Notes
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[1]
Déjà pressentie pendant la période des dictatures militaires (1976-1983), la pression néo-libérale sur l’économie argentine s’est concrétisée lors de l’exercice du pouvoir autoritaire (par décret) du président péroniste Carlos Menem, élu en 1989. L’économie de la décennie 1990 s’est largement définie autour d’une ouverture massive et précipitée aux capitaux étrangers, appuyée sur une politique monétaire de convertibilité peso-US Dollar et sur un programme de privatisations de l’ensemble des grands secteurs économiques nationaux : postes et télécommunications, énergie, eau et assainissement, transports urbains, portuaires, aériens, ferroviaires, autoroutes, etc.
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[2]
Ou plus précisément la concession, dans le cas de l’eau et de la distribution d’énergie électrique. Le régime de concession attribue aux pouvoirs publics (État, provinces, municipalités) un rôle de régulation et de contrôle de la gestion de l’opérateur privé. Par ailleurs, les réseaux techniques existants et à construire demeurent la propriété de l’État national.
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[3]
Cette réflexion est issue d’un travail de thèse (sociologie) : « Entreprises privées et services publics dans les quartiers carenciados de l’agglomération de Buenos Aires : une responsabilité sociale en partage ? » S. Botton, direction : Y. Lichtenberger, LATTS-UMLV.
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[4]
Précisons que, depuis la crise de décembre 2001, les débranchements individuels pour non paiement des factures d’eau ne sont plus effectués.
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[5]
Oscar Altimir et Luis Beccaria définissent le développement hacia adentro comme une « stratégie officielle d’expansion économique de caractère nationaliste populiste, centrée sur l’élargissement des fonctions régulatrices de l’État, et appuyée sur un protectionnisme accru, des prix externes favorables et le renforcement réciproque de la redistribution des revenus et de l’industrialisation et de l’expansion des activités urbaines ».
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[6]
Le tarif de l’eau était calculé sur la base d’un indice lié à la valeur locative de l’habitat (situation, qualité, superficie, quartier…) et non en fonction des quantités consommées. La contribution au service augmentait avec la qualité de vie des usagers.
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[7]
La typologie des quartiers défavorisés (barrio de emergencia, barrio precario et barrio armado) a été mise en place par l’équipe de développement de Aguas Argentinas (GDC) en 1999. Outre le fait qu’elle rende compte de manière très pertinente de trois types de réalités différentes, elle permet une catégorisation efficace au moment de la mise en place des projets opérationnels.
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[8]
Dans le sens de « logiques caritatives », qui maintiennent les populations en position de dépendance pour l’accès à des éléments de la survie en ville aussi essentiels que l’alimentation, la santé, les vêtements, l’éducation, etc.
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[9]
qui permettent aux habitants des quartiers d’accéder à un statut de citoyen à part entière et de gagner leur autonomie en participant à des projets d’accès aux ressources de première nécessité, leviers pour d’autres projets d’amélioration de leur cadre de vie.
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[10]
Le branchement est considéré ici comme un branchement légal, enregistré et durable à un service en réseau. Les phénomènes de « débranchement » pendant la gestion publique incluent donc, par exemple, l’installation d’un robinet à l’entrée d’un bidonville pendant une période donnée, permettant un accès gratuit à la ressource pour les habitants du quartier (sans pour autant leur garantir la qualité et la durabilité d’une connexion régulière au réseau d’eau), laissant libre cours à toutes les pratiques de clientélisme politique.
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[11]
Obras Sanitarias de la Nación, entreprise publique d’eau et d’assainissement a été créée en 1912 avec la triple vocation d’hygiène publique, de redistribution du revenu et d’aménagement du territoire. Dès 1937, suite à la décision d’homogénéiser les tarifs sur l’ensemble du territoire national et de s’appuyer sur des subventions massives de l’État, l’entreprise devient déficitaire. À partir de 1970, le soutien politique au maintien des missions se faisant plus fragile, l’évolution des taux de desserte commence à fléchir. En 1980, OSN est démantelée et n’exerce plus son activité que dans la Province de Buenos Aires.
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[12]
Servicios Eléctricos del Gran Buenos Aires : entreprise publique créée en 1958, responsable de la production, du transport, de la distribution et de la commercialisation de l’énergie électrique sur une zone comprenant la ville de Buenos Aires et trente et une municipalités alentour.
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[13]
Pour 90 % d’entre elles, les lignes électriques de Buenos Aires Capital étant souterraines, le problème des fraudeurs y était nettement moins pesant que dans les municipalités du Grand Buenos Aires.
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[14]
Données issues du terrain de thèse.
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[15]
Données issues du terrain de thèse. Étude de cas « Santísima Trinidad ».
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[16]
Sur la concession d’Aguas Argentinas, le coût de l’eau potable du réseau est de 0.2 US $/m3 (1 000 litres), contre un coût à peu près équivalent pour un litre d’eau en bouteille.
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[17]
Sur l’ensemble de la population des quartiers défavorisés de l’aire de concession (plus de 2 millions de personnes), environ 15 % vivent dans des bidonvilles, 10 % dans des grands ensembles et 75 % dans des quartiers précaires (données issues du rapport IIED-AL - UADE : « Participación del sector privado en agua potable y saneamiento en Buenos Aires, equilibrando los objetivos económicos, ambientales y sociales », Juillet 1999).
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[18]
Au moment de la prise de concession, le financement de l’expansion devait être pris en charge par les nouveaux connectés (via une charge « Infrastructure et connexion »). Suite à des distorsions économiques flagrantes, les modalités en furent renégociées en 1997. Depuis lors, il repose sur une participation de l’ensemble des usagers du réseau (via une charge « service universel » {SU}).
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[19]
La seconde catégorie de quartiers selon la typologie des quartiers défavorisés présentée précédemment.
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[20]
Données AASA.
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[21]
Rappelons que la très grande majorité des quartiers défavorisés concernés par la problématique de l’expansion sont des quartiers précaires puisque les bidonvilles et les cités ne sont pas compris dans les objectifs contractuels de l’opérateur.
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[22]
Dans le secteur de l’eau, le terme « régularisation » concerne la normalisation technico-commerciale de certains quartiers. Elle peut prendre des formes très variées : Il peut s’agir, par exemple, d’organiser l’extension du service dans un quartier non connecté inséré au sein d’une zone desservie, ou de faire le point sur les impayés de certains clients afin d’organiser des ateliers de sensibilisation commerciale, etc.
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[23]
L’élargissement du domaine de compétence de l’équipe GDC s’est faite afin d’inclure l’ensemble des quartiers défavorisés dans les projets opérationnels et non uniquement les quartiers précaires, comme prévu initialement.
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[24]
Données issues de rapports sur l’activité de l’équipe GDC de AASA.
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[25]
On entend par métiers du développement (aussi dits « métiers d’ingénierie sociale »), les métiers nécessitant une bonne connaissance de la problématique et de la réalité des quartiers défavorisés, de même qu’une bonne maîtrise de la méthodologie d’intervention sociale pour l’expansion des réseaux dans ces quartiers.
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[26]
On appelle ici « communauté du quartier », selon l’expression utilisée par AASA, l’ensemble des habitants du quartier. Cette communauté choisit des représentants, élus ou non, pour la signature du contrat.
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[27]
L’équivalent, en 2002, d’un montant de 40 euros.
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[28]
Concernant la rémunération de la main-d’œuvre, outre ces aides, les habitants participant aux travaux bénéficient d’une réduction sur la facture d’eau pendant plusieurs années.
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[29]
Ce qu’Aguas Argentinas appelle l’enfoque constructivista désigne la méthodologie de travail d’ingénierie sociale faisant participer l’ensemble des acteurs à toutes les étapes du programme.
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[30]
Le tarif social ne s’applique pas nécessairement aux clients des quartiers défavorisés. À partir d’un budget annuel de deux millions de pesos mis à disposition par l’entreprise, des modules de réduction sur facture (quatre pesos par service) sont distribués par les municipalités aux clients selon certains critères de précarité socio-économique.
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[31]
Données AASA.
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[32]
Le contrat de concession prévoyait des tarifs fixés en US Dollars. La loi d’urgence économique de janvier 2002, qui met en place la pesification des tarifs, met donc fin aux termes du contrat de concession. Depuis cette période, une renégociation des contrats de concession de tous les services publics est en cours.
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[33]
Données issues du terrain de thèse.
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[34]
Coûts de main-d’œuvre faibles ou inexistants, beaucoup de « bricolage » pour la récupération de matériel, délégation de certains coûts aux municipalités (outillage, gros œuvre).
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[35]
Données issues du terrain de thèse.
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[36]
Par exemple, le quartier est excentré et ne peut techniquement, pour des raisons d’éloignement, être relié au réseau d’eau et d’assainissement avant plusieurs années, ou encore, la qualité de l’habitat du quartier est trop précaire (construction en bois ou en tôles) pour que l’on puisse le relier au réseau de gaz de ville — pour des raisons de sécurité — et il faut attendre la construction « en dur » de toutes les maisons avant d’effectuer les installations.
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[37]
La substituabilité n’est pas entière du fait des problèmes de sécurité que peuvent poser les installations irrégulières lorsque les fraudeurs ne possèdent pas les compétences d’« électriciens » (courts circuits possibles, baisses de tension…).
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[38]
Moitié nord de capital federal de même que vingt municipalités du nord de l’agglomération (La Matanza, Morón, Hurlingham, Ituzaingo, Merlo, Marcos Paz, General Las Heras, General San Martin, Tres de Febrero, San Miguel, Moreno, José Carlos Paz, Malvinas Argentinas, General Rodriguez, Pilar, Vicente López, San Isidro, San Fernando, Tigre, Escobar).
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[39]
Dans le secteur électrique, la notion de « régularisation » concerne autant la normalisation technico-commerciale de certains quartiers ou de connexions individuelles que l’extension du réseau dans les quartiers encore non desservis. Elle a donc une signification beaucoup plus large que dans le secteur de l’eau.
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[40]
Les pertes sont constituées, d’une part, par les pertes techniques, liées à la qualité du réseau et pouvant se réduire en concentrant les efforts sur l’entretien technique des lignes, et, d’autre part, par les pertes non techniques, liées au vol d’énergie.
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[41]
Il convient de rappeler que les pratiques de vol d’énergie n’étaient pas le fait unique des quartiers présentant des difficultés de paiement. Bien au contraire, elles étaient relativement généralisées : entreprises ou petites industries, quartiers résidentiels de très haut standing socio-économique, entités publiques (municipalités, entre autres), etc. L’amiguismo, ou favoritisme lié aux relations, était monnaie courante dans l’octroi d’une « autorisation » non officielle d’usage frauduleux du réseau. Une étude montre que la fraude (chez Edesur) était pratiquée à 75 % par des clients dont les revenus étaient suffisants voire largement suffisants pour payer une facture et à 25 % par les habitants des quartiers défavorisés, principalement du Grand Buenos Aires (Pirez, 2000).
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[42]
Sauf la municipalité de Buenos Aires Capital qui continue à prendre en charge la consommation d’énergie des bidonvilles installés sur son territoire.
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[43]
Il s’applique donc aux trois entreprises de l’agglomération de Buenos Aires : Edenor au nord, Edesur au sud et Edelap, pour la province de la Plata.
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[44]
Dans tous les cas, l’entreprise verse aux autorités publiques (état, province et municipalités) les impôts leur correspondant (environ 30 % de la facturation) préalablement au recouvrement des factures. Pour la catégorie de clients « quartiers régularisés » relevant de l’accord cadre, elles sont supposées rediriger les montants de l’impôt vers le fonds spécial. L’entreprise continue à distribuer l’énergie aux bidonvilles, dont la consommation est censée être prise en charge par le fonds. Les retards d’alimentation du fonds entraînent donc, de facto, une dette croissante des autorités publiques à l’égard de l’entreprise.
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[45]
Cette logique d’offre s’est traduite non seulement par la définition unilatérale des projets de connexion des quartiers mais également par l’absence de réflexion autour d’une politique globale pour la concession, qui aurait pu permettre, par exemple, la mise en place de tarifs différenciés en fonction des capacités de paiement des catégories d’usagers.
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[46]
Election de Nestor Kirschner à la présidence du pays en Avril 2003. Les orientations de la nouvelle équipe dirigeante semblent s’inscrire dans une perspective de rupture par rapport à la politique menée depuis le début des années 1990
Introduction
1Le début des années 1990 marque en Argentine l’entrée de la logique de marché sur l’ensemble de la scène économique du pays, caractérisée notamment par un vaste programme de privatisation des services publics [1]. Comme de nombreux autres secteurs, ceux de « première nécessité », tels l’eau et l’électricité, sont alors passés aux mains d’opérateurs privés, posant, de ce fait, une série d’interrogations d’ordre « sociétal », allant bien au delà des traditionnelles problématiques du statut de l’utilisateur (usager/client) ou des nouvelles modalités de gestion (logique de rentabilité, concurrence, etc.). En effet, la privatisation [2] des services de première nécessité a ceci de spécifique qu’elle pose la question d’une éventuelle intégration des « exclus » des anciens réseaux publics et qu’elle ouvre, de cette manière, le débat critique sur les définitions passées d’un service qui se voulait « universel ».
2« Qui sont ces exclus des réseaux ? », « Comment s’accommodent-ils de leur situation de débranchement ? », « Quel devenir leur proposent les nouveaux opérateurs de ces services ? » sont autant d’interrogations sur les fondements du pouvoir argentin qui soulignent les manquements des autorités publiques quant à un véritable projet politique d’universalité d’accès aux services urbains de première nécessité. Tenter d’y répondre nous invite nécessairement à nous interroger sur la question sensible de qui la société entend vouloir inclure en son sein. Il s’agit ici d’explorer la frontière de la notion d’universalité.
3Dans cet article, nous nous intéresserons aux situations de « débranchement » davantage dans une acception d’exclusion des réseaux (non branchement) que d’interruption de connexion (débranchement temporaire) [3]. Il s’agit donc de cas de débranchements collectifs, c’est-à-dire de quartiers entiers n’ayant pas accès aux réseaux, plutôt que de situations de débranchements individuels [4]. Cette approche implique de s’intéresser à l’accès aux services davantage dans la perspective de l’accès technique que dans celle de l’accès économique (Catenazzi, Da Representaçao, 2000). Si la distinction entre accès technique et accès économique permet de comprendre certaines logiques d’actions des opérateurs, elle n’est pas pour autant déclinée de manière cloisonnée ni hiérarchisée par les entreprises au cours du développement opérationnel des projets. Cette double lecture des programmes de connexion des quartiers défavorisés aux services urbains permet surtout une compréhension plus fine des résultats obtenus et des perspectives de durabilité.
4À travers ce type d’analyse, il s’agit ici de saisir en quoi l’apparition d’acteurs privés sur le marché des services publics a contribué aux évolutions des programmes de desserte envisagés pour ces quartiers.
Quartiers débranchés et services urbains : quelques éléments de contexte
5La période de gestion publique des monopoles de services d’eau et d’électricité avait été marquée par la volonté politique d’intégrer les modalités d’expansion des réseaux dans le modèle économique national de développement hacia adentro (« vers l’intérieur ») (Altimir, Beccaria [5], 1997 ; Schneier-Madanes, 2000). Ce rapprochement devait passer par une recherche d’universalité d’accès aux services publics, le développement industriel devant être accompagné de l’offre de conditions de vie décentes pour les travailleurs. Il s’était traduit, dans le secteur de l’eau, par la définition d’un mode tarifaire redistributif [6] (De Gouvello, 1999).
6Cependant, dans l’agglomération de Buenos Aires, de nombreux foyers restaient privés des avantages que prétendaient proposer les pouvoirs publics et l’accès aux services urbains demeurait malgré tout marqué par de fortes disparités spatiales centre/périphérie (Capital Federal/Gran Buenos Aires), en particulier pour le service d’eau (Faudry, 1999).
7Depuis les années 1940, l’agglomération de Buenos Aires a connu un afflux continu de populations originaires des provinces pauvres du pays, en particulier du nord (dans les années 1950 et 1960) et, par la suite, de pays voisins comme le Paraguay et la Bolivie (dans les années 1970). Ces populations s’installèrent dans le centre et en périphérie de la capitale, le plus souvent en occupant de manière spontanée des terrains non construits, afin de profiter des opportunités offertes par le développement industriel de la région (Cravino, 2001 ; Prévôt-Schapira, 2002). Il convient à ce stade de distinguer deux phénomènes : d’une part, depuis les années 1940, l’occupation irrégulière spontanée de terrains urbains vacants (formation de bidonvilles), et d’autre part, depuis le début des années 1980, le phénomène des asentamientos, ou occupation irrégulière organisée (formation de quartiers précaires en périphérie). Ces installations spontanées ont été à l’origine de quartiers qui, pour certains, existent encore aujourd’hui et dont les régularisations domaniale et urbanistique n’ont toujours pas été effectuées. Il est utile, afin d’analyser la complexité des relations entre quartiers défavorisés et services publics urbains, de distinguer différentes catégories de quartiers [7]:
- Le barrio de emergencia, ou bidonville, communément appelé villa miseria. Ce type de quartier, ensemble anarchique de constructions extrêmement précaires, se caractérise par son manque de trame urbaine. Les rues ne sont pas tracées, le quartier est parcouru par un ensemble de pasillos, sortes de « couloirs » tortueux ou ruelles très étroites, en terre, qui permettent de passer d’une zone à l’autre au sein du quartier. L’habitat y est extrêmement précaire (construction en tôles métalliques ou planches de bois, peu de construction « en dur ») et les conditions sanitaires très dégradées. Dans la quasi-totalité des cas, ces quartiers ont un statut domanial irrégulier et sont insérés, tels des « poches » ou des « îlots », au sein de zones urbanisées traditionnelles. Ils mettent en évidence, de ce fait, de grands contrastes en termes de qualité de vie et d’habitat au sein d’une même municipalité.
- Le barrio precario, ou quartier précaire. Dans ce type de quartier, similaire au précédent en termes d’habitat et de conditions sanitaires, il existe cependant une trame urbaine : les rues sont tracées, même si elles ne sont pas pavées pour la plupart, et les lots clairement identifiables (possibilité pour un groupe d’habitants d’avoir une adresse, possibilité d’identifier ou de définir des rues et des numéros de maison). Malgré un statut domanial souvent irrégulier, le quartier précaire, du fait de sa trame urbaine, est davantage inscrit dans la ville et se situe généralement en bordure des municipalités.
- Le barrio armado, ou « cité » (grand ensemble de barres d’immeubles). Il s’agit d’immeubles datant des années 1950 ou 1960 en général, et dont les conditions sont extrêmement dégradées du fait de la mauvaise qualité des matériaux de construction et du manque d’entretien régulier des installations. Malgré des configurations patrimoniale et technique très différentes des deux autres types de quartiers, la problématique de la précarité y présente des aspects très similaires. En ce qui concerne l’accès aux services publics, ces quartiers avaient été conçus pour être équipés des services urbains dès la construction, mais leur dégradation matérielle soulève également la question de l’accès au service, davantage en termes de qualité et de sécurité qu’en termes d’expansion, mais avec un même degré d’urgence que dans le cas des deux types de quartiers précédents.
8D’une part, le système populiste de l’époque reposant sur des situations de dépendance et favorisant davantage des logiques d’assistanat [8] (Prévôt-Schapira, 1996) que des logiques de développement [9], certaines situations de débranchement [10] pendant cette période pourraient s’expliquer par une volonté politique forte de maintenir certains quartiers en marge des réseaux urbains, une « stratégie du gouvernement provincial de containment de la pauvreté », selon l’expression de M-F. Prévôt Schapira (Prévôt-Schapira, 2002). L’absence de reconnaissance d’une citoyenneté à part entière aux habitants de ces quartiers, illustrée par la négation systématique des titres de propriété par exemple est venue s’ajouter à la logique clientéliste purement électorale, à l’origine de nombreuses situations de « débranchement ». Cette attitude d’abandon adoptée par les pouvoirs publics s’est accompagnée d’un certain degré de tolérance des opérateurs publics vis-à-vis des pratiques de fraude sur les réseaux de services urbains (Guigo, 1992 ; Faudry, 1999), conférant aux populations de ces quartiers un statut bancal d’usagers du service non connectés au réseau.
9D’autre part, dans un contexte de pertes financières croissantes et de décentralisation progressive des activités des opérateurs publics, des logiques techniques et financières, liées aux coûts d’expansion des réseaux, permettent d’expliquer la non-connexion de quartiers isolés en périphérie, notamment pour l’entreprise OSN [11] dans le secteur de l’eau (De Gouvello, 1999 ; Abdala, Spiller, 1999). Dans le secteur électrique, l’opérateur public SEGBA [12] a dû faire face à d’importants problèmes d’organisation interne liés à la décentralisation progressive de la distribution qui n’ont fait qu’accentuer le déséquilibre Capital/Conurbano : en effet, les décisions continuaient à émaner des autorités centrales (de la capitale) alors que les difficultés opérationnelles liées à la fraude [13] étaient largement supportées par les unités locales décentralisées (Guigo, 1992).
Connexions irrégulières aux réseaux d’eau et d’électricité, Quartier « La Cava », San Isidro (bidonville), Mars 2003
Connexions irrégulières aux réseaux d’eau et d’électricité, Quartier « La Cava », San Isidro (bidonville), Mars 2003
Territoires des concessions des entreprises Aguas Argentinas et Edenor
Territoires des concessions des entreprises Aguas Argentinas et Edenor
10Cette situation a commencé à être perçue comme problématique au moment de définir les missions qui allaient être confiées aux opérateurs privés. Que faire des « débranchés » ? À qui allait incomber la responsabilité d’une telle situation ? Qu’exiger des nouveaux opérateurs dans les contrats de concession ? De quelle manière pouvaient-ils s’intéresser à l’intégration technico-commerciale de tels clients ?
11La libéralisation de l’économie argentine et, de ce fait, le changement de statut des opérateurs de services publics a largement contribué aux glissements de représentation des quartiers « débranchés ». De « quasi-citoyens », ils passent alors à « clients potentiels ». La lecture que nous proposerons pour les secteurs de l’eau et de l’électricité repose sur le contraste fort des logiques d’action guidant les stratégies des opérateurs dans chaque secteur.
Le secteur de l’eau : les « débranchés » comme opportunité commerciale
12Les programmes de desserte des quartiers défavorisés mis en place par l’entreprise d’eau et d’assainissement Aguas Argentinas suivent une logique fortement imprégnée par les caractéristiques techniques et contractuelles du secteur et les potentialités commerciales que présente la concession.
Les pratiques alternatives d’approvisionnement en eau dans les quartiers « débranchés » [14]
13Pour les populations des quartiers non reliés au réseau d’eau, les pratiques d’accès à la ressource sont variées et dépendent largement du type de quartier — bidonville, quartier précaire, grand ensemble — et de son inscription au sein de la ville.
14Dans le cas des bidonvilles, et dans l’ensemble des quartiers où cette pratique est possible, l’accès à l’eau se fait souvent par fraude à partir du réseau environnant. Les habitants des quartiers connectent du matériel récupéré (tuyaux, clés, etc.) aux installations de leurs voisins. Le danger de telles installations, outre les nuisances causées pour le voisinage (problèmes de manque d’eau en été ou de pression), réside dans l’absence de contrôle effectué sur la qualité de l’eau en bout de réseau. Si les tuyaux sont rouillés, par exemple, ou qu’un virus s’introduit dans les installations irrégulières, la potabilité de l’eau en fin de parcours n’est plus assurée. Par ailleurs, il existe des risques de contamination du reste du réseau. La plupart du temps, les populations « fraudeuses » utilisent cette eau pour leur consommation après l’avoir faite bouillir mais on a constaté de nombreux cas de troubles sanitaires et même de décès imputables à la mauvaise qualité de l’eau obtenue par ce moyen. À ce titre, l’exemple du quartier Santísima Trinidad [15], de la municipalité de Quilmes, est tout à fait significatif : suite au décès d’un enfant en bas âge, dont la mère utilisait une eau de qualité très douteuse pour la consommation (approvisionnement par fraude sur le réseau du quartier voisin), un collectif de mères de famille du quartier a organisé une demande formelle auprès de la municipalité, afin d’obtenir la connexion au réseau d’eau potable. Cette initiative a été à l’origine de la signature d’un contrat tripartite entre les représentants du quartier, la municipalité et l’entreprise Aguas Argentinas et a permis, au cours de l’année suivante, la mise en œuvre d’un programme d’expansion du réseau pour l’ensemble du quartier et la connexion de ses six cent quatre vingt habitants à l’eau potable.
15Dans les « quartiers précaires » de la périphérie où le réseau d’eau n’a pas encore été déployé, le principal mode d’approvisionnement en eau est le forage d’un puits qui permet l’extraction de l’eau des nappes souterraines. Cette pratique est coûteuse, car il faut, d’une part, creuser un puits — jusqu’à soixante mètres pour échapper à la pollution des nappes — et, d’autre part, activer un moteur pour remplir quotidiennement le réservoir d’eau, ce qui est coûteux en énergie électrique. À nouveau, se présente le danger du manque de contrôle possible sur la qualité de la ressource, dans un contexte de pollution croissante des nappes.
16Outre le risque sanitaire que représentent la fraude sur le réseau d’eau — pour les fraudeurs et pour le reste du réseau — et la pollution des nappes — pour les populations s’approvisionnant par puits — ces pratiques ne permettent qu’un remplacement partiel de ce que procurerait une connexion régulière au réseau d’eau. En effet, aucune des deux pratiques ne garantit la potabilité de la ressource. Elles comportent un coût économique incompressible puisqu’elles s’accompagnent, la plupart du temps, dans les zones de pollution notable des nappes (pour l’extraction) d’un approvisionnement complémentaire en eau potable pour certains usages (boisson, cuisine). Le coût de l’eau potable, disponible en bidon ou en bouteilles est très supérieur — presque mille fois — à l’eau potable distribuée dans le réseau [16] mais sera supporté malgré tout par la majorité des populations « débranchées », soucieuse des effets de la qualité de la ressource sur la santé.
17Ces pratiques d’approvisionnement alternatives à l’usage du réseau permettent de comprendre que, malgré leurs grandes difficultés économiques, les populations des quartiers défavorisés veulent être raccordées au réseau, ce qui leur assurera, dans la grande majorité des cas, la garantie de potabilité, de disponibilité et de qualité de la ressource, mais également une forte réduction des coûts. C’est à partir de ce constat que l’entreprise Aguas Argentinas a été amenée à travailler autour des notions de « valeur, prix et coûts » de la ressource pour ces quartiers et qu’elle a mis en place le concept de « demande informée » comme préalable au développement opérationnel du programme.
Présentation de la concession : obligations contractuelles et non-dits
18En 1993, le groupe Suez remporte l’appel d’offres proposé par le gouvernement argentin sur la plus grande concession d’eau du monde. Le contrat de concession, reposant sur la notion de « service universel » (Arza, 2002), prévoit à terme (trente ans) la connexion aux deux services — eau et assainissement — de la quasi-totalité de la population de la concession (Capitale et Grand Buenos Aires), là où la configuration urbanistique le permet. De fait, le contrat exclut les bidonvilles (puisqu’il ne prévoit l’expansion des réseaux que dans les zones urbanisées) ainsi que les réseaux internes des barrios armados, grands ensembles, dont la responsabilité est déléguée aux municipalités. Aucune obligation contractuelle ne concerne la gestion de ces deux types de quartiers qui, en termes de population, représentent plus de 25 % des quartiers défavorisés de l’aire de concession AASA [17].
19Tous les cinq ans, l’entreprise doit présenter au régulateur (ETOSS) un plan qui comprend l’ensemble des travaux d’expansion à mener pour la période à venir et les adéquations tarifaires correspondantes. Il convient de préciser, à cet égard, que le système tarifaire redistributif à l’œuvre du temps de l’entreprise publique est toujours en vigueur aujourd’hui. Le système de subventions croisées régit donc, d’une part, le financement de l’exploitation (tarif) et, d’autre part, depuis 1997, le financement de l’expansion des réseaux [18] (Faudry, 1999 ; Schneier-Madanes, 2000).
20L’enjeu technique et commercial pour Aguas Argentinas réside dans les prochains objectifs d’expansion qui regroupent, pour la plupart, les zones les plus défavorisées et les plus éloignées de la concession, principalement constituées de quartiers précaires [19]. L’objectif d’expansion, au moment de la prise de concession (1993), est d’intégrer 3,5 millions de clients dont 2,3 millions vivent dans des quartiers défavorisés [20]. L’enjeu commercial est donc considérable.
Projets d’expansion : la rencontre des intérêts entre les « débranchés » et l’opérateur
21Dès 1993, la préoccupation d’Aguas Argentinas a été de réfléchir à la manière dont elle allait mener son expansion sur le territoire délimité par la concession. Elle a pris conscience très tôt des problèmes posés par les quartiers défavorisés et, avant d’envisager la phase opérationnelle des projets, elle a placé la réflexion sur cette question au cœur de son action.
22En 1994-1995, une première unité centrale a été créée. Quatre personnes étaient chargées de créer des réseaux de partenaires, de nouer des alliances avec les ONG, de réfléchir aux solutions techniques, financières et de penser une « méthodologie sociale ». Le premier partenariat créé avec une ONG (l’IIED-AL : Institut International pour l’environnement et le développement en Amérique Latine) a duré les cinq premières années et a permis la production d’analyses détaillées sur la concession (stratification sociale, répartition géographique des différents niveaux de revenus socio-économiques, identification des quartiers défavorisés, etc.).
23En 1999, l’unité Développement de la communauté (DC) a été créée avec l’objectif initial de définir et de mettre en place une méthodologie d’accompagnement social des travaux d’extension des réseaux dans les quartiers défavorisés [21] de la concession. Peu à peu, ses domaines d’activité et de responsabilité se sont étendus jusqu’à inclure, entre autres axes de travail, la régularisation [22] des services dans les quartiers défavorisés [23] et la formation professionnelle du personnel de l’entreprise (à des thématiques liées à ces activités: développement durable, communication directe, gestion de réunions communautaires, gestion des conflits, gestion participative de projets, etc.). Dès le début, le programme de développement d’Aguas Argentinas confié à l’unité DC a été très fortement personnalisé autour du responsable de l’unité qui avait été sollicité par le régulateur et la Banque Interaméricaine de Développement afin de reproduire sur l’agglomération de Buenos Aires les succès de ses précédentes expériences de développement (en Haïti). Son intégration à l’entreprise, en 1999, a suscité une nouvelle dynamique de travail de même qu’une professionnalisation très importante des équipes et du programme en ingénierie sociale.
24Parmi les activités réalisées sur le seul exercice 2001 [24], on peut noter l’intégration de 23 000 clients pour les travaux d’extension, la réalisation de 28 ouvrages sans incident, la régularisation technico-commerciale de 38 000 clients et la formation de 1 300 employés de l’entreprise. En outre, dans un souci de professionnalisation des métiers du développement [25], les projets opérationnels ont été accompagnés d’une capitalisation d’expériences progressive. Cette démarche a permis, en 2001, la création d’un outil méthodologique nouveau pour l’entreprise — et pour le groupe Suez — : le « manuel de gestion des quartiers à faibles revenus ». Il présente les expériences et méthodologies de travail (pour les trois axes : expansion, régularisation et formation), de même qu’un modèle d’intervention sociale reposant sur le partenariat Municipalité/société civile/entreprise.
25Depuis le début de l’année 2002, l’objectif de l’unité DC est de définir la politique du concessionnaire pour les quartiers à faibles revenus en valorisant le modèle de participation public/privé auprès de la société civile. Dans cette perspective, elle a défini une série d’environ quarante projets appelés modèles participatifs de gestion (MPG). Ils ont pour objectif la réalisation intégrale de l’extension ou de la régularisation des services dans un quartier (phase technique et commerciale) et s’appuient sur un accord tripartite essentiel, institutionnalisé par un contrat entre l’entreprise, la communauté du quartier [26] et la municipalité. Le régulateur a pour rôle de superviser et d’autoriser le processus, qui permet la consolidation du partenariat entre tous les protagonistes.
26Les critères requis pour la réalisation des MPG concernent l’ensemble des participants :
- La communauté des habitants du quartier doit être à l’origine de la demande de service (selon le concept de demande informée mis en place par l’entreprise, les projets ne se réalisent que si plus de 80 % de la population des quartiers y sont favorables). Elle doit pouvoir s’organiser et choisir des représentants. Elle doit également fournir la main-d’œuvre dans la phase des travaux.
- La municipalité s’engage par contrat à assurer les actions de sa responsabilité dans les travaux (ouverture de rues, etc.), à distribuer les outils de travail (gants, pelles, etc.) et à organiser la distribution des aides (Les planes jefes y jefas de hogar « programmes chefs de famille », subventions d’un montant de 150 pesos mensuels [27] alloués par le gouvernement pour les chefs de famille participant à un programme de travail communautaire) [28].
- L’entreprise doit assurer la faisabilité technique du projet. Elle s’engage à fournir le matériel nécessaire (tuyaux, clés) et à assurer la formation technique de la main-d’œuvre (ateliers de formation aux techniques de travaux et aux aspects de sécurité au travail) et la communication auprès de l’ensemble de la communauté (ateliers communautaires pour présenter les aspects commerciaux, répondre aux doutes et questions des habitants du quartier, etc.).
27L’unité DC d’Aguas Argentinas a développé une méthodologie d’intervention sociale dans les quartiers à faibles revenus qui se définit par une approche « constructiviste » [29] et qui utilise différents outils pour remplir les objectifs qu’elle s’est fixés. Elle prévoit la participation active de tous les acteurs du programme, travaille à ce que les destinataires des activités ne soient pas perçus comme objets de travail mais comme partenaires d’un processus. Cette méthodologie d’intervention sociale offre la possibilité aux quartiers défavorisés de s’inscrire au sein du panel des clients de la concession tout en évitant la mise en place d’un service à deux vitesses.
28Certes, l’évaluation chiffrée de la rentabilité des projets d’extension des services dans les quartiers demeure pour l’instant incomplète, du fait de l’absence de critères clairement définis. Cependant, il est déjà possible d’observer des améliorations dans le recouvrement des factures lorsqu’un effort commercial a été fait (ateliers de sensibilisation, par exemple) de même que de très bons résultats de paiement (très supérieurs à ceux des quartiers traditionnels) lorsque la communauté des quartiers est directement impliquée dans la gestion (distribution du courrier, regroupement entre voisins pour le paiement, etc.). Par ailleurs, il convient de rappeler que le paiement du service d’eau ne constitue pas une difficulté majeure pour les habitants des quartiers défavorisés, dans la mesure où les coûts incompressibles d’approvisionnement en eau préalables à la connexion au réseau urbain sont nettement supérieurs.
29L’évaluation complète de la rentabilité des programmes ne pourra être effectuée qu’au moment de la définition claire et homogène d’une politique commerciale spécifique à ce nouveau segment de clients (définition d’un tarif spécifique validé par le régulateur). En attendant la fin de la période de renégociation des contrats de concession, l’entreprise permet certains arrangements ad hoc pour adapter l’offre de services aux capacités économiques des nouveaux clients (réduction sur facture pour participation aux travaux, tarif spécifique pour les projets MPG, tarif social [30], etc.).
30Outre les aspects de rentabilité commerciale, les bénéfices que l’entreprise et la société argentine tirent des programmes en termes sanitaires et sociaux ont déjà montré des résultats très encourageants comme, par exemple, la réduction de 25 % de la mortalité infantile sur l’ensemble de la concession depuis 1993 (Galiani, 2002).
31Dans le secteur de l’eau, l’opérateur a su jouer du manque de définition contractuelle pour les quartiers défavorisés et du défaut de politique sociale coercitive ou même incitative (dans la perspective d’un véritable projet d’accès universel au service) en saisissant l’opportunité commerciale que constituait la desserte des quartiers défavorisés. Cette opportunité d’extension des réseaux repose, en grande partie, sur une forte demande des habitants des quartiers, définie autour d’une véritable urgence sanitaire et d’une perspective de forte baisse des coûts d’approvisionnement en eau potable pour les populations.
32Certes, les résultats restent décevants : dix ans après la prise de concession et quatre ans après la mise en œuvre d’un programme d’ingénierie sociale, seulement 25 % des quartiers défavorisés de la zone de concession ont accès aux services [31]. Les programmes de développement, malgré une perspective d’« opportunité de marché » pour l’opérateur, souffrent de l’absence d’une politique globale pour la concession (efficacité du régulateur et définition de politiques sociales) et se heurtent à la remise en cause du modèle de partenariat public-privé, suite à la dévaluation du peso en janvier 2002, prélude à la rupture unilatérale du contrat de concession [32].
33Toutefois, il est intéressant de noter les effets de la crise de décembre 2001 sur les programmes « quartiers défavorisés » [33]: paradoxalement, la crise n’a pas freiné le développement des projets. Au contraire, l’année 2001 a été un véritable tremplin pour la phase opérationnelle des modèles participatifs de gestion. Plus encore, ces projets ont été la seule occasion de poursuivre l’extension des réseaux, tous les autres projets négociés pour le plan quinquennal ayant été temporairement arrêtés. Cette situation étonnante est le résultat de plusieurs effets combinés : d’une part, l’effet maturation (la crise arrive au moment où l’entreprise est enfin prête à mettre en place de véritables projets pour les quartiers), d’autre part, l’effet coût (les projets d’expansion dans les quartiers sont en général moins coûteux que les projets traditionnels) [34]. Enfin, l’effet image (en période de renégociation des contrats et du fait de nombreuses mises en cause des opérateurs privés par la société civile, les projets « quartiers défavorisés » représentent la cara humana (le visage humain) de l’activité d’Aguas Argentinas.
Les quartiers défavorisés de la concession connectés au réseau d’eau
Les quartiers défavorisés de la concession connectés au réseau d’eau
Le secteur de l’énergie électrique : les « débranchés » perçus comme risque pour l’activité
34Dans le secteur électrique, le manque de politique sociale pour un accès universel au service a davantage servi de prétexte à l’opérateur pour entreprendre une gestion de type « défensive » face aux quartiers que pour saisir une opportunité de marché, comme dans le secteur de l’eau. Afin d’analyser les motivations de l’opérateur, il convient de revenir sur les caractéristiques techniques (modes d’approvisionnement en énergie) et contractuelles qui régissent le secteur.
Les pratiques des « débranchés » du réseau électrique [35].
35L’énergie électrique est l’un des piliers des quartiers défavorisés de l’agglomération de Buenos Aires puisqu’elle permet, entre autres usages, l’accès à l’eau par pompage des nappes. En effet, l’accès à la ressource unique que constitue l’énergie électrique permet une multitude d’applications immédiates pour des usages vitaux (conserver les aliments, les cuire, chauffer l’habitat, l’éclairer, pomper de l’eau des nappes souterraines, avoir accès à la télévision, à la radio, etc.) qui nécessiteraient, sans elle, une organisation complexe pour l’accès — souvent difficile car coûteux, tardif ou techniquement compliqué — à d’autres services urbains (gaz de ville, réseau d’eau et d’assainissement) [36].
36Cette situation explique la systématicité avec laquelle les usagers non connectés au réseau ont développé des pratiques de vol d’énergie. Dans les quartiers que le réseau n’atteignait pas encore (pendant les premières années de la concession) ou dans les situations de fort endettement des usagers et de coupure de l’énergie électrique, la privation de la ressource s’avère tellement paralysante qu’elle entraîne systématiquement une organisation des usagers pour récupérer l’énergie sur les réseaux alentours. En outre, le vol d’énergie est plus facile à organiser que la fraude sur les réseaux d’eau, du fait de l’accès extérieur aux câbles et installations (soit éclairage public, soit sur les réseaux des particuliers) et à la quasi substantialité [37] de la ressource obtenue par voie irrégulière (dans l’eau, se pose le problème de la potabilité qui n’a pas d’équivalent dans l’énergie électrique). Les débranchés du réseau électrique sont donc toujours branchés au réseau, de manière illicite. Contrairement au secteur de l’eau, le réseau urbain, pour l’électricité, constitue l’unique source d’approvisionnement possible.
37Cette situation explique la complexité du problème des quartiers défavorisés. Très souvent dépourvus d’autres services urbains, et disposant d’appareils électroménagers de mauvaise qualité (donc consommant plus d’énergie) et de ce fait, gros consommateurs en énergie électrique, ces quartiers représentent virtuellement pour l’entreprise les plus gros payeurs de la catégorie « particuliers », alors que ce sont eux, justement, qui disposent des plus faibles capacités de paiement. Cette tension entre besoins vitaux de la population des quartiers et inadéquation de l’offre s’avère extrêmement intéressante pour analyser l’évolution des stratégies adoptées par l’opérateur.
Présentation de la concession : obligations contractuelles et principes de l’acuerdo marco
38Au moment de la libéralisation du secteur électrique, le gouvernement argentin a décidé de découper la filière électrique en plusieurs segments (production, transport, distribution, commercialisation) et de lancer des appels d’offres sur chacun d’eux. En 1992, l’appel d’offres pour la distribution dans le nord de l’agglomération de Buenos Aires [38] est remporté par le consortium EASA (Electricidad Argentina Sociedad Anónima) dont fait partie EDF. L’entreprise Edenor est créée, dans laquelle EDF devient majoritaire en 2001 (à plus de 80 %). L’entreprise Edenor, sous statut de concession pour 95 ans, est chargée de distribuer et commercialiser l’énergie électrique dans cette zone, sous le contrôle du régulateur (ENRE), représentant les pouvoirs publics (état, provinces, municipalités).
39Le mode tarifaire adopté repose toujours sur les quantités consommées et distingue deux catégories : particuliers et professionnels. Le cadre de régulation du secteur électrique (marco regulatorio) interdit tout type de subvention croisée pour le secteur (entre catégories d’usagers et entre paliers de consommation).
40Le contrat de concession, reposant sur la notion de « service obligatoire » (Arza, 2002), définit l’obligation pour l’entreprise de répondre, dans les plus brefs délais, à toute demande émanant d’un habitant de la zone de concession désireux d’être connecté au réseau. En outre, le souci de l’entreprise de mettre au plus vite un terme à la fraude implique d’organiser la régularisation [39] du service pour l’ensemble de la concession le plus rapidement possible.
41En effet, le coût de la fraude, pour l’opérateur, est beaucoup plus important dans le secteur électrique que dans le secteur de l’eau du fait de la structure du marché. D’une part, le coût de l’énergie distribuée dans les réseaux inclut le coût d’achat de la ressource, contrairement à l’entreprise d’eau qui dispose gratuitement de la ressource issue du Río de la Plata et ne répercute sur la facture que les coûts de traitement et d’acheminement. L’énergie distribuée est payée aux producteurs préalablement au paiement des factures par les clients : l’entreprise « avance » aux usagers le coût de production de la ressource. D’autre part, la tarification de l’énergie électrique est directement liée aux quantités consommées, contrairement au tarif forfaitaire pratiqué dans l’eau, ce qui augmente encore l’incidence de la fraude sur les pertes que l’entreprise enregistre, puisque les consommations des fraudeurs ont été payées d’avance aux producteurs mais ne sont pas recouvrés par les factures. Cette situation explique à quel point, dans le secteur électrique, les pratiques de vol de la ressource pèsent dans le calcul des coûts de gestion de l’opérateur.
42Les efforts de l’entreprise, dans les premières années de l’exercice de son activité, se sont donc concentrés sur les pertes d’énergie [40]. En six ans, à partir de la prise de concession, les pertes totales sont passées de 28 % à 10 %. Il s’agit donc d’un résultat important étant donnée la part considérée comme irréductible des 8 % liés aux pertes techniques [41].
43Le programme de travail d’Edenor a donc commencé, d’une part, par la normalisation des situations de fraude dans les quartiers connectés au réseau (avec, dans certains cas, une demande de paiement rétroactif de l’énergie consommée clandestinement) et, d’autre part, par une régularisation massive du service dans les quartiers où le réseau n’arrivait pas encore, en très grande majorité des quartiers défavorisés où les populations s’étaient connectées de manière illicite.
Évolutions des pertes d’énergie (techniques et non techniques) depuis la prise de concession
Évolutions des pertes d’énergie (techniques et non techniques) depuis la prise de concession
Évolution des investissements d’Edenor (en millions de US dollars) pour la distribution d’énergie électrique 1992-1998
Évolution des investissements d’Edenor (en millions de US dollars) pour la distribution d’énergie électrique 1992-1998
Principes de l’accord cadre
Pour cela, il distingue deux types de quartiers : les quartiers « régularisables » (ayant une trame urbanistique : selon la typologie utilisée dans cette étude, il s’agit des quartiers précaires) et les quartiers « non régularisables » (sans trame urbanistique, sans rues tracées, il s’agit des bidonvilles).
Il prévoit, d’une part, la régularisation massive des quartiers « régularisables » (installation des lignes et facturation individuelle du service) et, d’autre part, la mise en place par les municipalités de projets d’urbanisation des bidonvilles, ceux-ci devant être achevés au terme de l’accord (quatre ans).
En attendant l’urbanisation de ces quartiers, qui devrait permettre, à terme, la régularisation de la distribution d’énergie dans les bidonvilles, le système prévu est celui du compteur collectif : une ligne de moyenne tension est installée tout autour des quartiers, munie de plusieurs points d’accès permettant aux habitants d’établir des connections « faites maison ». Les installations internes relèvent donc de la responsabilité des habitants du quartier. Chaque point d’accès sur la ligne de moyenne tension est équipé d’un compteur, qui permet de mesurer la consommation globale pour le quartier (macro comptage).
Les factures payées par les clients des quartiers « régularisés » (en fait, la part correspondant aux impôts municipaux, provinciaux et nationaux, soit environ 30 % de la facture) permettent de nourrir un fonds spécial indépendant de l’entreprise et des municipalités.
Ce fonds, régulièrement alimenté par le paiement des factures, sert au paiement de la consommation des bidonvilles, mesurée grâce aux compteurs communs installés sur la ligne de moyenne tension entourant les quartiers.
44Une des questions sensibles au début de la concession a été le paiement rétroactif de l’énergie qui avait été consommée frauduleusement. Dans un premier temps, l’entreprise concessionnaire avait coupé l’approvisionnement d’énergie dans certains quartiers afin de régulariser la situation et avait installé, à l’entrée des bidonvilles, des limiteurs de puissance coupant massivement l’arrivée d’électricité si la consommation dépassait un certain seuil. Suite à de violentes réclamations de la part des populations privées de service (dont une partie était cliente et à jour dans ses paiements) et à une répression policière conséquente, le problème, qui était d’abord simplement d’ordre commercial, devint un véritable conflit politique et social (Pirez, 2000).
45La solution au conflit fut le fruit d’une négociation entre l’entreprise, l’État fédéral, la province de Buenos Aires et les différentes municipalités de l’agglomération [42]: il s’agit de l’accord cadre, signé en juillet 1994, qui régit, depuis cette période, la distribution de l’énergie dans les quartiers défavorisés de l’ensemble de l’agglomération [43] en stipulant des dispositions particulières.
46En résumé, tant que les municipalités n’ont pas engagé les projets d’urbanisation, les factures des quartiers précaires nouvellement connectés paient la consommation globale des bidonvilles. Ce système en vase clos, excluant une contribution du reste des usagers au paiement de la consommation des bidonvilles, trouve son origine dans la loi régulant le secteur (marco regulatorio) qui interdit tout type de subvention croisée entre catégories d’usagers dans la distribution d’énergie électrique à l’échelle de la concession. L’accord cadre est donc, dans cette perspective, une entorse à la loi, cependant tolérée du fait de son caractère « transitoire ».
47L’accord cadre a permis, dans son application initiale, la régularisation de près de 400 000 clients dans les quartiers précaires pour les trois premières années. Pendant cette période, l’entreprise a créé un groupe centralisé d’environ 250 personnes (reclassées suite à l’externalisation de nombreuses activités assurées auparavant par l’entreprise) pour la régularisation des quartiers. Ces gestores de barrios, référents de l’entreprise dans les quartiers, avaient pour mission d’accompagner les habitants dans la régularisation du service. Leur mission était autant technique et commerciale que relationnelle : ils étaient amenés à donner des explications techniques, montrer l’exemple, expliquer les détails de la facture, donner des conseils pour l’usage rationnel de l’énergie, être présents en cas de doute des clients sur certains points ou en cas de conflit avec le personnel technique, etc.
48La régularisation consistait en l’installation du réseau de moyenne et basse tension, l’installation de compteurs individuels, la mise en route de la facturation individuelle et l’intégration des clients au cycle commercial traditionnel. Elle a été accompagnée, dans la plupart des quartiers, par une campagne de signalisation (nom des rues, numéro des maisons, identification des habitants de chaque foyer, etc.).
49Cet accord, censé être provisoire avait été initialement signé pour quatre ans. En 1998, il a finalement été renouvelé dans les mêmes termes puisque les engagements des municipalités à urbaniser les bidonvilles n’avaient pas été respectés et que le système, malgré quelques petits déséquilibres, semblait fonctionner convenablement.
50Peu à peu, l’accord cadre est passé d’une mission visant à « résoudre le problème des quartiers et leur permettre un accès régulier à l’énergie électrique » à une autre cherchant à « résoudre le problème des entreprises et des municipalités face aux coûts de gestion de ces quartiers ».
51Toutefois, la situation de crise du pays a clairement mis à jour les limites d’un tel arrangement. En effet, le déséquilibre d’un tel accord était inévitable dès lors que, d’une part, la dimension et le nombre des bidonvilles allaient en augmentant et que, par conséquent, la consommation d’énergie augmentait dans les mêmes proportions, et que, d’autre part, la capacité de paiement des quartiers qui avaient été régularisés se détériorait, du fait de la crise économique et sociale. Les ressources du fonds ne cessaient de diminuer alors que les besoins en dépenses augmentaient.
52Par ailleurs, dans la pratique, les municipalités ont eu tendance à retarder l’alimentation du fonds (qu’elles effectuent via le règlement des impôts en provenance des « régularisés ») et elles se trouvent aujourd’hui en situation de dette croissante vis-à-vis des entreprises qui, elles, continuent à acheter l’énergie aux producteurs et à avancer le règlement des impôts sur facture [44].
53Cette situation, qui n’a cessé de se dégrader pendant la période de l’avenant à l’accord cadre (1998-2002) devenait trop pesante pour les entreprises qui supportaient seules les coûts liés au dysfonctionnement de l’accord. Elles ont, par conséquent, commencé à en détourner les termes afin de se défaire du poids des pertes. Par exemple, lorsqu’un quartier qui a été régularisé connaît un retard de paiement ou une dette trop importante et que l’entreprise (Edenor) estime qu’elle ne pourra pas récupérer le paiement des factures, elle s’autorise à retirer les compteurs individuels et à installer une ligne de moyenne tension autour du quartier (avec un compteur collectif), afin de le faire passer dans la catégories des « non régularisables ». En d’autres termes, elle fait supporter le paiement, ou plutôt, le non paiement de la consommation aux municipalités. En agissant de cette manière, elle augmente la dette des municipalités à son égard ou, plus précisément, elle fait glisser la dette des clients démunis des quartiers défavorisés vers les municipalités, en spéculant sur la meilleure solvabilité de ces dernières.
54Cette attitude qui pourrait paraître paradoxale trouve son explication dans deux phénomènes: d’une part, la renégociation des contrats, attendue depuis décembre 2001, étant toujours en cours de redéfinition, l’entreprise spécule sur le fait qu’elle pourra exercer une pression plus importante sur les pouvoirs publics que sur les usagers, au moment où sera abordée la question sensible du règlement des dettes. Elle préfère donc reporter l’ensemble des situations de dettes sur les municipalités et la province. D’autre part, elle se pose désormais la question de la gestion du service dans les quartiers défavorisés au-delà du cadre de l’accord spécifique, abandonné de fait par les deux acteurs : pouvoirs publics et entreprise. À cet effet, elle élabore des stratégies pour se rapprocher des usagers des quartiers défavorisés, afin de tenter de trouver un équilibre financier entre les faibles revenus que procure cette catégorie de clients (du fait des difficultés de paiement et du montant extrêmement élevé des factures) et les fortes pertes qu’engendrent les pratiques de vol d’énergie, alternative systématique à un service régularisé.
55La situation actuelle de crise et la plongée d’une partie croissante des clients dans une situation économique alarmante incitent aujourd’hui l’entreprise à la recherche de solutions efficaces pour résoudre la difficile équation « rentabilité des activités/faible solvabilité des clients ». Au-delà des activités de sensibilisation, qui s’avèrent utiles mais dont l’évaluation est difficile, de nouveaux projets sont en cours. Ils ont été impulsés par la direction commerciale, alarmée des conséquences que la crise actuelle avait sur le niveau des impayés. L’idée de cette nouvelle politique serait de « rattraper le temps perdu », en essayant, suite à l’échec absolu des définitions entreprises/pouvoirs publics (l’accord cadre) en matière de connexion des quartiers défavorisés, d’« injecter » dans les nouveaux projets des principes d’ingénierie sociale, absents des programmes développés jusqu’alors. Le souci de l’entreprise va être désormais de comprendre les modes de consommation des usagers et de définir avec eux des manières de réduire leur consommation. L’objectif de cette démarche est double : d’une part, permettre aux clients de payer leur facture et de sortir d’une situation d’endettement, et, d’autre part, éviter le moment difficile de la coupure d’électricité, par ailleurs très coûteuse pour l’entreprise.
Les nouveaux projets de réintégration des clients : pré-paiement et service minimum
56Deux projets sont actuellement à l’essai (expériences pilotes en cours dans plusieurs quartiers) et une proposition de tarification sociale a été adressée par l’entreprise au régulateur et au gouvernement. Les négociations étant encore en cours, le projet de tarif social est en attente de définition.
57L’idée des projets pilotes est d’évaluer, à l’échelle d’un quartier, leurs effets respectifs sur les niveaux de consommation d’énergie, de paiement de la facture et de satisfaction des clients. Dans un deuxième temps, cette évaluation permettra de généraliser, à l’échelle de la concession, le projet le plus avantageux pour l’ensemble des acteurs (entreprise, communautés de quartier et municipalités), dans une logique d’accord mutuel. L’entreprise se place comme une force de proposition vis-à-vis des autres acteurs qui auront le choix et la responsabilité de s’engager ou non dans les nouvelles pratiques à l’essai.
58Le premier projet est celui du « compteur pré-paiement ». Il permet aux clients d’auto-administrer la ressource électrique, de gérer et de contrôler leur consommation, en l’ajustant à leur capacité de paiement. Le dispositif est le suivant : des bornes de paiement sont installées à proximité des foyers (15 blocs, soit environ 1 500 mètres maximum) et sont configurées pour recevoir des paiements en petits fragments (jusqu’à un peso, soit environ 30 centimes d’euros). Après paiement, ces bornes délivrent un ticket muni d’un code que le client chargera dans son compteur, ce qui permettra la reprise du service électrique dans son foyer. Lorsque le crédit s’épuise, l’énergie est coupée puis rétablie dès le chargement de crédit dans la borne. En moyenne, une journée d’énergie électrique pour une maison coûte 0,70 peso. L’idée de ce projet est de permettre à l’entreprise de récupérer le paiement de l’ensemble de l’énergie distribuée en obligeant le client à adapter sa consommation à sa capacité de paiement.
59Le second projet est celui du service minimum : un « limiteur de puissance » permet au client d’éviter le moment brutal de la coupure en cas de non paiement de la facture. En attendant le règlement de sa dette, le client ne dispose que d’une puissance restreinte et devra donc éviter l’usage simultané d’appareils électroménagers. En cas de dépassement des capacités de puissance, la clé thermique située à l’entrée de son foyer saute et le courant est coupé. Ce projet vise à régler les problèmes de dettes trop lourdes pour les clients démunis. Il est mis en œuvre pour une période maximum de quatre mois pendant laquelle le client rembourse sa dette (à raison de 25 pesos par mois maximum, le surplus de dette au delà de 100 pesos est directement pris en charge par l’entreprise). L’énergie distribuée sous le régime de la limitation est gratuite. Ce projet vise à la réintégration commerciale de clients endettés, de même qu’à une sensibilisation à un usage rationnel de l’énergie.
60Ces deux projets actuellement à l’essai sur plusieurs quartiers sont très représentatifs du changement de vision de l’opérateur depuis la crise de 2001. Comme dans le secteur de l’eau, la crise a eu, dans le secteur électrique, un impact considérable sur les programmes « quartiers défavorisés » mais l’entreprise d’eau y a trouvé un moyen de donner une impulsion forte à des projets pensés depuis longtemps, tandis que l’entreprise d’électricité y a trouvé l’opportunité d’un changement de cap radical par rapport à sa gestion des premières années. En effet, la gestion privée de la distribution d’énergie électrique avait très rapidement permis, au moyen de l’accord cadre, né d’un conflit social et politique virulent, d’organiser un accès technique de l’ensemble des foyers de la concession au service d’énergie électrique. Le « risque commercial » semblait ainsi évité. Cependant, l’envergure et la rapidité du programme ont masqué des failles, notamment dans le niveau d’adhésion des populations au projet, l’expansion ayant été envisagée de manière unilatérale, dans une logique d’offre [45], contrairement au secteur de l’eau, qui travaille dans les quartiers défavorisés dans une logique de demande. Il n’était donc pas surprenant, étant donnée l’absence de politique sociale pour l’ensemble de la concession et de travail social dans les quartiers, qu’une période de crise mènerait l’entreprise à se remettre en question en essayant, d’une part, d’« injecter » des principes d’ingénierie sociale dans ses nouveaux projets et, d’autre part, de mettre sur la table, au moment des renégociations, les limites du contrat tel qu’il avait été défini en 1992.
Conclusion
61L’analyse des stratégies adoptées par chaque opérateur concernant les quartiers « débranchés » permet une lecture particulière, d’une part, du degré de professionnalisme des programmes de raccordement des populations concernées et, d’autre part, des temporalités envisagées pour le déroulement des projets, laissant présager de la durabilité des solutions apportées.
62Pour autant, elle ne permet pas de conclure sur la pondération de chacun des éléments structurant ces stratégies et ce qui les motive. Dans quelle mesure les différences de stratégies entre les secteurs tiennent-elles :
- aux caractéristiques techniques de chaque secteur ? Les montants d’investissements et les temporalités qu’impliquent l’extension des réseaux étant très variables d’un secteur à l’autre,
- à la symbolique de chaque ressource ? L’eau étant perçue comme plus essentielle alors que, paradoxalement, l’électricité est la plus demandée par les quartiers (à Buenos Aires, elle permet l’accès à l’eau par pompage dans les nappes),
- aux perspectives commerciales de chaque entreprise ? Pour Aguas Argentinas, il s’agit d’incorporer de nouveaux clients alors que pour Edenor, il s’agit de récupérer des clients exclus depuis longtemps du cycle commercial et lourdement endettés,
- aux modes de tarification ? Dans le secteur de l’eau, la tarification a toujours été redistributive alors que, dans le secteur électrique, elle a toujours été fonction de la consommation,
- au coût que représentent les débranchés ? Faible pour Aguas Argentinas, entreprise d’eau ayant accès gratuitement à la ressource, très élevée pour Edenor, distributrice d’énergie supportant le coût d’achat.
63Aujourd’hui, dans le cas de l’eau comme dans celui de l’électricité, les programmes de raccordement des quartiers se heurtent à un défaut de projet politique pour l’agglomération (absence de politique sociale sectorielle, faiblesse des autorités régulatrices, etc.). Cependant, si l’adhésion du politique tend à s’améliorer et à faciliter le développement de tels programmes — comme semble en présager les orientations du nouveau gouvernement [46] — il n’en demeure pas moins que l’accès des populations défavorisées aux services se pose en termes différents pour le secteur de l’eau et pour celui de l’électricité.
64Une évaluation des programmes développés par chaque entreprise, de même qu’une analyse plus approfondie de la question de l’accès aux services d’eau et d’électricité impliqueraient de réintroduire les notions d’accès technique et d’accès économique (Catenazzi, Da Representaçao, 2000). En effet, dans le secteur de l’eau, l’accès technique est conditionné par les temporalités de l’extension d’un réseau technique « lourd » et se pense à l’horizon 2023 pour la zone de concession, alors que, dans l’électricité, l’accès technique doit être quasi-immédiat, selon les termes contractuels. Dans le secteur électrique, la difficulté réside davantage dans la définition d’un accès économique au service, dans un contexte où les subventions croisées entre catégories d’usagers sont interdites (le tarif doit être le même pour tous les particuliers) et où les plus gros consommateurs domestiques sont les usagers les moins solvables. En ce sens, il n’est pas étonnant de constater que les projets mis en place pour les quartiers défavorisés dans ce secteur proposent un service à deux vitesses.
65En fait, les principaux enjeux pour une meilleure desserte des quartiers renvoient à des questions de solidarité territoriale à l’échelle de l’agglomération, cette solidarité passant notamment par les modes de tarification des services. En ce sens, l’interdiction des subventions croisées dans le secteur électrique explique la difficulté de l’entreprise à exercer une politique gestionnaire homogène sur une concession aussi contrastée au niveau socio-économique. Si les pouvoirs publics souhaitent éviter que se développent des services urbains à deux vitesses, ils devront nécessairement, lors de la renégociation des contrats, prendre en compte cette question. L’interrogation ouverte reste celle de la volonté politique argentine de définir un accès universel aux services de première nécessité.
Bibliographie
Bibliographie
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- Arza Camila, « El impacto social de las privatizaciones : el caso de los servicios públicos domiciliarios », Marzo 2002, Flacso, Segunda serie de documentos de informes de investigación, Buenos Aires.
- Catenazzi Andrea, Da Representacao Natalia, La disputa local respecto del sentido de la universalidad que orienta las prácticas de la posprivatización de los servicios urbanos, étude de cas, 2000.
- Cravino María Cristina, La propiedad de la tierra como un proceso. Estudio comparativo de casos en ocupaciones de tierras en el Area Metropolitana de Buenos Aires, SLAS 2001 Conference « Land Tenure issues in Latin America », 2001 April 6-8, Birmingham.
- Dupuy Gabriel (coord.), Las redes de servicios urbanos de Buenos Aires, problemas y alternativas, 1992, Paradigme, Caen.
- Galliani Sebastian et al., Water for life : the impact of the privatization of water services on child mortality, working paper n° 154, Center for Research on Economic Development and Policy Reform, Stanford University, août 2002.
- Gouvello (De) Bernard, La recomposition du secteur de l’eau et de l’assainissement en Argentine à l’heure néo-libérale. Lecture au travers du phénomène coopératif, thèse d’urbanisme soutenue en Avril 1999 à l’ENPC, Champs sur Marne.
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- Faudry D., « La concession des services d’eau de Buenos Aires » in Lorrain Dominique (coord.), Retour d’expériences, six cas de gestion déléguée à l’étranger, Mai 1999, Fondation des villes, Paris.
- Pirez Pedro, La regularización de los « colgados » en la distribución eléctrica en el área metropolitana de Buenos Aires, 2000, CONICET/CEA-UBA.
- Prevot-Schapira Marie-France, « Las políticas de lucha contra la pobreza en la periferia de Buenos Aires : 1984-1994 » in revista Mejicana de Sociología, vol 59, n° 2, Avril-Juin 1996.
- Prevot-Schapira Marie-France, « Buenos Aires, entre fragmentation sociale et fragmentation spatiale », in Navez-Bouchanine Françoise (coord.), La Fragmentation en question : des villes entre fragmentation spatiale et framentation sociale ?, 2002, L’Harmattan, collection Villes et Entreprises, Paris.
- Schneier-Madanes Graciela, « Mondialisation des villes : les conflits de la concession de Buenos Aires », 2000, Credal/CNRS, Documents de la recherche, Paris.
Notes
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[1]
Déjà pressentie pendant la période des dictatures militaires (1976-1983), la pression néo-libérale sur l’économie argentine s’est concrétisée lors de l’exercice du pouvoir autoritaire (par décret) du président péroniste Carlos Menem, élu en 1989. L’économie de la décennie 1990 s’est largement définie autour d’une ouverture massive et précipitée aux capitaux étrangers, appuyée sur une politique monétaire de convertibilité peso-US Dollar et sur un programme de privatisations de l’ensemble des grands secteurs économiques nationaux : postes et télécommunications, énergie, eau et assainissement, transports urbains, portuaires, aériens, ferroviaires, autoroutes, etc.
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[2]
Ou plus précisément la concession, dans le cas de l’eau et de la distribution d’énergie électrique. Le régime de concession attribue aux pouvoirs publics (État, provinces, municipalités) un rôle de régulation et de contrôle de la gestion de l’opérateur privé. Par ailleurs, les réseaux techniques existants et à construire demeurent la propriété de l’État national.
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[3]
Cette réflexion est issue d’un travail de thèse (sociologie) : « Entreprises privées et services publics dans les quartiers carenciados de l’agglomération de Buenos Aires : une responsabilité sociale en partage ? » S. Botton, direction : Y. Lichtenberger, LATTS-UMLV.
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[4]
Précisons que, depuis la crise de décembre 2001, les débranchements individuels pour non paiement des factures d’eau ne sont plus effectués.
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[5]
Oscar Altimir et Luis Beccaria définissent le développement hacia adentro comme une « stratégie officielle d’expansion économique de caractère nationaliste populiste, centrée sur l’élargissement des fonctions régulatrices de l’État, et appuyée sur un protectionnisme accru, des prix externes favorables et le renforcement réciproque de la redistribution des revenus et de l’industrialisation et de l’expansion des activités urbaines ».
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[6]
Le tarif de l’eau était calculé sur la base d’un indice lié à la valeur locative de l’habitat (situation, qualité, superficie, quartier…) et non en fonction des quantités consommées. La contribution au service augmentait avec la qualité de vie des usagers.
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[7]
La typologie des quartiers défavorisés (barrio de emergencia, barrio precario et barrio armado) a été mise en place par l’équipe de développement de Aguas Argentinas (GDC) en 1999. Outre le fait qu’elle rende compte de manière très pertinente de trois types de réalités différentes, elle permet une catégorisation efficace au moment de la mise en place des projets opérationnels.
-
[8]
Dans le sens de « logiques caritatives », qui maintiennent les populations en position de dépendance pour l’accès à des éléments de la survie en ville aussi essentiels que l’alimentation, la santé, les vêtements, l’éducation, etc.
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[9]
qui permettent aux habitants des quartiers d’accéder à un statut de citoyen à part entière et de gagner leur autonomie en participant à des projets d’accès aux ressources de première nécessité, leviers pour d’autres projets d’amélioration de leur cadre de vie.
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[10]
Le branchement est considéré ici comme un branchement légal, enregistré et durable à un service en réseau. Les phénomènes de « débranchement » pendant la gestion publique incluent donc, par exemple, l’installation d’un robinet à l’entrée d’un bidonville pendant une période donnée, permettant un accès gratuit à la ressource pour les habitants du quartier (sans pour autant leur garantir la qualité et la durabilité d’une connexion régulière au réseau d’eau), laissant libre cours à toutes les pratiques de clientélisme politique.
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[11]
Obras Sanitarias de la Nación, entreprise publique d’eau et d’assainissement a été créée en 1912 avec la triple vocation d’hygiène publique, de redistribution du revenu et d’aménagement du territoire. Dès 1937, suite à la décision d’homogénéiser les tarifs sur l’ensemble du territoire national et de s’appuyer sur des subventions massives de l’État, l’entreprise devient déficitaire. À partir de 1970, le soutien politique au maintien des missions se faisant plus fragile, l’évolution des taux de desserte commence à fléchir. En 1980, OSN est démantelée et n’exerce plus son activité que dans la Province de Buenos Aires.
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[12]
Servicios Eléctricos del Gran Buenos Aires : entreprise publique créée en 1958, responsable de la production, du transport, de la distribution et de la commercialisation de l’énergie électrique sur une zone comprenant la ville de Buenos Aires et trente et une municipalités alentour.
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[13]
Pour 90 % d’entre elles, les lignes électriques de Buenos Aires Capital étant souterraines, le problème des fraudeurs y était nettement moins pesant que dans les municipalités du Grand Buenos Aires.
-
[14]
Données issues du terrain de thèse.
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[15]
Données issues du terrain de thèse. Étude de cas « Santísima Trinidad ».
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[16]
Sur la concession d’Aguas Argentinas, le coût de l’eau potable du réseau est de 0.2 US $/m3 (1 000 litres), contre un coût à peu près équivalent pour un litre d’eau en bouteille.
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[17]
Sur l’ensemble de la population des quartiers défavorisés de l’aire de concession (plus de 2 millions de personnes), environ 15 % vivent dans des bidonvilles, 10 % dans des grands ensembles et 75 % dans des quartiers précaires (données issues du rapport IIED-AL - UADE : « Participación del sector privado en agua potable y saneamiento en Buenos Aires, equilibrando los objetivos económicos, ambientales y sociales », Juillet 1999).
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[18]
Au moment de la prise de concession, le financement de l’expansion devait être pris en charge par les nouveaux connectés (via une charge « Infrastructure et connexion »). Suite à des distorsions économiques flagrantes, les modalités en furent renégociées en 1997. Depuis lors, il repose sur une participation de l’ensemble des usagers du réseau (via une charge « service universel » {SU}).
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[19]
La seconde catégorie de quartiers selon la typologie des quartiers défavorisés présentée précédemment.
-
[20]
Données AASA.
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[21]
Rappelons que la très grande majorité des quartiers défavorisés concernés par la problématique de l’expansion sont des quartiers précaires puisque les bidonvilles et les cités ne sont pas compris dans les objectifs contractuels de l’opérateur.
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[22]
Dans le secteur de l’eau, le terme « régularisation » concerne la normalisation technico-commerciale de certains quartiers. Elle peut prendre des formes très variées : Il peut s’agir, par exemple, d’organiser l’extension du service dans un quartier non connecté inséré au sein d’une zone desservie, ou de faire le point sur les impayés de certains clients afin d’organiser des ateliers de sensibilisation commerciale, etc.
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[23]
L’élargissement du domaine de compétence de l’équipe GDC s’est faite afin d’inclure l’ensemble des quartiers défavorisés dans les projets opérationnels et non uniquement les quartiers précaires, comme prévu initialement.
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[24]
Données issues de rapports sur l’activité de l’équipe GDC de AASA.
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[25]
On entend par métiers du développement (aussi dits « métiers d’ingénierie sociale »), les métiers nécessitant une bonne connaissance de la problématique et de la réalité des quartiers défavorisés, de même qu’une bonne maîtrise de la méthodologie d’intervention sociale pour l’expansion des réseaux dans ces quartiers.
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[26]
On appelle ici « communauté du quartier », selon l’expression utilisée par AASA, l’ensemble des habitants du quartier. Cette communauté choisit des représentants, élus ou non, pour la signature du contrat.
-
[27]
L’équivalent, en 2002, d’un montant de 40 euros.
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[28]
Concernant la rémunération de la main-d’œuvre, outre ces aides, les habitants participant aux travaux bénéficient d’une réduction sur la facture d’eau pendant plusieurs années.
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[29]
Ce qu’Aguas Argentinas appelle l’enfoque constructivista désigne la méthodologie de travail d’ingénierie sociale faisant participer l’ensemble des acteurs à toutes les étapes du programme.
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[30]
Le tarif social ne s’applique pas nécessairement aux clients des quartiers défavorisés. À partir d’un budget annuel de deux millions de pesos mis à disposition par l’entreprise, des modules de réduction sur facture (quatre pesos par service) sont distribués par les municipalités aux clients selon certains critères de précarité socio-économique.
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[31]
Données AASA.
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[32]
Le contrat de concession prévoyait des tarifs fixés en US Dollars. La loi d’urgence économique de janvier 2002, qui met en place la pesification des tarifs, met donc fin aux termes du contrat de concession. Depuis cette période, une renégociation des contrats de concession de tous les services publics est en cours.
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[33]
Données issues du terrain de thèse.
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[34]
Coûts de main-d’œuvre faibles ou inexistants, beaucoup de « bricolage » pour la récupération de matériel, délégation de certains coûts aux municipalités (outillage, gros œuvre).
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[35]
Données issues du terrain de thèse.
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[36]
Par exemple, le quartier est excentré et ne peut techniquement, pour des raisons d’éloignement, être relié au réseau d’eau et d’assainissement avant plusieurs années, ou encore, la qualité de l’habitat du quartier est trop précaire (construction en bois ou en tôles) pour que l’on puisse le relier au réseau de gaz de ville — pour des raisons de sécurité — et il faut attendre la construction « en dur » de toutes les maisons avant d’effectuer les installations.
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[37]
La substituabilité n’est pas entière du fait des problèmes de sécurité que peuvent poser les installations irrégulières lorsque les fraudeurs ne possèdent pas les compétences d’« électriciens » (courts circuits possibles, baisses de tension…).
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[38]
Moitié nord de capital federal de même que vingt municipalités du nord de l’agglomération (La Matanza, Morón, Hurlingham, Ituzaingo, Merlo, Marcos Paz, General Las Heras, General San Martin, Tres de Febrero, San Miguel, Moreno, José Carlos Paz, Malvinas Argentinas, General Rodriguez, Pilar, Vicente López, San Isidro, San Fernando, Tigre, Escobar).
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[39]
Dans le secteur électrique, la notion de « régularisation » concerne autant la normalisation technico-commerciale de certains quartiers ou de connexions individuelles que l’extension du réseau dans les quartiers encore non desservis. Elle a donc une signification beaucoup plus large que dans le secteur de l’eau.
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[40]
Les pertes sont constituées, d’une part, par les pertes techniques, liées à la qualité du réseau et pouvant se réduire en concentrant les efforts sur l’entretien technique des lignes, et, d’autre part, par les pertes non techniques, liées au vol d’énergie.
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[41]
Il convient de rappeler que les pratiques de vol d’énergie n’étaient pas le fait unique des quartiers présentant des difficultés de paiement. Bien au contraire, elles étaient relativement généralisées : entreprises ou petites industries, quartiers résidentiels de très haut standing socio-économique, entités publiques (municipalités, entre autres), etc. L’amiguismo, ou favoritisme lié aux relations, était monnaie courante dans l’octroi d’une « autorisation » non officielle d’usage frauduleux du réseau. Une étude montre que la fraude (chez Edesur) était pratiquée à 75 % par des clients dont les revenus étaient suffisants voire largement suffisants pour payer une facture et à 25 % par les habitants des quartiers défavorisés, principalement du Grand Buenos Aires (Pirez, 2000).
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[42]
Sauf la municipalité de Buenos Aires Capital qui continue à prendre en charge la consommation d’énergie des bidonvilles installés sur son territoire.
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[43]
Il s’applique donc aux trois entreprises de l’agglomération de Buenos Aires : Edenor au nord, Edesur au sud et Edelap, pour la province de la Plata.
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[44]
Dans tous les cas, l’entreprise verse aux autorités publiques (état, province et municipalités) les impôts leur correspondant (environ 30 % de la facturation) préalablement au recouvrement des factures. Pour la catégorie de clients « quartiers régularisés » relevant de l’accord cadre, elles sont supposées rediriger les montants de l’impôt vers le fonds spécial. L’entreprise continue à distribuer l’énergie aux bidonvilles, dont la consommation est censée être prise en charge par le fonds. Les retards d’alimentation du fonds entraînent donc, de facto, une dette croissante des autorités publiques à l’égard de l’entreprise.
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[45]
Cette logique d’offre s’est traduite non seulement par la définition unilatérale des projets de connexion des quartiers mais également par l’absence de réflexion autour d’une politique globale pour la concession, qui aurait pu permettre, par exemple, la mise en place de tarifs différenciés en fonction des capacités de paiement des catégories d’usagers.
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[46]
Election de Nestor Kirschner à la présidence du pays en Avril 2003. Les orientations de la nouvelle équipe dirigeante semblent s’inscrire dans une perspective de rupture par rapport à la politique menée depuis le début des années 1990