Notes
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[1]
Article 1er III 9° de la LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
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[2]
Cette dichotomie qui n’explicite pas la distinction de la proximité institutionnelle tient également au fait que, dans cet article, nous focalisons notre propos sur les relations entre les acteurs de l’échange en lui-même et non sur ceux qui ont formé les conditions de son émergence, ce que font quant à eux Beaurain et Brullot (2011) que nous discutons plus loin. Ainsi, nous nous intéressons a priori à des relations directes entre acteurs, mais le récit du terrain doit nous permettre de faire émerger le rôle d’une proximité institutionnelle, s’il existe.
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[3]
Incinération des déchets ménagers ou traitement des eaux usées.
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[4]
Des travaux d’écologie industrielle et territoriale dont nous avons pris connaissance et qui nous ont guidée dans notre approche empirique portent sur le cas de l’agglomération dunkerquoise (Beaurain, Brullot, 2011 ; Beaurain, Varlet, 2014 ; Brullot, Maillefert, Joubert, 2014). Toutefois, ils se focalisent, d’une part, sur la gouvernance d’une démarche territoriale d’écologie industrielle et, d’autre part, sur les synergies vues comme des coopérations inter-entreprises. Dès lors, la question de la structuration urbaine du réseau de chaleur n’entre pas dans leur focale.
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[5]
Par exemple, un sujet du journal télévisé du lundi 23 novembre de France 2 dans le cadre de la COP21 présente précisément ces deux réseaux :
- Bekcrich J. (2015), « Environnement : quand les entreprises recyclent l’énergie qu’elles consomment », Journal télévisé de France 2, 23 novembre 2015.
- Junqua Y., Le Bras T., Ferron C. (2015) « Dunkerque : quand la chaleur d’une usine est recyclée pour chauffer la ville », Journal télévisé de France 2, 23 novembre 2015.
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[6]
Par souci de respect de leur anonymat, nous ne citons pas les personnes interrogées.
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[7]
Le SAN du Val d’Europe.
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[8]
Ville de Dunkerque, Fiche technique pour la pré-étude d’un réseau de chauffage urbain dans la région dunkerquoise, 1982.
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[9]
Beaurain et Varlet (2014) font la même analyse.
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[10]
Il faut noter que le réseau fonctionne depuis ses débuts également grâce à des chaudières au fioul et plus tard grâce à des cogénérations gaz pour assurer le complément de la chaleur fatale en tout temps, comme le montre la figure 1.
1Mis sur le devant de la scène de la transition énergétique, le développement des réseaux de chaleur fait désormais l’objet d’ambitions chiffrées inscrites dans la législation française. La loi de Transition Énergétique pour une Croissance Verte pose en effet l’objectif d’une multiplication par cinq, d’ici à 2030, de la chaleur d’origine renouvelable et de récupération distribuée par de telles infrastructures [1]. Cette stratégie peut être lue comme un renouveau des réseaux de chauffage urbains qui, auparavant associés à l’image négative des grands ensembles des années 1960 et 1970, deviennent désormais, comme l’explique Rocher (2013), des outils de « diversification des sources d’énergie utilisées et d’une modification des conditions de pilotage déterminées tant par les niveaux nationaux que locaux ».
2L’effort de diversification des sources ainsi promu met en particulier en avant les énergies de récupération, dont certaines sont qualifiées de « fatales ». Ces flux, couramment définis comme des sources de chaleur générées au cours d’un processus qui n’a pas pour objectif premier de les produire (ADEME, 2015) sont, en général, rejetés dans l’atmosphère. Au sein des territoires urbains, les sources en sont multiples : la chaleur rejetée par les activités industrielles, par les centres de données (data centers), par l’incinération des déchets ménagers ou encore par les canalisations d’eaux usées (Région Île de France, Préfet de la région Île de France, 2012). Lorsque ces activités n’ont pas besoin de cette chaleur, ou bien en des quantités inférieures à celles qu’elles rejettent, l’idée promue est de les injecter dans des réseaux, afin d’en faire profiter des activités consommatrices.
3L’objectif lié à la récupération de chaleur fatale est ainsi double : d’une part, il s’agit de rendre le mix énergétique distribué par les réseaux de chaleur moins carboné et, d’autre part, dans une perspective de circularisation du métabolisme urbain (Coutard, 2010), de valoriser un flux qui resterait autrement sans usage.
4Dans cet article, nous proposons d’explorer la manière dont l’injection de telles sources de chaleur dans un réseau urbain influence la structuration de ce dernier, mettant en question le rôle de la proximité dans ce processus, géographique autant qu’organisationnelle (Gilly, Torre, 2000). En effet, dans le contexte français, la chaleur fatale, tout particulièrement lorsqu’elle n’est pas issue de l’incinération des déchets ménagers, est encore une source alternative dont l’usage remet en question le fonctionnement classique d’un service en réseau. En premier lieu, elle est une ressource située localement, dont on ne peut a priori choisir la localisation, et avec laquelle la proximité géographique est primordiale pour que la récupération ait un intérêt. En second lieu, sa récupération instaure une relation entre la fourniture d’un service urbain et une activité qui n’a pas pour objectif sa production, posant la question de la proximité organisationnelle entre acteurs impliqués.
5Apparaît ainsi une situation qui rompt avec le fonctionnement conventionnel des systèmes énergétiques urbains et appelle à notre sens une analyse de sa signification pour le développement futur de ces derniers. À cette fin, dans une première partie, nous mettons en question le rôle de la proximité dans le développement de tels réseaux, en nous appuyant sur les travaux du champ de l’écologie industrielle. Dans une seconde partie, nous analysons deux cas français de réseaux de chaleur valorisant des énergies fatales, au Val d’Europe et à Dunkerque. Dans une dernière partie, nous montrons qu’une lecture des trajectoires d’évolution de ces deux réseaux permet de faire ressortir, d’une part, l’importance de les analyser comme un processus dynamique et, d’autre part, le rôle primordial, au-delà de toute forme de proximité, des incertitudes auxquelles sont confrontés les acteurs pour expliquer l’évolution des systèmes.
