Notes
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[1]
Offner J.-M., 2020, I. Mobilité plurielle, in : Anachronismes urbains, Paris : Presses de Sciences Po, p. 19-37.
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[2]
Voir à ce sujet, ainsi qu’en rapport aux remarques suivantes :
Zacharias J., Zhang T., Nakajima N., 2011, Tokyo Station City: The railway station as urban place, Urban Design International, 16, p. 242-251. DOI: 10.1057/udi.2011.15 -
[3]
Focas C., cité par Zacharias, Zhang et Nakajima (2011), Op. Cit.
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[4]
Voir : Chorus P., Bertolini L., 2011, An application of the node place model to explore the spatial development dynamics of station areas in Tokyo, Journal of Transport and Land Use, 4(1), p. 45-58., p. 46.
1Cet ouvrage, dirigé par Dominique Rouillard et Alain Guiheux, consiste essentiellement en une restitution de travaux de recherche menés au sein du Laboratoire Infrastructure, Architecture Territoire (LIAT) de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Malaquais et du programme scientifique The Future of Energy de la Fondation Tuck. Cette courte publication de 110 pages, très richement illustrée, n’a pas pour objet d’analyser une nouvelle fois « l’urbanisme des transports, des gares, et de la complexité des réseaux » (p. 13) mais vise plutôt à saisir les logiques à l’œuvre dans la redéfinition de l’espace public et la reconstruction de « la ville sur la gare » (en contraste avec « la ville sur la ville ») (p. 80) par et avec l’arrivée des « nouvelles mobilités ». Pour les coordinateurs de l’ouvrage, il s’agit ainsi d’interroger la transformation des gares en hubs intermodaux ainsi que l’évolution de leurs formes urbaines et de leur(s) programme(s). Sur ces fondements, la recherche tend à mettre en avant le rôle, présent et à venir, des gares comme centres urbains ou comme vecteurs de poly-centralité, dans une logique de transit-oriented design (pardonnez l’anglicisme) et dans un cadre que Jean-Marc Offner a défini par ailleurs en ces termes : « la mobilité définit non pas des circulations ou des transports, mais des espaces-temps de programmes d’activités » [1]. L’étude s’inscrit ainsi dans le champ de recherche en plein essor consacré aux « Smart Hubs ».
2Dans cette optique, le « Projet Hub observe dans le présent ce qui va advenir. Il analyse, s’approprie et transforme l’existant en signal de l’immédiat proche» (p. 13) en tombant parfois malheureusement dans une forme de prophétie urbaine auto-réalisatrice. Les deux coordinateurs prennent comme objet d’étude principal les mutations des gares japonaises « confrontées à l’explosion des nouvelles mobilités » (p. 9) en hubs car ces derniers « préfigurent les évolutions globales de la ville des déplacements durables, à l’heure de la communication numérique embarquée et des flux intelligents » (4ème de couverture). En plus de cet objet d’étude principal, l’ouvrage passe succinctement en revue d’autres cas, notamment hollandais, indiens et français, comme autant d’exemples, contre-exemples ou adaptations à des contextes très différents de celui du Japon. Face à cette profusion de cas d’études internationaux et à l’étendue de la recherche, on ne peut que s’enthousiasmer, à la lecture de l’avant-propos, du nombre d’architectes, de chercheurs et d’acteurs privés ayant apporté leur concours à l’ouvrage. Assez rapidement toutefois, on s’étonne et on ne peut que déplorer leur absence dans le corps de l’étude, principalement étayée en fait par les précédentes publications des deux coordinateurs.
3L’ouvrage s’articule ainsi autour de deux axes principaux. Le premier concerne la question complexe des « nouvelles mobilités ». Cet axe présente un intérêt majeur en cela que les auteurs sortent du schème éculé de l’opposition entre voitures individuelles et transports collectifs auxquels s’ajoutent aujourd’hui les mobilités douces. Au contraire, toute la thèse consiste à concevoir les mobilités en bouquets, comme l’a formulé depuis par ailleurs Jean-Marc Offner, et ainsi à prendre en compte « plus de trente modes de transport […] avec leurs usages multiples [qui] pourraient potentiellement être amenés à se croiser dans les hubs, bouleversant la compréhension de l’intermodalité » (p. 22) ainsi que leurs « dispositions techniques (recharge, connexion, guidage) » (p. 23) particulières. Cette volonté d’exhaustivité apparaît en effet indispensable à l’analyse des hubs comme objets urbains, tant l’impact des nouvelles mobilités diffère en termes d’usages, de spatialités et de législations. De la même manière, les auteurs ne tombent pas dans l’écueil dogmatique, et souvent contre-productif, des politiques anti-voitures mais démontrent plutôt que l’automobile connaît désormais plusieurs modalités d’usages « tel que le partage des véhicules et, plus généralement, leur caractère serviciel (« vehicle-as-a-service », VaaS et par extension, « Mobility-as-a-Service », MaaS) » (p. 21-22) et s’insère donc logiquement dans cette panoplie de choix. En plus de la prise en compte très complète des nombreux modes de mobilités existants, les auteurs laissent ouverte la porte de l’incertitude quant à l’apparition imprédictible de futures mobilités. On se souvient en effet de la surprise occasionnée par l’émergence des VTC, des scooters électriques, des vélos « flottants » ou des gyropodes, auxquels les autorités publiques – autant que les opérateurs privés d’ailleurs – ont dû s’adapter par des réponses réglementaires et urbaines très diverses.
