Couverture de EUFOR_353

Article de revue

La vie politique en Europe et dans le monde

Pages 207 à 239

Notes

  • [1]
    Éditions Colin.
  • [2]
    Le Monde, 27 septembre 2009.
  • [3]
    États-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Russie, Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Corée du sud, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie, et… Union européenne.

La fin d’un monde

11989... Cette année-là, la déferlante de la liberté a submergé les pays d’Europe centrale et orientale où, depuis « le partage du monde » à Yalta, les forces soviétiques faisaient la loi dans le cadre du Pacte de Varsovie face à celles de l’Alliance atlantique qui, en assurant la sécurité de l’Europe occidentale, a permis à la « Communauté » dont Jean Monnet et Robert Schuman furent les instigateurs, de voir le jour au début des années cinquante.

2L’an de Grâce 1989 fut aussi celui de l’écrasement des protestataires chinois par l’armée dite « populaire » de Pékin, place Tiananmen, mais également du bicentenaire de la Révolution française. Cependant, 1989 restera, avant tout, pour nous, l’année symbole d’une révolution européenne libératrice dressée contre le maintien du système léniniste institué en 1917 dans l’Empire russe déclinant. Système qui a conduit au totalitarisme et à la dictature stalinienne. Système aussi qui a connu, après la deuxième guerre mondiale, une phase d’expansion sans précédent jusqu’à l’avènement de Mikhaïl Gorbatchev.

3C’est en effet Gorbatchev qui a amorcé la réduction des forces stratégiques en Europe, initiant un accord de désengagement avec les États-Unis mettant fin à l’escalade des euromissiles. C’est lui encore qui a tenté d’instaurer ce qu’il appelait un « État socialiste de droit » en URSS même, et qui a décidé de retirer l’armée soviétique d’Afghanistan où elle avait été engagée par le Kremlin dix années auparavant pour soutenir un coup d’état communiste.

4Pour toutes ces raisons, le « père de la Perestroïka » fut, en son temps, bombardé prix Nobel de la paix. Élevé à la dignité de président du Soviet suprême en 1985, il deviendra chef de l’État soviétique en 1990, donc après la chute du mur de Berlin. Alors qu’il pouvait apparaître au faîte des honneurs, c’est en 1989 qu’il allait amorcer une dégringolade qui finit par provoquer son départ et la chute de l’URSS – matérialisée par l’accord conclu le 8 décembre 1991 entre Russes, Biélorusses et Ukrainiens, dans la forêt de Bielojev, près de Minsk. Accord qui se bornait à constater officiellement la disparition de l’Union soviétique et que toutes les télévisions du monde symboliseront en nous permettant d’assister au retrait du drapeau rouge sur le Kremlin le 25 décembre de la même année.
Mais revenons à l’an de Grâce…

Varsovie, Budapest, Prague

5Le processus de libération s’était amorcé en Pologne dès le 5 avril, à la suite d’un accord de compromis intervenu entre le pouvoir communiste et les syndicalistes de Solidarnosc, en lutte depuis les grèves de Gdansk de 1980 (Gdansk n’étant autre que l’ancienne Dantzig, à l’origine de la deuxième guerre mondiale !).

6Confronté à une terrible crise économique, l’hostilité d’une Église catholique très forte en Pologne et dont le pape Jean-Paul II (alias Karol Wojtyla) était issu, le pouvoir prosoviétique dut reconnaître la liberté syndicale et l’entrée de l’opposition dans un parlement devenu bicaméral. Les élections partiellement libres qui s’étaient déroulées le 4 juin 1989 constituèrent un véritable triomphe pour Solidarnosc qui emporta 99 des 100 sièges du Sénat et les 161 sièges octroyés par les autorités politiques en place à Varsovie, même si celles-ci gardaient le contrôle de 65 % des sièges à pourvoir aux termes d’une loi électorale conçue pour lui permettre, pensaient-elles, d’endiguer le raz de marée Solidarnosc… Mais le syndicat protestataire avait le vent en poupe et la majorité parlementaire subsistante était si artificielle que deux partis satellites des communistes, le parti paysan et le parti libéral, lui firent défaut.

7Du coup, les communistes polonais durent accepter une formule d’« Union nationale » sous l’égide de l’intellectuel catholique Tadeusz Mazowiecki, et finalement, le 29 décembre 1989, le parlement polonais s’est résolu à abolir lui-même le « rôle dirigeant » du parti ouvrier unifié et à supprimer les clauses de la constitution définissant la Pologne comme un « État socialiste et populaire ».

8Parmi les hommes qui ont permis cette extraordinaire mutation, nous retiendrons les noms de Lech Walesa, Adam Michnik, Borislaw Geremek, Joseph Kuron, Tadeusz Mazowiecki, sans oublier, parmi les précurseurs, Andrzej Wajda.

9• En Hongrie, contrairement à ce qui s’est passé en Pologne, le multipartisme a été accepté le 16 juin 1989 à l’initiative du parti communiste (PSOH) lui-même. C’est en effet un gouvernement plus gorbatchévien que Gorbatchev qui a mis en œuvre la libération des contraintes de l’État marxiste-léniniste. Les héritiers d’un pouvoir qui fut rejeté par le peuple hongrois, mais rétabli par l’intervention des chars soviétiques en 1956, ont organisé eux-mêmes la « transition » entre le régime poststalinien de Janos Kadar et la démocratie, avant de décider d’exorciser un passé maudit en organisant le 6 juillet 1989 les obsèques solennelles du héros de la révolte de Budapest, Imre Nagy, en rappelant le slogan de l’époque : « Nous mourrons pour l’Europe et la Hongrie. »

10Dès le 2 mai 1989 d’ailleurs, le démantèlement du rideau de fer séparant la Hongrie de l’Autriche avait été entrepris. On connaît la suite… Les événements se sont précipités avec la rapidité d’une traînée de poudre à partir du 20 août, quand le « Forum démocratique », principal mouvement d’opposition, a organisé un pique-nique pour célébrer le démantèlement du rideau de fer frontière avec l’Autriche, à l’initiative du mouvement paneuropéen de Otto de Habsbourg. Les Allemands de l’Est, en effet, en ont massivement profité pour « filer » à l’Ouest. Ce fut le début d’un exode significatif qui aboutit au cours des semaines suivantes au départ de plus de 100 000 ressortissants de la RDA vers la RFA.

11Le 18 septembre 1989, comme ce fut le cas en Pologne, les partis d’opposition, en accord avec les communistes, décidèrent de modifier la Constitution et d’annoncer des élections libres. Les victimes du stalinisme et de l’insurrection de 1956 reçurent l’assurance d’être indemnisées. Les bâtiments publics furent débarrassés de l’étoile rouge au profit des armoiries de Kossuth. Le 6 octobre, le congrès du PSOH (communiste) décida de brader le « centralisme démocratique », le léninisme et Lénine lui-même dont le statut disparut de Budapest, tandis que le parti abandonnait son « rôle dirigeant » et, au lieu de se séparer le 7 en chantant L’Internationale, les délégués entamèrent l’hymne national Bénis la Hongrie, ô notre Seigneur !

12Dans la foulée, le parlement hongrois décida de modifier la Constitution de 1949 et de dissoudre la milice ouvrière, etc. Finalement, des élections législatives libres permettront de boucler le processus de transformation politique du pays mené avec lucidité et courage au pas de charge, tout à l’honneur de la nation magyare.

13• À Prague, l’ordre totalitaire figé a été abattu pendant l’automne 1989 sur les bords de la Vltava, à partir de manifestations estudiantines brutalement réprimées qui, à leur tour, engendreront des rassemblements de protestataires de plus en plus massifs, réclamant la démocratie, des réformes, des élections libres. La place Wenceslas devint le haut lieu de la contestation au cours de manifestations qui regroupèrent jusqu’à 250 000 personnes. L’homme dont la popularité montait rapidement s’appelait Vaclav Havel, écrivain et dramaturge, cofondateur de la « Charte 1977 », maintes fois emprisonné, notamment pour « hooliganisme », en raison de son action en faveur des droits de l’homme. En novembre, tous les membres de la direction du PC liés à l’écrasement par les blindés soviétiques du Printemps de Prague de 1968 furent exclus du parti ; Prague explosait de joie. On ne savait comment contenir les foules dans ses rues historiques. Plusieurs dizaines de milliers de militants communistes déchirèrent leur carte du parti. La police politique fut dissoute. Les visas de sortie de ce qui était encore la Tchécoslovaquie furent supprimés. Là aussi, le « rôle dirigeant » du parti communiste fixé par la Constitution se trouva aboli.
Le Slovaque Alexander Dubcek, l’homme du Printemps de Prague, devint président de l’Assemblée et Vaclav Havel, candidat de la jeunesse praguoise, entrera au château du Hradcany, qui domine Prague, pour exercer les fonctions de président de la République. L’homme qui a écrit le scénario et mené l’action de la Révolution de velours venait de gagner la partie.
La Tchécoslovaquie nouvelle exigea immédiatement le retrait des forces du Pacte de Varsovie et promulguera une large amnistie. Que de chemin parcouru en quelques semaines, tandis que des événements comparables devaient se produire, avec un décalage parfois de quelques mois, dans les Pays baltes, unis par une chaîne humaine des confins du golfe de Finlande au sud de la Lituanie, ainsi qu’en Bulgarie, en Albanie ; en Roumanie, où un bain de sang ne sera pas évité avec l’exécution sommaire des époux Ceausescu ; en Yougoslavie, où malheureusement l’ébullition nationaliste tournera à la confrontation armée avec l’éclatement de la Fédération titiste au cours des années 1990, endeuillées par des massacres interethniques et de lourdes pertes humaines. C’est dans ce contexte libérateur encore inespéré au début de l’année 1989 que l’événement le plus spectaculaire de cette année-là s’est produit le 9 novembre à Berlin.

La chute du Mur de Berlin

14À cette date, en effet, le « mur de la honte », comme on le désignait, qui partageait l’ancienne capitale du Brandebourg, de la Prusse, du IIe et du IIIe Reich, entre, d’une part, les secteurs militaires américain, britannique et français, et d’autre part, le secteur soviétique où siégeait le gouvernement, a volé en éclats.

