Notes
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[1]
www.degrouptest.com est une page Internet permettant à chaque titulaire d’une ligne téléphonique de tester son accessibilité aux offres Internet sur le marché.
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Gouyou-Beauchamps M., 2006, Faciliter l’accès Internet pour les résidents des logements sociaux ?, Mémoire de Master 2 recherche en Urbanisme et Aménagement, sous la direction de G. Dupuy, Université Paris 1, Juin, 59p.
Ce mémoire est consultable à l’adresse suivante :
http://www.amenagement-numerique.net/article.php3?id_article=104
De cette question, et après une introduction du débat réalisé par Gabriel Dupuy, Laurence Barthe-Baldellon, universitaire et élue d’une commune rurale de l’Aveyron, Olivier Frérot, Directeur Départemental de l’Équipement de la Loire, et Daniel Kaplan, Délégué Général de la Fondation Internet Nouvelle Génération, ont apporté des éléments de réponse en évoquant leurs propres expériences aux échelles microlocales, départementales et européennes.
1Laurence Barthe-Baldellon, maître de conférence à l’Université du Mirail à Toulouse, est élue d’une commune rurale en Midi-Pyrénées, co-fondatrice de la cyber-base des 7 vallons (Aveyron).
2Je suis dans une posture un peu singulière parce que je viens vous apporter un témoignage sur la fracture numérique en milieu rural, vous montrer des actes de résistance par rapport à cette fracture numérique, des actes de conquête, des formes d’innovation mais aussi toutes leurs limites autour d’un projet particulier qui est celui de la création d’une cyber-base dans un territoire rural isolé.
3Alors en quoi mon témoignage est-il singulier ? Je suis universitaire, maître de conférence en géographie/aménagement à Toulouse, et, depuis 2001, élue locale dans une toute petite commune de 180 habitants du Sud-Ouest de l’Aveyron. Mon propos, aujourd’hui, est de relater une expérience concrète de ce qu’on peut qualifier une lutte contre la fracture numérique dans un territoire rural.
Un territoire rural isolé dans le département de l’Aveyron
4Il est délicat de parler de la fracture numérique de la même manière dans la métropole toulousaine et dans un territoire rural. Quelques éléments, donc, sur le contexte du projet. La commune rurale dont je parle se situe aux frontières de l’Aveyron et du Tarn, à l’écart des villes moyennes de la région. La ville la plus proche, Saint-Affrique, qui compte 8 000 habitants, est à 35 km. Notre commune, à l’origine exclusivement agricole, accueille chaque année de nouveaux arrivants, les « néoruraux », phénomène assez symptomatique de l’attraction des territoires ruraux. Nous sommes dans le périmètre du parc naturel régional des Grands Causses, sur un territoire où l’intercommunalité reste faible.
Genèse d’un projet local d’accessibilité aux NTIC
5Le projet de création d’un espace public numérique dans ce territoire rural s’inscrit dans notre projet de développement local.
6En 2001, nous étions dans un contexte d’élection municipale classique : opposition entre deux listes, l’une en place depuis 1945, et l’autre, dans l’opposition, à laquelle j’appartenais. En milieu rural, on ne fait pas d’affichage, on ne distribue pas de tracts. On a mené une campagne de contacts avec tous les habitants du territoire. En juin 2001, nous avons renversé l’équipe municipale en place, et, du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés en situation de gérer une commune tout en essayant de revitaliser un tissu économique et social en perte de vitesse. Notre ambition était de soutenir des projets dont faisait notamment partie ce projet d’infrastructure numérique. Sur le territoire de la commune, il n’existait pas de lieu d’accès aux NTIC. Les plus proches étaient distants de quarante kilomètres. Les habitants de notre commune commençaient à s’équiper mais ne maîtrisaient pas nécessairement les usages de ces nouvelles technologies. De plus, le débit dans notre commune était très faible, 28Kb/s. À partir de ce constat, nous avons fait une enquête auprès des habitants de notre commune et des communes pour connaître leurs attentes et les usages des technologies de communication. Nous avons eu cent réponses sur huit cents questionnaires. Les personnes qui avaient répondu étaient généralement équipées avec une attente très forte de formation en informatique et d’accompagnement. À partir de là, nous avons formulé un avant-projet pragmatique et tenant compte de la faiblesse de nos moyens.
Des partenaires institutionnels consolident le projet : la mise en place du dispositif Cyber-base
7Fin 2001, nous avons commencé à prospecter auprès de partenaires potentiels :
- le département, naturellement, qui n’a pas voulu donner suite à cause de notre isolement géographique et de l’inadéquation de notre projet à la politique départementale en matière d’infrastructures de télécommunication ;
- le parc naturel régional des Grands Causses qui a trouvé notre démarche intéressante mais impossible à financer.
