Flux 2003/2 n° 52-53

Couverture de FLUX_052

Article de revue

Les quatre compétitions dans un monopole naturel

Qu'est-il en train d'arriver au secteur de l'eau ?

Pages 69 à 86

Notes

  • [1]
    Comme mes précédents articles publiés dans Flux, celui-ci a bénéficié des avis d’O. Coutard et de C. Defeuilley. Pour écrire ce texte j’ai largement mobilisé ma base de données sur les grands « groupes urbains » dont une autre synthèse a été publiée récemment « Capitalismes urbains : la montée des firmes d’infrastructures », Entreprises et Histoire, n° 30, septembre 2002, pp. 7-31.
  • [2]
    Compagnie Générale des Eaux comme Lyonnaise des Eaux restent les réceptacles des activités eau de deux groupes plus larges.
    En 1998, le Groupe Compagnie Générale des Eaux s’est rebaptisé Vivendi. En 2000, les activités d’environnement ont été regroupées dans Vivendi Environnement qui, en 2003, s’est transformée en Veolia Environnement. « Compagnie Générale des Eaux » reste le réceptacle de l’activité eau et intervient à l’international par la marque « Veolia Water ».
    En 1997, fusion entre le groupe Lyonnaise des Eaux et Suez pour former Suez- Lyonnaise. En 2000, les activités eau sont regroupées autour d’Ondeo ; Ondeo Services coiffe les filiales internationales et Lyonnaise des Eaux France. En 2001, le groupe se dénomme simplement Suez.
  • [3]
    Nous retenons les chiffres pour la distribution d’eau potable. Pour Suez, rapport annuel 2001, p. 53. Le chiffre de 115 millions comprend pour la France 12 millions dans l’eau potable et environ 5 millions en assainissement (ces derniers sont à soustraire, comme le contrat d’Atlanta, 2 millions).
  • [4]
    Dès les années 1982/1983 la Lyonnaise des eaux avait pris cette orientation mais les contrats qui marquent un réel changement datent de 1992/1993 : Buenos-Aires, Sydney, Rostock, Mexico, la Malaisie.
  • [5]
    Suez 108, Vivendi 110, RWE 56, Saur 36, autres firmes anglaises 40, autres firmes américaines 10, divers 10.
  • [6]
    Nation Unies, Douzième session de la commission des établissements humains, Carthagène (Colombie), 24 avril-3 mai 1989.
  • [7]
    « World Development Report 1994 », the World Bank, Oxford University Press, 1994.
  • [8]
    Source, the World Bank, « PPI projects data base », pour une présentation voir PPIAF annual report 2002, www.ppiaf.org
  • [9]
    Veba a pour branche électrique PreuBenElektra ; la fusion avec Viag (l’homologue de Bavière) annoncée en Octobre 1999, donnera naissance à E.ON.
  • [10]
    Il faudrait aussi prendre en compte la part des technologies (pour les télécoms) ou celle des rentes cachées par des investissements de capacité importants (électricité) pour expliquer le résultat.
  • [11]
    Voir J. Cosgrove and F-R. Rijsberman, « World water Vision », the World Water Council, 2000. Voir aussi le document de synthèse préparé par plusieurs ministères français : Affaires étrangères, Équipement, Transports et Logement, « Eau et Développement : stratégie interministérielle pour l’action internationale de la France », Paris, mars 2001.
  • [12]
    Ebitda : Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization.
  • [13]
    Exposé du directeur de la stratégie de la Saur, groupe HEC, février 2003.
  • [14]
    FT November 23, 2000. Dans le cas d’Ondeo il s’agit de l’achat des 67 % du capital qui n’étaient pas détenus.
  • [15]
    PR Newswire, Feb 28, 2002.
  • [16]
    Si l’on compare le cycle des investissements dans le secteur de l’eau (Banque mondiale, PPI data base : investments in infrastructure projects with private participation) à celui de l’offre, le décalage est de trois ans. Le premier est maximum en 1997 tandis que l’offre réagit avec trois ans de retard, ce qui s’explique ainsi. L’essentiel des investissements privés provient des télécoms et de l’énergie. Leur progression jusque 1997 entretient un climat de confiance qui accrédite l’idée d’un grand marché potentiel dans l’eau. Donc de nouveaux acteurs s’y précipitent (1997/2000) avant de réviser leur jugement (2001/2002).
  • [17]
    FT March 8, 2002, « Advisers told Suez to adopt Enron model » ; voir l’analyse du président du groupe quelques mois plus tôt : G. Mestrallet, « La vraie bataille de l’eau », Le Monde 26 octobre 2001. J’observerai que la demi-page consacrée à cet article a été « bouclée » par un petit billet consacré au livre de Loana. Curieux liens entre ces deux informations. À moins que le journal ait voulu rappeler à sa manière le mélange (qu’il juge hypocrite) entre une stratégie de développement des adductions d’eau dans les pays pauvres (le grand article) et une télévision trash que représente à ses yeux le Loft de M6 (groupe Suez), dont Loana fut la première lauréate.
  • [18]
    Les opérations américaines seront reprises par American Water Works qui conforte sa place de leader ; celles du Mexique par Ondeo et l’Argentine cherche toujours preneur.
  • [19]
    Voir dans ce numéro l’article de Karen Bakker qui expose le cas de Hyder/Welsh Water.
  • [20]
    Voir notre programme de recherche « Expériences de gestion déléguée (1&2) », Ministère de l’équipement (2000) et Ministère de la recherche (2001) ; E. Baye pour Shanghaï, D. Lorrain pour Chengdu. Les autres opérations, Saur à Harbin, différentes JV de Sino-French (Suez et New World) relèvent de contrats ordinaires qui n’ont pas eu aux yeux des chinois l’exemplarité des trois opérations évoquées.
  • [21]
    Puxi, ville de l’ouest qui correspond au Shanghaï existant à l’ouest de la Suzhou river, Pudong, ville de l’est et de la nouvelle urbanisation en direction de la mer de Chine, où se trouvent l’aéroport international et le grand complexe industriel de la Sinopec, 1er groupe pétrochimique du pays.
  • [22]
    M. Bellier, « China, Promoting Private Investment in Infrastructure », PPIAF, Washington D.C., 2002, 170 p.
  • [23]
    Wall Street Journal, November 19, 2001.
  • [24]
    Je suis redevable sur ce point de discussions avec le directeur de la stratégie de la Saur et avec C. Defeuilley (EdF R&D).
  • [25]
    La courbe des cash-flows des grandes opérations de concession ou de BOT se caractérise structurellement par des valeurs négatives en début de période car l’opérateur investit et des gains ensuite.
  • [26]
    Financial Times, Aug 21, September 14, Nov 15, 2001 ; ces difficultés tendent à montrer que le marché de l’eau a ses spécificités politiques ; dans ce cas particulier ce sont les élus locaux qui résistent à l’arrivée d’une grande firme qui risque de les priver du contrôle des emplois du secteur.
  • [27]
    FT, et Wall Street Journal Europe, September 13, 2002.
  • [28]
    FT, September 20, 1999 et July 28, 2000.
  • [29]
    International Market Insight Reports, Feb 3, 2000.
  • [30]
    FT, July 23, 2002.
  • [31]
    Pour être précis, 361 G$ sur 754, source Banque mondiale, PPI projects data base, voir PPIAF, Annual report, 2002.
  • [32]
    A contrario, on peut mentionner la réforme des bus de province en Angleterre ; les opérateurs se trouvaient en compétition sur une même ligne, aux mêmes heures, pour attirer les mêmes passagers.
  • [33]
    Plus précisément, 59 000 community water systems servent 85 % de la population américaine (71 % en public owned et 13 % en privately owned). Le reste de la population est alimentée par des solutions privées ; cf « The Water Treatment Industry », Alex, Brown & Sons, sept 30, 1991. Voir aussi « Le marché de l’eau américain », entretien avec J-M. Brault par C. Pezon, Flux n° 47, janvier-mars 2002.
  • [34]
    FT, September 30, 1993, d’après E.D. Jones & Co.
  • [35]
    « Le marché du traitement de l’eau en 1990 », Source, Alex, Brown & Sons, September 30, 1991.
  • [36]
    On trouve aussi l’expression design & build.
  • [37]
    US Filters a été créée en 1988 dans le but de consolider une industrie fragmentée ; elle a commencé avec un chiffre d’affaires de 9,6 M$ ; Vivendi en fera l’acquisition en 1999 pour 6,2 G$.
  • [38]
    E. Baye, « Radioscopie de l’ingénierie, conseil de transport et de circulation en Europe », Économie et Humanisme, Lyon, mars 1999, 38 p.
  • [39]
    Cette politique en direction de l’industrie a été suivie par les deux majors français.
  • [40]
    Voir notre rubrique « Portrait d’entreprises », dans le n° 50 de Flux.
  • [41]
    P-J. Brook & S-M. Smith, « Contracting for public services, output-based aid and its applications », World Bank and IFC, Washington D.C. 2001. Voir aussi les documents de l’assemblée annuelle du PPIAF, Paris, mai 2003. http://www.ppiaf.org/
  • [42]
    À l’initiative des Nations Unies, il a été décidé d’une « Journée de l’eau » ; elle est l’occasion de l’organisation d’un Water Forum (rendez vous des acteurs du milieu) : Marrakech, mars 1997, La Haye, mars 2000, Kyoto, mars 2003.
  • [43]
    J. Stiglitz, « La grande désillusion », Fayard, Paris, 2002.
  • [44]
    Suez/Ondeo, « Bridging the Water Divide », Paris, 2002. Videndi Environnement a aussi une action dans le développement durable (programme Aquadev) mais arrivant plus tard dans l’international, elle a été moins active dans la co-production d’une réflexion sur ces politiques.
  • [45]
    American Water Works Journal, August 2002.
  • [46]
    L’Indonésie compte 247 entreprises d’eau en bouteille, Far Eastern Economic Review, Feb 24, 2000.
  • [47]
    J-W. Hoffbuhr, « Is it the bottle ? », American Water Works Association Journal, Aug, 2002.
  • [48]
    Ces points ont bénéficié des commentaires de Pascal Chauchefoin.
  • [49]
    Voir notre étude de ce cas en collaboration avec Philippe Arnoux (IUT de Metz Thionville), in « Le modèle public local fort (les entreprises de réseaux techniques urbains en Allemagne et aux Pays-Bas) », Commissariat Général du Plan, octobre 2002.
  • [50]
    China, Promoting Private Investment in Infrastructure, M. Bellier (dir.), Ppiaf, the World Bank, 2002, Annex 2.
  • [51]
    Chemical Week, December 5, 2001.
  • [52]
    FT, July 17, 2002. Wall Street Journal, June 17, 2002. PS Newswire, April 12, 2002, Beverage Industry, Sept. 2002.
  • [53]
    International Herald Tribune, April 22, 2002.

1Le secteur de l’eau est organisé en France autour de trois grands groupes privés [2]; c’était déjà le cas il y a vingt ans et donc rien n’aurait changé. Ces caractéristiques d’une permanence et d’un oligopole seraient même plus générales, car pour beaucoup d’auteurs, qu’ils soient observateurs ou adversaires du système, l’économie mondiale de l’eau serait aussi organisée par quelques multinationales : les « Français » leaders incontestés, flanqués de quelques Anglais. Mais les choses sont-elles vraiment si simples ? Peut-on vraiment faire nôtre la formule des Bostoniens pour décrire ce secteur : « The more it change the more it’s the same » ?

