accès gratuit à certains numéros : un millier de numéros auraient ainsi été déconnectés dont celui de SOS amitiés, les candidats au suicide semblant un peu trop bavards (Libération 27/07/2010).
  • [8]
    En novembre 2010.
  • [9]
    Source Credoc, La diffusion des technologies de l’information et la communication dans la société française, 2009.
  • [10]
    Ce dernier chiffre est peut-être un peu surestimé : si la famille a décidé de prendre un forfait bloqué pour les enfants, comme on le verra plus bas, elle pourra économiser 10 ou 20 euros par rapport à ce budget.
  • [11]
    Indice Insee des services de télécommunications: FB0A 6100000107T NSEE
  • [12]
    Source: Baromètre des réclamations, DGCCRF http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/dgccrf/documentation/barometre/index.htm
  • [13]
    14054 en 2002; 17843 en 2003; 22999 en 2004; et 30958 en 2005. Cette évolution est due en grande partie aux plaintes concernant l’internet.
  • [14]
    Des données détaillées de la DGCCRF datant de 2006 vont dans le même sens avec 29% des plaintes pour problèmes techniques pour l’internet contre 6% pour le mobile et 9% pour le fixe. Le niveau des plaintes par millions d’abonnés est aussi plus fort pour l’internet en général : 1161 plaintes en 2006 pour l’internet contre 135 et 137 pour le fixe et le mobile.
  • [15]
    Médiateur des communications électroniques, rapport 2009.
  • [16]
    Étude de suivi des tarifs pour le compte de l’ARCEP, cité dans: ARCEP, 2010, Rapport au Parlement, p. 23.

1Alors que les consommateurs de l’énergie ont exprimé une forte réticence devant l’ouverture à la concurrence, traduite par le nombre très faible des foyers ayant mordu à l’hameçon des tarifs concurrentiels inférieurs au tarif réglementé, ceux des télécoms et communications électroniques, et tout particulièrement dans le secteur du mobile, se sont engagés plus franchement dans les offres concurrentielles non portées par l’opérateur historique. Et pourtant, tout ne semble pas si rose dans cet univers de la concurrence.

2Le présent article, ne prétend pas à une évaluation pondérée de l’ouverture à la concurrence dans ce secteur mais se contente de faire un inventaire des déboires du client dans ce processus, « modèle » de l’ouverture à la concurrence des anciens monopoles publics. Lorsqu’on parcourt l’abondante production en ligne de divers organismes compétents dans ce domaine, deux types de difficultés émergent. Le premier concerne la concurrence elle-même, qui ne semble pas complètement généralisée. Le second concerne la satisfaction des clients, qui semble loin d’être optimale. Les deux arguments semblent s’annihiler. Ne serait-ce pas justement parce que la concurrence n’est pas encore achevée que l’on noterait des reliquats d’insatisfaction des clients ? C’est la ligne de défense des autorités publiques. Cette ligne suppose cependant que la fiction de l’économie parfaite et du choix éclairé des clients soit une réalité. Rien n’est moins sûr. Ce que nous décrirons ici est la situation présente dans laquelle la concurrence apparaît à la fois incomplète et insatisfaisante. Il se pourrait bien que cela soit une situation pérenne et que cela révèle la forme véritable de la concurrence pour ce type de services.

Un choix libre et éclairé ?

3De la même manière que l’historien des pratiques délinquantes saisit celles-ci en creux dans les comptes rendus de la police qui est censée les éradiquer, nous sommes tenus, faute d’autres sources, d’établir la chronique des blocages à la concurrence à partir des interventions des différentes « polices » chargées d’en assurer le rétablissement : la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes), l’Autorité de la concurrence, le Conseil national des consommateurs, l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes). Cela suffit à établir pour le moins que la concurrence loyale dans ce domaine, plus encore que dans d’autres, ne va pas de soi. Il y a tout ce qui constitue des infractions claires aux règles de la concurrence, mais il y aussi de multiples embûches posées sur le passage des clients qui souhaiteraient exercer leur possibilité de choisir.

La DGCCRF et les clauses abusives des contrats

4La DGCCRF, à Bercy, est compétente pour les infractions au code de la consommation (publicité mensongère, tromperie, information du consommateur, …). S’agissant des litiges relatifs aux contrats, seules les clauses abusives peuvent être relevées par ces services. C’est à ce dernier titre que, rapidement, la DGCCRF a mis en évidence un nombre considérable de clauses non conformes au droit dans les contrats liés au téléphone mobile. Un groupe de travail généré par la commission des clauses abusives a été lancé en 1999 avec l’ensemble des opérateurs de téléphonie mobile. Les conclusions ont été présentées aux associations en février 2000 et les entreprises se sont engagées à mettre leurs contrats en conformité pour le 31 mai 2000.

5Dans un bilan établi dès juin 2000 avec les opérateurs, la DGCCRF pouvait dresser une liste des clauses que son action avait contribué à faire disparaître :

6

« Présumer la connaissance par le consommateur des conditions générales de vente, alors que celles-ci ne sont pas jointes au contrat signé ou remis au consommateur ».
« Prévoir en cas de changement de formule d’abonnement une prolongation automatique du contrat d’une durée minimum. »
« Imputer au consommateur les frais d’une modification technique de l’installation. »
« Exonérer le professionnel de sa responsabilité quel que soit le préjudice subi par le consommateur. »
« Laisser croire qu’est définitivement acceptée une facture non contestée dans un délai déterminé. »

7Toutes ces clauses, qui ont bien existé ici ou là, ont été supprimées, d’autres comme « exonérer le professionnel de toute responsabilité en cas de dysfonctionnement ou perturbation » ont été amendées pour en limiter l’impact sans être supprimées.