8Cette démarche, mise en place par la Caisse des dépôts au niveau national, a été fortement investie et relayée par le Conseil régional de Midi-Pyrénées avec un objectif de création de vingt-sept cyber-bases sur son territoire.
9La cyber-base est un espace public ouvert au moins trente heures par semaine, proposant à tout public un accompagnement à l’utilisation des nouvelles technologies, avec un coût d’accès relativement faible.
10Nous avons présenté notre candidature aux services instructeurs, Conseil régional et Caisse des dépôts, et nous avons été retenus comme projet pilote expérimental pour les zones rurales très isolées de très faible densité. Très rapidement, nous avons eu un appui assez fort du côté de ces deux partenaires, en particulier de leurs services techniques, pour soutenir cette démarche expérimentale.
11Nous étions fin 2002. En 2003, nous sommes entrés dans la phase de consolidation du projet avec une double logique : d’une part, un ancrage du projet à l’échelle du territoire et, d’autre part, une intégration dans la politique régionale.
12Au niveau local, lutter contre la fracture numérique signifiait que le projet devait être partagé par la population et par les élus locaux. La commune s’est engagée en nous fournissant gratuitement un local. En 2003, la Communauté de communes, récemment créée, a endossé le portage du projet en lui conférant une dimension intercommunale, et nous avons créé une association pour lancer et institutionnaliser la réflexion auprès des usagers potentiels.
13Du côté régional, nous avons bénéficié de l’assistance technique de l’organisme créé par la Caisse des dépôts et la Région (en milieu rural, les collectivités ne disposent d’aucune ingénierie. Les élus s’engagent dans des projets techniques sans direction technique pour les porter). Nous avons ainsi pu conduire une réflexion de fond sur le contenu du projet et sur son pilotage technique et stratégique.
14Toute l’année 2003 a été dédiée à l’instruction technique du projet avec le dépôt d’un dossier de financement auprès du Conseil régional et de la CDC et d’une demande de financement complémentaire auprès de l’Union européenne (Feder). Le coût de l’investissement matériel, important pour un territoire rural, s’élève à 80 000 euros, financé à 80% par des aides de la Région, de la CDC, de la Communauté de communes, et de la commune, avec une petite contribution de l’Union européenne. Le département a refusé d’investir dans le projet.
15Le premier semestre 2004 a été consacré à l’aménagement et à la réalisation technique de la cyber-base. Une fois la cyber-base créée, le Conseil régional nous a financé une connexion à ce qu’on peut appeler aujourd’hui du moyen débit (512Kb/s), Aujourd’hui nous sommes à 2Mb/s. En juillet 2004, la cyber-base a été ouverte avec le recrutement de deux animateurs, (obligation qui figure au cahier des charges des cyber-bases).
16Il nous aura fallu trois ans pour passer du projet à sa réalisation. Cette période, qui peut paraître longue, a permis la maturation et la consolidation des finalités du dispositif, et la constitution d’un noyau d’acteurs volontaires pour mener à bien le projet au côté d’élus locaux, de techniciens et d’experts régionaux. On doit aussi retenir la présence d’un chef de projet moteur qui en est devenu la véritable épine dorsale.
17Nous avons réussi à passer d’un projet très local à une expérience qui s’intègre dans un réseau, profitant ainsi de la mutualisation d’expériences diverses et de l’expertise de la Caisse des dépôts. En revanche, le département n’a pas souhaité s’engager car il est resté très méfiant sur l’avenir de ce projet.
La cyber-base : un espace public de rencontre autour des nouvelles technologies de l’information
18Aujourd’hui la cyber-base, c’est un local équipé de sept postes informatiques, tout un matériel annexe de vidéo numérique, ainsi qu’une connexion de 2Mb/s entrant et sortant. C’est un espace animé par des professionnels et ouvert l’après-midi de 14 heures à 19 heures six jours sur sept avec deux nocturnes par semaine.
19Notre objectif est d’initier des publics de tous âges et de toutes catégories professionnelles à la pratique de l’informatique et, surtout de les aider à perfectionner leur usage des nouvelles technologies. C’est aussi de faire de ces technologies de communication des outils de travail, d’échange, de création et d’expression. C’est aussi, grâce à ces technologies d’information et de communication, de consolider l’activité économique du territoire soit en apportant un appui aux activités existantes, soit en permettant la création de nouvelles activités. Et, enfin, de créer et de maintenir des liens sociaux, et de favoriser l’insertion des populations en difficulté.