2Considérons, pour ce qui concerne la France, le déplacement du centre de gravité des firmes avec la part de leur activité internationale dans l’eau : pour Suez douze millions de consommateurs en France et cent huit millions en tout, pour Veolia Environnement vingt-cinq et cent dix millions, pour la Saur six et trente-six millions [3]. Ces trois firmes réalisent une grande partie de leur développement à l’international et cette mutation date d’environ dix ans [4]. On peut donc penser que les évolutions du marché mondial, que les concurrents rencontrés, que les apprentissages qu’ils y font, donnent une clef de lecture pour comprendre leur fonctionnement d’ensemble. Vouloir analyser les stratégies des firmes françaises de l’eau à partir du cadre hexagonal avait un sens hier et en a beaucoup moins aujourd’hui.

3Cette idée explique le niveau d’analyse retenu. Il faut décrire l’offre au niveau de qui l’organise ; elle s’est mondialisée ; il faut donc en saisir les contours à ce niveau là. Cette lecture internationale fait aussi mieux ressortir deux grandes structurations de l’offre et les mécanismes de mise en compétition qui s’y trouvent rattachés.

4S’impose d’abord la figure de l’opérateur unique de réseau en monopole ; il peut être public ou privé. Il gère l’ensemble du « cycle local » de l’eau (du pompage au rejet) et assure la gestion du service public. Cette unité du cycle technique et de l’opérateur correspond à la tradition politique et industrielle telle qu’elle s’est imposée à partir du XIXe siècle. Sur une population mondiale de six milliards d’habitants, les exploitants privés de ce cycle délivrent l’eau à trois cent soixante-dix millions de personnes au maximum, soit 6 % [5]; a contrario 94 % des humains relèvent d’une gestion publique. Quand on évoque « les firmes de l’eau » c’est à ces acteurs privés auxquels il est fait référence. L’histoire montre au départ un très petit nombre d’acteurs, renforcés par la privatisation en Angleterre (décembre 1989), puis entre 1996 et 2001 une entrée des électriciens, des firmes de construction et des conglomérats. À partir de ce point haut commence un reflux : retrait de presque tous les électriciens, affaiblissement des firmes anglaises de l’eau par les objectifs de la régulation, interrogations pour les autres. Revient-on pour autant à un oligopole mondial ? À regarder les choses de plus près sur chaque grand dossier il apparaît qu’une offre nouvelle est en train de se constituer ; elle provient des pays émergents et de la transformation d’entreprises publiques, souvent municipales.

5Une seconde offre privée existe, mais pour la saisir il faut raffiner un peu l’idée de l’opérateur unique du cycle de l’eau et introduire des notions d’économie industrielle en regardant les maillons du cycle local : pompage, traitement, distribution, collecte des eaux usées, retraitement et rejet. L’exploitant qui gère tout le cycle, pour tous les usagers, dans une agglomération donnée correspond à un cas de figure. Trois autres types de firmes privées jouent un rôle ; elles interviennent sur des parties spécifiques du cycle technique.

  • Des ingénieristes de l’environnement vont concevoir, réaliser les équipements de traitement et parfois les exploiter sur des durées plus ou moins longues. Ces acteurs auront d’autant plus d’importance que la gestion est publique et que les règles en vigueur prévoient des procédures de sélection pour ces maillons techniques (public procurement, competitive bidding).
  • La tradition d’un système technique unique doit être reconsidérée en raison de l’autonomisation d’un second cycle particulier à l’industrie. Il prend de l’importance sous l’effet de la hausse des normes environnementales et des politiques d’externalisation (outsourcing). Font alors leur entrée les ingénieristes généralistes (Heavy engineering) et les industriels de process (plant contractors).
  • Sur le maillon de la consommation du public, en fin de cycle, un marché de l’eau en bouteille très important s’est développé ; il représente des chiffres élevés et on y trouve les plus grands groupes de distribution qui appliquent là leurs méthodes de marketing.
Autrement dit, pour discuter de manière équilibrée de la présence des firmes privées dans le secteur de l’eau, il faut, bien sûr, présenter les opérateurs de réseaux, acteurs puissants, connus qui gèrent l’ensemble du cycle local ; une première image en ressort. Mais il faut aussi s’intéresser à d’autres configurations industrielles et aux acteurs concernés : ingénieries de l’environnement, heavy engineering, ingénierie de process, marques de distribution. Comme nous allons le voir, il en ressort une image complexe, avec bien plus de turbulences, d’acteurs et de compétition qu’on l’imagine. Ceci conduit à revoir ce qui se dit des formes de compétition dans les monopoles naturels.

Une brève histoire des marchés de l’eau et des exploitants privés

6Plaçons nous en 1985, année, où la Lyonnaise des Eaux signe sa première concession significative à l’international, à Macao. Les firmes privées, ayant alors une certaine envergure, se comptent sur les doigts d’une main. On trouve la Compagnie Générale des Eaux, l’autre groupe historique français. La Saur, vient juste de changer d’actionnaires et rejoint le groupe Bouygues ; c’est une petite firme de quatre millions de consommateurs ; son plus gros contrat urbain est celui de Nîmes et elle a des opérations en Afrique. La France demeure une exception avec 65 % du secteur en gestion déléguée. La gestion publique reste totalement dominante dans le reste du monde. Les autres firmes privées sont alors peu nombreuses et, dans chaque pays, elles occupent une position totalement minoritaire. Il en va ainsi pour les quelques firmes que compte l’Italie ; elles servent moins d’un million d’habitants ; Italgas a environ deux millions de consommateurs et tout le reste est en gestion publique. En Angleterre, les vingt-huit Statutory Water Companies, vestiges d’un premier développement des réseaux, qui ont échappé aux municipalisations, puis à la régionalisation, distribuent 25 % de l’eau potable et ne font pas d’assainissement. Aux États-Unis, pays de la libre entreprise, les opérateurs privés (investor-owned) représentent moins de 10 % du marché ; American Water Works compte un million de consommateurs ; United Water, le numéro deux, moins de 500 000.

Première modification du paysage, 1990/1994

7La privatisation anglaise de dix compagnies régionales va fonctionner comme un déclencheur. L’offre s’en trouve immédiatement modifiée et des entreprises régionales tranquilles vont aussitôt mener des politiques pour se développer en dehors de leur cœur régulé. Les plus grandes vont rechercher des contrats à l’international. Mais surtout, cette opération va être précédée, puis accompagnée d’un formidable corpus qui justifie et légitimise le recours au secteur privé. Les Anglais font ce que les Français n’ont pas fait malgré plus d’un siècle d’expérience : produire une argumentation dans des registres politiques et économiques qui rend intelligible cette organisation particulière du service public. Cette construction a eu d’emblée une ambition universelle de sorte, à tort ou à raison, qu’elle a servi de référence pour des opérations dans de nombreux pays émergents où la gestion publique allait de mal en pis.

8À la même époque intervient un changement d’analyse à la Banque mondiale. Après avoir consacré une énorme énergie au développement rural, elle se tourne vers les villes et pointe le rôle des infrastructures dans le développement [6]. Elle soutient activement les grandes opérations de concession ou de recours au secteur privé. La compétition oppose alors le plus souvent Lyonnaise des eaux, Thames Water, North West Water. Le club des internationalisés reste encore limité. À cette époque, le quatrième groupe anglais, Anglian, participe à plusieurs opérations comme associé de la Lyonnaise. La Saur est peu active hormis une entrée en Angleterre dans des Statutory Water Companies. Severn Trent demeure assez prudente et Biwater joue les francs tireurs, en embuscade. La « Générale » des eaux n’a pas commencé son déploiement à l’international ; la vieille maison se développe avant tout sur le marché français, au risque de tomber sous l’accusation de trop en faire, comme la Scet (filiale de la CDC) quelques années plus tôt.

L’ambition multi-utilités, 1995/2001

9Les premières opérations à l’étranger marchent. Elles justifient un investissement croissant du secteur privé en faveur du développement des infrastructures [7]; la doctrine se trouve confortée. Le changement du secteur de l’eau potable doit aussi s’apprécier par rapport à des forces qui lui sont extérieures.

10Le contexte d’alors est favorable aux marchés. Toute l’économie est en croissance. Celle à deux chiffres de la nouvelle économie laisse entrevoir une croissance économique ininterrompue. Portés par cette confiance dans l’avenir, les investissements privés dans les infrastructures vont augmenter considérablement jusque 1997 [8]. De nouvelles firmes entrent dans le secteur.

11L’industrie électrique a été libéralisée aux États-Unis, privatisée en Angleterre ; ces réformes institutionnelles vont rapidement conduire à une recomposition du secteur qui par effet de dominos va s’étendre au-delà. La fin de la golden-share en Angleterre, à partir de décembre 1995, donne le signal des grandes restructurations. Les électriciens américains entrent en force et reprennent des distributeurs régionaux. Des firmes d’eau et d’électricité s’associent : North West Water et Norweb, Welsh Water et Swalec, Scottish Power et Southern Water. Les deux grands électriciens allemands, RWE et Veba [9] commencent à se diversifier à leur tour ; ils se préparent à la libéralisation de leur marché mais restent encore prudemment sur le marché allemand. Le nombre des joueurs augmente potentiellement, mais pour les grands dossiers internationaux de 1997 (Manille, Djakarta) on retrouve toujours les mêmes.

12En ces années 1997/1998, les premiers résultats de la libéralisation des secteurs électriques et des télécommunications font ressortir une baisse des prix, une innovation de l’offre, que les réformateurs s’empressent d’imputer à la concurrence [10]. Progressivement se fait jour, dans les institutions internationales, l’idée que le secteur de l’eau pourrait être plus performant si le nombre des opérateurs augmentait. C’est le moment où se construit l’argumentaire d’un grand marché potentiel. Les chiffres sont impressionnants et ils vont impressionner [11]. Plusieurs nouveaux groupes font leur entrée : Bechtel, Enron. En 1998, la libéralisation du secteur électrique, en Europe continentale, accélère le mouvement avec pour conséquence l’affichage de stratégies multi-utilités : E.ON, RWE, Enel, Endesa, Iberdrola. Entre 1998 et 2001, on se trouve au point maximum d’une diversification de l’offre.

13Les électriciens et gaziers explorent toutes les options : l’eau, les télécoms, l’international. Dans la phase croissante du cycle des nouvelles technologies, toutes les anticipations se font à la hausse sans considération pour les ratios habituels. Leur arrivée dans le secteur de l’eau change complètement la donne avec parfois des effets d’emballement. Les prix d’achat des opérateurs qui se négociaient autour de 0,7 du chiffre d’affaires, ou de six fois l’Ebitda [12], vont exploser ; certaines opérations se font à quinze fois la première valeur et trente fois la seconde [13].

14Par exemple, Azurix, la filiale eau d’Enron introduite en bourse en juin 1999, fait une offre faramineuse de 420 M$ pour reprendre la compagnie d’eau de la province de Buenos-Aires. Union Fenosa, le troisième électricien espagnol, achète en 1999 50,7 % du capital de la petite Cambridge Water pour 54,2 M£, soit une valeur d’achat rapportée au chiffre d’affaires de 5,7. À la fin de l’année 2000, le marché américain devient sensible. Le rachat d’E’Ttown par Thames et de United Water par Ondeo se fait autour de quatorze fois l’Ebitda [14]. Un peu plus tard en 2002, le rachat de l’industriel du traitement de l’eau Betz Dearborn par General Electric se fait à 8,3 fois l’Ebitda et 1,8 fois le chiffre d’affaires ; les analystes considèrent que c’est cher payé [15].

