Couverture de EUFOR_378

Article de revue

Précarité énergétique et justice énergétique : un droit à l’énergie est-il pensable ?

Pages 126 à 145

Notes

  • [1]
    Une définition de ce concept a été proposée en 1991 par la chercheuse britannique Brenda Boardman. Elle définit notamment l’incapacité financière des ménages à se chauffer (Boardman 1991).
  • [2]
    Ce terme était en vigueur dans les années 2000 dans les services d’EDF en France (EDF 2002).
  • [3]
    Le problème social est reconnu par les académiques depuis 1975. La reconnaissance politique a été plus lente. Toutefois dès 1977, le gouvernement britannique s’est saisi du problème d’inefficacité énergétique des logements en introduisant des mesures de rénovation thermique (Boardman 2010).
  • [4]
    Cette affirmation mérite d’être nuancée. En effet, si l’on considère les trajectoires des pays d’Europe centrale et orientale, l’apparition de la pauvreté énergétique est étroitement liée aux transformations libérales des années quatre-vingt-dix qui ont, entre autres, mis fin au système de subventions des prix de l’énergie alors que les prix ont augmenté, que les revenus ont diminué et que les conditions de marché n’ont pas été clairement définies. Voir Buzar 2007, Bouzarovski et al. 2015.
  • [5]
    Voir l’article de Gordon Walker dans ce numéro.
  • [6]
    Initialement un ménage est dit en précarité énergétique lorsqu’il a besoin de dépenser plus de 10 % de son revenu pour atteindre un niveau de confort adéquat dans son logement. Il s’agit essentiellement de la capacité financière des ménages à régler les factures énergétiques. Le taux d’effort énergétique fixé ne concerne pas les dépenses réelles, mais ce qu’un ménage devrait dépenser pour parvenir à un niveau de confort thermique adapté. (Boardman 1991). Brenda Boardman envisageait la précarité énergétique comme un phénomène dynamique : un ménage peut entrer et sortir de la précarité énergétique. L’institutionnalisation de la définition dans la loi de 2000 n’a pas intégré l’aspect dynamique. Le concept a été révisé par John Hills (2012) pour classer un ménage comme précaire énergétique si les coûts énergétiques requis sont supérieurs à ceux d’un médian national selon une mesure « faibles revenus coûts élevés ».
  • [7]
    Royaume Uni, Irlande, France et Chypre. L’Italie, l’Autriche, Malte et la Slovaquie envisagent d’institutionnaliser une définition de la pauvreté énergétique dans la loi (Pye et al. 2015).
  • [8]
    Voir l’article de Steve Pye dans ce numéro.
  • [9]
    Ce triptyque niveau de revenu, qualité du logement et hausse des prix de l’énergie a été identifié et défini par Brenda Boardman dès le début des années quatre-vingt-dix pour expliquer les causes de la précarité énergétique, le distinguer de la seule pauvreté monétaire et classer ce champ au croisement des politiques sociales, du logement et de l’énergie.
  • [10]
    Voir note 4.
  • [11]
    Voir l’article de Stefan Bouzarovski dans ce numéro.
  • [12]
    Voir note 1. La question d’intégrer la mobilité dans la définition de la pauvreté énergétique est également en débat.
  • [13]
    Un fonctionnement normal du logement concerne la conservation des aliments, leur cuisson, l’éclairage et le chauffage du logement, la climatisation (particulièrement pertinente dans les pays du Sud de l’Europe) ou encore l’accès aux moyens de communication etc. La couverture de l’ensemble de ces besoins permet d’accéder à un niveau de santé, de bien-être, de confort et de participer à la vie de la société.
  • [14]
    Office statistique de l’Union européenne, http://ec.europa.eu/eurostat/web/main/home.
  • [15]
    EU-Statistics on Income and Living Conditions (EU-SILC) est « le cadre de référence d’Eurostat pour la collecte de données en vue de l’établissement de statistiques comparatives sur la répartition des revenus et l’inclusion sociale dans l’Union européenne » depuis 2003. http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Glossary:EU_statistics_on_income_and_living_conditions_%28EU-SILC%29/fr. Ces études ont été précédées depuis 1994 par European Community Household Panel (Bouzarovski, Herrero 2015).
  • [16]
    Voir le projet European fuel Poverty and Energy Efficiency, 2004-2009 https://ec.europa.eu/energy/intelligent/projects/en/projects/epee ; ou encore http://www.bpie.eu/.
  • [17]
    Sylvy Jaglin analysait cet aspect dans le contexte sud-américain, mais ce constat semble être également pertinent dans la situation européenne de déconnexion.
  • [18]
    Une absence de réseau de gaz ou d’électricité (dans des cas particuliers) ou des coupures de gaz ou d’électricité nécessite de recourir à des solutions alternatives souvent plus coûteuses (fioul, bouteille de gaz ou autres), plus polluantes (briquettes de charbon) et qui peuvent comporter des risques d’accident domestiques (éclairage à la bougie par exemple).
  • [19]
    Les « capabilities » – ou capabilités – renvoient à la théorie développée par A. Sen et M. Nussbaum. Ces auteurs défendent non pas l’égalité des moyens mais l’égalité des possibilités donnée à chaque individu pour accomplir divers fonctionnements (functionings). Cette approche implique que chaque individu, en raison de ses caractéristiques personnelles, aura des besoins différents pour réaliser des actions similaires.
  • [20]
    Voir note 7. En effet l’électricité, quelle qu’en soit la source, est utilisée pour les services qu’elle procure, tels que chauffer, s’éclairer ou faire fonctionner des appareils différents.
  • [21]
    Le ministère allemand de l’environnement a par exemple défini en 2005 des fourchettes de températures, plutôt que des limites, et sont légèrement supérieures aux recommandations de l’OMS. Bundesumweltamt, Gesünder wohnen, aber wie, mars 2005, p. 8. La mesure des températures en Angleterre est réalisée dans le cadre de la English House Condition Survey et montre un niveau de température légèrement inférieur aux recommandations de l’OMS (Boardman 2010).
  • [22]
  • [23]
    Voir note 7.
  • [24]
    Les capabilités peuvent se distinguer en deux groupes : les « capabilités élémentaires ou de base », comme conserver la santé, être éduqué et les « capabilités secondaires » telles que laver les vêtements, conserver les aliments, préparer à manger etc. (Day R., 2015).
  • [25]
    Voir l’article de Rosie Day dans ce numéro.
  • [26]
    Tous les États membres à l’exception de la Lettonie ont apporté une définition aux consommateurs vulnérables. Toutefois le contenu et les droits varient. Voir rapport du consortium INSIGHT_E (Pye 2015).
  • [27]
    Il s’agit de logements qui requièrent un niveau de consommation d’énergie important pour atteindre un faible niveau de confort thermique à un coût élevé.
  • [28]
    D’autres programmes concernent parfois le remplacement d’appareils électriques énergivores par de nouveaux appareils présentant des meilleures performances énergétiques.
  • [29]
    C’est le cas du programme ECO (Energy Company Obligation) qui depuis 2012 remplace les deux programmes de rénovation thermique à destination des plus modestes (CESP et CERT).
  • [30]
    De nombreuses associations se sont engagées dans la revendication d’un droit à l’énergie. Citons à titre d’exemple l’ONG Droit à l’Energie SOS Futur, fondée en 2000, qui regroupe 400 organisations dans 68 pays http://www.energiesosfutur.org/.

