Flux 2005/2 n° 60-61

Couverture de FLUX_060

Article de revue

Le renouvellement des infrastructures des services d'eau et d'assainissement : pratique et problématique

Pages 83 à 95

Notes

  • [1]
    Fauquert@engref.fr L’auteur remercie particulièrement Laetitia Guérin-Schneider, Christelle Pezon et Serge Garcia du laboratoire GEA de l’ENGREF pour leurs commentaires lors de la rédaction de cet article.
  • [2]
    Pour plus de précisions, [9] S. Garcia, 2001, Thèse de doctorat : Analyse économique des coûts d’alimentation en eau potable, Université des Sciences Sociales de Toulouse LEERNA
  • [3]
    Source : [12] Études et travaux n° 40, IFEN, SCEES et A. d. l’eau, La gestion de l’eau potable en France métropolitaine en 1998, 2003
  • [4]
    FNDAE : Fonds National pour le Développement des Adductions d’Eau, créé dans l’objectif d’une péréquation entre les services urbains et ruraux.
  • [5]
    La section d’exploitation est la nouvelle dénomination de l’instruction M49 pour ce que désignait, en comptabilité publique, la section de fonctionnement. Cette section regroupe les comptes de classes 6 et 7 (resp. charges et produits). La section d’investissement, quant à elle, concerne les comptes de classes 1 et 2 (comptes de capitaux et d’immobilisations) et plus accessoirement les comptes 39, 481, 49 et 59. Voir [11] L. Guérin-Schneider, V. Royère et G. Prévost, 2001, Principes d’analyse financière des services d’eau et d’assainissement (M49), ENGREF.
  • [6]
    Cet alignement de la dotation à l’amortissement sur les remboursements de la dette est autorisé dans la mesure où la durée d’amortissement (i.e. la durée de vie prévue de l’infrastructure) n’est pas calée sur la durée d’extinction de la dette : le terme de l’emprunt ne peut pas conditionner la durée de vie de l’infrastructure, cette dernière doit être déterminée indépendamment. Les recettes d’amortissement technique sont en effet prévues pour le financement des dépenses relatives à l’infrastructure concernée.
  • [7]
    DDAF : Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt
  • [8]
    Service Public 2000 : association de conseil aux collectivités
  • [9]
    SPDE : Syndicat Professionnel des entreprises de services d’eau et d’assainissement
  • [10]
    Considérons une décision rationnelle du délégataire, en prenant la part du solde positif résiduel lui revenant de x% en fin de contrat. Si la réalisation de travaux mène à un bénéfice (gains de productivité, sur l’entretien, etc. inclus) de moins de x%, il n’effectuera pas ces travaux car il est plus intéressant de conserver le montant équivalent restant au solde du compte. Il n’effectuera donc pas le renouvellement de faible « rendement ».
  • [11]
    II est théoriquement censé tenir compte de l’effet de cliquet (ratchet effect) [14] J.-J. Laffont et J. Tirole, 1994, A theory of incentives in procurement and regulation, Cambridge : MIT Press
  • [12]
    [4] Projet de loi de finances pour 2004 - Tome III - Les moyens des services et les dispositions spéciales. Deuxième partie de la loi de finances, art. 70, 2003
  • [13]
    [5] FNDAE, O. Alexandre, Le financement du renouvellement des réseaux d’adduction d’eau potable, 1993 :
    Figure 3
    où r est le taux d’érosion monétaire par unité de temps et S le montant net actualisé d’économie possible si la collectivité contracte un emprunt immédiatement pour le reste du montant nécessaire, par rapport à un emprunt du total du capital nécessaire.
  • [14]
    [2] Cour des Comptes, Décembre 2003, La gestion des services publics d’eau et d’assainissement, 2003

Introduction

1L’état des réseaux des services publics d’eau potable pose problème : les pertes d’eau (constituées essentiellement de fuites) représentent en moyenne 25% de la production, et peuvent aller jusqu’à 50% [2]. Le renouvellement des infrastructures des services d’eau et d’assainissement est un enjeu de préservation de la ressource en eau, autant que d’économie sur les coûts d’exploitation, mais, avant tout, il représente des investissements de montant élevé, et l’échéance de ces remplacements approche. Le renouvellement est un impératif pour assurer la continuité, ainsi que la qualité du service. Pour les collectivités responsables du service public, ce problème est de taille. C’est à elles de décider du mode de financement de ces remplacements, et il existe plusieurs manières de lisser cette charge ponctuelle. Même si les infrastructures sont amorties au fil de leur vie afin de reconstituer leur valeur, il est souvent nécessaire de recourir à l’emprunt. L’insertion de clauses de renouvellement au contrat d’affermage peut aussi être une solution d’étalement de la dépense ponctuelle.

2La comptabilité publique ainsi que les contrats de délégation en affermage prévoient un cadre réglementaire de gestion et de financement du renouvellement, qui présente quelques inadaptations, comme nous le verrons. L’endettement est une solution qui semble inévitable, avec les règles de gestion actuelles, en maîtrise d’ouvrage publique. Nous analyserons aussi l’intérêt de la décharge de la responsabilité de la collectivité sur le fermier sur ce point précis, selon les types de clauses de renouvellement envisagées dans les contrats de délégation. En affermage, une garantie de renouvellement forfaitaire reste une solution acceptable, mais la collectivité se doit d’être très attentive à son périmètre d’application et à son montant. Pour des infrastructures de montant élevé, il est préférable d’employer un système de programmation. La suite de l’article est organisée de la façon suivante. La section 2 définit le cadre général du renouvellement et les enjeux. Nous décrivons dans la section 3 les différentes manières de financer le renouvellement. La section 4 apporte un éclairage sur la gestion du renouvellement en France et décrit un modèle simple sur la décision de renouvellement. Enfin, la section 5 conclut ce travail en mettant en évidence quelques perspectives d’évolution dans la gestion du renouvellement.

Définitions et situation

Définitions : obsolescence, usure et renouvellement

3Une infrastructure, quelle qu’elle soit, s’use au fil du temps. Cette usure est définie comme la conjonction de la diminution de la productivité de l’infrastructure, de l’abaissement de la qualité des biens produits grâce à l’équipement considéré, et de l’augmentation des coûts d’entretien et de réparation nécessaires au maintien en état. Cette notion se distingue de l’obsolescence, dont la source n’est pas un vieillissement dû à l’utilisation mais le progrès technique ou l’évolution des normes.

4Le renouvellement est un investissement de remplacement d’une infrastructure existante à l’identique ou à fonction identique. Ainsi, aucun accroissement qualitatif ni quantitatif n’est à attendre d’un renouvellement à proprement parler. Il se distingue de la réparation ou de l’entretien presque arbitrairement, selon la définition de l’unité de renouvellement : on peut considérer que le remplacement de moins d’une unité sera considéré comme une réparation. Il peut être décidé, en pratique, selon une politique curative, il fera alors suite à une avarie, ou selon des critères patrimoniaux (âge de l’infrastructure), économiques (coûts actualisés de renouvellement vs. ceux de maintien en état) ou conjoncturels (opportunité d’une réfection de voirie).