20À ces objectifs multiples correspondent des actions diversifiées, adaptées aux différents publics et à leur inventivité :
- activités thématiques, en partant des bases de la bureautique jusqu’à la manipulation de logiciels de parcelles agricoles, par exemple ;
- ateliers spécifiques pour les enfants et les adolescents. Cette catégorie d’âge est une cible importante dans les territoires ruraux. En faisant une enquête dans les écoles, nous avons constaté qu’elles étaient bien équipées mais que les enseignants étaient parfois en difficulté pour accompagner les enfants dans l’usage de ce matériel ;
- actions pour les seniors, qui constituent un public difficile à toucher. Nous travaillons en partenariat avec la Mutualité sociale agricole dans la mise en place d’exercices cognitifs et nous avons mis en place un partenariat intergénérationnel associant maisons de retraite et collèges ;
- actions auprès des personnels de santé en milieu rural dans le domaine de la formation à la gestion de leur comptabilité ;
- actions thématiques pour les très petites entreprises, les professionnels du tourisme, les agriculteurs, les demandeurs d’emploi.
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23Olivier Frérot, ancien directeur départemental de l’équipement de la Loire, chargé de mission à la direction du CERTU
L’impact territorial des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur les espaces urbanisés de la ville de Saint-Étienne
24Très peu de DDE se sont engagées dans les questions d’aménagement numérique des territoires. Celle du département de la Loire essaie, avec ses moyens, de s’investir dans ce champ d’action. Durant mon intervention, je vais m’attacher à vous présenter des travaux réalisés sur certaines zones urbaines de Saint-Étienne. En reprenant le thème qui nous réunit aujourd’hui « La fracture numérique : mythe ou réalité ? » nous pouvons nous interroger sur le rôle que peuvent jouer les TIC sur les territoires. Facteurs de cohésion sociale ou de fragmentation territoriale ?
25Ces questions se posent à des échelles territoriales multiples et pour des formes d’habitats variés. Nous observons actuellement dans le département de la Loire, où seul le marché a opéré depuis de nombreuses années, une fragmentation des territoires. Ce n’est là, en aucun cas, une opinion idéologique. C’est à partir de l’observation et de l’expérimentation que nous avons pu tirer ces conclusions, et le témoignage de Laurence Barthe-Baldellon à propos des territoires ruraux renforce clairement ces observations.
L’intervention publique : entre freins psychologiques et résistances institutionnelles
26L’intervention des pouvoirs publics sur ces questions reste très difficile. Les pouvoirs publics, en général, et le législateur, en particulier, ont montré beaucoup de réticences, pour ne pas dire de résistances, à intervenir sur ce champ là. Je citerai deux principales raisons à ces réticences.
27La première est la pression de France Télécom. Même si l’État est encore présent dans le capital, France Télécom est devenue une entreprise privée qui n’a plus de connexions avec l’intérêt public.
28La seconde raison tient à des choses beaucoup moins palpables. Le domaine des télécommunications fait peur. Il fait peur à certains acteurs, qu’ils soient fonctionnaires ou élus. La fracture numérique passe aussi par les têtes. Il y a là un effort majeur à conduire. Or, le discours des opérateurs de télécommunication est peu clair, pour ne pas dire mensonger, ce qui renforce les incompréhensions des pouvoirs publics.
29Notons cependant qu’il existe des institutions comme l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) qui essaient de clarifier les enjeux du développement numérique des territoires.
30À ces raisons s’ajoutent les freins économiques : coût d’accès à Internet, prix d’achat d’un ordinateur. La puissance publique peut agir sur ces deux éléments. Sur l’infrastructure, c’est difficile mais pas infaisable.
31En revanche, il est compliqué d’agir sur les freins psychologiques. Il faut pouvoir les identifier pour agir efficacement. Ce n’est donc pas facile d’intervenir mais c’est nécessaire si l’on veut ralentir la fragmentation territoriale.
Les stratégies de déploiement des opérateurs restent opaques
32Lorsque l’on étudie ces questions pour un quartier de la ville, on doit commencer par effectuer un état des lieux des infrastructures présentes sur son territoire. Malheureusement, cet état des lieux est pratiquement impossible à réaliser. Les opérateurs ne communiquent pas leurs informations et il faut aller les chercher soi-même en utilisant des outils tels que comme degrouptest [1], par exemple. En cherchant bien, on peut quand même arriver à connaître les débits disponibles pour les habitants d’un quartier. Il est beaucoup plus compliqué de savoir ce qui va se passer dans l’avenir parce que les stratégies de développement des opérateurs sont opaques. On peut faire une photo du moment mais on ne peut pas faire de prévisions.