15En un peu plus de dix ans, on est donc passé d’un secteur, où seul un groupe français avait une compétence d’exploitation à l’international, à une offre qui compte une vingtaine de firmes provenant des États-Unis, d’Angleterre, d’Allemagne, d’Espagne des Pays-Bas et de plusieurs pays émergents. L’année 2000 représente un point haut dans l’abondance de l’offre [16].

Le reflux, 2001/2003

16Ce nouvel état ne va durer que le temps d’une promesse. Très rapidement les effets de la libéralisation du secteur électrique se font sentir, les prix baissent et avec eux les marges ; commence le reflux des électriciens. La diversification dans l’eau ne leur permet pas de compenser ce qui est perdu dans le marché principal. Les nouveaux entrants découvrent qu’au-delà d’un argument très général de propriétés partagées, découlant d’une même dimension infrastructurelle, l’eau et l’électricité ressortent, de métiers différents, aux profitabilités différentes. La fin de l’année 2000 sera celle du dégonflement de la bulle des nouvelles technologies et 2001 celle de tous les grands ajustements avec la crise électrique de l’été en Californie, le choc perturbateur du 11 septembre, la révélation des errements d’Enron un mois plus tard, suivis par bien d’autres. Puis arrive la crise en Argentine qui aboutit à la démission du Président de la république en décembre, suivie par l’abandon de la parité avec le dollar en janvier 2002 ; en mars les échanges se faisaient à quatre contre un. Le monde entre dans une période de turbulences et, comme disent les marins, il faut réduire la voilure. Les électriciens se recentrent sur leur marché principal et vendent les actifs non stratégiques. Les uns après les autres ils sortent du secteur de l’eau (encadré 1). Subsistent de cette phase, trois groupes : Nuon l’entreprise publique néerlandaise qui cherche à se diversifier, Italgas pour le moment uniquement présente en Italie et surtout le grand groupe allemand RWE solidement présent dans trois pays industriels, les États-Unis, l’Allemagne et l’Angleterre et très actif à l’international par Thames Water. Examinons ces points plus en détail.

17Quatre séries de phénomènes se conjuguent pour marquer ce nouveau cycle court : la faillite d’Enron, le durcissement de la régulation anglaise, le ralentissement des opérations à l’international, le nouveau regard des marchés.

Enron

18L’image symbolique est bien sûr celle de la faillite d’Enron et de la disparition de sa filiale Azurix qui quelques années plus tôt ambitionnait de concurrencer les maisons les mieux installées [17]. Avec cette faillite ce sont Wessex Water, des opérations en Argentine, aux États-Unis, au Mexique (Mexico, Cancun et Monterrey) qui cherchent preneur [18]. Mais à y regarder plus en détail, cette faillite est celle d’un joueur qui avait pris plus de risques que les autres et qui se retrouve le premier pénalisé lorsque les marchés ralentissent. Azurix sert d’avertisseur pour lire le retournement d’un secteur qui avait anticipé sur un avenir à la hausse.

L’Angleterre

19Un autre facteur de changement tient au durcissement de la régulation anglaise. Pendant les deux premiers cycles de cinq ans, le régulateur avait accordé à l’industrie des hausses de tarifs supérieures à l’inflation (+ 5,4 % et + 1,5 %). Elles devaient permettre de faire des investissements de rattrapage, mais elles se sont aussi traduites par de formidables profits. C’est ce second résultat qui va marquer les esprits. Tout se passe pour le troisième cycle de négociation comme si, avant de prendre sa retraite, le régulateur indépendant, Ian Byatt, voulait remettre les choses à plat. Cette fois, les firmes reçoivent un facteur K négatif pour la période 1999/2004, avec un effort qui porte principalement sur la première année (- 12 %). L’industrie anglaise de l’eau qui avait été le principal apporteur de nouveaux acteurs va se trouver en position de repli. À partir de 2000 elle se trouve en état de choc, littéralement sinistrée (encadré 2). Le secteur sous performe l’indice Footsie, donc les firmes n’attirent plus aisément le capital en bourse. Elles doivent revoir leurs investissements.

20Plusieurs étudient un découplage de la propriété des actifs de l’exploitation ; le terme en usage est « le financement par la dette » ce qui veut dire que les firmes vendent leurs actifs à des investisseurs : financiers dans la majorité des cas, ou mutualistes comme pour Welsh Water [19]. À l’international, le repli est conséquent. Après le déploiement généralisé de 1993/1995, l’heure est à la prudence. Severn Trent avait amorcé le mouvement, suivie par North West. Anglian met en vente ses actifs internationaux en 2002. Trois groupes conservent une présence internationale mais selon des poids fort différents. Biwater, qui intervenait surtout dans des pays à risques, s’allie à Nuon l’électricien public de la région d’Amsterdam. Kelda, le numéro cinq, est présent aux États-Unis par son rachat d’Aquarion en 2000 et d’autres opérations en Nouvelle Angleterre. Le seul groupe qui reste présent sur les grandes opérations est Thames Water. Au début, cette firme avait adopté une stratégie prudente. Son rachat, à l’automne 2000, par RWE l’adosse à un grand groupe qui lui permet d’échapper à la tyrannie des Quarterly Reports et de conduire une stratégie de long terme.

Les grandes opérations difficiles

21Plus globalement, le « grand marché » dont parlaient les analystes ne se trouve pas au rendez vous et sans marché pas de profits. Par exemple, la Chine a été présentée par tous comme « le plus grand marché du monde » et ses dirigeants ont su habillement jouer de cette promesse d’avenir dans leurs négociations. Le pays a connu une expérience de BOT à Chengdu, une sorte d’affermage à Dachang (Shanghaï) [20]. Dans chaque cas, il fut demandé aux firmes concernées, Vivendi et Thames Water, de faire des efforts car ces contrats allaient leur ouvrir la porte à un protocole reproductible qui serait appliqué dans un très grand nombre de villes. En fait, ces contrats sont restés au stade de prototype. Et en 2002, la Chine développait le même argument pour un autre schéma avec vente partielle des actifs de la compagnie publique de Pudong, remportée par Vivendi Environnement [21]. La vérité est que l’essentiel de la modernisation chinoise s’est fait à 90 % dans le schéma de gestion publique en vigueur [22] et que les opérations privées tant courtisées et âprement négociées n’ont compté que pour 10 %. On pourrait faire les mêmes remarques pour l’Inde, l’Indonésie, les PECO, la Russie et toute l’Afrique. Oui, les besoins sont bien là, immenses, parfois avec une intensité tragique si on prend le temps de voyager et d’observer. Mais besoin n’équivaut pas marché ; le passage de l’un à l’autre suppose un long travail sur les institutions.

22Au début des années 2000 on commence aussi à avoir un recul suffisant sur les premières opérations de participation du secteur privé pour pouvoir en faire un premier bilan. Or, que l’on regarde les pays industriels ou les pays émergents, un résultat s’impose : les contrats qui se déroulent sans difficultés ne sont pas nombreux, en particulier dans le secteur de l’eau ; contrairement à une idée reçue, ces monopoles sur des marchés réputés stables n’offrent qu’une protection relative. Autrement dit, « le PPP n’est pas un long fleuve tranquille ». Les causes en sont multiples, souvent spécifiques, mais on peut en esquisser quelques facteurs de base :

  • des facteurs exogènes, de type dévaluation, ou changement politique, qui remettent en cause l’équilibre des contrats (Djakarta, Manille, Côte d’Ivoire, Argentine),
  • des contrats mal équilibrés et pourtant appliqués (Cochabamba, province de Buenos-Aires, Sénégal pour l’électricité),
  • des remises en cause des choix politiques et une irruption de la société civile sous une forme organisée et militante. Elle se manifeste dans les pays émergents (Afrique du Sud, Amérique Latine) tout comme dans les pays développés comme le montre la décision de la ville de la Nouvelle Orléans, prise en novembre 2001, de ne pas déléguer son service d’eau alors que le dossier était étudié depuis 1998 et qu’il se trouvait en phase de sélection [23].

Retrait de firmes ou opérations qui ne trouvent pas preneur

  • Shenzhen (zone économique spéciale au Nord de Hong Kong) tente sans succès de vendre des entreprises de service public, dont l’eau, (2002).
  • Retrait de Dragados et EDP de la concession de Rabat (2002) ; elle sera reprise par Vivendi
  • Nairobi, les acteurs souhaitent que le secteur privé prenne plus de risques que dans un contrat de service. L’étude du cabinet Hallcrow (2002) conclut qu’une privatisation ou une concession ne sont pas envisageables et qu’il sera possible, au mieux, de monter un affermage.
  • Retrait de la Saur, en 2001, d’un contrat de service à Maputo (Mozambique, associée à une entreprise portugaise) et de la République Centrafricaine.
  • Tentative de trouver un opérateur à Lusaka (Zambie), étude de Severn Trent International 2002.
  • Études depuis 2001 pour reprendre des opérations arrêtées en Amérique Latine : province de Buenos-Aires, Tucuman, Cochabamba.
  • Rachat, en juin 2000, de Indah Water Consortium (contrat de 1994 pour tout l’assainissement du pays), par le gouvernement de Malaisie ; cherche des repreneurs.

Le regard des marchés

23Comme pour la période précédente, ce qui se passe dans le secteur de l’eau ne peut être détaché de l’économie générale. Or la période est celle de l’éclatement de la bulle des nouvelles technologies. Après un optimisme à tout crin, des prises de risques exagérées, vient le temps de la mesure. Les firmes nettoient leurs comptes, éliminent les sur-valeurs. Les analystes regardent autrement le secteur [24]. Arrêtons nous un instant sur les ratios comptables utilisés lors de chaque période pour lire la performance.

24Au début, le critère retenu pour évaluer une opération a été la rentabilité des fonds propres (Return on Equity) calculé en rapportant le résultat net aux fonds propres. Il peut être calculé sur une année ou sur la durée de l’opération. Il était souvent complété par la « valeur actuelle nette » d’un projet qui peut se définir comme « la différence entre la valeur actuelle des excédents nets d’exploitation attendus et celle du capital investi ». Dans cette lecture, on travaille sur la totalité du projet ; les variables stratégiques vont être celles qui déterminent les excédents d’exploitation et le coût du capital.

25Puis des critères faisant plus appel à des notions de disponibilité financière de l’entreprise vont prendre de l’importance :

  • Les capitaux employés dans l’entreprise ; cet aggrégat « se calcule en ajoutant aux immobilisations corporelles et incorporelles nettes, les écarts d’acquisition, les immobilisations financières et les besoins en fonds de roulement, moins les provisions pour risques et charges. À partir de cet indicateur, on calcule la rentabilité des capitaux employés (Return on Capital Employed, ROCE) ».
  • La création de valeur se détermine en comparant le ROCE au coût moyen pondéré du capital.
  • Le free cash flow permet de déterminer la marge de manœuvre financière de l’entreprise. Il se calcule « en retranchant les investissements non financiers et le versement des dividendes à la marge brute d’autofinancement ; s’il est positif cela montre que la MBA couvre les investissements industriels ».
Sur la décennie 1992/2002, les financiers n’ont pas eu la même lecture de phénomènes réels qui n’ont pas tant changé que cela [25]. L’usage du « RoE » montre bien ce changement. Il peut se calculer année par année ce qui fait ressortir les moments difficiles ; s’il est calculé sur l’ensemble du cycle les pertes des premières années sont absorbées par les cash-flows positifs de la deuxième partie de la courbe, les opérations sont « jouables ». La méthode de la « valeur actualisée nette » correspond aussi à une lecture optimiste ; on inclut la deuxième partie de la courbe. Cette manière de penser et de calculer montre si besoin était la réalité de modèles de référence et leurs conséquences concrètes ; ils pèsent sur la conception de la « bonne » organisation des marchés, sur les méthodes de calcul. Le « free cashflow » correspond à une lecture prudente ; on prend en compte la disponibilité pour chaque année, comme les premières années d’une opération se caractérisent toujours par des cash-flows négatifs, l’usage de ce critère rend impossible bon nombre d’opérations. Il faut renoncer ou adopter des solutions où les engagements de la firme sont moindres. Donc le marasme de la période 2000/2003 ne s’explique pas par les besoins qui se seraient évanouis, mais bien plus par la différence du regard que les financiers portent sur les affaires à quelques années d’intervalle ; il explique pour partie les emballements dans la phase optimiste et les difficultés dans la phase de rigueur.