5Un investissement correspond à l’entrée d’un nouvel élément dans le patrimoine. Cette infrastructure sera utilisée sur plusieurs exercices. La valeur de cet élément va diminuer au cours du temps : l’actif va se dévaluer, se déprécier du fait de son utilisation et de son usure. L’élément étant acheté en une seule fois, des systèmes comptables existent afin de lisser cette dépense sur la durée de son utilisation.

Enjeux du renouvellement

6Dans le domaine de l’eau potable tout autant qu’en assainissement des eaux usées, la gestion du renouvellement des infrastructures constituant le patrimoine collectif devient un enjeu majeur. La cour des comptes ([2], 2003) cite une estimation de la valeur du patrimoine d’eau et d’assainissement de 200 Md€.

7En effet, l’établissement des infrastructures d’adduction et de traitement d’eau potable, dont la longueur a été évaluée à 751 000 km linéaires [3], s’est effectuée progressivement à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, en profitant de la création du FNDAE [4] en 1954 et des agences de l’eau en 1967. Ces équipements arriveront bientôt, si ce n’est déjà fait, en limite de vétusté (Tableau 1). Les réseaux de collecte et les stations d’épuration des eaux usées ont été créés successivement aux infrastructures d’eau potable (Tableau 2), faisant évoluer le taux de collecte de 20% en 1950 à 81% de la population en 1995. Il devient aussi nécessaire de renouveler certaines infrastructures dans ce domaine. Ce problème est d’autant plus prégnant que les montants à investir sont importants (Tableau 3), et que les temps de retour sur investissement sont relativement longs. Par exemple, les stations d’assainissement nécessitent, au niveau national, un investissement moyen annuel de renouvellement avoisinant les 600 millions d’euros, d’ici 2028, selon certaines hypothèses ([7], Berland et Juery, 2001). De plus, la gestion du renouvellement est très variable sur le territoire, et, devant les montants à investir, son financement se doit d’être prévu de manière appropriée.

Tableau 1

Estimation des valeurs à neuf et de l’investissement de renouvellement annuel ([7], Berland et Juery, 2001)

Valeurs à neuf (G€)Investissement moyen annuel (G€)
Stations d’épuration12,60,62
Réseaux d’eaux usées64,50,8
Usines de production d’eau27,9nd
Réseaux d’eau potable792
Adapté de: OIEau, «Inventaire et scénario de renouvellement des infrastruc-tures des services publics d’eau et d’assainissement».

Estimation des valeurs à neuf et de l’investissement de renouvellement annuel ([7], Berland et Juery, 2001)

Tableau 2

Évolution du patrimoine de traitement des eaux usées

Année de mise en serviceNombre de stations d’épuration
Ne sait pas256
Avant 1970958
Entre 1970 et 19741756
Entre 1975 et 19792546
Entre 1980 et 19842468
Entre 1985 et 19892350
Entre 1990 et 19942995
Entre 1995 et 19981585
Total14914

Évolution du patrimoine de traitement des eaux usées

Source: Ifen, Scees, Agences de l’eau
Tableau 3

Estimation des échéances de renouvellement du réseau d’eau potable

PériodeMontant annuel en G?
Avant 20151,5 à 2
2015 - 20252 à 2,5
2025 - 20401
2040 - 20502,5

Estimation des échéances de renouvellement du réseau d’eau potable

Source: OIEau

Le financement du renouvellement

8La collectivité est responsable du service, même lorsque ce dernier est délégué à une entreprise privée. En conséquence, c’est à elle de prévoir le renouvellement et son financement, au travers de procédures comptables ou éventuellement de clauses contractuelles en cas de délégation.

9L’investissement de renouvellement n’est pas subventionné. Il se distingue par cela de l’investissement initial, de création ou d’extension des infrastructures. En effet, seul l’investissement de premier établissement est éligible à une très forte aide de l’État, des collectivités territoriales et des Agences de l’Eau. Le remplacement « incrémental », permettant une augmentation en qualité ou en quantité, devra distinguer la part de renforcement, d’amélioration ou d’extension de la part du renouvellement stricto sensu, c’est à dire à fonction identique. Cependant, le renouvellement peut parfois être en partie ou complètement financé par subvention, lorsque la collectivité justifie cet investissement par des nécessités d’extension et de renforcement du patrimoine.

La comptabilité publique appliquée au financement du renouvellement

10La comptabilité des SPIC (Services Publics à caractère Industriel et Commercial) est régie par la norme comptable M49. Les comptes publics présentent deux sections, investissement et exploitation [5], et la norme comptable permet de transférer un excédent de la section d’exploitation à la section d’investissement, c’est à dire l’autofinancement. Cet autofinancement, complété par le capital emprunté à des organismes bancaires, constitue les recettes de la section d’investissement. Les dépenses qui y sont reportées sont ventilées principalement entre les investissements, les annuités de la dette et diverses réserves. Les collectivités sont contraintes par la législation en vigueur de voter un budget de leur service d’eau équilibré : le vote en excédent de la section d’investissement n’est pas permis actuellement. À ce sujet, le projet de loi sur l’eau de 2005 prévoit de rendre cette règle plus flexible, suite aux recommandations de la cour des comptes.

L’amortissement (ou amortissement technique)

11L’amortissement correspond à l’étalement, linéaire ou non, de la valeur de l’infrastructure sur sa durée de vie prévue, permettant ainsi de prendre en compte la dévaluation du capital physique due à l’usure. Cette usure est compensée par la création de valeur par l’équipement, dans un processus productif, et, de ce fait, l’infrastructure ne peut être amortie que si elle est utilisée dans le cadre de l’exploitation du service.

12Cet amortissement contribue à titre principal à l’autofinancement de la collectivité, et la procédure comptable d’autofinancement liée à l’amortissement est appelée « amortissement budgétaire ». La réduction de la productivité de l’infrastructure est considérée comme une dépense d’exploitation et comme une recette d’investissement ([3], 2003). Ce montant, comme le reste de l’autofinancement, n’est pas alloué à l’infrastructure qui lui correspond, ni au renouvellement en général, et peut par exemple permettre de financer tout ou partie des investissements de premier établissement.

L’autofinancement complémentaire

13Afin de pourvoir à un besoin de financement de la section d’investissement, les comptes publics peuvent faire apparaître en section d’exploitation une ligne appelée « autofinancement complémentaire de la section d’investissement » (ou parfois « provision »), permettant de couvrir un investissement par un excédent prévisionnel de la section d’exploitation. Cette ligne correspond à une partie des « réserves facultatives » de la section d’investissement. Ce mécanisme présente l’inconvénient majeur d’impliquer une augmentation des dépenses d’exploitation, et donc, dans le cas de l’eau et de l’assainissement, une augmentation de la recette du service public au travers de la « part collectivité ».