8Ce travail de nettoyage des contrats initiaux constitue une contribution importante à l’alignement de ces marchés nouveaux sur les règles de droit commun. Le travail ne peut cependant être achevé, comme en témoignent des mises en causes récurrentes par les tribunaux des opérateurs pour des débordements comparables [1].

L’autorité de la concurrence et l’entente entre les opérateurs de téléphonie mobile

9La lecture de la courbe de partage du marché entre les différents opérateurs fait apparaître une étonnante stabilité des parts de marché respectives des opérateurs après la phase de montée en puissance des deux nouveaux entrants (Fig. 1). Faut-il y voir le signe d’une entente entre ces opérateurs ?

Figure 1

Évolution des parts de marché des opérateurs mobiles en France (Mars 1995 - Mars 2005)

Figure 1

Évolution des parts de marché des opérateurs mobiles en France (Mars 1995 - Mars 2005)

Source: ARCEP

10L’autorité de la concurrence, autorité administrative généraliste sur le secteur de la concurrence s’est rapidement posé la question et s’est auto-saisie du sujet le 28 août 2001. Quatre ans plus tard, elle conclut qu’il y a bien eu « des pratiques d’entente ayant restreint le jeu de la concurrence sur le marché. (…) Les opérateurs ont échangé de 1997 à 2003, tous les mois, des chiffres précis et confidentiels concernant les nouveaux abonnements qu’ils avaient vendus durant le mois écoulé, ainsi que le nombre de clients ayant résilié leur abonnement ». Le conseil a considéré que ces échanges d’informations non publiques (l’ARCEP ne les a jamais publiées) altèraient l’autonomie commerciale de chaque entreprise. « En outre le conseil a constaté qu’à partir de 2000, ces échanges avaient permis aux opérateurs de surveiller l’accord qu’ils avaient conclu par ailleurs quant à l’évolution de leurs parts de marché respectives ». La réalité de la concertation a été établie par la collecte de documents manuscrits mentionnant un « accord » ou un « Yalta », ou par des alignements des offres commerciales comme le fait, noté par l’UFC Que choisir, du passage simultané, au début 2000, à une tarification par palier de 30 secondes après une première minute indivisible.

11Le conseil a donc sanctionné les trois opérateurs en novembre 2005 (décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile) pour un montant global de 534 millions d’euros. Les opérateurs ne sont pas restés sans réaction et un long processus de recours a été engagé (cour d’appel de Paris 12 décembre 2006, cour de cassation 29 juin 2007, cour d’appel de Paris 11 mars 2009, cour de cassation 7 avril 2010). Fin 2010, le feuilleton n’est pas terminé; s’il n’a pas permis aux opérateurs de remettre en cause le cœur de l’accusation, il leur a permis de gagner beaucoup de temps.

12Après cette période, et malgré ces interventions, le « Yalta » des opérateurs de téléphonie semble perdurer. Une première tentative de déplacement du rapport de force, cette fois économique, a été engagée avec la possibilité pour de petits opérateurs de revendre des services achetés en gros aux majors, (par exemple, M6 mobile, …). L’impact de cette intervention est resté limité. La part de marché des MVNO (Mobile Virtual Network Operators) reste très modeste (4,3% fin 2007, 6,3% en septembre 2010), n’écornant que très relativement la part globale des grands groupes. En outre, la réduction associée aux MVNO a elle-même été partagée par les trois opérateurs : Orange 43,6%, SFR 33,8%, Bouygues télécom 16,5% [2] selon les données 2008. L’équilibre entre les trois opérateurs n’a pas ainsi été bousculé. Cela a plaidé finalement pour l’entrée d’un nouvel opérateur, Free, avec des conditions d’accès favorisées. Il est intéressant de noter que, partis d’une logique de régulation de la concurrence passant par l’établissement de règles partagées, les pouvoirs publics en reviennent à un bricolage passant par le soutien déséquilibré à un opérateur qui rappelle la manière dont Mercury avait bénéficié d’un monopole local pour pouvoir s’opposer à British Telecom. Free a dû, en effet, s’acquitter de seulement 240 millions d’euros pour une licence 3G, face aux 619 millions d’euros demandés en 2001-2002 aux autres opérateurs [3].

L’ARCEP et les coûts de transaction

13Ces actions proprement juridiques d’instances généralistes de contrôle de la concurrence sont complétées par des actions réglementaires et à visée plus économique de l’autorité de régulation spécialisée. L’ARCEP, née en 2005, fait suite à l’autorité de régulation des télécommunications qui avait été créée en 1997. Ses fonctions sont définies par quatre alinéas de l’article L31-1 du code des postes et des communications électroniques. En particulier, elle « prend des mesures raisonnables et proportionnées » et veille « à l’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communication électronique (…) à un niveau élevé de protection des consommateurs, grâce notamment à la fourniture d’informations claires, notamment par la transparence des tarifs et des conditions d’utilisation des services de communications électroniques accessibles au public ». De manière toute pratique, une part importante de son activité consiste à agréer des opérateurs de télécoms locaux et à attribuer des séries de numéros. Ses responsables reconnaissent d’ailleurs que si le consommateur est la finalité de la régulation, l’autorité n’a pas les moyens humains de traiter les situations individuelles [4].

