Notes
-
[1]
J. Ellul, Ce que je crois, Grasset, 1987, p. 209.
1Dans l’évangile de Matthieu, Jésus exhorte les siens à la confiance en Dieu. La Bible de la liturgie, celle que nous entendons lors de la liturgie dominicale, traduit ainsi ce passage : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux » (Matthieu 10,28-31). Ce texte ainsi traduit suggère que Dieu n’est pas pour rien dans la mort des passereaux, qu’il existerait une forme de Providence décidant comme à l’avance de la vie et de la mort des créatures. À vrai dire, je n’avais jamais fait trop attention à ce passage et Jacques Ellul, comme souvent, en invitant son lecteur à aller voir le texte grec, m’a éveillée. La traduction de sœur Jeanne d’Arc, toujours très attentive à la lettre du texte, l’éclaire. À propos des moineaux, elle traduit : « Pas un d’eux ne tombe sur la terre à l’insu de votre père. » Quant au verset 31, elle nous fait lire : « Donc, ne craignez pas : plus que beaucoup de moineaux, vous êtes précieux, vous. » Voilà, en peu de mots, de quoi songer aux traductions et aux trahisons potentielles qu’elles comportent. Jacques Ellul a raison. L’irruption de la volonté de Dieu dans un texte qui ne la mentionne aucunement retourne le sens du texte. « Dans un cas, c’est Dieu qui veut la mort du passereau ; dans l’autre, il n’y a aucune mort sans que Dieu soit présent. C’est-à-dire que la mort arrive selon “les lois naturelles” mais que Dieu ne laisse rien mourir dans sa création sans être auprès de ce qui meurt, sans être la consolation, la force, l’espérance, le soutien de ce qui meurt. C’est une affaire de présence et non de volonté. » [1]
2Nous faisons dire à la volonté de Dieu beaucoup de choses. Non, tout ce qui nous arrive, événements heureux ou malheureux, et notamment la souffrance et la mort de ses créatures, ne relève pas directement de la volonté de Dieu, selon le texte biblique. Le livre de la Sagesse le précise avec force : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants » (Sagesse 1,13). Il ne se réjouit d’aucune larme, d’aucune douleur. Mais nous avons appris en lisant les évangiles que Jésus le Messie pleure avec nous lorsque nous sommes en deuil, comme il le fait après la mort de Lazare. Il participe aux fêtes de ses amis et relève un jeune homme mort, fils unique, bouleversé par les larmes de sa mère. Plus encore, il accepte d’être conduit à la mort de façon infamante, comme un délinquant, afin d’être présent – car c’est bien l’unique chose qu’il veuille, être présent – à la peine des coupables, lui l’Innocent par excellence.
3Alors que veut Dieu ? Question impossible. Aucune réponse magique ne tombe du Ciel, car ce serait faire fi de l’intelligence humaine et du cœur ; et nous ne sommes pas dispensés de l’épreuve du discernement, car ces moments incertains font notre grandeur d’hommes et de femmes libres. Le livre du Deutéronome (30,19) a mis un phare sur nos chemins : « Je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance. » Choisir la vie, voilà toute la question. Choisir la vie pour les autres et pour soi, ensemble. Aujourd’hui, plus encore qu’hier, choisir la vie impose de penser à ceux qui nous suivront, au monde que nous leur laisserons. Car il n’y a pas de fatalité et notre Dieu ne peut vouloir une création malmenée dans laquelle tombent de plus en plus les moineaux. La providence de Dieu n’est pas d’écrire à l’avance nos vies. Elle est d’accompagner en permanence nos choix, les bons comme les mauvais.
Notes
-
[1]
J. Ellul, Ce que je crois, Grasset, 1987, p. 209.