L’emprunt

14L’emprunt est une solution chère (selon les taux d’intérêt et celui d’inflation), mais face à un besoin de capitaux pour le renouvellement, il ne reste parfois que cette solution pour éviter de faire augmenter considérablement le prix de l’eau dans l’immédiat. Les frais financiers associés à l’endettement figurent à la section d’exploitation.

15Afin d’équilibrer la section d’investissement, il est préconisé que les remboursements de la dette conditionnent le montant annuel de l’autofinancement par amortissement ([16], Werey, 2001), de telle manière que l’amortissement ne soit pas linéaire mais compense dans un premier temps ces remboursements du capital emprunté [6]. Le montant total des transferts de la section d’exploitation à la section d’investissement (amortissement budgétaire) sur la durée d’amortissement, doit dans tous les cas égaler la valeur historique de l’investissement.

16Si le remboursement de l’emprunt est réalisé par l’usager actuel, et que l’amortissement ne finance pas cet endettement, alors cet usager contribuerait à la fois au financement de l’investissement initial par emprunt et à la reconstitution de la valeur à neuf historique de l’infrastructure sur sa durée de vie pour le renouvellement suivant. Il financerait alors à la fois l’infrastructure construite dans le passé et celle qui sera amenée à remplacer celle-ci.

17L’endettement empêche ainsi la reconstitution totale de la valeur à neuf par l’amortissement technique, et implique un autre recours à la dette (sauf financement externe) pour le renouvellement futur. L’emprunt implique donc de passer d’une vision prospective du renouvellement (amortissement) à une approche rétrospective.

Le renouvellement en affermage

18Plusieurs modes de délégation des services publics sont possibles. L’affermage est le plus fréquent, il consiste en une délégation de l’exploitation pour une durée fixe, en contrepartie de laquelle le délégataire a l’autorisation de prélever les contributions des usagers. Les objectifs de la prestation sont définis dans le contrat initial, qui laisse le choix au délégataire des moyens à employer. Ces objectifs peuvent être définis de manière plus ou moins précise selon le contrat utilisé, en allant de la simple obligation de service public, comprenant la continuité, l’égalité des usagers devant le service et une obligation de pression minimale, jusqu’à, dans quelques cas récents, une obligation de résultats et une application de pénalités, sur la base d’indicateurs de performance ([10], Guérin-Schneider, 2001).

19La gérance est un type de délégation où le délégataire est rémunéré forfaitairement pour l’exploitation du service, et où il n’a aucune charge d’investissement, il n’a donc pas la charge du renouvellement et c’est à la collectivité de s’en occuper pleinement. La concession est un mode de délégation de longue durée où le délégataire investit fortement dans le service en début de contrat, et assure la rentabilité de son investissement au fil du contrat. Les infrastructures gérées sont donc uniquement à la charge du délégataire, et ce type de contrat porte sur un service dont le patrimoine est récent, puisque le délégataire y investit au début de l’exécution du contrat. La question du renouvellement est importante dans ce cas, devant la longue durée des contrats nécessaire au retour sur investissement du concessionnaire, mais cette problématique peut être traitée de manière similaire à l’affermage. En outre, ce type de contrat est devenu largement minoritaire, en cédant la place aux affermages. D’autres formes de délégation peuvent encore exister, mais elles restent marginales. Par conséquent, nous ne considérerons le problème du renouvellement en délégation que dans le cadre des contrats d’affermage.

20En affermage, la collectivité peut donc confier une partie, voire la totalité du renouvellement de son patrimoine à son délégataire, au travers du contrat, se libérant ainsi d’une contrainte et évitant au maire de présenter une hausse de la part collectivité à ses administrés. Plusieurs modalités contractuelles sont alors utilisées, dans la pratique, pour formaliser cette délégation. Le patrimoine peut faire l’objet de différentes clauses de renouvellement, qui s’appliquent alors simultanément sur des parties différentes du patrimoine. Le contrat-type de l’AMF ([6], AMF, 2001) a proposé une première partition du patrimoine afin de mieux gérer le renouvellement. Celle-ci se compose des infrastructures éligibles à un renouvellement fonctionnel (la cause du renouvellement ne peut être un manquement de l’infrastructure à sa fonction, au libre arbitre du délégataire) d’une part, et d’autre part de celles dont le renouvellement répond à un critère patrimonial (programmation). Cette typologie des infrastructures a ensuite été perfectionnée par les cahiers des charges successifs du type DDAF [7] ou Service Public 2000 [8].

Les provisions de renouvellement

21Au début des années 1990, le provisionnement était conçu comme un outil de gestion préventive du renouvellement. Dans ce cadre, le délégataire est autorisé à constituer une provision de montant total limité, fonction du montant de l’investissement à réaliser et de l’ancienneté de l’infrastructure (valeur à neuf moins valeur amortie sur la durée de fonctionnement (en début de contrat) de l’infrastructure). Ces provisions sont utilisées pour des infrastructures dont le renouvellement est effectif au cours du contrat. Elles impliquent des dispositions fiscales. Les grands groupes délégataires ont par la suite, à l’occasion de la loi « Mazeaud » du 8 février 1995, introduit unilatéralement la notion de garantie de renouvellement.

La garantie de renouvellement

22Le renouvellement est défini par le SPDE [9] ([15], SPDE, 1996) comme conséquence de l’impossibilité de maintenir le potentiel productif des installations considérées. La garantie de renouvellement peut aussi correspondre, de manière similaire aux provisions de renouvellement, au lissage sur la durée du contrat d’une prévision précise, non contractuelle et implicite, des infrastructures à renouveler au cours du contrat. Le délégataire propose ainsi un « forfait » permettant la prise en charge de tous les renouvellements qui pourront s’avérer nécessaires au cours du contrat, sur la partie de patrimoine couverte par la garantie de renouvellement. Cette manière forfaitaire de présenter le renouvellement réduit la visibilité de la collectivité sur les prévisions d’interventions et les coûts du délégataire. En effet, dans la pratique, la prévision du délégataire n’est pas présentée à la collectivité, car elle n’a rien d’un engagement à renouveler les infrastructures prévues au cours du contrat. Cette garantie peut être utilisée dès lors que le service est trop complexe pour essayer de prévoir le renouvellement des infrastructures une à une, et est adaptée à de petits équipements de courte durée de vie, comme le matériel tournant. Le contrôle de l’utilisation de ces dotations au renouvellement étant impossible au travers des documents rendus pas les délégataires, elle doit se limiter au minimum, c’est à dire aux équipements de renouvellement régulier, et dont l’inventaire serait trop fastidieux du fait de leur nombre. Les dotations pour le remplacement des autres équipements sont sujettes à préemption par le délégataire (voir « L’intérêt du recours au fermier pour le renouvellement »).