15L’été 1989 avait déjà permis de constater la marée montante des gens fuyant la RDA vers la RFA via le Danube, l’ambassade de la République fédérale en Pologne et le Palais Lobkovic à Prague. Ce flux n’avait pas tellement pour cause des raisons liées au niveau de vie, meilleur en Allemagne de l’Est que dans les « pays frères » du bloc soviétique, mais était avant tout la conséquence d’un phénomène de ras-le-bol de plus en plus incompressible à l’égard de l’État, ses pompes et ses œuvres. Le hasard de la vie fit que je me trouvais personnellement à Berlin pour un congrès de l’Association des journalistes européens entre le 23 et le 27 septembre 1989. Étrangement, la ville était encore calme, malgré les signes avant-coureurs d’une explosion qui s’étaient déjà manifestés ici et là et qu’on pressentait dans l’ensemble de l’Allemagne orientale.

16Un jour, les autocars mis à la disposition du congrès nous menèrent dans le Grünewald brillant de tous les ors d’un automne ensoleillé. On nous montra l’enclave de Steinstücken – quelques dizaines de maisons cossues au milieu des bois – totalement isolée par le mur dressé en 1961, mais dépendant de Berlin-Ouest à la suite d’une bizarrerie administrative. Cet isolement dura une dizaine d’années, pendant lesquelles les hélicoptères de l’armée américaine servirent de navette quotidienne aux habitants qui désiraient se rendre dans les zones occidentales pour travailler. On devait aussi, par ce moyen, alimenter les résidents, leur permettre de faire leurs courses, de flâner sur le Kurfürstendamm, de scolariser les enfants, etc. En septembre 1989, un étroit corridor permettait aux véhicules de se rendre à Steinstücken, le mur, les miradors, les chiens policiers à droite et à gauche d’un passage routier. J’éprouvais, je dois le dire, un sentiment de compassion admirative pour des gens qui, des années durant, avaient vécu là dans ces conditions, en me disant aussi que, parfois, dans la vie, l’histoire nous révèle sans crier gare ses étrangetés.

17Mais ce calme berlinois trompeur, qui nous avait été offert comme le dernier reflet d’une période de l’histoire en voie de disparition, s’est estompé très vite. Après les grandes vadrouilles de l’été, autour de l’église de Luther, le peuple s’est rassemblé pour réclamer des réformes. Des rassemblements de plus en plus nombreux ont, en effet, caractérisé le mois d’octobre 1989, notamment à Leipzig et Dresde. Bientôt toute la Saxe se trouva en effervescence. Avec la RDA, nous avions un régime policier par définition… Les 100 000 vopos, les 25 000 préposés de la Stasi (police secrète) matraquaient durement. Quand Gorbatchev vint saluer le gouvernement de la RDA pour célébrer le quarantième anniversaire de celle-ci, des grappes humaines tenues à distance par les policiers firent entendre leur présence en criant « Gorby, Gorby » avant d’être dispersées, comme si « Gorby » était désormais l’ultime recours et détenait seul les clés de leur libération. Gorbatchev ne s’attarda pas à Berlin et les manifestations reprirent de plus en plus amples (120 000 personnes à Leipzig le 16 octobre, mais 300 000 le 23).

18En fait, un miracle s’était produit, la peur s’était évanouie !

19Le Parti commençait à secouer sa lourde carcasse bureaucratique. Omniprésent, il disposait encore, en théorie, de plus de 2 millions d’adhérents pour 17 millions d’habitants. Il animait une coalition de pions pseudo-démocratiques, socialistes à la Rosa Luxembourg, chrétiens, libéraux. Le bloc politique qu’il formait avec ses satellites avait encore obtenu 98,85 % des suffrages exprimés lors des élections municipales de 1989. De plus, la RDA servait de base à la plus forte concentration de troupes soviétiques du centre Europe (19 divisions, 9 000 chars), renforcées par 172 000 hommes de l’armée est-allemande.

20Malgré cette pesanteur écrasante, tout a basculé le 9 novembre quand, cédant à une poussée populaire irrésistible, le mur de Berlin, encore une fois symbole de la rupture de l’Allemagne, de l’Europe et du monde, s’est effondré à la stupéfaction générale. Les Berlinois de l’Est se ruèrent dans Berlin-Ouest pour vivre quelques heures d’allégresse. Le monde entier reçut ces images télévisées poignantes où l’on voyait des jeunes et des moins jeunes, toujours plus nombreux, juchés sur le mur, armés de pioches ou de marteaux, s’attaquant furieusement à ces caillasses qui symbolisaient la fermeture de toute une société.

21L’opposition triomphante, en tête de laquelle le « nouveau forum » exigea, avant tout, l’abrogation de l’article de la Constitution de la RDA en vertu duquel le parti communiste (SED) assurait le rôle dirigeant. Le 1er décembre 1989, ce sera chose faite : la Chambre du peuple, pourtant dominée par les siens et ses obligés, abolira l’article en question, aux termes duquel la RDA était « conduite par la classe ouvrière et son parti marxiste-léniniste ». Quant aux élections libres, elles seront décidées le 8 décembre, étant prévues pour le 6 mai 1990. Les chefs du parti seront déboulonnés les uns après les autres. Certains, comme l’ancien chef de gouvernement Erich Honecker, ou l’ancien ministre de la Sécurité, Willi Stoph, seront incarcérés. La Stasi fut dissoute, de même que la milice du parti qui prit le nom de « parti du socialisme démocratique ». Le 23 décembre 1989, des milliers de personnes assistèrent avec le chancelier Kohl à l’ouverture de la fameuse porte de Brandebourg murée en 1961. Comme aimait à le dire le président de la République fédérale, Richard von Weizsäcker : « La question allemande restera ouverte tant que la porte de Brandebourg sera fermée. » L’aphorisme est resté dans les mémoires. Certes, mais il avait fallu attendre cette ouverture plus de vingt-huit ans, et chacun se souvenait encore du président John F. Kennedy venant exprimer au nom des États-Unis et des démocraties occidentales, sa solidarité, en saluant la foule des Berlinois : « Ich bin ein Berliner ». Nous étions alors deux ans après la fermeture du mur, dix après l’insurrection ouvrière de juin 1953, quinze après le blocus de la ville décrété à Moscou en juin 1948 ; blocus qui fut, avec la mise au pas de la Tchécoslovaquie, puis des pays d’Europe centrale et orientale, à l’origine de la Guerre froide.
Que de patience et de force de résolution il a fallu pour aboutir, dans la paix et le droit, à la réunification de l’Allemagne, officiellement proclamée le 3 octobre 1990 par l’adhésion de la RDA à la RFA ; puis à celle de l’Europe occidentale et méridionale avec l’Europe centrale et orientale, au sein de l’Union européenne en avril 2003, voici donc plus de six ans déjà.

Nouvelle Allemagne, nouvelle Europe

22Ce rappel d’événements majeurs pour l’avenir de l’Europe doit nous inciter, aujourd’hui plus que jamais, à mener à son terme la construction économique sociale et politique du vieux continent, avec une claire perception des obstacles à surmonter et des objectifs à atteindre. Plus, en effet, l’Union européenne tend à s’étendre géographiquement (encore une demi-douzaine de pays officiellement candidats sans parler des candidats à la candidature), plus la nécessité se fera sentir de construire en son sein, à partir du noyau des pays fondateurs, une organisation politique forte que, pour faire image et rester fidèle aux perspectives développées par Jean Monnet au sein de son Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, nous pourrions qualifier du même nom, tout en sachant que l’union d’États européens parfois millénaires différera, par sa nature même, de celle dont George Washington fût le premier président en 1787, et dont la constitution toujours en vigueur, a permis aux États-Unis d’Amérique de devenir la première puissance mondiale du XXe siècle.

23• Pour en revenir aux événements du moment, cet automne 2009, comme vous le savez, nous avons, enfin obtenu après d’interminables négociations, renégociations, batailles procédurières que le traité de Lisbonne signé par les 27 États de l’Union européenne, le 13 décembre 2007, soit ratifié par l’Irlande, au terme de deuxièmes noces référendaires, si je puis dire, le 2 octobre 2009.

24La verte Eire a obtenu toutes les garanties désirables, à propos du droit à la vie, de la famille, de l’éducation, de la fiscalité locale, de la neutralité militaire. Et, aussi, à propos de la présence d’un commissaire de nationalité irlandaise au sein de la Commission européenne, même si les membres de cette institution sont censés ne pas représenter, ni directement, ni indirectement leur pays d’origine.

25Après avoir rejeté une première fois le Traité de Lisbonne, les gaéliques l’ont entériné à une large majorité, que les plus optimistes sondages n’avaient pas diagnostiquée : 67,13 % de oui, contre 38,87 % de non. Il est vrai que la crise était passée par là, frappant durement un petit pays dont la chute de croissance annoncée pour 2009, sera de l’ordre de 8 % ; dont le chômage oscille, selon les sources, entre 12,5 % et 15 % de la population active ; dont, enfin, le déficit public atteint 12 % du PIB. Les Irlandais, qui doivent leur prospérité des années 1990 et du début des années 2000 à l’entreprise communautaire, ont fini par bien comprendre que sans l’appui des fonds structurels de Bruxelles (agricole, social, régional) jamais ils n’auraient connu l’augmentation du niveau de vie dont ils ont bénéficié. Le « tigre celtique » sans l’Europe est un mythe !

26Mais, contrairement à ce que les augures du moment laissaient entendre, le problème irlandais n’était pas le seul qui devait être réglé pour en terminer avec la ratification du Traité de Lisbonne.

27Côté allemand, il a fallu attendre l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, le 30 juin. Certains pensaient qu’il s’agissait d’une pure question de procédure. Il n’en a rien été, comme nous le verrons plus loin, le Bundesverfassungsgericht a voulu faire jurisprudence, en mesurant aussi, pour l’avenir, « la compatibilité de nouveaux transferts de compétence aux institutions européennes avec les principes qui fondent le système démocratique allemand ». Quoi qu’il en soit, des sessions spéciales du Bundestag ont dû être convoquées les 26 août et 8 septembre derniers et du Bundesrat le 18 septembre suivant, pour approuver à une forte majorité, il est vrai, les aménagements législatifs nécessaires à la ratification définitive du Traité de Lisbonne par la République fédérale allemande. Je vais y revenir.