14L’ARCEP présente son action comme le passage progressif d’une régulation dissymétrique à une régulation symétrique. Dans le premier cas, il s’agissait de vérifier que l’opérateur historique ne tirait pas avantage de sa possession du réseau et permettait un accès des autres opérateurs dans de bonnes conditions. Les spécificités de l’opérateur historique s’estompant, la régulation vise progressivement à assurer la meilleure fluidité du marché en agissant sur l’ensemble des opérateurs.

15Une des actions phares de cette organisation a été de chercher à réduire les coûts de transaction que rencontrent les clients qui cherchent à changer d’opérateur. L’ARCEP a ainsi cherché à asseoir la possibilité technique pour le client de changer d’opérateur: attribution de numéros aux opérateurs, attribution de fréquences, création d’un identifiant unique pour permettre la « portabilité » du numéro, accès aux sections de câbles dans les immeubles. Mais, par-delà la possibilité technique du changement, se pose la question des conditions effectives de ce changement et de la réalité de l’information du consommateur dans une situation où il ne maîtrise pas les règles du jeu. L’ARCEP a ainsi posé la question des informations minimales à mettre dans les documents de communication et les contrats, celle de l’encadrement des conditions de résiliation fortement décourageantes, ou a mis en avant l’importance d’une garantie minimale de qualité du service, principalement pour le mobile.

16Jean-Ludovic Silicani, le président du collège de l’autorité, pouvait cependant encore en 2010 dresser un bilan très critique de l’avancement de ce chantier.

17

« Dans trop de cas, les nouvelles offres sont, certes innovantes, mais difficilement compréhensibles par le client. La portée précise de la notion d’offre “illimitée ”, que ce soit pour des services de téléphonie ou d’accès à internet, est floue, voire ambiguë, sans exclure qu’elle puisse être parfois trompeuse, voire mensongère. Nombreux sont les consommateurs qui ne comprennent le sens exact de l’offre “illimitée ” qu’à la réception de factures astronomiques. De même, les offres d’accès à internet sur les réseaux mobiles demeurent muettes sur le débit effectivement offert, qui diffère du débit maximal que les technologies actuelles permettent. La limitation du débit est légitime pour réduire les coûts de production et donc les prix. En revanche, l’absence de transparence sur ces limitations de débit n’est pas acceptable. En matière de conservation du numéro, si la situation est satisfaisante en téléphonie mobile, de grands progrès restent à effectuer en matière de téléphonie fixe pour mieux organiser les relations entre opérateurs. Trop de clients peinent encore à exercer ce droit essentiel à conserver leur numéro lors d’un changement d’opérateur. (…) Par ailleurs, la continuité du service doit être assurée, par exemple, en réduisant au maximum les interruptions de service inopinées, dites pudiquement “écrasements à tort ”, ou celles intervenant à l’occasion d’un changement d’opérateur » [5].

La loi Chatel et les obstacles au changement d’opérateur

18L’article L.121-84-6 du code de la consommation introduit par l’article 17 de la loi du 3 janvier 2008 (dite « loi Chatel ») pour le développement de la concurrence au service des consommateurs dispose que « les fournisseurs de services ne peuvent subordonner la conclusion ou la modification des termes du contrat qui régit la fourniture d’un service de communications électroniques à l’acceptation par le consommateur d’une clause imposant le respect d’une durée minimum d’exécution du contrat de plus de vingt-quatre mois à compter de la date de conclusion du contrat ou de sa modification » et que « tout fournisseur qui régit la fourniture d’un service de communications électroniques à l’acceptation d’exécution du contrat de plus de douze mois est tenu (…) de proposer simultanément la même offre de service assortie d’une durée minimum de service n’excédant pas douze mois selon des modalités commerciales non disqualifiantes ».

19La durée de référence de 24 mois n’est pas anodine. Ces engagements sont contractés avec l’attribution d’un nouveau terminal téléphonique et le rythme de renouvellement moyen du terminal portable est de 20 mois ; la généralisation de contrats d’engagement de 24 mois tend ainsi statistiquement à emprisonner les clients qui sont encore sous engagement après 20 mois et reprennent alors un nouvel engagement de 24 mois.

20L’ARCEP a été chargée de mener une évaluation des conditions d’application de la loi après deux ans [6]. Le bilan est mitigé. Si la règle claire de suppression des engagements supérieurs à 24 mois a bien été appliquée, les opérateurs se sont engouffrés dans la brèche offerte par le caractère ambigu de l’expression « modalités commerciales non disqualifiantes ». L’ARCEP présente dans son rapport une captation d’écran des offres tarifaires sur internet qui toutes mettent en avant le contrat avec engagement à 24 mois, avec des niveaux de difficulté variables pour obtenir les informations concernant les offres avec engagement inférieur ou égal à 12 mois. Ensuite, l’écart de prix est considéré par l’autorité, dans de nombreux cas, comme disqualifiant ; elle cite même une offre SFR dans laquelle le prix mensuel de l’offre à 24 mois est inférieur de moitié à celui de l’offre de 12 mois, ce qui rend rationnel de prendre un abonnement à 24 mois pour abandonner son usage après 12 mois. L’ARCEP reconnaît aussi qu’il est très difficile pour le consommateur de mesurer le coût effectif de la perte de liberté générée par l’engagement de longue durée: « Ces consommateurs ne prennent pas en compte les gains potentiels à une durée d’engagement plus courte, comme la possibilité de changer plus tôt pour une offre plus avantageuse ou la possibilité de renouveler son terminal avec un meilleur subventionnement. Dès lors, il y a un risque qu’au moins une partie des consommateurs souscrive aux offres à engagement de vingt-quatre mois uniquement parce qu’elles présentent un prix facial moins élevé ».

