Guillaume Dufay. 0 Gemma Lux, Intégrale des Motets isorythmiques. Huelgas-Ensemble. dir. Paul Van Nevel. HMC 901700
1Un enregistrement somptueux : l’intégrale des treize Motets isorythmiques de Dufay ; une interprétation magistrale de Paul Van Nevel, l’un des meilleurs spécialistes de cette musique ; une prise de son exemplaire. Ces Motets ne constituent pas un cycle unifié, mais sont des pièces de circonstance dont la composition s’étend sur une vingtaine d’années. Ils ont en commun un procédé de composition qui fut l’un des joyaux de la musique du Moyen-Age : l’isorythmie. Le motet isorythmique est une composition dans laquelle une formule rythmique est constamment répétée dans une ou plusieurs voix, alors que le matériel mélodique change. Sur ce principe, le Moyen-Age a construit des polyphonies de plus en plus savantes et complexes. Ces Motets de Dufay en représentent l’apogée. Mais, en même temps, le sens mélodique de ce compositeur annonce déjà l’esprit nouveau de la Renaissance. Si bien qu’on en vient à oublier l’organisation extrêmement savante de l’écriture, pour se laisser toucher par une émotion qui affleure dans une vocalité incandescente. Les tempi vifs, le phrasé ample, la couleur des voix, tout contribue ici à laisser s’épanouir une vie rythmique et un mouvement intérieur intense. Les instruments anciens, flûtes à bec, sacqueboutes et vièle, ajoutent un éclat et une grandeur accordés au style de l’époque.
Félix Mendelssohn. Les trois Quatuors op. 44, Le Quatuor Talich. CAL 9302
2Lorsqu’il écrit les trois Quatuors op. 44, Mendelssohn vient d’être nommé à la direction de l’une des plus importantes institutions d’Allemagne, l’Orchestre du Gewandhaus. Il n’a que vingt-six ans. Mais le métier est là et un style personnel s’affirme. Ces trois Quatuors ont dépassé, en l’intégrant, le style des grands classiques, celui de Haydn ou de Beethoven. Si, dans ces pages de Mendelssohn, l’exigence formelle reste très forte et l’écriture transparente, l’émotion et le lyrisme parviennent cependant à une intensité qui n’est plus celle des classiques. La musique de quatuor prend ici une étonnante dimension symphonique, tandis que la virtuosité instrumentale typique de cette génération ouvre un champ d’expression nouveau. Avec le Quatuor Talich, comme avec tous les interprètes exceptionnels, on est gratifié d’un moment musical riche d’émotion et d’enseignement : émotion devant l’unanimité des quatre musiciens, qui participent jusque dans le moindre détail d’une même vision et d’une même respiration, d’un même sens du phrasé et d’un sens exquis de la couleur ; enseignement pour l’intelligence de la grande forme et sa lumineuse lisibilité. Une version de référence qui désormais s’impose.
3Philippe Charru
Verdi. Falstaff, Jean-Philippe Lafont (Falstaff), Anthony Michaels-Moore (Ford), Antonello Palombi (Fenton), Peter Bronder (Dr. Cajus), Francis Egerton (Bardolfo), Gabriele Monici (Pistola), Hillevi Martinpelto (Mrs. Alice Ford), Rebecca Evans (Nannetta), Sara Mingardo (Mrs. Quickly), Eirian James (Meg). Monteverdi Choir, Orchestre Révolutionnaire et Romantique, dir. John Eliot Gardiner. PHILIPS 462 603. 2 CD
4Cet opéra de Verdi a comme centre l’orchestre, avec des personnages qui virevoltent autour de lui et participent à l’action musicale animée ici par John Eliot Gardiner. On a pu constater, en fait, lors de la représentation au Théâtre du Châtelet, à Paris, traduite par la firme Philips au disque dans la même distribution, que Gardiner avait placé l’orchestre au niveau même de la scène, derrière les chanteurs, le traitant comme le personnage principal de l’opéra. Ce qui produit au disque une véritable osmose musicale entre les instruments et les voix, accentuant la formidable architecture imaginée par Verdi pour son œuvre ; d’autant plus que le chef a choisi les instruments d’époque pour son orchestre « révolutionnaire et romantique », qui donnent une vie et une âme à ce dernier chef-d’œuvre de Verdi. La distribution, sans être exceptionnelle, est dominée par les voix d’hommes avec, en particulier, l’omniprésence, dans le rôle-titre, de Jean-Philippe Lafont, qui brosse un Falstaff aussi tendre que truculent. Cependant, il faut conserver les versions-références de Karajan ou de Bernstein.
5Claude Ollivier
Francis Poulenc. Sept Chansons. Figure humaine. Un soir de neige, Chœur de chambre Accentus. Laurence Equilbey. NAïVE V 4883
6Cet enregistrement des Chansons de Poulenc par le Chœur de chambre Accentus complète très heureusement le magnifique enregistrement des Motets par le même ensemble. Cet ensemble vocal s’affirme comme l’un des plus accomplis que l’on puisse aujourd’hui écouter. Les qualités vocales et la technique, parfaitement maîtrisée dans un répertoire large, sont au service d’une musicalité exceptionnelle et d’un respect du texte dont on sent qu’il a été longuement mûri. Il est vrai que ces textes, signés Apollinaire et Eluard, méritent cette attention, celle que Poulenc leur accordait, tant il affectionnait les poètes qu’il entendait en musicien. L’écriture vocale de Poulenc, peu contrapuntique, requiert, en revanche, un sens harmonique très fin, tant la palette du compositeur est riche de nuances savoureuses. Le chœur Accentus nous enchante par la manière dont il fait sonner ce monde harmonique par touches impressionnistes, légères et colorées, entre ombres et lumières. On retiendra particulièrement, dans ce programme, la cantate Figure humaine, que Poulenc écrivait « en cachette » pendant la guerre, et qui fut créée à la libération ; œuvre qu’il aimait entre toutes pour « sa probité et sa foi ». Un grand moment de musique et de poésie françaises.
7Philippe Charru