28Par ailleurs, le président polonais, Lech Kaczynski a, enfin, consenti, en faisant une grimace significative, à parachever la ratification polonaise, le 10 octobre, dès lors que le référendum irlandais était positif. Il s’y était personnellement engagé.

29Mais, aujourd’hui, il nous faut encore compter avec la volonté obstinée du président tchèque, Vaclav Klaus, de faire obstruction à la ratification finale du Traité à Prague, malgré le vote positif du parlement de Prague.

30Une première plainte des amis de M. Klaus, déposée le 26 avril 2008, concernant la conformité de certains aspects du Traité avec la constitution tchèque a été rejetée par la Cour au mois de novembre suivant. Mais, comme nous le savions déjà depuis plusieurs semaines, un groupe de sénateurs du parti ODS de Vaclav Klaus a déposé un deuxième recours le 29 septembre dernier. Cette fois-ci, ils attendent de la Cour de Brno qu’elle se prononce sur le fond, saisie en procédure d’urgence, pour dire clairement si l’UE est une organisation internationale ou un super-État. Tant que la Cour ne se sera pas prononcée, le Traité de Lisbonne restera en suspens, alors qu’elle n’est, à proprement parler, ni l’un ni l’autre.

31Ce n’est pas tout… Le président Klaus a encore exigé que le Traité de Lisbonne qui intègre la Charte européenne des droits fondamentaux garantisse les décrets qui ont servi de base juridique à l’expulsion et la confiscation des biens des Allemands des Sudètes après la deuxième guerre mondiale. Cette dérogation, alors que 26 États sur 27 ont ratifié le Traité s’est apparentée, comme le soulignait l’un des quotidiens parisiens du matin, à « une manœuvre démagogique de dernière heure contre une intégration qu’il exècre ». Recommencer tout le processus de ratification paraît exclu. La prise en compte d’un tel desideratum nécessitera un arrangement diplomatique. À l’évidence, M. Klaus s’est efforcé de faire traîner les choses, bien qu’il s’en défende, en l’espoir d’une prochaine victoire des conservateurs britanniques, leur leader eurosceptique, David Cameron ayant promis à ses ouailles de soumettre le Traité de Lisbonne à référendum, au cas où celui-ci ne serait toujours pas ratifié, s’ils arrivaient au pouvoir, comme le prévoient les sondages du moment, à la fin du printemps 2009. Le 17 octobre, cependant, Vaclav Klaus paraissait s’être résigné au Traité de Lisbonne. « Il n’est plus possible, a-t-il expliqué, d’arrêter le traité, ni de faire machine arrière quand bien même nous le voudrions […]. Je ne peux pas attendre les élections en Grande-Bretagne, à moins qu’elles ne se tiennent dans les prochains jours ou semaines. » Ouf ! devrions nous dire, mais si Klaus faisait école ? Le 19 octobre, en effet, la Slovaquie a demandé les mêmes garanties que Prague, en souvenir du temps où Tchéquie et Slovaquie vivaient dans le même État…

32C’est dans ce contexte que se présente, dans une Europe en transition, la nouvelle Allemagne après les élections législatives remportées par la CDU-CSU de la chancelière Angela Merkel qui a obtenu 235 sièges (soit 17 de plus que dans le précédent Bundestag élu en 2005) même si, comme l’a noté un observateur attentif, les démocrates-chrétiens avec 33,8 % des voix ont réalisé leur « plus mauvais résultat depuis 1949 grâce au système électoral en place ».

33Le FDP, c’est-à-dire les libéraux, a obtenu derrière son leader Guido Westerwelle, un battant de 47 ans, 93 sièges, soit 32 de plus qu’au cours de la précédente législature. Après onze années de cure d’opposition, avec 14,6 % des voix, ils devancent les Verts (10,7 % de suffrages et 68 sièges). Westerwelle sera le numéro 2 du nouveau gouvernement, en charge des Affaires étrangères.

34Le SPD (social-démocrate) de Frank-Walter Steinmeier est le grand perdant du scrutin, en se retrouvant avec 146 sièges, soit 75 de moins que précédemment. Le voici victime de la poussée électorale d’une gauche radicale qui, sous le nom précisément de « Die Linke », réunit les déçus du SPD et les nostalgiques de la RDA encore bien implantés dans certains Länder de l’Est. Le leader de « Die Linke » n’est autre que l’ancien patron du SPD et ministre de Gerhard Schröder : Oskar Lafontaine. Dans son ancien fief, le Land de Sarre, lors des élections régionales du 30 août dernier, « Oskar » avait déjà fait un carton en obtenant 21,3 % des suffrages exprimés, même si une coalition CDU, Verts et libéraux a fini par s’imposer.

35Comme l’a relevé l’ancien ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier, Joschka Fischer, « la vraie gagnante de ces élections, c’est Angela Merkel… La chancelière a décroché le jackpot. Au contraire de son parti, elle est plus forte que jamais », alors que la CSU bavaroise est la grande perdante de la droite allemande. De fait, à la tête de la CDU-FDP, coalition « aux couleurs noir-jaune » comme on le dit outre-Rhin, elle jouit aujourd’hui d’une popularité personnelle soulignée dans tous les sondages, dans une Allemagne qui traverse une crise dure. Le chômage et l’endettement font que, quel qu’ait pu être le gouvernement issu des récentes élections, l’Allemagne devrait prendre la voie de l’austérité, même si elle a commencé à renouer avec les excédents commerciaux.

36En Grande-Bretagne, les conservateurs ne disent pas autre chose, par exemple, quand ils annoncent des « réformes douloureuses ». Nous sommes quoi qu’il en soit, devant une Allemagne nouvelle qui aspire de plus en plus visiblement à assumer un rôle de responsabilité avec un statut de puissance d’influence mondiale. Un pays qui ne fait pas partie du Conseil de sécurité de l’ONU, du fait des résultats de la deuxième guerre mondiale, et ne dispose pas de l’arme nucléaire, ne se confond pas, pour autant, comme on le dit parfois, avec une « grosse Suisse ». Certes, l’Allemagne reste encore pleinement disponible pour l’Europe ; ainsi qu’elle l’a encore montré lors des négociations du Traité constitutionnel et de sa récente présidence de l’UE, mais comme l’écrit Jacques-Pierre Goujeon, historien et auteur du livre intitulé L’Allemagne au XXIe siècle : une nouvelle nation ?[1], dans un article récemment publié [2], « la dernière décennie a été marquée par la réhabilitation du concept de puissance, qui a pour implication l’exercice par l’Allemagne d’une plus grande responsabilité nationale et la marche vers ce que les dirigeants politiques appellent eux-mêmes la normalité ».
J’en reviens par ce biais à l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe parce qu’il s’inscrit pleinement dans cette nouvelle donne, quand notamment, ses juges estiment le moment venu de nous rappeler que dans l’Union européenne, « la compétence de la compétence », à défaut de pouvoir se prévaloir de l’existence d’un peuple européen considéré comme sujet d’une démocratie européenne, s’exerce dans le seul cadre de la Démocratie nationale. Disant cela, en substance, la Cour ne tient apparemment pas compte du fait que, dans un ensemble institutionnalisé de près d’un demi-milliard d’individus soumis, comme ils le sont, à des normes de plus en plus communes, sans oublier un suffrage universel européen qui s’est exercé depuis 1979 en commun et l’instauration de la citoyenneté européenne, il existe, à tout le moins, ce qu’Altiero Spinelli appelait « un peuple des nations européennes ». Bernard Barthalay, titulaire de la chaire Jean Monnet à l’Université de Lyon 2 a développé à ce propos une analyse qui peut se concentrer en ces termes : la Cour constitutionnelle à partir de l’arrêt qu’elle vient de promouvoir « entre en conflit ouvert avec la clé de voûte (d’esprit fédéral) du système de l’Union, la primauté du droit européen sur le droit national (…). Rien ne vaut, hormis la souveraineté absolue. Les États sont les maîtres du Traité ». Somme toute, « Karlsruhe über alles ». Certes, nous le disons comme d’une boutade, mais Ferdinando Riccardi n’a pas tort d’avertir dans un récent éditorial de l’Agence Europe : « si l’Allemagne subordonne à l’approbation du parlement national l’approbation de certaines décisions futures de l’UE, d’autres États membres pourraient considérer que les conditions d’égalité ne sont pas respectées ». Autrement dit, « ce sont les modifications futures du fonctionnement institutionnel qui posent problème, même si la norme interne allemande était limitée aux innovations ayant une portée constitutionnelle ». Remarques judicieuses quand on voit un clan de parlementaires eurosceptiques tchèques remettre en cause devant la Cour constitutionnelle de Prague, au terme de huit années de débats sur les institutions européennes, un traité voté par le parlement tchèque quelques mois plus tôt et par l’ensemble des autres États membres de l’UE.
Pour en terminer avec ces considérations, une remarque encore : il conviendrait que les États membres de l’UE et, en tout cas, ceux de la zone euro adoptent, enfin, une démarche économique commune, sous le contrôle des institutions européennes que nous nous sommes donné à cette fin, en considérant qu’elle doit avoir désormais un caractère contraignant, notamment en matière budgétaire. Ainsi, l’Allemagne a voté courant juin dernier une disposition de grande portée, quand elle a procédé à une révision de sa constitution limitant à 0,35 % du PIB tout déficit budgétaire, à partir de 2016. Que se passerait-il si tel ou tel de ses partenaires de la zone euro en faisait autant, selon des engagements qui seraient propres à chacun d’entre eux ? Il est inconcevable, à la longue, que les pays partenaires de l’Union européenne continuent à mener des politiques économiques parallèles alors que, précisément, nous avons créé une Union économique et monétaire, avec une monnaie unique et une banque centrale pour tourner le dos à de telles pratiques dangereuses pour l’avenir de la construction européenne elle-même.
En fait, le pacte de stabilité auquel les pays européens ont souscrit obligeant les uns et les autres à maintenir leur déficit public annuel sous la barre des 3 % du PIB et leur dette publique à moins de 60 % du même PIB, a volé en éclats sous l’effet de la crise, mais nul ne s’en offusque alors que notre premier souci devrait être de sortir du marasme actuel selon les mêmes disciplines, les mêmes engagements, les mêmes perspectives.
Nous en sommes loin, comme nous venons de le voir, alors que la Commission de Bruxelles ne comptabilise pas moins d’une vingtaine de pays qui devraient fait l’objet d’une procédure pour déficit excessif. Les seuls États qui respecteraient encore le Pacte européen de stabilité et de croissance seraient Chypre, le Luxembourg, la Finlande, la Bulgarie, le Danemark et l’Estonie. Tous les grands États membres – on le notera au passage, en pensant à l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni – sont dans le rouge et leur poids est évidemment déterminant.