23Le SPDE en a toutefois proposé une autre lecture, consistant en une approche assurancielle du renouvellement et correspondant ainsi à une politique plus curative que préventive, puisque le remplacement est alors associé à un aléa. D’après le rapport de la cour des comptes ([2], 2003), les juridictions financières ont insisté sur le fait que les sommes à consacrer au renouvellement ne pouvaient pas être assimilées à des primes d’assurance, et soulignent que le renouvellement doit faire l’objet d’un plan fixant le montant et les échéances de remplacement des biens, ce qui nécessiterait un inventaire contradictoire détaillé et systématique du patrimoine, de la part de la collectivité. Ces montants devraient en effet être vus comme une prévision des besoins du service.

24L’approche assurantielle peut aussi être biaisée par la possibilité de présenter le risque comme portant sur le montant du renouvellement, alors que finalement, seule l’échéance du renouvellement est aléatoire. Ainsi, le risque qui pèse sur le fermier et celui que subit la collectivité sont de nature très différente, du fait de l’échéance de la fin de contrat. Il est beaucoup plus faible pour la collectivité, qui va gérer le patrimoine à long terme : le montant est relativement prévisible, mais la date de renouvellement est incertaine. Pour le délégataire, qui peut ne pas renouveler certaines infrastructures au cours du contrat, le risque porte alors plus sur l’éventualité et donc sur le montant même du renouvellement. Ainsi, le montant de la garantie qu’il présente peut correspondre à sa prime d’assurance contre ce risque, et c’est alors sur la collectivité qu’il la reporte bien qu’elle ne soit pas sujette aux mêmes aléas.

Le programme de renouvellement

25En plus des clauses d’obligation de résultat, le délégataire peut être soumis à des clauses contractuelles d’obligation de moyens. La question est alors posée de savoir si ce n’est pas contradictoire avec le fait que l’exploitation est aux risques et périls et avec son revers, la liberté d’organisation et d’action du délégataire.

26L’établissement d’un programme de renouvellement répond à la demande de transparence des collectivités. La prévision de renouvellement, comprenant l’inventaire des infrastructures concernées et leur date maximale de renouvellement, devient contractuelle et génératrice de pénalités financières en cas de non-exécution. Une telle clause diminue la marge de manœuvre du délégataire, principalement à propos du renouvellement et de sa relation avec l’entretien, mais augmente l’implication de la collectivité dans la décision du renouvellement.

27Cette clause coercitive est nécessaire dans le cas d’un montant de renouvellement élevé, ou, de manière équivalente, d’un contrat court. Puisque l’échéance du contrat est fixe, le délégataire ne voudra pas spontanément faire face à de gros investissements, peu rentables sur une courte période, et préférera conserver une infrastructure âgée, donc généralement coûteuse à entretenir et à faire fonctionner. En effet, l’éventualité d’un renouvellement n’est pas envisagée de la même manière lorsque le service est géré avec une échéance fixe (la fin du contrat) ou lorsqu’il est géré sur une période d’une durée indéterminée (comme en gestion directe). Pour ces infrastructures que la collectivité aimerait voir renouvelées, il est nécessaire, soit d’obliger le délégataire à effectuer le renouvellement à une certaine échéance au travers d’un programme de renouvellement, soit que la collectivité garde en propre la responsabilité et la maîtrise d’ouvrage du renouvellement des infrastructures.

Le compte de renouvellement

28Le compte de renouvellement (parfois appelé « compte de travaux ») est un système contractuel de financement du renouvellement (et éventuellement des travaux concessifs), obligeant le délégataire à établir dans sa comptabilité un compte spécifique, visible par la collectivité, dédié au renouvellement. Au crédit de ce compte sont imputés d’éventuelles dotations de la collectivité, les intérêts éventuels de ce compte et une partie des contributions des usagers. Ce compte peut être rémunéré, contrairement au cas où la collectivité thésauriserait le montant des provisions (voir « Problématiques de gestion de renouvellement »).

29L’idée de ce compte est d’une part d’éviter l’opacité du système de garantie de renouvellement, qui ne permet pas de savoir quels travaux ont été effectués à quel montant, et d’autre part, d’éviter l’insertion d’une obligation de moyens, parfois peu appréciée par les délégataires, en les incitant à effectuer le renouvellement jugé nécessaire par la collectivité. L’efficacité de ce compte est relative à la répartition du solde du compte entre collectivité et fermier, en fin de phase d’exécution du contrat. La question de l’incitation à la baisse des coûts de renouvellement y est aussi liée. En effet, le prix du renouvellement annoncé par le délégataire n’est pas forcément le meilleur du marché, les règles concurrentielles n’étant pas aussi strictes en gestion déléguée que pour les passations de marchés publics. Le délégataire peut définir précisément à quelle entreprise il désire sous-traiter.

30Lorsque ce compte ne correspond pas à un programme de renouvellement (la décision du renouvellement revient au délégataire, ce compte est alors un consensus entre garantie de renouvellement et programme de renouvellement), l’incitation du délégataire à effectuer les travaux décidés par la collectivité repose sur un système de type « cost plus » (coûts remboursés), suivi par la collectivité, permettant au délégataire d’obtenir une rente à chaque chantier réalisé, cette rente n’existant évidemment pas s’il n’effectue pas de travaux. Dans ce cas, il est de mise que le solde en fin de contrat du compte, s’il est positif, soit au bénéfice de la collectivité. Le délégataire est alors incité à effectuer le maximum de travaux de renouvellement, selon une hiérarchie qui lui appartient, dans la limite du montant provisionné sur le compte. L’estimation initiale de ce montant par la collectivité est déterminant, puisque s’il n’est pas suffisant, le délégataire n’effectuera pas les travaux que la collectivité aimerait voir réalisés. S’il est trop élevé, le délégataire renouvellera des infrastructures qu’il n’est pas encore nécessaire de renouveler, mais qui augmenteront sa productivité. La responsabilité du délégataire en cas de déficit du compte est nécessaire à une limite au renouvellement et au prix de ce dernier.

31Il n’est, en principe, pas dans l’intérêt du délégataire de présenter des coûts de travaux surévalués : les travaux de renouvellement devraient générer une réduction des coûts d’exploitation, il est donc dans son intérêt de maximiser ces réalisations dans la limite du crédit du compte.

32Si le solde final positif est réparti entre collectivité et délégataire, le délégataire prendra la décision rationnelle d’un renouvellement minimal [10], et n’effectuera que les travaux qu’il estime les plus rentables.

33Lorsqu’il est associé à un programme de renouvellement, la seule marge de manœuvre du délégataire concerne le montant des travaux, l’opportunité des travaux étant décidée par la collectivité.

34Dans ce cas, si le solde en fin de contrat est à la charge et à la responsabilité du fermier, les travaux se feront au moindre prix, et la collectivité aura une vision plus claire des coûts liés aux travaux de renouvellement effectués. Le fermier a tout de même intérêt à garder une marge concernant l’information sur ses coûts [11]. On a ici une démarche de type « price cap » (prix plafond). L’incitation à la révélation des coûts est alors le principal intérêt de ce compte, outre le placement des fonds, par rapport au programme de renouvellement seul.