1La notion de « précarité énergétique » renvoie au terme britannique fuel poverty défini en 1991 outre Manche [1]. Au niveau européen, le concept de pauvreté énergétique – energy poverty a pris le relais. D’autres termes se sont développés, tels que « privation d’énergie domestique », « consommateurs vulnérables » « pauvreté de services énergétiques » (Bouzarovski, Petrova 2015) ou encore « clients démunis[2] ». Ce sont autant de notions qui reflètent les ambiguïtés conceptuelles et terminologiques liées à la définition et à la reconnaissance du phénomène de privation d’énergie en Europe. Au-delà des questionnements que le concept de « précarité/pauvreté énergétique » soulève en matière de reconnaissance, de définition et de mesure, il en est un qui mérite d’être abordé : celui de la justice sociale et des valeurs universelles attachées à l’accès à l’énergie pour tous. C’est ce constat qui conduit à s’interroger sur le sens donné aujourd’hui dans une société développée à la notion de service universel, telle qu’elle était inscrite dans les engagements historiques post 1945 et telle qu’elle s’est trouvée modifiée dans les années 1990 suite à la libéralisation du secteur énergétique. Si les transformations libérales du marché énergétique ne connaissent pas le même avancement selon les États membres et si elles n’ont pas créé la pauvreté énergétique [3], elles l’ont accentuée en remettant en question le « service public » (public utilities), vecteur d’intégration sociale (Chevallier 2012). À défaut donc de créer le phénomène, les différentes politiques de libéralisation des secteurs énergétiques l’ont exacerbé [4] à partir du moment où les individus concernés ont dû faire face à un accident inopiné de la vie, individuel ou collectif (Bafoil et al. 2014). Dès lors, les processus de libéralisation et de privatisation ainsi que la marchandisation de ce « bien commun » (Ostrom 1990) ont privé les États d’un levier d’action direct permettant de garantir la prise en charge des besoins collectifs en matière énergétique. Dans ces circonstances comment garantir les conditions pour l’équité et la justice énergétique ?

2Penser la privation d’énergie nécessite dans un premier temps de préciser le caractère multidimensionnel des enjeux (I). Cette réflexion requiert, dans un deuxième temps, d’envisager les principes qui sous-tendent la question de justice énergétique (II). Elle oblige, par ailleurs, à analyser la manière dont les politiques publiques mises en œuvre tentent de promouvoir la justice distributive (III). Pour conclure, on rejoint les travaux de ceux qui, à l’instar de Gordon Walker [5], s’interrogent sur la manière dont un droit à l’énergie pourrait représenter une opportunité pour promouvoir adéquatement l’équité (IV).

I – Les débats autour de la « précarité énergétique »

3La majeure partie des débats qui animent les milieux académiques, associatifs et politiques européens, et notamment britanniques, sur le sujet de la précarité ou de la pauvreté énergétique (fuel or energy poverty) concerne la définition qu’il convient de lui donner quand on la relie 1. au caractère multidimensionnel des causes à l’origine de la privation d’énergie ; 2. à la complexité de mesurer un tel phénomène ; 3. aux conséquences de la privation d’énergie sur les individus et in fine sur la société. L’intensité de ces débats révèle la difficulté d’aboutir à une représentation univoque de la pauvreté énergétique au niveau national comme au niveau européen.

De la mise à l’agenda…

4Le premier débat concerne l’utilisation du concept même de précarité énergétique – fuel poverty[6]. S’il a été défini au Royaume-Uni dès les années quatre-vingt-dix, il s’est affirmé plus tardivement dans d’autres pays européens comme une catégorie d’analyse académique, à même de devenir un objet de l’agenda politique et sujet de l’action collective. Pourtant, en la matière, il n’y a pas d’homogénéité au sein des 28 États membres de l’Union européenne. Tous les pays ne recourent pas à cette notion. Selon Steve Pye moins d’un tiers des États membres reconnaissent explicitement le concept de pauvreté/précarité énergétique ; quatre [7] l’ont défini dans la loi ; la majorité des États membres le considèrent comme un problème lié à la protection des consommateurs vulnérables ou l’associent à la pauvreté et une partie d’entre eux ne le reconnaît pas en tant que champ spécifique (Pye 2015 [8]). Les différents milieux académiques, associatifs et politiques utilisent parfois indistinctement les notions de pauvreté énergétique ou de précarité énergétique qui ont en commun d’être une forme de privation d’une ressource ayant un effet négatif sur la vie quotidienne des ménages.

5Initialement les experts ont retenu trois principales raisons de fragilisation des ménages en matière de consommation énergétique. Elles ont été appréhendées dans le cadre du triptyque qui relie faiblesse de revenus, mauvaise qualité thermique des logements et hausse des prix de l’énergie [9]. Ces trois critères agrégés conduiraient les ménages les plus modestes à dédier plus de 10 % de leur revenu aux dépenses énergétiques pour atteindre un niveau de confort thermique adéquat [10]. Dans un certain nombre de cas, un tel taux d’effort énergétique peut contraindre les individus à se priver d’énergie, soit parce qu’ils ne peuvent pas régler les factures et ont subi une coupure, soit parce qu’ils pratiquent l’auto-restriction et la sous-consommation, soit parce qu’ils doivent arbitrer entre différentes priorités de dépenses au détriment de l’énergie. Cette approche par le triptyque fait consensus parmi les experts. Toutefois, au cours du temps se sont ajoutées d’autres considérations qui influencent la propension d’un ménage ou d’un individu à être confronté à des difficultés liées à l’énergie et qui complexifient d’autant le débat. Il s’agit de circonstances tant internes qu’externes qui s’ajoutent au triptyque traditionnel et obligent à repenser la notion de manque d’énergie. Les premières sont personnelles et renvoient à la situation initiale des ménages, à leurs caractéristiques socio démographiques, à leurs pratiques de consommation et à leurs besoins, à l’efficacité énergétique de l’équipement et de l’habitat etc. Les secondes caractéristiques sont, elles, structurelles et font référence à l’histoire longue des pays en matière de régulation, d’organisation du secteur, de disponibilité des réseaux, de conditions géographiques et météorologiques, de mode de fixation des prix, de système de protection sociale, de la qualité et flexibilité de l’approvisionnement, du cadre institutionnel et socio-technique etc. L’agrégation de ces différents facteurs explique pourquoi la pauvreté énergétique dépend de conditions particulières et recouvre des réalités socio-spatiales distinctes, en termes de besoins et d’usages (Bouzarovski [11] et al. 2014, 2015, Li et al. 2014). La pauvreté énergétique se pose ainsi en termes différents dans les pays du Nord, de l’Est et du Sud de l’Europe dans la mesure où ils présentent des profils énergétiques nationaux, des infrastructures, une organisation du secteur ainsi que des besoins et des pratiques de consommation singuliers. Si la reconnaissance du concept de précarité/pauvreté énergétique sur la base de la définition initiale a permis sa mise à l’agenda et son institutionnalisation dans un certain nombre de pays, il est aujourd’hui amené à évoluer pour mieux rendre compte d’un processus complexe et dynamique.