La présidence suédoise à l’heure de Barroso 2

37Le 1er juillet, la Suède a succédé à la Tchéquie pour assumer la présidence du Conseil pendant le deuxième semestre 2009. L’an prochain, les présidences seront successivement espagnole et polonaise, puis en 2011, belge et hongroise. Comme on le voit, le mariage des nouveaux États membres et de leurs prédécesseurs est désormais en bonne voie.

38Les deux maîtres d’œuvre de la présidence suédoise, le premier ministre Fredrik Reinfeldt et le ministre des Affaires étrangères, Carl Bildt, appartiennent, avec des nuances, à ce que nous appelons le « centre-droit », aujourd’hui prédominant dans l’Union européenne, même si les élections qui viennent de se dérouler en Grèce ont été un succès pour les socialistes de la dynastie des Papandréou, et si au Portugal, José Socrates, réplique lusitanienne de Tony Blair, est appelé à se maintenir au pouvoir, bien que minoritaire.

39• La présidence s’est tout d’abord trouvée en charge de la candidature islandaise à l’adhésion, pas très chaleureuse, à vrai dire, quand on sait que le gouvernement de Reykjavik est demandeur, mais que le parlement de l’île nordique (« l’Althing » le plus ancien en Europe) a donné le feu vert à des négociations d’adhésion par 33 voix contre 28 et 2 abstentions, sans doute parce que les pêcheurs de baleine et de morue, maîtres des enjeux maritimes de la politique islandaise, refusent les disciplines de « l’Europe bleue », comme leurs cousins du Sud irlandais. L’Islande est, cependant, un pays étroitement associé à l’Union européenne, étant membre de la zone Schengen et appliquant déjà une bonne partie de la législation communautaire. Ce que le gouvernement de cette île, en fait, plus proche du Groenland que de l’Europe continentale, attend de l’adhésion, c’est la sécurité monétaire et financière que lui garantit la zone euro. La récente crise bancaire partie des États-Unis lui a été gravement préjudiciable.

40L’isolement de nos jours, même lorsqu’il ne s’agit que de 330 000 personnes qui vivent cernées par l’océan sur 4 988 kilomètres de côtes échancrées, sur une terre où l’environnement de deux milliers de lacs le dispute à celui de 11 000 glaciers, n’est plus porteur d’avenir. Indépendant depuis 1944, seulement, le pays n’a pas d’armée, mais adhère à l’OTAN qui y dispose d’une base. Pour l’Union européenne, l’Islande est un cas de figure. Encore une fois, attention aux effets diluants d’adhésions de circonstance.

41• Dans la foulée, la question de la présidence de la Commission européenne devait être réglée en priorité, Jose Manuel Barroso, président sortant, étant candidat au renouvellement de son mandat depuis le 9 juin. C’est dire qu’il s’est promptement positionné. Aucune autre candidature ne s’étant manifestée, les 27 gouvernements l’ont désigné le 18 juin dernier, sous réserve de l’accueil que lui ferait le nouveau parlement européen lors de sa première session législative du 15 juillet. Finalement, au terme de longues tractations, après avoir présenté son « programme », le président portugais de l’exécutif européen a été réélu, mais seulement lors de la session suivante, le 16 septembre, à la majorité absolue des europarlementaires, lors de leur deuxième session : 332 voix pour, 219 contre et 117 abstentions. Barroso a disposé de l’appui du groupe parlementaire du PPE (le plus important, avec ses 265 élus), des eurosceptiques antifédéralistes britanniques, tchèques et polonais (54 sièges), d’une bonne partie des libéraux, d’une trentaine de socialistes dont, en certitude, les Hispaniques et les Lusitaniens. Contre sa candidature, on trouve notamment les Verts (55 élus), l’extrême gauche (dont les derniers dominos communistes) une partie des socialistes (et avant tout les Français), une fraction des libéraux (dont les élus du Modem), une partie de la gauche italienne, etc.. Dans cette affaire, le président du groupe dénommé désormais « Alliance progressiste des socialistes et démocrates », l’Allemand Martin Schulz, sachant que sa formation était divisée sur le « cas Barroso », avait conclu, dès juillet, un « accord technique » sur le partage de la présidence du Parlement européen au cours de la nouvelle législature. Comme par le passé, le perchoir reviendra pendant deux ans et demi à la droite, puis pour la même durée à la gauche. C’est le candidat du PPE, l’ancien premier ministre polonais et ancien du syndicat Solidarnosc, Jerzy Buzek, qui a été élu pour une première présidence consensuelle de l’assemblée européenne, le 14 juillet dernier. Il parle couramment l’allemand, l’anglais et même le russe, mais, signe des temps, pas le français.

42Le document présenté par J.M.B. n’apporte pas d’éléments bien nouveaux. Il s’agit de « lignes directrices » pour la future Commission qu’il présidera pendant cinq ans. L’auteur plaide en faveur d’une « stratégie intégrée à l’échelle de l’UE pour retrouver la croissance », de « stratégie de sortie de crise » en faveur d’un système financier « plus éthique » grâce à une meilleure régulation des marchés, etc.. La lutte contre le changement climatique et pour la promotion d’une économie à faible densité de carbone est, bien entendu, l’un des objectifs recherchés, de même que le développement durable de la croissance, la promotion de la cohésion sociale. Les valeurs d’équité et de justice sociale sont également autant de thèmes prioritaires. Le contraire eut surpris dans l’ambiance actuelle.

43Dans d’autres registres, on trouve des développements bien venus sur la politique européenne de l’énergie qui, soit dit en passant, n’existera pas tant que les États membres convoiteront chacun pour leur compte les sources d’approvisionnement énergétique ; également sur une nécessaire réforme du budget communautaire (à réviser de fond en comble, paraît-il, selon une expression de Barroso)… Mais que devons-nous attendre réellement de cet engagement, tant que les États membres limiteront la masse des recettes communautaires budgétaires disponibles à, grosso modo, 1 % du PIB des pays de l’Union ?

44Comme certains observateurs n’ont pas manqué de le souligner, le candidat adoubé par l’ensemble des gouvernements des États membres, mais très discuté dans les cercles europarlementaires, doit se défaire de l’image de « monsieur bons offices » du Conseil des ministres qui, à tort ou à raison lui colle à la peau. D’où la nécessité où il s’est trouvé de donner des gages équilibrés à ses censeurs potentiels au sein d’un Parlement européen dont les pouvoirs seront encore renforcés par le Traité de Lisbonne et avec lequel – Traité de Lisbonne ou pas – il faudra de plus en plus compter. Le président sortant de l’exécutif a parfaitement senti cette nécessité pour assurer une réélection qui, manifestement, lui tenait à cœur, en proposant lui-même d’instituer avec les europarlementaires un « partenariat spécial » (en gros une concertation beaucoup plus directe et méthodique que par le passé). En l’écoutant, le trublion de service, Daniel Cohn-Bendit, jubilait l’œil narquois.

45• Quoi qu’il en soit, dans l’immédiat, la question qui hante les esprits distingués de l’eurosphère est d’une simplicité biblique : un sommet européen est prévu fin octobre, pour tenter de se mettre d’accord à 27 sur le président à plein temps dont l’Union européenne serait dorénavant dotée et sur la personnalité du Haut représentant chargé des affaires étrangères et de la sécurité – qui doit remplacer M. Javier Solana, avec un statut renforcé puisqu’il présidera le Conseil (des ministres) des Affaires étrangères et sera l’un des vice-présidents de la Commission. Il n’aura toutefois pas le titre de « ministre ». Un service diplomatique imposant sera mis à sa disposition, composé pour partie de fonctionnaires de la Commission et du Parlement européen, pour partie de fonctionnaires des États.

46Quant au président du Conseil européen (des chefs d’États et de gouvernements), il sera élu, en principe à la majorité qualifiée, pour deux ans et demi, une fois renouvelable, aux termes âprement négociés du Traité de Lisbonne. C’est, tel que prévu, un chairman à la britannique qui aura pour mandat de faciliter la cohésion et le consensus au sein du Conseil européen. Il devra, en particulier, présenter un rapport au Parlement à la suite de chacune des réunions du Conseil européen. Il assurera, comme le président de la Commission européenne et le Haut représentant en charge des Affaires étrangères, mais à un autre titre, la représentation de l’Union.

47• De son côté, la Commission européenne doit être renouvelée dans le cadre des procédures actuellement prévues par le Traité de Lisbonne. Chaque État membre pourra y compter un ressortissant. Dans l’hypothèse d’une nomination, en vertu du Traité de Nice, la ratification de celui de Lisbonne n’en finissant pas d’aboutir, le nombre des commissaires devrait être nécessairement inférieur à celui des États membres, désignés par le Conseil statuant à l’unanimité. Inutile de dire que, dans la conjoncture présente, la Commission Barroso II pourrait ne voir le jour qu’au début 2010, une fois terminées les auditions par le Parlement des personnalités pressenties pour en faire partie.

48• Un dernier mot : on ne peut pas ne pas évoquer le cas de Tony Blair, pour la fonction de président de l’Union européenne, puisque sa candidature est de notoriété publique, tant les médias ont fait état des tractations discrètes qui se sont déroulées à son propos depuis de longs mois. Le moins qu’on puisse dire est que cette candidature se trouve aujourd’hui loin de faire l’unanimité. Par exemple, les conservateurs britanniques ne veulent pas en entendre parler et laissent entendre qu’elle représenterait pour eux un cas de casus belli, s’ils revenaient au pouvoir. Outre ceux qui continuent de contester, d’autre part, le rôle qu’il a joué auprès du grand George W. dans le déclenchement de la guerre d’Irak en février 2003, d’autres rappellent que l’ancien premier ministre britannique chargé de représenter le « Quartet » - c’est-à-dire les États-Unis, la Russie, l’ONU et l’Union européenne – depuis juin 2007, pour développer l’économie palestinienne, coordonner les aides internationales dont elle bénéficie et surtout assurer l’état de droit au Proche-Orient - n’a pratiquement rien fait pour aboutir, alors que lui-même déclarait, par ailleurs, percevoir dans l’interminable conflit israélo-palestinien « la matrice des tensions » dans cette partie du monde. Cette carence était moins liée, en fait, à la complexité de la tâche qui lui avait été confiée qu’à la réalité suivante : il consacrait parallèlement à sa mission, une notable partie de son temps à des activités lucratives au service de la banque américaine J.P. Morgan, nouvelle championne des bonus en 2009.