21Le rapport de l’ARCEP décrypte aussi tout un ensemble de pratiques d’attribution des pénalités ou de règles de réengagement qui incitent fortement les consommateurs à ne pas quitter leur opérateur. Certains opérateurs (Free, IZI) ont maintenu des frais de résiliation (fortement contraints par la loi) déguisés en « frais de mise en service » que le consommateur ne paie que s’il résilie avant la fin du contrat. L’argument semble assez avoir été assez solide pour que l’ARCEP soit amenée à demander une modification de la loi pour contrecarrer ce détournement de son esprit. Le rapport de l’autorité remarque enfin que les offres « Quadruple play », qui ajoutent les contrats de téléphonie mobile aux contrats internet – téléphone filaire – télévision, pourraient être un moyen de diffuser l’effet de fixation des clientèles propre au secteur du mobile à l’internet pour lequel les agents économiques font preuve de plus de mobilité.

L’infra-juridique

22Les situations précédentes ont été appréhendées à travers des recours juridiques ou à travers les instruments de pression du régulateur. Il reste de nombreuses possibilités dans les marges offertes par le droit pour limiter la transparence des choix ou pour rendre les clientèles captives.

23Les campagnes de communication présentent des images ou des concepts qui évoquent pour le consommateur des prestations ou niveaux de service qui sont loin d’être toujours au rendez-vous dans les clauses contractuelles. Dans certains cas, les opérateurs touchent les limites du droit. L’UFC Que choisir a ainsi récemment engagé une action contre l’ensemble des opérateurs de téléphonie mobile pour remettre en cause l’usage du terme « illimité » pour le portable alors que les accès sont de fait très limités pour le prix affiché [7]. Ce thème a, on l’a vu, été relevé par le président de l’ARCEP. Mais la plus grande partie de ces ambiguïtés de communication fait partie des transgressions tolérées dans toute communication publicitaire.

24Les grilles tarifaires pour les forfaits ouverts incluent des tarifications complexes avec un affichage clair du prix de base du forfait et des petites lignes concernant tout un ensemble de prestations complémentaires non incluses dans le forfait et qui peuvent faire fortement augmenter la facture. La seule manière de comparer les prix est alors de dresser un modèle de sa consommation type (appel de mobiles depuis le fixe, téléphone à l’international, …) et de calculer, à partir de chaque grille tarifaire (petites lignes incluses), le coût de revient final. Combien de clients se livrent-ils à cet exercice et combien se contentent de comparer les seuls prix fixes des forfaits? Le cas des renseignements téléphoniques, les numéros en 118XXX, offre le comble du décalage entre la complexité tarifaire et l’enjeu économique associé. Quel consommateur sait que le tarif peut inclure un coût de mise en relation, un coût fixe d’appel et un tarif à la minute? Qu’il implique ou non des coûts complémentaires pour l’envoi de SMS ou pour le temps d’attente? Et que tous ces tarifs varient selon l’opérateur de la personne qui demande le renseignement? Il y a fort à parier que, les rares fois où il en a besoin, le consommateur utilisera le numéro qu’il aura mémorisé grâce à un investissement publicitaire impressionnant, le 118 218 (1,117 euro par appel plus 0,15 par minute [8]) ou 118 712 (1,12 euro par appel tout compris), contre 0,90 euro par appel pour un grand nombre d’autres opérateurs moins actifs dans la promotion publicitaire. Ici encore, l’hypothèse d’un client comparant qualité et prix est des plus hypothétiques.

25Les tarifs, en outre, ne donnent aucune indication sur le niveau de qualité. Pour ce qui concerne les prestations internet, les niveaux de qualité sont très variables (haut débit en fait très moyen, fonctionnement par intermittence du service, pannes durables que les opérateurs ne savent pas vraiment traiter et qu’ils laissent durer …). Les taux de réclamation relevés par le médiateur des télécoms comme par la DGCCRF concernant des problèmes techniques associés aux nouvelles prestations du téléphone filaire révèlent que la mise sur le marché de ces technologies a précédé leur véritable maîtrise technique. Cette difficulté d’appréciation a priori de la qualité avant l’usage effectif n’est pas propre à ce secteur, elle concerne une grande partie des services. Des réponses ont pu être trouvées autour de la capitalisation permise par une marque ou via des opérateurs indépendants de jugement, comme le guide rouge Michelin pour la gastronomie (Karpik, 2000). Une difficulté spécifique est liée cependant pour la qualité des prestations internet au fait que le niveau de service peut être variable selon le point de branchement. Tel client satisfait de son opérateur complètement fiable le conseillera à un ami qui, à son domicile, rencontrera des difficultés de fonctionnement. La seule solution est alors d’essayer un opérateur et de le quitter si la qualité n’est pas au rendez-vous.

26Une fois que l’opérateur a capté votre demande, il lui reste de nombreux moyens pour vous conserver comme client. Ici encore, les autorités publiques ont pu intervenir sur les clauses abusives des contrats ou sur les coûts directs de la résiliation. Des actions en justice ont été intentées contre les pratiques visant à empêcher techniquement l’utilisation d’un terminal mobile avec la carte SIM d’un concurrent et les opérateurs doivent aujourd’hui donner après six mois le code permettant de lever ce blocage. Mais, comment traiter le fait qu’alors que tout semble simple et rapide lorsque l’on cherche à s’abonner, tout devient plus compliqué lorsque l’on veut résilier son abonnement? Cette lourdeur administrative sélective n’est pas contraire à la loi, elle peut être tout aussi décourageante pour le client que les coûts directs de résiliation.

