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Article de revue

Pour une économie de la sympathie. Propos sur la double anthropologie d'Adam Smith

Pages 18 à 24

1La réflexion que je propose d’esquisser dans ces quelques pages ne constitue pas une contribution au domaine bien établi de l’anthropologie économique, mais à la question moins souvent posée de ce qui constituerait l’anthropologie de la pensée économique elle-même: sur quelles présuppositions anthropologiques, quelles conceptions implicites ou explicites de la nature et de l’évolution humaine reposent à leur origine les grandes théorisations économiques dont nous sommes toujours les héritiers plus ou moins consentants ? Et pour soulever ces questions, nul cas n’est peut-être plus exemplaire et révélateur que celui d’Adam Smith, non seulement à cause de son influence et de son statut symbolique comme l’un des pères fondateurs de l’économie, mais parce que ses préoccupations sont dans son œuvre particulièrement explicites, suffisamment centrales et complexes pour avoir mérité depuis longtemps l’attention de nombreux spécialistes, en même temps qu’elles demeurent, malgré leur visibilité dans une œuvre d’une telle notoriété, singulièrement méconnues. Je vais donc m’attacher ici à souligner, aussi brièvement que possible, deux aspects également fondamentaux de l’anthropologie d’Adam Smith qui sont à la fois parfaitement reconnaissables et connus, mais dont les implications pour la pensée économique me semblent encore largement ignorées, notamment par ceux qui se réclament aujourd’hui de son héritage idéologique.

Smith et l’anthropologie du progrès

2Le premier est justement que la pensée économique de Smith est explicitement fondée sur une théorie anthropologique du progrès humain, fondation dont la réflexion proprement économique est pour lui inséparable. À cet égard, il n’est pas inutile de remarquer qu’en tant qu’économiste, à notre sens en quelque sorte rétroactif du terme, Smith aurait pu se contenter de décrire, comme il le fait effectivement dans une bonne partie de son œuvre la plus connue, les principes et les mécanismes opérants dans les systèmes économiques modernes à son époque, sans se donner la peine d’en rechercher les prémisses dans des spéculations sur l’évolution des modes archaïques de subsistance. Il lui aurait suffi de démontrer, comme il le fait brillamment avec l’exemple célèbre de la fabrique d’épingles au début de La richesse des nations, les bénéfices de la division du travail, sans consacrer ensuite plusieurs chapitres à l’origine de la division du travail. Mais Smith n’est pas seulement économiste à notre sens. Il lui importe tout autant d’ancrer son analyse dans une théorie universelle du développement progressif des sociétés humaines, théorie dont il est en fait l’un des grands inventeurs. Comme l’historien de la pensée économique Ronald Meek l’a brillamment démontré il y a déjà plusieurs décennies, Smith est en effet l’un des tout premiers penseurs à avoir formulé sous sa forme achevée le modèle de progression stadiale universelle qui allait devenir, à partir, de la seconde moitié du XVIIIe siècle la véritable matrice de toute théorie évolutionniste.

Des illustrations ethnographiques

3Ce modèle aujourd’hui familier, que Meek a justement nommé la « théorie des quatre stades », stipule que toute société humaine est passée ou passera inévitablement par les mêmes quatre stades successifs de développement, chacun défini par un mode spécifique de subsistance : chasse et ramassage (the age of hunters chez Smith), pastoralisme (the age of shepherds), agriculture, et finalement le stade que Smith appelle « commercial », qui correspondra bientôt au mode de production industriel ou, pour rester plus proche de la pensée de Smith, à l’économie capitaliste de marché. Il est bien évident que ce modèle est tout autant anthropologique qu’économique, la distinction entre ces deux domaines n’ayant de sens que depuis leur évolution ultérieure en deux disciplines indépendantes, et qu’il faut au contraire insister sur leur étroite dépendance dans la pensée smithienne. La marche irrésistible du progrès économique s’inscrit dès le départ dans le grand récit d’une téléologie anthropologique.