…à la reconnaissance d’un phénomène dynamique

6Jusqu’à présent le terme de pauvreté ou de précarité énergétique a cherché à identifier des situations de déficience de chauffage [12]. Or l’approche par le seul critère du chauffage se révèle insuffisante pour rendre compte de la diversité des situations de pauvreté énergétique dans les régions européennes où les besoins en matière de chauffage varient selon de multiples critères. De surcroît, les connaissances accumulées depuis plus de deux décennies ont montré que la pauvreté énergétique était un phénomène plus dynamique que ne le laissait penser la définition retenue par la loi britannique en 2000. Comme nous l’avons précisé plus haut, il existe des circonstances individuelles, mais également politiques, institutionnelles, infrastructurelles, économiques, légales ou sociales qui peuvent contribuer à aggraver ou réduire le risque de privation énergétique. Un changement de législation dans la protection des consommateurs ou dans la protection sociale, une décision tarifaire, un choix de politique énergétique, une perte d’emploi ou un retour à l’emploi sont susceptibles d’influencer la situation des ménages face à l’énergie. C’est pourquoi de plus en plus de travaux recourent à d’autres concepts qui tentent de mieux cerner le caractère multidimensionnel et dynamique du phénomène. Bouzarovski et Petrova (2015) utilisent le concept de « pauvreté de services énergétiques » ou encore de « vulnérabilité énergétique » (Bouzarovski et al. 2014, 2015, Hall et al. 2013, Middlemiss et al. 2015). L’intérêt de l’utilisation du terme de « services énergétiques » est de renvoyer non pas au nombre de kWh consommés mais aux avantages tels que le confort, le bien-être ou la santé que fournit la consommation d’énergie (Sovacool 2011). Quant à la vulnérabilité énergétique, elle définit le risque auquel font face certains ménages de ne pas atteindre le niveau adéquat de services énergétiques à la base d’un « fonctionnement normal[13] » du logement et de la participation aux activités sociales, politiques et économiques (Bouzarovski et al. 2014).

7Ces nouveaux concepts permettent ainsi de dépasser la classification traditionnelle en groupes sociaux vulnérables car ils recouvrent des situations qui vont au-delà de la vulnérabilité structurelle souvent attachée à la seule pauvreté monétaire. En effet, ils incluent également les formes de vulnérabilité conjoncturelles liées aux accidents de la vie. Ces débats, loin d’être contradictoires, s’accordent sur un élément essentiel : la privation de services énergétiques empêche les individus de bénéficier de conditions de vie décentes et de prendre part aux activités de la société. Ils font ainsi apparaître un phénomène en évolution qui est largement dépendant du contexte national, social et individuel. En cela, il reflète l’aggravation des dynamiques de polarisation des sociétés européennes et affecte les fondements de la solidarité nationale. Il conduit peu à peu à se poser la question d’un droit universel à l’énergie sur lequel nous allons revenir.

La difficulté de la mesure de la pauvreté énergétique

8Outre la qualification, la mesure quantitative du phénomène représente un deuxième axe de débat. Les offices statistiques nationaux sont, certes, susceptibles d’appréhender les groupes de revenu, les types de logement et de suivre l’évolution de prix de l’énergie. Mais le croisement de ces informations n’est pas toujours réalisé pour définir la catégorie des précaires énergétiques. Seuls quelques pays présentent de telles données. C’est le cas du Royaume Uni, de l’Irlande ou de la France. Mais il est certain que le caractère multidimensionnel et dynamique de la privation d’énergie, exposé plus haut, rend la quantification du problème particulièrement difficile. En effet, comment les appareils statistiques peuvent-ils prétendre quantifier les effets des régulations, de l’organisation du secteur énergétique ? Comment peuvent-ils prétendre établir une catégorie susceptible de prendre en compte la diversité des situations initiales des ménages ? Actuellement, les appareils statistiques nationaux capturent des profils reposant essentiellement sur des indicateurs fondés sur les dépenses et/ou les revenus ou bien sur des enquêtes auprès des ménages. Les données retenues donnent une image du problème et influencent ainsi sa compréhension (Fahmy et al. 2011). Or, les statistiques sont également des outils utilisés pour servir et justifier les objectifs d’interventions des gouvernements nationaux. En cela, elles tendent à être simplificatrices et à réduire des situations complexes à des groupes sociaux facilement identifiables pour construire l’action publique.

9La fragmentation des données à l’échelle nationale a, par ailleurs, empêché le développement d’indicateurs harmonisés au niveau européen. À défaut de définition européenne de la pauvreté énergétique, aucun critère commun standardisé n’a été construit pour mesurer le phénomène. Eurostat [14] n’utilise que des indicateurs indirects (proxy indicators) à partir des études sur les conditions de vie en Europe (EU-SILC) [15]. Ces dernières fournissent des données sur la pauvreté, l’exclusion sociale, les arriérés de factures, l’incapacité à chauffer ou encore des données sur le logement. Mais aucune donnée directe sur la pauvreté énergétique n’est établie. Par conséquent les statistiques européennes n’autorisent aucune comparaison européenne de la pauvreté énergétique. D’autres études européennes ont croisé les données sur l’incapacité des ménages européens à chauffer leur logement de manière adéquate avec le nombre de ménages à faibles revenus (Thomson et Snell 2014, EPEE 2009 [16]). Elles donnent ainsi un aperçu du lien entre revenus et qualité du logement mais ne donnent qu’une vision partielle du phénomène de privation énergétique. Les travaux se poursuivent au niveau européen en vue d’améliorer les standards de mesure (voir Harrison 2015). Pourtant, bien que les méthodes et les indicateurs diffèrent, les recherches aboutissent à un constat identique : la privation de services énergétiques affecte une partie croissante de la population en Europe. En 2010, 52,1 millions de ménages dans l’UE 27 rencontraient des difficultés pour atteindre un niveau de confort thermique, payer leurs factures et vivre dans des maisons saines (Thomson 2015). En 2012, selon l’étude du consortium INSIGHT_E 54 millions de ménages étaient touchés par ces difficultés (Pye et al. 2015). Ces chiffres dissimulent par ailleurs de fortes disparités sociales et spatiales. Certains groupes sociaux, tels que les personnes âgées, les familles nombreuses avec jeunes enfants, les familles monoparentales, les personnes malades et handicapées, sont particulièrement vulnérables. Bouzarovski a également montré que la pauvreté énergétique était devenue un phénomène prégnant dans les pays du Sud et de l’Est de l’Europe (Bouzarovski et al. 2014). Aussi l’exclusion de près d’un Européen sur sept (dans l’UE à 27) d’un niveau de consommation énergétique adéquat contribue à questionner les fondements de la solidarité européenne (Derdevet 2013).

Les conséquences individuelles et collectives

10Une autre dimension du débat concerne les conséquences que la privation d’énergie entraîne sur l’individu et sur la vie en collectivité qui sont, elles aussi, difficilement mesurables. La privation de services énergétiques conduit d’abord au non-respect des standards minimums permettant une vie décente (ne pas avoir froid, chaud, manger froid, chaud, ne pas vivre dans le noir etc.). Elle affecte ensuite l’activité professionnelle, l’éducation, la santé physique et mentale etc. et peut produire une dévalorisation de sa propre image, une perte de dignité, un sentiment d’exclusion et de stigmatisation. En outre, elle génère des conséquences sur le « vivre ensemble », dans la mesure où elle peut être à l’origine de conflits familiaux, d’une détérioration des relations sociales et d’une rupture du lien familial, amical, communautaire et social, voire d’un renoncement à la vie sociale (Middelmiss et al. 2015). Par ailleurs, une situation de débranchement ou de consommation partielle et lacunaire, en ne permettant pas d’atteindre les standards décents de bien-être, peut aboutir à des stratégies de « sociabilité d’adaptation » qui visent à dissimuler ou à compenser l’absence d’électricité et/ou de chauffage (Jaglin 2004 [17]). Elles peuvent renforcer les arbitrages et les frustrations qui en résultent, ou bien provoquer une mobilisation de réseaux familiaux, communautaires et de voisinage sous la forme d’une sociabilité d’entraide et de la solidarité pour pallier l’absence partielle ou totale d’électricité et/ou de chauffage (Middelmiss et al. 2015). Enfin la sous-consommation contrainte d’énergie se traduit par des manifestations individuelles et collectives qui peuvent conduire à l’exclusion sociale. Elle participe également de la montée d’un mécontentement des citoyens et peut générer des comportements de vote négatifs à l’encontre des partis traditionnels qui s’avèrent incapables d’apporter les solutions attendues. Les conséquences de la privation d’énergie sur le comportement social et politique des ménages ne sont certes pas mesurées quantitativement. Mais elles contribuent à la persistance voire à l’aggravation des inégalités sociales et mettent en question le respect des principes d’équité et de justice énergétique.

11Plus généralement, la gravité des impacts individuels et collectifs de la pauvreté énergétique tend à marquer la fin des valeurs d’universalité et de solidarité qui ont prévalu lorsque l’énergie était encore considérée comme un service public. Il semble donc légitime de s’interroger pour savoir si un droit à l’énergie pourrait être le garant de telles valeurs.

II – Les principes de « justice énergétique »

12Avant d’envisager un droit à l’énergie, encore faut-il définir ce que recouvrent les principes de justice énergétique. Même si l’Europe se caractérise par un accès physique à l’énergie (accessibility), quasiment universel, des situations de non connexion ne sont pourtant pas rares. Dans les cas extrêmes il peut s’agir de privation totale d’énergie en raison d’une absence de réseaux [18]. C’est le cas dans certains territoires éloignés des réseaux de gaz par exemple ou pour certains groupes de population, à l’instar des communautés Rom qui n’ont accès ni à l’électricité ni au gaz. Les cas les plus fréquents concernent toutefois l’interruption temporaire de fourniture pour cause d’arriérés et d’insuffisance de moyens financiers pour s’acquitter de la facture (affordability). Ces phénomènes conduisent à mettre en cause les principes d’universalité de l’énergie. La question de l’équité en matière énergétique ouvre sur celle des principes de justice énergétique. Retenons en quatre : la qualification des besoins et l’adaptation entre besoins et services énergétiques (Simcock, Walker 2014), l’approche par les « capabilities[19] » (Day 2015), la forme redistributive de la justice énergétique (Day, Walker 2012, Sovacool and Dworkin 2015), ou encore « la forme procédurale » de « l’égalité des droits » (Chevallier 2012 : 71, Day, Walker 2012, Walker 2015).

Adéquation entre besoins et services énergétiques

13Deux questions illustrent la difficulté à déterminer clairement les principes de justice énergétique : quelle est la conception des besoins essentiels ou minimums susceptibles de permettre aux individus d’obtenir des conditions de vie acceptables ? Qui est légitime pour exprimer cette norme ? Répondre à cette double question représente un enjeu de taille qui se heurte au fait même que l’énergie (hydraulique, solaire, éolienne, thermique, nucléaire etc.) n’est pas une fin en soi mais un construit social. Contrairement à l’eau qui répond à un besoin vital, l’énergie est utilisée pour ce qu’elle permet de réaliser, pour couvrir un certain nombre d’usages et de fonctions quotidiennes [20] (Haas et al. 2008). En soi l’accès physique ne suffit pas si finalement un individu ne peut se permettre de consommer l’énergie pour satisfaire ses divers besoins (se chauffer, cuisiner etc.). Or ces derniers dépendent de multiples facteurs culturels, individuels et systémiques qui rendent leur définition particulièrement complexe.

14En effet, les besoins sont d’abord ancrés dans des normes culturelles, des pratiques sociales et une temporalité données qui contribuent à déterminer des standards minimums considérés comme légitimes (Simcock, Day, Walker, 2014). Aujourd’hui il apparaît par exemple essentiel à un ménage européen de disposer d’un lave-linge ou encore d’un téléphone. Ce n’était pas le cas il y a 60 ans et ce n’est pas le cas aujourd’hui encore dans de nombreux pays. Au fil du temps, un certain niveau d’équipement des ménages en appareils électroménagers et électroniques est devenu une norme sociale de fait. Ces normes peuvent également être définies par des institutions extérieures dans un processus descendant. C’est le cas par exemple des recommandations des niveaux de températures minimales produites par l’Organisation Mondiale de la Santé en 1985. Cette dernière estime qu’en dessous d’une certaine température intérieure, un risque pour la santé existe. Elles ont été reprises et adaptées au niveau national en fonction des conditions météorologiques et de la qualité du parc immobilier [21]. C’est à l’aune de telles normes, établies par l’évolution technologique ou par les institutions, que les besoins non couverts en cas de pauvreté énergétique peuvent être appréhendés.

15Le niveau des besoins est en outre conditionné par les situations personnelles. Il détermine « le niveau biologique mais également subjectif à partir duquel un individu n’est plus ou ne se sent plus en capacité de conduire sa vie quotidienne » (Buzar 2007). Il s’agit donc autant de besoins ressentis en fonction de l’âge, de l’activité, de la santé etc. que de besoins liés à la situation individuelle des ménages. Ces facteurs, qualifiés plus haut d’internes, rendent les consommateurs inégaux face à la demande de consommation. Ainsi une personne âgée et malade, vivant seul, dans une maison individuelle en milieu rural n’aura pas les mêmes besoins en termes de chaleur qu’une personne active, jeune, en bonne santé vivant dans un appartement en ville. Cette conception individuelle de la demande énergétique des ménages tend à remettre en question la définition purement normative des besoins.

16Enfin, des facteurs systémiques, tels que les arrangements institutionnels et politiques qui sous-tendent l’organisation du secteur, la permanence des systèmes socio-techniques ou encore les relations entreprises – pouvoirs publics – consommateurs sont d’autres éléments qui influencent les niveaux de besoins et la capacité du système énergétique à les satisfaire.

17Dans ces conditions comment appréhender finement les besoins afin d’adapter au mieux la fourniture de services énergétiques et permettre une couverture plus équitable des besoins ? À quels besoins la privation d’énergie ne répond-elle pas ? S’agit-il de besoins considérés comme vitaux pour la survie de l’individu ? Ou encore essentiels pour son bien-être ? Ou souhaitables pour son confort ? Peu de réponses concrètes ont été apportées à ce jour. Certes, dans le cadre de la libéralisation des marchés d’électricité et du gaz en Europe, la Commission européenne a défini le concept de service universel comme « un service de qualité, qui doit être fourni dans chacun des États membres à un prix raisonnable pour l’ensemble des utilisateurs et à des conditions d’accès non discriminatoires » (Chevallier 2012 :83). Ce faisant, elle encadre la fourniture de services mais ne dit rien de l’adéquation entre services et besoins. On l’a vu la notion de « besoin » est complexe à appréhender dans le cadre d’un modèle normatif descendant. Une solution proposée par Simcock, Day et Walker consiste à la définir dans le cadre d’un processus participatif impliquant les ménages [22]. Faire débattre démocratiquement les individus sur leurs besoins dans le cadre de panels permet d’expliciter finement la norme sociale minimale acceptable et juste pour atteindre des conditions de vie considérées comme décentes dans un espace et un temps donnés.

L’approche par les « capabilities »

18Si l’on admet que l’énergie est un instrument qui satisfait des besoins quotidiens [23], favorisant l’inclusion sociale et démocratique des individus dans la société, alors le cadre théorique des « capabilities[24] » peut être un moyen d’appréhender la notion de besoin et de justice énergétiques sous un nouvel angle.

19Les « capabilities » peuvent être définies comme la capacité des individus à vivre, à agir et à se développer dans leur environnement. Or elles ne peuvent se déployer en l’absence d’un certain nombre de conditions. L’énergie en fait partie. Le reconnaître, c’est admettre que l’énergie participe de la réalisation des capacités individuelles et appelle de ce fait, un changement de paradigme qui considère l’énergie non plus comme un simple bien marchand, mais comme un service essentiel au développement démocratique, social et individuel. Rosie Day (2015) insiste ainsi sur le fait que le concept de pauvreté énergétique peut être revisité à l’aune de la théorie développée par A. Sen (2010) et M. Nussbaum (2011). Dans ce cadre, la pauvreté énergétique renvoie à une « incapacité pour un individu de réaliser les « capabilities » essentielles, incapacité causée indirectement ou directement par un accès insuffisant à des services énergétiques abordables, fiables et sûrs » (Day, 2015 [25]). Selon cette définition, ce sont moins les besoins en énergie qui doivent être définis que les capacités (capabilities) individuelles ; et c’est la non-satisfaction de ces capacités en raison d’une inadaptation des services énergétiques qui devient le cœur de la problématique de justice et non plus l’énergie en soi. Ce cadre théorique permet de tenir compte des circonstances et des besoins individuels enracinés dans leur dimension culturelle et sociale. Les réponses apportées par le secteur énergétique ne servent plus seulement à garantir l’égalité d’accès à l’énergie mais plutôt l’égalité des possibilités de chacun d’accomplir diverses fonctions simples ou complexes au quotidien. Il s’agit d’un déplacement théorique important des représentations de la pauvreté énergétique mais également du concept de justice distributive. En effet, la redistribution des revenus n’est pas le seul moyen de lutter contre les inégalités qui peuvent avoir d’autres origines, telles que le sexe, l’âge, l’environnement etc. (Day 2015). Aussi intéressante que soit cette approche, personne n’est en mesure aujourd’hui de dire si elle permet de mieux définir les politiques publiques.

Les trois composantes de la justice

20Sovacool et Dworkin (2015 : 436) définissent la justice énergétique (energy justice) comme « a global energy system that fairly disseminates both the benefits and costs of energy services and one that has representative and impartial energy decision-making ». Selon Hall, Hards et Bulkely « l’idée de justice énergétique est construite historiquement, géographiquement et matériellement » (2013 : 416). L’approche par la justice énergétique permet de montrer que la pauvreté énergétique n’est plus seulement un problème individuel mais s’inscrit dans des « systèmes énergétiques globaux » comme le précisent Sovacool et Dworkin. L’une des hypothèses qu’ils émettent consiste à dire que le non respect des trois dimensions de la justice énergétique que sont la reconnaissance du phénomène, la justice distributive, la justice procédurale, conduit à des formes de marginalisation et de discrimination (p. 435).

21Analysée à l’aune de la pauvreté énergétique, la justice énergétique insiste, en effet, sur la nécessité de reconnaître (recognition) que la privation d’énergie, dans sa complexité, en fait une forme distincte d’inégalité (Walker, Day 2012). C’est ce qu’ont cherché à faire admettre dès le début des années 1990 les chercheurs britanniques en définissant la précarité énergétique comme un problème systémique pour mieux sensibiliser l’opinion publique et les décideurs politiques à l’émergence de cette nouvelle forme d’injustice (Boardman 1991, Bouzarovski et al. 2014). Ils ont montré que des groupes sociaux présentaient des vulnérabilités spécifiques qui les empêchaient d’atteindre un niveau de bien-être acceptable. Les statistiques sur les décès prématurés l’hiver ont ainsi été utilisées pour révéler l’inégale répartition de l’accès à un service énergétique essentiel, comme le chauffage. Elles ont permis d’alerter sur un problème qui interroge la cohésion de la société britannique. Tous les pays européens ne se sont pas encore lancés dans une démarche de reconnaissance de l’existence du problème.

22Une autre dimension de la justice énergétique renvoie à la justice distributive (Walker, Day 2012, Sovacool, Dworkin 2015). Elle envisage une meilleure répartition des revenus et de l’accès aux services énergétiques. La distribution équitable d’un bien essentiel, l’énergie, permet de garantir des conditions de vie décentes au plus grand nombre (distributive justice). L’équité dans l’accès (accessibility) et la consommation de l’énergie (affordability) devient un enjeu de redistribution à long terme pour assurer la satisfaction des besoins élémentaires de chacun à un coût abordable et garantir l’égalité des chances. Pour autant, la seule politique de redistribution des revenus n’est pas suffisante pour lutter contre ces inégalités, comme tend à le montrer l’approche par les « capabilities ». C’est pourtant à cette composante de la justice distributive que s’adresse l’essentiel de l’intervention des pouvoirs publics. Nous y reviendrons dans la partie suivante.

23Enfin la justice énergétique fait référence à la forme procédurale de l’égalité des droits. Elle se traduit par la capacité des précaires énergétiques à faire valoir leurs droits à être protégés, à se faire entendre et à s’organiser pour faire reconnaître leurs intérêts particuliers (procedural justice). Au niveau des États membres, seuls les droits d’une catégorie de consommateurs définis comme vulnérables sont encadrés [26] (Pye 2015). Outre Manche, l’institutionnalisation de la « fuel poverty » dans la loi « Warm Homes and Energy Conservation » de 2000 a constitué une étape primordiale pour donner une force légale à la reconnaissance de l’inégalité d’accès à l’énergie et à la nécessité de combattre la précarité énergétique. Pour autant la démocratisation des processus de prise de décision et le recours aux mécanismes juridiques restent limités (Walker, Day 2012). La construction du marché de l’énergie, les modes de régulation ainsi que les relations de défiance entre fournisseurs et consommateurs britanniques représentent une limite importante à la justice procédurale Outre Manche.

24S’interroger sur la justice énergétique, c’est donc aussi envisager la manière de gérer collectivement et solidairement les inégalités pour éviter le risque de fragmentation sociale et « d’invisibilisation » croissante des populations privées d’énergie (Graham, Marvin 2001 : 302). Face aux défaillances du marché à garantir cette équité, les pouvoirs publics ont été conduits à intervenir. La question est de savoir s’ils y sont mieux parvenus.

III – Les interventions publiques pour une meilleure justice énergétique ?

25Lorsqu’un gouvernement reconnaît la précarité énergétique en tant que champ de l’action publique, à l’instar du Royaume Uni, de l’Irlande ou de la France, il tente d’agir sur les trois facteurs qu’il considère être à l’origine du problème : les revenus faibles, un logement énergivore et des prix élevés de l’énergie. Ce faisant, les autorités publiques mobilisent en général trois moyens d’action : la politique sociale pour soutenir les niveaux de revenu ; la politique du logement et du climat pour améliorer l’efficacité énergétique de l’habitat et la régulation pour encadrer les pratiques des entreprises et les modalités de fixation des prix de l’énergie. Cependant analysés à l’aune de la justice énergétique, ces modes d’action sectoriels qui sont rarement coordonnés entre eux, permettent, certes, d’atténuer les inégalités, mais ne les éradiquent pas pour autant.

26Les politiques de redistribution sociale sont largement utilisées en Europe pour compenser la faiblesse des revenus et aider les ménages à payer leurs dépenses en général. Mais elles ne s’adressent pas spécifiquement à la catégorie des précaires énergétiques. Pour cette raison, la politique sociale n’apparaît pas comme un moyen spécifique de lutter contre la pauvreté énergétique mais comme un moyen de combattre les inégalités de revenus en tout genre. Elle vise des populations à faibles revenus identifiées par les appareils statistiques existants. Or, d’une part ces catégories sociales ne correspondent pas automatiquement aux précaires énergétiques dans la mesure où d’autres facteurs contribuent à la privation d’énergie. D’autre part, si l’on tient compte de l’effet ciseau entre stagnation des salaires moyens et hausse des prix de l’énergie, d’autres groupes de revenus, tels que les travailleurs pauvres, peuvent être touchés par la précarité énergétique sans toutefois bénéficier de la politique sociale (Boardman 2010). Par conséquent, les interventions financières amortissent les difficultés financières à court terme mais sans régler les problèmes structurels de la pauvreté énergétique ni répondre à l’enjeu des « capabilities » évoqué par Rosie Day.

27La mobilisation des programmes de rénovation thermique constitue un deuxième volet de l’action des acteurs centraux britanniques, irlandais et français. Ces mesures s’adressent en général à l’ensemble des ménages. Mais les trois pays ont mis en place des mesures dédiées aux ménages les plus modestes qui vivent dans des « passoires thermiques[27] ». Ce faisant, les programmes de rénovation thermique tentent de réduire durablement la demande d’énergie des ménages et de les protéger contre de futures hausses des prix [28]. Ils visent également à responsabiliser et sensibiliser les consommateurs aux économies d’énergie. Cette politique comporte ainsi un volet redistributif et préventif. Il permet de lutter contre les inégalités et participe de la justice énergétique. Pourtant depuis 2010 en Angleterre ces mesures marquent le pas. Dans ce pays, le gouvernement Cameron a intégré les politiques d’efficacité énergétique à destination des plus démunis aux obligations sociales des fournisseurs [29], conduisant à un désengagement de l’État de la lutte contre les inégalités en matière énergétique. Or, les entreprises tendent à recourir à des critères d’efficacité plutôt que de solidarité pour mettre en œuvre ces mesures. Ce faisant elles risquent de renforcer un traitement inégal de la vulnérabilité énergétique et de favoriser les catégories plus facilement identifiables au détriment des populations moins visibles.

28Enfin un troisième moyen d’action des gouvernements repose sur la régulation afin d’éviter la manipulation du marché par les entreprises et de protéger les consommateurs (Newberry 2002). La régulation permet ainsi d’encadrer les pratiques commerciales abusives, de réglementer la structure tarifaire, de vérifier l’adéquation des prix aux conditions des marchés, ou encore d’inciter les consommateurs à faire jouer la concurrence pour obtenir de meilleurs tarifs. Au Royaume-Uni, le régulateur peut également imposer des conditions de licence aux entreprises qui incluent des mesures complémentaires de protection des consommateurs vulnérables ou encore certaines obligations sociales (Pollitt 2012). Parmi ces dernières, on compte diverses formes de ristournes ou de tarif social, des réductions de puissance en cas de non-paiement, d’installation de compteur à pré-paiement. Si ces politiques peuvent comporter un effet redistributif, elles peuvent avoir des conséquences indésirables, qui, loin de combler les inégalités, risquent au contraire de les creuser. En effet, en imposant des tarifs « spéciaux », la régulation du système tarifaire tend à produire un système de fourniture d’énergie à deux vitesses qui risque de stigmatiser une partie de la population (Tews 2011). C’est particulièrement le cas des compteurs à pré-paiement qui contraignent les ménages à payer avant d’avoir consommé contrairement à la règle qui prévaut pour tous les autres consommateurs. Par ailleurs, le financement de ces actions qui reposent non sur l’impôt mais sur une taxe prélevée sur l’ensemble des factures, comporte un caractère régressif qui pèse sur les plus modestes et accentue l’iniquité énergétique.

29Pour conclure, les gouvernements s’appuient sur des instruments connus et éprouvés pour lesquels domine la pensée par « silo » alors que le caractère multidimensionnel de la pauvreté énergétique requiert une approche plus cohérente, mieux coordonnée et transversale (Bouzarovski et al. 2012). C’est l’une des raisons qui explique pourquoi les dispositifs mis en œuvre ne font qu’atténuer les effets des hausses de prix sans régler les inégalités en matière d’énergie. On peut donc se demander si un droit à l’énergie permettrait de promouvoir un traitement plus égal des consommateurs.