Structuration d’un réseau de chaleur et chaleur fatale : une importance renouvelée de la proximité ?
6De nombreux travaux ont montré l’existence d’une coévolution entre la structuration d’un service en réseau et le territoire sur lequel il se déploie (Hughes, 1993 ; Offner, Pumain, 1996 ; Bocquet, 2006 ; Coutard, Rutherford, 2016), en particulier pour les réseaux de chaleur (Summerton, 1992 ; Gabillet, 2015). L’hypothèse qui fonde le propos que nous tenons dans cette partie est celle d’une évolution de cette relation, dans le cas des réseaux de chaleur, qu’entraîne la valorisation de la chaleur fatale par le renouvellement du rôle de la proximité dans le processus. À cette fin, dans une première section, nous mettons en évidence l’importance de la proximité, dans une acception polysémique que nous définissons, dans l’émergence et le fonctionnement d’un réseau de chaleur. Nous en arrivons alors à poser la question du renouvellement de cette relation amené par la valorisation d’une source de chaleur fatale. Dans une seconde section, nous montrons que le champ de l’écologie industrielle, parce qu’il s’intéresse aux échanges de flux de matière ou d’énergie entre activités humaines, permet de penser cette relation mais que le décalage entre notre objet et les cas étudiés au sein du champ entraîne certaines limites. Nous en déduisons que de nouvelles analyses empiriques s’imposent.
Réseaux de chaleur et énergies fatales : la question de la proximité en fond
7La nature physique du flux que l’on cherche à distribuer au travers d’un réseau de chauffage urbain pose une contrainte matérielle qu’on ne peut contourner : les pertes qui se produisent lors de la circulation de la chaleur sont importantes et la pose des tuyaux est coûteuse (Owens, 1986 ; Schubert, 2014). Ainsi, pour que la distribution ait un intérêt économique et environnemental, les consommateurs potentiels doivent se trouver dans un périmètre restreint autour du point de production.
8La question de la proximité géographique, définie comme traitant de « la séparation dans l’espace et des liens en termes de distance » (Gilly, Pecqueur, 2000), apparaît donc centrale dans la construction d’un service de distribution de chaleur, quel qu’il soit. Toutefois, lorsque des flux de chaleur fatale sont considérés, on peut faire l’hypothèse qu’elle se pose en des termes spécifiques. En effet, les points de production de chaleur fatale sont, par définition, multifonctionnels, c’est-à-dire qu’ils ont d’autres fonctions que de produire de l’énergie. Leur localisation au sein du territoire n’est donc pas a priori influencée par la perspective de distribuer de l’énergie. Dès lors, nous pouvons faire l’hypothèse que l’organisation de la proximité géographique entre production et consommation provient de processus différents du cas où le point de production est monofonctionnel.
9En outre, le caractère justement multifonctionnel des points de production fait apparaître une deuxième déviation par rapport à ce dernier. En effet, une centrale de production conçue et construite pour répondre à des besoins énergétiques spécifiques est gérée par des acteurs dont la fourniture de services urbains est le cœur d’activité et qui entretiennent, de ce fait, des relations étroites avec les territoires et tout particulièrement avec les collectivités locales (Lorrain, 1995). La notion de proximité organisationnelle est alors tout particulièrement utile pour conceptualiser cette deuxième tension sur le même registre que la première.
10Cette dernière, développée dans le cadre d’une critique française de l’économie spatiale appliquée à la question des réseaux d’innovation (Rallet, 1999), se fonde sur l’idée que la proximité géographique entre acteurs ne suffit pas à expliquer qu’ils entretiennent des échanges et en bénéficient. Les auteurs du courant introduisent la notion de « proximité organisationnelle » ou proximité organisée, définie par Gilly et Torre (2000) comme relevant « de la séparation économique dans l’espace et des liens en termes d’organisation de la production » (p. 12-13) ou, peut-être de manière plus précise, par Colletis et al. (1999) comme « concern[ant] les interactions entre acteurs à l’intérieur des (ou entre les) organisations (…), li[ant] des acteurs participant à une activité finalisée et appartenant à un même espace de rapport ».
11Comme le rappellent Bouba-Olga et Grossetti, cette dichotomie entre proximités géographique et organisationnelle à l’origine des travaux de l’école de proximité n’est pas restée intacte. D’autres formes ont été conceptualisées, parmi lesquelles la proximité institutionnelle que l’on retrouve mentionnée dans de nombreux travaux (Bouba-Olga, Grossetti, 2008). La distinction entre proximités organisationnelle et institutionnelle réside dans le type de rapports entre acteurs que sous-tendent ces deux formes : la première est relative à des relations directes entre acteurs tandis que la seconde « repose sur l’adhésion des acteurs à un espace commun de représentations et de règles d’actions orientant les comportements collectifs » (Colletis et al., 1999). Pour autant, bien que l’usage de ce triptyque soit utilisé dans certains travaux que nous discutons dans la section suivante, le dénominateur commun des travaux du courant se trouve dans une distinction entre une proximité physique (géographique) et une proximité dans les rapports entre acteurs, quels qu’ils soient. La proximité institutionnelle devient alors une forme particulière de proximité organisationnelle qui joue ou non un rôle dans chaque forme d’échange considéré [2].
