Notes
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[1]
Cet article a également bénéficié de la collaboration de Sophie Houzet pour les Schémas Directeurs Régionaux et pour l’ADSL dans le cadre d’un mémoire de géographie réalisé à l’Université d’Avignon intitulé Diffusion des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans le grand ouest et le sud-est de la France. La notion de réseau appliquée à trois niveaux : infrastructures, services et usages.
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[2]
D’autres facteurs que l’analyse des usages contribuent sans doute autant à maintenir cette tendance ubiquiste : faible visibilité des infrastructures, effacement des acteurs publics de l’aménagement dans le contexte de la libéralisation économique…
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[3]
Préface du Schéma de Services Collectifs, p. 483.
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[4]
Nous avons été, à cette occasion, sollicités pour faire figurer trois des quatre cartes (pp. 534-545) montrant des différences spatiales dans la diffusion des TIC.
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[5]
Introduction du Schéma de Services Collectifs TIC, p. 492.
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[6]
Trois horizons de planification y ont été distingués : 2003, 2010, 2020. Aucun ne donne de schéma d’orientation, laissant aux Régions le soin de décliner la dimension territoriale par les chargés de mission TIC nouvellement installés dans les Préfectures de Région.
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[7]
Par exemple lorsque sont donnés, sans trop de détails, des taux d’entreprises industrielles de plus de 20 salariés connectées à Internet ou ayant un site, ou des proportions de communes de plus de 10 000 habitants ayant un site web, ou encore lorsque est avancé le chiffre de 500 sites web recensés à la Réunion.
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[8]
Toutefois des moyens de collecte de l’information sont mis progressivement en place pour pallier les déficits d’information : lettres de diffusion émanant de services de Ministères (Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Délégation à la Recherche et aux nouvelles technologies…), mise en place d’observatoires (ORTEL, Télécoms en ville), partenariats ou même montages d’opérations avec la DATAR pour le suivi de la diffusion avec des bureaux d’études (IDATE, Tactis, Artesi, Arantis).
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[9]
Parmi les plus connus ou les plus avancés, citons Mégalis en Bretagne et Pays de la Loire, Dorsal en Limousin, mais aussi le Réseau Régional à Très Haut Débit (RRTHD) en PACA, et, dans les départements, celui des Inforoutes de l’Ardèche, celui de la Boucle locale à haut débit d’Agen, celui du Tarn et Haute-Garonne (e-Téra) ou encore ceux du Plan d’action haut débit dans l’Oise, de la Plate-forme numérique Castres-Mazamet, etc.
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[10]
Cf. l’initiative interrégionale IRIS en cours, soutenue par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), l’Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie (ACFCI), la DATAR et le Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie : http://iris.telecomville.fr
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[11]
Signalons toutefois les travaux de la Commission « Géographie de la Société de l’Information » du Comité National Français de Géographie ; l’étude de F. Damette (1994) : La France en villes ; ou encore ceux de l’opérateur historique.
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[12]
Son recours pousse systématiquement à engager une réflexion de fond sur l’accès à l’information, son exploitation, sa diffusion, mais se heurte toujours à nombre de contraintes de nature commerciale et surtout institutionnelle, tant pour l’accès à l’information géographique de base (données physiques, territoriales et socio-économiques) que pour les droits à diffuser de l’information.
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[13]
Depuis les différentes phases du réseau Renater jusqu’au VTHD (Vraiment Très Haut Débit).
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[14]
Analyses en cours dans une thèse de doctorat en géographie préparée par Marina Duféal, sous la direction de Loïc Grasland à l’Université d’Avignon : Internet, marqueur et vecteur de dynamiques territoriales émergentes ? L’exemple de la diffusion du web dans l’arc méditerranéen français.
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[15]
En excluant les sites dits « personnels » (perso) à l’initiative d’utilisateurs privés.
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[16]
Notons que la composition de ce secteur « TIC » varie considérablement d’un organisme à l’autre (OCDE, INSEE, Chambres de Commerce et d’Industrie, Directions Régionales de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement…).
On renvoie à ce sujet à l’ouvrage collectif dirigé par D. Cohen et M. Debonneuil (2000) : Nouvelle économie (téléchargeable en ligne à l’URL suivante : http://www.cae.gouv.fr/rapports/28.htm), ainsi qu’aux travaux de Frank Lasch sur La filière des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) en Languedoc-Roussillon publiés dans la revue Repères, septembre 2001 ; janvier 2003 (disponibles en ligne sur le site de l’INSEE : http://www.insee.fr/), enfin au numéro d’Économie et Statistiques consacré aux TIC en 2000. -
[17]
Site de l’Observatoire e-management de Paris Dauphine-Cegos : http://troll.cip.dauphine.fr/observatoire/
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[18]
Voir le chapitre sur les équipements et tarifs pour les entreprises dans le Schéma de Services Collectifs.
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[19]
http://fr.yahoo.com/. Pour une présentation détaillée de cet annuaire, voir Duféal M., (2001), « La diffusion des sites web dans l’arc méditerranéen français », Actes des Ve Rencontres Théo Quant, Besançon.
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[20]
Depuis peu, deux autres annuaires ont décliné, dans leurs index, une entrée géographique : il s’agit d’Excite et de Voila (respectivement index « Régional » http://www.excite.fr, et index « villes, régions, pays » http://www.voila.fr).
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[21]
En janvier 2003, la NAF 1993 a été modifiée pour intégrer notamment les « nouvelles » activités liées aux TIC qui n’apparaissaient pas en « toutes lettres » dans la NAF 1993.
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[22]
Pour de plus amples informations sur la ventilation spatiale et socio-économique des sites web des villes de l’arc méditerranée en français, ainsi que sur la thématique de l’archivage du Web, voir : Duféal M., (2003), Les sites web de l’arc méditerranéen français marqueurs de territoire. Contribution à l’axe de recherche « Arc méditerrannéen » de l’UMR-ESPACE, http://www.umrespace.org/
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[23]
La notion de site officiel ne repose sur aucun critère légal ou réglementaire. Elle permet néanmoins de distinguer les sites de collectivités créés par des particuliers (sites « perso » sur une commune par exemple) de sites dont le contenu est validé par les collectivités ou des services de l’État. Il existe un guide juridique des sites de collectivités territoriales sur le site de l’Observatoire des Télécoms en ville : http://www.telecomville.org
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[24]
L’indice de spécialisation correspond au ratio : (part de sites web de la catégorie d’espace/ensemble des sites français [hors DOM-TOM])/(part de la population de la catégorie d’espace/population totale française [hors DOM-TOM]).
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[25]
Cf. par exemple la création de la première École de l’Internet (Institut des Applications Avancées de l’Internet).
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[26]
Ces analyses ont porté sur les seules villes de l’arc méditerranéen français, cf. Duféal M., (2003), op. cit.
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[27]
Ou « à grande vitesse » ou encore « à haute vitesse » comme l’usage tend à se répandre au Québec (espace où, dans ce domaine, les usages ont souvent été précurseurs de pratiques ultérieures largement répandues).
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[28]
Une étude de l’Ortel est ainsi parue en juin 2003 sous le titre : L’état des régions dans la société de l’information, mais n’a pu être considérée lors de la réalisation du présent article.
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[29]
Malgré les recommandations du régulateur (l’ART, l’Autorité de Régulation des Télécommunications), l’ouverture à la concurrence des infrastructures (dégroupage), jusque-là gérées par l’opérateur, se fait parcimonieusement.
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[30]
Les entreprises œuvrant dans le domaine des TIC y sont bien sûr les plus sensibles (fabricants de contenus en ligne, commerce en ligne, voyages, services vidéo…), mais il faut aussi considérer des ensembles de services, privés et publics, pour qui la collecte et la disponibilité rapides d’information, ou encore l’organisation en réseau deviennent des éléments structurels de fonctionnement et de productivité croissante : sociétés de conseil, banques, assurances, vente par correspondance, immobilier, contrôle et surveillance à distance, traçabilité, logistique, administrations centrales, bibliothèques universitaires, etc. L’industrie confirme aussi des usages anciens, mais en développe également de nouveaux, tant du point de vue des produits que des procédés de fabrication : échanges de données numérisées dans les systèmes de production, places de marché, fabrication de systèmes embarqués pour les véhicules automobiles, systèmes de positionnement et de guidage, équipements des systèmes mobiles. Pour les particuliers, les nouveaux usages recouvrent tout ce qui relève des échanges peer to peer, et notamment les téléchargements de films ou de morceaux de musique en streaming (les fichiers sont accessibles en même temps que s’effectue leur téléchargement). Ils recouvrent aussi la formation (e-learning), les jeux en ligne, la visualisation d’émissions de TV en différé ou encore le travail à domicile.
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[31]
Le site Netissimo de France Telecom permettait jusqu’à la fin 2002 de connaître les communes ayant un accès à ADSL et l’état de cette base était provisoire. Sans évoquer le nombre réel de clients, une analyse des populations ayant réellement accès à l’ADSL sur le territoire des communes ne peut être menée sérieusement, les chiffres diffusés par la presse spécialisée étant largement surestimés, à cause notamment d’une assimilation systématique entre territoire communal où l’ADSL est partiellement disponible et population totale des communes desservies. Des contraintes techniques limitent pourtant la distance de desserte sur le territoire des communes à partir des répartiteurs (environ 3 km) : elles sont considérées comme des contraintes parce qu’elles restent liées à des questions de densité de population et d’entreprises.
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[32]
Conseil Interministériel pour l’Aménagement et le Développement du Territoire.
1La réalisation d’un Schéma de Services Collectifs pour l’Information et la Communication (2002) montre que l’immatérialité des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) est relative et ne constitue pas un obstacle à des analyses de diagnostic et de planification dans les territoires. Pour autant, la géographie peine à y retrouver une dimension véritablement territoriale. S’il laisse entrevoir une certaine latitude dans la dimension prospective des TIC, le Schéma de Services oublie cependant largement de prendre le pouls des territoires français en tentant de prendre celui de la Société de l’Information. Ce constat résulte a priori d’une nette préoccupation pour les usages comme il est précisé d’emblée dans le Schéma (p. 483) et participe in fine des conceptions ubiquistes, pourtant révolues, des TIC [2]. S’il est acquis que les TIC ont une matérialité ainsi qu’en fait foi le Schéma de Services, la prise en compte de leur dimension spatiale est cependant largement sous-estimée et cette négligence pourrait bien finir par porter le doute sur leur matérialité. Pour éviter cette impasse et surtout pour montrer qu’à l’évidence, l’espace ne peut, non seulement être tenu pour dimension négligeable dans la diffusion des TIC, mais constitue au contraire une donnée essentielle de leur planification, l’analyse présentée ici est partie à la recherche de marqueurs spatiaux de la matérialité des TIC et de leur déploiement multiforme dans les territoires.
2En négligeant de traiter de la dimension spatiale des infrastructures de TIC dans l’organisation de l’espace, de ses liens avec la répartition géographique des secteurs d’activités et avec les pratiques de territoires, le Schéma de Services est dans l’impossibilité théorique de saisir la nature fondamentalement différenciée des enjeux économiques spatiaux et tronque les visions des territoires du futur qui peuvent en résulter. Jusqu’à présent, l’appréciation de ces enjeux a surtout été le fait de majors économiques œuvrant dans les réseaux. Certes l’importance de ces enjeux, parfois exagérément amplifiée comme en témoigne la crise de la net-économie, a laissé peu de place aux acteurs dont l’activité commerciale n’était pas l’objectif principal. Cependant, les préoccupations des entreprises de ce secteur ne sont certainement pas dénuées de considérations spatiales comme on peut l’imaginer lorsqu’il s’agit d’anticiper, de faire poser et de rentabiliser des kilomètres de fibre.
3Après une première phase de déploiement par des investisseurs soucieux de trouver les meilleurs positionnements géographiques, les processus de diffusion des TIC marquent aujourd’hui le pas avant d’entrer dans une nouvelle phase. La planification des réseaux à venir ne relève toutefois pas des mêmes procédures, ni des mêmes initiatives. Elle met notamment en présence aujourd’hui trois types d’acteurs dans la diffusion des TIC. Une première analyse de la situation amène en effet d’une part, à prendre en compte plus nettement, à côté des acteurs économiques initiaux, les acteurs institutionnels et aussi l’ensemble de la société si l’on considère la globalité des usages, et d’autre part, à composer plus explicitement avec la dimension spatiale pour l’analyse des usages des TIC. Ces prises en compte émergent alors que la planification opérée jusqu’à maintenant a, au moins implicitement, tenu compte de la diversité des territoires du seul point de vue de la rentabilité des infrastructures par les opérateurs. Bien que mal appréhendées, les notions de « fracture » et de « fossé » numériques, saisies par les instances officielles de la planification, illustrent aujourd’hui ces préoccupations en tentant de traiter plus globalement la question du déploiement des TIC. Mais comment l’opérationnaliser si sont insuffisamment connues les dimensions territoriales qui, autant que les dimensions sociales, fondent ces notions ? La planification de réseaux s’élabore ainsi selon des stratégies plus ou moins concertées, voire divergentes, d’acteurs et selon des enjeux de territoires distincts.
4Cet article fait l’hypothèse que la prise en compte d’un espace différencié est une dimension fondamentale du processus de diffusion des TIC et de leur planification, que l’appréhension des territoires ne peut être réduite au diagnostic des seuls « potentiels » économiques pour prévenir une « fracture numérique territoriale » et finalement que l’analyse spatiale des premières phases de déploiement des TIC constitue une clé de lecture permettant de révéler des enjeux d’espace utiles à la planification des réseaux à venir. Une première partie expose les insuffisances d’une approche sectorielle, telle que celle contenue dans le Schéma de Services Collectifs de l’Information et de la Communication, et les attendus d’une approche territoriale. Une seconde présente les résultats d’une analyse de marqueurs qui illustrent la dimension spatiale du déploiement des réseaux tant à l’échelle nationale que régionale : renseignant sur les activités, mais aussi sur les lieux les plus réceptifs à l’innovation, le web et plus généralement les TIC apparaissent notamment comme des marqueurs du territoire de premier ordre.
Les insuffisances de l’approche territoriale dans la planification des réseaux de télécommunications
5Dans le domaine de l’aménagement du territoire en général, la planification nécessite de procéder à un état préalable des lieux pour bien saisir les enjeux de territoire et apprécier ensuite la justesse ou l’adéquation de propositions d’aménagement. S’agissant de la planification des réseaux en particulier, il n’y a pas de raison de procéder autrement. Plus encore, la nature des travaux est en général suffisamment lourde (travaux de génie civil, immobilisations financières à long terme, pérennité des infrastructures, et, dans une période plus récente, préoccupations environnementales et négociations entre acteurs multiples) pour ne pas souffrir de mesures improvisées. Les réseaux de télécommunications, et plus spécifiquement les TIC, ont cependant la particularité d’être peu visibles et de laisser croire à un découplage systématique entre infrastructures et usages.
6Dans ce domaine et afin de dépasser une vision trop mécaniste de causes et d’effets, la planification suppose de reformuler la question des relations entre réseaux et territoires souvent proposée pour éclairer les relations entre infrastructures et usages. Des auteurs ont proposé de retenir la conception de « l’urbanisme des réseaux » (Wright, 1943 ; Dupuy, 1991) et en particulier une distinction en trois niveaux comme grille d’analyse pertinente de l’organisation des réseaux de télécommunications et des TIC (Curien, 1989 ; Drewe et Joignaux, 2002) : les infrastructures et leur gestion, les services développés pour leur mise en valeur, les usages. Située dans cette perspective, l’analyse présentée ici insiste en particulier sur les insuffisances d’une prise en compte des dimensions spatiale et territoriale à ces trois niveaux dans les documents officiels de planification.
Une approche officielle plus sectorielle que territoriale
La place secondaire des territoires dans le Schéma de Services Collectifs pour l’Information et la Communication
7L’évaluation des territoires est une phase fondamentale de la planification puisque, de ses résultats, dépendent les propositions et le ton à donner aux stratégies d’aménagement du territoire. C’est par « une approche centrée sur les besoins et les attentes des usagers » [3] que se décline cette phase d’évaluation dans le Schéma de Services Collectifs. La planification n’y relève pas vraiment d’une démarche d’analyse de réseaux matériels dans la mesure où l’étude des infrastructures n’est pas directement prise en compte, mais déduite des usages. L’évaluation des usages est présentée dans la première partie du rapport et cherche à prendre le pouls de la Société de l’Information, autant dans les sphères domestique (les ménages), publique (l’École, la Santé, l’Administration, voire la Culture) qu’économique (les entreprises). Elle favorise très nettement un point de vue sectoriel, au détriment d’une analyse territoriale, même si le chapitre III du Schéma intitulé Les territoires et les réseaux s’attachent à montrer l’inscription spatiale des TIC [4]. Dans ce contexte, l’exercice de planification peut-il vraiment tenir compte de préoccupations territoriales et répondre, comme le Schéma de Services le précise dans son Introduction, à un objectif de détermination « des conditions de mise en œuvre du territoire numérique afin d’assurer l’équité territoriale susceptible de garantir les conditions d’attractivité et de compétitivité (…) » [5] ?
8Une analyse séparant les usages et les pratiques d’une part, et leurs dimensions territoriales d’autre part, rend l’exercice de prospective [6] finalement déterritorialisé ! Ainsi dans le Schéma de Services, quelques tableaux de pénétration des TIC par grands secteurs d’activités à l’échelle nationale ne suffisent pas à rendre compte de l’hétérogénéité du territoire dans les usages et les pratiques des TIC. À ce sujet, on peut se demander comment envisager une « équité territoriale » du point de vue des TIC alors même que sont mal connues au préalable les disparités entre les territoires. Si quelques données plus géographiques ressortent ici ou là, elles restent trop peu nombreuses, trop imprécises [7] et mettent en évidence un déficit notable d’informations sur les territoires dans ce domaine [8].
9Tout en négligeant l’étude des infrastructures, le Schéma fait donc, dans l’analyse des usages, très peu référence à l’hétérogénéité des territoires. Même déclinées ensuite par région en suivant les recommandations du Schéma national, les grandes orientations d’ensemble ne peuvent garantir un cadre d’intervention suffisant pour assurer au mieux « l’équité territoriale » puisqu’il n’y a pas de situation de référence territoriale.
Les Schémas Directeurs Régionaux d’Infrastructures de Télécommunication (SDRIT)
10Comment, de leur côté, les Schémas Directeurs Régionaux élaborés par les Préfectures de Région pour préparer les contrats de Plan État-Région parviennent-ils alors à envisager une planification territoriale puisqu’ils s’inscrivent aussi dans les orientations du Schéma national ? Une tendance a-territoriale a d’abord caractérisé leur approche, faute de données localisées disponibles. Des résultats d’enquêtes régionales partielles sur les infrastructures (dorsales, points d’accès, réseaux locaux, …) ou des consultations publiques sur les besoins des usagers ont toutefois permis d’intégrer peu à peu une dimension spatiale dans certains schémas. De leur côté, les collectivités territoriales, en particulier les Conseils Généraux et les Conseils Régionaux, ont souvent pris des initiatives pour pallier cette faiblesse de la planification régionale officielle. Une quinzaine de projets de leur initiative est actuellement en phase de déploiement d’infrastructures (mai 2003), surtout dans la moitié ouest et sud-ouest de la France [9] pour les initiatives de Conseils Régionaux, mais les départements et les Communautés de Communes emboîtent également le pas et font rapidement évoluer le nombre de projets (une dizaine en mai 2003 dont la moitié date du début de l’année).
11Les analyses de diagnostic et l’élaboration de documents de programmation relèvent donc d’initiatives locales et régionales auxquelles participent les chargés de mission TIC des Préfectures de Région, en assurant leur coordination dans le cadre réglementaire. Certaines initiatives récentes de concertation entre régions [10] semblent confirmer, par ailleurs, l’intérêt croissant d’une dimension territoriale élargie dans les projets. Avec les initiatives des Préfectures et dans des proportions variables selon les régions, ces documents représentent aujourd’hui des outils de travail préalables indispensables à l’intégration d’une politique de développement des réseaux, dans les contrats de plan État-Région. Toutefois, ces outils de travail, en particulier les documents cartographiques, ne sont en général pas accessibles en dehors des groupes de travail.
12Une démarche de repérage systématique et suffisamment précis d’un point de vue géographique apparaît cependant comme un préalable indispensable à la programmation de réseaux futurs et à une réflexion élargie sur les services qui peuvent y être associés, … à moins de s’en remettre à l’opérateur national. Aujourd’hui, en dehors des groupes de travail dynamiques travaillant à l’élaboration des Schémas Directeurs et ayant commandé des études partielles préliminaires, où trouver des cartes localisant, à l’échelle nationale et par région, les « dorsales » d’opérateurs ? Quelle commune ou Communauté de Communes sait qu’à proximité de chez elle passe désormais une dorsale et qu’à l’occasion de quelques travaux de génie civil, elle pourrait faire une démarche auprès d’un opérateur, en général concurrent de l’opérateur historique national, pour glisser quelques kilomètres de fourreaux ? Comment organiser des concertations efficaces avec des élus, des entreprises des secteurs concernés, des organismes chargés de promouvoir la diffusion des TIC quand ne sont pas accessibles des documents de travail adéquats de nature géographique ? Peut-on réellement faire l’économie de tels documents ?
Aux sources de l’approche a-territoriale
13Comment expliquer cette quasi-absence de dimension territoriale ? On peut invoquer en premier lieu des facteurs empiriques. Un premier est à l’évidence la difficulté qu’ont les services à regrouper et à mettre en forme une information précise sur les infrastructures. Par ses effets de concurrence et de mise en méfiance des opérateurs, le contexte de libéralisation du marché des télécommunications renforce leur difficulté à obtenir de l’information déjà peu accessible. Un second facteur tient à ce qu’il y a en France peu de tradition de recherches en aménagement et sciences humaines dans le domaine des télécommunications [11]. Des outils comme les Systèmes d’Information Géographique (SIG) peuvent aujourd’hui y aider en poussant le recueil et l’intégration de données géographiques de nature différente, et en permettant des requêtes croisées pour les exploiter. L’accès à ces outils est relativement récent dans les collectivités, mais se répand aujourd’hui rapidement [12]. L’accès à une information dite sensible dès lors qu’elle est spatialisée illustre certainement le fait qu’elle est aussi au centre d’importants enjeux territoriaux.
14Cette tendance à négliger la dimension géographique est aussi tributaire de conceptions théoriques sur la place qu’occupent les TIC et les géographes dans notre société. Depuis les débuts de la diffusion d’Internet, nombre de discours ambiants ont laissé leur empreinte, évoquant ici la négation de la distance, là la possibilité de poursuivre la plupart des activités courantes, à distance, de n’importe quel lieu et à n’importe quel moment. On sait pertinemment qu’il n’en est rien, que nombre d’autres facteurs, économiques, sociaux et culturels, limitent considérablement les possibilités techniques des TIC (Kitchin, 2000). Cette conception a aussi pu se diffuser d’autant plus facilement qu’elle a trouvé dans certains milieux, même scientifiques, un terrain favorable dans les discours sur la poursuite du desserrement urbain, dans les acceptions les plus larges de la métropolisation, voire dans la fin des villes. La diffusion d’activités auparavant considérées comme typiquement urbaines a certes pu s’effectuer hors des villes, mais ce n’est pas le cas général. Par contre, il est vrai que les comportements de type urbain (travail, modes de consommation, types de loisirs…) se sont très largement diffusés et ont pu laisser croire de ce point de vue à une faible différenciation des territoires.
15Il persiste finalement, dans ces conceptions et négligences, un point de vue latent qui reconduit toujours la prise en compte des dimensions spatiales : l’espace tend à être homogène. Il a été au mieux conçu comme une dimension dans laquelle s’est appliqué un processus indifférencié de diffusion des TIC. Les premières phases de déploiement de TIC montrent qu’à l’évidence, les opérateurs de réseaux et les fournisseurs d’accès, mais aussi les usagers (cf. infra deuxième partie) ont réagi à l’inverse. Les processus de diffusion spatiale des TIC recouvrent de nombreuses modalités, qu’ils tiennent compte des systèmes de peuplement, des spécificités économiques, ou plus largement des caractéristiques des territoires (Grasland, 1997 ; 1998 ; 1999).
La pertinence d’une approche territorialisée : le cas des effets d’agglomération
16Un point de vue territorial apparaît donc indispensable dans une perspective de planification et suppose une compréhension des enjeux d’acteurs à plusieurs échelles. S’il est complémentaire d’un point de vue sectoriel, il présente aussi l’intérêt d’une vision transversale des secteurs d’activités. La planification des réseaux ne peut par ailleurs ignorer des processus fondamentalement spatiaux comme ceux de diffusion, de concentration ou d’agglomération. Dans un marché des télécommunications libéralisé, les entreprises de l’économie de l’Internet cherchent précisément à tirer parti, voire à faire émerger des processus de ce type.
17Prenons le cas des processus qui conduisent à observer des effets d’agglomération. Il apparaît difficile de découpler agglomération et TIC. Historiquement, les villes ont toujours été des lieux privilégiés de diffusion de l’information et les TIC d’aujourd’hui se déploient dans des espaces déjà différenciés et même bien structurés. Se diffuseraient-elles conformément à l’importance des populations, des entreprises et de facteurs culturels ou sociaux qu’elles iraient déjà à l’encontre de la prétendue indifférenciation spatiale dans les processus de localisation. Des analyses empiriques et la référence aux modèles de diffusion laissent plutôt entendre que les TIC se déploient selon des critères de proximité et de hiérarchisation des activités économiques. Elles ne diffèreraient donc pas des processus classiques.
18Les TIC sont assimilables à des innovations. Des entreprises cherchent à se les approprier en priorité pour créer de nouvelles formes de valeur ajoutée : elles sont très dépendantes de la présence spécifique des TIC et elles-mêmes représentent souvent de nouveaux éléments moteurs de développement. C’est cependant l’ensemble de la société qui intègre ces TIC à long terme, selon des processus distincts dans le temps et dans l’espace. Trois champs de diffusion peuvent être ainsi dégagés :
- un premier correspond à celui des infrastructures et des services qui lui sont immédiatement liés (fibres, matériel de télécommunications, logiciels de gestion de réseaux pour le routage, l’interopérabilité…) ;
- un second est constitué par un ensemble d’entreprises qui intègre massivement les TIC. Ce champ est plus large que ce qui a été dénommé la net-économie, mais il ne peut être délimité aisément, les entreprises classiques (bricks and mortars) effectuant en réalité des investissements beaucoup plus massifs que les seules nouvelles entreprises d’exploitation directe du nouveau secteur TIC (les fameuses dotcom et autres start-up). Les tentatives de délimitation par l’INSEE montrent la difficulté de s’en tenir à des critères stricts (Économie et Statistique, 2000 ; Repères, 2003) ;
- un troisième champ enfin correspond à l’ensemble des usages ; il recouvre la diffusion la plus large des TIC dans ce qu’il est convenu d’appeler couramment de Société de l’Information : c’est aussi bien le domaine des ménages, des particuliers que celui des administrations, des collectivités, des associations et de l’ensemble des entreprises.
Le réseau LDCOM en France
Le réseau LDCOM en France
Le réseau Telia en France
Le réseau Telia en France
19Le second champ est toutefois économiquement le plus pertinent du point de vue de la structuration de l’espace. C’est lui qui, dans la phase de déploiement du haut débit en cours, risque d’orienter à long terme les localisations d’entreprises selon des processus qui, par exemple, reconduisent et même valorisent encore davantage les effets d’agglomération. Tout porte à croire que les progrès dans les moyens de communication renforcent les processus de polarisation des hommes et des activités (Claisse, 2002) : ils pourraient même s’exercer avec moins de contraintes spatiales du fait en particulier d’une diminution des coûts de la distance (Rallet, 2001). Le domaine des télécommunications fonctionne aussi selon des principes économiques qui relèvent de l’économie des réseaux et qui se manifestent plus particulièrement par des effets de club (Curien et Gensollen, 1992 ; Lorrain, 2002) et des effets d’avalanche (Volle, 2002), révélateurs à la fois de questions de dimensionnement et de nombre d’utilisateurs de réseaux.
20Le troisième est celui qui recouvre le domaine de diffusion des TIC le plus vaste (domaines économiques, sociaux, culturels). C’est aussi celui où les processus d’appropriation sont les plus lents, mais les plus viables à long terme.
21L’analyse des processus de diffusion dans ces trois champs amène à rechercher des variables indicatrices de dynamiques dans chacun d’entre eux pour étayer le propos. Certaines apparaissent d’autant plus pertinentes qu’elles peuvent être considérées comme des marqueurs de territoires transversaux, communs aux trois champs dégagés, comme le Web [14] et l’accès à l’ADSL : elles font à la fois référence aux infrastructures impliquant des TIC, à des entreprises qui y sont sensibles pour la poursuite de leurs activités et à de nouveaux usages généralisables au sein de la société.
À la recherche de marqueurs de territoires préalables à la planification
22La mise en œuvre du Schéma de Services Collectifs est basée sur les usages dans les sphères domestiques, commerciales et institutionnelles. Toutes les dimensions des TIC n’ont cependant pas été envisagées pour cette mise en œuvre. L’information sur le réseau lui-même, ses infrastructures et ce qu’il permet de faire circuler méritent une analyse. On part de l’hypothèse que le contenu de chaque site web [15] est potentiellement porteur de sens spatial et territorial en renseignant sur les lieux et les activités les plus réceptifs à la diffusion de l’innovation Internet. Ceci conduit à concevoir le Web comme la projection d’activités, mais aussi de lieux dans le « cyberespace » : chaque site web est un marqueur du territoire (Duféal, 2001).
23Dans un premier temps, l’étude du contenu des sites permet d’adopter un point de vue inhabituel sur les usages des acteurs économiques, institutionnels, mais aussi associatifs, puisque l’analyse porte sur la pénétration sélective du Web dans les secteurs d’activités. Dans un second temps, en composant plus explicitement avec la dimension spatiale, on tente d’appréhender l’état de la diffusion du Web dans l’espace des villes françaises.
La projection des lieux et des secteurs d’activités dans le web
24L’analyse de la diffusion des TIC est récente et sort des cadres d’analyses courants. Elle nécessite au préalable de réfléchir à des mesures de ces technologies. Des organismes comme l’OCDE ou l’INSEE par exemple ont ainsi identifié un secteur TIC à partir d’un ensemble d’activités liées à ces technologies [16]. Dans le cadre d’enquêtes ponctuelles, d’autres mesures ont été proposées comme celles de l’évaluation des impacts des TIC sur les modes de travail et d’organisation [17] ou encore, comme celles, comme y fait référence le Schéma de Services Collectifs, des taux de pénétration des TIC dans les secteurs d’activités (en prenant par exemple le pourcentage d’entreprises ayant accès au haut débit ou ayant un site web) [18].
25La démarche qui est proposée ici est autre. L’analyse de l’émergence et de la dynamique du Web nécessite au préalable de constituer une base d’information originale qui tienne compte, dans le cadre d’un questionnement géographique, de dimensions spatiales, mais aussi socio-économiques du Web. Cette information provient d’une base de données en ligne, celle de Yahoo ! qui donne, pour les sites web, la localisation des commanditaires et une description succincte des contenus [19]. À plusieurs titres, l’annuaire de Yahoo ! offre un cadre pertinent pour une re-constitution de l’information sur la pénétration sélective du Web dans les lieux et les secteurs d’activités. Jusqu’à récemment, il était le seul annuaire disponible en ligne à proposer la recherche d’un site à partir d’un critère géographique [20] (par l’index « exploration géographique »), permettant ainsi un recensement aisé des sites web selon les communes. De plus, sa popularité mondiale le consacre comme un annuaire de référence pour et par les commanditaires soucieux de s’assurer une bonne visibilité sur le réseau. Enfin, cet annuaire, en recensant tous types de sites («.fr », «.com », «.org », «.net »…), assure la représentativité de l’ensemble des commanditaires (y compris les sites commerciaux et touristiques pour lesquels est préférée l’indexation en «.com »). Cette information a été réorganisée de façon à réaffecter les sites selon les secteurs d’activités, permettant ainsi d’identifier les principales caractéristiques des commanditaires et de mesurer des taux de pénétration de TIC par secteurs. La Nomenclature des Activités Françaises (la NAF) offre le cadre de référence pour ventiler les sites selon les contenus et les commanditaires jusqu’à un niveau très fin puisque la NAF 1993 recense 696 classes d’activités [21].
26Une analyse empirique a été conduite sur la zone de l’arc méditerranéen français (régions Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse). La base de données est constituée d’informations provenant de recensements successifs des sites de l’annuaire de Yahoo ! France pour les mois de juillet et août, de 1999 à 2002 inclus. En 2002, la zone regroupait, sur 931 communes, 6 808 sites relevant de 17 grands « secteurs d’activités » [22] que l’on peut aussi regrouper en deux grandes catégories : les sites commerciaux et les sites institutionnels (Tableau 1).
Évolution de la répartition des sites web par secteur d’activité
Évolution de la répartition des sites web par secteur d’activité
27Le web commercial n’est pas seulement le fait des entreprises œuvrant directement dans le secteur Internet ou plus largement des TIC, c’est aussi une vitrine, voire un moyen de communication pour les entreprises. Comme l’indique Castells (2001, p. 262), « l’Internet commercial n’est pas l’univers des sociétés Internet, mais des sociétés qui sont sur Internet ». Cette « greffe » commerciale ne s’est développée que dans un second temps, puisque ce sont les universités et les laboratoires de recherche qui, dans la phase initiale de diffusion, se sont dotés d’un site web (Grasland, 1999). C’est cette part commerciale du Web qui croît régulièrement depuis 1999 et a atteint 59 % du total des sites de l’arc en 2002.
28Entre 1999 et 2002, les secteurs les plus dynamiques sont ceux pour qui Internet n’est pas a priori indispensable au fonctionnement de l’entreprise : en somme, pour ces secteurs, le Web représente plutôt une « vitrine » qu’un outil ayant un quelconque impact sur les modes de travail et d’organisation. Les secteurs les plus représentatifs de cette tendance sont ceux du commerce de gros et de détail, de l’industrie manufacturière et des services personnels.
29Cette évolution tend à montrer qu’après avoir touché dans un premier temps les secteurs typiquement liés à la nouvelle économie, à l’enseignement et la recherche mais aussi à l’activité touristique (mesurée en partie par les sites d’hébergement et de restauration), désormais le Web se diffuse plus largement dans l’ensemble des secteurs de l’économie, notamment vers les activités et les services « banals ».
30En 2002, le web institutionnel représente 41 % de l’ensemble des sites de l’arc méditerranéen. Dans l’arc, ce sont les sites des collectivités territoriales qui, toutes choses égales par ailleurs, gagnent en importance. Soucieuses de s’afficher sur le réseau, nombre de collectivités territoriales possèdent désormais leur propre site web : on a comptabilisé 218 communes dans l’arc ayant un site web officiel [23] en 2002 (ne sont pas comptabilisés dans ce chiffre les sites des offices de tourisme). En matière de contenu, ces sites sont ceux qui ont le plus évolué depuis 1999 : dans un premier temps « vitrines », ces sites tentent aujourd’hui d’intégrer au mieux les attentes des usagers dans une démarche d’e-administration en proposant le téléchargement de formulaires administratifs, en diffusant des comptes rendus municipaux, et surtout en étant régulièrement actualisés.
31Les sites d’associations gagnent par ailleurs en importance depuis 1999. Hormis le fait que de plus en plus d’associations (de type loi 1901) se dotent d’un site web, certains événements, comme les campagnes électorales municipales, présidentielles et législatives de 2001 et 2002, suscitent la création de sites.
32Ce sont les sites de l’enseignement et de la recherche qui perdent le plus en part relative : participant massivement aux premières phases de diffusion, ce secteur a sans doute atteint son maximum relatif de création de sites.
33Ces premières analyses portant sur les usages des commanditaires (se doter d’un site web) permettent la mesure de la diffusion socio-économique du web dans l’arc méditerranéen français. Si ce type d’étude renseigne sur les secteurs les plus réceptifs à la diffusion de l’innovation (mais aussi aux lieux, les activités ayant de multiples ancrages territoriaux), il convient de focaliser également l’attention sur l’état de la diffusion du web dans l’espace élargi à celui des villes françaises (hors Dom-Tom).
La projection de l’espace et de sa hiérarchisation sur le Web
34L’information disponible en ligne pour chaque site permet de repérer une dimension spatiale puisque chaque site est géographiquement localisable : les sites web constituent autant de points d’ancrage du cyberespace dans l’espace géographique. L’analyse qui suit est déduite de l’information disponible pour les communes françaises, soit 45 620 sites pour 7 070 communes, obtenue par une prospection en ligne menée en décembre 2000 sur l’annuaire de Yahoo ! France.
35La répartition spatiale des sites web (Carte 3) est assez conforme à celle de la population des communes françaises. Les phénomènes de concentration urbaine sont cependant plus marqués. Aux 40 % de population rassemblés dans les unités urbaines de plus de 200 000 habitants correspondent près de 60 % de sites web. À elle seule, la commune de Paris concentre près de 18 % des sites français, toutes activités confondues, pour 3,5 % de population résidente, et son unité urbaine, 30 % de sites pour près de 15 % de la population française. Comme le souligne Matthew Zook qui a travaillé sur la localisation des noms de domaines des sites web commerciaux de quelques grandes villes des États-Unis, « there should be nothing surprising about this since cities have always been the primary source of innovation and will continue to play this role in the future ».
Les sites web dans les communes
Les sites web dans les communes
36Hormis Paris, le grand sud-est, composé des régions Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon, est la zone la mieux pourvue en sites, avec de fortes concentrations dans les Alpes (notamment dans les stations de tourisme et autour de Grenoble), le long de l’axe rhodanien et, de façon très distincte, au sein de l’arc méditerranéen français. Des zones de forte concentration sont également observables à l’Est, en Alsace et le long d’un axe mosellan entre Metz et Nancy, ainsi que dans le département du Nord, autour de Lille. Dans la moitié ouest, les configurations spatiales se présentent plus typiquement sous forme de taches proportionnelles à l’importance des agglomérations et de leur aire d’influence.
37La répartition du nombre de sites web reproduit assez fidèlement la hiérarchie urbaine (Figure 1). Un indice de spécialisation [24] mesure la pénétration sélective du web dans l’espace selon dix grandes catégories d’espace. Paris apparaît de loin l’espace le mieux doté en sites web, compte tenu de la population de son unité urbaine, ce que la carte précédente illustrait déjà. Les unités urbaines de plus de 100 000 habitants apparaissent « sur-équipées » en sites, toutes choses étant égales par ailleurs, face aux unités urbaines de plus petite taille et aux communes de l’espace rural « sous-équipées ». La diffusion du web correspond à un processus éminemment urbain : cet indicateur permet de mettre à jour l’existence d’un seuil qui distingue les unités urbaines de plus de 100 000 habitants « sur-équipées ».
Distribution des sites web par catégorie d’espace
Distribution des sites web par catégorie d’espace
38L’intensité de la relation entre population et nombre de sites web a été mesurée de façon plus précise à travers trois analyses de régression portant sur les unités urbaines de plus de 200 000 habitants (Figure 2), sur celles de 20 000 à 200 000 h. (Figure 3) et sur celles de moins de 20 000 h., cette dernière s’étant révélée non significative. L’analyse des résidus au modèle population-web permet d’exprimer la spécificité de certaines villes. Ce type d’analyse individualise les villes caractérisées par une présence de sites web supérieure ou inférieure à la norme définie par le modèle, ou encore « une sur-représentation ou une sous-représentation spécifique de cet usage, après élimination de l’effet général de la taille des unités urbaines » (Saint-Julien et Sabatier, 1996). Conformément aux premières observations, l’intensité de la relation entre population et web est forte puisque le coefficient de détermination est respectivement de 0,86 (Figure 2) et 0,71 (Figure 3). Pour les plus petites agglomérations (moins de 20 000 h.), cette relation n’est plus aussi forte dans la mesure où le coefficient passe à 0,20. Une carte (Carte 4) des résidus fait apparaître, pour les unités urbaines françaises de plus de 20 000 h., les villes sous-équipées en sites (cf. légende : sur-estimation du modèle) et celles qui sont au contraire sur-équipées (sous-estimation du modèle).
Modèle « population-web » pour les unités urbaines de plus de 200 000 habitants (hormis Paris)
Modèle « population-web » pour les unités urbaines de plus de 200 000 habitants (hormis Paris)
Modèle « population-web » pour les unités urbaines comprises entre 20 000 et 200 000 habitants
Modèle « population-web » pour les unités urbaines comprises entre 20 000 et 200 000 habitants
Résidus au modèle « population-web » pour l’ensemble des villes de plus de 20 000 habitants*
Résidus au modèle « population-web » pour l’ensemble des villes de plus de 20 000 habitants*
* les deux cartes de résidus ont été superposées39Pour les deux catégories d’unités urbaines, le nord et l’est apparaissent notablement sous-équipés, à l’exception de Strasbourg et Besançon, dont les nombres de sites sont fortement sous-estimés par le modèle, compte tenu de leur population. Les ports sont globalement les moins bien équipés en sites : c’est le cas de Marseille (qui s’affiche par ailleurs comme une ville dynamique dans le secteur de « l’industrie de l’information ») [25], de Toulon, de Rouen et Le Havre, de Dunkerque et Calais, de Cherbourg et de Saint-Nazaire notamment. Par contre, les agglomérations du grand sud-est sont très majoritairement en suréquipement ou dans les valeurs centrales : la zone alpine entre Grenoble et Annecy est très dynamique, de même que, sur le littoral, les agglomérations de Nice et de Montpellier. La moitié ouest de la France se distingue par une dissémination de grandes agglomérations bien pourvues (Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes, Limoges, mais surtout Caen et Le Mans), mais aussi avec des villes de taille moyenne comme La Rochelle, Poitiers, Angoulême, Cognac, Bayonne ou Vannes.
40La poursuite de l’analyse de ces écarts au modèle nécessiterait une étude détaillée du contenu des sites qui dépasse le cadre de cet article [26]. Elle permettrait de mieux évaluer les différents facteurs de dynamisme des villes comme Grenoble, Annecy, Annemasse, Strasbourg, Caen, Vannes, Le Mans, Poitiers, La Rochelle ou Cognac : structures d’activités plus propices, par leur spécificité et leur diversité, à intégrer rapidement les TIC ; effets d’antériorité dans des secteurs phares, puis de « mimétisme » et de transfert vers des activités plus traditionnelles ; politiques locales actives… La cartographie indique aussi que, toutes choses étant égales par ailleurs, des espaces plus faiblement peuplés, voire enclavés, ne sont pas les moins réceptifs à l’innovation par les TIC.
41À ce stade, l’exercice révèle donc des singularités territoriales, mais aussi une structuration d’ensemble que la planification de réseaux ne peut bien sûr ignorer : le web est riche d’informations sur les lieux et les secteurs d’activités les plus réceptifs à l’innovation. Une des prérogatives de la planification peut être d’identifier avec soin les facteurs de différenciation pour trouver ensuite, si l’un de ses objectifs reste l’équité territoriale, les moyens de favoriser localement ou à l’échelle des régions des initiatives d’« usages » pour les espaces et les secteurs d’activités les moins réactifs.
42Ces usages par le web font référence à des infrastructures accessibles à coûts modérés sur l’ensemble du territoire et mettent tout autant en évidence des entreprises de services typiques de l’économie de l’Internet que des usages élargis. L’infrastructure matérielle sous-jacente à la création de sites n’apparaît pas comme un facteur de discrimination marquée. La répartition des sites s’explique davantage par des variables socio-économiques et culturelles que par des contraintes d’accès aux réseaux, ce qui peut a posteriori justifier une absence de planification officielle. Peut-il en être encore ainsi dès lors que les usages sont davantage liés à des configurations d’infrastructures spécifiques, coûteuses et spatialement discriminantes comme c’est le cas avec le haut débit ? Le Schéma de Services entrevoit d’ailleurs assez bien ce cas de figure puisqu’il considère que le haut débit est une préoccupation territoriale de première importance. Quels en sont plus précisément les enjeux de planification ? Le processus de diffusion en cours de la technologie la plus courante du haut débit, l’ADSL (Asymetric Digital Subscriber Line), permet de donner un premier éclairage sur ce point.
La diffusion des TIC : le cas de l’ADSL
43Le déploiement de la technologie de l’ADSL révèle des stratégies d’opérateurs dont l’essentiel de l’activité consiste dans la seule mise en place d’infrastructures. La différenciation spatiale dans les niveaux de déploiement constatés à ce jour est notable et interpelle alors l’État et les collectivités (Régions, Départements, Communautés d’Agglomération et de Communes…) qui demeurent les garants d’une équité territoriale.
Les enjeux du haut débit
44La DATAR a fait du haut débit [27] son cheval de bataille du moment et ne ménage pas les études pour parvenir à dresser un état des lieux de la diffusion des technologies qui le permettent. Les études étant en cours [28], il est difficile d’apporter un point de vue critique à leur propos. Néanmoins l’analyse de la disponibilité du haut débit selon les lieux révèle déjà des stratégies très fortement dominées par les opérateurs d’infrastructures. Parmi les trois principales technologies disponibles (ADSL, câble, boucle locale radio), l’ADSL est de loin la plus répandue puisqu’elle dessert les 2/3 de l’ensemble des usagers répartis sur quelques 8 000 communes disposant d’un accès aux réseaux à haut débit (Source : France Telecom). Alors que dans le déploiement de la technologie du câble, seconde technologie en importance pour l’accès au haut débit — environ 25 % d’abonnés —, l’intervention des opérateurs est de nature oligopolistique, dans celui de l’ADSL, elle est à l’évidence de nature monopolistique, puisque de l’opérateur historique national dépend l’accès à l’usager en bout de réseau, celui dit encore du « premier kilomètre » [29].
45Cette situation est suivie attentivement par les services de l’État, par exemple en ce début d’année 2003 par le Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie pour lequel le développement de services interactifs à haut débit représente un enjeu économique majeur des années à venir. Des concertations avec les milieux économiques, surtout avec les grandes entreprises du secteur (Alcali, France Telecom, Sagan, TF1, Thalès, Thomson), sont ainsi organisées pour « développer un environnement favorable à l’essor de nouveaux services audiovisuels interactifs accessibles au plus grand nombre ». Au-delà de ces considérations assez générales, les enjeux sont en effet de taille : à l’horizon 2007, le 1,7 million d’abonnés au haut débit de janvier 2003 devrait atteindre les 10 millions et toutes les communes devraient pouvoir accéder à l’Internet haut débit, selon le plan gouvernemental RESO 2007. De nouveaux usages se révèlent, aussi bien dans les entreprises que dans les collectivités ou chez les particuliers [30]. Or jusqu’à présent, dans la mise à disposition de la technologie ADSL, les usages ont été délibérément et essentiellement anticipés par un seul opérateur, selon un modèle économique qui ne peut répondre à tous les besoins, notamment non commerciaux. La stratégie de positionnement de cet opérateur dans les territoires en est une bonne illustration.
Le déploiement de l’ADSL sur l’ensemble du territoire national
46L’analyse de l’accès à l’ADSL révèle des critères indéniablement simples d’aménagement par rapport à l’organisation de l’espace : la technologie se déploie en fonction des densités de population et d’activités. Les chiffres de la disponibilité d’accès donnés par l’opérateur et la représentation cartographique de la diffusion de l’ADSL montrent en premier lieu une grande conformité avec le système de peuplement (Carte 5 et Carte 6) : l’ADSL est disponible là où la population est dense. Cette densité est nuancée en second lieu par un critère de contiguïté spatiale qui permet des accès dans des espaces de densité plus faibles. C’est le cas en particulier des périphéries de pôles urbains en forte croissance démographique et des couloirs de communication structurés par des systèmes de peuplement linéarisés.
ADSL et répartition de la population communale
ADSL et répartition de la population communale
Les communes de plus de 75 habitants au km2
Les communes de plus de 75 habitants au km2
47La carte de l’ADSL (Carte 5) représentée est celle des communes où l’accès est possible. La fiabilité des données [31] ne permettant pas des analyses approfondies des populations potentiellement desservies, la carte donne, pour l’heure, le squelette spatial de l’accès à l’ADSL et livre des indications sur les stratégies de desserte des territoires par l’opérateur. Si la technologie est disponible sur l’ensemble du territoire, elle tient cependant compte de l’hétérogénéité de l’espace, et sa diffusion comporte aussi des particularités : la carte ne se superpose pas exactement à celle des densités de population. La recherche d’un seuil unique de densité justifiant un accès s’avère peu pertinente, comme si l’opérateur appliquait des critères différents entre les deux grandes moitiés est/nord-est et ouest/sud-ouest de la France. Le critère d’au moins 75h/km2 à l’est est nettement abaissé à l’ouest.
48L’accès à l’ADSL est un phénomène typiquement urbain : 69 % des communes d’unités urbaines sont raccordées alors que seulement 13 % des communes de l’espace rural le sont (Tableau 2), et finalement, moins du quart du total des communes ont un accès à l’ADSL. Le critère de taille reste primordial : le taux d’accès est supérieur à 80 % pour les communes des unités urbaines de population supérieure à 5 000 h et chute brusquement à moins de 35 % en dessous de cette taille (Figure 4).
Répartition des communes ayant accès à l’ADSL selon le statut urbain/rural
Répartition des communes ayant accès à l’ADSL selon le statut urbain/rural
Proportion théorique de population ayant accès à l’ADSL par catégorie d’espace
Proportion théorique de population ayant accès à l’ADSL par catégorie d’espace
L’accès à l’ADSL et l’hétérogénéité des territoires
49L’analyse interrégionale des populations desservies (valeur indicative) montre que les régions généralement les plus peuplées sont aussi les mieux desservies (Figure 5). Pour toutes les régions sauf la Corse, au moins la moitié de la population a potentiellement accès à l’ADSL alors que l’analyse des proportions de communes montre des divergences plus franches par rapport au critère de densité : celles de Basse-Normandie ou de Poitou-Charentes ont par exemple plus fréquemment accès à l’ADSL que celles de Lorraine ou de Haute-Normandie.
Comparaison des taux régionaux de communes et de population ayant accès à l’ADSL
Comparaison des taux régionaux de communes et de population ayant accès à l’ADSL
50L’analyse des formes spatiales de la couverture de l’accès conduit à envisager deux modèles principaux combinant densité et contiguïté dans les systèmes de peuplement : un modèle linéarisé et un modèle ponctuel. Il en résulte une architecture du territoire nettement différenciée entre la moitié ouest et la moitié est (Carte 5). À l’est, littoral méditerranéen et sillon alpin d’une part, Alsace, axe mosellan et espace métropolitain lillois d’autre part, constituent des couloirs de desserte en continu au milieu de vastes espaces où l’accès à l’ADSL est limité. En forçant encore le trait des densités dans la partie est de la France, l’accès à cette technologie préfigure de véritables effets de corridors d’agglomérations.
51Dans la moitié ouest, les configurations se calent sur un dispositif ponctuel d’unités urbaines, parfois de petite taille ou avec des effets d’extension marquée pour les agglomérations les plus vastes (Toulouse).
52L’Île-de-France joue des deux modèles par une forme ponctuelle massive qui limite les effets d’axes et d’étoile dans sa grande périphérie. La région lyonnaise relève aussi de ce modèle mixte, mais avec des effets d’axes plus francs.
53Ces observations sont en partie confirmées par l’analyse des taux de population ayant accès à l’ADSL par ensemble de départements de grande région. Les correspondances entre les formes identifiées et les niveaux départementaux de population par région indiquent qu’en dehors du cas particulier de l’Île-de-France, les écarts entre valeurs extrêmes tendent à être globalement plus marqués dans le sud-est, l’est et le nord, et plus faibles dans l’ouest et le centre (Régions Centre, Bourgogne, Limousin, Auvergne) (Figure 6).
Profils régionaux selon les taux départementaux de population ayant accès à l’ADSL
Profils régionaux selon les taux départementaux de population ayant accès à l’ADSL
54Ces formes constituent une première base d’appréhension des formes de diffusion des réseaux à haut débit. Au-delà de cette lecture territoriale de la stratégie de l’opérateur de réseaux, les critères de mise à disposition de l’accès ont pu être guidés par l’implication, les stratégies, voire les initiatives d’acteurs économiques et politiques locaux. Il est notable que les régions Pays de la Loire, Poitou-Charentes par exemple sont celles où la généralisation des « pays » et de l’intercommunalité ont été les plus précoces. Ce terrain, renforcé par des réalisations bien médiatisées (Parthenay - Ville numérique, réseau Mégalis, Laval Virtual…), a pu favoriser l’émergence de projets d’usages et donc justifier des demandes de raccordement aux réseaux à haut débit auprès de l’opérateur, ce qui ajoute des variantes aux modèles. Il n’en reste pas moins que la planification de ce type de réseau reflète avant tout une stratégie d’acteurs économiques en position très dominante que vient nuancer aujourd’hui l’implication des services de l’État, des entreprises directement intéressées par la technologie et des collectivités territoriales.
Conclusion
55La réflexion proposée dans cet article a cherché à évaluer comment s’était appliqué l’exercice de planification dans le champ nouveau des réseaux de TIC. Il apparaît que, dans un document de référence national comme celui des Schémas de Services Collectifs de l’Information et de la Communication, la matérialité de ces réseaux, notamment la dimension spatiale des infrastructures, a été nettement sous-estimée dans les analyses de diagnostic, au profit d’une déclinaison des usages où les critères socio-économiques et culturels apparaissent déterminants. L’absence de préoccupation spatiale est en partie liée à la difficulté de collecter et de traiter des données de nature géographique, mais aussi à une relative indifférenciation de l’espace dans une première phase de déploiement des TIC. Mais une telle indifférence à l’égard de l’espace s’avère aujourd’hui plus difficilement tenable. D’une part, une deuxième phase de déploiement des TIC est en cours selon des modalités de diffusion spatiale beaucoup plus discriminantes à travers le haut débit et, d’autre part, restent clairement affichés des objectifs de prospective et de planification territoriales dans le Schéma de Services Collectifs.
56Sur les plans théorique et méthodologique, cette analyse confirme qu’infrastructures et usages peuvent être utilement distingués dans un exercice de planification de réseau. L’analyse des infrastructures peut montrer des niveaux d’équipement fortement différenciés dans les territoires, lesquels peuvent ensuite préfigurer des usages. À l’inverse, un déploiement d’infrastructures large et peu différencié dans l’espace peut mettre en évidence des usages territorialement distincts selon des critères essentiellement socio-économiques et culturels.
57Deux types d’analyse ont permis d’étayer ce point de vue : l’un a privilégié les usages alors que les infrastructures d’accès aux réseaux étaient spatialement peu différenciées, les sites Web ; l’autre s’appuie sur l’analyse d’un dispositif d’accès inégal aux infrastructures, l’accès au haut débit par l’ADSL. L’analyse des usages, considérée du point de vue des sites, montre une pénétration sélective du Web dans l’espace géographique français, selon, en apparence, les caractéristiques économiques, sociales et culturelles de ses territoires. Mais le territoire numérique qui se dessine ainsi retranscrit en réalité la réactivité des lieux face à une innovation. La planification a consisté ici à laisser jouer, par l’intermédiaire de l’opérateur national, une dynamique d’usage qui n’a pas été entravée par un accès inégal aux infrastructures. L’analyse des infrastructures, envisagée sous l’angle du déploiement en cours de la technologie ADSL pour le haut débit, laisse entrevoir au contraire la nécessité d’une réflexion dans les instances de planification face à des choix et des priorités de couverture territoriale.
58S’il est acquis que, dans les documents de référence tels que celui du Schéma de Services Collectif de l’Information et de la Communication, les TIC ont une matérialité, l’analyse de leur spatialisation a cependant fait défaut alors qu’elle aurait pu mettre en valeur des stratégies spatiales d’opérateurs évidentes, comme dans le cas du déploiement de l’ADSL. Les marqueurs de l’espace qui ont été identifiés et analysés sont aussi bien sûr des marqueurs de stratégies propres à des catégories d’acteurs qui reflètent des rapports de force et rarement de réelles concertations. Il en ressort que la planification récente de ces réseaux est surtout dominée par des considérations économiques qui limitent les initiatives non commerciales, en particulier des collectivités territoriales, et qui, si elle se poursuit, n’est pas de nature à remettre en cause l’organisation de l’espace en place et ses inégalités.
59La mise en place d’infrastructures est peut-être à ce prix, avant que ne se manifestent des effets de club. Mais la libéralisation économique du secteur des télécommunications n’a jusqu’à présent pu permettre que cette forme de déploiement, empêchant l’émergence d’autres modèles. Le modèle de déploiement initial a pu tolérer une absence de planification étatique parce que, appuyé sur une technologie bas débit, il se calait très largement sur le réseau existant (le Réseau Téléphonique Commuté).
60Un second modèle, plus discriminant pour la desserte des territoires avec l’accès au haut débit, supporte mal l’absence d’implication de l’État et des collectivités. Il engage en effet de lourds investissements financiers, mais nécessite aussi en amont des analyses prospectives sur des choix de couverture territoriale intégrant des usages potentiels d’entreprises, de collectivités, d’associations et de particuliers.
61Dans les faits, la responsabilité d’intervention semble finalement incomber pour beaucoup aux collectivités territoriales. On peut voir ainsi, dans la décision du CIADT [32] du 13 décembre 2002 d’autoriser les collectivités à devenir opératrices de réseaux sur leur territoire, le signe des limites de ce modèle, les laissant prendre en charge le financement d’infrastructures peu rentables. Lors de la même réunion du CIADT, 129 projets d’infrastructures à haut débit, d’initiative départementale pour la plupart, avaient d’ailleurs pu être recensés. Plus globalement, c’est essentiellement aux Régions qu’il revient de s’engager dans cette voie à travers l’élaboration des Schémas Directeurs Régionaux : elles ont commencé à le faire, mais en ordre dispersé.
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- Lasch F., 2003, « Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) en Languedoc-Roussillon. Des besoins spécifiques pour une filière jeune à forte intensité de création », Repères Synthèse, n° 1.
- Lorrain D., 2002, « Gig@city », Flux, n° 47, pp. 7-19.
- Rallet A., 2000, « Commerce électronique et réorganisation urbaine des activités commerciales », Workshop sur les développements de la recherche en économie de l’Internet, Brest.
- Saint-Julien T., Sabatier L-M, 1996, « La diffusion des services aux entreprises dans le réseau des villes françaises », Économie et statistique n° 194-195.
- Saint-Julien T., 1985, La diffusion spatiale des innovations, Paris-Montpellier, GIP RECLUS, Collection Reclus modes d’emploi.
- Vicaire V., Aillaud V., Deschamps D., Lavelle F., Delassus M., 2002, Technologies de l’information et de la communication en Ile-de-France, Paris.
- Volle M., 2002, « Systèmes d’information, réseau et localisation territoriale », in Musso P. (dir.), Le territoire aménagé par les réseaux, La Tour d’Aigues, Les éditions de l’Aube/DATAR.
- Wright F-L., 1943, Broadacre City, Box Six of an autobiography, Spring Green, Wise.
- Zeitoun J., 2002, « Les technologies modifient-elles les représentations du territoire (et donc le territoire lui-même…) », in Musso P. (dir.), Le territoire aménagé par les réseaux, La Tour d’Aigues, Les éditions de l’Aube/DATAR.
- Zook M., 2001, The geography of the Internet industry : venture capital, Internet start-ups, and regional development, Thesis of Doctorate, Berkeley, University of California, Department of City and Regional Planning.
Notes
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[1]
Cet article a également bénéficié de la collaboration de Sophie Houzet pour les Schémas Directeurs Régionaux et pour l’ADSL dans le cadre d’un mémoire de géographie réalisé à l’Université d’Avignon intitulé Diffusion des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans le grand ouest et le sud-est de la France. La notion de réseau appliquée à trois niveaux : infrastructures, services et usages.
-
[2]
D’autres facteurs que l’analyse des usages contribuent sans doute autant à maintenir cette tendance ubiquiste : faible visibilité des infrastructures, effacement des acteurs publics de l’aménagement dans le contexte de la libéralisation économique…
-
[3]
Préface du Schéma de Services Collectifs, p. 483.
-
[4]
Nous avons été, à cette occasion, sollicités pour faire figurer trois des quatre cartes (pp. 534-545) montrant des différences spatiales dans la diffusion des TIC.
-
[5]
Introduction du Schéma de Services Collectifs TIC, p. 492.
-
[6]
Trois horizons de planification y ont été distingués : 2003, 2010, 2020. Aucun ne donne de schéma d’orientation, laissant aux Régions le soin de décliner la dimension territoriale par les chargés de mission TIC nouvellement installés dans les Préfectures de Région.
-
[7]
Par exemple lorsque sont donnés, sans trop de détails, des taux d’entreprises industrielles de plus de 20 salariés connectées à Internet ou ayant un site, ou des proportions de communes de plus de 10 000 habitants ayant un site web, ou encore lorsque est avancé le chiffre de 500 sites web recensés à la Réunion.
-
[8]
Toutefois des moyens de collecte de l’information sont mis progressivement en place pour pallier les déficits d’information : lettres de diffusion émanant de services de Ministères (Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Délégation à la Recherche et aux nouvelles technologies…), mise en place d’observatoires (ORTEL, Télécoms en ville), partenariats ou même montages d’opérations avec la DATAR pour le suivi de la diffusion avec des bureaux d’études (IDATE, Tactis, Artesi, Arantis).
-
[9]
Parmi les plus connus ou les plus avancés, citons Mégalis en Bretagne et Pays de la Loire, Dorsal en Limousin, mais aussi le Réseau Régional à Très Haut Débit (RRTHD) en PACA, et, dans les départements, celui des Inforoutes de l’Ardèche, celui de la Boucle locale à haut débit d’Agen, celui du Tarn et Haute-Garonne (e-Téra) ou encore ceux du Plan d’action haut débit dans l’Oise, de la Plate-forme numérique Castres-Mazamet, etc.
-
[10]
Cf. l’initiative interrégionale IRIS en cours, soutenue par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), l’Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie (ACFCI), la DATAR et le Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie : http://iris.telecomville.fr
-
[11]
Signalons toutefois les travaux de la Commission « Géographie de la Société de l’Information » du Comité National Français de Géographie ; l’étude de F. Damette (1994) : La France en villes ; ou encore ceux de l’opérateur historique.
-
[12]
Son recours pousse systématiquement à engager une réflexion de fond sur l’accès à l’information, son exploitation, sa diffusion, mais se heurte toujours à nombre de contraintes de nature commerciale et surtout institutionnelle, tant pour l’accès à l’information géographique de base (données physiques, territoriales et socio-économiques) que pour les droits à diffuser de l’information.
-
[13]
Depuis les différentes phases du réseau Renater jusqu’au VTHD (Vraiment Très Haut Débit).
-
[14]
Analyses en cours dans une thèse de doctorat en géographie préparée par Marina Duféal, sous la direction de Loïc Grasland à l’Université d’Avignon : Internet, marqueur et vecteur de dynamiques territoriales émergentes ? L’exemple de la diffusion du web dans l’arc méditerranéen français.
-
[15]
En excluant les sites dits « personnels » (perso) à l’initiative d’utilisateurs privés.
-
[16]
Notons que la composition de ce secteur « TIC » varie considérablement d’un organisme à l’autre (OCDE, INSEE, Chambres de Commerce et d’Industrie, Directions Régionales de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement…).
On renvoie à ce sujet à l’ouvrage collectif dirigé par D. Cohen et M. Debonneuil (2000) : Nouvelle économie (téléchargeable en ligne à l’URL suivante : http://www.cae.gouv.fr/rapports/28.htm), ainsi qu’aux travaux de Frank Lasch sur La filière des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) en Languedoc-Roussillon publiés dans la revue Repères, septembre 2001 ; janvier 2003 (disponibles en ligne sur le site de l’INSEE : http://www.insee.fr/), enfin au numéro d’Économie et Statistiques consacré aux TIC en 2000. -
[17]
Site de l’Observatoire e-management de Paris Dauphine-Cegos : http://troll.cip.dauphine.fr/observatoire/
-
[18]
Voir le chapitre sur les équipements et tarifs pour les entreprises dans le Schéma de Services Collectifs.
-
[19]
http://fr.yahoo.com/. Pour une présentation détaillée de cet annuaire, voir Duféal M., (2001), « La diffusion des sites web dans l’arc méditerranéen français », Actes des Ve Rencontres Théo Quant, Besançon.
-
[20]
Depuis peu, deux autres annuaires ont décliné, dans leurs index, une entrée géographique : il s’agit d’Excite et de Voila (respectivement index « Régional » http://www.excite.fr, et index « villes, régions, pays » http://www.voila.fr).
-
[21]
En janvier 2003, la NAF 1993 a été modifiée pour intégrer notamment les « nouvelles » activités liées aux TIC qui n’apparaissaient pas en « toutes lettres » dans la NAF 1993.
-
[22]
Pour de plus amples informations sur la ventilation spatiale et socio-économique des sites web des villes de l’arc méditerranée en français, ainsi que sur la thématique de l’archivage du Web, voir : Duféal M., (2003), Les sites web de l’arc méditerranéen français marqueurs de territoire. Contribution à l’axe de recherche « Arc méditerrannéen » de l’UMR-ESPACE, http://www.umrespace.org/
-
[23]
La notion de site officiel ne repose sur aucun critère légal ou réglementaire. Elle permet néanmoins de distinguer les sites de collectivités créés par des particuliers (sites « perso » sur une commune par exemple) de sites dont le contenu est validé par les collectivités ou des services de l’État. Il existe un guide juridique des sites de collectivités territoriales sur le site de l’Observatoire des Télécoms en ville : http://www.telecomville.org
-
[24]
L’indice de spécialisation correspond au ratio : (part de sites web de la catégorie d’espace/ensemble des sites français [hors DOM-TOM])/(part de la population de la catégorie d’espace/population totale française [hors DOM-TOM]).
-
[25]
Cf. par exemple la création de la première École de l’Internet (Institut des Applications Avancées de l’Internet).
-
[26]
Ces analyses ont porté sur les seules villes de l’arc méditerranéen français, cf. Duféal M., (2003), op. cit.
-
[27]
Ou « à grande vitesse » ou encore « à haute vitesse » comme l’usage tend à se répandre au Québec (espace où, dans ce domaine, les usages ont souvent été précurseurs de pratiques ultérieures largement répandues).
-
[28]
Une étude de l’Ortel est ainsi parue en juin 2003 sous le titre : L’état des régions dans la société de l’information, mais n’a pu être considérée lors de la réalisation du présent article.
-
[29]
Malgré les recommandations du régulateur (l’ART, l’Autorité de Régulation des Télécommunications), l’ouverture à la concurrence des infrastructures (dégroupage), jusque-là gérées par l’opérateur, se fait parcimonieusement.
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[30]
Les entreprises œuvrant dans le domaine des TIC y sont bien sûr les plus sensibles (fabricants de contenus en ligne, commerce en ligne, voyages, services vidéo…), mais il faut aussi considérer des ensembles de services, privés et publics, pour qui la collecte et la disponibilité rapides d’information, ou encore l’organisation en réseau deviennent des éléments structurels de fonctionnement et de productivité croissante : sociétés de conseil, banques, assurances, vente par correspondance, immobilier, contrôle et surveillance à distance, traçabilité, logistique, administrations centrales, bibliothèques universitaires, etc. L’industrie confirme aussi des usages anciens, mais en développe également de nouveaux, tant du point de vue des produits que des procédés de fabrication : échanges de données numérisées dans les systèmes de production, places de marché, fabrication de systèmes embarqués pour les véhicules automobiles, systèmes de positionnement et de guidage, équipements des systèmes mobiles. Pour les particuliers, les nouveaux usages recouvrent tout ce qui relève des échanges peer to peer, et notamment les téléchargements de films ou de morceaux de musique en streaming (les fichiers sont accessibles en même temps que s’effectue leur téléchargement). Ils recouvrent aussi la formation (e-learning), les jeux en ligne, la visualisation d’émissions de TV en différé ou encore le travail à domicile.
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[31]
Le site Netissimo de France Telecom permettait jusqu’à la fin 2002 de connaître les communes ayant un accès à ADSL et l’état de cette base était provisoire. Sans évoquer le nombre réel de clients, une analyse des populations ayant réellement accès à l’ADSL sur le territoire des communes ne peut être menée sérieusement, les chiffres diffusés par la presse spécialisée étant largement surestimés, à cause notamment d’une assimilation systématique entre territoire communal où l’ADSL est partiellement disponible et population totale des communes desservies. Des contraintes techniques limitent pourtant la distance de desserte sur le territoire des communes à partir des répartiteurs (environ 3 km) : elles sont considérées comme des contraintes parce qu’elles restent liées à des questions de densité de population et d’entreprises.
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[32]
Conseil Interministériel pour l’Aménagement et le Développement du Territoire.