Encadré 1 - Les électriciens : entrée-sortie

Endesa - a eu quelques intérêts dans l’eau en Espagne et en Amérique Latine par Enersis ; ils ont été cédés respectivement en 2002 et 1999. Subsiste une participation minoritaire (12 %) dans Aguas Barcelona (La Caixa et Suez).
Enel - à la fin de 1999, fait l’acquisition de sociétés d’eau dans le Sud de l’Italie. L’opération pour la plus grande d’entre elles, Acquedotto Pugliese, n’aboutira pas après deux ans de négociations [26]. On évoque, fin 2001 sa possible reprise des actifs d’Azurix dans la province de Buenos-Aires, celle de Southern Water. Aucune ne se fera. Enel se positionne sur la distribution de gaz (Camuzzi) et s’interroge sur le sens d’une politique multi-utilités. Fin 2002 recentrage, Enel annonce qu’elle réduit ses intérêts dans les télécoms et l’eau et se concentre dans les métiers de l’énergie [27].
Enersis - entreprise électrique intégrée du Chili, issue des privatisations. De 1995 à 1998, se développe et se diversifie en tirant parti des privatisations dans la région. Associé avec Anglian, remporte la vente de l’entreprise d’eau de Valparaiso (Esval, fin 1998). La prise de contrôle par Endesa (Espagne), en 1999, conduit rapidement à un recentrage et donc à la cession d’actifs « non stratégiques » dans l’immobilier, un tunnel autoroutier, et l’eau [28]. Sa filiale Aguas Cordillera (86 500 clients dans la zone résidentielle de Santiago) est mise en vente fin 1999 [29]. La participation de 72 % d’Esval sera reprise par Anglian.
E.ON - présent par Gelsenwasser (230 ME de chiffre d’affaires dans l’eau) et par Avacon (2,3 GE, filiale eau : Purena). La fusion avec Ruhrgas devrait entraîner des changements.
Enron - reprend la participation de Waste Management dans Wessex Water en juillet 1998 ; Azurix est créée en janvier de la même année ; introduction en bourse en juin 1999, à 19 $ par action. Les difficultés d’Azurix commencent dès 2000 ; la maison mère rachète alors les actions. Octobre 2001, Enron révèle ses pertes, le groupe est mis en faillite en 2002. Certains actifs d’Azurix sont repris (aux États-Unis par American Water Works, au Mexique par Ondeo) ; d’autres cherchent preneur.
Iberdrola - a acquis des actifs dans l’eau à partir de 1991. En 2002, 75 % de la holding de contrôle est cédée à RWE pour 94,5 ME [30].
Italgas - (filiale à 100 % du groupe pétrolier italien ENI) intervient dans la distribution de gaz et l’eau potable. En 1995, elle comptait trois millions de consommateurs pour ce dernier secteur, sur quatre millions en tout pour le secteur privé en Italie. Non internationalisée ; partenariat en 2000 avec AEM, l’entreprise municipale de Milan ; association avec ACEA (Rome) pour acheter 46 % du capital de l’entreprise publique de Pise.
North West Water et Norweb (l’électricien de la région) - fusionnent en 1995 pour former United Utilities.
Nuon - entreprise publique de la région d’Amsterdam, chiffre d’affaires de 3,5 GE en 2000, 9 000 salariés et 5 millions de clients. Il s’agit de la première multi-utilités du pays avec des actifs dans l’électricité, le gaz, le chauffage urbain, l’eau potable. A racheté Norit, en 2000, industriel américain spécialisé dans le traitement de l’eau pour l’agro-alimentaire, puis au début de 2001, une firme de l’Illinois, Utilities Inc. S’associe avec Biwater en 2000 et créent Cascal qui intervient dans les pays émergents. La décision prise par le gouvernement néerlandais, au milieu de 2002, de conserver la propriété publique des firmes électriques, limite pour le moment son développement.
RWE - maintient une stratégie multi-utilités. En Allemagne RWE Acqua. Acquisition de Thames Water en septembre 2000, apporte 12 millions en consommateurs en Angleterre et 12 autres à l’étranger. Entrée aux États-Unis par American Water Works (2001, 12 millions de consommateurs).
Scottish Power - Achat de Southern Water en juin 1996 ; recherche de repreneur à partir de 2001. Enel renonce. Transaction avec le groupement financier First Aqua qui poursuit par une cession à Vivendi Environnement en 2003.
Union Fenosa - fait l’acquisition de Cambridge Water (Statutory Water Company) à la fin de 1999 ; elle est mise en vente trois ans plus tard.

Une nouvelle structuration de l’offre

26Au terme de cette lecture un premier paysage s’impose avec quelques grands acteurs qui résistent aux à coups des marchés : les deux Français, RWE et la Saur dans une moindre mesure. Les électriciens semblent se concentrer sur l’énergie, au moins pour un temps, Enron a disparu, Bechtel reste dans son métier d’ingénierie, Italgas se limite à l’Italie. Mais il ne s’agit que de la première couche, celle des très grandes firmes dont l’eau constitue une activité centrale et qui ont depuis longtemps une masse critique de contrats leur permettant de mener des stratégies globales. En deçà on trouve nombre d’opérateurs qui peuvent se positionner sur des opérations plus petites et cibler leurs interventions.

Une deuxième division d’opérateurs d’eau

27Elle est d’abord composée des entreprises anglaises de l’eau. À l’exception de celles qui sont déjà absorbées par de grands groupes, plusieurs d’entre elles ont les compétences pour se déployer à l’étranger : les hommes et l’adossement à un marché national ; cela fait entre cinq et six firmes (encadré 2). Leur prudence actuelle n’est que le fruit de la politique régulatoire et d’un cycle des marchés financiers. Mais tout cela peut changer très vite.

Encadré 2 : Le secteur de l’eau en Angleterre après le choc régulatoire de 2000

Thames Water - filiale, tête de file du pôle eau de RWE, forte d’une base nationale de 12 millions de consommateurs dans la région du grand Londres. A de solides implantations à l’international : aux États-Unis (AWW, San Jose Water, E’Town), au Chili (Essel et Essam), en Thaïlande et en Malaisie, en Chine (China Water), en Turquie (voir RWE).
Severn Trent - politique prudente à l’international, retrait au Mexique dès 1999, au bénéfice d’Azurix ; activité de conseil (en Afrique) et d’instrumentation. Diversifiée dans les déchets.
United Utilities - se retire fin 1999 de International Water Limited (joint-venture créée avec Bechtel) au bénéfice d’Edison et réexamine le portefeuille ; la stratégie est de se concentrer sur les PECO. IWL (Bechtel, Edison) est mis en vente en 2002. US Water (Bechtel et UU) est reprise par Ondeo en 2002 (1 million d’habitants et 40 contrats O & M).
Anglian - met au point un refinancement par la dette en 2001 ; met en vente ses actifs internationaux en 2002 : Prague, Chine, Chili, Thaïlande. Le groupe envisage de se redéployer dans les contrats de PFI par sa filiale Morrison.
Kelda (Yorkshire) - tentative de cession des actifs à une société mutuelle en 2000, refusée par le régulateur; se développe aux États-Unis ( Aquarion).
Hyder (Welsh Water) - Après la vente de Hyder par les actionnaires et la bataille qui suivit en 2000, le nouvel actionnaire WPD (électricien américain) cède la branche eau à une société mutuelle du Pays de Galles : Glas Cymru.
Southern Water - voir Scottish Power.
Wessex - après la faillite d’Enron et plusieurs offres, reprise en 2002 par un groupe de construction diversifié de Malaisie : YTL.
Northumbrian - Suez cède, en 2003, 75 % du capital à un consortium bancaire et reste l’opérateur industriel.
Pennon (South West Water ) - vend son département instrumentation en 2001 et examine alors un financement par la dette de l’activité régulée.
(par ordre décroissant de taille)

28Il convient d’introduire en second lieu le sous-groupe des entreprises publiques. L’Allemagne, dont on disait que c’est un cuirassé fermé à toute entrée d’un opérateur privé, est en train de changer. En dix ans, les deux grands électriciens ont développé, dans ce pays, une activité eau significative ; de là ils rayonnent dans les pays de l’Est. Poussées par la libéralisation du secteur électrique et les difficultés budgétaires des villes, les Stadtwerke se transforment à leur tour. Ces phénomènes sont très peu connus car ils ne font pas l’objet d’annonces comme pour les privatisations anglaises et les contrats internationaux ou les renouvellements de contrats en France. La restructuration du pôle public allemand passe par des échanges discrets de titres, par des accords de coopération. Selon nos enquêtes, les entreprises publiques d’Aix-la-Chapelle, Berlin, Cologne, Fribourg, Hambourg, Mannheim, Munich font partie de celles qui sortent d’un modèle public et local (encadré 3)

29Les Pays-Bas comptent plusieurs multi-utilités ayant pour origine le secteur de l’énergie : Essent, Remu ou Nuon. Elles ont développé des activités dans la distribution de gaz, de l’eau potable, de l’assainissement, voire des télécoms. Elles sortent de leurs frontières ; Essent a repris la Stadtwerk de Bremen, Nuon a fait des acquisitions aux États-Unis et s’est associé à l’anglais Biwater (encadré 2). Il faut aussi considérer le cas italien, mis en tension par l’application de la loi Galli de 1994 qui soutient une organisation du secteur dans le cadre large du bassin De ce fait, plusieurs grandes entreprises municipales optent pour une introduction en bourse qui leur permet ensuite d’établir des partenariats aux contours divers : Acea (Rome), AEM (Milan), Hera (Emilie Romagne).

30De ces trois pays peuvent émerger demain des compétiteurs sérieux dans des appels d’offre. Certes, à court terme, très peu vont se hisser au rang d’acteur mondial, mais si l’on considère que le marché de l’eau est un marché local/global, c’est-à-dire formé par des milliers d’exploitations locales, alors sur chacun des terrains où elles ont une compétence, l’accès à des réseaux décisionnels, ces firmes peuvent apporter la compétition.

31Enfin, mentionnons deux autres familles d’acteurs qui depuis assez longtemps s’intéressent à l’exploitation de services urbains : les firmes de construction et les conglomérats. Elles peuvent faire de l’exploitation d’autoroutes ou de centrales thermiques, des unités de traitement d’eau ou des centrales de co-génération. Elles suivent pragmatiquement les marchés et ont des positions solides dans quelques zones. On les trouve surtout dans les pays émergents. Pour le moment leur influence ne dépasse pas leur pays ou un bloc régional ; mais leur réunion finit par représenter des parts de marchés et si l’on a une vision prospective plusieurs pourraient devenir des challengers (encadré 4).