35Si la collectivité conserve le solde résiduel, cela joue en faveur d’un prix total des travaux approchant ou dépassant le montant total crédité au compte. C’est ce que prévoit le projet de loi sur l’eau du 9 Mars 2005, en complément d’une obligation d’annexer un plan prévisionnel de travaux au contrat de délégation pour les travaux à caractère patrimonial.

Problématiques de gestion du renouvellement

36La gestion du renouvellement est liée au fonctionnement comptable des collectivités. Celles-ci peuvent parfois avoir des pratiques inadaptées à cette gestion : la reprise de subventions par exemple, mécanisme similaire à l’amortissement (mais en crédit), peut permettre d’atténuer la charge financière de l’amortissement en répartissant une partie des subventions en crédit, sur une période d’amortissement. L’amortissement est impliqué par le caractère renouvelable du matériel considéré. De même, la reprise de subventions suppose que les subventions ont un caractère renouvelable, ce qui n’est pas le cas. La collectivité a beaucoup de paramètres à ajuster, comme la durée de vie des infrastructures, et ces paramètres sont déterminants.

37Certaines règles comptables conduisent à une inefficacité du SPIC, comme par exemple l’obligation de dépôt des fonds des organismes publics au trésor.

La règle de non-placement des fonds publics

38Lorsque la collectivité pratique un autofinancement, cette somme d’argent est thésaurisée par la collectivité, si aucun projet d’investissement n’est à réaliser. Ce n’est pas le rôle de la collectivité que de conserver les contributions des usagers. De plus, cette masse financière est sujette à érosion monétaire ; l’article 43 du décret n°1587 du 29/12/1962 stipule que « les fonds des organismes publics autres que l’État sont déposés au trésor […]», ce qui interdit aux collectivités de placer les fonds provisionnés (Cette règle peut avoir quelques dérogations, pour les produits correspondant à un excédent définitif non susceptible d’être utilisé autrement, à des fins de réduction de charges pour les administrés. Les régies directes peuvent aussi placer les excédents budgétaires en rentes ou valeurs autorisées).

39Le projet de loi de finances publiques pour 2004 [12], pour ce qui est des moyens des services, prévoyait une dérogation à cette obligation de dépôt au trésor public pour les régies chargées de la gestion d’un SPIC. Les régies disposant de la personnalité morale pourraient ainsi placer leurs fonds disponibles sur un compte bancaire sur autorisation du trésorier-payeur général. Le problème resterait entier pour les collectivités dont le service est délégué.

40Ainsi, pour l’instant, la collectivité n’a pas intérêt à conserver plus d’un certain temps les provisions pour renouvellement, au-delà duquel la valeur perdue par l’argent thésaurisé dépasse le coût d’opportunité de ces fonds (manque à gagner par rapport à tout autre choix, par exemple l’utilisation de cette masse monétaire immédiatement). Cette période est définie comme celle qui égalise la valeur cumulée de l’érosion monétaire et l’économie virtuelle réalisable par l’utilisation de cette somme pour un investissement immédiat [13].

41Un regroupement intercommunal est bénéfique, en ce sens qu’il permet un provisionnement plus large, permettant de disposer plus rapidement des fonds et augmentant ainsi la flexibilité des financements à l’échelle communale. La durée de thésaurisation des crédits dédiés au renouvellement s’en trouve diminuée, mais le montant total des sommes thésaurisées est supérieur. En situation périurbaine, comme dans le cas de Chambéry (73), l’intégration de petites communes dans un syndicat urbain peut permettre un financement plus souple du renouvellement de leurs infrastructures.

L’endettement

42L’endettement ou le recours au fermier pour le financement du renouvellement semble inévitable, dans la mesure où l’investissement de renouvellement est très fréquemment supérieur à la valeur historique à neuf de l’infrastructure, que l’amortissement permet de reconstituer. La règle de non-placement des fonds publics interdit toute valorisation de ce capital, et, si la collectivité n’a pas effectué d’autofinancement complémentaire, ou si l’amortissement de l’ensemble des infrastructures du service d’eau n’a pas été prévu de manière suffisante, la somme résiduelle manquante sera à emprunter. De plus, l’autofinancement complémentaire peut être limité par les collectivités, qui évitent de faire augmenter la « part collectivité » pour des raisons d’ordre électoral ou politique.

43La cour des comptes souligne à cet égard, à propos des collectivités gérant leur service en régie, que « la culture de gestion des collectivités privilégiant le coût historique, ainsi que les règles de gestion obligeant à fixer le montant de la dotation aux amortissements par simple rapport de la dépense initiale à la durée de vie du bien créé sans possibilité de revalorisation annuelle, le financement du remplacement est impossible sans un recours à l’emprunt ».

44Le projet de loi sur l’eau « Voynet », en 2001, les premières dispositions pour une réforme de la politique de l’eau parues en février 2004, ainsi que le récent projet de loi sur l’eau proposent l’autorisation du vote en excédent de la section d’investissement du budget des services d’eau et d’assainissement, permettant ainsi une vision prospective globale (non allouée) et une planification pluriannuelle souple des travaux neufs et de renouvellement. La cour des comptes a relevé que « certaines collectivités […] votent pourtant, en contradiction avec les règles imposées aux régies, le budget de leur service en suréquilibre, afin de constituer des réserves pour financer les travaux importants à venir en matière de [renouvellement et de travaux neufs] ».

45À partir du moment où l’endettement est utilisé pour financer le renouvellement, il est très difficile de revenir à une situation où l’amortissement (et éventuellement un peu d’autofinancement complémentaire) suffit à financer le renouvellement. En effet, ceci ne peut pas se faire sans que l’usager qui paye déjà en partie l’infrastructure établie dans le passé (endettement) ne paye une deuxième fois cette partie, mais pour l’infrastructure à venir. La question se pose donc de savoir si la comptabilité publique actuelle ne favorise pas un endettement des communes.

L’intérêt du recours au fermier pour le renouvellement

46Quel que soit le mode de contractualisation du renouvellement retenu par la collectivité, cette dernière doit avoir une connaissance fine de l’état de son patrimoine. En effet, en programmation du renouvellement, c’est elle qui définira les investissements à réaliser ainsi que leurs échéances. En compte de renouvellement, elle doit savoir approximativement quels investissements sont nécessaires, ainsi que leur prix, afin d’estimer au mieux les crédits à placer sur le compte. En garantie de renouvellement, le mode qui laisse théoriquement à la collectivité le moins de décisions à prendre relativement au patrimoine, elle doit aussi savoir quelle partie des infrastructures est renouvelable spontanément par le fermier, et quelle partie doit être renouvelée, mais pour laquelle il faudra contraindre le fermier ou l’assurer en propre. De plus, lors de la négociation, le prix négocié avec le fermier sera d’autant plus juste que cette garantie sera adaptée aux besoins du patrimoine, il faut donc là aussi que l’autorité locale ait une vision précise des actifs de son service.