12Partant de cette définition, nous pouvons nous interroger sur la construction de la proximité organisationnelle entre les acteurs d’un réseau approvisionné par un point de production multifonctionnel qu’un cas particulier nous permet d’illustrer. En effet, dans le contexte français, la chaleur provenant de l’incinération des déchets ménagers se trouve, en 2014, en deuxième position des sources d’énergie distribuées en quantité par les réseaux de chauffage urbain à l’échelle nationale (SNCU, 2014). Le développement de cette valorisation s’est accompagné d’un rapprochement organisationnel entre les activités de la gestion des déchets et du chauffage urbain (Rocher, 2009), comme le matérialise par exemple l’existence de l’association Amorce, qui regroupe les acteurs de ces deux filières. Toutefois, la question se pose de manière renouvelée dans le cas où la source de chaleur ne provient pas d’un service urbain géré par les services municipaux mais des activités d’une entreprise industrielle ou tertiaire qui évolue dans un tout autre champ de l’économie.
13En définitive, la question que nous proposons d’explorer dans cet article combine les réflexions relatives aux deux formes de proximité considérées et peut être exprimée en ces termes : alors que la proximité tant géographique qu’organisationnelle apparaît nécessaire mais n’est pas acquise a priori, quel est son rôle dans la structuration urbaine d’un réseau de chauffage approvisionné par une source de chaleur fatale ?
Proximités et échanges de flux : les apports et limites de l’écologie industrielle
14Le champ de l’écologie industrielle fait l’objet de développements conceptuels et empiriques plus ou moins récents qui permettent d’ouvrir des pistes de réponse au questionnement posé dans la section précédente. En effet, bien qu’il soit héritier d’une conception de l’écologie, en tant que discipline scientifique, centrée sur les industries, les méthodes et résultats dont il a permis l’émergence peuvent être appliqués, et le sont de manière grandissante, à tout système humain. C’est en particulier ce que revendique le courant français de l’écologie industrielle et territoriale (Buclet, 2011), puis simplement territoriale (Barles, 2014 ; Buclet, 2015), celui, néerlandais, de l’analyse des systèmes urbains circulaires (Pandis Iveroth et al., 2013) ou encore le courant anglo-saxon de la political-industrial ecology (Newell, Cousins, 2015). Ces différents courants renouent en outre avec les fondements du champ puisque ce dernier n’a pas tant pour objectif l’analyse des entreprises industrielles que celle du système industriel (Erkman, 1997, 2001). Ainsi, l’écologie industrielle peut être définie en une simple phrase : elle est l’exploration de l’hypothèse selon laquelle « il est possible de considérer le système industriel comme un cas particulier d’écosystème » (Erkman, 2004, p. 11). Il s’agit en cela de faire l’analyse des flux de matière et d’énergie qui circulent entre les activités du système industriel et son environnement.
15Plus précisément, une partie du champ nourrit l’objectif de faire converger le fonctionnement des systèmes industriels avec celui des écosystèmes naturels. Pour arriver à un tel résultat, elle préconise la mise en œuvre de « synergies éco-industrielles », c’est-à-dire de mutualisations ou substitutions de flux entre les activités du système industriel (Beaurain, Brullot, 2011). La notion de substitution recoupe alors celle de récupération, puisqu’il s’agit bien de récupérer un flux constituant un déchet ou un co-produit sans usage pour une activité afin d’en faire une ressource pour une autre : c’est précisément le principe de la récupération de chaleur. Nous comprenons ainsi l’intérêt qu’il peut y avoir à analyser des réseaux déployés en milieu urbain plutôt qu’industriel, au travers des focales offertes par ce champ.
16Au sein de l’écologie industrielle, on peut alors distinguer deux approches de ces synergies. L’une, très largement dominante, est basée sur des méthodes quantitatives telles que l’analyse des flux de matières (MFA – Material Flow Analysis), et vise à fournir des données et outils méthodologiques et technologiques pour favoriser la mise en œuvre des synergies ou symbioses industrielles (Chertow, 2000), notamment par le développement de parcs éco-industriels (Lambert, Boons, 2002). L’autre relève des sciences sociales et vise à comprendre les enjeux de coordination des acteurs dans la mise en œuvre des synergies (Abitbol, 2012).
17C’est au sein de cette dernière que l’on trouve un ensemble de réflexions quant au rôle de la proximité dans les démarches d’écologie industrielle. En premier lieu, dans la définition que Chertow (2000) donne d’une « symbiose industrielle », elle explique que les clés d’une telle organisation sont la collaboration et les possibilités de synergies offertes par la proximité géographique entre des activités complémentaires. On retrouve ici les deux formes de proximité si l’on considère, ce qui nous semble légitime, que les possibilités de collaboration sont liées à la proximité organisationnelle. Toutefois, les travaux de Chertow ne vont pas plus loin sur la question de la proximité : elle se contente de relever qu’elle est un ingrédient nécessaire à l’émergence de symbioses industrielles.
18Plus tard, des travaux critiques face aux approches jugées hors sol de l’écologie industrielle regrettent que cette dernière ne dialogue pas avec la géographie ou l’économie spatiale (Schiller et al., 2014). Le débat se focalise alors sur le rôle des acteurs publics dans l’émergence de la proximité, tant géographique qu’organisationnelle. Certains auteurs jugent que l’orientation des localisations des activités doit être considérée comme un instrument à part entière de la construction des parcs éco-industriels, notamment par l’évolution des réglementations d’usage des sols (Roberts, 2004 ; Tudor, Adam, Bates, 2007 ; Van Leeuwen, Vermeulen, Glasbergen, 2003). D’autres avancent au contraire qu’il est illusoire, voire non souhaitable, de chercher à planifier ces localisations, alors qu’il peut être intéressant de favoriser la coopération entre des acteurs déjà localisés à proximité les uns des autres (Conticelli, Tondelli, 2014). Le débat est donc uniquement focalisé sur l’efficacité de la planification de la proximité pour initier les synergies, c’est-à-dire sur une étape précise de la vie de ces dernières.