4Ce qui précède est relativement connu. Ce qui l’est peut-être un peu moins, bien que tout aussi visible dans son œuvre, c’est que Smith ne s’en tient pas à l’abstraction d’une théorie anthropologique, mais a constamment recours, pour appuyer sa théorie sur les faits, à des illustrations que nous appellerions ethnographiques. Comme l’ont bien remarqué les commentateurs qui veulent insister sur le pragmatisme de Smith, chacun des stades de cette grande histoire universelle, fameusement qualifiée de « théorique ou conjecturale », correspond pour lui à l’existence et au mode de vie de peuples bien réels observés à diverses époques de par le monde : les sociétés commerciales et agricoles qu’il peut directement observer, bien sûr, mais aussi le pastoralisme des nomades d’Arabie, comme celui des Scythes de l’Antiquité, ou des Hottentots décrits par Kolben, et par-dessus tout, son exemple privilégié des peuples « chasseurs », les Indiens de la région des Grands Lacs d’Amérique du Nord, sur lesquels il connaît et cite de nombreux documents.

5De cette documentation « ethnographique », qui a en effet été pour Smith et ses contemporains la source d’inspiration de l’idée de progression stadiale, la théorie smithienne retire ainsi le bénéfice considérable d’une sorte de caution empirique, d’un effet de réel qui semble l’assurer sur des observations factuelles. Mais les choses ne sont pas si simples.

A la limite de la survie

6Si la théorie du progrès élaborée par Smith s’appuie effectivement sur de nombreuses observations anthropologiques, ces observations se révèlent être en grande partie une projection de la théorie elle-même. Un examen un peu attentif de l’usage que Smith fait de ses propres sources ethnographiques permet en effet de montrer dans son œuvre toute une série d’inflexions, d’interprétations et d’appropriations sélectives qui, sans que l’on puisse parler de stratégie délibérée, relèvent incontestablement d’une même logique théorique et aboutissent à un même résultat fondamental. Il n’est pas question d’entrer ici dans les détails de cet examen comparatif, ni dans les complexités et contradictions qu’il révèle, mais la conclusion devrait suffire. L’anthropologie d’Adam Smith, au sens de ce travail productif sur les données dont il dispose, se caractérise par une réduction systématique du premier stade - le mode de subsistance originellement commun à tous les peuples de l’humanité - à une condition de pénurie absolue, dans laquelle les premiers hommes, toujours à la limite de la survie, peuvent à peine subsister en dépit de tous leurs efforts, et sont fréquemment réduits, annonce-t-il dans les premières pages de La richesse des nations (Paris, PUF, 1995, tome I), à détruire ou à abandonner aux bêtes sauvages « leurs enfants, leurs vieillards, ou ceux qui sont affligés de maladies languissantes … » (p. 2).

Smith et l’économie du manque

7Smith s’inscrit ainsi fermement dans une des lignées bien reconnaissables de l’anthropologie des Lumières, ce courant misérabiliste que l’on fait souvent remonter à Hobbes, et il n’y a sans doute là rien qui semble très original ni surprenant. Mais dans une œuvre fondatrice de la nouvelle science économique, un tel choix anthropologique est lourd de conséquences: l’humanité se trouve dès l’origine plongée dans le mode fondamental du manque, ou de la rareté, qui est la condition même d’une pensée en termes d’économie ; la motivation est alors jugée comme étant à la base de tout progrès économique. Selon cette vision intrinsèquement pénurique de l’humanité au premier stade, l’homme n’est pas seulement doté de la capacité de perfectibilité que toute l’anthropologie des Lumières s’accorde pour lui reconnaître, mais il est dans l’obligation absolue - sa survie en dépend - de faire usage de cette perfectibilité ou, pour reprendre l’une des expressions les plus célèbres d’Adam Smith, il se trouve à son origine même dans la nécessité d’« améliorer sa condition ». Ainsi, grâce à cette logique remarquablement circulaire, une théorie du progrès économique trouve ses fondements dans une anthropologie du manque qui lui fournit à la fois son impulsion originelle et son modèle fondamental des motivations humaines.

De l’homo smithianus à l’homo economicus

8Que cette vision des premiers stades de l’humanité soit aujourd’hui totalement discréditée, par les apports de l’anthropologie économique justement, ne semble guère avoir entamé son remarquable pouvoir de résilience dans l’imaginaire anthropologique, sans doute précisément parce qu’elle est largement imaginaire. Comme le déplorait Marshall Sahlins à l’un des moments pionniers de la réévaluation moderne des économies primitives : « L’image traditionnelle lamentable que nous avons de la précarité des chasseurs est pré-anthropologique. Elle remonte au temps où Adam Smith écrivait, et peut-être même à une époque où personne n’avait encore écrit. Mais l’anthropologie, et tout spécialement l’anthropologie évolutionniste, a jugé pratique, et même théoriquement nécessaire, d’adopter le même ton de réprobation » (Richard B. Lee & Irven de Vore (dir.), Man the Hunter, Chicago, Aldine Publishing Company, 1968, p.85). Et avec l’anthropologie, pouvons-nous ajouter, la pensée économique qui en hérite. Car l’homo economicus, cette fiction moderniste d’un spécimen avancé de l’espèce humaine, descend en droite ligne de l’homo smithianus. Que cette filiation soit ouvertement reconnue ou non, elle constitue l’héritage majeur de l’anthropologie d’Adam Smith.

9Et pourtant, Smith lui-même avait élaboré en parallèle une toute autre conception des motivations humaines, basée sur l’opération de ce qu’il appelle la « sympathie ». Là non plus il ne s’agit aucunement d’un aspect obscur ni secondaire de son œuvre, puisque c’est la thèse centrale d’un ouvrage bien connu de tous les spécialistes (sinon de tous les économistes), la Théorie des sentiments moraux, première œuvre majeure de Smith qui prédate la plus célèbre Richesse de quelque 17 ans, mais à laquelle il avait continué de tenir suffisamment pour en faire paraître une nouvelle édition augmentée pendant la toute dernière année de sa vie.

L’autre anthropologie d’Adam Smith

10Je ne chercherai pas ici à élucider après tant d’autres la question complexe du rapport entre les deux œuvres, et encore moins à ranimer le vieil Adam Smith problem, me contentant de suggérer que, pour les questions qui nous intéressent depuis le début, la théorie de la sympathie présente, en complément et en alternative à l’économie du manque que je viens d’évoquer, la possibilité d’une autre anthropologie d’Adam Smith, peut-être plus prometteuse pour confronter les enjeux économiques qui sont les nôtres.

11La sympathie de Smith (je simplifie en évitant autant que possible d’être réducteur) est le principe inné qui porte tout être humain à s’identifier à ses semblables. Cet instinct d’identification a dans la Théorie une gamme d’application très étendue. S’il explique le réflexe purement physique du spectateur suivant de son propre corps les mouvements d’un danseur de corde, ou notre émotion au spectacle des souffrances feintes d’un acteur, ou à celui de souffrances réelles que nous ne pourrions pourtant pas ressentir dans notre propre corps (un homme compatissant aux douleurs de l’enfantement), il fournit aussi dans la théorie de Smith la base sur laquelle nous pouvons former un jugement moral, par identification avec un « spectateur impartial » idéal. En contraste avec la conception atomiste d’un individu rationnel essentiellement motivé par la poursuite de ses intérêts particuliers - l’individualisme habituellement associé à la psychologie de l’homo economicus - Smith développe avec l’opération de la sympathie une conception radicalement intersubjective de la personnalité humaine, selon laquelle le désir de chacun est inextricablement lié au désir de l’autre, la motivation principale de l’être humain ne résidant pas dans le besoin objectif de choses, mais dans le besoin subjectif plus fondamental de la reconnaissance et de l’approbation d’autrui.
La sympathie smithienne est le ciment d’une sociabilité en dehors de laquelle l’être et le désir humains sont proprement inconcevables. Nous avons donc là le principe d’une anthropologie apparemment tout autre que celle fondée sur le manque, mais qui, remarquons-le, n’est pas non plus exceptionnelle dans la philosophie des Lumières.

De la sympathie à l’économie

12La théorie de la sympathie, à laquelle Adam Smith a donné une inflexion relativement originale et qui nous intéresse évidemment chez lui pour ses implications économiques, s’apparente à un important courant de pensée non seulement parmi ses influences immédiates, Shaftesbury, Hume, ou encore son maître Francis Hutcheson, mais également, même si c’est avec des différences notoires, dans l’anthropologie de Rousseau, pour qui la notion toute proche de « pitié » joue un rôle aussi fondamental.

13Il est vrai qu’à l’inverse de Rousseau, Smith refuse aux « peuples sauvages » la capacité de sympathie pour leurs semblables, en raison précisément de la condition de manque à laquelle il les suppose réduits : « Tous les sauvages sont bien trop réduits par leurs besoins et leurs nécessités pour prêter beaucoup d’attention à ceux d’une autre personne. Ainsi, quelle que soit la nature de leur détresse, un sauvage n’attend pas de sympathie de ceux qui l’entourent… » (Théorie des sentiments moraux, Paris, PUF, 1999, p.285). Remarque que nous aurions aujourd’hui du mal à prendre au sérieux, même si Smith entend ici la sympathie dans son sens ordinaire. Par contre, une fois l’humanité délivrée de la tyrannie originelle des besoins, et particulièrement au stade des sociétés « commerciales », la sympathie devient pour lui la motivation principale du désir de richesses.

L’illusion du bonheur et la « main invisible »

14Si, comme l’indique son titre, la Théorie des sentiments moraux se donne pour objectif principal l’élaboration d’un jugement moral, une grande partie des illustrations avancées par Smith pour démontrer l’emprise de la sympathie sont empruntées au domaine de l’économie, y compris dans le célèbre passage où la « main invisible » fait sa première apparition. Mais dans tous ces cas, il ne s’agit pas de motifs intrinsèquement « économiques », mais de notre désir de « respect », de « crédit », de « rang » parmi nos semblables. Ce que nous recherchons par l’acquisition des richesses n’est pas tant un avantage matériel que l’avantage symbolique que celles-ci confèrent, c’est-à-dire un statut social. Dans le projet même de l’« amélioration de notre condition », c’est à « être observés, être remarqués, être considérés avec sympathie » que nous aspirons. « C’est la vanité, dit Smith, non le bien-être ou le plaisir, qui nous intéresse » (pp.91-92). La poursuite des objets de prestige, des « bibelots » et des « babioles » prisés par les riches et les puissants n’est pas la poursuite de ces objets eux-mêmes, mais de leur prestige; elle est fondée, explique Smith, sur une illusion: l’identification avec leurs possesseurs qui nous fait imaginer que ceux-ci ont plus de « moyens d’être heureux ». Et c’est à ce moment de son exposé que Smith commente de manière étonnante : « Et il est heureux que la nature nous abuse de cette manière », car « c’est cette illusion qui suscite et entretient le mouvement perpétuel de l’industrie du genre humain ». Nous sommes ainsi providentiellement conduits, conclut-il fameusement, par une « main invisible » (pp.253-257).

Un homo sympatheticus multi-dimensionnel

15Peut-être. Il est aujourd’hui permis d’avoir quelques réserves sur la bienfaisance de la célèbre main. Mais ce qui ne fait aucun doute, c’est que si Smith est à juste titre considéré comme un partisan résolu du progrès économique, et même, avec une justification qu’il faudrait davantage nuancer, comme un défenseur du libéralisme, il n’aurait jamais souscrit à la réduction faite depuis, en son nom, de l’être humain à un simple homo economicus. Contrairement à la version appauvrie des motivations humaines qu’implique une telle parodie anthropologique, l’homo sympatheticus de la théorie smithienne a toute la multi-dimensionnalité de l’être socio-symbolique que l’homme est réellement dans le monde, pris dans l’infinie spécularité des rapports qu’il entretient avec ses semblables, et dans les multiples réseaux de solidarité et d’appartenance en dehors desquels il ne saurait exister. En réalité, il y a méprise. Si Smith et les nouveaux économistes « libéraux » de son époque, dont les physiocrates, semblent prôner l’individualisme, l’intérêt particulier, le désir d’enrichissement personnel, ce n’est pas qu’ils aient jamais imaginé que les motivations humaines se réduisent à ces « vertus égoïstes », mais au contraire parce qu’ils percevaient trop bien l’emprise des solidarités sociales et des obligations traditionnelles, dont ils voulaient justement « libérer » l’initiative individuelle dans l’intérêt de l’essor économique.