47De plus, du point de vue de la collectivité, le montant à provisionner annuellement pour le renouvellement doit être approximativement le même en gestion directe (amortissement) ou en gestion déléguée du patrimoine (garantie de renouvellement), mais il existe des risques de capture de ce montant par le fermier. C’est le cas de certains comptes de renouvellement, et, en garantie de renouvellement, rien n’oblige le délégataire à utiliser les fonds prévus à cet effet, ni à restituer les fonds non dépensés en fin de contrat.

48Une illustration de ce piège des provisions de renouvellement est l’exemple de la communauté urbaine de Lyon [14], dont les usagers ont versé un montant total sur 9 ans légèrement inférieur à 88M€, dont moins de la moitié a été employée. La Compagnie des Eaux de Paris [14] a reçu un montant total des dotations pour renouvellement supérieures en moyenne d’environ 4M€ au montant des travaux accomplis, sur les années 1996 à 1998, cet écart étant déjà positif depuis 1984. L’inventaire des biens couverts par la garantie de renouvellement ne doit prendre en compte que ceux qui n’ont pas encore dépassé leur durée de vie théorique. Certains cas pratiques ont révélé que le délégataire recevait une dotation pour le remplacement d’infrastructures qui auraient théoriquement dû être renouvelées précédemment, à l’instar de la ville d’Albi (81) [14] : le délégataire recevait une dotation pour le remplacement d’installations dont la date de fin de vie théorique était dépassée. Cette dotation, cumulée, s’élevait à 1,02M€, dont une petite partie a été utilisée à des fins de renouvellement.

49Le montant conservé devrait pour certains délégataires être nul en fin de contrats, et seuls les produits financiers de cette trésorerie lui resteraient acquis ; pour d’autres, cette différence devrait être la rémunération de la bonne gestion du service sur la durée du contrat. Ainsi, l’interprétation de la garantie de renouvellement n’est pas univoque parmi les délégataires, et ce système diffère nettement de celui de « provisions de renouvellement ».

50Pour mémoire, les garanties de renouvellement ont d’ailleurs fait l’objet d’un montage financier au sein du groupe de la Générale des Eaux (Vivendi) en 1997 : en lieu et place des provisions pour renouvellement, la société a mis en pratique la garantie de renouvellement. Elle ne constituait donc, dès lors, plus de provision, mais s’est acquittée d’une prime d’assurance auprès d’une société, elle-même réassurée auprès d’une captive de Vivendi ([1], 2000). Ce mécanisme a permis de dégager 2,9 Md€ en 1996, permettant ainsi de donner du souffle au groupe, dont le résultat net était alors en perte. Les flux de trésorerie générés par l’activité « eau » des grands groupes est à la source de leur capacité de financement et de leur stabilité. Cette activité peu risquée en France et contrainte ex ante à l’équilibre, permet de générer des recettes financières importantes et des financements d’autres activités du groupe.

51L’amortissement et l’autofinancement complémentaire sont des mécanismes permettant une reconstitution du capital nécessaire eu renouvellement. La gestion du patrimoine, dans les deux cas, est similaire au niveau des paiements par les usagers, la réalisation en est un peu plus aléatoire lorsqu’ils sont effectués par les délégataires. En effet, la garantie de renouvellement ne donne aucune certitude que les équipements en fin de vie seront effectivement remplacés tant qu’ils demeurent fonctionnels, et le montant de leur renouvellement peut être conservé et non utilisé pour les fins du service par l’entreprise à laquelle le patrimoine a été confié. Cependant, il est nécessaire de confier une partie du renouvellement au délégataire, afin d’éviter une dégradation accélérée du patrimoine par manque d’entretien.

Modèle de décision du renouvellement selon les modes de gestion

52On peut aussi montrer, d’un point de vue théorique, que le recours au fermier ne présente pas forcément d’avantage par rapport à la gestion directe du renouvellement ([8], Fauquert, 2003). Pour modéliser le renouvellement, il faut tout d’abord définir le critère de décision du renouvellement. Nous nous intéressons ici à une décision financièrement rationnelle prévisionnelle, étant donnés le coût d’entretien minimal des infrastructures et le coût de renouvellement. Le renouvellement sépare des phases successives où le coût d’entretien croît (Figure 1). Ces coûts sont soumis à une actualisation, prenant en compte l’inflation et éventuellement le coût d’opportunité. En effet, c’est sur la base d’une prévision que la contribution de l’usager est calculée, en affermage comme en régie.

Figure 1

Cycle des renouvellements

Figure 1

Cycle des renouvellements

53Le modèle simple utilisé ci-après est relatif à une infrastructure et non au patrimoine au complet. Nous supposons un coût d’entretien croissant avec l’âge, ce coût pouvant éventuellement recouvrir des coûts d’exploitation supplémentaire liés à l’usure du matériel (consommation électrique supplémentaire, augmentation des fuites…). Ce coût n’est pas censé représenter, ici, une amélioration ou une remise en état du patrimoine, mais uniquement son maintien en état de fonctionnement. Il est supposé, de plus, convexe, c’est-à-dire que l’augmentation du coût augmente, elle aussi, avec l’ancienneté de l’infrastructure. Le décideur a une certaine estimation ex ante du coût de maintien en état que l’infrastructure que nous considérons peut imposer. Le progrès technique est supposé inexistant, de telle manière que le coût de renouvellement ne varie pas au fil du temps. Le coût historique égale dans ce cas le coût réel du renouvellement, à l’actualisation près.

54Le montant actualisé du renouvellement diminue avec l’intervalle de temps séparant l’instant de la décision, et le renouvellement lui-même. En revanche, l’entretien coûte de plus en plus cher. La somme de ces deux coûts sera donc minimale à un instant donné ([13], Kleiner, Adams et Rogers, 2001), instant optimal du renouvellement. Le critère d’optimalité (ou d’efficacité) du modèle est le coût total actualisé, sur une période illimitée, de l’entretien et du renouvellement de l’infrastructure.

55Ce raisonnement n’est valide que si le renouvellement est inévitable sur la période que le décideur considère, et c’est le cas, évidemment, en régie. A contrario, si c’est au fermier de décider du renouvellement, le calcul est un peu plus complexe : la durée du contrat étant limitée et fixe, il faut alors aussi comparer le coût total, investissement inclus, et le coût correspondant au cas où aucun renouvellement ne serait effectué. En effet, il peut être plus avantageux de ne pas investir, quitte à supporter des coûts d’entretien élevés par rapport à une infrastructure neuve. C’est alors au délégataire suivant de prendre le même type de décision (nous supposons en effet que le choix de mode de gestion du patrimoine est reconduit à l’identique, et que les délégataires successifs n’ont pas de lien entre eux. Le délégataire en place ne prévoit pas, dans ce modèle, la reconduction du contrat).