19Cependant, l’écologie industrielle et territoriale, déjà évoquée, se fonde en particulier sur le constat que l’écologie industrielle ne peut être pensée que dans une perspective locale (Brullot, Maillefert, Joubert, 2014) qui induit donc une proximité, tout au moins géographique. Les auteurs du courant posent ainsi comme postulat l’importance conjointe des différentes formes de proximité dans l’émergence d’une démarche d’écologie industrielle au sein d’un territoire (Maillefert, Schalchli, 2008 ; Buclet, 2011 ; Cerceau et al., 2014). Beaurain et Brullot (2011) réunissent explicitement leur champ et l’école de la proximité, révélant au travers d’études de cas que de telles démarches peuvent être interprétées comme des processus de construction d’un territoire productif nourris par l’existence d’une proximité institutionnelle.
20Si l’ensemble de ces travaux montre que les rapprochements entre analyse des échanges de flux entre activités humaines et lecture par la proximité sont fructueux et offrent ainsi une assise conceptuelle à notre démarche, ils ne se placent toutefois pas dans la perspective qui est la nôtre, pour deux raisons. En premier lieu, les études de cas menées se focalisent sur les échanges entre entreprises industrielles, ce qui pose la question de la possibilité d’extension des résultats à des cas où l’ensemble des acteurs est plus hétérogène. En second lieu, aucun travail appartenant à ce champ n’analyse de façon précise l’évolution dans le temps de la proximité dans une synergie éco-industrielle. Les travaux déjà cités de Beaurain et Brullot (2011) pourraient faire office d’exception en ce qu’ils se placent bien dans une approche dynamique de la proximité. Cependant, ils abordent la question de la coordination entre différents acteurs industriels d’un territoire pour initier une démarche territoriale d’écologie industrielle, et non celle des rapports liés aux synergies éco-industrielles en elles-mêmes. En d’autres termes, ils ne suivent pas des synergies en particulier, mais le cadre territorial qui permet ou non leur émergence.
21Partant de ces constats, nous proposons, à travers une analyse empirique menée dans la partie suivante, de compléter les connaissances sur les relations entre proximité et échanges de flux entre activités humaines, en appliquant l’analyse à un service urbain en réseau et en la menant de manière dynamique, au-delà de l’initiation de l’échange.
La proximité dans la structuration urbaine de réseaux valorisant une chaleur fatale au Val d’Europe et à Dunkerque
22Les réalisations effectives de valorisation de chaleur fatale par sa distribution au sein d’un réseau de chaleur urbain ne sont à ce jour pas nombreuses en France, d’autant plus lorsque la chaleur fatale ne provient pas d’une activité liée à un service urbain [3]. Deux exemples aux caractéristiques fort différentes, que nous abordons dans ce qui suit et sur lesquels nous basons notre analyse, sont toutefois souvent cités par les acteurs institutionnels investis dans un projet de transition énergétique ou par les médias, comme exemple de « bonne pratique » [4] : d’une part, le réseau de chaleur du parc d’entreprises du Val d’Europe, qui récupère la chaleur dégagée par un data center et, d’autre part, celui de l’agglomération dunkerquoise [5], approvisionné par une partie de la chaleur perdue dans les hauts fourneaux situés sur le territoire.
23Ces deux cas ont été investigués au travers d’enquêtes de terrain menées entre avril 2014 et janvier 2016, qui poursuivaient l’objectif de comprendre, dans une perspective socio-technique, leur émergence et leur fonctionnement. Ainsi, les récits analytiques développés dans cette partie se fondent sur les données empiriques recueillies à travers la lecture de documents institutionnels, de communication, d’archive et de travail, d’entretiens semi-directifs [6] menés auprès de l’ensemble des acteurs impliqués dans le réseau et de visites de site accompagnées de techniciens. L’objectif ici n’est pas d’entrer dans les détails de l’histoire de ces réseaux mais d’expliciter les principales étapes de leur structuration au travers de récits concis.
Un data center et une piscine pour initier un service urbain : le réseau de chaleur du Val d’Europe
24Au début des années 2000, le projet de construction d’un « parc international d’entreprises » est lancé au Val d’Europe, communauté d’agglomération de l’est de l’Île-de-France inclus dans la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. L’objectif est d’accueillir des entreprises au marché international au sein d’une zone d’activités. L’aménagement de la zone est confié à l’EPAFRANCE, établissement public d’aménagement représentant les intérêts des collectivités locales et de l’État. En outre, suite à une convention signée entre ce dernier et Euro Disney au moment de l’installation des parcs de loisir de l’entreprise, le développement du parc, c’est-à-dire la commercialisation des lots auprès de promoteurs, incombe à cette dernière.
25Au milieu de la décennie 2000, la collectivité locale, qui est à cette époque un Syndicat d’Agglomération Nouvelle [7], prépare la construction d’un centre aquatique public en limite directe du parc d’activités. Les services techniques s’interrogent sur le choix d’une solution d’approvisionnement énergétique pour l’équipement, gourmand en chaleur, et envisagent l’installation d’une chaudière bois.
26Cependant, une demande de permis de construire toute particulière leur parvient : un data center prévoit son implantation au sein du parc d’activités. Ils s’aperçoivent que ses besoins électriques, et donc les rejets de chaleur fatale qu’ils induisent, sont très importants et imaginent la possibilité de les récupérer pour fournir de la chaleur à la piscine. La collectivité entre alors en contact avec la banque à l’origine de la demande d’installation du data center mais le dialogue n’aboutit pas, pour des raisons, selon le SAN, de trop grandes différences dans les modes de fonctionnement.