Imaginer une économie de la sympathie

16Ce projet, radical et progressiste, qu’ils ont osé formuler à une époque encore largement corporatiste et pré-industrielle a, comme on le sait, réussi au-delà de tous leurs espoirs. Depuis lors, les forces combinées des révolutions industrielle et technologique, du capitalisme de marché, et de l’impérialisme puis de la mondialisation, ont produit à l’échelle planétaire une explosion de l’activité économique et un accroissement des richesses qu’ils n’auraient jamais pu imaginer. Il n’est pas facile de savoir ce qu’ils en auraient pensé. Ce qui me paraît par contre certain, c’est que revenant dans le monde hyper-médiatisé qui est le nôtre, confronté à son barrage d’incitations symboliques à la consommation, observant l’omniprésence de l’image et du virtuel dans la vie économie contemporaine, Adam Smith n’aurait aucun mal à reconnaître l’emprise des motivations humaines qu’il avait si finement décrites dans la Théorie des sentiments moraux. Mais bien sûr Adam Smith ne reviendra pas. C’est à nous de décider quelles leçons tirer de sa double anthropologie. Si les peuples « chasseurs » ont aujourd’hui disparu, le monde n’est toujours pas délivré du manque. Pour bien des déshérités de la mondialisation, c’est encore le besoin absolu qui motive le désir légitime d’« améliorer notre condition ». Mais à l’échelle de la planète, l’extraordinaire croissance de l’activité humaine depuis les quelque 200 ans qui nous séparent d’Adam Smith nous a amenés à des limites - d’exploitation des ressources naturelles, d’impact sur l’environnement, de population - inconcevables pour les premiers partisans du libéralisme. Pour affronter ces enjeux sans précédents dans l’histoire du monde, c’est vers l’autre anthropologie d’Adam Smith que nous devons nous tourner. Non pas celle du manque, mais celle qui lie tout désir humain au désir d’autrui, qui insiste sur notre identification avec une humanité désormais rendue solidaire - qu’elle le reconnaisse ou non - par une commune finitude. Sans doute ce retour à Adam Smith ne saurait apporter toutes les réponses, mais il pourrait nous mettre sur la voie d’une possibilité que son œuvre ne fait que suggérer et qu’il nous revient aujourd’hui de poursuivre: celle d’imaginer à sa suite, même si c’est dans un sens qu’il n’aurait pu prévoir, une économie de la sympathie.


[Synthesis in english]

17Adam Smith’s anthropological outlook presents two aspects each as fundamental as the other, but the implications of which on economic theory appear to remain largely ignored.

18Smith’s economic thinking is explicitly founded on an anthropological theory of human progress. Smith was one of the very first thinkers to have fully formulated the model for universal stadial progression that, from the second half of the 18th century, was to become the matrix for all evolutionary theories.

19This model stipulates that every human society has experienced, or shall inevitably experience, the same successive four developmental phases, each characterised by a specific form of subsistence: hunting and gathering, pastoralism, agriculture and finally commerce.

20Smith’s anthropological outlook is characterised by a systematic equation of the first phase to a condition of absolute penury, within which the first humans, operating at all times at the limit of survival, scarcely managed to subsist despite their best efforts.

21From the outset, humanity found itself plunged into a primary mode of shortage and scarcity. All economic progress is therefore ultimately motivated as follows: in order to survive, humanity is inexorably required to rely on its capacity to improve, to perfect its condition. The foundations of the theory of economic progress can thus be found in the anthropology of shortage.

22Homo economicus descends directly from homo smithianus. Yet Smith himself drew up an alternative parallel conception of human motivations, one based on the notion of sympathy.

23Smith’s sympathy is the principle, innate to all humans, of identifying with their fellows. In contrast to the conception of a rational individual essentially motivated by the pursuit of self-interest - the individualism usually associated with the psychological makeup of homo economicus - Smith develops a conception of the human personality according to which each individual’s desire is inextricably linked to that of others, human being’s primary motivation residing not in objective need, but in the more subjective fundamental need for the recognition and approval of others.

24Smith’s sympathy is the cement for a sociability without which human existence and human desire cannot properly be imagined.

25Once humanity is freed from the original tyranny of need, and especially in societies in the commercial phase, sympathy becomes the primary motivation driving the desire for wealth. That which we seek through the acquisition of wealth is not so much material advantage as the symbolic advantage that such wealth confers, social status in other words. We are providentially guided, Smith concludes, by an ‘invisible hand’.

26These days it is considered acceptable to express a few reservations about the beneficence of Smith’s famous hand. But Smith would never have agreed to the latter day simplifications made in his name that transformed the human being into a plain homo economicus. On the contrary, the homo sympatheticus of Smith’s theory is invested with the same multi-dimensionality of the socio-symbolic being that is humankind in the real world, engaged in multiple relationships with their fellows and in multiple networks of solidarity and belonging, outside of which they could not exist.

27The world is still not free from want, nor from the desire to improve the human condition. But on the planetary scale, the extraordinary growth in human activity has led us to the discovery of limits - of the exploitation of natural resources, environmental impact, population - that would have been inconceivable to liberalism’s first proponents.

28In order to face these unprecedented global challenges, we need to turn to Smith’s other anthropology, sympathy, the concept that underlines our identification with a humanity now rendered interdependent by our shared finiteness.


Date de mise en ligne : 01/05/2010

https://doi.org/10.3917/fbc.022.0018

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