IV – L’émergence d’un droit à l’énergie ?

30On l’a vu, le contexte de la lutte contre l’injustice énergétique est complexe. L’application des principes de justice pour garantir l’accès à l’énergie à tous se heurte d’abord au caractère multiforme des vulnérabilités énergétiques et à la difficulté d’en appréhender précisément les contours. Elle est également confrontée à la difficulté de déterminer les types de besoins qui doivent être couverts. De surcroît, la transformation du service public de l’énergie en un bien marchand a éclipsé les valeurs universelles et solidaires attachées à l’intervention de l’État pour promouvoir l’égalité d’accès à l’énergie. La priorité à la libéralisation et à la privatisation a relégué les pouvoirs publics dans un rôle de régulateur et d’amortisseur social des effets négatifs du marché. Cette dynamique a également eu pour corollaire le transfert d’une partie de la solidarité publique vers les organisations de la société civile. Si la combinaison des actions privées, publiques et civiles atténue les inégalités, elle ne les comble pas pour autant. On voit en effet apparaître au niveau européen une tendance structurelle à la hausse du nombre de pauvres énergétiques. Dans ces circonstances, l’énoncé d’un droit à l’énergie permettrait-il de consolider la forme procédurale de la justice énergétique ?

31L’accès aux services comme l’électricité, l’eau et l’assainissement est reconnu comme étant de première nécessité par de nombreuses organisations nationales et internationales. La France par exemple reconnaît même le droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit, même si son application reste partielle (loi sur l’eau de 2006). Pour autant l’accès à l’énergie ne constitue pas un droit, et encore moins un droit opposable. L’absence d’un droit à l’énergie dans deux textes centraux est symptomatique de la difficulté d’énoncer un tel droit. Le premier concerne la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui, dans son article 25, établit le droit à un « niveau de vie suffisant pour assurer pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires […] ». Mais le volet énergétique n’est pas spécifié. Le second renvoie à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne dont l’article 36 reconnaît l’accès aux services d’intérêt économique général. Mais elle ne mentionne pas non plus spécifiquement un droit garantissant l’accès à l’énergie (Derdevet 2013). Selon Gordon Walker, la nature complexe de l’énergie, ses multiples usages, sa relation au bien-être et aux capacités (capabilities) individuelles et son inscription dans le marché rendent l’expression d’un droit à l’énergie particulièrement délicat. Elle se heurte en outre à diverses tensions. Premier paradoxe : un droit à l’énergie pour tous, s’il est appliqué, risque de se traduire par une augmentation de la demande alors que la lutte contre le changement climatique requiert la réduction de la consommation. Second paradoxe : un droit à l’énergie appelle un rôle accru des institutions et de l’État alors que le secteur dépend largement des conditions du marché dont les acteurs n’ont qu’un intérêt relatif à la promotion de la solidarité. Fort de ces constats et de ces paradoxes, comment penser un droit à l’énergie ?

32Cette question renvoie à de multiples interrogations concernant la catégorie du droit qu’il convient d’envisager et les besoins qu’il est censé couvrir.

33Un droit à l’énergie soulève la question en effet du type de besoins qu’il pourrait recouvrir. S’agit-il d’un droit qui permettrait de couvrir les besoins « vitaux », « essentiels » ou « normatifs » qui reflètent des normes de consommation contemporaines ? Or ces normes évoluent. Elles influencent la nature des besoins sur différentes échelles temporelles et spatiales et pour des groupes sociaux différents. Comment un droit à l’énergie peut-il être conçu pour s’adapter à de telles évolutions ?

34La privation d’énergie constituant l’une des dimensions du mal logement au même titre que l’accès à l’eau, l’énergie doit-elle faire l’objet d’un droit à part entière ou être intégrée dans un droit au logement décent ? Or, on le voit dans les pays – comme la France – qui ont introduit un droit au logement opposable, ce dernier est souvent bafoué. On peut alors s’interroger sur la capacité des institutions à le faire respecter et sur les mesures qu’il conviendrait de prendre en cas d’introduction d’un droit à l’énergie.

35Si un nouveau droit à l’énergie émerge, il convient d’envisager la forme du droit concerné. S’agit-il en effet d’un droit à l’énergie ou d’un droit aux services énergétiques ? Doit-on le considérer sous l’angle d’un droit d’accès ou celui d’un droit d’usage ? Comme on l’a vu garantir l’accès sans garantir la possibilité de consommer ne règle en rien le risque pour certains ménages de ne pas atteindre un niveau de services énergétiques adaptés à leurs besoins. Dans ce cas, un droit à l’énergie doit-il être pensé comme un droit universel, comme un droit fondamental des citoyens ou comme un droit social ? Stephen Tully souligne que la perspective des droits humains fondamentaux peut être pertinente pour garantir l’accès universel à l’énergie, et à l’électricité en particulier, qui est une condition essentielle au développement et à la réalisation d’autres droits (Tully 2006). Pour autant, comment prendre en compte des besoins en énergie qui sont contingents et ancrés dans des pratiques sociales et individuelles dans un espace et dans un temps donnés ? Autant de questions qui méritent d’être approfondies quand on pense la justice énergétique en lien avec l’introduction d’un nouveau droit.

36Enfin, une multiplication du nombre de droits semble faire du discours actuel [30] sur l’introduction d’un nouveau droit à l’énergie un outil de revendication politique qui sert notamment à faire avancer la prise de conscience sur les vulnérabilités énergétiques (Walker 2015). Sa portée est autant philosophique, politique que symbolique. Cependant, cette demande, pour importante et structurante qu’elle soit, reste ambiguë. Sur un grand nombre d’aspects elle reste muette : sur les besoins qui doivent être pris en compte ; sur les institutions qui devront être mises en place pour le faire respecter, sur leur autorité et leurs limites ; sur les sanctions en cas de non-respect, ; sur le rôle des entreprises énergéticiennes ; sur les dispositifs susceptibles de contribuer de manière pragmatique à garantir ce droit ; enfin, sur les modalités de leurs financements. La liste des incertitudes est longue.

37Nul doute cependant que, l’introduction d’un droit à l’énergie ou aux services énergétiques pourrait contribuer à renforcer l’égalité de traitement des consommateurs et à dépasser les approches souvent stigmatisantes des politiques mises en œuvre en Europe. Elle pourrait permettre de placer la justice énergétique au centre des questions d’équité, et d’inclusion sociale et démocratique.