4À ce titre, l’ouvrage montre l’évolution des systèmes urbains autour de la question des « Smart Hubs », un des piliers de la ville prétendument intelligente, dans toute sa complexité et dans son caractère hybride, tant dans l’offre de mobilités, que dans les relations entre espaces physique et virtuel et dans les relations entre pouvoirs publics, opérateurs privés et urbanité.
5Le second axe est consacré à l’analyse des mutations typologiques et programmatiques des gares « dont la fonction initiale s’est vue dépassée, voire renversée par le rendement de leurs activités de shopping » (p. 14) et par l’émergence desdites mobilités. De nombreux chercheurs et praticiens s’accordent à dire que, dans un futur proche, la gare va jouer un rôle prépondérant dans les dynamiques de revalorisation des structures urbaines et territoriales en dépassant son côté (quasi) monofonctionnel pour devenir multi-programmatique. Prendre les gares nippones comme objet d’étude semble donc à la fois pertinent et périlleux. Il est vrai que les gares japonaises constituent un exemple remarquable en cela qu’elles ont dépassé leur fonction primaire en s’imposant comme de véritables centres urbains et pôles multi-programmatiques qui regroupent, non plus seulement à leurs abords mais directement en leur sein, une multitude de programmes faisant d’elles des espaces d’innovation. Mais, d’une part, il ne faut pas oublier que toutes les gares nippones n’ont pas les mêmes fonctions et que, d’autre part, si des exemples en Europe font bien écho à l’exemple japonais, ce dernier possède des caractéristiques très spécifiques qui ne sont que trop peu abordées dans le livre. Faute d’une analyse précise de l’articulation entre autorités publiques, acteurs privés et formes urbaines et d’une véritable remise en contexte historique (ce qui s’en approche le plus est dilué dans la courte introduction et concerne essentiellement les premières intermodalités et très peu les principes de planification urbaine nippone par, autour et sur les gares), on comprend fort mal cette urbanisation si particulière et encore moins comment (et où) en tirer parti. Le lecteur devra donc se contenter de quelques informations glanées ci et là (pp. 18, 40, 79). Malheureusement, ces quelques éléments de contexte ne permettent pas de saisir toute la complexité, l’importance et les enjeux du sujet traité, ni la difficulté de toute transposition [2]. Il apparaît clairement que, pour comprendre l’importance des gares nippones, leur typologie, leurs évolutions et leur rôle central dans l’aménagement de l’archipel, il est impératif d’appréhender les politiques urbaines actuelles dans un cadre historiographique beaucoup plus précis, analysant comment, suite à la défaite de 1945 et en réponse à un système de planification défaillant, le chemin de fer a été l’outil de redéveloppement privilégié pour faire face au défi de la reconstruction. Cette prépotence des mobilités ferroviaires au Japon se répercute d’ailleurs sur les autres mobilités, expliquant en partie le faible développement du réseau routier. Ce faisant, les mobilités ferroviaires nippones et notamment tokyoïtes ont connu un essor prodigieux. À la fin des années 1990, 86% des trajets à Tokyo se faisaient grâce aux mobilités ferroviaires contre 65% à Londres et Paris et 61% à New-York [3]. Un autre point fondamental concerne le statut des opérateurs ferroviaires. Très majoritairement privées désormais, suite au démantèlement de la compagnie nationale en 1987, et plus rarement municipales, les entreprises nippones se doivent de collaborer et de gérer de concert les différentes stations où leurs lignes se croisent. Or, ces sociétés ne se sont pas seulement contentées du réseau ferroviaire mais ont également accumulé énormément de foncier pour les rails, les gares mais également autour de ces dernières, amenant à de véritables monopoles territoriaux. Enfin, s’ajoute à cela le rôle de l’État et de son soutien aux politiques de transit-oriented design [4], un aspect passé sous silence dans l’étude. C’est pourtant précisément cette intersection entre l’histoire urbaine et territoriale de reconstruction grâce au chemin de fer, par et sur les gares et les aspirations de développement économique de groupes privés qui est à l’origine des typologies multi-programmatiques particulières au Japon. L’absence d’une telle analyse fait cruellement défaut à l’ouvrage et perturbe de fait la compréhension tant des enjeux relatifs à l’archipel nippon que des parallèles tentés avec d’autres contextes urbains.
6Enfin, l’ouvrage n’a pas de conclusion. S’y substitue un très court chapitre très illustré « l’autoroute osmotique ». Le chapitre est scindé en deux parties, sur les autoroutes urbaines parisiennes et sur les hubs du Grand Paris Express. Sa présence sous cette forme dans l’ouvrage pose question. Le livre constitue ainsi une introduction à un sujet aussi complexe que passionnant, qui occupe et continuera assurément d’occuper une place importante dans la recherche urbaine. On ne peut donc que regretter, face à un sujet et à une typologie constitués d’autant de strates aériennes, sous-terraines, infrastructurelles, réticulaires, politiques, administratives, économiques et urbaines, de n’être resté qu’à la surface.
Notes
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[1]
Offner J.-M., 2020, I. Mobilité plurielle, in : Anachronismes urbains, Paris : Presses de Sciences Po, p. 19-37.
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[2]
Voir à ce sujet, ainsi qu’en rapport aux remarques suivantes :
Zacharias J., Zhang T., Nakajima N., 2011, Tokyo Station City: The railway station as urban place, Urban Design International, 16, p. 242-251. DOI: 10.1057/udi.2011.15 -
[3]
Focas C., cité par Zacharias, Zhang et Nakajima (2011), Op. Cit.
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[4]
Voir : Chorus P., Bertolini L., 2011, An application of the node place model to explore the spatial development dynamics of station areas in Tokyo, Journal of Transport and Land Use, 4(1), p. 45-58., p. 46.