56Supposons une troisième solution de gestion où la collectivité oblige le délégataire à renouveler au cours du contrat, mais que la date soit laissée au libre arbitre de ce dernier. La collectivité, ayant calculé sa date de renouvellement optimale, peut décider qu’il est nécessaire de procéder au renouvellement au sein du contrat qui comprend cette date. On peut alors montrer que le fermier est enclin à décaler le renouvellement vers le début du contrat, renouvelant ainsi un peu plus tôt que l’optimum.

57La figure 2, réalisée avec des paramètres fictifs, illustre la fonction de coût global (entretien et renouvellement), en fonction de la date de remplacement et du mode de gestion du renouvellement choisi. L’unité de temps est fictive, elle pourrait correspondre à l’année. Ces trois configurations possibles, que nous appellerons respectivement « régie », « garantie de renouvellement » et « programme de renouvellement », conduisent à plusieurs possibilités. En programme de renouvellement, le remplacement se fera légèrement avant la date optimale de renouvellement (i.e. celle décidée en régie, par hypothèse), mais au sein du même contrat. Par contre, en garantie de renouvellement, il peut avoir lieu au cours d’un contrat ultérieur. S’il a lieu au cours du même contrat que ce qu’aurait décidé la collectivité, ce système ne se distingue pas du programme de renouvellement. Par contre, s’il a lieu au sein d’un contrat postérieur, la différence d’efficacité peut être élevée.

Figure 2

Échéances du renouvellement selon les modes de renouvellement et la durée du contrat

Figure 2

Échéances du renouvellement selon les modes de renouvellement et la durée du contrat

58Ainsi, la garantie de renouvellement présente théoriquement des inconvénients au niveau de la gestion patrimoniale, dans certains cas de figure, par rapport au programme de renouvellement ou à la maîtrise d’ouvrage publique. Ce modèle ne traite pas du cas où le délégataire en place estime une probabilité de voir son contrat reconduit, ce qui atténuerait les effets de la garantie de renouvellement (pour des montants élevés). De plus, il n’est pas non plus question, dans cette partie, de la capture des montants de renouvellement par le délégataire, mais il est clair que les réserves réalisées par programmation ou en gestion publique pour le remplacement seraient piégées par le fermier, en garantie, augmentant ainsi leur coût pour l’usager.

59Une application numérique de ce modèle peut être effectuée. En prenant une fonction de coût annuel d’entretien e(t)=6+0,2?t2(k€), pour une infrastructure neuve au début d’un contrat d’une durée de 12 ans, le taux d’actualisation étant de 2% par an, nous obtenons un montant seuil du montant de l’investissement de renouvellement pour l’utilisation de clauses de type « garantie de renouvellement », présenté dans le tableau 4.

60La date du renouvellement en délégation est décidée en minimisant la fonction de coût du délégataire. La figure 3 présente ces fonctions pour le cas ci-dessus. Le délégataire ne devrait pas renouveler spontanément dans le cas où l’investissement est élevé (120 k€) : en effet, la courbe A, à son minimum, est supérieure à la valeur de l’entretien sur la durée du contrat, représentée par la courbe B.

Figure 3

Illustration de l’application numérique du modèle

Figure 3

Illustration de l’application numérique du modèle

Tableau 4

Résultats de l’application du modèle

Montant du renouvellementAnnée du renouvellement en régieAnnée du renouvellement par le dégataire, en programmationAnnée du renouvellement par le dégataire, en garantie
100 k€96 (décision par le délégataire) ou 9 (imposé par la collectivité)6
115,14 k€ (Montant seuil)106 (décision par le délégataire) ou 10 (imposé par la collectivité)cas limite 6 ou > 12
120 k€106 (décision par le délégataire) ou 10 (imposé par la collectivité)> 12

Résultats de l’application du modèle

61Ce modèle a une portée principalement illustrative. Un test sur cas réel serait difficile, étant donné qu’il est nécessaire de comparer la décision du renouvellement d’une infrastructure spécifique sur des critères économiquement rationnels (et non techniques ou empiriques), sur un même service, pouvant choisir deux modes de gestion différents, sachant que la date de renouvellement en affermage, en garantie de renouvellement, devrait dépendre de la durée du contrat. De plus, il est de mise d’estimer les taux d’actualisation de chaque acteur, le supplément de coût d’exploitation lié à l’usure, et l’espérance de voir renouveler le contrat à son échéance. Cependant, en connaissant les taux d’actualisation de chacun des acteurs et le supplément de coût d’exploitation dû au vieillissement du matériel, il est possible d’estimer un montant de renouvellement à l’identique (fonction de la durée du contrat et de l’âge de l’infrastructure en début de contrat) à ne pas dépasser pour la sélection des infrastructures éligibles à la garantie de renouvellement, à supposer que toutes les décisions soient prises sur des critères économiquement rationnels.

Conclusion

62Le financement du renouvellement semble se reposer sur un recours croissant à l’emprunt, lorsque la collectivité garde en propre la maîtrise d’ouvrage du renouvellement de ses infrastructures. À l’heure actuelle où les taux d’intérêt sont relativement bas, cette solution est acceptable car le coût de cet endettement reste réduit. Cependant, la charge du renouvellement se reporte de plus en plus, de ce fait, sur l’usager futur des infrastructures.

63Cette situation pourrait être améliorée d’une part au travers de l’assouplissement des règles comptables relatives aux dotations aux amortissements, en permettant (voire contraignant) d’amortir la valeur de remplacement et non la valeur historique du bien, et d’autre part grâce à l’autorisation du placement par les SPIC de la trésorerie momentanément excédentaire générée par leur cycle d’activité. Cette dernière mesure pourrait éviter la dévalorisation monétaire que subit ce capital, mais aussi valoriser ce montant, diminuant ainsi un autofinancement complémentaire coûteux pour les usagers (similaire à la prise en compte de la valeur de remplacement au lieu de la valeur historique). Cette autorisation de placement, si elle est mise en œuvre par une loi de finances, doit valoir pour les réserves des sections d’investissement des services publics, qu’ils soient en régie ou en délégation, puisque la charge du renouvellement peut incomber à la collectivité quel que soit le mode de gestion.

64Cette mesure pourrait être accompagnée d’un assouplissement de la loi d’équilibre budgétaire des services d’eau et d’assainissement, en autorisant le vote du budget en excédent à la section d’investissement, comme le prévoyait le projet de loi sur l’eau de 2001, et tel que le présente actuellement le projet de loi sur l’eau. La gestion prospective du renouvellement et des investissements pourrait dès lors être facilitée, bien qu’elle ne soit pas impossible compte tenu des possibilités de réserves des collectivités.

65Une dernière piste pratique qui peut permettre d’augmenter les capacités d’autofinancement des collectivités sans augmentation du prix de l’eau serait de renégocier les emprunts contractés à long terme et à fort taux d’intérêt, dans les années à fort taux d’inflation.