La fatigue d’être client

27Les clients ne sont pas égaux dans cette guérilla quotidienne. Certains éprouvent du plaisir à éplucher leurs factures, à passer des soirées à écouter de la musique sur le répondeur d’attente d’une hotline ou à engager des recours contentieux. D’autres au contraire trouvent cela très ennuyeux et s’attristent de voir s’ajouter à des dossiers comparables (banques, assurances, …) de nouveaux domaines à surveiller (téléphone, internet, puis bientôt énergie, retraite complémentaire …). Il y a bien un coût propre à l’exercice de son statut de client en termes d’implication et de temps passé. Il y a aussi un coût psychologique. Il était relativement confortable de se plaindre d’un opérateur en monopole; se plaindre en situation de concurrence, c’est en partie reconnaître que l’on a fait le mauvais choix. C’est ici encore un nouveau domaine où l’individu est soumis au risque de n’avoir pas fait le bon choix et d’être rendu responsable de ce choix inadéquat dans une situation où l’inégalité entre offreur et demandeur est particulièrement forte (Jeannot, 2010).

Alors heureux ?

Les ventriloques persévérants

28Après tout cela, les individus qui utilisent les services sont-ils satisfaits? Les autorités publiques précédemment évoquées n’ont pas mis en place un dispositif systématique de mesure de la satisfaction des clients. Ainsi, sur le téléphone portable, l’ARCEP mène des enquêtes objectives sur la qualité du service sans que la question toute simple « êtes-vous satisfait de votre opérateur » n’ait été posée. Cela n’empêche pas les responsables de parler au nom des clients pour exprimer la satisfaction de ceux-ci et justifier les bienfaits de l’ouverture à la concurrence. Le ministère de l’Économie et des Finances, l’ARCEP et le médiateur des télécommunications développent sous des formes différentes le récit de la diffusion difficile mais finalement triomphante des bienfaits de la concurrence dans le secteur des télécommunications. Cette manière de parler à la place du destinataire rappelle curieusement les pratiques antérieures au démantèlement des monopoles. Il y a là une remarquable persévérance dans la ventriloquie du destinataire.

29La recherche n’apporte guère plus en la matière. Les modalités de l’ouverture à la concurrence ont été dans ce secteur comme dans d’autres analysées (Hanne, 2004; Quin, Jeannot, 1997). La question des usages associés aux nouvelles technologies de communication est aussi bien développée, en particulier dans la revue Réseaux. Il en va de même de l’approche de l’interaction entre le client et le prestataire au moment de l’achat (Canu, Mallard, 2006; Kessous, Mallard, 2006). Mais la connaissance du point de vue des clients sur l’ouverture à la concurrence reste une terre largement négligée. La revue Flux n’a consacré qu’un numéro spécial aux consommateurs (Flux 48-49, 2002) et quelques articles épars avec une attention particulière pour la relation entre le consommateur et l’usager (Pflieger, 2002) et la question des pauvres (Coutard, 2000).

30Les seules exceptions à cette absence d’intérêt sont quelques sondages sur l’opinion des Français au sujet de l’ouverture à la concurrence en général, et la thèse de Fijalkov (2003). Les premiers montrent, sans surprise, que l’avis des Français est partagé de manière équilibrée entre les adeptes de l’ouverture à la concurrence et ceux qui la refusent et suivent. La thèse de Fijalkov (2003, p. 273) révèle que les individus restés fidèles à France Télécom associent ce choix à d’autres arguments que ceux du rapport qualité / prix. Seulement 44% expliquent leur « fidélité » parce que « c’est l’entreprise la plus compétitive sur le plan des prestations commerciales » quand pour 62%, c’est parce qu’ils « ont davantage confiance dans une entreprise dont l’État se porte garant » ou « parce qu’il faut soutenir la téléphonie publique face au marché » ou « parce qu’elle se préoccupe d’amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d’accès ».

31C’est donc encore ici de manière indirecte qu’il nous faut traiter le sujet, à travers des sources imparfaites mais dont la convergence relativise l’évidence de la satisfaction des individus à devenir clients.

Une forte augmentation du budget télécom des familles

32La première chose que constate le chef de ménage lorsqu’il jette un coup d’ œil sur son relevé bancaire, c’est la croissance soutenue de son budget télécommunication. Dans un numéro spécial consommateur, l’ARCEP présente un tableau intitulé « les consommateurs ont bénéficié de la concurrence et de l’innovation », reproduit page suivante. Ce tableau permet pour les auteurs de l’article de mettre en évidence à la fois une baisse de la facture moyenne par client du mobile (ce que soulignent les commentaires associés au tableau) et le succès des nouveaux produits. Il permet aussi, indirectement, de mettre en évidence l’augmentation du budget global par famille; en effet, la baisse réelle de la facture moyenne pour le mobile (de 37 euros à 28,2 euros entre 1998 et 2006) ne compense pas l’augmentation très importante du parc de mobiles durant la même période (de 11,2 à 51,7 millions d’abonnements sur la même période). Les données proposées par l’ARCEP ne permettent pas de différencier les abonnements des ménages de ceux des entreprises. La part des ménages (25 millions de ménages en France sur la période) est cependant essentielle dans ces données et la multiplication par plus de quatre des abonnements au mobile sur la période ne pourrait être portée que par les entreprises. Pour de nombreuses familles, cela s’est traduit par un mobile dans le cartable de chacun des enfants. En 2007, 72% des 12-17 ans avaient un mobile [9]. Une famille avec un ou deux enfants, qui passe d’une facture pour un téléphone fixe et un mobile en 1998 à un téléphone fixe et trois mobiles en 2006, a vu ainsi son budget passer de 70,9 euros à 118,5 euros [10].

33Cette augmentation du budget correspond bien sûr à une augmentation du service offert. Mais comment mesurer ce qui relève du maintien de la même fonctionnalité de communication et ce qui correspond à une nouveauté de produit? On sait que l’appréciation de l’évolution des prix pour les technologies très évolutives (comme les ordinateurs) est un casse-tête pour les statisticiens. L’INSEE conclut finalement à une baisse des prix. Cette baisse, après avoir été très forte (-7,5% par an entre 1997 et 2000), est plus réduite par la suite: en moyenne de 1,9% par an de 2001 à 2006 et de 3,4% par an de 2007 à 2010. Cette baisse n’est cependant pas due uniquement aux « bénéfices de la concurrence » puisqu’elle démarre avant l’ouverture de celle-ci. En effet, les prix ont baissé de 1,2% par an entre 1988 et 1996 [11].

Un taux record de réclamations

34Si les familles dépensent de plus en plus pour les télécommunications, la qualité n’est pas nécessairement au rendez-vous. Les indicateurs de niveaux de plaintes révèlent ici une difficulté tenace. La DGCCRF tient un bilan transsecteurs des plaintes liées à la consommation. Le taux de réclamation a atteint 28,3% des plaintes au premier semestre 2008 [12]. Les sept premières entreprises visées par les plaintes étant, alors, des opérateurs de télécommunication. Ces plaintes étaient dans un mouvement croissant au début des années 2000 [13]. Elles atteignent leur sommet au premier semestre 2008. Elles ont baissé en 2009 avec 21% de l’ensemble des plaintes, puis en 2010 avec 20,1%. Si cette tendance à la baisse peut être considérée comme un indicateur de l’impact des actions de régulation de la concurrence évoquées précédemment, il indique à la fois le succès et son caractère relatif car le chiffre brut demeure très élevé par rapport au poids de ces services dans l’économie: l’INSEE considère en effet que le secteur des télécommunications pèse 2,6% dans son indice des prix ou 1,1% du PIB.

35Les données sectorielles proposées par le médiateur des communications électroniques, bien que d’une autre nature, permettent d’affiner le diagnostic en différenciant l’insatisfaction selon les objets des recours et les canaux concernés. Les plaintes portent à la fois sur des problèmes liés à la dimension contractuelle (28% des recours liés à des questions de souscription, de modification de forfaits ou de non-remboursement en cas d’absence de prestations) auxquels s’ajoutent 19% associés aux seules questions de résiliation et 25% sur des contestations de facturation. 28% sont liés à des problèmes de dysfonctionnement. Cela concerne en particulier les connexions internet. Les données détaillées confirment cette spécificité technique d’internet [14] avec 41% des recours dans ce secteur liés à des problèmes techniques contre 14% des recours liés aux mobiles [15]. Une autre source, les plaintes qui transitent par la principale association des consommateurs des télécommunications, confirme ces difficultés de fonctionnement. L’association française des usagers du téléphone considère ainsi que les triple play associant téléphone, internet, télévision, génèrent 60% des réclamations qu’elle collecte.

Consommation et budget télécommunication 1998-2006

tableau im2
1998 2002 2006 Nombre de lignes fixes (millions) 33,9 34,1 33,9 Facture moyenne mensuelle par ligne fixe (euros HT) 34,4 36,6 35,7 Nombre d’abonnés mobile (millions) 11,2 38,6 51,7 Facture moyenne mensuelle mobile (euros HT) 37,0 26,0 28,2 Source: ARCEP, Observatoire des communications électroniques.

Consommation et budget télécommunication 1998-2006

Une baisse tendancielle de l’image des ex-entreprises publiques de monopole

36Philippe Warin (2002) avait eu l’idée intéressante de confronter tout un ensemble de sondages menés au cours du temps pour analyser l’évolution de la perception des services publics. Il en ressortait, pour ce qui nous concerne, une image extrêmement positive des grandes entreprises techniques de monopole avec des taux de bonne image touchant les 90% pour les grandes entreprises publiques de réseaux en comparaison à des taux moindres pour les services sociaux et les administrations.

37Le baromètre Posternak Ipsos sur l’image des grandes entreprises permet de prolonger les courbes dessinées par Philippe Warin (Fig. 2). Les personnes sont interrogées à partir d’une liste d’entreprises privées et publiques sur leur connaissance de l’entreprise et sur leur opinion. Le baromètre permet aux entreprises de mesurer leur image globale dans l’opinion et sert à construire des stratégies de communication. Il est reproduit plusieurs fois par an. Les données méritent d’être interprétées avec prudence, l’image des entreprises dépendant de différents facteurs. C’est ainsi que l’image des opérateurs de transports est cyclique, en relation avec les grands mouvements de grève. L’image de France Télécom a aussi été bousculée par des événements qui ne sont pas directement liés à la prestation de la qualité de service, par exemple la baisse due à la médiatisation d’une vague de suicides.

Figure 2

Évolution de l’image des entreprises de réseau (décembre 2000 – décembre 2009)

Figure 2

Évolution de l’image des entreprises de réseau (décembre 2000 – décembre 2009)

Source : Baromètre Posternak IPSOS sur l’image des entreprises. L’indicateur d’image retenu est la différence entre les opinions positives et les opinions négatives. Données publiques, élaborées sur la base de sondages IPSOS, incomplètes pour France Télécom et La Poste.

38Cependant si on prend l’évolution dans une relativement longue durée de l’image des ex-entreprises de monopoles ouvertes à la concurrence dans l’énergie et la communication, en lissant certains allers-retours conjoncturels, il semble bien qu’il y ait une dégradation tendancielle partagée par l’ensemble de ces opérateurs. L’hypothèse d’un lien entre cette dégradation et une inquiétude associée à l’ouverture à la concurrence est soutenue par les producteurs de l’enquête qui associent ainsi des réductions plus nettes à l’ouverture de capital d’EDF ou à la fusion GDF SUEZ. Cette dégradation n’est pas compensée par la montée de l’image des opérateurs concurrents qui est, dans tous les cas, moins élevée que celle des ex-entreprises publiques.

39Il semble donc bien que le caractère rassurant de ces grands monopoles techniques se soit estompé, laissant place à une défiance qui vaut pour ces opérateurs mis sur le marché comme pour leurs concurrents.

Le choix de formules protectrices face à la non-clarté de contrats mobiles et à la médiocrité technique de l’offre internet

40Une dernière manière de tenter de saisir indirectement l’attitude des individus face à la concurrence est de se pencher sur les grandes évolutions du marché. Trois faits majeurs caractérisent ces dernières: la stabilité du partage du marché entre les trois principaux opérateurs de téléphonie mobile (comme on l’a vu plus haut), une plus grande mobilité sur le marché internet, et enfin une mobilité sur les types de contrats retenus.

41La confrontation de la faible mobilité sur le marché du mobile et de la plus forte mobilité sur le marché de l’internet interroge. En effet, si on s’en tient au facteur prix, le résultat devrait être inverse : alors que l’offre tarifaire est différente entre les opérateurs de téléphonie mobile, elle est remarquablement uniforme pour ce qui concerne les packages téléphone – internet avec des forfaits à 29,90 euros. Pourquoi passer d’un opérateur à 29,90 euros à un autre opérateur à 29,90 euros? Le facteur de qualité technique peut ici être une explication plausible. On a vu en effet à travers divers canaux de réclamation qu’il y avait des problèmes techniques récurrents associés à ce canal de communication, problèmes que l’on ne retrouve pas concernant le téléphone mobile. La mobilité des clients sur le marché de l’internet traduirait simplement la volonté de « trouver un système qui marche ».

42On observe en second lieu une évolution des types de contrats choisis – cartes prépayées, forfaits ouverts, forfaits bloqués pour la téléphonie mobile – selon deux tendances: une réduction progressive des paiements par carte prépayée et une montée en puissance des forfaits bloqués.

43Le prépaiement offre le moyen de contrôler sa consommation mais au prix d’une complication de la transaction. La formule du forfait ouvert est la plus souple mais suppose une attention forte pour éviter une dérive des dépenses. Le forfait bloqué semble emporter un intérêt croissant des abonnés. Le nombre de forfaits bloqués commercialisés sur le marché métropolitain a augmenté de 50% entre mars 2009 et mars 2010 [16]. Malgré l’inconvénient majeur de la gestion des fins de mois, cette formule tarifaire a l’avantage d’offrir la maîtrise des coûts. Cela peut être l’option prise lorsque des parents souhaitent pouvoir joindre leurs enfants à tout moment mais sont las des grandes explications familiales de fin de mois sur les dépassements de forfaits. Cela peut être aussi la solution pour des agents au budget fortement contraint qui préfèrent utiliser une cabine téléphonique en fin de mois plutôt que de devoir suivre trop finement leur consommation. Ici encore, les clients semblent se protéger d’autres formes de tarification à l’évidence plus commodes mais qu’ils pressentent ne pas pouvoir maîtriser.

44Les situations dans lesquelles on voit les clients faire évoluer leurs contrats de manière significative peuvent être ainsi interprétées moins comme l’expression de la volonté de « faire jouer la concurrence pour faire baisser les prix » que comme des tentatives de se prémunir au mieux face à des opérateurs en position de force.

Conclusion

45Le survol de toutes les difficultés associées à l’ouverture à la concurrence suffit à confirmer que la bataille a changé de lieu. La question du monopole associé à la possession du premier réseau d’infrastructures, qui a été au cœur des préoccupations des politiques européennes d’ouverture à la concurrence, est étonnamment absente de ce tableau. Il faut y voir à la fois le fait que dans certains cas (la téléphonie mobile par exemple) la question est tout simplement technologiquement dépassée avec la possibilité d’infrastructures concurrentes. Dans d’autres cas, on peut y lire une réussite des actions favorisant l’accès des tiers au réseau (boucle locale) dans un domaine où, là aussi, la technologie est particulièrement favorable.

46Les difficultés rencontrées sont plus administratives qu’économiques. Mis à part quelques problèmes technologiques associés aux branchements internet, le principal problème est celui de l’engagement dans des abonnements aux caractéristiques complexes. Les coûts d’obtention de l’information économique pertinente sont très importants, les coûts de transaction pour les changements d’opérateurs sont énormes aussi.