27À la même période, Dalkia, opérateur énergéticien, prospecte sur le territoire pour mettre au jour les possibilités de vendre ses services. Ce dernier apprend alors l’existence du data center et l’échec de la première prise de contact mais, après étude, constate que le potentiel de chaleur est suffisamment important pour approvisionner l’ensemble du parc d’activités. L’opérateur évoque alors avec le SAN la possibilité de créer un réseau de chaleur, dans le cadre d’une délégation de service public (DSP), qui exploite ce potentiel.
28Les acteurs s’accordent mais la collectivité constate que, comme elle ne possède pas la compétence de définition d’un périmètre de DSP sur le parc qui est à cheval sur deux communes, les démarches administratives pour y parvenir pourraient être longues. Acteurs publics et privés craignent alors que la banque voie un inconvénient à ce délai et décide de se désengager du projet. Dès lors, après de nombreuses négociations, ils décident ensemble de la construction d’un réseau privé, géré par l’opérateur (voir Figure 1 les premiers tronçons de réseau construits). Toutefois, l’aménageur ne souhaite pas contraindre les entreprises s’installant sur le parc à se connecter au réseau, justement parce qu’il s’agit d’une solution privée et qu’il n’a pas une confiance totale dans la pérennité d’un tel schéma.
Premiers tronçons du réseau de chaleur du Val d’Europe
Premiers tronçons du réseau de chaleur du Val d’Europe
29L’opérateur doit alors commercialiser son réseau qu’il planifie en fonction des hypothèses de développement du parc posées par les acteurs de l’aménagement. Cependant, les projets d’implantation sont moins nombreux que prévu et, de manière générale, le rythme de développement du parc est plus lent que projeté. Dès lors, la commercialisation du réseau est laborieuse et l’infrastructure fonctionne uniquement grâce à la connexion du parc aquatique et d’une pépinière d’entreprises gérée par le SAN, mais s’en trouve surdimensionnée : les tuyaux sont conçus pour permettre la circulation d’un débit de 800 m3/h, ce qui correspond à une puissance de 10 MW, tandis que seulement 180 m3/h y circulent en général.
30Face à ces difficultés, les services techniques de l’EPAFRANCE imaginent la possibilité d’étendre le réseau à des opérations d’aménagement adjacentes et réservent dans certains cas des espaces pour le passage des tuyaux. Toutefois, l’énergéticien ne souhaite pas mener son développement en dehors du parc d’entreprises : il privilégie les espaces les plus proches de la source afin de limiter les coûts d’exploitation, notamment parce que ces nouveaux potentiels de consommation ne sont selon lui pas plus certains. Les acteurs publics s’inquiètent de l’avenir du réseau, d’autant plus qu’un autre projet de réseau de chaleur alimenté par géothermie, prévu antérieurement, se développe à proximité pour chauffer un nouveau parc de loisir (Villages Nature) et, en cas de reliquat, les parcs Disneyland déjà présents sur le territoire. Une conduite d’eau chaude issue de ce réseau passe en bordure de plusieurs projets d’aménagement du secteur. L’absence de coordination entre les porteurs des deux projets fait apparaître à court terme la possibilité d’une concurrence entre deux infrastructures pourtant structurantes pour le territoire.
31En somme, partant du projet d’un simple échange de chaleur entre deux équipements proches suite à la perception d’une opportunité, on passe à celui d’un réseau de service de distribution public, puis privé. Cette dernière évolution compromet cependant les possibilités de coordination territoriale du système énergétique.
La chaleur des minerais pour chauffer la ville : le réseau de Dunkerque
32Au début des années 1980, alors que la crise du pétrole sévit, les élus locaux et services techniques de la ville de Dunkerque décident qu’il est nécessaire de réduire la dépendance du territoire, fortement consommateur de chaleur, aux énergies fossiles d’origine lointaine. Ils envisagent à ce titre la construction d’un réseau de chaleur qui soit approvisionné par une ressource locale.
33Une étude est commandée pour évaluer quatre sources différentes, dont toutes, excepté la solution envisagée d’une chaufferie charbon, sont de récupération : gaz sidérurgiques, chaleur produite par la centrale thermique de Gravelines et « récupération de chaleur dans l’établissement dunkerquois de la société Usinor » [8] (qui fait aujourd’hui partie du groupe ArcelorMittal). Suite à une analyse technico-économique qui retient notamment pour facteur la distance entre le point de production et les consommateurs pressentis (grands équipements publics et logements sociaux), la récupération chez Usinor est retenue. Il est alors décidé de mettre en œuvre une délégation de service public pour la construction et l’exploitation d’un réseau de chaleur qui serait principalement approvisionné par cette source, complétée par la production d’une chaufferie fioul et de centrales à cogénération (voir Figure 2).
Réseau de chaleur et sources de production à Dunkerque
Réseau de chaleur et sources de production à Dunkerque
34Les acteurs publics et l’opérateur retenu pour la DSP, la Compagnie Générale de Chauffe, entrent alors en discussion avec l’industriel pour envisager la fourniture de chaleur. Ce dernier accepte sans que de nombreuses négociations ne soient nécessaires. Les acteurs mettent cette facilité de dialogue sur le compte de la préexistence sur le territoire dunkerquois d’un contexte d’échanges et de transparence entre les acteurs industriels et la collectivité qui se manifeste, par exemple, par d’autres initiatives de coopération relatives aux risques industriels [9].
35Plusieurs décennies plus tard, en 2006, face à la perspective de croissance du réseau, les acteurs envisagent une deuxième récupération sur le site d’ArcelorMittal. L’industriel est intéressé par la proposition, à condition que le système technique puisse être couplé à une installation de récupération de poussières. L’émission dans l’atmosphère de ces dernières est en effet surveillée par la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL). Un tel couplage permet en outre le partage des investissements qui, en son absence, ne pourraient être supportés par l’opérateur.
36Toutefois, les négociations autour de cette seconde récupération sont plus complexes, notamment en raison du double emploi du système technique. Alors que, dans le premier cas, l’industriel se souciait peu de l’arrêt de la récupération, dans celui-ci, elle influencerait directement son processus de production. Chaque acteur fait alors inscrire dans un nouveau contrat des exigences de restitution ou remboursement des équipements en cas d’arrêt de la fourniture ou de la récupération de chaleur.
37Cette vision de la récupération comme une situation possiblement provisoire marque le début des réflexions quant à l’avenir du réseau et à sa dépendance à une source sur laquelle les acteurs du système énergétique urbain ont peu de contrôle. La démarche est en outre encouragée par l’importante diminution temporaire de la chaleur produite au sein des installations d’ArcelorMittal en 2008, en raison de la crise économique qui frappe l’activité du groupe. Alors que la compétence de gestion du réseau de chaleur doit être transférée à la Communauté Urbaine de Dunkerque en 2015, la Ville et cette dernière lancent une nouvelle étude relative à l’évolution et au développement du réseau de chaleur à l’échelle de l’agglomération. L’objectif affiché est celui de prévoir, d’une part, l’extension du réseau à d’autres communes et, d’autre part, la diversification des sources d’approvisionnement [10], notamment afin d’en intégrer de nouvelles qui ne dépendent pas du secteur économique de l’acier.
38Les sources de chaleur analysées par l’étude sont à nouveau locales et, pour la plupart, de récupération. Elles proviennent ainsi d’autres industriels ou bien du centre de valorisation énergétique (CVE) de l’agglomération, équipement communautaire d’incinération de déchets produisant jusque-là uniquement de l’électricité (Beaurain, Maillefert, Varlet, 2017). Alors que certaines sources industrielles sont envisagées, l’étude met en garde contre l’impossibilité de connaître le devenir des entreprises privées au-delà d’une certaine durée et notamment au-delà du temps de remboursement des investissements. Ainsi, c’est en premier lieu le CVE qui est retenu pour la stabilité de son processus et le contrôle que la collectivité peut exercer sur ce dernier.
39En définitive, alors que la première récupération est basée sur une analyse purement technico-économique et qu’elle s’accompagne de relations vécues comme simples entre les acteurs, ces dernières se complexifient avec le temps, jusqu’à ce que chaque côté envisage la possibilité d’un arrêt ou d’une modification non contrôlée des conditions de l’échange. C’est le résultat de la généralisation d’une plus grande instabilité économique et industrielle à l’échelle mondiale.
La proximité comme variable dynamique : sortir d’une vision statique des flux
40Le récit de l’évolution de ces deux réseaux fait apparaître leur caractère fortement dynamique : après l’initiation de la récupération de chaleur, ni les relations entre acteurs ni la spatialité du réseau ne sont figées. Ces dynamiques sont liées à de multiples facteurs et s’accompagnent d’évolutions dans la proximité géographique ou organisationnelle au sein du système. Nous proposons ici, dans une première section, d’analyser les différents facteurs menant à ces évolutions. De là, dans une seconde section, nous montrons que l’intégration des énergies fatales dans les réseaux de chaleur incite à prendre autant en compte le rôle de la proximité que celui des incertitudes qui pèsent sur les différents éléments du système d’échange.
L’évolution des réseaux dans le temps : proposition d’interprétations
41À l’origine des deux cas de valorisation de chaleur fatale étudiés, se trouve l’existence d’une proximité géographique entre activités productrices et consommatrices de chaleur : les acteurs se saisissent en premier lieu d’une faible distance, existante ou projetée, entre des activités complémentaires. Toutefois, une lecture des trajectoires d’évolution des réseaux montre l’importance de bien d’autres facteurs que nous proposons de mettre au jour dans ce qui suit. Cette lecture n’est bien entendu pas unique et ne permet pas de faire ressortir l’ensemble des facteurs expliquant les décisions des acteurs : elle vise simplement à relever ceux qui sont explicitement présentés comme déterminants par ces derniers.
42Dans un cas, au Val d’Europe, on constate le rôle d’une distance organisationnelle entre les acteurs à l’origine du processus, c’est-à-dire entre la collectivité et la banque, explicitement revendiquée par le SAN : les modes de fonctionnement apparaissent trop différents et les liens trop lâches entre les deux acteurs pour que l’échange de chaleur puisse être mis en œuvre. Un troisième acteur, dans ce cas un opérateur privé, est donc convoqué pour faire le lien. Dès lors, ce dernier fait évoluer la nature du projet selon ses propres intérêts : il propose de construire un réseau de chaleur plutôt qu’un simple échange entre deux activités, de manière à étendre ses possibilités commerciales, se saisissant pour cela d’une proximité géographique entre le point de production et des consommations projetées.
43Toutefois, ce processus contraint à l’adoption d’un modèle de gestion qui ne convient pas à tous les acteurs. Ici, c’est la nature des modes d’intervention disponibles aux acteurs qui importe : bien qu’une forme de proximité ait été établie entre la banque, la collectivité et l’opérateur, le cadre juridique existant contraint le type de relations qu’ils peuvent entretenir. L’absence d’obligation de raccordement décidée par l’aménageur fait alors de nouveau apparaître une distance organisationnelle puisque c’est l’absence de contrôle sur les activités de l’opérateur privé qui est avancée pour justifier ce choix.
44Par la suite, malgré la proximité géographique entre productions et consommations, le développement du réseau est entravé par la dynamique de développement du parc sur laquelle les acteurs de la synergie n’ont pas de prise. De nombreuses incertitudes pèsent alors sur leurs décisions : autant la question de l’arrivée de consommateurs que celle du développement d’un réseau concurrent entravent la mise en œuvre des stratégies possibles de structuration du réseau. Ainsi, malgré l’existence d’une proximité géographique entre le réseau existant et de potentielles extensions, les incertitudes sont trop importantes aux yeux de l’opérateur pour qu’il s’y engage.
45Dans l’autre cas, à Dunkerque, l’initiation du processus de valorisation de la chaleur fatale montre le rôle d’une proximité institutionnelle à l’échelle du territoire, partagée entre acteurs industriels et collectivités. Toutefois, la plus grande complexité relative à la seconde récupération de chaleur fait émerger l’importance d’autres facteurs. Comme dans le cas précédent, les incertitudes jouent un rôle déterminant dans les décisions qui sont prises quant au processus de structuration du réseau. Elles se matérialisent en premier lieu dans la forme de contrat qui lie les acteurs puis, plus largement, dans les stratégies prévues pour l’évolution spatiale du réseau.
46Face aux évolutions économiques incertaines du secteur industriel, les acteurs publics recherchent de nouvelles sources de chaleur fatale, en prenant comme critère la proximité géographique des lieux de consommation. Ils choisissent alors d’intégrer au réseau la chaleur issue de l’incinération des déchets parce qu’ils la jugent plus pérenne, mais également parce qu’ils entretiennent une proximité organisationnelle plus forte avec l’activité productrice de ce flux qu’avec les activités industrielles privées du territoire.
47Nous synthétisons ces trajectoires dans les tableaux 1 et 2 et faisons correspondre les facteurs explicatifs que notre analyse empirique a permis de faire ressortir, qui ne sont bien sûr pas nécessairement les seuls.
Étapes de structuration du réseau et proposition de facteurs explicatifs pour le cas du Val d’Europe
Étape dans la structuration du réseau | Facteurs d’explication |
---|---|
Le centre aquatique et le data center se construisent de manière synchronisée et le SAN a l’idée d’un échange de chaleur entre les deux équipements | Proximité géographique entre production et consommation existantes |
La collectivité et la banque propriétaire du SAN ne parviennent pas à s’entendre | Distance organisationnelle entre la collectivité et la banque |
Un opérateur propose de saisir l’opportunité de construire un réseau de chaleur | Intérêt propre de l’opérateur Proximité géographique entre production consommations projetées |
La banque et l’opérateur s’accordent autour d’un contrat de fourniture de chaleur | Proximité organisationnelle plus importante entre l’opérateur et la banque |
Une solution de réseau de chaleur privée est mise en œuvre | Confrontation au cadre juridique existant |
L’aménageur ne contraint pas les preneurs de lot à se connecter au réseau | Distance organisationnelle entre l’aménageur et l’opérateur |
Le développement du parc et donc la commercialisation du réseau ne sont pas aussi rapides que prévus | Dynamiques économiques et territoriales exogènes à la synergie |
L’aménageur propose d’étendre le réseau mais l’opérateur refuse | Incertitudes sur l’évolution des consommations et le développement d’autres réseaux |
Étapes de structuration du réseau et proposition de facteurs explicatifs pour le cas du Val d’Europe
Étapes de structuration du réseau et proposition de facteurs explicatifs pour le cas de Dunkerque
Étape dans la structuration du réseau | Facteurs d’explication |
---|---|
Les acteurs publics prospectent des sources de chaleur sur le territoire | Recherche d’une proximité géographique entre des lieux de consommation avérés et des points de production potentiels |
La chaleur fatale provenant de chez Usinor est retenue | Proximité géographique entre production et consommations avérées et efficacité technico-économique |
L’entreprise accepte de fournir de la chaleur à deux reprises | Proximité institutionnelle à l’échelle du territoire |
Les acteurs contractualisent les conséquences de l’arrêt de la récupération | Incertitudes sur les productions et les consommations |
Les collectivités souhaitent diversifier les flux dans le cas d’une disparition ou d’un désengagement de l’industriel sur lesquels elle n’a pas de contrôle | Incertitudes croissantes sur la pérennité de la production de chaleur fatale |
Les collectivités évaluent les autres sources potentielles | Recherche de nouvelles proximités géographiques |
Il est décidé d’intégrer en premier lieu la chaleur du centre de valorisation énergétique de l’agglomération | Choix de la plus faible incertitude Choix de la plus grande proximité organisationnelle |
Étapes de structuration du réseau et proposition de facteurs explicatifs pour le cas de Dunkerque
L’évolution d’une synergie comme un mouvement non directionnel
48Le travail d’interprétation mené dans la section précédente nous permet d’apporter deux conclusions. D’une part, l’existence d’une proximité à l’origine du processus de valorisation de la chaleur fatale ne garantit pas sa pérennité : les proximités géographiques et organisationnelles au sein du système ne sont pas figées. De nouvelles proximités apparaissent tandis que certaines sont remises en cause. On constate en outre que les proximités entre acteurs et activités ne sont pas suffisantes pour expliquer l’évolution de la synergie et donc du réseau : des contraintes et dynamiques exogènes au système ou bien les intérêts propres des acteurs doivent être convoqués pour expliquer certaines étapes dans la structuration du réseau. Ainsi, il n’est en rien suffisant d’analyser les relations de proximité entre les acteurs en présence et la position de leurs activités dans l’espace à l’instant initial pour comprendre le cheminement d’un système qui se base sur l’échange d’un flux. Cette première conclusion confirme donc l’intérêt d’une approche dynamique.