32Le repreneur de Wessex Water a été YTL, le groupe de construction de Malaisie, diversifié dans la maintenance de bâtiments et la production électrique, et ayant noué des partenariats anciens avec des entreprises anglaises. Quelques années plus tôt c’était le groupe de Hong Kong, Jardine Matheson, qui reprenait le fleuron anglais de la construction, Trafalgar, avant de se retirer. Ces deux transactions symboliques, des firmes du second monde qui achètent celles du premier témoignent indiscutablement de l’émergence d’une offre nouvelle ; ce n’est qu’une affaire de temps.

33Pour le moment, une grande partie des entreprises viennent d’un pays d’Asie. Mentionnons également Cheung Kong, Benpress, Ayala. Si on sort du cadre de l’eau pour s’intéresser plus globalement au marché des infrastructures, ce qui fait sens d’un point de vue prospectif si on considère les effets d’apprentissage et les politiques de diversification, alors le cercle s’élargit : Citic en Chine, Renong et Hong Leong en Malaisie, J-G. Summit aux Philippines; en Inde on voit arriver Reliance, Larsen & Toutro, ou le groupe Tata.

34Inversement, alors que l’Amérique Latine a concentré 48 % des investissements privés dans le secteur des infrastructures sur la période 1990-2001 [31], cela n’a pas contribué au développement de firmes régionales. Le cas de l’Argentine est caricatural avec des conglomérats locaux qui se sont associés chacun avec les plus grands groupes internationaux mais en fonctionnant comme apporteur d’affaires. Le groupe chilien, Enersis, semblait un moment faire exception jusqu’à sa reprise en 1999 par l’électricien espagnol Endesa entraînant un recentrage des activités sur l’énergie. Le Brésil et le Mexique comptent quelques grands groupes de construction (Odebrecht, Camargo Correa, ou ICA) qui ont développé des compétences internationales et des partenariats avec des ingénieristes mais pour le moment ils ne sont pas entrés dans le secteur de l’eau.

Une compétition de deuxième rang

35Avec ces firmes, de 1ère et de 2ème division, nous avons campé le paysage d’une certaine organisation du secteur de l’eau à partir d’un opérateur unique. C’est une équation qui suppose que la puissance publique délègue, ou privatise, tout le cycle ; or, cette voie demeure minoritaire au niveau mondial. Il faut donc examiner une deuxième équation dans laquelle la puissance publique reste l’opérateur et s’appuie sur des firmes privées pour concevoir et réaliser les unités de traitement, ou bien autonomise le cycle industriel. Pour la distinguer de l’approche opérateur nous pouvons parler d’approche fournisseur. Ou bien, on peut parler de compétition de deuxième rang pour indiquer qu’elle peut être envisagée une fois fait le choix sur le type d’opérateur (premier rang).

36En quoi cela change-t-il le paysage et les formes de la compétition ? Dans l’approche opérateur, la compétition se fait « pour » le contrat s’il y a appel d’offre ou une négociation. Mais que l’opérateur soit public, ou privé, le consommateur final n’a pas de choix (sauf à acheter de l’eau en bouteille) puisque le système relève d’un régime de monopole. Il ne peut, donc, y avoir de compétition « dans » le marché [32]. Néanmoins une compétition peut exister à l’intérieur de ce marché de monopole lorsque l’opérateur public fait appel à des firmes spécialisées. Le complément privé à la gestion publique est le prestataire spécialisé.

37À partir de cette approche, les équilibres entre acteurs changent complètement. Pour fixer les ordres de grandeur nous partirons du marché américain, le plus gros marché du monde, qui en surface échappe au secteur privé puisque l’exploitation des réseaux collectifs est assurée à 85 % par des opérateurs publics [33]. En 1992, les dix premières compagnies privées américaines (investor-owned) avaient réalisé un chiffre d’affaires de 1,7 G$ [34]. En considérant qu’elles représentaient au maximum 10 % du secteur, l’activité opérateur était comprise entre 15 et 17 G$. Cet ordre de grandeur est à rapprocher d’une étude de 1991 sur le marché du traitement de l’eau aux États-Unis [35]. Il est évalué à 13,3 G$ et se décompose en trois grandes parties :

  • le marché municipal ressort à 4 G$, répartis à égalité entre l’eau potable et les eaux usées ; ils se développent respectivement à 7 et 5 % par an.
  • le marché des eaux industrielles, évalué globalement à 5,5 G$, se décompose en trois segments, le traitement des eaux (2 G$), les process industriels (1,5 G$), les eaux usées (2 G$) ; ils connaissent une croissance comprise entre 7 et 10 % par an.
  • le marché des consommateurs finals (3,8 G$) qui se décompose en deux segments, l’eau en bouteille (2 G$) et l’installation d’équipements de traitement (1,8 G$) pour clients individuels, ou de bâtiments collectifs : bureaux, hôtels, écoles, hôpitaux.
On peut dire aussi que ce marché du traitement de l’eau se décompose en sept segments ayant chacun une valeur comprise entre 2 et 1,5 G$, équivalente au chiffre d’affaires des dix premières compagnies privées de distribution d’eau potable. Ces ordres de grandeurs permettent de situer les choses. Il existe bien plusieurs manières « privées » d’intervenir dans le secteur de l’eau potable ; le pilotage de tout le cycle par un opérateur unique en est une. Aux États-Unis, elle ne pèse pas plus que le marché de l’eau en bouteille, que la vente d’équipement, ou que le traitement des eaux usées industrielles. Sur chacun de ces sous segments ce sont d’autres firmes qui interviennent. Pour elles la gestion publique n’est pas un obstacle.

L’approche E & C

38Parmi les concurrents directs des opérateurs de réseaux on trouve les ingénieristes et leur approche engineering & construction[36] (conception construction). Les plus nombreux sont américains ou anglais. Aux États-Unis, sur le seul marché de l’eau potable et des eaux usées on identifie six firmes indépendantes ayant une certaine taille et actives à l’international : US Filters [37], Bechtel, Earth Tech, Black & Veatch, Montgomery Watson, CH2M Hill, Camp Dresser & McKee (encadré 5). D’autres peuvent intervenir de manière occasionnelle : Jacobs Sverdrup, Parsons, Brown & Root, the Washington Group, Lavalin, Fluor Daniel. L’offre anglaise est de moindre taille et se cantonne plus aux études : WS Atkins, Hyder Consulting, the Halcrow Group. Mott MacDonald, active à l’étranger, affichait un chiffre d’affaires de 150 ME en 1997, soit l’équivalent de la seule part export des « petits » américains [38]. On voit poindre aussi des ingénieries des pays émergents : Tata Consulting & Engineers, les Design Institutes chinois. Quelques-uns s’essaient à des opérations à l’étranger. Temasek Holding, le groupe public de Singapour a plusieurs filiales qui ont développé des compétences dans tous les segments de la production urbaine, du développement de villes nouvelles aux infrastructures portuaires : CapitaLand, Keppel, SemCorp. Industries, STIC, Jurong, IPCO. Elles se développent dans toute la région (Chine, Inde, Malaisie, Birmanie, Vietnam) et on retrouve SembCorp ou IPCO dans des appels d’offre d’unité d’eau ou d’assainissement. On peut faire le pari qu’à horizon de cinq ans certaines de ces firmes deviendront des acteurs réguliers.

39Ces ingénieristes présentent une alternative aux opérateurs à un double titre. D’abord, ils apparaissent comme des partenaires de la puissance publique, l’aident à se moderniser par la mise au point de nouvelles installations et non comme des rivaux. Donc leur entrée sur les marchés, en particulier dans les pays émergents, est beaucoup moins sensible. On pourrait même dire que les critiques du lobby pro-public, uniquement ciblées contre les opérateurs privés, leur ouvrent le marché. Deuxièmement, leurs prestations débordent souvent du cadre strict E&C ; ces firmes font aussi de l’exploitation d’unité de traitement. Aux États-Unis, elles ont conçu, réalisé des équipements sous financements fédéraux, puis elles les ont exploités à partir de contrats de type O&M. L’enjeu concurrentiel est donc ici le passage à des durées contractuelles plus longues qui rendent possibles une approche opérateur. Un texte promulgué sous l’administration Clinton a étendu l’horizon de ces contrats de cinq à vingt ans ce qui ouvrait l’option des opérateurs. Les réactions critiques n’ont pas tardé, provenant de cette famille d’entreprises et des associations de consommateurs (nationales ou locales), farouches défenseurs de la gestion publique de l’eau potable.

L’approche industrielle

40C’est un marché très important, chiffré à 5,5 G$ dans l’étude citée et en croissance estimée à 10 % par an. Les grands industriels aux activités polluantes se trouvent soumis, en effet, à des normes environnementales de plus en plus contraignantes, tandis que la concurrence les conduit à se concentrer sur leur marché principal et à sous-traiter le reste (outsourcing). Ce processus d’externalisation de la gestion de leurs fluides crée un nouveau marché et ouvre la voie à l’entrée de nouvelles firmes : opérateurs de réseaux [39], ingénieristes de l’environnement déjà présents sur le cycle urbain, et industriels de la dépollution. Avec ces derniers, le cercle des compétiteurs potentiels s’élargit considérablement. Le cas le plus emblématique étant sans doute celui du Japon [40] qui aligne un ensemble complet de firmes privées. Pour mémoire elles appartiennent à quatre familles : les ingénieristes de l’environnement (Kubota, Ebara, Kurita), l’ingénierie lourde encore appellée plant constructors (Chyoda), les sidérurgistes, l’industrie lourde (Hitachi, Mitsui Zosen, Sumitomo Heavy).

41Quels sont leurs homologues dans les autres pays industriels ? En France c’est l’Air Liquide. Aux États-Unis on trouve Halliburton ou General Electric (encadré 6). L’Allemagne reste présente avec MG Group (l’ancien Metallgesellschaft) et ses filiales Lurgi et GEA. Après la faillite de Babcock Borsig (2001) cette industrie allemande se trouve en phase de reclassement. Deux ans plus tôt, Babcock avait repris Preussag Noell Wasser Technik compte tenu du redéploiement du groupe Preussag vers le secteur du loisir et des voyages.

42Au départ, ces firmes ont une approche « gestion de process » pour l’industrie qui a peu à voir avec la gestion des services publics locaux. Il y a dix ans les chemins de la Lyonnaise des eaux et de l’Air Liquide avaient peu de chance de se croiser. Seulement les secteurs changent, les frontières ne sont pas hermétiques et les opérateurs de réseaux urbains s’intéressent bien évidemment au marché industriel (encadré 7) tandis que les industriels de la dépollution peuvent être tentés d’appliquer leurs compétences au monde des collectivités locales. Par leur approche qui s’inscrit sous l’ombrelle d’une gestion publique inchangée ils viennent totalement renforcer l’approche fournisseur développée par les ingénieristes. C’est ainsi, par exemple, que Lurgi Bamag remporte en 1997/1998 la réalisation d’une usine d’eau potable près du Caire (500 000 m3/j). Elle s’associe aussi à des opérateurs : Azurix au Moyen Orient, la Stadtwerk de Hambourg pour la station d’assainissement de Zagreb.

La compétition sur les préalables

43Entre ingénieristes et opérateurs, la compétition est forte au niveau mondial. On peut l’observer dans chaque territoire où des réformes sont envisagées. Mais avant d’en arriver au stade opérationnel, la compétition porte sur ses préalables. En simplifiant chaque famille met en avant les mérites de sa solution.