L’usage d’Internet comme facteur de fragmentation sociale
33Prenons comme exemple le cas stéphanois et deux quartiers dits sensibles de la ville : un quartier d’habitat central dégradé et pauvre et un quartier d’habitat social des années 1960. Nous avons confié un travail de recherche sur les dynamiques sociales et spatiales des TIC dans ces deux quartiers de Saint-Étienne à une étudiante de Gabriel Dupuy [2].
34Un des résultats parmi les plus importants de la recherche est que la pratique de l’Internet, loin de participer à l’intégration territoriale, semble renforcer la fragmentation de la ville en de multiples communautés qui en font des usages différents. Ces communautés ont des zones de partage, des intersections, mais certaines d’entre elles sont complètement exclues de ces espaces.
35Un indicateur de cette fracture est l’utilisation ou non de la messagerie électronique. Quand on n’utilise pas la messagerie électronique, on est en situation difficile. Évidemment, pour utiliser la messagerie électronique, il faut savoir lire et écrire. L’Internet est un média de l’écrit. Donc, il est clair que tout un ensemble de personnes, notamment issu de l’immigration, ne peut pas y accéder. Il semble bien que le niveau d’éducation et, plus généralement, le « capital culturel », jouent un rôle très important sur la capacité à s’intégrer à ces communautés, voire à un grand nombre de communautés, puisque bien entendu, on peut participer à plusieurs communautés.
36On peut affirmer, me semble-t-il, que l’usage de l’Internet accentue la fragmentation sociale et qu’il n’existe aucune politique publique pour contrer ou inverser cette tendance.
La recherche universitaire au secours de l’usage de l’Internet
37Pour connaître l’usage fait d’Internet, il est nécessaire de procéder à des enquêtes auprès des utilisateurs et de différents organismes comme les bailleurs sociaux du quartier ou les associations. Ce travail de fourmi est obligatoire.
38Les premiers résultats montrent que, dans les quartiers pauvres, il y a un effet de redoublement de la pauvreté. Quand vous êtes pauvre sur un territoire pauvre, les opérateurs privés n’interviennent pas. Vous ne pouvez pas choisir un opérateur et vous payez cher votre abonnement à Internet. À l’inverse, quand vous êtes sur un territoire à potentiel, les opérateurs privés investissent, et, grâce à la concurrence, vous payez moins cher votre abonnement à Internet. Il y a donc des effets cumulatifs de pauvreté.
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41Daniel Kaplan est délégué général de la Fing (Fondation Internet nouvelle génération).
42Mon propos d’aujourd’hui est issu d’un travail venant de s’achever. La Commission européenne a constitué un groupe de travail d’une quarantaine de personnes venues des vingt-cinq États membres pour construire le programme E-Europe. Le programme E-Europe n’est pas une politique européenne mais un outil stratégique de coordination des politiques nationales dans le champ des nouvelles technologies de l’information. C’est un programme incitatif de concertation qui permettra de « benchmarker » et d’évaluer les politiques des pays membres. Dans ce cadre-là, j’ai été chargé d’animer un groupe de travail sur « l’e-inclusion » (terme que la Commission européenne considère comme mieux adapté que « fracture numérique ». On parle d’e-inclusion nationale).
Les revenus et le niveau d’éducation, à la base de la fracture numérique
43En Europe, entre 1997 et 2002, la pénétration de l’Internet a dû être multipliée par trois. Sur un certain nombre de critères, on observe que la fracture numérique, c’est-à-dire l’écart d’équipement entre les extrêmes des populations les mieux équipées et les populations les moins bien équipées, a parfois cru, ce qui est évidemment contre-intuitif.
44Un cabinet de recherche européen a réfléchi à des indicateurs de la société de l’information. Il a proposé quatre critères : le sexe, l’âge, le revenu et le niveau d’éducation. Il devient alors possible de mesurer les écarts, selon ces critères, entre la tranche la mieux équipée de la population et celle la moins équipée. Concernant le critère « sexe », il y a peu d’écart. L’écart se réduit aussi du côté de l’âge entre 25 et 55 ans. Jusqu’à 25 ans et au-delà de 55 ans, il y a d’autres critères qui font que l’on accède ou non à Internet. Cependant, même au-delà de ce segment d’âge, les écarts ont tendance à se réduire. En revanche, là où ils ne se comblent pas, c’est lorsque l’on fait intervenir le critère « revenu » et le critère « niveau d’éducation ». Le critère « niveau d’éducation » reste le plus discriminant.