49Tony Blair – faut-il le rappeler – appartient à un grand pays européen qui s’est refusé jusqu’ici à participer à l’euro et aux accords de Schengen de libre circulation dans la zone du même nom. Un pays champion de ce qu’on appelle les « opt out », c’est-à-dire les exceptions. Certes, Blair est un animal de politique internationale qui peut spontanément se permettre de tutoyer aussi bien Sarkozy que Poutine ou Obama, mais pour assurer la cohérence permanente, au plus haut niveau, d’un ensemble aussi complexe que l’est aujourd’hui devenue l’Union européenne, celle-ci a également besoin d’un personnage susceptible de bien « vendre l’Europe dans le monde » et qui soit en même temps, dans toute la mesure du possible, un Européen de conviction. Le choix ne sera pas facile, puisque l’unanimité des États membres restera difficile à obtenir. Le 14 octobre, le « cavaliere » Berlusconi a apporté son soutien à la nomination du sémillant Tony, mais aujourd’hui le parrainage de l’ami Silvio est plutôt à double tranchant. Nicolas Sarkozy appuyait également la candidature de Blair au printemps dernier, mais, présentement dit-on, il en perçoit également les inconvénients. George Brown qui a hérité de la charge ministérielle de Blair à Londres, le soutient. Angela Merkel est restée jusqu’à présent beaucoup plus réservée. Les pays du Benelux et l’Autriche ne sont pas favorables à une candidature britannique. Telles sont les données en l’état.
La présidence suédoise hérite donc de lourdes charges, si l’on garde également à l’esprit la préparation de la grande conférence mondiale qui se tiendra à Copenhague du 7 au 18 décembre 2009, où l’Union européenne devrait se montrer unie pour obtenir un protocole post-Tokyo significatif avec pour objectif clé de ralentir le réchauffement climatique par un passage global à une économie faible en carbone et parcimonieuse en ressources. Ce qui demeurera du domaine de l’utopie si la Chine, la Russie et les États-Unis ne changent pas d’attitude.
La présidence suédoise devra également, en liaison avec la Commission, amorcer une présentation renouvelée de la politique agricole commune et pas seulement à propos de la restructuration du secteur laitier en crise, ou de la querelle du remboursement des aides agricoles qui, selon la Commission, porteraient sur 500 millions d’euros dans le secteur des fruits et légumes.
Elle devra – et j’y reviendrai - contribuer, aussi efficacement que faire se peut, à sortir l’Union européenne de l’état de crise économique dans laquelle elle est plongée depuis quinze mois. Elle aura à cœur de faire adopter une stratégie d’ensemble de l’Union européenne pour la mer Baltique, sans perdre de vue le projet conçu en solitaire par Nicolas Sarkozy sous le nom d’Union pour la Méditerranée (siège : Barcelone) qui piétine déjà à l’évidence, mais ne devrait pas être abandonné, même si l’on y met les formes.
Et puis – mais là nous dépassons largement le bref temps de la présidence suédoise – on attend toujours de l’UE des résultats porteurs dans des domaines clés pour l’avenir, telle que la politique énergétique (qui n’est encore commune que de nom), des avancées dans les domaines sensibles de l’immigration et du droit d’asile, etc.. Sans oublier les négociations en cours pour l’élargissement de l’Union à la Croatie (dont le dossier devait aboutir fin 2010, depuis que le contentieux frontalier avec sa voisine slovène ne fait plus obstacle), le difficile dossier de la Turquie, celui des Balkans, ceux encore des politiques de voisinage à l’Est du continent.
Mais tout ceci, dirai-je, déjà très lourd à porter, ne doit pas nous masquer une évidence : ce que l’on appelle « la construction européenne » se conçoit comme un perpétuel ajustement à des réalités qui se déplacent et se modifient à une cadence toujours plus pressante dans le champ de la mondialisation.

Le pire de la crise est-il passé ?

50Selon un rapport diffusé en septembre par l’OCDE, le pire de la crise serait passé. Mais quelle crise ? S’il s’agit de la crise bancaire, aucun doute. S’il s’agit de la crise économique consécutive à la précédente, il est, en effet, incontestable que l’Union européenne, a commencé à sortir de la récession comme les États-Unis vers la fin du deuxième semestre de l’année en cours et que nous sommes entrés dans une phase de croissance faible et encore précaire. Les prévisions de l’OCDE, du FMI, de la Banque mondiale et de la Commission européenne ont toutes été revues à la hausse, avec des variables entre elles dont je vous ferai grâce.

51À la fin de l’année en cours, selon ces prévisions, les croissances allemande et française devraient quand même avoir chuté en 2009, respectivement de 5 % et de 2,7 %. L’ensemble de la zone euro perdrait quatre points ; le Japon, 5 ; les États-Unis, 2,6. En Russie, la croissance chuterait de 7,5 %, ce qui est considérable, tandis que, à l’inverse, elle serait supérieure à 8 % dans le Céleste empire et de 5,4 % en Inde. Dans les autres pays majeurs de la zone euro, telles l’Italie et l’Espagne, les taux de croissance seraient respectivement de -4,8 % et de -3,7 %. En Europe centrale et orientale, un seul pays aurait une croissance positive de l’ordre de 1 %… curieusement d’ailleurs, la Pologne.

52Même si la reprise s’est manifestée un peu plus tôt que prévu par les organisations internationales, elle l’est très modestement, mais la crise proprement dite a eu des effets dévastateurs qui ne pourront être surmontés qu’à terme. Je pense, disant cela, d’abord au chômage qui grimpe un mois après l’autre depuis le Printemps, frisant les 10 % de la population active aux États-Unis ; presque autant en France (9,8 %), dans l’ensemble de la zone euro (9,6) pour atteindre, prospectivement parlant, au cours du quatrième trimestre 2010 : 10,1 % aux États-Unis.

53Les pays européens les plus concernés par le fléau sont, d’autre part, l’Espagne, avec 17,9 % de demandeurs d’emploi au deuxième trimestre de l’année en cours, mais 19,8 en perspective au quatrième trimestre 2010 ; 15,3 en Grèce ; 13 en Lettonie où malgré l’intervention massive de l’Union européenne et du FMI (Fonds monétaire international) pour plusieurs milliards d’euros, en échange d’un plan d’austérité, le gouvernement de Riga a été contraint de réduire de 40 % les salaires dans la fonction publique et de diminuer de 20 % pensions et retraites, ainsi que les allocations sociales. Imaginons un instant ce qui se passerait en France dans des circonstances comparables.

54Concernant la crise sociale et ses effets sur l’emploi, il faut savoir que le chômage atteindrait au quatrième trimestre 2010 : 11,8 % en Allemagne ; 11,3 en France ; 10,5 en Italie ; 9,8 au Royaume-Uni, etc.. Pour apprécier la situation, il faut savoir encore que les effets dévastateurs de la crise se manifesteront, en termes d’emploi, au cours de l’ensemble de l’année 2010. Selon l’OCDE, c’est la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, dans les pays dits « industriels », que 57 millions de personnes seront en quête d’emploi. Sur ce total, 22 millions résident dans l’Union européenne dont 15,1 millions appartiennent à la zone euro, tandis qu’une autre quinzaine vit aux États-Unis. Les grands pays asiatiques « en développement » ne sont pratiquement pas concernés par le fléau alors qu’ils maintiennent des taux de croissance très élevés.

55• Le deuxième sujet majeur inquiétant concerne la montée en puissance de la dette et des déficits publics.

56Selon la Commission européenne, alors que les États membres de l’Union se sont engagés à maintenir leurs déficits publics sous la barre des 3 % du PIB, en Allemagne ils atteignent près de 4 % et devraient culminer à 5,9 % en 2010 ; aux Pays-Bas, ils dépasseront les 5 % et en Belgique les 6,5 % la même année. En Italie, de 5,3 % en 2009, ils atteindront 6,8 points en 2010. En France, alors que les déficits publics n’étaient encore que de 2,7 points en 2007, ils avaient dépassé 4 % en 2008 et seraient de l’ordre de 8,2 % dès cette année, un peu au-dessous, dépendant, des records de dérapages constatés en Espagne et au Royaume-Uni, pour ne pas parler de la Grèce.

57Quant à la dette, si nous nous en tenons essentiellement au cas français, elle passerait de 54,6 milliards d’Euros en 2008 à probablement plus d’une soixantaine de milliards à la fin de l’année en cours, pour culminer, si on en croit le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Didier Ménigand, à 84 % du PIB en 2010 et 90 % en 2012, soit 28 500 euros par Français… On croit rêver !

58De son côté, la dette britannique qui représentait 44 % du PIB en août 2008, s’élèverait à 76,2 % à la fin de l’année fiscale 2013-2014. Dès lors que les gouvernements se sont entendus à Londres, au Printemps dernier, pour laisser filer les déficits de 5 000 milliards de dollars (3 400 milliards d’euros) sur deux ans, afin de soutenir l’économie mondiale et sauver le système bancaire, ils se condamnent à tailler à la hache dans les dépenses publiques et envisager de futurs relèvements d’impôts, quoi qu’ils disent aujourd’hui, s’ils veulent rembourser la facture.

59Le gouvernement américain dispose d’une plus grande latitude, sachant que les États-Unis, malgré une dette de 65 % de leur PIB, représentent à eux seuls 26 % du produit brut de la planète, en jouant au yo-yo avec le dollar, monnaie de référence mondiale, bien qu’ils s’en défendent naturellement. Il n’empêche qu’avec des prévisions de croissance encore pâlichonnes, Washington devra faire face aux conséquences d’un déficit budgétaire record de 1 417 milliards de dollars, soit environ 10 % du PIB des États-Unis, pour l’exercice fiscal 2008-2009, clos fin septembre. Le Bureau du budget du Congrès a tout résumé quand il a indiqué que le ratio du déficit au PIB n’avait jamais été aussi élevé depuis 1945.