44Selon « l’analyse ingénierie », l’opérateur public est capable d’assurer la gestion du système technique. Certes les défauts de performance témoignent de problèmes de gestion, mais on peut y remédier sans tout changer : contrats d’assistance à la direction, programmes de formation de la main d’œuvre, sous-traitance de la recherche des fuites, études tarifaires et de réforme de l’organisation. Selon « l’analyse opérateur », l’amélioration de la qualité finale à l’usager suppose la gestion de tout le système technique, une intervention sur le traitement (nouvelle unité), le réseau (détection des fuites et travaux neufs) et le service à l’usager (branchements, facturation).

45Si cette seconde approche a un réel fondement socio-économique, elle butte sur un préalable politique. Pour sa mise en œuvre, elle nécessite un nouveau cadre institutionnel. Elle suppose aussi une acceptation politique des élites dirigeantes et de la société civile. Ces conditions politiques représentent un facteur supplémentaire peu connu mais extrêmement vivace de la compétition. Si les grandes entreprises ont bénéficié en début des années 1990 d’un large soutien des institutions internationales de développement (Banque mondiale, FMI) pour promouvoir la solution opérateur et d’une relative neutralité des sociétés civiles concernées, les choses sont en train de changer.

46La Banque mondiale s’interroge. Les difficultés de nombreux PPP questionnent la robustesse des contrats. L’importance des prêts accordés conduit à comparer les risques encourus et les résultats obtenus. Or dans de nombreuses métropoles l’analyse conduit à montrer que, malgré tous les efforts des opérateurs, la connexion du plus grand nombre reste une opération longue et difficile ; de sorte que la réflexion s’oriente vers d’autres voies de modernisation : soutien à la gestion publique, aide à des projets locaux (small scale operations), mise au point de contrats de performance (Output-based aid)[41]. Enfin, la question de savoir « qui » contrôle n’est certainement pas étrangère à cette évolution de la doctrine. Qu’on le veuille ou non la grande entreprise intégrée, responsable de tout le cycle, représente une architecture institutionnelle moins ouverte que la cascade des consultants et ingénieries qui interviennent à chaque étape du cycle. Pour les institutions internationales de développement, un opérateur public mobilisant des compétences privées spécialisées, avec à chaque fois un contrat, correspond à une solution institutionnelle qu’ils conçoivent spontanément plus maîtrisable. Entre le chef de projet et son homologue consultant, l’asymétrie semble moins forte qu’avec le représentant d’un grand groupe.

47L’autre grand changement sur les préalables à l’action tient indiscutablement à l’irruption d’un mouvement politique très opposé à l’intervention d’opérateurs privés. En parler au singulier serait excessif car c’est un mouvement hétérogène qui se compose d’organisations aux histoires, aux domaines d’action et aux objectifs différents (encadré 8) :

  • associations de défense des consommateurs qui ont étendu leur objet à la dénonciation du libéralisme : Public Citizen (USA), Attac (F).
  • associations fondées au départ sur la défense de l’environnement, qui depuis longtemps s’opposent aux multi-nationales : Friends of the Earth.
  • organisations qui défendent la gestion publique, plus ou moins proches des syndicats : Council of Canadians, PSIRU, Polaris Institute.
  • ONG nombreuses, développementalistes, confessionnelles, médicales, qui travaillent depuis très longtemps sur le terrain et font remonter une expression des besoins immenses.
Leur critique est allée croissante. Il suffit de comparer terme à terme le sommet de Rio 1992 et celui de Johannesburg dix ans plus tard ou le 1er Water Forum [42] de Marrakech (mars 1997) et celui de Kyoto (mars 2003) pour mesurer les changements de tonalité. Il y a dix ans le recours aux firmes privées représentait une promesse ; aujourd’hui des résultats sont disponibles. Et dans le combat politique « on ne retient que les trains qui arrivent en retard ». Donc quelques « failures stories » font le tour du monde. Les critiques agglomèrent beaucoup de choses. Certaines relèvent de questions qui peuvent être imputables aux opérateurs privés sur des opérations spécifiques (elles doivent être appréciées au cas par cas), d’autres font partie d’une critique globale du libéralisme. La crise asiatique qui commence en juillet 1997, puis celles de plusieurs pays d’Amérique Latine ont fait exploser le « consensus de Washington » et l’acceptation des politiques de dérégulation compétitives recommandées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Le livre de Joseph Stiglitz [43] (ancien économiste en chef de la Banque et prix Nobel d’économie) est venu apporter une caution intellectuelle à ces mises en cause. De sorte que l’ancienne équation qui liait le développement économique des pays à la qualité de leurs infrastructures, elles mêmes modernisées par des grandes firmes privées, se trouve contestée. Cela produit des effets concrets. Une très grande firme comme Suez qui s’est beaucoup engagée dans une ligne combinant développement durable, transparence et efficacité revoit sa stratégie [44].

La compétition « dans » le marché : l’eau en bouteille

48Dans une vision classique du service public l’idée que l’eau en bouteille puisse représenter un concurrent direct à l’eau à domicile pouvait faire sourire il y a quelques années. Pourtant les chiffres sont là. Déjà en 1990, aux États-Unis, le chiffre d’affaire de 2 G$ de cette industrie était supérieur à celui des dix premiers opérateurs privés. Ensuite, la progression ne s’est pas démentie. Le segment de l’eau en bouteille est celui qui connaît la plus forte croissance du secteur des boissons, de l’ordre de + 10 % par an, soit trois fois plus que les sodas. Selon une étude menée en Californie seulement 25 % des habitants de cet état boivent de l’eau du robinet et les autres se répartissent entre l’eau en bouteille ou de l’eau purifiée par un traitement individuel [45]. Les deux grands groupes américains de « soft drinks » sont entrés sur ce marché avec toute leur puissance de marketing ; ils ont créé leurs propres marques : Dasani pour Coca Cola et Aquafina pour Pepsi Cola (encadré 9).

49Au total, le marché mondial est estimé à 27 G$ dont 3,53 G$ pour les États-Unis, 3 G$ pour l’Asie où le potentiel de croissance est impressionnant. À côté d’une industrie extrêmement fragmentée [46], le marché est organisé par quatre grands groupes mondiaux : Nestlé Waters, Danone, Pepsi-Cola, Coca-Cola. Le chiffre d’affaires de Nestlé Waters, numéro un avec 4,5 GE doit être rapproché des grands opérateurs « classiques » : Vivendi Environnement 11,9 GE, Ondéo 10,1 GE, Thames Water 2,7 GE, Saur 2,5 GE. On observera que, dans ces derniers cas, les chiffres d’affaires débordent largement de la stricte distribution d’eau potable puisqu’ils englobent de l’assainissement, de l’ingénierie et pour les deux leaders une activité de services à l’industrie.

50Autrement dit, la vente d’eau en bouteille représente globalement un volume d’activité assez important pour constituer une concurrence aux distributeurs d’eau ; ensuite cela doit s’apprécier dans la réalité au cas par cas. Dans plusieurs pays émergents où la ressource en eau se trouve gravement détériorée, où le coût d’investissement d’un système technique mis aux normes supposerait des efforts importants (budget et/ou tarifs) on peut considérer que l’eau en bouteille vendue en gros (en conteneurs ou bonbonnes) peut représenter un complément à l’eau à domicile. Cette concurrence est aujourd’hui assez forte pour que l’association américaine des distributeurs d’eau s’interroge : « devons nous prévoir une campagne de publicité pour affirmer la qualité sanitaire et le faible prix de l’eau du robinet ? Les opérateurs doivent-ils avoir des relations avec cette industrie ou celle des fournisseurs individuels d’équipements ? » [47].

Les quatre compétitions dans un monopole naturel

51Par rapport à la vision d’un marché stable et de firmes se développant tranquillement à l’abri de monopoles avec des prix garantis, ce que nous observons au terme de ce vaste parcours est fort différent. Ce n’est pas un marché facile, des risques existent, ils sont réels. Le retrait des nouveaux entrants, l’abandon de plusieurs opérations en portent témoignage. La rentabilité y est bien plus faible que dans l’électricité et a fortiori que dans la téléphonie cellulaire.

52Ce n’est pas, non plus, un marché « classique » alimenté par un flux régulier d’opérations. Ces dernières se trouvent avant tout suspendues aux décisions publiques dont les rythmes n’ont rien de planifiable. L’image qui ressemble le plus au fonctionnement de ces secteurs est celle de la vente des belles demeures dans des villes de province, ou celle de la vente des terres agricoles. Le nombre des belles pièces convoitées est limité ; leur mise en vente assez imprévisible et lorsqu’une transaction est faite le paysage se trouve fixé pour un temps assez long : 25/50 ans. Les acteurs capables de fonctionner dans cet environnement sont assez peu nombreux. Il ne s’agit pas de marchés au sens classique où une offre rencontre une demande chaque jour, s’informe, s’échange.

53La convergence multi-utilités dont il a été tant question pour expliquer l’entrée des électriciens dans le secteur de l’eau potable ne dégage pas automatiquement des gains de productivité ; les avantages qui résulteraient de la gestion de plusieurs « utilités » n’ont rien d’évidents. Ceci explique en partie les reclassements de l’offre à partir de 2001. Cela ne veut pas dire cependant que cette approche multi-utilités n’ait pas de sens industriel. Si des économies d’envergure existent, il faut les chercher à un niveau plus fin d’organisation que le rapprochement dans un organigramme général.

54L’offre est aujourd’hui bien plus complexe qu’on peut le penser et c’est tout le paradoxe de ce secteur. Quelques grands groupes ont une couverture mondiale ; ce sont des acteurs permanents et ils ont du pouvoir. Mais cette première lecture doit être discutée car ils se trouvent en compétition à quatre moments.

55Cette concurrence est réelle pour l’accès au contrat car chaque opération est singulière et une offre bien préparée par un acteur « moyen » peut éclipser celle d’un leader. Ce marché ne fonctionne pas comme celui des autres produits industriels avec une forte loi des rendements d’échelle qui donne un avantage déterminant à l’acteur de grande taille. Ici, la connaissance des mœurs, des réseaux politiques, des attentes des salariés s’avère tout aussi stratégique. De plus, une fois sélectionnés, les opérateurs doivent partager ce pouvoir de monopole. Leur propriété des actifs est limitée. Ils doivent donner des informations à la puissance publique et les usagers. Cette exigence est tout sauf un mot creux. La distribution d’eau potable est historiquement une activité très encadrée, par des normes, des obligations réglementaires, des règles commerciales.

56Existe aussi une compétition de second rang car la voie de la réforme ne passe pas forcément aux yeux des décideurs par un cycle unique de l’eau, confié à une firme privée, loin s’en faut. L’opérateur peut rester public, des cycles industriels peuvent être autonomisés, dans ce cas, l’intervention des firmes se fait sur différents maillons du cycle. Les grands opérateurs ont développé leurs compétences, mais ils sont en compétition avec l’offre des ingénieristes et des industriels de l’environnement. La concurrence est réelle si on la rapporte au nombre des opérations jouables. Le nombre des compétiteurs est large et chacun se bat avec ses propres armes ; chacun recommande ce qu’il fait le mieux et il met en avant « sa » conception de la « bonne » manière d’organiser les services publics locaux. Selon les situations, on se trouve dans des marchés en oligopole intégré, ou bien en oligopole avec franges (une compétition aux marges pour les opérateurs), ou bien dans une compétition par segment orchestrée par l’opérateur public [48].