49D’autre part, à travers cette lecture dynamique, nous observons que l’évolution d’un système de valorisation de flux ne se dirige pas nécessairement vers l’intensification et la pérennisation des échanges une fois l’initiation de la mise en relation passée, comme il a pu l’être supposé ou montré pour des cas d’écologie industrielle (Beaurain, Brullot, 2011). Ici, le maintien de l’échange n’est ni définitif ni certain pour les acteurs, ce qui les conduit à réévaluer continuellement la structuration urbaine du réseau. En définitive, on n’observe pas un mouvement unidirectionnel vers une plus grande proximité qui serait délibérément construite par les acteurs pour structurer le service en réseau.
50Ainsi, si le débat sur l’efficacité de la planification de la proximité pour faire émerger des synergies (Van Leeuwen, Vermeulen, Glasbergen, 2003 ; Roberts, 2004 ; Tudor, Adam, Bates, 2007 ; Schiller et al., 2014) a bien sûr son importance, il ne doit pas occulter le fait qu’un échange de flux est dynamique et qu’une planification initiale ne suffit pas à en caractériser la pérennité. En particulier, nous avons vu à plusieurs reprises que les incertitudes qui pèsent sur l’évolution des activités ou du territoire jouent un rôle déterminant dans les décisions qui guident l’évolution du réseau. Elles sont donc des facteurs prépondérants pour expliquer la pérennité ou non d’un échange de flux, indépendamment du degré de proximité, planifiée ou non, qui existe à l’origine de l’échange.
51Ces résultats appellent ainsi à reconsidérer les relations entre réseaux et territoires que des travaux, pour certains déjà mentionnés, ont montré être conventionnellement caractérisées par une importante stabilité dans le temps (Offner, 1993 ; Bocquet, 2006 ; Jaglin, Verdeil, 2013). Notre analyse nous montre que la valorisation d’un flux de chaleur fatale, ressource de proximité, est au contraire associée à de nombreuses incertitudes qui induisent une forte dynamique dans la structuration territoriale du réseau.
Conclusion
52La valorisation de la chaleur fatale au sein d’un réseau de chaleur est aujourd’hui promue comme une des solutions pour une transition énergétique des territoires urbains. Cependant, encore peu expérimentée, elle reste une solution alternative qui remet en question le fonctionnement conventionnel du service de distribution de chaleur.
53Constatant le caractère évolutif de la proximité géographique et organisationnelle entre les systèmes sociotechniques qui échangent de l’énergie, nous avons montré le rôle important joué par les incertitudes qui pèsent sur les flux produits et consommés dans les décisions prises quant au réseau. Ces résultats suggèrent que la valorisation de la chaleur fatale induit une forme d’instabilité dans la forme du réseau de chaleur et réinterroge donc les relations entre réseaux et territoire, historiquement inscrites dans la durée. En somme, nos conclusions confirment les tensions qui émergent de la mobilisation des réseaux de chaleur, au modèle infrastructurel et de gestion hérité de logiques de centralisation et de croissance, comme outil d’une transition énergétique qui, au contraire, remet ce modèle en cause (Späth, 2005 ; Hawkey, Webb, Winskel, 2013 ; Rocher, 2013 ; Gabillet, 2015).
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Mots-clés éditeurs : Dunkerque, proximité, flux, Marne-la-Vallée, réseau de chaleur, chaleur fatale
Mise en ligne 08/12/2017
https://doi.org/10.3917/flux1.109.0009Notes
-
[1]
Article 1er III 9° de la LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
-
[2]
Cette dichotomie qui n’explicite pas la distinction de la proximité institutionnelle tient également au fait que, dans cet article, nous focalisons notre propos sur les relations entre les acteurs de l’échange en lui-même et non sur ceux qui ont formé les conditions de son émergence, ce que font quant à eux Beaurain et Brullot (2011) que nous discutons plus loin. Ainsi, nous nous intéressons a priori à des relations directes entre acteurs, mais le récit du terrain doit nous permettre de faire émerger le rôle d’une proximité institutionnelle, s’il existe.
-
[3]
Incinération des déchets ménagers ou traitement des eaux usées.
-
[4]
Des travaux d’écologie industrielle et territoriale dont nous avons pris connaissance et qui nous ont guidée dans notre approche empirique portent sur le cas de l’agglomération dunkerquoise (Beaurain, Brullot, 2011 ; Beaurain, Varlet, 2014 ; Brullot, Maillefert, Joubert, 2014). Toutefois, ils se focalisent, d’une part, sur la gouvernance d’une démarche territoriale d’écologie industrielle et, d’autre part, sur les synergies vues comme des coopérations inter-entreprises. Dès lors, la question de la structuration urbaine du réseau de chaleur n’entre pas dans leur focale.
-
[5]
Par exemple, un sujet du journal télévisé du lundi 23 novembre de France 2 dans le cadre de la COP21 présente précisément ces deux réseaux :
- Bekcrich J. (2015), « Environnement : quand les entreprises recyclent l’énergie qu’elles consomment », Journal télévisé de France 2, 23 novembre 2015.
- Junqua Y., Le Bras T., Ferron C. (2015) « Dunkerque : quand la chaleur d’une usine est recyclée pour chauffer la ville », Journal télévisé de France 2, 23 novembre 2015.
-
[6]
Par souci de respect de leur anonymat, nous ne citons pas les personnes interrogées.
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[7]
Le SAN du Val d’Europe.
-
[8]
Ville de Dunkerque, Fiche technique pour la pré-étude d’un réseau de chauffage urbain dans la région dunkerquoise, 1982.
-
[9]
Beaurain et Varlet (2014) font la même analyse.
-
[10]
Il faut noter que le réseau fonctionne depuis ses débuts également grâce à des chaudières au fioul et plus tard grâce à des cogénérations gaz pour assurer le complément de la chaleur fatale en tout temps, comme le montre la figure 1.