60Pour clore ce chapitre, je me référai à Olivier Blanchard, chef économiste du FMI qui dans la revue « Finance et Développement », estimait, entre autres observations, que « la croissance ne sera pas assez forte pour réduire le chômage qui n’atteindra son maximum qu’au cours de l’année prochaine » et que les États-Unis d’autre part, devront « épargner et exporter beaucoup plus qu’aujourd’hui ».

61Or, l’administration Obama n’est pas étrangère au fait que le dollar a perdu 15 % de sa valeur face à l’euro et à peu près autant par rapport aux monnaies des principaux partenaires commerciaux, le dollar faible favorisant précisément les exportations américaines.
Certes, la réalité est plus complexe que son énoncé sommaire. Il faut tenir compte de toute sorte d’autres facteurs et, notamment, des écarts de taux d’intérêt (le dollar bon marché permettant d’emprunter des capitaux qui doivent ensuite être investis dans des monnaies plus lucratives, tel l’Euro, comme le veut la pratique du « carry and trade »).
Pour le moment, personne n’a intérêt à une débâcle du dollar qui représente 86,7 % des opérations de change dans le monde, car le dollar exprime la puissance économique, mais aussi consubstantiellement politique des États-Unis, alors que l’euro exprime la réalité économique d’un grand ensemble encore en formation. De plus, même si la Chine, premier partenaire commercial des Américains, dont la majeure partie des 2 273 milliards de réserves de change s’exprime en dollars a évoqué l’intérêt d’une réflexion sur la substitution d’un éventuel « panier de devises » au billet vert, il ne s’agit encore que d’une spéculation intellectuelle. Et pourtant, le fait que l’once d’or, valeur refuge par excellence atteigne aujourd’hui des sommets historiques n’est pas étranger à ce qui précède. De même, quand les pays producteurs de pétrole du Conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Koweït, Qatar, Oman, Émirats) ainsi que la Chine et les Russes ont envisagé récemment de mettre fin aux privilèges du dollar en remplaçant la devise américaine comme monnaie pétrolière également par un « panier de devises », nous l’interprétons comme un autre signe des temps.

Après Pittsburgh

62On se souviendra, par ailleurs, du tintamarre qui a accompagné l’annonce et le déroulement du sommet du G20 (les vingt principales puissances économiques du monde industriel développé et du monde émergent) qui s’est tenu à Pittsburgh en Pennsylvanie, les 24 et 25 septembre derniers, au niveau des chefs d’État et de gouvernements, immédiatement après la 64e assemblée générale de l’ONU au cours de laquelle Barack Obama a lancé une offensive verbale à l’encontre de deux pays accusés de vouloir se doter de l’arme atomique : l’Iran et la Corée du Nord.

63Le G20, je le rappelle, a été créé par les huit puissances économiques principales de la planète, en 1999, comme un forum de dialogue annuel entre les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des pays les plus riches et des principaux pays en développement. À la suite de la crise financière, puis économique, survenue en 2008, il a été décidé de le transformer en rendez-vous bisannuel des chefs d’états et de gouvernements des pays concernés, pour pratiquement élargir les activités précédentes des G7 et G8 au plan mondial. L’Union européenne y est représentée en tant que telle par le président en exercice du Conseil européen et celui de la Banque centrale européenne (actuellement, Jean-Claude Trichet). On aimerait qu’il en soit de même dans les autres instances internationales de même nature.

64Un Conseil des chefs d’états et de gouvernements de l’UE s’est réuni à Bruxelles, le 7 septembre pour préparer la réunion de Pittsburgh. Objectif : éviter que la sortie de crise mondiale n’aboutisse au retour des pratiques irresponsables du système financier international. Les intentions étaient louables : assurer une reprise durable, donner la priorité à l’emploi, mettre en œuvre les engagements précédemment pris à Londres par le même G20 en faveur de la réforme des marchés financiers, promouvoir des pratiques de rémunération responsables dans le secteur bancaire au sens large (renforcer la transparence et fixer des normes pour la rémunération des bonus, notamment), renforcer également les institutions financières internationales (FMI et BM), tenir les engagements pris dans le cadre des objectifs du « Millénaire pour le développement » en matière d’aide ; partager l’effort de financement de la lutte contre le changement climatique, dans la perspective du « sommet » de Copenhague ; promouvoir, la sécurité énergétique. Par ailleurs, un rapport de la Commission européenne sur les services financiers publié le 22 septembre constatait que les tarifications bancaires étaient trop « opaques » dans l’UE. À la veille du sommet de Pittsburgh, elle proposa même un ensemble législatif destiné à redéfinir sinon à refondre la supervision financière au sein de l’UE.

65« Pittsburgh » c’est, avant tout, un agenda : en 2009, les banques devront mettre « immédiatement » en application (dit le communiqué) de nouvelles règles concernant les bonus, en 2010 des « régulateurs compléteront avant mars, les règles sur les rémunérations ». En 2011, un « ensemble unique de règles comptables mondiales » devrait être défini avant juin. En 2012, le nouveau cadre financier mondial s’appliquerait. Tous les contrats de dérivés standards feraient l’objet d’une centralisation.

66Nicolas Sarkozy s’est voulu enthousiaste, estimant que Pittsburgh avait permis un accord global permettant de contrôler banques et bonus. Pour Christine Lagarde, ministre de l’Économie, s’exprimant sur RTL : « Nous avons créé une tour de contrôle de l’économie mondiale ». D’une manière générale, les réactions américaines ont oscillé entre « mesure » et « scepticisme », même si le G20 a été pérennisé sous la forme d’un forum prioritaire de coopération économique internationale et même si des engagements ont été pris concernant la régulation du système financier, notamment, la pratique de « la prise des risques », l’encadrement à « l’assainissement » des rémunérations.

67Les critiques n’ont pas tardé d’ailleurs, le G20 se voyant reprocher de ne s’être doté « d’aucun moyen de faire appliquer » les décisions prises. Enfin, l’intention proclamée de réduire les déséquilibres entre l’Asie et l’Amérique ne peut masquer le fait que les États resteront maîtres du jeu dans toutes les circonstances. À commencer, bien entendu par les États-Unis et la Chine. Le G20 ne se confond pas – il s’en faut ! – avec un gouvernement économique mondial [3].

68En fait, jusqu’à maintenant, les seuls vrais résultats positifs obtenus du G20 l’ont été à la suite de sa réunion d’avril. Ils concernent les paradis fiscaux dont la liste grise avait été établie selon les standards établis par l’OCDE. Celle-ci comprenait au Printemps 38 États et territoires. Nombre de micro-États et des poussières d’îles, notamment dans les Antilles et le Pacifique, comme les îles Caïmans, confettis de la Couronne de Sa Majesté britannique, leur nombre n’excéderait plus la trentaine. Les États du G20 ont agi en relative concertation, certains d’entre eux et non des moindres étant stimulés par la perspective de fructueuses récupérations fiscales. C’est ainsi que la Suisse, et en son sein l’Union des Banques suisses, a dû régler une facture très substantielle au Trésor américain.

69Par contre, jusqu’à maintenant du moins, les bonus ont continué à fort bien se porter, notamment aux États-Unis avec les banques J.P.Morgan Chase, Goldman Sachs, Morgan Stanley, entre autres… Selon une récente étude publiée par le Wall Street Journal, vingt-trois « acteurs financiers » (banques, fonds d’investissement, etc.) devraient engranger cette année encore, 437 milliards de dollars de bénéfices, dépassant largement le précédent record : 345 milliards de dollars en 2007. Du coup, l’indice Dow Jones est repassé, le 14 octobre au-dessus des 10 000 points et les indices boursiers européens lui ont emboîté le pas. Qui dit mieux ?
Même si, comme l’indiquait fin septembre le FMI, les pertes d’actifs pour la finance mondiale représentent en gros 3 400 milliards de dollars, celle-ci ne s’en sort pas trop mal, d’autant que la croissance repart à peine et que le G20 a du pain sur la planche.
Ceci dit, la crise économique et financière dont l’Europe et le monde émergent à peine n’est qu’un aspect d’une crise globale, en particulier, dans cette vaste zone que les Américains désignent sous le nom de « Grand Moyen-Orient ».

Le prix Nobel de la paix entre Jérusalem et Téhéran

70Tous les scénarios sont imaginables dans cette partie du monde, y compris celui en vertu duquel les Israéliens sans crier gare bombarderaient par surprise les sites nucléaires iraniens, provoquant le blocage du détroit d’Ormuz par lequel, en défilé continu, les pétroliers évacuent le pétrole des pays du Golfe persique, entraînant du même coup l’ordre d’intervention de l’état-major américain pour le Moyen-Orient basé au Qatar, avec les forces aéronavales américaines concentrées au Koweït, à Bahreïn et Abou Dhabi.

71• Nous n’en sommes pas là, certes. Le président américain multiplie les appels du pied auprès des Israéliens et des Iraniens en faveur d’un règlement pacifique, appels du pied qui lui ont valu récemment de recevoir le prix Nobel de la Paix, pas seulement pour ses prises de position sur la dénucléarisation et l’environnement, mais pour l’encourager dans cette voie alors que, d’autre part, les États-Unis ont renoncé le 17 septembre dernier au « bouclier antimissile nucléaire » conçu en Pologne et en Tchéquie par le président George W. Bush, son prédécesseur. Si, en effet, les pays leaders de l’Union européenne ont salué cette décision, celle-ci a suscité un tollé chez les républicains américains et les regrets des gouvernements polonais et tchèque qui craignent moins d’éventuels missiles iraniens que la proximité des héritiers russes de l’ancienne URSS. Comme le disent certains personnages dubitatifs à l’égard d’Obama : « c’est une drôle de décision ! On lui donne le prix Nobel de la Paix pour n’être pas George Bush ». Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a simplement qualifié de « bizarre » le choix des Norvégiens du Comité Nobel, oubliant en la circonstance que c’est en vertu des accords d’Oslo de 1993 que les négociations se sont engagées dans un processus de paix.

72Même si ce processus nous paraît s’éloigner à mesure que les années passent, quand on évoque les espoirs déçus en 2003 avec la « feuille de route », le plan de paix pour susciter la création de la Palestine en 2005, le processus d’Indianapolis initié par George W. en 2007, qui devait aboutir au terme de l’année 2008, etc. Ce qui est « bizarre », en la circonstance, c’est plutôt qu’un premier ministre israélien qui dispose de la double nationalité israélienne et américaine accueille dans son gouvernement des ultranationalistes, des ultraorthodoxes, hostiles à tout arrêt de la colonisation poursuivie en Cisjordanie et à Jérusalem, contre l’avis de Washington et malgré les bons offices de l’Union européenne. Cette politique dure est signée Nétanyahou-Liberman, l’appui de ce dernier, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, étant nécessaire au maintien de l’actuelle coalition gouvernementale, son parti croupion « Israël, notre maison » (Israël Beitenou) qui laissent d’ailleurs ouvertement entendre que désormais l’État hébreu est assez grand garçon pour desserrer l’alliance avec l’allié privilégié américain.

73De fait, si Barack Obama a amené Nétanyahou et Abbas à se serrer la main à contrecœur, sous son regard bienveillant à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier, il n’a obtenu aucune concession, aucun pas en avant de leur part. Non seulement le processus de paix reste au point mort, mais le fossé israélo-palestinien a tendance à se creuser. Au profit de qui ? Au profit des islamistes du Hamas barricadés dans Gaza, mais qui pourraient gagner d’éventuelles élections générales sous contrôle international contre les modérés encore en place à Ramallah autour du Fatah de Mahmoud Abbas.

74Au surplus, la publication d’un rapport de l’ONU sur les ravages causés à Gaza par l’opération punitive israélienne de janvier dernier – opération mettant en cause (je cite) : « Israël pour des actes assimilables à des crimes de guerre » a accentué le climat politique détestable qui imprègne le Proche-Orient », n’a rien arrangé, d’autant que le rapporteur de l’ONU envisage de saisir la Cour pénale internationale de La Haye. Certes, les enquêteurs ont pris soin d’équilibrer leurs réprimandes à l’égard du Hamas et d’Israël. L’autorité palestinienne, dans un premier temps, a demandé de différer l’examen des conclusions de la Commission Goldstone, du nom du juge sud-africain qui l’a présidée. Mahmoud Abbas a immédiatement été accusé de « haute trahison » par le Hamas. L’autorité palestinienne pour sauver la face a donc dû reprendre, elle-même, l’examen du dossier devant le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève, le 16 octobre, en présentant une résolution soutenant le rapport Goldstone, approuvé par 25 voix sur 47, malgré l’opposition des États-Unis. Ceux-ci sont décidés à bloquer l’examen du document au niveau du Conseil de sécurité, mais un débat est prévu au sein de l’Assemblée générale de l’ONU avant le mois de décembre, où une majorité de pays arabes et pays non alignés existe en faveur de la cause palestinienne et est donc assurée d’être prise en considération, le droit de veto d’une puissance n’existant pas au niveau de l’Assemblée générale. Carl Bild, chef de la diplomatie suédoise, agissant au nom de la présidence de l’Union européenne, qui devait se rendre en Israël a préféré reporter sa visite, annoncée en septembre, à des temps meilleurs pour des questions d’agenda, laissant, en réalité le soin à George Mitchel, envoyé spécial d’Obama pour le Proche-Orient, de poursuivre ses investigations.

75• Côté iranien, la conjoncture est tout aussi détestable. Le boutefeu chiite Mahmoud Ahmadinejad a été investi le 3 août dernier à la présidence de la République islamique dans des conditions hautement contestables, grâce à l’appui de l’Ayatollah, Ali Khamenei « guide de la révolution », malgré des manifestations spectaculaires qui ont suscité des milliers d’arrestations, tandis que des centaines de récalcitrants ont été déférés devant le tribunal révolutionnaire. Ahmadinejad assume une nouvelle fois des prérogatives essentielles : sécurité intérieure, épuration, politique étrangère délibérément provocante à l’égard d’Israël. Même si son pouvoir brutal et la dictature des pasdarans reste en place par la force, l’opposition chiite légaliste se dit prête à rebondir. Avec des marges de manœuvre limitées, elle déclare cultiver le même nationalisme nucléaire que le pouvoir en place, mais l’opposition sunnite concentrée au Balouchistan est décidée, elle, a employé les grands moyens, comme l’a encore montré l’attentat sanglant frappant les gardiens de la révolution, le 18 octobre : 35 tués, 120 blessés. Cependant, là n’est pas l’essentiel, du moins aux yeux de Washington. Le président Obama a donné des délais au nouveau gouvernement de l’Iran pour répondre à ses gestes d’ouverture. Le premier expirait fin septembre. Les États-Unis, les Britanniques, les Français, les Chinois, les Russes, tous représentatifs de puissances nucléaires siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU, auxquels se sont adjoints les Allemands, ont une nouvelle fois requis l’arrêt vérifié par l’AIEA de l’enrichissement de l’uranium pour éviter de nouvelles sanctions économiques au gouvernement de Téhéran. Mais ils se sont, en fait, divisés, les Chinois et les Russes jugeant celles-ci inopportunes et de nature, surtout, à alourdir les difficultés de vie du peuple iranien.

76Obama donnant, en matière diplomatique, la priorité à la négociation, le Porte-parole de la Maison Blanche a fait savoir qu’elle laisserait à Téhéran le temps d’une reprise des pourparlers. Certes, Obama, Brown et Sarkozy ont durci le ton, révélant à Pittsburgh, le 25 septembre, de manière théâtrale, qu’ils avaient eu, preuves à l’appui, connaissance du développement clandestin d’un nouveau site iranien d’enrichissement d’uranium, près de Qom. Ahmadinejad a fait savoir que cette « révélation » n’en était pas une : que l’Agence internationale de l’ONU avait été informée et invitée, dans certaines conditions, à l’inspecter.
Les Iraniens sont passés maîtres dans l’art de souffler le chaud et le froid et de pratiquer avec maestria l’esquive et le louvoiement diplomatique qui leur permettent de réunir les moyens de développer du nucléaire militaire, tout en prétendant ne vouloir limiter leurs intentions qu’au nucléaire civil. Si l’AIEA dirigée par l’Égyptien El Baradeï et les puissances du Conseil de sécurité de l’ONU n’ont pas apporté jusqu’ici de preuve formelle sur le plan nucléaire militaire et que, de ce fait, elles n’ont pas été en mesure de contraindre Téhéran, il n’en reste pas moins que les Iraniens ont poursuivi au grand jour, le lancement de fusées susceptibles d’être équipées nucléairement, et disposant d’une portée de plus de 1 500 kilomètres, c’est-à-dire susceptibles de frapper des sites en Israël, au Liban, en Jordanie, en Arabie Saoudite et dans l’ensemble des États du Golfe. De plus, Ahmadinejad ne se contente pas de remettre en cause l’existence de la Shoah, il est parvenu à obtenir de l’AIEA, le 19 septembre dernier, lors de la conférence générale de Vienne, le vote d’une résolution qui enjoint l’État hébreu de placer ses propres installations nucléaires sous la supervision des inspecteurs de l’ONU et de ratifier promptement le Traité de non-prolifération. Fait d’importance majeure, la Russie et la Chine ont approuvé cette résolution.
Dans une telle conjoncture, Obama a décidé de donner du temps au temps. Des négociations en bonne et due forme avec l’Iran ont donc repris à Genève le 1er octobre, avec la requête de Washington d’aboutir à des résultats probants avant la fin de 2009, même si depuis 2003, les tergiversations iraniennes se sont avérées aussi incontournables qu’efficaces et si, comme l’a déclaré le vice-président américain, Joe Biden, le 5 juillet dernier, les États-Unis ne peuvent pas dicter à Israël ce qu’il peut faire ou ne pas faire « en cas d’échec prolongé des négociations », l’État Hébreu devant déterminer lui-même « ce qui est dans son intérêt vis-à-vis de l’Iran ou tout autre pays ».

La clé de la guerre afghane

77Enfin, nous terminerons ce tour d’horizon de l’actualité européenne et mondiale, en soulignant l’importance des événements qui se déroulent aujourd’hui encore, en Irak, en Afghanistan ainsi qu’au Pakistan.

78• En Irak, l’intensité des combats a décliné depuis l’évacuation des villes par l’armée américaine et le relais assumé par des forces irakiennes dépendant du gouvernement de Bagdad, le 1er juillet dernier, même si les attentats isolés ou par vagues successives se sont poursuivis, le plus grave ayant abouti à la destruction partielle de deux ministères à Bagdad, le 19 août, tuant 25 personnes et en blessant 60 autres. En juin, on a déploré 456 tués entre Tigre et Euphrate, 275 en juillet, 203 en septembre. Malgré les tensions rémanentes entre les communautés Kurdes, chiite et sunnite, la poursuite aussi des attentats contre la petite communauté chrétienne, fin octobre, il ne restait plus que 120 000 soldats américains en Irak contre 145 000 une année plus tôt. En principe et bien que le fragile gouvernement irakien en place à Bagdad doive affronter une période à hauts risques jusqu’aux prochaines élections générales, l’ordre d’Obama reste de retirer les « troupes de combats » américaines du pays d’ici le 31 août prochain et la totalité du contingent à la fin 2011. Les Américains qui, à la date du 8 septembre, avaient perdu en Irak 4 342 soldats, sont donc bel et bien décidés à se replier, mais ils ne le feront qu’en tenant compte de leurs engagements dans la région. Une région, on le sait, qui regorge de richesses pétrolières.

79• En Afghanistan et au Pakistan, par contre et malgré les sornettes dont on nous a rabattu les oreilles à propos des bons et des mauvais talibans, le président américain est obligé d’impliquer, sur le terrain, les forces des États-Unis encore plus que par le passé, en raison de la dégradation de la situation politique et militaire.

80Politiquement, les élections présidentielles afghanes, se sont déroulées en août dernier, dans des conditions frauduleuses, en faveur du président sortant, le patchoune Hamid Karzaï, le recomptage des votes ayant permis d’établir que face à son adversaire tadjik, Abdullah Abdullah, il n’est pas majoritaire. Un second tour de scrutin a donc dû être prévu pour le 7 novembre, donnant une nouvelle chance au président sortant Hamid Karzaï.