57Le passage de l’une à l’autre de ces structures d’action dépend de choix sur l’organisation de l’action publique. Intervient ici une compétition sur les préalables à l’action, elle porte sur les options institutionnelles, sur les réformes à mener. Elle est réelle et elle force les groupes à livrer des informations et à intégrer cette idée que leur pouvoir n’est jamais absolu.

58Enfin, ce n’est pas le moindre des changements de cette décennie que le développement d’un marché de l’eau en bouteille. Ce marché est important, il progresse vivement et il est organisé par quatre très grands groupes qui développent de vraies stratégies mondiales. Cela représente une compétition dans le marché si on reconnaît trois modes d’intersection compétitive avec l’eau du réseau :

  • dans certains pays émergents, le coût de la mise aux normes de tout le réseau peut être comparé à la solution eau en bonbonne (pour la boisson) et eau du réseau avec traitement primaire,
  • les dépenses d’eau en bouteille se trouvent imputées par les ménages dans leur budget eau ce qui renchérit d’autant la cherté perçue mais, et c’est le paradoxe, leur critique s’exercera plus sur l’eau du robinet car ils se considèrent captifs, tandis que pour l’eau en bouteille ils ont le sentiment d’être libres,
  • enfin, la compétition porte sur le goût, et les opérateurs se doivent d’y répondre en améliorant leurs procédés. Pour toutes ces raisons, ces deux marchés (réseau/bouteille) ne sont pas disjoints.
Cette convergence de faits conduit à revoir la théorie du monopole naturel, conçue à la fin du XIXe siècle. Elle nous donnait à voir une firme privée surpuissante, protégée par son monopole et sur laquelle la puissance publique avait peu de prises. La réalité est un peu plus complexe à un moment de globalisation des marchés locaux et de circulation rapide de l’information. Ces grandes firmes ont un pouvoir important, mais là où s’organise le marché, au niveau de chaque exploitation, ce pouvoir peut être contrebalancé par les quatre mécanismes que nous avons identifiés. Parce qu’il s’agit de grands groupes leurs interventions portent sur un très grand nombre de « terrains » qui se trouvent à des stades différents de développement : exploration, pré-négociation, remise d’une offre, début de l’exploitation, adaptation du contrat, fin de contrat. Dans cette série des « jeux » puissance publique/firme, celle-ci n’est pas toujours en position de pouvoir. Les quatre mécanismes que nous avons identifiés, peuvent être mobilisés, utilisés comme « menace », comme technique pour extraire de l’information. Ils donnent à la puissance publique les moyens de se faire entendre et d’éviter de se trouver emprisonnée dans une situation « classique » de monopole naturel.


Encadré 3 : Les firmes publiques

ACEA
Entreprise publique de Rome dont 49 % est coté en bourse. Distribue l’électricité à 1,5 millions de clients, premier distributeur d’eau en Italie avec 5 millions de clients. A noué un partenariat avec Electrabel pour la production électrique et un autre avec Italgas pour contrôler l’entreprise municipale de Pise.
AEM
Entreprise publique de Milan, cotée en bourse, établit un partenariat avec Italgas (mars 2000).
HERA
Est une société créée en septembre 2002 par neuf entreprises d’Émilie Romagne en vue de se moderniser et d’intervenir dans les pays de l’Est et dans le bassin de la Méditerranée. Cette alliance forme la deuxième entreprise multi-secteurs du pays, derrière l’Acea, avec un chiffre d’affaires de 1 GE.
Parmi les Stadtwerke ayant opté pour une stratégie d’expansion en restant publique mentionnons :
  • KVN qui regroupe derrière les 55 % de la Stadtwerk d’Aix-la-Chapelle (Trianel), 33 autres Stadtwerke.
  • Les entreprises municipales de la région de Cologne et des environs ont formé en 2002, GEW RheinEnergie. La nouvelle entreprise a un chiffre d’affaires de 1,1 GE ; RWE s’y trouve associé de manière très minoritaire.
  • La ville de Mannheim a regroupé ses activités de réseaux urbains sous une holding MVV GmbH qui coiffe MVV Energie ; il s’agit d’un des grands réseaux public de distribution d’énergie, coté en bourse et avec un chiffre d’affaires 2001 de 1,18 GE. Cette société intervient en Espagne, en Pologne et en République Tchèque. En Allemagne, elle a aussi intégré les entreprises municipales d’Offenbach, de Klöthen et devrait poursuivre avec celles d’Ingolstadt et de Solingen. MVV participe, au côté de Bilfinger & Berger et ABB, à Aquamundo qui vise les contrats d’exploitation à l’étranger.
D’autres compagnies préparent leur avenir en partenariat très étroit avec un groupe de service :
  • Les entreprises municipales de Fribourg et du pays de Bade ont fusionné en 2001 pour former badenova AG [49]. Thüga, une grande société gazière du groupe E.ON y détient 49 %. Pour le moment l’ambition des dirigeants est de faire de Badenova une véritable multi-utilités dans tout le pays de Bade.
  • Bremen, cette ville de la Hanse a été la première à ouvrir le capital de sa Stadwerk, dès 1995, pour faire face à des difficultés financières; elle a alors vendu 49,9 % à un consortium regroupant Veba, Ruhrgas et Tractebel. Cette participation a été cédée plus tard au néerlandais Essent. Après des années de restructuration, cette société sort de son territoire ; elle participe à une société d’enlèvement de déchets de Bremenhaven et elle a un partenariat avec la Stadtwerk de Bielefeld.
  • La compagnie d’eau de Berlin, Berliner Wasser, privatisée au profit de RWE et de Vivendi à hauteur de 49 %, intervient à l’international, pour des études ; voire de l’exploitation. Elle gère une usine de traitement d’eau potable à Xian [50] (250 000 m3/j, BOT, coût de 30 m$). Elle est moins disante pour un appel d’offre au Kosovo dans le cadre du programme de reconstruction (2001/2002).

Encadré 4 : Firmes du BTP et conglomérats dans le secteur de l’eau

Cheung Kong Infrastructure (CKI)
filiale du groupe de Hong Kong ayant des intérêt dans l’immobilier, l’énergie et l’exploitation portuaire. Exploite une station en Chine (400 000 m3/j).
Cathay International
(groupe Swire de Hong Kong), a six contrats d’exploitation en Chine pour une capacité totale de 2 millions m3/j.
YTL
numéro 1 de la construction en Malaisie qui a mené de nombreuses associations avec des firmes de l’ouest : National Power, John Laing, SAE, Siemens. A repris Wessex Water en 2002.
Benpress
conglomérat puissant des Philippines, de la famille Lopez. Intervient dans les infrastructures par le grand distributeur d’électricité de Manille (Meralco) et comme associé de Lyonnaise des eaux dans la concession de distribution d’eau (Maynilad Water Services).
Larsen & Toubro
1er groupe de construction d’Inde fondé en 1938 par deux ingénieurs danois. A 5 % du marché national des grands projets projets industriels, grands bâtiments, ponts routes, et usines de traitement d’eau potable.
Bilfinger und Berger (B+B)
grand groupe allemand de la construction (4,4 GE en 2000). Intervient dans le secteur de l’eau par les études et sa filiale GWK Consult, active dans le monde entier (Zambie, Egypte, Corée, Chine). En mai 2000, s’associe à deux autres entreprises de Manheim (ABB et MVV Energie, voir encadré des firmes publiques) pour créer Aquamundo.
Dragados
premier groupe espagnol (5,5 GE, repris en 2002 par le n° 3 ACS) intervient dans les travaux hydrauliques et les concessions. Le département Dragados Services (Eau, Port, Energie) a réalisé un chiffre d’affaires 2001 de 1,3 GE.

Encadré 5 : Les principaux ingénieristes américains

tableau im1
Rang sur les marchés américains de l’environnement Environnement Chiffre Eau Déchets Rang export export potable usées ménagers toxiques nucléaires US Filters 1,159 1 1 -- -- -- Bechtel 1,107 2 -- 1 2 3 Foster Wheeler 0,692 10 3 2 3 11 Earth Tech 0,400 4 4 5 12 -- Black & Veatch 0,313 3 6 11 -- -- Parsons 0,165 -- 9 -- 13 13 Montgomery 0,164 6 5 -- 17 -- Watson URS Corp. 0,121 12 16 9 4 14 CH2M Hill65 0,119 5 2 6 6 5 15ème Camp 0,066 8 8 18 22 -- Dresser & McKee
ENR July 30, 2000, « Top 30 Environmental Firms working Abroad »
ENR July 7, 1999
Chiffre d’affaires en millions de dollars ; Bechtel et USF font plus d’1 G$ en exportation.

Encadré 6 : L’arrivée de General Electric

General Electric, premier groupe industriel mondial, chiffre d’affaires 2001, 126 G$, dont 51,4 G$ à l’international et 54,3 par GE Capital.
Présence dans les infrastructures par GE Power Systems et GE Transportation Systems.
En Février 2002, GE fait l’acquisition de BetzDearborn Water Treatment, unité du groupe chimique Hercules, pour 1,8 G$. Après avoir tenté de se diversifier dans le traitement de l’eau Hercules, (72ème groupe mondial par ses ventes de produits chimiques) [51] tente de restructurer une activité qui enregistre des pertes. Du côté de GE, cette opération témoigne d’un intérêt stratégique pour le secteur. Cet achat de la deuxième entreprise industrielle de traitement de l’eau (activité de 1 G$), vient renforcer le département Specialty Materials (1,82 G$ en 2001) et devrait avoir des synergies avec la division Water Technologies de GE Power Systems (20,2 G$). En Novembre GE acquiert Osmonics (253 M$) qui fabrique des membranes et des dispositifs de traitement de l’eau. GE semble bien se positionner sur le marché du traitement de l’eau, à partir d’une approche industrielle.
Sources : Annual report 2001, p. 50 et suiv., FT, February 13, 2002, Wall Street Journal, November 5, 2002.

Encadré 7 : Les ingénieristes et opérateurs qui font de l’outsourcing pour l’industrie

US Filters (Vivendi)
United Water Services (Ondeo)
Earth Tech Total Water Management (Earth Tech, Tyco)
American Water Services (RWE)
Severn Trent Environmental Services ( Severn Trent)
Thames Water North America (Thames, RWE)
US Water LLC (United Utilities)
OpTech (Southwest Water)
Eco Resources (Southwest Water)
Source : American Water Works Journal, May, 2002.

Encadré 8 : Les opposants aux opérateurs privés

Attac (F, 1998), très active dans l’organisation du Forum Social de Porto Allegre (1er en 2001) visant à contrebalancer le « forum économique mondial » de Davos.
Council of Canadians, très active dans la défense du service public ; mobilisée contre les projets de gestion déléguée dans le secteur de l’eau.
Friends of the Earth (USA, 1969), association ancienne qui lie depuis longtemps la globalisation et ses conséquences sur le développement.
Public Citizens (USA, 1971), association de défense des consommateurs américains créée par Ralph Nader. S’implique dans la défense de la gestion publique aux États-Unis: Nouvelle Orléans, Atlanta etc.
PSIRU, unité de recherche liée aux syndicats et à l’European Public Services Committee, et appuyé sur une unité de recherche de l’Université de Greenwich. Défend la gestion publique ; fait du conseil, de la formation et une action de lobbying ; est intervenu en Argentine, en Afrique du Sud.