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Notes

  • [1]
    Une définition de ce concept a été proposée en 1991 par la chercheuse britannique Brenda Boardman. Elle définit notamment l’incapacité financière des ménages à se chauffer (Boardman 1991).
  • [2]
    Ce terme était en vigueur dans les années 2000 dans les services d’EDF en France (EDF 2002).
  • [3]
    Le problème social est reconnu par les académiques depuis 1975. La reconnaissance politique a été plus lente. Toutefois dès 1977, le gouvernement britannique s’est saisi du problème d’inefficacité énergétique des logements en introduisant des mesures de rénovation thermique (Boardman 2010).
  • [4]
    Cette affirmation mérite d’être nuancée. En effet, si l’on considère les trajectoires des pays d’Europe centrale et orientale, l’apparition de la pauvreté énergétique est étroitement liée aux transformations libérales des années quatre-vingt-dix qui ont, entre autres, mis fin au système de subventions des prix de l’énergie alors que les prix ont augmenté, que les revenus ont diminué et que les conditions de marché n’ont pas été clairement définies. Voir Buzar 2007, Bouzarovski et al. 2015.
  • [5]
    Voir l’article de Gordon Walker dans ce numéro.
  • [6]
    Initialement un ménage est dit en précarité énergétique lorsqu’il a besoin de dépenser plus de 10 % de son revenu pour atteindre un niveau de confort adéquat dans son logement. Il s’agit essentiellement de la capacité financière des ménages à régler les factures énergétiques. Le taux d’effort énergétique fixé ne concerne pas les dépenses réelles, mais ce qu’un ménage devrait dépenser pour parvenir à un niveau de confort thermique adapté. (Boardman 1991). Brenda Boardman envisageait la précarité énergétique comme un phénomène dynamique : un ménage peut entrer et sortir de la précarité énergétique. L’institutionnalisation de la définition dans la loi de 2000 n’a pas intégré l’aspect dynamique. Le concept a été révisé par John Hills (2012) pour classer un ménage comme précaire énergétique si les coûts énergétiques requis sont supérieurs à ceux d’un médian national selon une mesure « faibles revenus coûts élevés ».
  • [7]
    Royaume Uni, Irlande, France et Chypre. L’Italie, l’Autriche, Malte et la Slovaquie envisagent d’institutionnaliser une définition de la pauvreté énergétique dans la loi (Pye et al. 2015).
  • [8]
    Voir l’article de Steve Pye dans ce numéro.
  • [9]
    Ce triptyque niveau de revenu, qualité du logement et hausse des prix de l’énergie a été identifié et défini par Brenda Boardman dès le début des années quatre-vingt-dix pour expliquer les causes de la précarité énergétique, le distinguer de la seule pauvreté monétaire et classer ce champ au croisement des politiques sociales, du logement et de l’énergie.
  • [10]
    Voir note 4.
  • [11]
    Voir l’article de Stefan Bouzarovski dans ce numéro.
  • [12]
    Voir note 1. La question d’intégrer la mobilité dans la définition de la pauvreté énergétique est également en débat.
  • [13]
    Un fonctionnement normal du logement concerne la conservation des aliments, leur cuisson, l’éclairage et le chauffage du logement, la climatisation (particulièrement pertinente dans les pays du Sud de l’Europe) ou encore l’accès aux moyens de communication etc. La couverture de l’ensemble de ces besoins permet d’accéder à un niveau de santé, de bien-être, de confort et de participer à la vie de la société.
  • [14]
    Office statistique de l’Union européenne, http://ec.europa.eu/eurostat/web/main/home.
  • [15]
    EU-Statistics on Income and Living Conditions (EU-SILC) est « le cadre de référence d’Eurostat pour la collecte de données en vue de l’établissement de statistiques comparatives sur la répartition des revenus et l’inclusion sociale dans l’Union européenne » depuis 2003. http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Glossary:EU_statistics_on_income_and_living_conditions_%28EU-SILC%29/fr. Ces études ont été précédées depuis 1994 par European Community Household Panel (Bouzarovski, Herrero 2015).
  • [16]
    Voir le projet European fuel Poverty and Energy Efficiency, 2004-2009 https://ec.europa.eu/energy/intelligent/projects/en/projects/epee ; ou encore http://www.bpie.eu/.
  • [17]
    Sylvy Jaglin analysait cet aspect dans le contexte sud-américain, mais ce constat semble être également pertinent dans la situation européenne de déconnexion.
  • [18]
    Une absence de réseau de gaz ou d’électricité (dans des cas particuliers) ou des coupures de gaz ou d’électricité nécessite de recourir à des solutions alternatives souvent plus coûteuses (fioul, bouteille de gaz ou autres), plus polluantes (briquettes de charbon) et qui peuvent comporter des risques d’accident domestiques (éclairage à la bougie par exemple).
  • [19]
    Les « capabilities » – ou capabilités – renvoient à la théorie développée par A. Sen et M. Nussbaum. Ces auteurs défendent non pas l’égalité des moyens mais l’égalité des possibilités donnée à chaque individu pour accomplir divers fonctionnements (functionings). Cette approche implique que chaque individu, en raison de ses caractéristiques personnelles, aura des besoins différents pour réaliser des actions similaires.
  • [20]
    Voir note 7. En effet l’électricité, quelle qu’en soit la source, est utilisée pour les services qu’elle procure, tels que chauffer, s’éclairer ou faire fonctionner des appareils différents.
  • [21]
    Le ministère allemand de l’environnement a par exemple défini en 2005 des fourchettes de températures, plutôt que des limites, et sont légèrement supérieures aux recommandations de l’OMS. Bundesumweltamt, Gesünder wohnen, aber wie, mars 2005, p. 8. La mesure des températures en Angleterre est réalisée dans le cadre de la English House Condition Survey et montre un niveau de température légèrement inférieur aux recommandations de l’OMS (Boardman 2010).
  • [22]
  • [23]
    Voir note 7.
  • [24]
    Les capabilités peuvent se distinguer en deux groupes : les « capabilités élémentaires ou de base », comme conserver la santé, être éduqué et les « capabilités secondaires » telles que laver les vêtements, conserver les aliments, préparer à manger etc. (Day R., 2015).
  • [25]
    Voir l’article de Rosie Day dans ce numéro.
  • [26]
    Tous les États membres à l’exception de la Lettonie ont apporté une définition aux consommateurs vulnérables. Toutefois le contenu et les droits varient. Voir rapport du consortium INSIGHT_E (Pye 2015).
  • [27]
    Il s’agit de logements qui requièrent un niveau de consommation d’énergie important pour atteindre un faible niveau de confort thermique à un coût élevé.
  • [28]
    D’autres programmes concernent parfois le remplacement d’appareils électriques énergivores par de nouveaux appareils présentant des meilleures performances énergétiques.
  • [29]
    C’est le cas du programme ECO (Energy Company Obligation) qui depuis 2012 remplace les deux programmes de rénovation thermique à destination des plus modestes (CESP et CERT).
  • [30]
    De nombreuses associations se sont engagées dans la revendication d’un droit à l’énergie. Citons à titre d’exemple l’ONG Droit à l’Energie SOS Futur, fondée en 2000, qui regroupe 400 organisations dans 68 pays http://www.energiesosfutur.org/.
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