81Les 100 000 soldats de l’OTAN engagés sur place sont renforcés par des troupes afghanes progouvernementales, mais de quelle légitimité dispose l’actuel gouvernement afghan ? Près de 70 000 Américains sont sur place. Le chef d’état-major interarmes américain, l’amiral Mike Mullen, estimait récemment qu’un renfort de 30 000 à 40 000 hommes était nécessaire, en raison de la détérioration militaire. Quand on sait que le coût d’un militaire en Afghanistan est de 150 000 dollars par an, on comprend mieux l’ampleur des engagements financiers liés à tout renforcement de la présence militaire.

82Et pour quel résultat ? L’insurrection contrôle les trois quarts des régions sud du pays, la quasi-totalité des régions frontalières avec le Pakistan. Elle s’est enhardie à Kaboul et même dans le Nord. Les trafics de drogue continuent à prospérer. Les pouvoirs sont plus corrompus que jamais et de plus dispersés au sein d’une mosaïque d’ethnies. Depuis le début de l’année, plus de 404 soldats « étrangers » ont été tués.

83Manifestement, la résistance talibane afghane s’appuie sur les zones tribales aux mains des talibans pakistanais et de groupes proches d’Al-Qaida. Malgré l’efficacité de leurs bombardements par drones, les Américains ne peuvent pas gagner seuls cette guerre dans des pays de haute montagne, transformés en nids de terroristes, véritables bases de départ qui ont permis de multiplier ces derniers mois les attentats dans les villes pakistanaises jusque dans les régions proches des frontières indiennes, Lahore, par exemple, ou bien en parvenant à s’en prendre le 16 octobre à l’état-major de l’armée pakistanaise dans la ville de Rawalpindi. C’est pourquoi 20 000 à 30 000 militaires de l’armée pakistanaise viennent de commencer l’assaut du Waziristan du Sud, réputé jusqu’ici comme étant inviolable. On soupçonne Ben Laden et les principaux dirigeants d’Al-Qaida d’y avoir trouvé refuge. Une première offensive de l’armée pakistanaise en 2004 avait été tenue en échec.

84On peut dire, sans trop s’avancer, que de l’issue des opérations militaires actuelles au Waziristan dépendra, en bonne part, le sort de cette guerre engagée par les démocraties à la suite des attentats d’Al-Qaida contre le World Trade Center, le 11 septembre 2001, puis de la chute du régime taliban à Kaboul, le 15 novembre suivant.

85De même, si le Waziristan est pacifié par l’armée du gouvernement légal du Pakistan, l’abcès afghan pourra progressivement se résorber progressivement.

86Dans l’hypothèse inverse, il conviendra alors de sérieusement s’inquiéter des conséquences d’un vaste embrasement régional et du sort réservé aux installations nucléaires pakistanaises, conçues pour faire face à l’arsenal nucléaire de l’Inde voisine.

87Qui plus est, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que la stabilisation du « grand Moyen-Orient » doit être considérée comme un facteur décisif pour la paix du monde et la maîtrise d’un terrorisme qui se propage aujourd’hui au Yémen, dans les incontrôlables confins soudano-somaliens jusque dans les eaux de l’océan Indien, mais aussi épisodiquement dans certaines contrées de l’espace maghrébin, jusque dans les pays africains où la Chine post Tiananmen investit à tour de bras pour assouvir sa boulimie de matières premières.
Nous voilà, certes, et j’en termine par là, bien loin des bonus, des traders et du « carry and trade ». Raison de plus pour comprendre que le combat pour l’Europe est un tout, qu’il s’incarne dans un temps donné du parcours de l’humanité et qu’il doit requérir, de la part de nos contemporains, une attention toujours plus soutenue de ce qui se passe dans notre environnement mondial.
Paris, 26 octobre 2009


Addendum

88Finalement, à propos du Traité de Lisbonne, les événements se sont en quelque sorte bousculés au portillon, quand le Conseil européen a décidé le 30 octobre dernier d’accepter la dérogation exigée par Vaclav Klaus, à Prague. Pour dissiper le fantasme sudète, les juristes ont accordé au gouvernement tchèque une exception similaire à celle dont ont bénéficié les gouvernements britannique et polonais, à propos de la Charte des droits fondamentaux devenue juridiquement contraignante grâce au Traité de Lisbonne. « L’opt out » tchèque sera donc ratifié lors de la prochaine procédure d’adhésion d’un État candidat à l’Union, qui exigera une nouvelle ratification générale des textes à la fin de 2010 ou début 2011. La Slovaquie, quant à elle, a sagement renoncé à épouser le fantasme sudète du président tchèque.

89De son côté, la Cour constitutionnelle tchèque a, enfin bien voulu confirmer, le 3 novembre, que le Traité de Lisbonne « ne violait pas la constitution tchèque », contrairement aux dires d’un groupe de sénateurs souverainistes de la mouvance de Vaclav Klaus et agissant à son instigation.

90Dans ces conditions, l’ultime obstacle à la ratification du traité étant levé, son entrée en vigueur le 1er décembre 2009 a été confirmée avec le dépôt des instruments de ratification le 13 novembre. À Rome, comme le veut la tradition, en souvenir des Traités de Rome de mars 1957.

91Cependant, une autre difficulté redoutable restait à surmonter : celle d’une désignation, si possible consensuelle, du premier président stable du Conseil européen ainsi que celle du Haut représentant pour la politique étrangère et la politique de sécurité, sans oublier celle du secrétaire général du Conseil des ministres de l’Union. Par définition, l’attribution de ces fonctions clés était appelée à faire l’objet de marchandages entre les représentants des États constitutifs de l’Union européenne. Certes, le raité de Lisbonne ayant prévu explicitement la difficulté de « dénicher l’oiseau rare » a envisagé que cette élection pourrait avoir lieu à la majorité qualifiée, mais la présidence suédoise a considéré que l’autorité d’un chairman chargé de rapprocher les points exprimés par vingt-sept entités constitutionnelles différentes (même si le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord ne dispose pas à proprement parle d’une constitution) ainsi que d’être le mandataire de l’ensemble de l’Union pour les affaires extérieures conduisait à privilégier l’approche consensuelle.

92C’est ainsi que, successivement, les noms de près d’une demi-douzaine de personnalités, parmi lesquels plus particulièrement, ceux de Tony Blair ; Jean-Claude Juncker, premier ministre du Luxembourg ; Herman Van Rompuy, premier ministre de Belgique, ont été avancés pour désigner le profil du futur président. Le candidat idéal, semble-t-il, ne devait pas être membre d’un grand pays, tout en appartenant à la mouvance politique aujourd’hui majoritaire dans l’Union européenne (« le centre-droit ») ; il devrait, de plus, être membre d’un pays ayant souscrit l’ensemble des engagements communautaires (d’où l’intérêt porté, par exemple, aux pays pionniers du Benelux).

93Parallèlement et par voie de conséquence, le Haut représentant ne pouvait avoir le même look politique que le « chairman ». Ainsi, l’alliance des socialistes et démocrates au sein du Parlement européen a fait savoir que si la présidence revenait à un « conservateur », le domaine de la politique extérieure et de sécurité devrait être confié à une personnalité considérée comme appartenant à la gauche européenne.

94Finalement, convoqués à Bruxelles, le 19 novembre, par la présidence suédoise pour, enfin, sortir d’une période de cafouillage, les 27 sont tombés d’accord, à l’occasion d’un dîner, sur une formule de compromis a minima, en donnant satisfaction aux Britanniques grâce à l’attribution du poste de Haut représentant à un de leurs ressortissants (à défaut d’obtenir la présidence du Conseil européen avec Tony Blair en prime), tandis que la fonction présidentielle elle-même était adjugée à une personnalité du « centre-droit » continental. Le Haut représentant devait, par ailleurs, susciter le minimum de gêne aux grands pays de l’Union, à commencer par la France et l’Allemagne. Au gré des ultimes pourparlers, il s’est métamorphosé en Haute représentante, sous les traits d’une authentique baronne travailliste, Catherine Ashton qui, déjà en charge du Commerce au sein de la Commission Barroso I depuis 2008, présidera désormais le Conseil des ministres des Affaires étrangères et vice-présidera la Commission Barroso II.

95Quant à la présidence du Conseil européen, elle a été, comme on le sait, décernée au premier ministre démocrate-chrétien flamand de Belgique, Herman Van Rompuy, choisi, nous dit-on, pour ses qualités de médiateur qui auraient permis de conjurer l’éclatement du Royaume. Ce qui n’est pas faux… À ceci près qu’aucun des grands contentieux belgo-belges n’a été réglé pour autant et que l’avenir de la Belgique en tant qu’État demeure sujet à caution.

96Une évidence : les deux heureux désignés ont, au surplus, l’immense mérite de ne faire de l’ombre à personne au départ. Sarkozy a obtenu, pour sa part, que l’importante fonction de secrétaire général soit confiée à un homme du Quai d’Orsay : Pierre de Boissieu, dont il est déjà prévu que la succession serait assumée par un Allemand. Pour compléter l’organigramme de Lisbonne, d’autres conciliabules seront nécessaires pour parfaire la désignation des titulaires des directions générales « stratégiques » au sein de la Commission. Même si ces ultimes joutes interdiplomatiques traînent le minimum de temps, les auditions des candidats commissaires par le Parlement aidant, l’équipe de Barroso II n’est généralement pas considérée comme opérationnelle avant février 2010, alors que la mise en place de la présidence tournante du Conseil au profit de l’Espagne pour six mois et celle du Conseil européen au profit de M. Van Rompuy pour deux ans et demi débuteront le 1er janvier prochain.
Et dire que Valéry Giscard d’Estaing rêvait d’un nouveau George Washington pour l’Europe, tandis que Nicolas Sarkozy voyait dans le traité de Lisbonne un « traité simplifié » !
Paris, le 21 novembre 2009


Date de mise en ligne : 01/07/2011.

https://doi.org/10.3917/eufor.353.0207

Notes

  • [1]
    Éditions Colin.
  • [2]
    Le Monde, 27 septembre 2009.
  • [3]
    États-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Russie, Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Corée du sud, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie, et… Union européenne.
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