Encadré 9 : Le marché de l’eau en bouteille[52]

Marché mondial estimé à 27 G$
Dont le marché américain 3,53 G$, le marché asiatique 3 G$.
4 groupes mondiaux :
- Nestlé Waters : 37,4 % du marché américain, n° 1 mondial, implanté dans 160 pays, 72 marques : Nestlé Pure Life, Aquarelle, Perrier, Vittel, San Pellegrino, Saint Springs (Russie).
- Pepsi-Cola, 14 % du marché américain, Aquafina.
- Coca-Cola 12 % du marché américain, Dasani, Bonaqua.
- Danone, 11,5 % du marché américain, n° 2 mondial, Dannon, Sparkletts, Aqua (Indonésie), Wahaha (Chine), Volvic, Evian.
Les consommations [53]:
tableau im2
France 120 l/an/h Italie 130 l/an/h Allemagne 99 l/an/h (eau pétillante) États-Unis 60 l/an/h (eau plate) Angleterre 9 l/an/h Chine 3 l/an/h

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Date de mise en ligne : 01/01/2008.

https://doi.org/10.3917/flux.052.0069

Notes

  • [1]
    Comme mes précédents articles publiés dans Flux, celui-ci a bénéficié des avis d’O. Coutard et de C. Defeuilley. Pour écrire ce texte j’ai largement mobilisé ma base de données sur les grands « groupes urbains » dont une autre synthèse a été publiée récemment « Capitalismes urbains : la montée des firmes d’infrastructures », Entreprises et Histoire, n° 30, septembre 2002, pp. 7-31.
  • [2]
    Compagnie Générale des Eaux comme Lyonnaise des Eaux restent les réceptacles des activités eau de deux groupes plus larges.
    En 1998, le Groupe Compagnie Générale des Eaux s’est rebaptisé Vivendi. En 2000, les activités d’environnement ont été regroupées dans Vivendi Environnement qui, en 2003, s’est transformée en Veolia Environnement. « Compagnie Générale des Eaux » reste le réceptacle de l’activité eau et intervient à l’international par la marque « Veolia Water ».
    En 1997, fusion entre le groupe Lyonnaise des Eaux et Suez pour former Suez- Lyonnaise. En 2000, les activités eau sont regroupées autour d’Ondeo ; Ondeo Services coiffe les filiales internationales et Lyonnaise des Eaux France. En 2001, le groupe se dénomme simplement Suez.
  • [3]
    Nous retenons les chiffres pour la distribution d’eau potable. Pour Suez, rapport annuel 2001, p. 53. Le chiffre de 115 millions comprend pour la France 12 millions dans l’eau potable et environ 5 millions en assainissement (ces derniers sont à soustraire, comme le contrat d’Atlanta, 2 millions).
  • [4]
    Dès les années 1982/1983 la Lyonnaise des eaux avait pris cette orientation mais les contrats qui marquent un réel changement datent de 1992/1993 : Buenos-Aires, Sydney, Rostock, Mexico, la Malaisie.
  • [5]
    Suez 108, Vivendi 110, RWE 56, Saur 36, autres firmes anglaises 40, autres firmes américaines 10, divers 10.
  • [6]
    Nation Unies, Douzième session de la commission des établissements humains, Carthagène (Colombie), 24 avril-3 mai 1989.
  • [7]
    « World Development Report 1994 », the World Bank, Oxford University Press, 1994.
  • [8]
    Source, the World Bank, « PPI projects data base », pour une présentation voir PPIAF annual report 2002, www.ppiaf.org
  • [9]
    Veba a pour branche électrique PreuBenElektra ; la fusion avec Viag (l’homologue de Bavière) annoncée en Octobre 1999, donnera naissance à E.ON.
  • [10]
    Il faudrait aussi prendre en compte la part des technologies (pour les télécoms) ou celle des rentes cachées par des investissements de capacité importants (électricité) pour expliquer le résultat.
  • [11]
    Voir J. Cosgrove and F-R. Rijsberman, « World water Vision », the World Water Council, 2000. Voir aussi le document de synthèse préparé par plusieurs ministères français : Affaires étrangères, Équipement, Transports et Logement, « Eau et Développement : stratégie interministérielle pour l’action internationale de la France », Paris, mars 2001.
  • [12]
    Ebitda : Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization.
  • [13]
    Exposé du directeur de la stratégie de la Saur, groupe HEC, février 2003.
  • [14]
    FT November 23, 2000. Dans le cas d’Ondeo il s’agit de l’achat des 67 % du capital qui n’étaient pas détenus.
  • [15]
    PR Newswire, Feb 28, 2002.
  • [16]
    Si l’on compare le cycle des investissements dans le secteur de l’eau (Banque mondiale, PPI data base : investments in infrastructure projects with private participation) à celui de l’offre, le décalage est de trois ans. Le premier est maximum en 1997 tandis que l’offre réagit avec trois ans de retard, ce qui s’explique ainsi. L’essentiel des investissements privés provient des télécoms et de l’énergie. Leur progression jusque 1997 entretient un climat de confiance qui accrédite l’idée d’un grand marché potentiel dans l’eau. Donc de nouveaux acteurs s’y précipitent (1997/2000) avant de réviser leur jugement (2001/2002).
  • [17]
    FT March 8, 2002, « Advisers told Suez to adopt Enron model » ; voir l’analyse du président du groupe quelques mois plus tôt : G. Mestrallet, « La vraie bataille de l’eau », Le Monde 26 octobre 2001. J’observerai que la demi-page consacrée à cet article a été « bouclée » par un petit billet consacré au livre de Loana. Curieux liens entre ces deux informations. À moins que le journal ait voulu rappeler à sa manière le mélange (qu’il juge hypocrite) entre une stratégie de développement des adductions d’eau dans les pays pauvres (le grand article) et une télévision trash que représente à ses yeux le Loft de M6 (groupe Suez), dont Loana fut la première lauréate.
  • [18]
    Les opérations américaines seront reprises par American Water Works qui conforte sa place de leader ; celles du Mexique par Ondeo et l’Argentine cherche toujours preneur.
  • [19]
    Voir dans ce numéro l’article de Karen Bakker qui expose le cas de Hyder/Welsh Water.
  • [20]
    Voir notre programme de recherche « Expériences de gestion déléguée (1&2) », Ministère de l’équipement (2000) et Ministère de la recherche (2001) ; E. Baye pour Shanghaï, D. Lorrain pour Chengdu. Les autres opérations, Saur à Harbin, différentes JV de Sino-French (Suez et New World) relèvent de contrats ordinaires qui n’ont pas eu aux yeux des chinois l’exemplarité des trois opérations évoquées.
  • [21]
    Puxi, ville de l’ouest qui correspond au Shanghaï existant à l’ouest de la Suzhou river, Pudong, ville de l’est et de la nouvelle urbanisation en direction de la mer de Chine, où se trouvent l’aéroport international et le grand complexe industriel de la Sinopec, 1er groupe pétrochimique du pays.
  • [22]
    M. Bellier, « China, Promoting Private Investment in Infrastructure », PPIAF, Washington D.C., 2002, 170 p.
  • [23]
    Wall Street Journal, November 19, 2001.
  • [24]
    Je suis redevable sur ce point de discussions avec le directeur de la stratégie de la Saur et avec C. Defeuilley (EdF R&D).
  • [25]
    La courbe des cash-flows des grandes opérations de concession ou de BOT se caractérise structurellement par des valeurs négatives en début de période car l’opérateur investit et des gains ensuite.
  • [26]
    Financial Times, Aug 21, September 14, Nov 15, 2001 ; ces difficultés tendent à montrer que le marché de l’eau a ses spécificités politiques ; dans ce cas particulier ce sont les élus locaux qui résistent à l’arrivée d’une grande firme qui risque de les priver du contrôle des emplois du secteur.
  • [27]
    FT, et Wall Street Journal Europe, September 13, 2002.
  • [28]
    FT, September 20, 1999 et July 28, 2000.
  • [29]
    International Market Insight Reports, Feb 3, 2000.
  • [30]
    FT, July 23, 2002.
  • [31]
    Pour être précis, 361 G$ sur 754, source Banque mondiale, PPI projects data base, voir PPIAF, Annual report, 2002.
  • [32]
    A contrario, on peut mentionner la réforme des bus de province en Angleterre ; les opérateurs se trouvaient en compétition sur une même ligne, aux mêmes heures, pour attirer les mêmes passagers.
  • [33]
    Plus précisément, 59 000 community water systems servent 85 % de la population américaine (71 % en public owned et 13 % en privately owned). Le reste de la population est alimentée par des solutions privées ; cf « The Water Treatment Industry », Alex, Brown & Sons, sept 30, 1991. Voir aussi « Le marché de l’eau américain », entretien avec J-M. Brault par C. Pezon, Flux n° 47, janvier-mars 2002.
  • [34]
    FT, September 30, 1993, d’après E.D. Jones & Co.
  • [35]
    « Le marché du traitement de l’eau en 1990 », Source, Alex, Brown & Sons, September 30, 1991.
  • [36]
    On trouve aussi l’expression design & build.
  • [37]
    US Filters a été créée en 1988 dans le but de consolider une industrie fragmentée ; elle a commencé avec un chiffre d’affaires de 9,6 M$ ; Vivendi en fera l’acquisition en 1999 pour 6,2 G$.
  • [38]
    E. Baye, « Radioscopie de l’ingénierie, conseil de transport et de circulation en Europe », Économie et Humanisme, Lyon, mars 1999, 38 p.
  • [39]
    Cette politique en direction de l’industrie a été suivie par les deux majors français.
  • [40]
    Voir notre rubrique « Portrait d’entreprises », dans le n° 50 de Flux.
  • [41]
    P-J. Brook & S-M. Smith, « Contracting for public services, output-based aid and its applications », World Bank and IFC, Washington D.C. 2001. Voir aussi les documents de l’assemblée annuelle du PPIAF, Paris, mai 2003. http://www.ppiaf.org/
  • [42]
    À l’initiative des Nations Unies, il a été décidé d’une « Journée de l’eau » ; elle est l’occasion de l’organisation d’un Water Forum (rendez vous des acteurs du milieu) : Marrakech, mars 1997, La Haye, mars 2000, Kyoto, mars 2003.
  • [43]
    J. Stiglitz, « La grande désillusion », Fayard, Paris, 2002.
  • [44]
    Suez/Ondeo, « Bridging the Water Divide », Paris, 2002. Videndi Environnement a aussi une action dans le développement durable (programme Aquadev) mais arrivant plus tard dans l’international, elle a été moins active dans la co-production d’une réflexion sur ces politiques.
  • [45]
    American Water Works Journal, August 2002.
  • [46]
    L’Indonésie compte 247 entreprises d’eau en bouteille, Far Eastern Economic Review, Feb 24, 2000.
  • [47]
    J-W. Hoffbuhr, « Is it the bottle ? », American Water Works Association Journal, Aug, 2002.
  • [48]
    Ces points ont bénéficié des commentaires de Pascal Chauchefoin.
  • [49]
    Voir notre étude de ce cas en collaboration avec Philippe Arnoux (IUT de Metz Thionville), in « Le modèle public local fort (les entreprises de réseaux techniques urbains en Allemagne et aux Pays-Bas) », Commissariat Général du Plan, octobre 2002.
  • [50]
    China, Promoting Private Investment in Infrastructure, M. Bellier (dir.), Ppiaf, the World Bank, 2002, Annex 2.
  • [51]
    Chemical Week, December 5, 2001.
  • [52]
    FT, July 17, 2002. Wall Street Journal, June 17, 2002. PS Newswire, April 12, 2002, Beverage Industry, Sept. 2002.
  • [53]
    International Herald Tribune, April 22, 2002.
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