47Les opérateurs se sont plongés dans l’exploitation de ces failles. Les recours sans cesse répétés des pouvoirs publics pour rétablir des règles minimums de respect du droit de la concurrence montrent qu’ils ont au moins tenté toutes les opportunités de sortie de la légalité (contrats léonins, ententes, publicité mensongère, …). Et lorsqu’ils sont rappelés à l’ordre, il leur reste tout ce qui contribue à embrouiller le client en restant dans les clous du droit. On peut même se demander, au vu des faibles prix de certaines offres de base, si les opérateurs n’ont pas fait de l’exploitation de ces failles un modèle économique, leur rentabilité dépendant de l’incapacité des individus à s’en tenir à la consommation initiale ou à anticiper les dysfonctionnements techniques associés à une partie des technologies.

48Dans ce contexte, les clients sont en position largement dominée. À titre collectif, ils peinent à peser dans l’évolution du partage du marché entre les offreurs, comme en témoignent les nécessaires interventions des pouvoirs publics pour établir une concurrence comparable à celle observée dans d’autres secteurs économiques. À titre individuel, ils découvrent progressivement que la liberté de choix entre opérateurs reste largement une impression, tant les coûts de transaction (accès à l’information, difficultés administratives du changement) sont importants rapportés à la différence sur les prix et les niveaux de services offerts. Alors, les clients perdent progressivement confiance dans les opérateurs historiques qui avaient autrefois un extraordinaire capital de sympathie, ils renâclent et font des réclamations devant diverses instances à un niveau inégalé (relatif aux budgets concernés), et lorsqu’ils le peuvent, ils font les choix comme ceux des forfaits bloqués qui les protègent de clauses commerciales (comme celles des « illimités ») plus alléchantes que réellement satisfaisantes. Si les mutations technologiques majeures de ces dernières années dans le secteur des communications électroniques sont un apport essentiel et bien sûr apprécié des utilisateurs, les conditions de la relation commerciale sont loin d’être au niveau que l’on peut observer dans l’offre de biens de consommation courants.

Bibliographie

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  • Coutard O., 2000, « La concurrence, le téléphone et les pauvres », Flux, n° 41, Juillet-Septembre, pp. 64-68.
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  • Hanne H. 2004, « La libéralisation des télécommunications et de la poste en France », Regards sur l’actualité, n° 306, pp.19-31.
  • Jeannot G., 2010, « La fatigue d’être client », Informations sociales, n° 158, Mars-Avril, pp. 34-41.
  • Karpik L., 2000, « Le guide rouge Michelin », Sociologie du travail, 42, pp. 369-389.
  • Kessous E., Mallard A., 2003, « Les appuis conventionnels de la relation marchande. La vente médiatisée par le téléphone dans un centre de télémarketing », Colloque Conventions et institutions, approfondissement théorique et contribution au débat public, 11, 12, 13 décembre 2003, Grande Arche de La Défense
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  • Quin Cl., Jeannot G., 1997, Un service public pour les Européens? Diversité des traditions et espaces de convergence, La documentation Française
  • Warin Ph., 2002, Les dépanneurs de justice, les petits fonctionnaires entre qualité et équité, LGDJ

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Date de mise en ligne : 04/10/2011

https://doi.org/10.3917/flux.084.0021

Notes

  • [1]
    Un site indépendant tient à jour une liste des condamnations des opérateurs de téléphonie mobile: http://juristel.free.fr/
  • [2]
  • [3]
    Confirmé par une décision du Conseil d’État du 12 octobre 2010.
  • [4]
    « Car l’ARCEP n’a ni la compétence ni les moyens de traiter individuellement des problèmes rencontrés par les consommateurs », Joëlle Toledano, membre de l’autorité, La lettre de l’autorité, n° 56, mai-août 2007, p. 4. L’ARCEP a dédié une équipe de 6 personnes aux consommateurs (rapport d’activité 2009, p. 51).
  • [5]
    Rapport public d’activité de l’ARCEP 2009, p. 52.
  • [6]
    ARCEP, rapport au Parlement sur l’impact de l’article 17 de la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au bénéfice des consommateurs, juillet 2010.
  • [7]
    Que choisir a aussi mené une action contre les opérateurs de « box » qui suppriment l’accès gratuit à certains numéros : un millier de numéros auraient ainsi été déconnectés dont celui de SOS amitiés, les candidats au suicide semblant un peu trop bavards (Libération 27/07/2010).
  • [8]
    En novembre 2010.
  • [9]
    Source Credoc, La diffusion des technologies de l’information et la communication dans la société française, 2009.
  • [10]
    Ce dernier chiffre est peut-être un peu surestimé : si la famille a décidé de prendre un forfait bloqué pour les enfants, comme on le verra plus bas, elle pourra économiser 10 ou 20 euros par rapport à ce budget.
  • [11]
    Indice Insee des services de télécommunications: FB0A 6100000107T NSEE
  • [12]
    Source: Baromètre des réclamations, DGCCRF http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/dgccrf/documentation/barometre/index.htm
  • [13]
    14054 en 2002; 17843 en 2003; 22999 en 2004; et 30958 en 2005. Cette évolution est due en grande partie aux plaintes concernant l’internet.
  • [14]
    Des données détaillées de la DGCCRF datant de 2006 vont dans le même sens avec 29% des plaintes pour problèmes techniques pour l’internet contre 6% pour le mobile et 9% pour le fixe. Le niveau des plaintes par millions d’abonnés est aussi plus fort pour l’internet en général : 1161 plaintes en 2006 pour l’internet contre 135 et 137 pour le fixe et le mobile.
  • [15]
    Médiateur des communications électroniques, rapport 2009.
  • [16]
    Étude de suivi des tarifs pour le compte de l’ARCEP, cité dans: ARCEP, 2010, Rapport au Parlement, p. 23.

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