Une fracture numérique sans spécificités ontologiques bien précises
45Le problème de la fracture devient compliqué à résoudre dans la mesure où l’on essaie de positionner un individu ou un groupe d’individus par rapport à cette fracture. De quel côté se trouve le retraité britannique, nouvel habitant d’une commune rurale isolée, qui a fait ce choix de vie justement pour ne plus être soumis à la tyrannie de la communication ? Est-il du bon ou du mauvais côté de la fracture ? De quel côté se trouve l’agriculteur kenyan qui, grâce à des applications informatiques, peut accéder au marché mondial de l’agriculture et optimiser ses ventes ? Il se trouve qu’aujourd’hui il y a des ordinateurs et des réseaux, pas tellement de fracture numérique qui aurait une spécificité ontologique bien précise et dans laquelle la différence serait radicale entre ceux qui accèdent et ceux qui n’accèdent pas. Le problème est beaucoup plus complexe.
46Alors, on s’est posé la question autrement : quel est le problème quand on n’accède pas à ces technologies ? À partir de quand est-ce un problème ? Par exemple, comment est-ce que je me situe par rapport à la fracture si les nouvelles technologies m’ennuient ? Autre façon de poser le problème : est-ce qu’en tant qu’individu, je suis empêché d’atteindre mes objectifs, quels qu’ils soient, si je n’ai pas accès aux nouvelles technologies ?
47Le problème vient bien de là. Comment articuler d’éventuelles politiques publiques avec ce type de questionnement ? Pour développer une politique publique et investir, il devient nécessaire aujourd’hui d’avoir des histoires édifiantes à raconter. Une politique publique pour l’éducation ou la famille est plus acceptée qu’une politique publique d’accès à Internet pour échanger des photos de famille ou à « tchater » avec les amis. Bien qu’il y ait tout de même une demande sociale pour ce nouveau type de communication, une demande de réseaux sociaux, de petites communications quotidiennes, qui est, certes, fondamentale mais difficile à vendre politiquement.
L’inefficacité de l’intervention publique entraîne un creusement des écarts sociaux
48La fracture numérique, c’est donc « la différence entre ceux qui sont en mesure de participer à cette société fondée sur les nouvelles technologies et ceux qui voudraient y participer mais qui ne le peuvent pas ». Ce n’est donc plus forcément un problème d’accès ou de non-accès à ces nouvelles technologies.
49Il y a systématiquement confusion entre la pénétration moyenne, que l’on a appelée « adoption », et le processus de réduction de la fracture numérique entendu comme processus de réduction des écarts sociaux. Il n’existe pas d’indicateurs de la fracture numérique, mais il existe des indicateurs de « pénétration moyenne ». Si l’objectif de votre politique publique est d’augmenter la pénétration moyenne, la dernière chose à faire est d’aller chercher les populations d’exclus. Il y a dans les revues de politiques européennes de nombreuses études dont les conclusions évoquent l’absence de corrélation entre le fait de mener une politique publique en faveur de l’accès à Internet et l’accès effectif des individus. Seules les politiques publiques de déploiement de réseaux techniques ont un impact sur l’accessibilité des groupes d’individus à Internet. En tant que « marketeur » d’un opérateur télécom, vous allez connecter les territoires où les populations en difficulté sont les moins nombreuses afin de réduire les risques économiques.
Les NTIC : des potentialités sociales à développer
50Si vous considérez que la définition de l’inclusion est robuste, vous avez alors des alternatives possibles aux modèles dont la norme est d’être équipé d’un ordinateur et d’une connexion. Par exemple, prévoir dans les politiques sociales d’équiper les professionnels de terrain plutôt que chaque individu ou ménage. Si vous avez à faire avec un professionnel dont le métier est d’aller visiter des SDF et que ce professionnel est capable de conduire les transactions pour leur faciliter l’obtention des papiers administratifs dont ils ont besoin, ou d’engager une demande pour une aide spécifique, ou de pointer pour eux à l’ANPE, ou que sais-je, vous allez changer considérablement leur situation grâce aux nouvelles technologies sans pour autant les avoir conduits dans l’espace public numérique le plus proche. Il y a donc de réelles potentialités dans le champ social.
Notes
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[1]
www.degrouptest.com est une page Internet permettant à chaque titulaire d’une ligne téléphonique de tester son accessibilité aux offres Internet sur le marché.
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[2]
Gouyou-Beauchamps M., 2006, Faciliter l’accès Internet pour les résidents des logements sociaux ?, Mémoire de Master 2 recherche en Urbanisme et Aménagement, sous la direction de G. Dupuy, Université Paris 1, Juin, 59p.
Ce mémoire est consultable à l’adresse suivante :
http://www.amenagement-numerique.net/article.php3?id_article=104