66Ces améliorations permettraient ainsi d’aplanir les obstacles au financement public du renouvellement, et de passer outre les risques que fait courir le recours au délégataire en garantie de renouvellement, pour des montants d’investissement élevés. En effet, ce dernier système de financement délégué du renouvellement ne semble pas adapté à l’ensemble des infrastructures : son utilisation est à adapter au contexte local.

67Enfin, il reste de mise que les collectivités gèrent précisément leurs infrastructures, même si leur exploitation est déléguée, pour que le périmètre et le montant de la garantie de renouvellement, valable pour de petites infrastructures, et du compte de renouvellement pour des montants supérieurs, soient ajustés à leur niveau optimal lors de la négociation initiale du prix de l’eau.

Bibliographie

  • [1] Janvier 2000, Vivendi a-t-il une vie après l’an 2000 ? Enjeux, pp.60-61
  • [2] Cour des Comptes, Décembre 2003, La gestion des services publics d’eau et d’assainissement, 2003
  • [3] CD Consultants et DE Conseil, Février 2003, Outils de financement du renouvellement des infrastructures des services d’eau et d’assainissement, 2003
  • [4] Projet de loi de finances pour 2004 - Tome III - Les moyens des services et les dispositions spéciales. Deuxième partie de la loi de finances, art. 70, 2003
  • [5] FNDAE, O. Alexandre, Le financement du renouvellement des réseaux d’adduction d’eau potable, 1993
  • [6] AMF, Guide de l’affermage du service public de l’eau, 2001
  • [7] Office International de l’eau (OIEau), J.-M. Berland et C. Juery, Inventaire et scénario de renouvellement du patrimoine d’infrastructures des services publics d’eau et d’assainissement, 2001
  • [8] G. Fauquert, 2003, Mémoire de DEA : L’investissement de renouvellement des infrastructures du service public de l’eau et de l’assainissement : Étude des clauses contractuelles en contrat d’affermage, Paris VI DEA OJME
  • [9] S. Garcia, 2001, Thèse de doctorat : Analyse économique des coûts d’alimentation en eau potable, Université des Sciences Sociales de Toulouse LEERNA
  • [10] L. Guérin-Schneider, 2001, Thèse de doctorat : Introduire la mesure de performance dans la régulation des services d’eau et d’assainissement en France - Instrumentation et organisation, ENGREF GEA
  • [11] L. Guérin-Schneider, V. Royère et G. Prévost, 2001, Principes d’analyse financière des services d’eau et d’assainissement (M49), ENGREF
  • [12] Études et travaux n° 40, IFEN, SCEES et A. d. l’eau, La gestion de l’eau potable en France métropolitaine en 1998, 2003
  • [13] Y. Kleiner, B. J. Adams et J. S. Rogers, 2001, Water distribution network renewal planning, pp.15-26 Journal of Computing in Civil Engineering n°15
  • [14] J.-J. Laffont et J. Tirole, 1994, A theory of incentives in procurement and regulation, Cambridge : MIT Press
  • [15] SPDE, 1996, Circulaire du Syndicat Professionnel des Entreprises de Services d’Eau et d’Assainissement relative à la garantie de renouvellement, n° 756
  • [16] U.M.R. Cemagref-ENGEES, GSP, C. Werey, Les principes comptables et budgétaires des services publics locaux (M14 - M49). Amortissements (copie des transparents), 2001

Logo cc-by-nc

Date de mise en ligne : 01/01/2008

https://doi.org/10.3917/flux.060.0083

Notes

  • [1]
    Fauquert@engref.fr L’auteur remercie particulièrement Laetitia Guérin-Schneider, Christelle Pezon et Serge Garcia du laboratoire GEA de l’ENGREF pour leurs commentaires lors de la rédaction de cet article.
  • [2]
    Pour plus de précisions, [9] S. Garcia, 2001, Thèse de doctorat : Analyse économique des coûts d’alimentation en eau potable, Université des Sciences Sociales de Toulouse LEERNA
  • [3]
    Source : [12] Études et travaux n° 40, IFEN, SCEES et A. d. l’eau, La gestion de l’eau potable en France métropolitaine en 1998, 2003
  • [4]
    FNDAE : Fonds National pour le Développement des Adductions d’Eau, créé dans l’objectif d’une péréquation entre les services urbains et ruraux.
  • [5]
    La section d’exploitation est la nouvelle dénomination de l’instruction M49 pour ce que désignait, en comptabilité publique, la section de fonctionnement. Cette section regroupe les comptes de classes 6 et 7 (resp. charges et produits). La section d’investissement, quant à elle, concerne les comptes de classes 1 et 2 (comptes de capitaux et d’immobilisations) et plus accessoirement les comptes 39, 481, 49 et 59. Voir [11] L. Guérin-Schneider, V. Royère et G. Prévost, 2001, Principes d’analyse financière des services d’eau et d’assainissement (M49), ENGREF.
  • [6]
    Cet alignement de la dotation à l’amortissement sur les remboursements de la dette est autorisé dans la mesure où la durée d’amortissement (i.e. la durée de vie prévue de l’infrastructure) n’est pas calée sur la durée d’extinction de la dette : le terme de l’emprunt ne peut pas conditionner la durée de vie de l’infrastructure, cette dernière doit être déterminée indépendamment. Les recettes d’amortissement technique sont en effet prévues pour le financement des dépenses relatives à l’infrastructure concernée.
  • [7]
    DDAF : Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt
  • [8]
    Service Public 2000 : association de conseil aux collectivités
  • [9]
    SPDE : Syndicat Professionnel des entreprises de services d’eau et d’assainissement
  • [10]
    Considérons une décision rationnelle du délégataire, en prenant la part du solde positif résiduel lui revenant de x% en fin de contrat. Si la réalisation de travaux mène à un bénéfice (gains de productivité, sur l’entretien, etc. inclus) de moins de x%, il n’effectuera pas ces travaux car il est plus intéressant de conserver le montant équivalent restant au solde du compte. Il n’effectuera donc pas le renouvellement de faible « rendement ».
  • [11]
    II est théoriquement censé tenir compte de l’effet de cliquet (ratchet effect) [14] J.-J. Laffont et J. Tirole, 1994, A theory of incentives in procurement and regulation, Cambridge : MIT Press
  • [12]
    [4] Projet de loi de finances pour 2004 - Tome III - Les moyens des services et les dispositions spéciales. Deuxième partie de la loi de finances, art. 70, 2003
  • [13]
    [5] FNDAE, O. Alexandre, Le financement du renouvellement des réseaux d’adduction d’eau potable, 1993 :
    Figure 3
    où r est le taux d’érosion monétaire par unité de temps et S le montant net actualisé d’économie possible si la collectivité contracte un emprunt immédiatement pour le reste du montant nécessaire, par rapport à un emprunt du total du capital nécessaire.
  • [14]
    [2] Cour des Comptes, Décembre 2003, La gestion des services publics d’eau et d’assainissement, 2003

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions